Chapitre III. Les corps de ville gendarmes de la paix royale
p. 43-51
Texte intégral
1Avant 1430, il demeure relativement difficile de comprendre le rôle attribué aux corps de ville dans l'organisation de la sécurité du pays. Leurs réclamations répétées au cours de la décennie précédente montrent en tout cas que le problème de la sécurité du pays se pose bien à eux. De même, on peut se demander si une quelconque place leur a été laissée dans la lutte contre les Anglais. Ce n'est qu'au détour de quelques délibérations que l'on peut apprécier leur mobilisation. À chaque fois, les villes apportent des appoints humains, matériels ou financiers, plus symboliques que réellement efficaces. Ainsi, en mars 1419, voit-on la ville de Poitiers déléguer sa milice auprès du roi et du sénéchal qui assiège Pressigny1 En 1425, l'assemblée des bourgeois de Tours participe au paiement des gens d'armes installés en garnison pour le roi dans la ville2 et l'année suivante, elle dépense plus de 103 livres en bombardes et en poudre pour aider au siège de la Chartre-sur-le- Loir3. En décembre 1428, répondant aux sollicitations des habitants d'Orléans et aux requêtes royales, les habitants de Poitiers, en nom collectif, apportent leur soutien financier et offrent 600 livres4. Ceux de Tours font de même en accordant 400 livres, puis en finançant une compagnie au siège de Louviers5. Bourges et les villes du Berry vont, elles, assurer un renfort matériel en acheminant de la poudre vers Orléans. À cette date l'effort est conséquent, il n'a jamais en tout cas été tel. Il marque rétrospectivement un tournant, car dès lors les collectivités bourgeoises prennent une place dans la lutte contre les Anglais qui ne relève plus de l'acte symbolique.
Les formes de la mobilisation contre les Anglais
2Entre 1436 et 1453, malgré le reflux progressif des Anglais vers le nord, la réalité militaire mouvante fait que les menaces armées planent toujours. Avec une certaine récurrence jusqu'en 1448 au moins les villes sont amenées à participer à l'effort de guerre. L'exemple tourangeau, pour lequel, sur cette période, les archives sont assez fournies et permettent de suivre le déroulement des opérations militaires, offre la possibilité d'analyser non seulement les modalités matérielles de la mobilisation mais aussi le cadre politique dans lequel celle-ci se déroule.
3Il s'avère tout d'abord que les bourgeois n'ont rien des chefs de guerre à la tête des bandes armées qui parcourent encore le pays. Ils agissent selon l'ordre de mobilisation qui leur est formulé par le roi. Le cas est particulièrement net en août 1438, lorsque menaces planent sur Château-du-Loir6. Le souverain roi adresse des lettres à la ville afin que l'assemblée des habitants cède au capitaine de Château-du-Loir des fils pour arbalètes et des cordes plombées pour couleu- vrines7. Lorsque des conditions similaires se présentent en novembre 1443, de nouvelles lettres closes adressées aux habitants les tiennent informés des conditions dans lesquelles le siège du Mans s'annonce et proclament la mobilisation générale. La ville inspecte alors ses attributs militaires, vérifie l'ordre du guet et l'état de ses herses8. Une commission de crise de douze personnes est instituée et prendra désormais en charge les affaires défensives pendant les périodes de crise9. La collectivité envoie surtout un renfort en hommes mais aussi ses propres canons ainsi que deux de ses couleuvrines avec douze livres de poudre, autant de « sel »d'arbalète, dix livres de plomb ou encore 500 traits10. À l'occasion du second siège du Mans, en février 1448, le Juge de Touraine présente à l'assemblée des bourgeois un nouveau commandement « de par le roy »afin de soutenir les troupes11 Dès mars, il est question de préparer des vivres et d'organiser 8 à 12 compagnies d'arbalétriers, mobilisation exceptionnelle qui dépasse sans aucun doute les capacités urbaines (les hommes de guerre ne pourront pas être enrôlés par la ville en nombre suffisant, malgré de conséquentes propositions financières12). Celle-ci s'inscrit cependant dans la droite ligne de ce qui est désormais demandé aux corps de ville et qui, depuis les réformes royales de 1445, se concrétise par l'entretien des francs archers13.
4Il s'agit d'une action strictement encadrée. Les corps de ville subordonnent strictement leur rôle aux ordres royaux. Pas question d'adopter une position trop zélée, de soutenir une action dont l'issue n'est pas clairement affichée, notamment après la Praguerie dont le règlement va rester certainement longtemps présent dans les esprits. Ainsi, lorsqu'à la fin du mois de novembre 1444, les bourgeois tourangeaux apprennent que les Anglais souhaitent « lever les appatiz au pays de Touraine »comme ils le faisaient autrefois (la rumeur stipule même qu'ils entendent être dans la ville dans quatre jours) la ville s'en réfère d'abord au bailli14. De même, lorsque les bourgeois tourangeaux reçoivent en 1452 les requêtes des échevins de La Rochelle apportant des nouvelles alarmantes (les Anglais se masseraient de nouveau devant la ville), aucune action n'est entreprise. Aucun ordre du roi n'est en effet venu. Les bourgeois tourangeaux, comme leurs homologues poitevins qui participent aussi aux guerres du roi15, savent trop que le coût de la guerre est conséquent et que le budget communal n'est pas très étoffé.
5Celui-ci est d'autant plus affecté par le fait militaire qu'après les ordonnances de 1445 se pose la question de la prise en charge les gens d'armes au service du roi. Les âpres négociations que les corps de ville engagent montrent que les sommes en jeu ne sont pas négligeables. À Tours, les tractations commencent dès mars 1445, alors que l'annonce de l'imposition des gens d'armes sur ces villes n'est qu'à peine publiée16. Une délégation urbaine part alors sur le champ vers le roi et rapporte (en juillet) que l'élection doit entretenir 57 lances. Le corps de ville estime alors en exagérant sans doute il est vrai que cela pourrait coûter jusqu'à 18 000 livres17. Une seconde ambassade est constituée et obtient une réduction de 20 lances, soit un substantiel gain financier, complété en octobre par des avantages matériels18. À chaque nouvelle augmentation, le nombre de lances sera régulièrement négocié. Malgré la mise en place de deux lances supplémentaires en 1451, les délégués tourangeaux obtiennent que leur nombre soit réduit de sept unités19 À Poitiers de semblables négociations sont entreprises avec le roi sur le nombre de francs archers entretenus par la ville. Dès 1448, leur nombre est réduit de trente à douze et tous les moyens sont bons pour la ville pour réduire encore leur nombre20. Elle dépense alors plus de 300 livres par an21. La charge remonte à dix-huit unités en 146722, et deux ans plus tard Louis XI tente d'en imposer 24, chiffre qui, malgré le refus des habitants23, sera atteint en 147424.
6Le souci financier est d'autant plus aigu que la réfection des murailles reste un des principaux postes budgétaires et demeure un des serpents de mer de la politique municipale. Les sommes englouties sont considérables, et limitent d'autant la constitution d'un arsenal conséquent. Pourtant autour de 1440 les efforts urbains portent désormais sur la constitution d'une artillerie, plutôt indigente jusque-là. Si l'on suit l'exemple de Poitiers, le corps de ville n'hésite pas à dresser et à tenir à jour les inventaires d'un armement qui reste encore privé25. À Tours, l'assemblée des bourgeois prend de réelles initiatives face à ses faibles capacités. Le constat en est dressé dès janvier 1438 lorsque, devant les menaces sur Château-du-Loir, l'assemblée des habitants s'inquiète de ses armes et avoue qu'elle n'a « grant artillerie26 ». La communauté semble percevoir l'importance du problème puisqu'en août de la même année elle achète une douzaine de couleuvrines et, fin octobre, deux canonniers sont rétribués pour avoir garni de couleuvrines les portes de la Riche et du pont sur la Loire27. En 1440, il semble qu'une échauguette soit également réalisée sur la Tour Neuve de Saint-Martin28, alors qu'en 1442 un millier de chausse-trapes sont commandées29. Les comptes de l'année 1443-1444 comportent pour la première fois une rubrique « artillerie », même si celle-ci ne totalise à peine 33 livres de dépenses, essentiellement réalisées de novembre à janvier, période pendant laquelle un canonnier a séjourné dans la ville pour réparer les arbalètes et fabriquer des traits30.
7La mobilisation humaine semble, elle, être le véritable point fort des villes. À Poitiers comme à Tours, dans le second quart du xve siècle, les registres de délibérations montrent une véritable réorganisation des cadres décisionnels qui prévalent à la garde des murs de la ville. Dans la capitale poitevine, autour de 1440, la tenue du guet est marquée par de nombreux dysfonctionnements. L'analyse municipale est rapide et sans ambiguïté. La garde de la ville en effet se dépérit car « par faulte de ceulx qui sont tenuz le faire ne le font point et se afferment par ceux qui sont maires31 ». De véritables ordonnances sont édictées en décembre 1440 puis en juillet 1441 face à la persistance des menaces, un an à peine après la Praguerie. Un « chevalier du guet »est instauré (mais son existence réelle ne semble pas confirmée), le rôle du maire est rappelé ainsi que celui des commis chargés de nuit comme de jour d'inspecter les murailles avec l'aide des sergents32. Une semblable volonté de rigueur se fait sentir à Tours également à la même date, avec la réinstallation de la « Commission des XII », chargée de gérer la ville en cas de crise33. À cette date, ses attributions en matière militaire sont désormais clairement établies.
Une quête municipale réaffirmée : l'entretien de la paix locale
8Il est d'autant plus nécessaire de les clarifier que l'action des collectivités bourgeoises suit une quête difficile, entamée au milieu des années 1420 au moins, celle d'obtenir la pacification de l'espace régional. Plus encore que la lutte contre l'ennemi anglais, l'objectif sécuritaire anime quotidiennement l'action militaire des corps de ville. Malgré le décalage des conflits vers le nord, les bandes armées ne s'éloignent pas, au contraire. Lorsque, dans l'été 1446, une députation du corps de ville de Poitiers part vers Chinon où se trouve le roi, Jean Mourrault, le délégué de la cité, en revient dans un piteux état. Son cheval est mort en route et ses compagnons se sont vus dérober les leurs. Le constat est commun et se répétera de nombreuses fois34. En effet, jusqu'en 1450 au moins, « larrons », « estradeurs »et autres « ecorcheurs »parcourent encore le Berry en compagnies entières35, gênent la reprise des activités économiques, comme le bon déroulement des ambassades politiques. Pour un certain temps encore l'installation des troupes sur le pays, par le roi lui-même va créer de nombreux problèmes36. La Touraine semble avoir été là un carrefour essentiel autour duquel de nombreuses troupes sont installées pendant les brèves périodes de paix37. Bien que depuis 1431, le souverain affiche clairement ses intentions à l'égard de ceux qui troublent l'ordre public (en les punissant de crime de lèse-majesté), une longue litanie de plaintes peut être encore une fois dressée. Le fléau réapparaît en Touraine en novembre 1435 et en février 1436 les délibérations tourangelles indiquent qu'une fois encore une compagnie de gens d'armes est installée depuis plus de trois semaines dans les faubourgs de la ville38. À peu près à la même date, la commune de Poitiers essaie également seule de trouver une solution et crée une sorte de milice chargée de rayonner autour de la ville et de sécuriser les chemins. Il s'agit d'une compagnie d'une trentaine de personnes, armées par la ville et exemptées de taxes, qui doivent surveiller les chemins. Cette compagnie (si elle perdure, ce qui n'est pas assuré) n'empêchera pas de nouveaux troubles car dès l'été 1438, les problèmes ressurgissent de plus bel39. La région tourangelle est lourdement marquée par la présence de bandes armées plus ou moins en errance. Dès avril 1438, les principaux villages sur le Cher sont tenus par des capitaines belliqueux. La ville se plaint et délègue un serviteur vers le roi qui entend bien la requête urbaine. Cette fois, le mécontentement royal est d'autant plus fort que la délégation urbaine porte aussi les revendications des officiers royaux40. Le souverain dit alors préparer des lettres pour faire partir ces troupes mais sur le terrain les moyens utilisés pour les déloger semblent peu pertinents. En juin, la compagnie d'un certain Floquet ravage régulièrement le faubourg de la Riche41. De plus, une autre s'annonce, celle du seigneur d'Alençon qui, d'Auvergne, doit s'avancer vers le Maine42. Pour une des premières fois cependant, l'intervention urbaine auprès du souverain porte ses fruits puisque le roi détourne ce dernier fléau de la Touraine (au détriment du Poitou cependant43).
9Même si ce dernier exemple traduit un succès limité (finalement la ville de Tours, excédée et bien seule, propose, fin juin, d'habiller à ses frais tous les compagnons de Floquet et de les faire traverser la Loire comme ils semblent le souhaiter44), le fait n'est pas isolé, de semblables actions conjointes s'observent aussi à Poitiers et s'affirment encore après la Praguerie45. Si la solution définitive vient certes de l'extérieur, la simple convergence rhétorique est ici dépassée et gagne l'action de terrain.
Gestion municipale des attributs militaires royaux : le château urbain
10Sur le terrain, le retour à la paix est une période toute aussi essentielle que la guerre dans les relations entre les villes et le roi. C'est autour du château de la ville que l'on peut distinguer les enjeux nouveaux d'une paix bien gérée. L'histoire des châteaux de Poitiers et de Tours, ou de la Grosse Tour de Bourges est celle assez commune des châteaux royaux dans la seconde moitié du xve siècle. Elle est marquée par un abandon progressif et en plusieurs phases de ce que l'on pouvait considérer jusqu'ici comme un des symboles de la puissance royale dans la ville. S'il n'est pas certain que la fonction militaire de ces châteaux se soit révélée évidente même au cœur des années les plus sombres du royaume de Bourges, vers 1450, ces constructions n'ont qu'une fonction résidentielle, et encore assez limitée. On le voit à Poitiers où Charles VII séjourne à plusieurs reprises (parfois même avec Agnès Sorel46) dans le célèbre château triangulaire construit par Jean de Berry. Les Très Riches Heures du duc de Berry, minutieusement illustrées par les frères de Limbourg, laissent déjà apparaître, derrière de hauts murs au fort caractère défensif, les signes tangibles d'une résidence d'agrément47. Si la Grosse Tour de Bourges garde une spécificité militaire et n'a pas véritablement été transformée en lieu de plaisance48, il semble bien que le château de Tours a connu une utilisation résidentielle plus longue. Le passage de plus en plus fréquent de Charles VII en Touraine, puis l'installation progressive de Louis XI et de la cour Plessis, a certainement vu le château accueillir sinon le souverain, du moins les nombreuses ambassades ou officiers qui convergent vers la ville. Toutefois, cette fonction résidentielle s'efface très vite. En effet, lorsqu'en août 1454 le roi se présente sous les murs de Poitiers, il va loger au palais épiscopal. En fait, à cette date, alors que l'ancien palais ducal est depuis longtemps transformé en centre administratif, le château abrite en résidence une autre personne : Jacques Cœur, prisonnier.
11Les châteaux commencent alors une nouvelle carrière qui pose rapidement la question de leur garde. Il est clair qu'un certain désengagement royal a lieu et s'accompagne d'une prise de responsabilité par les corps de ville qui achèvent ici de prendre à leur charge la totalité de l'espace défensif de leur cité. Le fait est clair pour les châteaux de Tours ou de Poitiers. Dans la capitale tourangelle, ce basculement a lieu à l'annonce de la mort de Charles VII, dans l'été 1461. Plusieurs actes symboliques traduisent de la part de la ville comme du roi une volonté de clarifier les responsabilités. Dans l'été 1461, face à l'attitude ambiguë du dauphin, les bourgeois s'inquiètent des troubles qui pourraient venir et, après un moment d'interrogation, prennent l'initiative de vider le château de ceux qui s'y trouvent. D'autorité ils organisent sa mise en défense jusqu'à ce que « le bon vouloir du roi soit entendu49 »et y placent 12 personnes sous la direction de deux lieutenants : Pierre Godeau, lieutenant général du bailli, et Jacquet Binet, lieutenant pour la ville50. Très vite ainsi une autorité partagée se dessine et révèle un équilibre politique dans lequel le corps de ville tient toute sa place. Sous l'autorité du roi lui-même, cet accord autour du gouvernement du château ne tarde à voler en éclats. Il semble alors que le souverain joue la carte municipale contre les anciens officiers royaux, peut-être trop fidèles à son père. En effet, bien avant sa venue (qui aura lieu au mois d'octobre), Louis envoie Jean Paniot, un de ses écuyers, pour prendre possession de la ville en son nom. Le cinq août celui-ci reçoit le serment de tous les présents à l'assemblée des habitants et se porte devant le château. Là, il déboute tous les responsables présents, le bailli, le lieutenant général comme Baudet Berthelot, commis au gouvernement de Touraine, au profit cependant de Binet, le responsable installé par la collectivité bourgeoise51. Le roi se range ainsi derrière le choix communal et tolérera par la suite, à l'occasion de chaque crise militaire (tant en 1465 qu'en 1485), que l'autorité municipale investisse le château52.
12Une solution très proche est adoptée à Poitiers lorsque, en 1465, l'ordre militaire doit être rétabli dans la ville en raison des événements liés à la guerre du Bien public. Si aucune menace directe ne pèse sur les murs de celle-ci (même si, à l'ouest, Parthenay appartient au comte de Dunois et, à l'est, le comte de la Marche s'avance sur Montmorillon53), face à l'absence de garnison dans le château (sa garde se réduit déjà à quelques hommes), la ville y place une compagnie de six personnes pour surveiller ses murs. Concrètement ainsi, le corps de ville peut se prévaloir d'avoir la garde de la ville et de détenir l'autorité militaire entière sur la cité54. Conquête politique reconnue très vite par le roi lui-même qui, dans ses lettres adressées à l'assemblée des bourgeois55, reconnaît la pertinence des actions municipales et les encourage à poursuivre encore : lorsque début mars un représentant communal en délégation présente au roi la situation, celui-lui répond qu'il est « très contens et vous en mercions, et en esperance que toujours perseverez de bien en mieulx [...] [et de] donner partout si bonne provision que aucun invonvenient n'en adveigne »(lettre du 22 mars 1465). L'appui urbain est d'autant plus appréciable que les cadres traditionnels de l'administration royale ne sont pas capables de tenir un quelconque rôle militaire. Le roi est loin et ses représentants aussi. C'est ainsi surpris et fort mécontent que le sénéchal (Louis de Crussol) semble apprendre en 1465 la révolte de certains prisonniers qu'il avait fait incarcérer au château. Celui-ci ne relève donc plus du pouvoir réel des officiers du roi ce qui justifie implicitement la mainmise de la commune. Mainmise rendue officielle seulement en 1485 à l'entrée en charge du nouveau sénéchal Yvon Du Fou. L'acte de prise de possession traduit en fait un adroit compromis entre pouvoir légal et pouvoir réel. La ville reconnaît au souverain et à son premier représentant dans la région le titre de garde du château, elle lui fait même parvenir les clefs, mais le maire obtient officiellement qu'en cas de péril imminent, leur garde revienne aux deux autorités conjointement. La commune stipule bien alors qu'en de telles occasions elle pourrait exprimer de droit toute son autorité quant à la gestion du château, sans subir aucune contestation. Il est même précisé que tous les actes ordonnés au nom de la ville ne pourraient être annulés sans le consentement de l'autorité municipale. Renouvelé en 1488 lors de la prise de possession du sénéchal suivant (Gautier des Quars56), un tel accord n'est que la traduction officielle du profond mouvement de désengagement du pouvoir royal, évolution que des actes de mobilisation, pourtant eux aussi régulièrement publiés par le roi dans la seconde moitié du xve siècle, ont bien du mal à cacher57.
13La gestion au quotidien de la défense de la ville, de la sécurité des provinces et plus largement de la paix locale au long de la dernière partie de la guerre de Cent Ans résulte d'une certaine redistribution des pouvoirs. Si l'œuvre du souverain réside avant tout dans la redéfinition de la politique militaire et se traduit notamment par l'établissement des compagnies d'ordonnance et l'élimination des troupes qui vivent sur le pays, il revient aux villes de prendre possession sur le terrain des anciens outils de la défense royale. Pour cela elles ont dû revoir leurs procédures de gestion de crise et donner à leurs institutions une personnalité militaire que les anciennes communes n'avaient peut-être pas. Plus encore, en prenant en charge le soutien matériel nécessaire à l'armée royale en campagne, les collectivités ont montré qu'elles étaient aptes à assumer un rôle qui dépassait largement le cadre des murs de la cité ou de son immédiate banlieue. Elles deviennent alors les partenaires militaires de la royauté qui a su entre-temps leur donner véritablement les moyens financiers pour exister.
Notes de bas de page
1 Poitiers, arch. comm. registre de délibérations n° 2, f° 136. L'année suivante, il est stipulé dans les registres de délibérations que cette milice pourra servir 40 jours auprès du roi.
2 À savoir 40 gens d'armes et 30 hommes de traits (Tours, arch. comm. CC 22, f° 24).
3 Tours, arch. comm. CC 23, f° 113 (mars 1426).
4 Poitiers, arch. comm. J 787 et 788.
5 Tours, arch. comm. CC 24, f° 64, février 1429. Ils répondent aux lettres que leur ont fait parvenir les habitants d'Orléans, accompagnées de celles du roi (idem, CC 24, fos 101 et 113). Celles-ci demandent aux bourgeois de Tours six cents livres. Quatre cents autres seront prises en charge par l'assemblée des habitants et les deux cents restantes seront fournies par les religieux. Jean Le Maistre, un des bourgeois, avance la somme pour la collectivité urbaine et sera remboursé en mai. Sur les 400 fournies par la ville, 337 feront l'objet d'une levée directe sur la population. Cet argent est donné à Tours au capitaine des gens d'armes (Étienne de Lignolles) qui part au secours d'Orléans. Voir aussi B. Chevalier, La ville de Tours..., op. cit, p. 141-142.
6 Tours, arch. comm. CC 27, f° 49 v° et f° 50.
7 La ville dépense alors plus de 42 livres (ibidem, f° 50).
8 Ibidem, f° 260 à f° 263, assemblée du 17 septembre.
9 Cette commission se compose de huit laïcs et quatre religieux (id., BB 28, f° 264).
10 Id., BB 28, f° 269.
11 Les délibérations relatives à ce siège se trouvent dans BB 28, f° 312 v° à f° 315.
12 Un écu est offert pour chaque compagnon qui se rend au siège du Mans (Tours, arch. comm. BB 28, f° 315 v°). Toutefois les comptes des deniers communs signalent que cette année-là les bourgeois durent aller vers le roi pour s'excuser de ne pas avoir pu fournir le nombre de personnes qu'il avait requis (id., CC 30, f° 137 v°).
13 C'est ainsi par exemple le cas à Poitiers en 1450, date à laquelle les francs archers de la ville vont soutenir le siège de Chalais (Poitiers, arch. comm. registre de délibérations, n° 4, p. 14, premier juin 1450).
14 Id, CC 29, f° 134 et BB 28, f° 275.
15 De la même façon, en 1458, le sénéchal du Poitou ordonne la levée d'hommes pour s'opposer à desmenaces anglaises. La ville de Poitiers n'est pas concernée par celle-ci (acte publié dans les miscellanées [n° 4] des Archives historiques du Poitou, t. XLII, 1960).
16 Tours, arch. comm. BB 28, f° 277, 31 mars 1445. Il n'est qu'à peine fait allusion aux actes officiels quiles instaurent.
17 La délégation part vers Nancy, mais ira trouver le roi à Châlons (ibid., f° 278 v°, 18 juillet 1445, etf° 279 v°, 18 août 1445).
18 La ville et le pays sont déchargés d'une partie des vivres et des fournitures (ibid., P281, 11 octobre 1445).Si fin décembre un accord semble obtenu, la ville ne perd pas espoir de voir encore diminuer leur nombre et, dès mai 1446, une nouvelle délégation est mise sur pied, en vain cette fois-ci (ibid., f° 286 v°25 mai 1446, rapport des délégués).
19 Ibid, BB 30, fos. 252 et 252 v°, 8 octobre 1451, et fos 255 et v°, 5 et 20 novembre 1451. Il est difficile desuivre cependant avec précision toutes ces négociations et par conséquent de déterminer le nombre delances dont la ville a la charge. Il semble qu'en 1465 celui-ci soit réduit à 22 (id., BB 32, f° 53 v°).
20 Poitiers, arch. comm. J 1014, rôle des dépenses d'octobre 1448-juillet 1449.
21 Les sommes engagées pour ces soldats sont cependant variables : en avril 1451, la ville en équipe 12 pour161 livres, 16 s., 8 d. (Poitiers, arch. comm. registre de délibérations n° 4, p. 41). Leur entretien coûte plus de 260 livres en 1462 (id., K. 6 et 7).
22 Poitiers, arch. comm. registre de délibérations n° 6, p. 68, 86, 93, 138, 139, 145, 147. La ville cherche en vain à réduire leur nombre et promet 2 marcs d'argent à leur capitaine s'il arrive à réduire leur nombre de 18 à 12 (id., registre de délibérations n° 7, p. 55).
23 En avril 1469, la ville reçoit une lettre du capitaine des 4000 francs archers qui signale une augmentation de leur nombre. La ville refuse d'en envoyer d'autres (id., registre de délibérations n° 5, p. 143).
24 Id., registre de délibérations n° 7, p. 97, 118, 177-178. Il s'agit donc de 240 livres (au moins) qu'il conviendrait d'ajouter à la liste des prélèvements financiers. En 1522, le nombre des archers entretenus par la ville de Poitiers est redescendu à 12 (id., E 29).
25 Id., registre de délibérations n° 3, p. 86, 24 juillet 1441.
26 Tours, arch. comm. CC 27, f° 49 v° et f° 50.
27 Id., CC 27, f°55 v° et f° 126 v°.
28 Id., CC 28, f° 55.
29 Id, BB 28, f° 250 v°.
30 Id., CC 29, f° 86 v°.
31 Poitiers, arch. comm. registre de délibérations n° 3, p. 74, 13 décembre 1440.
32 Ibidem, p. 77, et p. 86-88. Le rôle des sergents est essentiellement de prélever les amendes sur les contrevenants.
33 Sa création provoque la disparition des sujets relatifs aux problèmes militaires traités désormais en dehors de l'assemblée des habitants (Tours, arch. comm, BB 28, f° 264).
34 Poitiers, arch. comm, registre de délibérations n° 3, p. 158, août 1446. Un épisode semblable a lieu en mars 1448 pour d'autres délégués poitevins (ibid., p. 185).
35 Pour ce dernier cas, il est difficile de mener une analyse étant donné l'inexistence de sources municipales notamment. On garde cependant la trace des passages particulièrement dévastateurs de Rodrigo de Villandrando à Issoudun, La Châtre en 1435 et 1437 (L. Raynal, Histoire du Berry..., op. cit, t. III, p. 31-33). Seuls peut-être les registres capitulaires de Saint-Étienne de Bourges pourraient fournir des informations supplémentaires sur les troupes qui rançonnent le pays entre 1436 et 1450. Ils n'ont pas pu être dépouillés.
36 En 1438, le roi par exemple donne des lettres à deux chevaliers normands pour que leur compagnie de 50 hommes de traits et 25 hommes d'armes soit nourrie sur le Poitou et la Touraine (Tours, arch. comm. CC 27, f° 41, sans date). Tel est également le cas à Tours en 1446. Cette fois les gardes écossais qui suivent le roi provoquent de multiples méfaits dans plusieurs maisons de la ville. Ces troubles nécessitent l'intervention même du lieutenant du château (Tours, arch. comm., BB 28, f° 271 et fos 297-298). Malgré un fort ressentiment, les habitants se rendent compte très vite que leurs requêtes seront vaines. Finalement, ils abandonnent toutes leurs poursuites (« laquelle chargeoit fort plusieurs Escossoys de la garde du roy ») afin de ne pas « encourrir l'indignation du roy »de plus en plus souvent présent au Plessis (id., CC 30, f° 133 v° [1448]). L'affaire ne semble cependant pas s'arrêter là, puisque les registres de comptes montrent que les gardes Écossais en question auraient porté à leur tour plainte contre la ville (ibid, f° 74 v°, février 1449).
37 Jusqu'en 1441 au moins, la Touraine est parcourue par les capitaines les plus célèbres tels Thomas Balye, Hue Kennedy, Jacques Stuart... (B. Chevalier, La ville de Tours..., op. cit., p. 140, note 160).
38 Tours, arch. comm. BB 26, f° 85 v°, 28 février.
39 Poitiers, arch. comm. registre de délibérations n° 3, p. 1 et 2. Des troubles sont mentionnés aussi en 1439, 1441, 1448 (id., p. 34, 158, 185).
40 Les bâtards d'Harcourt, de Beaumanoir, de Sorbier tiennent en effet les châteaux de Vaucay, Veretz, Bléré, Larçay (Tours, arch. comm. CC 27, P52). Le délégué urbain est un des sergents du bailli de Touraine qui semble lui aussi désarçonné face au problème (ibid.).
41 La ville en réfère d'abord au bailli qui se trouve à Saumur (ibid., f°52 v°), puis en juillet au roi qui est arrivé à Bourges.
42 Tours, arch. comm. CC 27, f° 52, f° 53 et f° 53 v°.
43 Jean Le Picard adresse finalement des lettres aux habitants pour leur préciser que finalement cette compagnie s'avancera en passant par le Poitou (ibid., f° 53 v°, août 1438).
44 Ibid., f° 49. Ironie du sort, le roi va installer en Touraine à partir de 1443 la compagnie de Floquet et la ville lui fera un don en vin de plus de 4 livres (id., CC 28, f° 178).
45 En janvier 1442, le corps de ville de Poitiers sollicite du roi le départ de Philippe de Culan, qui séjourne en ville avec sa compagnie. Le roi semble alors préparer des lettres pour faire évacuer les troupes (Poitiers, arch. comm. registre de délibérations n° 3, p. 100 et 107, 11 janvier 1442).
46 Paris, Bibl. nat. France, fr. 26 076, n° 5687, 13 mars 1447 (cité par R. Favreau, La ville de Poitiers..., op. cit., p. 336, note 111).
47 On y distingue en effet, fenêtres à meneaux, cheminées élevées, galeries qui franchissent le Clain. Cette fonction résidentielle est confirmée par les comptes de l'hôtel ducal qui évoquent les salles d'apparat, ou encore la chambre du duc (Paris, arch. nat, KK 256-257, cités par R. Favreau, La ville de Poitiers..., op. cit, p. 213-214).
48 Après avoir été l'enjeu de certains conflits qui vers 1427 opposent dans la ville les partisans de Richemont à ceux de La Trémoïlle, Charles VII vers 1428 renforce encore le caractère militaire de cette vieille forteresse en faisant raser les maisons qui la bordaient (voir A Buhot de Kersers, Histoire et statistique monumentale du département du Cher, vol. 2 : Bourges, Bourges, 1883, p. 92). Il convient de signaler qu'à Bourges et dans ses environs, le roi possède des demeures bien plus adaptées : dans la ville le palais restauré par Jean de Berry ; dans ses environs proches, le château de Mehun, bien sûr, ou encore celui de Bois-Sire-Amé, voire sa « maison »de la Salle-le-Roy à laquelle encore dans la seconde moitié du xve siècle des réparations sont effectuées (Paris, Bibl. nat. France, ms. fr. 2912, f° 32).
49 Les registres de délibérations fournissent de nombreuses indications sur ces événements, mais les registres de comptes donnent des éléments plus fiables car les quittances ordonnées par les élus qui ont en charge la gestion quotidienne de la ville sont recopiées assez précisément (id., BB 30, fos 338 à 341, et CC 35).
50 Id., BB 30, f° 338, 22 juillet. Ils y resteront jusqu'à la fin du mois (ibid., f° 340 v°) et le guet sera levé à la mi-août (id, P 341, 17 août). Il ne reprendra ensuite qu'en 1464 et semble organisé sous la seule direction communale (id., BB 31, fos 76-89).
51 Celui-ci fait alors serment de bien garder la forteresse royale (id, BB 30, f° 340 v°), G. Collon (éd.), P. Berard (1393-1465) et la réforme municipale de Tours en 1462, dans Mém. Soc. arch. Touraine, t. 53, 1928, p. 225. La fin du guet est proclamée le 17 août suivant (Tours, arch. comm. BB 30, f° 341).
52 Tours, arch. comm. BB 32, f° 32 v° et BB 33, f° 44.
53 C'est du moins ce que signalent des lettres closes adressées par le roi à la ville le 16 mars 1465, dans B. Ledain (éd.), Lettres des rois de France..., op. cit.,t.I, 1872, p. 151.
54 Elle exprime d'ailleurs cette autorité clairement au cours de ses conseils hebdomadaires par exemple le 28 février 1466 (Poitiers, arch. comm. registre de délibérations n° 6, p. 4).
55 Il le fait par ses lettres des 16, 22 mars et 4 avril (B. Ledain [éd.], Lettres des rois de France..., op. cit, p. 151-153).
56 Poitiers, arch. comm. E 23, 21 août 1488.
57 En effet, depuis 1451, et régulièrement par la suite à Poitiers (en 1483, 1497,...), le souverain continue de publier des lettres patentes ou des commissions pour réglementer ou veiller au guet et à la garde de la ville (par exemple Poitiers, arch. comm, série M, registre n° 11, f° 8 v°). Il s'agit d'actes symboliques qui marquent une autorité théorique.
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