3. Les régions et l’Europe polycentrique
p. 127-159
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Texte intégral
1A en croire les théoriciens de la gouvernance multi-niveaux, la construction européenne transformerait radicalement les relations entre les structures étatiques et les institutions régionales (Marks 1993, 1996). Les enjeux du développement régional se gèrent désormais dans un univers d’action polycentrique. La régulation d’un certain nombre de problèmes d’infrastructures, d’environnement ou de développement économique au sens large passent par l’intervention de plusieurs niveaux d’administration : collectivités locales, régions, administration centrale et Commission européenne. Cependant, si effectivement le gouvernement a « changé d’échelle », pour reprendre l’expression de Richard Balme (1996), si on perçoit aisément les interactions entre dynamiques de régionalisation et intégration, on peut s’interroger sur l’ampleur des changements en cours. Ce nouvel espace d’action communautaire permet-il aux régions d’investir de nouveaux réseaux politiques et de se positionner vers l’extérieur pour réaffecter localement des ressources politiques inédites ?
Les acteurs régionaux et l’institutionnalisation de l’Europe
2L’« Europe des régions » est une métaphore fréquemment employée pour signifier la montée en puissance d’un niveau régional de gouvernement. Si sa réalité empirique et théorique relève de l’utopie (Anderson 1991), cette métaphore révèle les interactions entre décentralisation et intégration européenne. L’investissement des acteurs sub-nationaux dans l’espace politique européen n’est pas un phénomène nouveau. Ce qui est véritablement nouveau, c’est la stratégie de la Commission européenne d’impliquer par le bas et par le haut les régions au processus d’intégration communautaire depuis le milieu des années quatre-vingt. Cette dynamique s’inscrit dans une logique de contournement de l’État. La création d’une polity européenne offre la possibilité aux régions de mobiliser une gamme beaucoup plus étendue de partenaires et de ressources.
La stratégie de « l’Europe des régions »
3A partir du milieu des années quatre-vingt, les relations entre la Commission européenne et les régions s’intensifient. Ingeborg Tömmel (1998) développe à ce sujet une analyse percutante. L’implication des régions dans les processus politiques européens ne résulterait pas, comme certains économistes l’avancent, de facteurs externes comme la globalisation, mais de la faiblesse de la Commission à formuler et à mettre en œuvre des politiques structurelles adaptées aux situations variées des pays de l’Union. La Commission n’ayant pas le pouvoir de changer les comportements des États membres, elle utilise des instruments indirects pour réaliser cet objectif. Les gouvernements locaux et régionaux deviennent des alliés « naturels » pour la Commission qui les a inclus à deux niveaux dans le dispositif politique européen : dans la fabrication des réseaux d’action publique communautaires (politique régionale) et au sein même de la décision européenne avec l’institutionnalisation d’une représentation permanente des pouvoirs locaux et régionaux auprès des instances communautaires. Dans cette « stratégie silencieuse » (Tömmel 1998, p. 53), la Commission dispose de plusieurs alliés : le parlement, les associations des régions et les États membres intéressés par un renforcement de la politique régionale. Dès 1984, le Parlement1 et la Commission prononcent une déclaration commune sur la réforme du FEDER dans laquelle ces trois institutions conviennent dans le respect des compétences des États membres d’une relation plus efficace entre la Commission et les autorités régionales, afin de permettre une meilleure prise en compte des intérêts régionaux lors de l’élaboration de programmes de développement régional. Trois moments marquent l’accélération de cette stratégie : l’Acte Unique européen en 1986, la réforme de la politique régionale en 1988 et le traité de Maastricht en 1992.
4La nature du jeu politique change radicalement avec la relance de la Communauté par Jacques Delors et l’élargissement de la Communauté aux pays de l’Europe du sud. L’Acte Unique européen de 1985 donne un second souffle à l’élaboration d’une politique régionale communautaire en indiquant dans son article 130A que la Communauté « vise à réduire l’écart entre les diverses régions et le retard des régions les moins favorisées ». La recherche d’une politique régionale spécifique se fait sous l’impulsion de la Commission toujours portée à étendre le domaine de ses interventions. Avec le soutien de certains États membres2 et des parlementaires européens, dont beaucoup ont une assise locale, la Commission transforme la politique régionale européenne. D’un simple complément des politiques nationales d’aménagement du territoire3, elle se transforme en une politique autonome destinée à aménager spécifiquement l’espace européen. Toujours désireuse d’élargir son domaine de compétences, la Commission trouve dans la prise en compte de la dimension régionale le moyen de s’engager dans une politique de type « horizontal », aux limites nécessairement mal définies, donnant la possibilité de nouer des relations directes par-dessus les États avec les collectivités régionales décentralisées.
5La réforme des fonds structurels en 1988 marque un tournant dans l’implication des acteurs sub-nationaux dans un espace européen des politiques publiques. La politique régionale est désormais élaborée et mise en œuvre à l’aune du principe de partenariat intégrant la Commission, les administration nationales et les administrations régionales à toutes les étapes de cette politique. L’idéologie partenariale a pour but de modeler les interactions entre acteurs publics et privés au niveau régional, en établissant, plus ou moins indépendamment des pouvoirs politiques existants, de nouvelles relations non hiérarchiques entre ces acteurs (Smith 1995).
6Enfin, dernier élément de cette stratégie communautaire, l’institutionnalisation d’une représentation des pouvoirs locaux et régionaux à l’échelon communautaire avec la création par le traité de Maastricht, en 1992, du Comité des régions. Après de longues négociations avec le Conseil des communes d’Europe et des régions d’Europe (CCRE) et l’Assemblée des régions d’Europe (ARE)4, la Commission avait mis sur pied, en juin 1988, un Conseil consultatif des collectivités régionales (Chauvet 1989). A Maastricht, les gouvernements des États membres conviennent de créer un Comité des régions en élargissant le rôle du Conseil consultatif des autorités régionales et locales créé par la Commission. Ce Comité est doté de pouvoirs consultatifs en matière de politique régionale5. Composé de 189 membres6, il connaît de profondes divisions. Le conflit le plus aigu oppose intérêts locaux et régionaux. En effet, la représentation est surtout régionale dans les États fédéraux ou régionalisés que sont l’Autriche, la Belgique, l’Allemagne, la France, l’Espagne et l’Italie7 alors qu’elle est surtout locale dans les pays nationaux comme le Danemark, la Finlande, l’Irlande, la Grèce, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suède et le Royaume-Uni. Les représentants régionaux tendent à s’intéresser davantage aux grandes questions économiques et politiques dont ils délibèrent dans leurs instances nationales, alors que les représentants locaux s’occupent de préférence de la fourniture de services et de problèmes urbains8. Cependant, un modus vivendi s’est établi entre représentants des pouvoirs locaux et régionaux c’est-à-dire entre les membres de l’ARE et du CCRE9. Depuis 1994, le nombre d’avis donnés par le Comité des Régions ne cesse d’augmenter. Il intensifie ses relations avec la Commission et le Parlement européen ainsi qu’avec toutes les associations qui représentent les pouvoirs locaux et régionaux dans l’Union européenne10. Ainsi, à travers la politique régionale et le Comité des régions, la Commission joue un rôle politique important en élargissant l’éventail de ses interlocuteurs et en décentralisant une partie des réseaux d’action communautaires (Smith et Smyrl 1995).
7La diversification et l’intensification de l’activité transnationale des régions européennes est un autre effet important de l’intégration communautaire (Hooghe 1995 ; Mazey et Richardson 1993). La globalisation et l’interdépendance élargissent le champ d’activité des autorités sub-étatiques. De même que les gouvernements centraux, les régions tendent à ajuster leurs comportements en fonction des nouveaux défis nationaux et internationaux, dans la mesure où nombre de secteurs d’action publique, l’environnement, les transports, l’aménagement du territoire ou la culture, apparaissent de plus en plus conditionnés par l’espace européen. Le développement de l’activité transnationale des régions européennes utilise plusieurs canaux : ouverture de bureaux de liaison et d’information à Bruxelles, création d’associations et de réseaux de coopération inter-régionale. Pour suivre de près les négociations et les décisions communautaires les concernant directement, un nombre croissant de régions, dont plusieurs régions françaises et la plupart des communautés autonomes espagnoles ont ouvert des bureaux de liaison et d’information à Bruxelles. Les premières antennes sont créées en 1984 et 1985 par la ville de Birmingham et les Lands de Hambourg et de Sarre. En 1993, elles sont 54, et plus de 140 fin 1995 (Jeffery 1997). En France et en Espagne, comme en Allemagne, la plupart des bureaux de liaison sont régionaux. Cependant, on peut noter une « corrélation entre le degré d’autonomie des régions et l’importance de leur représentation » (Costa 2002, p. 150). Plus les régions peuvent mobiliser de ressources institutionnelles et financières, plus elles disposent de bureaux de représentation étoffés en moyens logistiques et en ressources humaines. Ainsi, en moyenne, les bureaux de représentation des communautés autonomes comptent onze employés alors que les bureaux des régions françaises n’emploient en moyenne pas plus de trois personnes.
8Quant à la coopération inter-régionale, les organisations se sont multipliées depuis la fin des années quatre-vingts. On peut distinguer deux types d’associations régionales : celles à vocation représentative et celles qui ont une vocation fonctionnelle. Les associations représentatives ont pour objet de représenter les autorités sub-nationales auprès des instances communautaires et de faire progresser les opinions de leurs membres sur l’articulation entre autorités locales et régionales, État membre et Union européenne. On trouve deux associations principales qui ont joué un rôle majeur dans la création du Comité des régions : le CCRE et l’ARE. Les associations fonctionnelles de régions s’organisent, quant à elles, autour d’intérêts spécifiques liés à des caractéristiques économiques ou géographiques. Là encore, on peut distinguer deux grands types d’associations fonctionnelles celles à vocation transfrontalières et celles à vocation transnationales (Sodupe 1998). Parmi les associations transfrontalières on peut citer l’association des régions frontalières européennes (ARFE), créée en 1972, la communauté de travail des Alpes, créée en 1972, la Communauté de travail des Pyrénées, créée en 1983. Les associations fonctionnelles transnationales sont plus nombreuses. La plus ancienne et l’une des plus influentes est la CRPM11, qui regroupe plus de cent régions membres. En 1989, l’une des commissions de la CRPM12, l’Arc Atlantique, composé de 32 régions membres, s’autonomise sous l’impulsion d’Olivier Guichard, président de la région Pays de Loire pour intensifier la coopération et rompre l’isolement des régions atlantiques. L’Arc Atlantique a obtenu, en 1994, un projet pilote financé par la Commission européenne, Atlantis (4 millions d’euros), pour la modernisation de l’industrie du tourisme et une coopération accrue en matière technologique, maritime, de transports et d’environnement. Désormais, un lobby atlantique fonctionne officiellement au sein du Comité des régions réunissant les 44 élus des cinq pays membres. D’autres associations régionales existent. On peut citer pêle-mêle l’association les « Quatre moteurs de l’Europe », qui regroupe quatre régions très compétitives de l’Union européenne (Rhône-Alpes, Bade-Wurtemberg, Catalogne, Lombardie), les Régions européennes d’industrie traditionnelle (RETI), la conférence des régions du sud de l’Europe Atlantique, la conférence européenne des régions viticoles (CERV), et, enfin, la dernière venue, la conférence des régions européennes de la diagonale continentale (CREDC), dont l’assemblée constitutive s’est tenue à Toulouse en décembre 199713 (Balard 1998).
9Ces associations sont les lieux privilégiés d’échanges en matières de politiques publiques et de mise en commun d’expériences sur des domaines variés. Ces réseaux sont largement financés par la Commission, par l’intermédiaire de programmes d’initiative communautaire comme INTERREG ou de projets pilote comme RECITE14, qui ont pour objet de renforcer la cohésion économique et sociale intra-communautaire. Tous ces programmes visent à accroître les échanges, la coopération et l’entraide entre les autorités locales et régionales à travers l’Union européenne. La création d’« eurofrancs15 » par plusieurs régions transfrontalières pour renforcer leurs liens économiques et culturels obéit également à cette logique. En juin 1991, trois régions belges (Bruxelles, Wallonie et Flandres), le Kent et le Nord-Pas-de-Calais ont constitué la première euromonnaie avec la création d’une conférence permanente16. En octobre 1991, Midi-Pyrénées, le Languedoc-Roussillon et la Catalogne, ont créé à leur tour une euro-région. Sur la frontière luso-espagnole deux communautés de travail ont vu le jour, d’une part entre l’Alentejo et l’Estrémadure, et entre la Galice et la région Nord du Portugal.
La politique régionale communautaire
10Les promoteurs de la construction européenne ont très tôt essayé d’associer les régions à une réduction des disparités économico-territoriales. Comme le souligne Richard Balme (1995, p. 289), « la politique régionale ne s’est que très progressivement constituée en domaine d’intervention légitime des institutions européennes ». L’hostilité de certains États membres à l’établissement de relations directes entre les régions et les instances communautaires expliquent ce parcours chaotique. De 1956 à 1975, date de la création du Fonds Européen de Développement Régional (FEDER), la maturation de la politique régionale européenne obéit au chevauchement de logiques variées : la constitution d’une expertise régionale à l’échelon communautaire ; la mobilisation des acteurs sub-nationaux ; enfin, des choix politiques dus à l’élargissement et à la nécessité de lutter contre les disparités intra-communautaires (Doutriaux 1991).
11Après l’échec de la Communauté européenne de Défense, les acteurs politiques qui relancent la construction européenne placent la réduction des disparités économiques et sociales au cœur de leurs objectifs. Le rapport Spaak de 1956, qui résume les travaux préparatoires du Traité de Rome, plaide pour la mise en valeur des régions sous-développées et l’élaboration de plans régionaux de développement. Le Traité de Rome (1957) élude une grande partie de la question, mais le terme de région est expressément employé dans le préambule, un des objectifs étant de permettre aux États membres de « renforcer l’unité de leurs économies et d’en assurer le développement harmonieux, en réduisant l’écart entre les différentes régions et le retard des moins favorisées ». En décembre 1961, sous l’impulsion de son président Walter Hallstein et de son vice-président Robert Marjolin, la Commission européenne invite trois cents délégués des régions européennes à une « Conférence sur les économies régionales ». A la suite de cette conférence les gouvernements des six acceptent la mise en place de trois groupes de travail17 pour réfléchir à l’élaboration d’une politique régionale européenne (Pierret 1984). Ces groupes, qui se réunissent de 1962 à 1964, produisent des rapports constituant le socle d’un mémorandum sur la politique régionale que la Commission soumet le 11 mai 1965 au Conseil européen. Mais la gestation d’une politique régionale s’avère difficile. La politique de la chaise vide adoptée par la France ainsi que le compromis de Luxembourg de 1966 permettent à plusieurs États membres de bloquer le projet. La direction générale de la Politique régionale (DG XVI) est créée en 1968, des structures spécialisées voient le jour au Parlement et au Conseil économique et social. C’est finalement les négociations autour du processus d’élargissement qui permettent l’avènement d’une politique régionale, avec la création du FEDER. En 1972, en prévision du Sommet de Paris, la Grande-Bretagne et l’Irlande, qui souhaitent rejoindre la Communauté, n’acceptent le coût engendré par la politique agricole commune qu’à la condition que l’Europe des neuf mette en œuvre une politique régionale pour réduire les disparités économiques territoriales.
12A travers la politique régionale communautaire, la Commission européenne est désormais un partenaire décisif pour les conseils régionaux et les communautés autonomes. La politique régionale communautaire représente aujourd’hui le tiers du budget de l’Union Européenne. Elle est fondée sur la solidarité financière, une partie des contributions États membres est transférée vers les régions. On peut distinguer trois grandes étapes dans cette politique : une période de fondation (1988-1993) ; une période d’expansion (1994-1999) ; et une période de stabilisation/réorientation (1999-2006).
13De 1988 à 1999, les objectifs prioritaires pour la concentration des fonds sont stables : promouvoir le développement et l’ajustement structurel des zones en retard de développement (objectif 1) ; reconvertir les régions gravement affectées par le déclin industriel (objectif 2) ; combattre le chômage de longue durée et faciliter l’insertion professionnelle des jeunes et des personnes exposées à l’exclusion du marché du travail (objectif 3) ; faciliter l’adaptation des travailleurs et travailleuses face aux mutations industrielles (objectif 4) ; promouvoir le développement rural en accélérant l’adaptation des structures agricoles et de la pêche dans le cadre de la réforme de la PAC et la politique commune de la pêche (objectif 5a) ; promouvoir le développement rural en facilitant le développement et l’ajustement structurel des zones rurales (objectif 5b) ; répondre au problème particulier des régions arctiques (objectif 6). Seuls les objectifs 1, 2, et 5b ont un caractère spécifiquement régional. Ils s’appliquent à des zonages limités à certaines régions ou parties de régions éligibles. En 1994, les montants alloués aux fonds structurels et la part de la population européenne couverte par les objectifs régionaux connaissent une augmentation sensible. La politique régionale communautaire représente désormais le tiers du budget européen. Un nouveau mécanisme de redistribution des ressources est instauré : le « Fonds de cohésion ». Restreint aux quatre pays où prédominent un zonage en objectif 1 (Espagne, Grèce, Irlande, Portugal), il permet la ventilation de crédits importants octroyés directement par la Commission aux gouvernements de ces États membres. L’enveloppe globale augmente de 44 %, et la part de la population européenne couverte par les objectifs régionaux passe de 43 % à 52 % (Smith 1995). Pour la période 1994-1999, 60 % de la population espagnole est en zone d’objectif 1, et 4,4 % en zone d’objectif 2 et 5b. 16,7 % de la population totale française est en zone éligible (objectif 1, 2 et 5b). Pour la période 1994-1999, la France a reçu de la Commission européenne 15,3 milliards d’euros de fonds structurels dont 2,2 milliard pour l’objectif 1 (DOM TOM, Corse et Hainaut), 3,9 milliards pour l’objectif 2, et 2,3 milliards pour l’objectif 5b. L’Espagne a reçu plus du double, 35,4 milliards d’euros dont 27 milliards pour l’objectif 1, 2,5 milliards pour l’objectif 2 et 0,6 milliards d’euros pour l’objectif 5b. En France, les fonds structurels ont incontestablement permis d’atténuer les effets négatifs du désengagement de l’État en matière d’aménagement du territoire. En Espagne, ils constituent une manne budgétaire importante pour les communautés autonomes, qui sont engagées dans des politiques lourdes d’infrastructures routières et ferroviaires.
14Mais le sommet de Berlin, en mars 1999, a entériné une nouvelle réforme de la politique des fonds structurels18. Le montant global consacré à la politique des fonds structurels reste stable, soit environ un tiers du budget de l’Union européenne. En revanche, les modalités de la concentration des aides sont considérablement modifiées. De six, on passe à trois objectifs prioritaires : assistance pour les régions en retard de développement soit moins de 75 % du PIB moyen communautaire (objectif 1) ; reconversion économique et sociale des zones industrielles, rurales urbaines ou dépendantes de la pêche (objectif 2) ; soutien à l’adaptation et à la modernisation des politiques et systèmes d’éducation, de formation et d’emploi dans toute l’Union européenne (objectif 3). Seuls les objectifs 1 et 2 s’appliquent à des zonages limités. Par ailleurs, seul 40 % au lieu de 60 % de la population européenne bénéficie de la politique régionale communautaire, et 7,1 milliards d’euros sont réservés pour les nouveaux adhérents. Des fonds sont également prévus au titre de transition pour des territoires qui, de 1988 à 1999, ont bénéficié des objectifs 2 et 5b et qui n’ont pas été retenus pour la programmation 2000-2006 (11 milliards). Pour la période 2000-06, la France voit sa part de fonds structurels se réduire à 14,3 milliards d’euros, dont 3,8 milliards pour l’objectif 1 et 6 milliards pour l’objectif 2. A l’inverse, la part de l’Espagne atteint 42,8 milliards, dont 38 milliards au titre de l’objectif 1 et 2,6 milliards pour l’objectif 219. Cependant, le changement de cap est fondamental. Des régions qui, pendant une décennie, ont bénéficié des fonds communautaires, vont voir progressivement cette manne se tarir. L’élargissement à l’est de l’Union européenne, prévu à partir de 2004, ne fera que renforcer cette tendance. A moyen terme, il est vraisemblable que de nombreuses régions européennes d’Europe de l’ouest ne bénéficieront plus ou beaucoup moins de la politique régionale communautaire.
15La mise en œuvre de la politique régionale communautaire se réalise principalement20 à travers les programmes opérationnels ou Documents uniques de programmation21 (DOCUP). Les programmes opérationnels et les DOCUP22 sont les bases sur lesquelles la Commission européenne procède au cofinancement des régions, que ce soit avant ou après la réforme de 1999. Ces programmations drainent les masses d’argent les plus importantes. Ils fixent pour chaque région et pour chaque objectif les axes prioritaires retenus, le plan de financement, les mesures sélectionnées. Ils sont mis en œuvre et évalué par des comités de suivi locaux. Dans le cadre de la politique des fonds structurels, deux moments sont tout à fait significatifs pour mesurer l’intensité des mobilisations des coalitions régionales : l’établissement du zonage qui détermine les montants alloués à chaque région et la programmation et la gestion des fonds. Que ce soit avant ou après 1999, les régions d’objectif 1 obtiennent des crédits des fonds structurels nettement supérieurs aux régions d’objectifs 2 et 5b. D’autant que les taux de cofinancement communautaires peuvent atteindre 80 % du coût total dans les régions d’objectif 1, alors qu’il atteint au maximum 50 % sur les autres objectifs, avant et après la réforme de 199923. Cet élément financier n’est pas négligeable pour comprendre la variation des mobilisations régionales autour des fonds structurels.
Les régions et la perception des enjeux européens
16L’investissement des acteurs régionaux dans l’espace européen dépend en premier lieu de la précocité de la sensibilisation et des anticipations consécutives des acteurs régionaux aux enjeux européens. La construction préalable d’« intérêts régionaux », et le cadre temporel des relations entre les acteurs régionaux et la Commission, influent fortement sur la réactivité du territoire régional autour de différents enjeux européens, comme le zonage des fonds communautaires ou les stratégies de coopération trans-régionale. On identifie assez nettement des régions mobilisées et des régions davantage en retrait dans leur perception stratégique d’une Europe polycentrique.
Les régions mobilisées
17Le zonage des territoires éligibles aux fonds communautaires constitue un enjeu déterminant pour les régions, dans la mesure où il détermine plus ou moins directement les enveloppes régionales des fonds structurels. En effet, que ce soit en France ou en Espagne, ce sont les administrations nationales qui négocient avec la Commission le quota national des fonds structurels, la répartition entre les territoires se faisant à l’échelle nationale. Ces zones sont définies par rapport à des critères « objectifs » (évolution démographique, taux de chômage, part de la population active dans tel ou tel secteur d’activités etc.), mais le mécanisme a laissé la place à d’importants assouplissements dès sa mise en œuvre (Smith 1996). Progressivement, une prise de conscience des ressources apportées par la politique régionale amène un plus large éventail d’acteurs régionaux à s’intéresser au zonage.
18En 1988-89, peu de régions se mobilisent à l’échelon national ou communautaire pour tenter d’influer sur leur zonage. La précocité des mobilisations régionales dépend de la sensibilité et des anticipations consécutives des acteurs régionaux face aux enjeux européens. Le cadre temporel des relations entre les acteurs régionaux et la Commission influe fortement sur la réactivité du territoire régional à la réforme des fonds structurels. Lors de la première définition des zonages, en 1988, les administrations centrales en France et en Espagne ont pu généralement déterminer les zonages qui correspondaient à leurs propres priorités. Parmi nos quatre régions, seuls le conseil régional de Bretagne et le gouvernement régional de Galice s’intéressent à cette opération.
19La Bretagne bénéficie de la socialisation précoce de ses élites aux enjeux européens ainsi que de l’ancienneté des programmes européens sur son territoire. Les élites régionales, déjà socialisées aux enjeux européens par les actions du CELIB, intègrent les politiques européennes dans leurs logiques d’action. Le CELIB parie sur l’exploitation des possibilités prévues par le traité de Rome pour corriger les disparités régionales, et l’entrée de la Grande-Bretagne et de l’Irlande dans le Marché commun pour créer de nouveaux débouchés à la production agricole bretonne24. Le CELIB multiplie dans les années soixante les initiatives symboliques : demande de subventions pour la Bretagne à la Banque européenne d’investissements, analogues à celles consenties au Mezzogiorno ; organisation, en juin 1966, d’un tour de Bretagne pour un groupe de parlementaires et de fonctionnaires européens ; création à Londres, en juin 1965, d’un « Centre breton » pour marquer l’attachement de la Bretagne à l’entrée de la Grande-Bretagne et de l’Irlande dans le Marché commun ; jumelage Bretagne-Galice destiné à intensifier les liens culturels et économiques entre les terres atlantiques. Le CELIB concrétise véritablement ses ambitions européennes, le 21 avril 1973, à St-Malo, en organisant une réunion de 23 régions périphériques maritimes d’Europe de l’Ouest. Cette réunion donne naissance au premier lobby inter-régional à l’échelle européenne, la Conférence des régions périphériques maritimes (CRPM), dont le siège est toujours à Rennes. Par ailleurs, sans parler de la politique agricole commune, la Bretagne bénéficie très tôt des programmes européens, en particulier pour compenser le retrait financier de l’État dans la réalisation du plan routier breton. Entre 1975 et 1987, le FEDER attribue 308 millions d’euros en Bretagne, soit 14 % des financements de la France durant cette période :
« En Bretagne il y a une habitude à travailler avec les services de la commission. Avant 1989, c’était l’opération OID en Bretagne, le FEDER a beaucoup financé le réseau routier breton. De plus, depuis la réforme des fonds de 1989 et la consécration de la région comme partenaire, les liens se sont formalisés du fait que l’on est co-financeur25 ».
20De 1987 à 1992, la Bretagne centrale bénéficie d’un autre programme européen, une Opération intégrée du développement (OID), à travers laquelle les collectivités territoriales bretonnes nouent des contacts informels avec les services de la Commission. L’ouverture d’un bureau de liaison à Bruxelles, en 1988, est la première traduction de l’intégration par les acteurs régionaux des enjeux européens. Ainsi, l’ensemble des collectivités territoriales bretonne, en particulier le conseil régional, suivent de près les mutations de la politique régionale communautaire et essayent de tirer le meilleur profit de cette nouvelle opportunité. Les relations stabilisées avec les services déconcentrés et centraux de l’État facilitent cette démarche26. Ainsi, en 1988-89 et 1993-1994, la coalition bretonne essaye d’étendre au maximum la population éligible et l’enveloppe allouée à la Bretagne. La réduction des zones éligibles, en 1999, ne diminue pas la mobilisation du conseil régional. Dès 1997-1998, les acteurs régionaux intègrent dans leur stratégie les nouveaux objectifs de la Commission, c’est-à-dire la concentration renforcée des aides et la limitation des objectifs. En 1999, la Commission fixe à la France un quota de population éligible à 18 760 000 habitants, soit une réduction de 24 % par rapport à la période 1994-1999. Au mois de juillet 1999, la Conférence nationale d’aménagement du territoire, élabore un scénario de répartition qui diminue de 50 % l’effectif de la population bretonne éligible aux aides européennes. La réaction est vive au conseil régional, où l’on se mobilise pour faire modifier ces scénarios de zonage. Le conseil régional médiatise un courrier de Josselin de Rohan, président du conseil régional, au Premier ministre dans lequel il juge « inacceptable de demander à la Bretagne un effort plus important que celui supporté par des régions dont les capacités économiques sont supérieures aux siennes et dont la situation géographique est certainement moins pénalisante27 ». Après de multiples pressions d’élus de droite et de gauche, de diverses instances économiques, la population éligible bretonne n’est plus en recul que de 29,9 %. L’enveloppe financière diminue, mais assez légèrement : 2,2 milliards sur sept ans contre 2,5 milliards sur les six années précédentes. Par ailleurs, il faut y ajouter un dispositif transitoire de 321 millions de francs pour faciliter la « sortie » des zones qui perdent leur éligibilité. La mobilisation de la coalition bretonne n’a pas été vaine.
21En Galice, on constate une mobilisation précoce tout à fait similaire. L’entrée de l’Espagne dans la Communauté européenne donne une possibilité nouvelle pour cette communauté de sortir de son sous-développement :
« La Galice est l’une des communautés autonomes espagnoles les plus en retard économiquement. Dès l’entrée de l’Espagne en Europe, nous avons été particulièrement intéressés par les aides au développement que l’Europe pouvait nous apporter28 ».
22A partir du milieu des années quatre-vingt, les politiques publiques espagnoles doivent s’adapter aux normes communautaires (Goma et Subirats 1998). Cette période est marquée par une socialisation rapide des élites politico-administratives aux méthodes communautaires. Ce processus est facilité par l’envoi de nombreux fonctionnaires nationaux et régionaux pour des contrats temporaires à Bruxelles. Le gouvernement galicien profite de ces opportunités pour intéresser son administration aux enjeux européens. Dès 1987, le gouvernement régional prend la décision de se doter d’un bureau de liaison à Bruxelles. De 1988 à 1999, le gouvernement galicien veille à ce que la Galice soit reconnue entièrement comme zone d’objectif 1 :
« On a un besoin impérieux du FEDER. Pendant des décennies Madrid nous a ignorés, nous laissant dans le sous-développement. On doit rattraper un retard quasi séculaire29 ».
23Rappelons que le zonage objectif 1 représente un enjeu budgétaire colossal, dans la mesure où les taux de cofinancement communautaires peuvent atteindre 80 % du coût total, alors qu’il atteint au maximum 50 % dans les zones d’objectif 2. Ce cofinancement communautaire est d’autant plus déterminant en Galice que le gouvernement régional est engagé depuis une décennie dans des programmes autoroutiers structurants pour relier efficacement, par le nord et le sud, la Galice à au centre de l’Espagne et au Portugal. Cela lui permet de bénéficier des aides maximales, et donc de financer de grands projets de développement régional.
24Cette perception précoce des enjeux européens en Bretagne et en Galice est également perceptible en ce qui concerne les stratégies de coopération interrégionale mises en œuvre. Dans ces régions, les élites régionales ont intégré très précocement la « nécessité » de développer des partenariats transrégionaux30. Depuis quelques années, le conseil régional de Bretagne et le gouvernement galicien s’investissent plus particulièrement dans des démarches de coopération avec des régions voisines qui se traduisent par l’émergence de nouveaux espaces de solidarité et d’outils d’action publique.
25Depuis la fin des années quatre-vingt, la Bretagne et la Galice s’investissent au sein de l’Arc Atlantique (Brouard 1996). L’Arc Atlantique a donné lieu à plusieurs programmes de coopération financés par l’Union européenne comme ARCANTEL ou ATLANTIS31. Ces régions ont également multiplié les contacts bilatéraux : le conseil régional de Bretagne avec les Pays de Loire, les Asturies (1988), la Galice (1992) et le Land de Saxe (1995) ; la Xunta avec la région Nord du Portugal (octobre 1991), les Pays de Loire (mars 1991), la Bretagne, l’Essex, Poitou-Charentes et le Piémont (décembre 1993). Ces coopérations bilatérales servent à approfondir des relations déjà existantes dans d’autres organisations (CRPM, Arc Atlantique, ARFE, ARE). Mais depuis quelques années, le conseil régional de Bretagne et le gouvernement régional de Galice ont surtout entrepris de nouer des liens particuliers avec une région voisine, en l’occurrence les Pays de Loire et la région Nord du Portugal. La coopération qui se structure va au-delà de la politique d’affichage. Ces stratégies se traduisent par des investissements et des démarches communes auprès des administrations nationale et européenne.
26Sous l’égide de Josselin de Rohan32 et de François Fillon, tous deux présidents UMP des conseils régionaux de Bretagne et des Pays de Loire, la coopération bilatérale s’est considérablement renforcée entre ces deux régions, avec l’objectif affiché de faire face au dynamisme de la zone centrale de l’Union européenne. Cette relation bilatérale approfondie concrétise une participation conjointe à l’Arc atlantique et aux programmes qui en ont résulté. Ainsi, les conseils régionaux de Bretagne et des Pays de Loire se sont alliés pour obtenir une modification des statuts de l’agence de développement Ouest-atlantique, gérée depuis le début des années soixante-dix par la DATAR33, et qui est chargée de faire venir des emplois dans l’ouest. Josselin de Rohan et François Fillon, après avoir fait le constat que les crédits d’Ouest atlantique se diluaient dans un ensemble hexagonal où l’ouest n’apparaissait plus comme une priorité de l’aménagement du territoire, ont menacé de créer une nouvelle structure si la place des régions n’était pas réévalué34. Après des négociations avec le délégué à l’aménagement du territoire, Jean-Louis Guigou, les conseils régionaux de Bretagne et des Pays de Loire ont obtenu une modification des statuts permettant une participation inter-régionale égale face à celle de l’État, un renforcement des effectifs de l’agence et une concentration des objectifs de cette structure sur la Bretagne, les Pays de Loire et le Poitou-Charentes. Les mobilisations les plus ambitieuses concernent la construction d’un aéroport de dimension intercontinentale entre Rennes et Nantes et les pressions conjointes pour développer le TGV Atlantique. Après avoir choisi le site, Notre Dame des Landes, les élus bretons et ligériens se sont réunis à Nantes, fin 1998, pour demander l’inscription du projet d’aéroport intercontinental dans le contrat de Plan 2000-200635. Suite aux négociations trilatérales entre l’État, les conseils régionaux de Bretagne et des Pays de Loire, financent conjointement durant la période 2000-2006 les études préalables pour la construction de cette infrastructure. En 2003, cette concertation renforcée s’est prolongée sur le dossier du TGV Atlantique, les présidents des conseils régionaux et généraux ainsi que les maires des principales villes demandant un développement accéléré des lignes atlantiques, du fait du déplacement à l’est du centre de gravité de l’Union européenne.
27La communauté de travail Galice-Nord du Portugal, créée en 199136, développe des formes d’action similaires, mais sur un espace transfrontalier. Elle concrétise plusieurs rencontres entre le gouvernement galicien et l’administration portugaise depuis 1986. Le financement de cette coopération institutionnalisée est assuré par les programmes communautaires : INTERREG I (1991-1993) et INTERREG II (1994-1999)37. Les résultats les plus tangibles sont en matière d’infrastructures avec le cofinancement du réseau autoroutier et ferroviaire transfrontalier, d’environnement (gestion en commun d’un parc naturel) et de sciences et techniques. Cette politique s’inscrit dans la longue durée, et répond à la perception que l’espace Vigo-Porto sera un espace clé pour le développement de la Galice :
« La communauté de travail est une activité modeste loin des feux médiatiques mais d’une influence croissante dans la consolidation de notre espace de vie commune38 ».
28Ainsi, le gouvernement galicien diffuse l’image d’une « eurorégion » en gestation de plus de 6 millions d’habitants.
Les régions en apprentissage
29D’autres régions ne perçoivent pas immédiatement l’intérêt des politiques européennes. En Rioja comme en région Centre, l’intégration des enjeux européens se fait par l’apprentissage progressif de ces nouvelles formes d’action. Cependant, elle est d’inégale portée.
30En Rioja, la mobilisation autour des enjeux européens n’est perceptible qu’à partir de la seconde moitié du milieu des années quatre-vingt-dix. L’intéressement du gouvernement régional aux enjeux européens se fait largement sous la contrainte, contrainte économique essentiellement. Ainsi, en 1988, La Rioja fait partie des institutions fondatrices de la conférence européenne des régions viticoles, qui est « un cadre de concertation entre les représentants des régions viticoles d’Europe, les institutions politiques aussi bien que les milieux professionnels des zones d’appellation et de production, et un cadre de dialogue avec les autorités compétentes de la Communauté européenne » (Burgorgue-Larsen 1995, p. 191). Le gouvernement participe à cette instance à l’initiative des milieux professionnels, qui entendent se positionner dans la gestation d’un espace européen du Vin. La politique des fonds structurels et le zonage qu’elle implique constituent la seconde contrainte suscitant la mobilisation du gouvernement régional. En effet, lors de la première phase des fonds structurels (1989-1993), l’ensemble du territoire espagnol était couvert par le dispositif communautaire. Lors de la seconde phase, les régions espagnoles qui disposent des revenus par habitant les plus élevés sont menacées de sortie du zonage communautaire, en particulier La Rioja, couverte entièrement jusque là par les objectifs 2 et 5b. Dans cette perspective, le gouvernement régional convainc l’administration centrale de défendre le principe de l’intégralité de la couverture du territoire régional par les aides européennes. La Commission européenne accède aux demandes, dans la mesure où les aides concernent les objectifs 2 et 5b, des objectifs où les enjeux financiers sont moindres en comparaison de l’objectif 1 :
« Entre l’objectif 2 et 5b, les tours de passe sont fréquents. On peut demander à l’autre, est-ce que tu peux me prendre encore 50 000 habitants. Les zones sont établies en parallèle. Ce que l’objectif 2 ne prend pas 5b le prend39 ».
31Cette pénétration des enjeux européens s’accélère dans la seconde moitié des années quatre-vingt-dix avec l’arrivée de Pedro Sanz à la présidence du gouvernement régional en Rioja, en 1995. Son entrée, en 1997, au Comité des Régions de l’Union européenne, apparaît comme le point de départ d’une stratégie européenne plus marquée du gouvernement régional :
« Nous, nous avons commencé à développer notre politique européenne depuis que le président siège au Comité des régions. Il a été emballé par cette institution40 ».
32Cette évolution des modes d’action en Rioja se concrétise cette même année par l’ouverture d’une représentation de la communauté autonome à Bruxelles. Par ailleurs, en septembre 2001, Pedro Sanz accède à la présidence de l’Association des régions européennes viticoles, position qu’il continue d’occuper, depuis sa réélection, en 2002.
33En région Centre, les acteurs régionaux perçoivent très tardivement les enjeux européens41. Ce positionnement renvoie encore une fois à la faible légitimité de l’espace régional dans les logiques d’action des élites locales et régionales. Là encore, ce sont les fonds structurels qui sensibilisent les élus régionaux à l’espace européen.
« En 1990, un premier rapport s’intéresse à la mise en œuvre des fonds structurels en région Centre. C’est la première prise en compte de la dimension européenne en région Centre. Il y avait des sous à glaner et puis ce rapport faisait le point sur certaines réalités européennes. C’est le seul rapport officiel régional qui parle d’Europe42 ».
34Cependant, concernant le zonage communautaire, le conseil régional ne s’investit pas. Ce sont les services de la préfecture de région qui, en liaison avec les services départementaux et les acteurs locaux concernés (conseils généraux et villes), précisent les modalités du zonage régional. Cette non-perception d’un espace européen en région Centre43 est également perceptible dans la mise en œuvre de politiques de coopération inter-régionale, qui obéit essentiellement à des logiques de contrainte institutionnelle.
« On s’est lancé dans l’Arc atlantique parce qu’il fallait bien se mettre dans quelque chose même si l’on a pas de littoral. Sinon on aurait été marginalisé. L’amitié qui lie Dousset à Raffarin a joué. Mais bon dans les deux mandatures précédentes, il n’y a pas eu de véritable volonté politique de favoriser la coopération régionale ; Le Premier vice-président avait un « dada » la coopération avec certaines pays d’Afrique francophone et Dousset l’Arc Atlantique. Chacun s’occupait de ces affaires dans son coin sans imaginer une quelconque stratégie globale pour la région Centre44 ».
35Ainsi, en 1994, la région Centre adhère à l’Arc atlantique. Mais l’alternance politique, en 1998, modifie la perception des élites régionales quant à la zone de coopération inter-régionale pertinente pour cette région. La nouvelle majorité socialiste entend privilégier désormais la CREDC. Ce choix n’est pas anodin. En effet, cette conférence est créée par des présidents de région très majoritairement socialistes, alors qu’à l’inverse, l’Arc Atlantique est dominé par les leaders politiques de droite. Ce constat amène à s’interroger sur certains ressorts de la coopération régionale et les risques de dislocation des zones de coopération inter-régionale, sous les coups de logiques politiques contradictoires. En région Centre, les leaders régionaux développent des répertoires européens qui restent largement rhétoriques. Le positionnement européen en région Centre relève davantage de la contrainte de rôle que d’une stratégie pour capter des ressources inédites. Ainsi cette analyse comparative souligne la variété des usages régionalisés de l’Europe. Il existe indiscutablement une dimension européenne dans l’activité des leaders régionaux français et espagnols, mais les ressorts et les finalités diffèrent assez notablement.
La programmation des fonds structurels : un renforcement des régions ?
36La réforme des fonds structurels de 1988, en institutionnalisant un partenariat entre plusieurs niveaux de gouvernement, a donné une nouvelle légitimité aux régions pour gérer les politiques de développement régional et contribuer à la régulation de certains problèmes locaux. Les régions françaises et espagnoles parviennent-elles à utiliser l’européanisation des politiques de développement régional pour occuper une place stratégique au sein des réseaux d’acteurs à l’échelle nationale ? Là encore, des variations importantes sont perceptibles, du fait de styles nationaux et de stratégies régionales bien distincts.
Lobbying et politique régionale
37Depuis plus d’une décennie, de nombreuses relations formelles et informelles se sont établies entre les régions et l’administration européenne. On peut s’interroger sur la capacité d’influence des régions dans le processus de formulation de la politique régionale.
38L’implantation de représentations régionales à Bruxelles s’est étalée dans le temps, soulignant, encore une fois, la perception différenciée des enjeux européens dans les régions françaises et espagnoles. Le gouvernement régional de Galice, conjointement avec les chambres consulaires galiciennes, crée la fondation Galice-Europe en 1988. La Bretagne est déjà présente à cette même date, mais institutionnalise un bureau de représentation, en collaboration avec la région des Pays de Loire en 1991. Le Centre ouvre une antenne en collaboration avec Poitou-Charentes en 199345, tandis que La Rioja attend 1996-97 pour ouvrir sa délégation. Les régions françaises disposent de structures légères en personnel et s’associent souvent pour limiter les coûts : une personne pour la région Centre, trois personnes pour les régions Bretagne et Pays de Loire. Les structures des régions espagnoles sont beaucoup plus conséquentes. Ainsi, la représentation galicienne a vu ses effectifs et ses moyens croître régulièrement. Une quinzaine de fonctionnaires permanents travaille actuellement pour cette fondation à Bruxelles46.
39Ces bureaux remplissent une série de missions communes, en particulier l’information des décideurs régionaux sur les enjeux européens et la représentation de la région auprès de diverses instances communautaires. Que ce soit pour les régions françaises ou espagnoles, l’intérêt d’une représentation à Bruxelles tient avant tout à ce qu’elle permet une veille d’informations sur la réglementation et les programmes communautaires (Costa 2002 ; Hooghe 1995). En fonction de leurs moyens, les bureaux de représentation assurent une mission de suivi et de traitement de l’information en provenance des instances communautaires qui peuvent affecter le territoire régional. Les bureaux répercutent aux décideurs de chaque région les informations recueillies, en même temps qu’elles collectent des renseignements auprès des acteurs de l’Union :
« Entre le bureau à Bruxelles et le service à Rennes, on essaye de recueillir un maximum d’informations concernant le lien entre les politiques européennes et les compétences de la région (aménagement du territoire, développement économique, environnement, recherche etc.). On est en contact avec des personnes à la Commission. Il s’agit de s’informer, d’anticiper les programmes européens, de se préparer à l’avance (…)47 »
40Dans ce travail de traitement de l’information européenne, la capacité des régions espagnoles est largement supérieure à celle de leurs homologues françaises, dans la mesure où elles disposent de services plus étoffés et spécialisés. C’est le cas de la fondation Galice/Europe, mais également du bureau de La Rioja qui, depuis 1997, se renforce en moyens et en personnel :
« Etant donné la quantité de domaines dans lesquels l’Union est amenée à se prononcer et qui intéressent la Galice, la Fondation Galice/Europe assure une répartition des compétences entre ces techniciens afin qu’ils se spécialisent et soient plus à même de donner des conseils pertinents, qu’ils aient un suivi véritablement analytique des politiques communautaires, qu’ils soient en mesure de défendre les intérêts galiciens48 ».
41La connaissance par ces bureaux des dispositifs et des services communautaires, mais aussi des autres délégations régionales, sert également d’appui à un large éventail d’acteurs régionaux49 et locaux publics ou privés qui montent un projet de financement européen, qui recherchent un partenariat ou plus simplement une information précise à la source.
« Le bureau apporte des appuis techniques sur des projets. Il met en contact avec des fonctionnaires. La proximité physique change tout. Lorsque j’ai besoin de partenaires régionaux sur tel ou tel axe, je téléphone à Bruxelles, le bureau relaie sur les antennes régionales et c’est rapidement bouclé50 ».
42Le travail de représentation des intérêts régionaux est une autre dimension essentielle également de l’activité de ces bureaux. Pour la direction générale des Relations européennes à la Xunta de Galice, l’objectif est de « rompre l’isolement géographique de la Galice et faire connaître la réalité galicienne à ceux qui élaborent les politiques communautaires », et être « présente là où, au jour le jour, sont jetées les bases du futur51 ». Ce travail de sensibilisation aux problèmes régionaux passe par des canaux officiels comme la participation aux réunions du Comité des Régions de l’Union ou de certaines commissions du Parlement européen. Ainsi, en Espagne, les présidents des « grandes » communautés autonomes rivalisent dans le développement d’une politique para-diplomatique. L’activité européenne de Manuel Fraga, par exemple ses voyages fréquents à Bruxelles pour y rencontrer des responsables communautaires en tant que président de la Xunta52 ou vice-président de la CRPM, est fortement médiatisée dans la presse régionale. L’activité européenne de représentation fait aujourd’hui partie intégrante du répertoire des grands leaders régionaux. Mais ce travail de sensibilisation se traduit aussi par des relations plus informelles entre les décideurs régionaux et les services de la Commission. Ainsi, le bureau breton organise régulièrement des rencontres entre des délégations d’élus bretons et certains hauts-fonctionnaires ou commissaires européens :
« Le lobbying est beaucoup plus technique que politique. On informe les services concernés de ce qui se fait en Bretagne, sur des points qui les intéressent. C’est une démarche de longue haleine, cela fonctionne beaucoup aux contacts personnels. Une autre forme de lobbying consiste à faire venir des commissaires, des hauts-fonctionnaires européens en Bretagne pour les sortir de leur sphère et les faire rencontrer du monde en Bretagne sur le terrain. Ainsi, dernièrement on a fait venir en Bretagne un fonctionnaire de la direction générale de l’Agriculture pour lui faire visiter des abattoirs et rencontrer des organisations professionnelles53 ».
43Dans ce travail de représentation des intérêts régionaux, toutes les régions françaises et espagnoles ont un accès à peu près égal à la Commission, dans la mesure où elles sont soucieuses de diversifier leurs sources d’information et de compléter celles que lui fournissent les gouvernements nationaux. Cependant, les régions ont-elles la capacité d’aller au-delà de la collecte d’informations et d’exercer une réelle « influence politique » sur la Commission ? Les situations sont variables et dépendent principalement des canaux institutionnels offerts par l’administration nationale, et dans une moindre mesure de la temporalité des relations tissées par l’administration régionale avec les services de la Commission. Les administrations centrales françaises et espagnoles ont longtemps considéré avec hostilité les initiatives prises par les régions dans le domaine des relations internationales. Mais, dans ces deux pays, la situation s’est considérablement assouplie sur le plan juridique depuis le début des années quatre-vingt-dix. En France, la loi du 2 mars 1982 n’avait évoqué que la possibilité pour le conseil régional d’organiser une coopération transfrontalière. En revanche, la loi sur l’administration territoriale de la République de 1992 et la loi d’orientation sur l’aménagement du territoire de 1995 consacrent des titres entiers à la coopération décentralisée. Vis-à-vis de la Commission, le gouvernement français tolère les contacts d’informations entre les collectivités territoriales et la Commission, depuis la seconde moitié des années quatre-vingt54. Cependant, les régions françaises n’ont pas d’accès officiel au Comité des représentants permanents (COREPER), organe communautaire chargé de préparer les travaux des ministres préalablement aux conseils européens. C’est le rôle exclusif de la Représentation permanente de la France à Bruxelles (Lequesne 1993). En Espagne, l’administration centrale a longtemps interprété de manière stricte l’article de la Constitution qui lui donne la compétence exclusive en matière de relations internationales (art 149.3). Lors de l’entrée de l’Espagne dans la Communauté européenne, l’administration centrale interdit aux régions espagnoles d’ouvrir des bureaux de représentation officiels au prétexte qu’elle détient le monopole des relations internationales. Cependant, plusieurs sentences du Tribunal constitutionnel de 1991 à 1994 donnent raison aux communautés autonomes en matière d’action internationale et assouplissent la position du gouvernement central (Rojo Salgado 1996). Le 15 mars 1996 une nouvelle sentence du Tribunal constitutionnel marque un tournant décisif dans l’activité internationale des communautés espagnoles. Elle indique que les autonomies peuvent être responsables de l’exécution sur leur territoire des dispositions communautaires en vertu du partage des compétences établi avec l’administration centrale. Par ailleurs, les bureaux des communautés autonomes peuvent désormais représenter directement le gouvernement autonomique sans passer par des associations de droit privé. Suite aux accords de gouvernement entre le PP et la CiU, en juin 1996, des avancées considérables se sont produites dans la participation des communautés aux prises de positions de l’État espagnol à l’échelle européenne dans les domaines d’action les concernant. Dès août 1996, un conseiller chargé des relations des communautés autonomes avec l’Union européenne est intégré dans la Représentation permanente espagnole auprès de l’Union européenne55. Et depuis septembre 1997, les communautés autonomes ont un accès direct à 55 (sur 450) commissions ou groupes de travail du COREPER et de la Commission européenne, concurremment à un représentant de l’État. Dès lors la capacité de lobbying des régions espagnoles s’est considérablement accrue par rapport à leurs homologues françaises.
44Etant donné ces cadres nationaux, l’action de l’administration régionale en région Centre se limite à la collecte d’informations. A cet égard, l’administration regrette d’ailleurs la sous-utilisation du bureau de liaison :
« C’est un outil formidable mais sous-utilisé du fait d’un manque de volonté politique56 ».
45En Bretagne, l’administration régionale essaye de sensibiliser les services de la Commission aux problèmes bretons et de traduire les informations qu’elle obtient en ressources dans son dialogue avec l’État, en court-circuitant le réseau d’information traditionnel :
« On est informé plus rapidement que l’État des intentions des services de la commission dans certains domaines qui nous concernent. Il ne faut pas attendre le canal officiel qui est l’État. L’État ne va pas toujours au plus simple. C’est beaucoup trop long. Le SGAR, qui gère les fonds, est souvent très mal informé. De plus, le SGAR et la Région échangent les informations qu’ils ont. Cela permet d’informer les services concernés, les partenaires sur le terrain dès que quelque chose se prépare à Bruxelles et ainsi d’être prêt à monter des dossiers57 ».
46En Bretagne, l’administration régionale tend à vouloir apparaître comme un partenaire à part entière de l’État et de l’Europe58 : Vis-à-vis de la commission, cet activisme est facilité par l’ancienneté de l’action publique communautaire en Bretagne, que ce soit à travers les fonds structurels ou la politique agricole commune :
« La Bretagne a une bonne image ici à Bruxelles avec une identité forte, des caractéristiques fortes (modèle agricole, développement industriel particulier), c’est une région un peu pilote59 ».
47Ceci confirme les hypothèse d’Andy Smith (1998) concernant les conditions de structuration, en France, de cadres de relations solides et mutuellement renforçant entre les régions et la Commission européenne. Dans le cas de la Bretagne, le cadre établi des relations avec la Commission, l’unité affichée par les acteurs régionaux sur les grands enjeux de développement régional et la perception par les fonctionnaires européens d’intérêts spécifiques à la Bretagne semblent être des éléments déterminants pour que des réseaux d’élus puissent avoir un certaine influence sur certains dossiers, comme les fonds structurels. Cependant, lorsqu’il s’agit d’influer directement sur la formulation des politiques communautaires, les conseils régionaux font appel au gouvernement national pour qu’il fasse pression sur la Commission européenne :
« La Région a très peu d’influence sur la définition des politiques européennes. L’État est là. Quand certaines politiques européennes vont avoir un effet désastreux sur les activités économiques de la Région comme la pêche ou la PAC on se tourne vers Paris, qui peut intervenir si les activités économiques pèsent lourds60 ».
48En Espagne, la capacité régionale bénéficie très nettement de conditions institutionnelles avantageuses. Depuis 1997, les communautés autonomes peuvent avoir accès, à travers la Représentation permanente de l’Espagne, à plusieurs dizaines de commissions du COREPER, dans la mesure où les décisions prises toucheront directement les domaines de compétences des autonomies ou des secteurs vitaux de l’économie régionale. Ainsi, le gouvernement galicien a pu faire entendre sa voix dans les secteurs clés de l’économie galicienne :
« Nous sommes parvenus à ce que, lors de débats européens qui concernent directement la Galice comme la pêche61 ou les aides structurelles par exemple, un représentant de la communauté autonome soit présent dans la délégation espagnole lors des négociations. (…) Des comités de concertation nationale se réunissent préalablement pour définir l’attitude à adopter62 »
49Désormais, les possibilités d’action des communautés autonomes espagnoles se rapprochent de celles des Landërs allemands, qui sont très présents dans les délégations allemandes à Bruxelles. Ce nouveau champ d’action amène les bureaux de représentation des communautés autonomes espagnoles à coordonner de manière croissante leurs activités. Ainsi, en juillet 2002, les directeurs des bureaux régionaux espagnols ont passé un accord pour constituer des groupes techniques de coordination afin de suivre et d’analyser les décisions prises lors des différents conseils des ministres de l’Union européenne.
50L’aptitude politique et organisationnelle des communautés autonomes à influer directement sur la formulation des politiques communautaires apparaît donc supérieure aux régions françaises. Si celles-ci exercent une influence, c’est par l’intermédiaire de la Représentation permanente de la France ou, à la marge, par une proximité de longue date avec les services de la Commission, comme dans le cas de la Bretagne63. Alors qu’en Espagne, la capacité d’influence est plus directe, avec l’accès institutionnalisé aux arènes de la décision communautaire.
Les fonds structurels et les régions françaises : des CPER bis
51En France, l’analyse des effets de la politique régionale communautaire sur la transformation des réseaux politiques territoriaux offre un bilan assez contrasté. A travers une étude de cas en Rhône-Alpes, Richard Balme et Bernard Jouve (1995) concluent à un renforcement des administrations d’État (centrale et déconcentrée) par le biais d’un ensemble d’outils financiers et de procédures administratives. Emmanuel Négrier (1998), en Languedoc-Roussillon, souligne la départementalisation de la gestion des fonds structurels, malgré le volontarisme du conseil régional. Les études comparatives de Marc Smyrl (1997) en Bretagne et en PACA, de Patrice Duran (1998) dans le Nord-Pas-de-Calais, en Aquitaine et en Rhône-Alpes, soulignent, quant à elles, la variété des scènes locales et régionales dans la mise en œuvre de la politique communautaire.
52L’analyse comparative de l’implication des conseils régionaux de Bretagne et du Centre dans la politique des fonds structurels confirme l’hétérogénéité des configurations régionales et la forte « ressemblance », en terme de logiques d’action, des processus de négociation des CPER et des fonds structurels64. Ces politiques sont très imbriquées65, la procédure d’élaboration des CPER préfigurant la réalisation des DOCUP. Comme pour les CPER, l’interdépendance entre l’État et les collectivités locales reste la règle de base de la mise en œuvre politique des fonds structurels en France :
« Vous savez, chacun a les moyens d’embêter l’autre. L’État garde l’expertise technique, les collectivités ont les budgets. Des alliances se nouent avec les préfets66 ».
53En Bretagne et en région Centre, on constate que les partenariats prennent des formes variées qui renforcent ou non la visibilité et la légitimité des conseils régionaux à négocier les axes du développement régional. Pour Patrice Duran (1998, p. 124), « la constitution d’un vrai partenariat suppose la prise de conscience de la nécessité d’un jeu collectif autour d’enjeux communs. Cela suppose la capacité à construire de tels enjeux d’une part, et une bonne socialisation aux politiques et procédures européennes d’autre part ».
54En Bretagne, comme pour les CPER, après des négociations préalables, le conseil régional joue le rôle de porte-parole de l’ensemble des collectivités bretonnes dans l’élaboration du DOCUP :
« En Bretagne, Alsace et Corse la variable identitaire joue. A un moment les gens vont dire bon on est breton il faut qu’on trouve un point d’accord. (…) L’État est plus fort quand il peut jouer sur la dispersion comme en PACA67 ».
55Le conseil régional et la préfecture de région, plus précisément le SGAR, ont défini conjointement des priorités d’intervention. Les départements et les villes sont consultés et participent aux comités de coordination locaux pour l’objectif 2, mais l’élaboration et la gestion des axes d’intervention se gèrent à l’échelon régional. La préfecture de région endosse les priorités régionales et utilise sa capacité d’expertise et sa connaissance des réseaux étatiques pour défendre l’intérêt régional à Paris et à Bruxelles, en ce qui concerne les programmes européens. Que ce soit pour la mise en œuvre des programmes objectif 5b pour le développement des zones rurales, les programmes objectif 268 de reconversion industrielle ou des programmes d’initiative communautaire comme LEADER, la collaboration entre l’institution régionale et les services de la préfecture de région a été très étroite et ne s’est jamais démentie :
« Le conseil régional est associé à la définition des axes d’intervention et dans la mise en œuvre des fonds structurels. On peut parler de cogestion (…). Cela me paraît tout à fait normal. N’oublions pas que dans la part nationale des fonds structurels, c’est la région qui apporte le plus d’argent par rapport à l’État et aux autres collectivités locales69 ».
56Le conseil régional et le SGAR ont fait des choix de financement clairs et ont adopté des modes de financement conjoints. Cette concertation conseil régional/SGAR consacre une véritable régionalisation de la gestion des fonds européens en Bretagne (Smyrl 1997).
57En région Centre, la configuration est toute autre. Le SGAR monopolise l’organisation du dispositif institutionnel des programmes européens. Le conseil régional et les conseils généraux sont consultés lors de l’élaboration du DOCUP mais la gestion est monopolisée l’administration d’État, révélant un partenariat très limité70. Le conseil régional n’occupe pas un rôle central et intégrateur dans ce processus, alors que les nouvelles procédures de la politique régionale communautaire lui en ont donné l’occasion :
« Les interlocuteurs sont le préfet de Région et les préfets de département. Nous n’avons de contact en région Centre ni avec le conseil régional ni avec les conseils généraux71 ».
58Que ce soit pour la mise en œuvre des programmes objectif 5b ou objectif 2, le conseil régional n’a pas essayé d’influer pour défendre des priorités régionales d’intervention et a laissé le champ libre aux acteurs étatiques. Ainsi, pour l’objectif 5b, la préfecture de région est l’interlocuteur unique. Elle gère la programmation et le suivi de ce programme en relation avec les intérêts agricoles organisés : chambres d’agriculture départementales et direction départementales de l’agriculture. La gestion de l’objectif 2, quant à elle, est départementalisée. Elle est gérée par la préfecture du Cher72, en relation avec les deux villes moyennes, Bourges et Vierzon, intéressées par les types d’aides proposées (aides à la restructuration des PME/PMI).
59Ainsi, pour la programmation 1994-1999 et 2000-06, les réseaux d’action publique communautaire sont dominés en région Centre par les services déconcentrés de l’État.
Les fonds structurels et les communautés autonomes : une concurrence supplémentaire
60En Espagne, l’impact de l’intégration européenne sur les relations centre/périphérie se mesure à l’aune des tensions entre l’administration centrale et les communautés autonomes. Le bilatéralisme, dans la négociation de l’action publique, se retrouve lors de la négociation de la politique régionale communautaire. En Espagne, la politique régionale communautaire n’est qu’un enjeu de plus dans les relations conflictuelles entre l’administration centrale et les gouvernements régionaux. Néanmoins les gouvernements régionaux disposent d’une marge de manœuvre supérieure aux conseils régionaux français, dans la mesure où, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, ils gèrent les fonds structurels qui relèvent de leurs compétences.
61Les communautés autonomes ont vécu assez paradoxalement l’intégration européenne. D’un côté celle-ci leur donnait un cadre d’action plus large, mais dans le même temps elle donnait un contrôle plus étroit de l’administration centrale sur ces nouvelles ressources (Morata 1992). En effet, de 1986 à 1988, tous les fonds FEDER deviennent la responsabilité du ministère de l’Économie et des Finances (ministerio de Economia y Hacienda), qui assure la coordination des politiques structurelles. Ainsi, alors qu’au niveau national la décentralisation financière s’accélère au début des années quatre-vingt-dix, les fonds structurels permettent à l’administration centrale de rééquilibrer le rapport de force avec les communautés autonomes les plus revendicatives. En l’absence de procédures contractualisées stables73, la politique régionale communautaire donne lieu à de nouveaux rapports de force entre l’État et les communautés autonomes :
« Pour la France, les objectifs 1, 2 et 5b suivent les contrats de plan, en Espagne on ne peut pas74 ».
62Ces rapports ont été plus ou moins conflictuels selon l’importance des flux financiers générés par les différents objectifs : forts pour l’objectif 1 et 2 et plus faibles pour l’objectif 5b75. En Galice, région d’objectif 176, les tensions gouvernement régional/État central sont parfaitement perceptibles. Les aides européennes sont une ressources essentielle pour le budget de cette communauté et participent à la concurrence verticale à laquelle elle se livre l’administration centrale :
« Pour gérer les fonds FEDER, il y a une lutte entre l’administration centrale et les autorités régionales pour savoir ce qui est de la compétence régionale ou de la compétence de l’État77 ».
63L’enjeu du processus de bargaining78 est la désignation des axes à financer qui, selon qu’ils se rattachent aux compétences de l’État ou de la communauté autonome, viennent abonder les budgets de l’administration régionale ou nationale. Dès lors, c’est une logique classique de surenchères qui tient lieu de négociation :
« Avec le gouvernement socialiste, en 1994, ils disaient 100, on disait 200, on obtenait 11079 »
64La Xunta estime que l’administration centrale se sert de la manne communautaire pour financer ses propres compétences et regagner une marge de manœuvre financière perdue avec le processus autonomique :
« L’État central reverse 36 % des aides européennes aux régions. Il garde 64 % pour ses propres priorités. Selon nous, cela ne correspond pas au partage des compétences qui est plutôt de l’ordre de 50/50. L’administration centrale n’utilise pas les mêmes critères de répartition pour le fond de compensation inter-territoriale (Galice obtient 18 % du fond contre 2 % des aides européennes). En 1994 lors de la répartition des fonds structurels 1994-1999 on a beaucoup protesté, proposé des solutions de rechange mais le gouvernement central n’a pas cédé80 ».
65A ce titre, la Galice apparaît aux services de la commission comme une communauté autonome très revendicative :
« La Galice a été très revendicative sous le gouvernement socialiste. Elle s’est adoucie un peu avec l’avènement de Aznar mais elle continue à réclamer énormément du fait de l’autonomie du parti populaire de Galice et de Fraga (…) Il y a une forte compétition entre les communautés autonomes en particulier entre les communautés autonomes à forts niveaux de compétences. Face à son opinion publique la Xunta ne peut pas être en reste81 ».
66En effet, face à la Catalogne, à l’Andalousie ou aux Canaries, le gouvernement galicien se doit de « tenir son rang82 ». Par ailleurs, que ce soit en Galice ou en Rioja, il n’y a pas de recherche systématique de cofinancement. La faible intégration verticale de l’action publique en Espagne se retrouve dans la programmation FEDER. Sur leur propre territoire, les administrations des communautés autonomes sont les acteurs clés de la programmation. Elles sont d’ailleurs les principaux bailleurs financiers. Pour le programme opérationnel de la Galice 1994-1999, d’un total de 2,5 milliards d’euros, le FEDER a apporté 1,5 milliards d’euros, l’administration autonomique 402 millions d’euros, l’administration centrale 293 millions d’euros et les entreprises publiques 186 millions d’euros83. Contrairement à la France, les interlocuteurs infra-régionaux sont exclus de la programmation. En Galice et en Rioja, les députations provinciales, les communes mais aussi les acteurs socio-économiques ne participent pas ou peu à la gestion des fonds FEDER. La capacité financière et institutionnelle de l’administration régionale la place dans une situation de face à face avec l’administration centrale.
67Les communautés autonomes apparaissent donc comme les interlocuteurs privilégiés de la Commission. L’administration centrale ne cède pas pour autant du pouvoir. Elle reste un acteur central de la négociation et joue de son pouvoir de répartition de cette manne. Les services de l’État, en se positionnant comme arbitres des revendications régionales pour l’obtention des aides européennes, ont gagné une marge de manœuvre qui peut s’apparenter à une reconquête de pouvoir politique.
***
68A partir de ces éléments empiriques, on peut tout d’abord constater l’entrecroisement, l’interpénétration des enjeux d’action publique à l’échelle européenne. L’intervention croisée de plusieurs niveaux d’administration rend la lecture de l’action publique plus opaque. Aucun champ de l’action publique ne relève intrinsèquement du niveau régional, national ou européen. Ces niveaux s’enchâssent autour d’enjeux multi-niveaux. En France, où l’intervention croisée de plusieurs niveaux d’administration est poussée à l’extrême, on note une superposition croissante avec, par exemple, l’alignement de la contractualisation nationale et de la programmation des fonds structurels. C’est le cas également en Espagne où, sur un ensemble de programmes d’équipements publics comme les routes, financements régionaux, nationaux et européens sont mobilisés simultanément. Ceci explique en partie la prégnance des styles nationaux d’action publique dans la gestion des enjeux européens. Si l’espace européen d’action publique constitue indiscutablement une nouvelles structure d’opportunités pour les régions, avec un foisonnement de relations inter-organisationnelles, un développement de réseaux politiques, il n’en reste pas mois que cette Europe polycentrique repose sur des grammaires politiques préexistantes, parfaitement repérables en ce qui concerne la capacité politique régionale.
69Les schémas nationaux de décentralisation marquent de leur empreinte les mobilisations régionales à l’échelle européenne. Les disparités dans la répartition des ressources institutionnelles et financières entre les régions françaises et espagnoles influent fortement sur leur positionnement dans les réseaux d’acteurs à l’échelle régionale. En Espagne, de par les ressources qu’ils monopolisent, les gouvernements régionaux se situent d’emblée au centre du réseau d’acteurs et en position dominante de médiation vis-à-vis de l’environnement extérieur. C’est particulièrement flagrant en ce qui concerne la programmation des fonds structurels. En France, les conseils régionaux n’ont pas le monopole de la représentation territoriale et doivent cohabiter avec un ensemble d’institutions infra-régionales qui disposent de ressources quasi équivalentes. Ceci fragilise les coalitions régionales en France. Comme pour les contrats de plan, les régions doivent gérer l’organisation duale de l’État, d’autant que ses services déconcentrés ont la responsabilité de gestion des fonds structurels84. Des partenariats coopératifs entre les conseils régionaux et les préfectures de Région peuvent atténuer ce « retour de l’État », comme en Bretagne, ou au contraire l’accentuer, comme en région Centre. En Espagne, la question ne se pose plus car, depuis 1996, les communautés autonomes gèrent les fonds structurels qui relèvent de leurs compétences. Par ailleurs, les rapports entre le gouvernement régional et les service extérieurs de l’État sont essentiellement conditionnés par les relations partisanes qui s’établissent entre le gouvernement régional et le gouvernement central. Ainsi, en Galice, l’appartenance partisane similaire du gouvernement régional et du gouvernement central donne actuellement à cette communauté autonome une forte capacité d’influence. En revanche, lors de la période de domination du PSOE sur la vie politique espagnole, les rapports entre la Xunta et les services extérieurs de l’administration centrale étaient nettement plus conflictuels.
70Cependant, comme le montrent les enjeux européens, la capacité politique régionale implique également la mobilisation de réseaux infra-régionaux. Les ressources institutionnelles et financières contribuent à cette capacité d’intégration ; mais d’autres dimensions apparaissent, comme la capacité à produire des représentations du territoire régional suffisamment mobilisatrices pour incarner la « communauté » régionale. On remarque ici toute l’influence des modèles régionaux d’action collective. Les régions, dans lesquelles se perpétuent des formes identitaires spécifiques et des pratiques politiques collectives singulières, sont plus à même de se positionner dans ces échanges inter-organisationnels et dans les nouveaux réseaux politiques qui s’organisent. Ainsi, la Bretagne et la Galice perçoivent l’Union européenne et les ressources qu’elles suscitent comme un enjeu politique incontournable. C’est beaucoup plus problématique en région Centre et en Rioja, même si, progressivement, elles tendent à s’investir.
Notes de bas de page
1 Le parlement plaide même en faveur d’un renforcement du processus de régionalisation et définit une série de critères qui devraient s’appliquer dans les différents pays : élections démocratiques des institutions régionales, compétences suffisantes, autonomie financière, participation des régions à la définition de la position des États au sein des instances communautaires Cette prise de position du parlement européen est défendue depuis de nombreuses années par les associations européennes des régions et des villes.
2 L’Italie, l’Irlande, le Royaume-Uni et plus encore la Grèce, le Portugal et l’Espagne.
3 Pendant plus d’une décennie, le FEDER ne joue qu’un rôle de complément des politiques régionales nationales qui gardent leur prééminence. Il ne peut intervenir que dans des zones où existent déjà des aides à finalité régionales des États membres. Jusqu’à la mise en œuvre des réformes de 1988, le FEDER ne fait que rembourser aux États membres une partie des aides qu’ils lui allouent. En 1984, une première réforme du FEDER est initiée. La Commission est autorisée à exiger qu’une part croissante des crédits communautaires soit affectée non plus au financement de projets individuels mais de programmes soit d’initiative communautaire soit d’initiative nationale.
4 Le Conseil des Communes d’Europe (CCE) fondé à Genève en 1951 est devenu en 1984 le CCRE. La constitution de l’ARE est plus récente. En mars 1984, à l’occasion de la 2ème Conférence des régions insulaires organisées par le Conseil de l’Europe, en relation avec la CRPM, l’idée d’un Conseil des régions d’Europe (CRE) est lancée dont Edgar Faure prend la présidence en 1985. En 1986, le CRE obtient une subvention de la Commission européenne et en décembre 1987, il devient l’ARE à laquelle adhère 107 régions européennes.
5 Le Comité des régions est obligatoirement consulté dans le cadre de la politique sociale (éducation, culture et santé publique), dans le cadre des réseaux transeuropéens (les transports, les télécommunications et l’énergie) enfin la cohésion économique et sociale. Par ailleurs, le Comité dispose d’un droit d’auto-saisine ce qui lui permet de rendre un avis sur une politique ou une norme juridique communautaire même si celle-ci ne figure pas parmi les cas où il est obligatoirement consulté. Le Traité d’Amsterdam a encore élargi substantiellement son domaine consultatif. A long terme certains membres de l’ARE et du Comité des régions plaident pour la création d’une chambre des régions dans le processus législatif européen.
6 La France, l’Allemagne, l’Italie et la Grande-Bretagne ont 24 membres, l’Espagne 21.
7 Pour l’Allemagne, 21 des 24 sièges sont occupés par les Länders, pour l’Espagne les communautés autonomes occupent 17 des 21 sièges, quant à la France les régions occupent la moitié des sièges, l’autre moitié étant occupée à égalité par les départements et les communes.
8 Cependant, un profond fossé sépare les régions en ce qui concerne le problème de la représentation. Les Länders allemands ont vainement tenté de modeler le Comité sur l’exemple du Bundesrat qui est organisé selon le principe d’une représentation institutionnelle. Mais ils se sont heurtés aux communautés autonomes espagnoles ainsi qu’à la plupart des administrations sub-nationales, plus flexibles sur la représentation personnelle.
9 Lors de sa création en 1994, les membres du CCRE et de l’ARE se sont affrontés avant de parvenir à un accord Jacques Blanc a obtenu la présidence en tant que président de l’ARE et Pasquall Maragall à la vice-président en tant que président du CCRE. Deux ans plus tard, l’accord est renouvelé Maragall accédant à la présidence et Blanc à la vice-présidence
10 De grands leaders politiques régionaux siègent ou ont siégé au Comité : Jordi Pujol, président de Catalogne, Erwin Teufel, Premier ministre du Baden-Wurttenberg, Edmund Stoiber, Premier ministre de Bavière, Oskar Lafontaine, Premier ministre de la Sarre.
11 La CRPM, fondée en 1973 à l’initiative du CELIB, constitue le premier lobby inter-régional à l’échelle européenne. La naissance de la CRPM illustre les attentes de certains acteurs sub-nationaux d’une politique régionale européenne et des mobilisations précoces qu’elle génère. En tant que « périphériques », ces régions qui se mobilisent souffrent toutes plus ou moins des mêmes handicaps par rapport au Marché commun et au cœur industriel de l’Europe qui se dessine : éloignement mais aussi prédominance de l’agriculture (sauf pour les régions britanniques), sous-industrialisation ; sous équipement. Lors de la résolution finale en 1973, les régions exigent une politique régionale européenne afin qu’elle vise en priorité à rééquilibrer l’Europe et à rétablir l’harmonie entre le centre et la périphérie, entre régions riches et régions pauvres. La CRPM a joué un rôle non négligeable dans l’institutionnalisation progressive d’une représentation des pouvoirs locaux et régionaux auprès de la Commission européenne à la fin des années quatre-vingt.
12 La CRPM compte quatre commissions : commission des Iles, de la mer du Nord, de la Méditerranée et de l’Arc Atlantique.
13 Les quatre régions initiatrices de cette diagonale continentale sont les régions Midi-Pyrénées, le Limousin et les communautés autonomes d’Aragon et d’Estrémadure auxquelles sont venues depuis se joindre quatre nouvelles régions : les communautés autonomes de Rioja et de Castille-La-Manche, la région Centre et l’Alentejo (Portugal).
14 L’association Recite est lancée en 1991 par la Commission afin de financer trente-sept réseaux subnationaux de programmes d’entraide.
15 Ces Eurorégions s’inscrivent dans le cadre de la coopération transfrontalière développée par le Conseil de l’Europe.
16 Chaque région doit faire fonctionner un groupe de travail sur l’un des thèmes suivants : coopération technologique, industrielle et développement économique ; aménagement du territoire lié aux grandes infrastructures ; gestion de l’eau, des sols ; coopération administrative ; promotion de l’image Eurorégion
17 Le premier groupe est chargé des « objectifs et méthodes de la politique régionale », le second de « l’adaptation des régions d’ancienne industrialisation » et le troisième des « moyens de la politique régionale dans les États membres ». Ces groupes de travail donneront lieu à trois rapports : les rapports Birbelbach (1963), Rossi (1964) et Bersani (1965) (Pierret 1984, p 37-38).
18 Les États-membres du nord de l’Europe souhaitaient une politique régionale plus économe alors que les pays qui bénéficiaient du fonds de cohésion plaidaient le statu quo.
19 Cf Tableau 15.
20 Il existe deux autre types d’instruments qui ont un impact financier bien moindre : les programmes d’initiative communautaire (PIC) et les projets-pilote. Ces instruments sont destinés à corriger les effets des autres politiques communautaires, à favoriser l’application des politiques communautaires à l’échelle régionale ou à apporter des solutions à des problèmes communs de certaines régions (cf. article 3, paragraphe 2 du règlement FEDER 4254/88). Les PIC les plus célèbres sont EQUAL, INTERREG, LEADER ou URBAN Ces programmes multisectoriels à l’échelle locale ont permis à la Commission d’établir des liens directs avec les acteurs locaux et régionaux. Pour la période 2000-06, ces PIC représentent 5,35 % des crédits des fonds structurels.
21 Avant la réforme de 1994, la programmation se déroulait en deux phases pour les objectifs (1, 2 et 5b) : réalisation d’un cadre communautaire d’appui entre la Commission, les administrations nationales et certains acteurs subnationaux fixant les grandes orientations stratégiques et de financement, puis réalisation dans un second temps d’un programme opérationnel qui fixait précisément pour chaque partenariat local et régional les axes prioritaires retenus, le plan de financement les mesures retenues Pour l’exercice 1994-1999 ce système de programmation a été maintenu pour les régions d’objectif 1 mais pour les régions d’objectif 2 et 5b la programmation s’est réalisée sur la base d’un DOCUP. Ce dernier a renforcé la régionalisation des procédures en contraignant les administrations nationales à définir en amont des priorités de développement avec les acteurs sub-nationaux.
22 Nous traitons ici exclusivement des DOCUP. Dans le chapitre suivant, nous serons amenés à évoquer les effets des programmes LEADER (Liaison entre actions de développement de l’économie rurale) sur les représentations et les logiques d’action des acteurs régionaux
23 Cf. Commission Européenne, Réforme des fonds structurels 2000-06 Analyse comparée, juin 1999
24 Cette stratégie européenne, le CELIB le doit à ses animateurs. En effet, son président René Pleven est l’un des pères du projet de la Communauté européenne de défense. Quant à Georges Pierret, secrétaire général du CELIB à partir de 1967, il est désigné par le gouvernement français en 1962 pour participer aux groupes de travail qui débouchent en 1965 sur la première proposition officielle d’une politique régionale communautaire.
25 Entretien conseil régional de Bretagne.
26 Cf. supra.
27 Cf Ouest-France, « DATAR : Josselin de Rohan se fâche », 10 juillet 1999.
28 Entretien, direction générale de la Planification économique et des Fonds communautaires, Xunta de Galice.
29 Entretien, direction générale de la Planification économique et des Fonds communautaires, Xunta de Galice.
30 Richard Balme, Sylvain Brouard et François Burbaud (Balme 1996) ont bien montré dans leur étude de la coopération atlantique comment ces politiques pouvaient apparaître davantage comme des politiques de communication que véritablement porteuses de réalisations concrètes. Néanmoins elles sont un indicateur intéressants de la perception par les leaders politiques régionaux des enjeux européens.
31 ARCANTEL est un programme d’informatisation des ports de la façade atlantique ATLANTIS est un programme pilote destiné à favoriser la coopération autour de certains axes : modernisation du tourisme, transferts de technologies, développement des liaisons maritimes, valorisation et conservation de l’environnement. Cf. Thivend P, 1996, Bretagne, Terre d’Europe, Conseil économique et social de Bretagne.
32 Jean-Yves Cozan, vice-président du Conseil régional de Bretagne a également beaucoup insisté pour renforcer les liens entre ces deux régions Pour lui il s’agit surtout de renforcer les liens avec la Loire-Atlantique qui fait partie de la « Bretagne historique ». Cf. Ouest France, « Bretagne et Pays de Loire », 27 mars 1998.
33 L’agence de développement Ouest-Atlantique a l’originalité de rassembler l’État, les collectivités locales et les entreprises de l’ouest autour d’objectifs économiques et d’aménagement du territoire : démarchage auprès d’entreprises étrangères, renforcement du tissu industriel et tertiaire.
34 Cf. Ouest France, « Ouest-Atlantique : l’État lâche du lest », 22-23 janvier 2000.
35 Ouest France, « Front uni d’élus bretons et ligériens pour un aéroport intercontinental », 3 novembre 1998.
36 La structure permanente de cette Eurorégion est particulièrement étoffée avec un conseil de la présidence, un coordinateur commun assistés d’un groupe d’analyses et de réflexion stratégique. Ce dispositif est complété par des coordinateurs régionaux et des commissions sectorielles avec des représentants de chaque secteur d’activités.
37 Le programme Interreg I a canalisé un investissement total d’environ 100 millions d’euros. Quant à INTERREG II, il concerne quatre programmes pour un montant de 120 millions d’euros.
38 Interview de Juan Rodriguez Yuste, secrétaire général des Relations européennes au gouvernement régional de Galice et coordinateur de la Communauté de travail Galice-région Nord du Portugal, La Voz de Galicia, 7 décembre 1997, p 6.
39 Entretien DGXVI.
40 Entretien, secrétariat général aux Relations européennes, Gobierno de La Rioja.
41 Cf infra.
42 Entretien conseil régional du Centre.
43 A l’échelle nationale, la région Centre s’est investie dans une autre opération de coopération, la charte d’aménagement du bassin parisien. Mais cette démarche s’est réalisé sous l’impulsion de l’État En 1990, le gouvernement charge la DATAR de mener une démarche prospective sur des ensembles géographiques plus ou moins cohérents. Parmi les sept grands chantiers d’aménagement (Grand Est, Saône-Rhône, Nord, Méditerranée, Sud-Ouest, Ouest-Bretagne, Grand bassin Parisien) un chantier regroupe autour de l’Ile de France les régions Centre, Champagne-Ardenne, Basse-Normandie, Haute-Normandie Picardie, Bourgogne et Pays de Loire. De cette réflexion la DATAR établit une charte d’aménagement du Bassin parisien en 1994 qui se traduit par un contrat inter-régional d’un milliard de francs financés à parts égales par l’État, l’Ile de France et les sept autres régions.
44 Entretien conseil régional du Centre.
45 Dans le cas du bureau Centre/Poitou-Charentes, la région Poitou a acheté le bâtiment et la région Centre rémunère le chargé de mission.
46 La Fondation Galice-Europe est une association sans but lucratif Elle est présidée par Manuel Fraga, président de la Xunta de Galicia et le secrétariat général est assuré par Jaime Pita Varela, conseiller de la. présidence et des relations institutionnelles au gouvernement régional. Cependant, les intérêts privés sont également très bien représentés. On y retrouve les chambres consulaires galiciennes et de grandes banques (Banco Pastor, Caixa Galicia par exemple).
47 Entretien conseil régional de Bretagne.
48 Entretien Fondation Galice/Europe.
49 L’une des missions de la Fondation Galice/Europe est d’assister les directions générales de l’administration régionale sur tous les domaines qui touchent à l’Union européenne.
50 Entretien conseil régional du Centre.
51 Dirección général de la Planificación et de las relations con la Comunidad europea, 1994, Plan de acción de la Xunta de Galicia en las relaciones europeas, ronéo.
52 Manuel Fraga a rencontré ainsi à plusieurs reprises les commissaires européens chargés des dossiers stratégiques pour la Galice comme la politique régionale ou la pêche.
53 Entretien conseil régional de Bretagne.
54 Ce sont les circulaires Fabius et Chirac de 1985 et 1987 (Lequesne 1993).
55 En 1988, le ministère des Administrations publiques avait mis en place une conférence sectorielle pour les affaires européennes où les communautés autonomes étaient formellement associées Mais concrètement l’influence des communautés autonomes était très limitée.
56 Entretien conseil régional du Centre.
57 Entretien conseil régional de Bretagne.
58 Ainsi, une délégation d’élus départementaux et régionaux bretons est allé rencontrer Yves Thibault de Silguy pour parler de la réforme de la PAC et des fonds régionaux à l’horizon 2000 Cf. Ouest France, 29 octobre 1997.
59 Entretien, chef d’unité DGXVI.
60 Entretien conseil régional de Bretagne.
61 La pêche galicienne représente 50 % de la pêche espagnole qui elle-même représente près de 50 % de la pêche communautaire.
62 Entretien, département de la Présidence, Xunta de Galicia.
63 Il faudrait également évaluer le rôle de certains lobbys économiques territoriaux sur la Commission comme par exemple Breizh Europe pour l’agriculture bretonne. Cela permettrait d’avoir une vision plus globale de la mobilisation des territoires à l’échelle européenne.
64 La Bretagne et le Centre étaient éligibles aux programmes d’objectif 2 et 5b 1994-1999. En Bretagne la zone objectif 2 recouvrent les bassins d’emplois de Brest, Lorient et Lannion. En région Centre sont concernés les bassins d’emploi de Vierzon et Bourges. Le programme objectif 5b est plus étendue dans les deux régions. Il touche 5 des 6 départements de la régions Centre et 60 % du territoire breton.
65 Pour la programmation 2000-2006, les négociation des CPER et les fonds structurels ont été menées simultanément en France.
66 Entretien, Chef d’unité à DGXVI, Commission européenne.
67 Entretien, Chef d’unité à la DGXVI, Commission européenne.
68 L’implication du Conseil régional est notamment particulièrement mis en évidence dans le rapport d’évaluation du programme objectif 2 en Bretagne. Cf. IREQ, Evaluation intermédiaire. Programme objectif 2 Bretagne 1994-1996, ronéo.
69 Entretien SGAR de Bretagne.
70 En 1998, dans son rapport sur l’utilisation des fonds structurels en France pour le Conseil économique et social, Pierre Trousset fait un constat semblable mais à l’échelle nationale.
71 Entretien DGXVI, Commission européenne.
72 Géographiquement ce programme ne concernait que le département du Cher.
73 L’institutionnalisation de la coopération facilite le travail de la commission en France : Entretien, DGXVI, Commission européenne.
74 Entretien, DGXVI, Commission européenne.
75 Direction générale XVI, Evaluation intermédiaire objectif 5B Espagne, bilan au 01/01/98, Note interne.
76 Pour la programmation 1994-1999, dix communautés autonomes étaient classées en zone d’objectif 1 : l’Andalousie, les Asturies, les Canaries, la Castille-Léon, la Castille-La-Manche, Ceuta et Melilla, l’Estrémadure, la Galice, Murcie et Valence.
77 Entretien, DG XVI.
78 Le gouvernement régional élabore un plan de développement régional (PDR) qu’il transmet à l’administration centrale. Celle-ci négocie avec la Commission Européenne le cadre communautaire d’appui (CCA) qui indique les axes prioritaires retenus, les sources de cofinancement. C’est lors de cette dernière étape que s’engage la négociation entre l’administration centrale et le gouvernement régional.
79 Entretien, direction générale de la Planification économique et des Fonds européens, Xunta de Galicia.
80 Entretien, direction générale de la Planification économique et des Fonds européens, Xunta de Galicia.
81 Entretien DG XVI, fonctionnaire chargé de l’objectif 2 en Galice.
82 Entretien, direction générale de la Planification économique et des Fonds européens, Xunta de Galicia.
83 Cf Xunta de Galicia, 1994, Programma operativo de Galicia 1994/1999 FEDER, Xunta de Galicia, p 105.
84 Cette situation risque d’évoluer dans l’avenir. En effet, depuis 2003, dans la cadre de la réforme Raffarin, le conseil régional d’Alsace expérimente la gestion directe des fonds structurels. Si cette expérience est concluante elle pourrait être généralisée.
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