Chapitre I. L'œuvre de Jean de Berry (1360-1410)
p. 17-26
Texte intégral
1Lorsque le 7 août 1372 les notables de Poitiers ouvrent les portes de leur ville aux troupes du duc de Berry, la foule en liesse les accueille dans les rues au cri de « Montjoye1 ». Poitiers est alors de nouveau dans le royaume de France. Cet événement, « merveilleusement jouyeulx2 », vient couronner une politique militaire qui depuis 1369 fait progressivement reculer les Anglais. Bientôt, toutes les villes du Centre-Ouest vont rejoindre la cause royale3. À l'échelle du royaume, il s'agit d'un symbole qui marque la gloire d'une monarchie de nouveau conquérante et partout les sujets du roi de France y sont associés4. Pour la ville de Poitiers, et pour les régions qui l'entourent (non seulement le Poitou, mais aussi le Berry ou la Touraine), la paix qui s'ouvre désormais est encore toute relative. Espaces de marches, toutes ces régions encore peu sûres ne vont pas pour autant voir s'éloigner définitivement les gens de guerre. Pourtant, à peine cinquante ans plus tard, la géographie politique du royaume de France est quasiment inversée. C'est en Berry, en Poitou, ou encore en Auvergne que se rassemblent les derniers fidèles à la cause française, derrière un jeune prince encore bien inexpérimenté. Entre-temps, par conséquent, un fabuleux travail de reconquête politique a eu lieu, travail qui conduit les villes de Bourges, de Poitiers, puis de Tours à devenir presque naturellement les capitales du frêle royaume de Charles VII. Il s'agit donc tout d'abord de sonder les transformations qui ont lieu au cœur de ces cités pendant cette période, de dresser un état des lieux de la société politique en quelque sorte au début du xve siècle. Pour Bourges, Poitiers et Tours, comme pour bien d'autres villes du royaume aussi, la question est de savoir dans quelle mesure les structures urbaines héritières de la tradition communale s'accommodent du fait princier.
2En 1372, marchant aux côtés de Du Guesclin, Jean de France entreprend lui-même la reconquête du vaste comté que son père lui avait autrefois octroyé5. Avec cette récupération, au milieu des années 1370, il se trouve à la tête d'un des plus vastes apanages de France. Le personnage de Jean de Berry est bien connu6. Mécène et amateur d'art célèbre, il est une figure de première importance dans la vie politique du royaume, et ceci dès son plus jeune age7. Si son influence sur le développement architectural de ses principaux centres de pouvoir est notoire, son oeuvre administrative et politique dans son apanage est plus difficile à déterminer. À la lecture de l'imposante biographie réalisée par Françoise Lehoux, on peut même se demander s'il s'est vraiment intéressé à la gestion de cet immense territoire qui se compose de l'Auvergne, du Berry, puis du Poitou après novembre 13698. Pour en juger faudrait suivre pas à pas l'action politique du duc. Force est de constater que celle-ci sur le plan local est particulièrement réduite. Elle résulte d'un faisceau de contraintes fortes : la permanence des menaces militaires, l'immensité de l'apanage, à quoi s'ajoute l'impérative nécessité pour le duc de se tenir proche des cercles parisiens du pouvoir royal. Pourtant, localement son apanage marque incontestablement l'émergence d'une certaine société politique. Au tournant des xive et xve siècles, c'est toute la question du rôle de la cour princière qui se pose. Celle-ci apparaît comme un milieu propice à de nouvelles formes d'éducation politique pour une partie de la société communale.
Structuration de cadres administratifs centrés sur les villes
3Dans son étude de la société poitevine, R. Favreau montre que c'est dans le dernier tiers du xive siècle que se développe une administration structurée et qui plus est centralisée sur la capitale poitevine. Dès avant la reconquête de l'ensemble du territoire, et même avant la reprise de Poitiers, les cadres traditionnels de l'administration se reconstituent : deux procureurs généraux apparaissent en 1368 et un substitut en 1369. Très vite ensuite, Poitiers devient le siège de la cour de justice de la sénéchaussée où se tiennent régulièrement les plus longues assises du Poitou. Cette juridiction s'étoffe de tout un personnel subalterne. À cette cour s'ajoutent un greffier en 1386, un assesseur en 1395, et en 1408 se crée un office de clerc des présentations9. Le rôle de Poitiers se renforce encore avec la tenue des Grands Jours à partir de 1378. En parallèle, l'administration des finances voit se multiplier les « élus », procureur, receveur général, assistés à Poitiers d'un lieutenant général. Ainsi, c'est à Poitiers que sont répartis les impôts pour l'ensemble du Poitou et que par la suite les sommes levées sont centralisées. L'administration des eaux et forêts réapparaît, elle aussi avec son siège à Poitiers où se trouvent un lieutenant et un greffier. Cette concentration est renforcée par la présence du seul atelier monétaire de tout l'apanage10. De plus, si ces cadres administratifs semblent bien traditionnels, de lentes innovations sont introduites par Jean de Berry : un procureur des fiefs, par exemple, semble exister dès les premières années du xve siècle en Poitou et peut-être même en Berry11
4L'absence d'étude aussi poussée sur l'espace politique berrichon à la fin du xive siècle limite la comparaison, mais aucun élément ne laisse penser que Bourges ne tient pas un rôle régional similaire, au contraire. On peut noter que, de la même façon qu'en Poitou, c'est à partir de 1366 qu'une rénovation administrative est véritablement sensible12, même si les préoccupations militaires tiennent encore le devant de la scène. Le duc obtient alors des lettres du roi pour que des Grands Jours puissent se tenir régulièrement à Bourges13. Dans la capitale, en l'absence de commune organisée, le rôle de prévôt est ici important et l'office est mentionné pour la première fois dès 136714. Apparition qui ne relève certainement pas uniquement du hasard de la conservation des actes, tant les réformes sont nombreuses autour de cette date. En effet, la même année, le duc décide que toutes les causes du bailliage de Mehun relèveront désormais de la cour de Bourges. Enfin, même s'il est difficile de déterminer le détail de son organisation, une administration traditionnelle est bien en place, avec à sa tête un bailli15, des procureurs — six sont mentionnés de 1360 à 141616, des receveurs17, dont un particulier à Bourges dès 136718. Un mouvement centralisateur, comme à Poitiers, semble en marche. Des bases administratives et juridiques solides semblent donc bien jetées19.
5Il faut de plus ajouter à cela le développement des organes centraux de l'administration apanagère. Les villes capitales en sont le réceptacle presque naturel. L'établissement de la chambre des comptes à Bourges, le 11 mai 1379, traduit peut-être l'ambition de copier l'autorité royale et de donner une nouvelle renommée au duché20, mais montre aussi la volonté de rationaliser une gestion complexe et d'améliorer un budget dont le déficit provient d'une gabegie certaine. Cette création s'inscrit dans un mouvement qui plus largement travail à l'autonomisation des finances ducales21 et qui conduit au développement du personnel administratif et au monde de l'office. Le cœur de la nouvelle institution est constitué de quatre conseillers désignés par le duc et d'un président (à savoir les chanceliers successifs du duché). En 1411, il semble que le nombre de conseillers ait atteint la douzaine22 alors que les grands seigneurs appelés par le duc siègent à leurs côtés. À tout cela, s'ajoute un personnel subalterne qui va lui aussi grandissant : trois clercs, des huissiers et certainement toute une série de messagers ou de sergents. Cette chambre, qui s'installe dans une des anciennes tours de la muraille gallo-romaine de la ville23, attire à Bourges tous les officiers de l'administration financière du Berry, mais aussi du Poitou ou encore de l'Auvergne, puisque, à l'instar de son homologue royal, elle auditionne les comptes, vérifie l'action des commissaires ducaux et administre toutes les causes qui y sont relatives.
6Pour compléter cette présentation des différents lieux et milieux de pouvoir qui se mettent en place sous Jean de Berry, il conviendrait également de prendre en compte l'impact de l'Hôtel du duc dans l'émancipation politique et économique des villes, ainsi que d'ailleurs celui de l'Hôtel de la duchesse sur lequel les éléments sont plus rares24. Si Bourges et Poitiers sont les deux lieux de résidence privilégiés en province, la cour ducale demeure largement itinérante. Par exemple, en novembre 1373, alors que le duc est à Poitiers, la famille ducale est à Bourges ou à Mehun. En Janvier suivant, tout l'Hôtel s'installe en Auvergne, à Nonette, avant de revenir dès avril en Berry25. Ainsi, si l'itinéraire du duc est connu avec assurance, celui de son Hôtel est plus problématique. Cependant son déplacement ne devait pas passer inaperçu. Les comptes de Jean de Ruilly, étudiés par E Lehoux, montrent qu'en 1398 l'Hôtel ducal se compose de 280 personnes, sans les militaires. À la tête de cette cour se trouve le trésorier général secondé par le maître de la Chambre aux deniers et cinq maîtres d'hôtel. Puis viennent 19 chambellans, 29 valets de chambres et enfin les innombrables membres des six « métiers »traditionnels attachés au service de cette cour. Encore faut-il ajouter les « hors cadres », tels les secrétaires (il y en a neuf) »les « physiciens » (deux) et barbiers, ou autres enfants de salle, clercs d'offices, valets des chiens, bateliers, fous (Jean en a deux à sa charge), chevaucheurs,.... Un peu à part se trouvent aussi les membres de la chapelle ducale : soit une vingtaine de personnes supplémentaires26. L'arrivée et le séjour de toute cette troupe en août 1399 à Bourges (où le duc demeurera jusqu'en novembre) ne va pas sans poser des problèmes de logement et d'approvisionnement. Les villes deviennent par conséquent les seuls espaces capables d'accueillir la cour ducale.
Formation d'une société politique au service du duc
7Traiter en profondeur le problème de l'investissement des élites locales dans les structures du pouvoir ducal demanderait de mener une double analyse sur les sociétés urbaines et sur l'ensemble des officiers ducaux. La tâche est, au vu de la documentation, difficilement réalisable sans un travail de dépouillement fastidieux et certainement décevant. Toutefois, à partir des données fournies par R. Favreau et R. Lacour27, il est possible d'avoir une idée assez précise de l'intégration de la bourgeoisie urbaine aux cadres politiques du duché et de déterminer dans quelle mesure les représentants urbains s'aguerrissent à la pratique du pouvoir autour du prince.
8À Poitiers les premiers rapprochements entre les deux sphères sont discernables dès 1372. La reconquête de la capitale poitevine ne va pas sans poser ouvertement le problème de la collaboration des élites urbaines avec la puissance anglaise. Certains citadins se sont clairement compromis avec l'occupant et auraient pu craindre le dénigrement des nouvelles autorités. Il faut alors souligner l'adresse politique de Jean de Berry qui se montre clément et établit des conditions favorables à l'adhésion de toute la société politique poitevine. Non seulement il reconnaît et confirme les privilèges du corps de ville, mais dès décembre 1472 il accorde, fait exceptionnel, la noblesse héréditaire aux échevins et conseillers28. Plus encore, il garde et reconduit de nombreux officiers qui s'étaient largement investis dans l'administration anglaise29 et face aux bourgeois qui ne l'ont pas tous accueilli à bras ouverts l'attitude de Jean de Berry est tout aussi conciliante. Des lettres de rémission sont rapidement distribuées (décembre 1372) et le plus compromis d'entre tous, Jean Régnaud, figure même dès la fin août 1372 parmi les prêteurs du duc30. Par une amnistie générale et très large, Jean de Berry permet donc aux élites poitevines de se rallier à son autorité et leur ouvre la porte de toutes les charges administratives de son apanage.
9Sur ce point, l'analyse des comptes de la Chambre aux deniers fournit d'importants renseignements. L'investissement des bourgeois dans l'entourage du duc ne se limite pas à la seule fonction administrative. Les comptes révèlent tout d'abord l'existence d'un groupe de prêteurs qui, à Poitiers, est composé d'une dizaine de bourgeois31. L'Hôtel, quant à lui, est en grande majorité composé d'artistes ou d'artisans plus ou moins modestes dont une partie au moins doit se raccrocher au monde urbain. Si les offices à caractère militaire, ou encore ceux liés à la maîtrise des eaux et forêts, semblent eux réservés à la noblesse32, en revanche, dès que l'on s'intéresse aux offices intermédiaires et aux différents rouages de l'administration ducale, très vite, les patronymes qui apparaissent sont ceux de clans qui vont constituer les piliers de toute l'histoire politique et sociale des villes dans le siècle suivant. Il s'agit des familles Trousseau, Bastard, Fradet, Aligret, Sardé ou de Blet à Bourges ; et des Taveau, Claveurier, Macé, Morelon, Roigne ou Pape à Poitiers, pour ne citer que les plus importantes. Bien sûr, dans chacun des cas, il conviendrait de suivre pas à pas les carrières individuelles et familiales pour bien comprendre les modalités de l'accession de cette élite bourgeoise aux différents offices. Sans que l'on puisse mener l'analyse à fond par manque de documents, plusieurs types de carrières se dégagent.
10Tout d'abord, il y a ceux qui, au cours de cette période, ne détenant aucune responsabilité politique accèdent véritablement au pouvoir urbain en bénéficiant peut-être de l'influence ducale. Tel est le cas par exemple de Guillaume Pape à Poitiers. Issu d'une famille de marchands, il s'intègre dans la société politique poitevine en devenant en 1391 prévôt-fermier de Poitiers. Après avoir essayé de capter l'office de garde de la Monnaie, il apparaît pourvu de la lieutenance générale du maître des eaux et forêts. Sa carrière se termine vers 1414-1415 à la tête de la recette ordinaire du Poitou, qu'il gère tout en assurant à plusieurs reprises les plus hautes fonctions municipales33. De tels cas demeurent peu nombreux, mais le manque de documents interdit de connaître l'origine de bon nombre de familles qui émergent dans l'administration ducale.
11Plus nombreux semblent ceux qui occupaient déjà une place dans l'administration de la ville et qui vont se servir de l'appui ducal comme tremplin. Grâce aux relations qu'ils vont entretenir avec le duc, certains vont parfois se hisser parmi les plus hautes sphères politiques du royaume. Les Trousseau constituent ainsi une famille ancienne ayant eu la charge de voyer de la ville de Bourges. Un de leurs membres, Jacques, devient maître d'Hôtel du duc en 1398, avant de devenir évêque de Poitiers34. Les Taveau à Poitiers offrent l'exemple d'une véritable ascension familiale sur une ou deux générations. Le plus ancien connu, Guillaume, débuta sa carrière dans l'administration seigneuriale, avant d'apparaître comme avocat fiscal du duc en Poitou en 1385. Il reçut de sa femme la seigneurie de Morthemer, mais s'intéresse aussi à l'administration communale dont il prend la tête sept fois de 1387 à 140035. Son fils accède également à la mairie en 1415, avant de devenir chambellan du roi et du dauphin.
12Ce lien complexe entre pouvoir ducal et pouvoir municipal s'illustre avec force dans la genèse politique de la famille Claveurier dont l'évolution a été plus particulièrement étudiée par R. Favreau. Maurice, premier du nom, en est l'exemple extraordinaire, puisqu'il franchit en une génération les étapes que d'autres mettront près d'un demi-siècle à gravir. Dans les premières années du xve siècle, il fait partie de la bonne bourgeoisie poitevine, sans être pour autant lié aux différentes sphères de pouvoir. Il est licencié en lois et se marie avant 1407 avec Guillemette Gautier, fille d'un garde du sceau aux contrats à Poitiers pour le duc de Berry, parente d'un des membres du corps de ville et probablement d'un des anciens échevins. S'il ne retire pas d'avantages économiques de son mariage, celui-ci le place cependant aux confins de plusieurs sphères politiques. Après avoir fait ses premières armes vers 1403 comme sénéchal de la seigneurie de Beaumont pour le chapitre de Notre-Dame-la-Grande, on le retrouve en 1407 chargé par la ville d'affermer le principal octroi urbain (le dixième du vin). En parallèle il construit une carrière juridique et, remarqué par Jean de Berry, il est reçu, en 1411, conseiller du duc chargé de rendre la justice à Poitiers. Déjà, il est un des 75 pairs de la ville36. Il a tout juste 30 ans et est promis à un bel avenir politique qui ne tarde pas à lui sourire. Nommé en 1413 « juge des treize », c'est- à-dire président du tribunal communal, il devient l'année suivante maire de la ville sur recommandation de Jean de Berry. Malgré les convoitises de certains bourgeois qui tentent alors de casser son l'élection, son ascension fulgurante ne s'arrête pas. Il fréquente toutes les grandes réunions régionales (tels les États du Poitou, tenus en 1415 à Niort), il suit les principaux hommes d'influence de Jean de Berry (comme l'archevêque de Bourges, Guillaume de Boisratier) et finit par obtenir en 1415 la charge de lieutenant général du sénéchal, alors que les bourgeois l'ont reconduit une seconde fois à la tête de la mairie37. En l'espace de quelques années et grâce à des relations certainement bien étudiées Maurice Claveurier est devenu un personnage incontournable de la vie politique de Poitiers, voire du Poitou.
13En parallèle à ce mouvement d'ascension sociale, il convient de signaler aussi une territorialisation de certains officiers, mouvement qui assure et parachève un brassage des élites dirigeantes. Peut-être s'agit-il d'anciens bourgeois aspirés par des charges ducales et qui, à la fin de leur carrière, retournent vers des préoccupations locales. Le manque de documents ne permet pas toujours de le déterminer. Les exemples ne sont cependant pas rares38. C'est le cas de Pierre Quatrecoup, mentionné en 1370 comme secrétaire du duc, puis en 1373, comme bailli de Graçay avant de devenir vers 1380 prévôt de Bourges, puis de s'occuper des sceaux du Berry39. Les Bastard ont un parcours similaire. Les premiers représentants apparaissent membres de l'administration ducale, avec Macé, maître d'Hôtel en 1398, et Guillaume, conseiller de la chambre des comptes en 1411. Tous les deux (ou peut-être leurs fils) seront prud'hommes de Bourges respectivement en 1431 et 146540, mais Guillaume se destine à des préoccupations supérieures puisqu'il accède en 1429 à l'office de lieutenant général avant de devenir Maître des requêtes du roi41. De même, les Fradet, dont les premiers représentants s'inscrivent dans l'administration de la chambre des comptes (avec Nicolas et Guillaume) et fondent une des grandes familles municipales de Bourges dans la seconde moitié du xve siècle et jusqu'au début du xvie siècle42. Ainsi les institutions communales sont peuplées de représentants ducaux. Après 1387, tous les maires de Poitiers sortent de la haute administration ducale. En 1412, sur les 12 échevins, 9 sont ou ont été dans l'administration de la sénéchaussée, 3 conseillers sur 12 le sont toujours et, parmi les 75 autres membres du corps de ville, on trouve des gardes des sceaux, ou encore un greffier43.
14C'est donc un lent modèle d'intégration politique qui se met en place et touche les sociétés urbaines autour du prince. Le lien complexe qui s'établit résulte avant tout d'une certaine ouverture du duc vers la bourgeoisie qui fournit à terme l'écrasante majorité des officiers qui administrent les provinces44. Un certain brassage a lieu entre les membres de la société urbaine et les groupes qui s'attachent au service du duc ce qui transforme les capitales princières en viviers de cadres administratifs et politiques dont on peut suivre les brillantes carrières. Un véritable groupe social apparaît alors et forme le socle de dynasties de dirigeants urbains qui feront l'histoire de la ville pendant parfois plus de cent ans45. La mort du duc laisse en quelque sorte toute cette société dans l'expectative, même si les dernières années du règne n'ont pas été aussi brillantes. Les événements nationaux ne vont pas tarder à leur ouvrir de nouvelles perspectives.
Notes de bas de page
1 Il convient cependant de nuancer cette situation décrite par la Chronique des quatre premiers Valois, S. Luce (éd.), Paris, 1862, p. 237. Il semble en fait que dans la société poitevine avant 1372 deux clans s'affrontent. Un complot avait failli dès 1369 ouvrir les portes de la ville aux Français. En 1372, le maire sortant, Jean Régnaud, est à la tête du parti favorable aux Anglais. Avant l'entrée des Français en août, il aura tout juste le temps de fuir, ayant plusieurs fois semble-t-il échappé à la mort. Jean Froissart rapporte son appel désespéré au sénéchal anglais et la correspondance qu'il aurait échangée avec celui-ci (J. Froissart, Chroniques, t. VIII, p. 61 ; R. Favreau, La ville de Poitiers..., op. cit. p. 171-177).
2 Chronique des quatre premiers Valois, op. cit, p. 238.
3 Les barons poitevins se rallient dès le 10 août mais ne prêteront leur soumission que le 1er décembre. Saint-Maixent se rend le 1er septembre, La Rochelle le 8, Angoulême peu après, Saint-Jean d'Angély le 20, Saintes le 24 et enfin Fontenay-le-Comte le 10 octobre (F. Lehoux, Jehan de France, duc de Berri, Paris, 1966,t.I, p. 298-293). Les quelques nobles réfractaires seront écrasés par Du Guesclin devant Chizé en mars 1373 et les villes de Niort et La Roche-Sur-Yon se rendront au courant de l'année 1373. Seuls Gençay, Lusignan et Cognac résisteront plus longtemps à la vague française (R. Favreau, La ville de Poitiers..., op. cit., p. 177).
4 Grâce aux messes que Charles V demande (à Paris, Rouen et Chartres) tout le royaume est ainsi associé à cet événement (Chronique des quatre premiers Valois, op. cit. p. 237-238).
5 Jean Froissarr dans son récit de la reddition de Poitiers prête un rôle déterminant à Bertrand Du Guesclin et ne signale pas la présence de Jean de France dans la capitale poitevine. La Chronique des quatre premiers Valois (op. cit., p. 238) signale cependant que s'est à lui que les Poitevins remettent leurs clefs et plusieurs autres actes prouvent qu'il y est bien entré dès le 8 août (voir Froissart, Chroniques, op. cit., t. VIII, p. xxxiv, introduction de S. Luce.
6 F. Lehoux, Jehan de France, duc de Berri. Sa vie, son action politique (1340-1416), Paris, 1966-1968, 4 volumes, et plus récemment : F. Autrand, Jean de Berry : l'art et le pouvoir, Paris, Fayard, 2000, 552 p.
7 Ainsi, il n'a à peine pu prendre possession de ses terres poitevines en 1356 qu'il est très vite nommé lieutenant du roi en Languedoc et entouré, sur l'ordre de son père, par les meilleurs de ses conseillers et officiers. Ce jeune prince - il n'a que 15 ans - se trouve déjà alors au cœur d'une vie tourmentée. Il entre pour la première fois dans son apanage le 14 septembre 1356, soit 5 jours avant la bataille de Maupertuis (F. Lehoux Jehan de France..., op. cit., t.I, p. 55-67).
8 C'est du moins l'avis de F. Lehoux qui pose la question pour les années 1356-59 et qui répond par la négative. Il est vrai qu'à cette époque le prince est encore assez jeune. La question mériterait d'être étudiée dans sa globalité sur l'ensemble de la seconde moitié du xive siècle.
9 Ce dernier est à cette date érigé directement en fief (R. Favreau, La ville de Poitiers..., op. cit. p. 225, note 547).
10 Pour toutes les références mentionnées dans ce paragraphe, ibidem, p. 223-228.
11 F. Lehoux, Jehan de France..., op. cit., t. II, p. 225.
12 Il est fait mention cependant dès 1362 d'un maître des eaux et forêt pour le Berry. Il s'agit de Philippe de La Châtre, mais rien n'indique s'il est entouré de structures administratives dans la capitale berrichonne (R. Lacour, Le gouvernement de l'apanage de Jean, duc de Berry. 1360-1416, Paris, Picard, 1934, p. 247).
13 R. Lacour, Le gouvernement..., op. cit., p. 45. On connaît les Grand Jours de Berry en 1376, 1379 et 1381.
14 Il s'agit de Jean de Paris (Thaumas de La Thaumassière, Histoire de Berry, Bourges, 1864,t.I, p. 53). Sont aussi prévôts avant 1415 : Philippon de La Grange, Jean de Boisratier, et Guillaume Fradet (ibidem).
15 Seuls trois baillis sont mentionnés de 1360 à 1415 : Bethon de Marsenac vers 1368, Hugues Grant en 1411 et Pierre de Ganay qui à la mort de Jean de Berry devient bailli royal (d'après G. Dupont-Ferrier, Gallia regia, t.i, p. 374, qui reprend l'analyse de sources parisiennes).
16 À savoir : Guillaume Alabat (mentionné en 1366 et 1377), Pierre Quatrecoup (en 1379), Pierre Cochon (en 1384), Nicolas Sardé (en 1395 et 1392), Jean de Beaucaire (en 1390) et Guillaume Fradet (en 1407 et 1415), d'après G. Dupont-Ferrier (Gallia regia, t.I, p. 386) qui reprend les affirmations de La Thaumassière Histoire de Berry, op. cit., sans avoir de preuves supplémentaires.
17 La trace de cinq d'entre eux a été conservée : Guillaume de Saint-Germain, Guillaume de Chauvigny, Jean Ami, Jean Petit et Guillaume Quinaut (R. Lacour, Le gouvernement..., op. cit, Annexe, p. xxviii).
18 R. Lacour, ibidem., p. 242.
19 Pour avoir une vision globale de la question, il conviendrait encore d'explorer la pratique administrative de tous ces officiers. L'étude en est difficilement possible, faute de documents. Remarquons simplement que les Grands Jours tenus en 1405 à Poitiers vont fixer les articles qui réglementent l'action des sergents et des notaires de la sénéchaussée ou encore fixent les modalités des assises locales. Ces articles seront repris au xvie siècle en annexe du Coutumier du Poitou. De même, Guillaume Pape, le prévôt de Poitiers vers 1391, semble avoir fait oeuvre juridique, puisque dans le second quart du xve siècle on se réfère toujours aux mémoires qu'il a réalisés sur les principales dispositions de la prévôté (R. Favreau, « Jean de Berry et la ville de Poitiers », dans Fürstliche Residenzen um Spätmittealter Europa, Sigmaringen, 1991, p. 116-119).
20 F. Lehoux, Jehan de France..., op. cit., t.I, p. 436-437.
21 En mars 1375 le prince obtient de Charles V que les officiers royaux ne pénètrent plus sur ses terres (Édit du 3 mars 1375, Ordonnances des rois.... t. VI, p. 96, acte publié par P. Guerin Recueil des documents..., dans Arch. hist. Poitou, t. XIX, p. 367-372). F. Lehoux précise que cette demande ducale fait suite à des abus faits par plusieurs officiers royaux. Jean profite de la situation pour demander la confirmation des concessions apanagères, des droits et juridictions qui en découlent. Il obtient ainsi que les baillis et sénéchaux ne puissent siéger dans ses apanages (F. Lehoux, Jehan de France..., op. cit., t.i, p. 353). De même, sur le plan financier, l'autonomie s'affirme : après avoir reçu de son frère le tiers des aides et de l'imposition sur le sel, il obtient de Charles VI la totalité des finances extraordinaires levées en Berry (R. Lacour, Le gouvernement..., op. cit., p. 235-236).
22 Ibid., p. 263.
23 R. Monestier, « Note sur une ancienne maison de Bourges ; l'ancienne chambre des comptes du duc Jean de Berry », dans Mémoires de la Société des antiquaires du Centre, t. XL, 1921, p. 212-224.
24 F. Lehoux rapporte au fil de son récit l'existence de celui-ci. On sait par exemple que le maître de la Chambre aux deniers de Jean de Berry en 1399, Jean de Ruilly, était l'ancien contrôleur de la dépense de l'Hôtel de la duchesse (F. Lehoux, Jehan de France..., op. cit, t. II, p. 390, note 3)
25 Ibid., t.I, p. 308-330.
26 Ibid., t. II, p. 390-392. Pour une étude complète de l'Hôtel du duc, on consultera avec un grand intérêt l'étude du Comte de Toulgouet-Trènna, « Les comptes de l'Hôtel de Jean de Berry », dans Mém. de la Société des Antiquaires du Centre, t. XVII, 1889-1890, p. 65-175.
27 Ce dernier, en annexe de son étude sur le gouvernement de l'apanage, a dressé une liste des officiers du duc (R. Lacour, Le gouvernement..., op. cit, p. i à XL).
28 E. Audouin, Recueil des documents concernant la ville de Poitiers, t. II, Poitiers, édité dans Archives historiques du Poitou, t. XLVI, 1928, p. 251-253 (n° 450).
29 Tels : Simon Mourrault, Maître particulier de la monnaie, Jean Nerlandeau, lieutenant du sénéchal, Pierre Mignot, lieutenant particulier ou Étienne Gracien, procureur fiscal (R. Favreau, La ville de Poitiers..., op. cit., p. 193).
30 Ibidem, p. 193 et R. Favreau, « Jean de Berry et la ville de Poitiers », op. cit., p. 132-133.
31 En 1370 une dizaine de bourgeois berruyers prêtent 400 francs or au duc et quelques autres lui avancent 3010 1 pour qu'il puisse entreprendre un voyage en Bourgogne (Toulgouet-Tréanna, « Les comptes de l'Hôtel de Jean de Berry », dans Mém. de la Société des Antiquaires du Centre, t. XVII, 1889-1890, p. 136).
32 Ainsi la garde de la Grosse Tour de Bourges ou du château de Poitiers est attribuée à des fidèles soldats du duc qui ne semblent pas liés aux deux sociétés urbaines (par exemple Casin de Serenvilliers qui reçoit en 1406 la garde du château de Poitiers, R. Lacour, Le gouvernement..., op. cit, p. XXV).
33 R. Favreau, La ville de Poitiers..., op. cit, p. 227.
34 Thaumas de La Thaumassière, Histoire de Berry, op. cit, t. IV, p. 81.
35 R. Favreau, La ville de Poitiers..., op. cit, p. 312-313.
36 Pour tous les détails relatifs à l'ascension sociale de Maurice Claveurier mais aussi à l'histoire de toute sa famille, voir R. Favreau, Une famille bourgeoise de Poitiers : les Claveurier, xve-début xvie siècle, Paris, thèse de l'École nationale des Chartes, 1964, 272 p. et 109 p.
37 Ibidem, p. 8-12.
38 Il conviendrait cependant de mener une étude en profondeur de ces quelques cas. Ce travail demanderait des dépouillements gigantesques qu'il ne nous a pas été possible de réaliser.
39 F. Lehoux, Jehan de France..., op. cit, t.I p. 437, note 1.
40 Ibidem, t.I, p. 316 et 320.
41 Ibidem. t.I, p. 315 et 124.
42 Cette famille fournira plusieurs échevins et un lieutenant général (Jean Fradet, de 1506 à 1521, Bourges, Arch. comm. CC 277 à 291). Il serait possible aussi de citer le cas d'Étienne Pelourde qui est échanson du duc de Berry. L'éclosion politique de cette famille sera certes plus tardive. Les descendants d'Étienne seront au milieu du xve siècle capitaine de la Grosse Tour, avant d'atteindre l'échevinage et la mairie au xvie siècle (Toulougen-Trèanna, « Les comptes de l'Hôtel de Jean de Berry », dans Mém. de la Société des Antiquaires du Centre, t. XVII, 1889-1890, p. 133).
43 R. Favreau, « Jean de Berry et la ville de Poitiers », op. cit, p. 133-135.
44 Même si le recrutement n'est pas fermé au reste du territoire, R. Favreau a constaté que la très grande majorité des officiers en charge en Poitou sont originaires de Poitiers. Tous les lieutenants généraux de la région sont, à cette époque, issus de la société poitevine, comme d'ailleurs deux avocats sur trois et la plupart des lieutenants des eaux et forêts ou des receveurs ordinaires (R. Favreau, La ville de Poitiers..., op. cit, p. 226).
45 A titre d'exemple, la famille Claveurier ne disparaîtra de la scène politique poitevine qu'au xviie siècle.
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