Introduction
p. 19-32
Entrées d’index
Index géographique : France
Texte intégral
1La conjugaison des logiques de décentralisation, d’intégration européenne et de globalisation économique a fait de la recomposition des États-nations l’une des questions majeures de la science politique contemporaine. Pour de nombreux observateurs, ces transformaations remettent en cause la légitimité d’action des administrations centrales. Plusieurs facteurs expliqueraient la perte de centralité de l’État (Wright et Cassese 1996) : crise de l’État-Providence, crise idéologique suite au tournant néolibéral, internationalisation de l’économie, progrès de l’intégration communautaire et de la décentralisation. En Europe de l’Ouest, jusque dans les années soixante, la légitimité de l’État reposait en effet sur sa capacité à assurer un développement économique par une intervention publique massive, et à réduire tendanciellement les inégalités sociales en répartissant les richesses créées. Cette équation de la légitimité de l’État-Providence keynésien a volé en éclat dans la mesure où le mode de régulation politique sur lequel il reposait s’est érodé : le contrôle territorial par la puissance étatique d’une société et d’une économie intégrée à l’espace national (Badie 1995). De nouvelles entités politiques infra-nationales et supranationales émergent, il n’y a plus un seul centre de concentration du pouvoir disposant des ressources nécessaires à la régulation des problèmes collectifs (Mayntz 1993). Cette érosion du contrôle étatique est d’autant plus perceptible que les conditions sociales de l’action des services de l’État ont également beaucoup changé du fait du déclin des grands intermédiaires sociaux de l’après-guerre : Église, syndicats, partis politiques. De nouvelles demandes politiques émergent dans les années soixante-dix quatre-vingt, liées aux transformations du marché du travail et à la promotion de valeurs dites post-matérialistes comme le respect de l’environnement ou des identités culturelles (Inglehart 1993). Ces valeurs génèrent de nouveaux types de mouvements sociaux porteurs de revendications éloignées des répertoires traditionnels. Ces nouveaux intérêts échappent à la gestion centralisée et sectorielle des administrations centrales issue des Trente glorieuses.
2On peut dès lors s’interroger sur les nouvelles formes de régulation et d’aménagement du politique. L’une des hypothèses est la pertinence nouvelle de régulations politiques infra-nationales1. La polycentricité des scènes et des acteurs génèreraient des dynamiques de reterritorialisation des intérêts, des identités, de l’action publique et du développement économique (Balme 1996 ; Le Galès 2003). L’affirmation possible du rôle des régions2 est une dimension essentielle de ce processus car celles-ci apparaissent comme des espaces de recomposition des intérêts, des identités et de l’action publique. Les politiques de décentralisation menées dans divers pays européens depuis trois décennies leur fournissent en effet des ressources politiques croissantes3. Par ailleurs, la constitution d’un espace politique européen élargit de manière conséquente leur champ d’action. Les régions deviennent des interlocuteurs directs de la Commission européenne et participent à la mise en œuvre de politiques publiques européennes. Les régions profitent-elles de ce nouveau contexte d’action ? Emergent-elles en tant que nouveaux espaces de régulation politique ?
3Les débats autour de cette question débordent largement la recherche universitaire et laissent percevoir des constats souvent contradictoires. Derrière le mythe de l’« Europe des régions » se dessine en effet un kaléidoscope de configurations institutionnelles et politiques4. Les fonctions exercées par les niveaux régionaux d’administration en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Espagne, en France ou en Italie diffèrent de façon assez significative. Les politiques de décentralisation sont loin d’être univoques au sein de l’Union européenne. Si le Royaume-Uni a vu l’institutionnalisation récente de parlements régionaux en Ecosse et au Pays de Galles, la Finlande, la Grèce, l’Irlande, ou le Portugal5 ne disposent pas de structures régionales de représentation politique ou de gestion de l’action publique. Quant aux pays d’Europe centrale qui s’apprêtent à faire leur entrée dans l’Union, comme la Pologne ou la République Tchèque, la régionalisation est une question pendante des agendas politiques nationaux, mais aucune réforme d’envergure n’a pour le moment vu le jour (Surazska et al. 1997). Ajoutons que l’évaluation de la régionalisation des interactions politiques et de l’action publique à l’échelle européenne est pour le moins contrastée, voire contradictoire, selon les pays, les régions et les secteurs (Jeffery 1997 ; Keating et Loughlin 1997 ; Le Galès et Lequesne 1997 ; Négrier et Jouve 1998).
4Ainsi, le constat d’une forte différenciation du potentiel mobilisateur des régions est partagé par nombre de chercheurs. Pour rendre compte de ces différences, un ensemble de facteurs institutionnels, politiques ou culturels est régulièrement avancé. Mais la sociologie politique manque de cadres d’interprétation plus systématiques et convaincants. Le risque étant alors que s’opère un glissement progressif vers des jugements plus normatifs en terme de « régions qui gagnent » et de « régions qui perdent » à la manière de certains économistes ou géographes6. Cet ouvrage propose donc une grille de lecture sociologique de la variabilité du potentiel mobilisateur des régions en Europe, à partir d’une analyse comparée de la capacité politique des régions en France et en Espagne. L’hypothèse défendue ici est que la capacité politique des régions s’inscrit dans un ensembles de règles, de pratiques et de croyances structurées dans le temps à l’échelle régionale et nationale qui, aujourd’hui, facilitent ou limitent leurs possibilités d’action et de régulation politique. Avant de présenter plus précisément le cadre d’analyse et la stratégie de recherche qui guident ce travail, il paraît nécessaire de faire brièvement la synthèse des principaux courants d’analyse du fait régional, afin de mieux situer l’approche adoptée ici.
Quelle (s) sociologie (s) pour les régions ?
5Cette mise en perspective ne prétend pas à l’exhaustivité mais vise au repérage des courants de recherche qui se sont développés dans ce domaine depuis les années soixante. On peut distinguer quatre principaux courants, les approches top down et bottom up, l’approche institutionnaliste et enfin les travaux récents autour de la notion de gouvernance.
6Dans les années soixante et soixante-dix, un double processus transforme la question régionale en Europe de l’Ouest : la mise en œuvre par les administrations centrales de différentes politiques territoriales et l’émergence de mouvements politiques régionalistes et/ou nationalistes. Ces deux dimensions du fait régional donnent naissance à deux perspectives théoriques et méthodologiques bien distinctes : une approche top down qui se concentre sur les politiques institutionnelles ou d’aménagement du territoire développées par les administrations centrales pour intégrer les périphéries politiques et économiques, et une approche bottom up qui s’intéresse aux mobilisations politiques à l’échelle régionale
7La majeure partie des travaux de l’approche top down est l’héritière des grilles de lectures du « vieil institutionnalisme » pour reprendre la formule de James G. March et Johan P. Olsen (1989). En effet, jusqu’à la fin des années cinquante, la recherche en science politique s’écarte rarement dans ce domaine de l’étude des formes prises par les constitutions et les structures administratives des États. Le changement dans un système politique est pensé à travers l’élaboration de nouvelles structures institutionnelles. Ainsi, concernant la question régionale, l’approche top down prend systématiquement pour point de départ une réforme institutionnelle, c’est-à-dire un statut ou une législation nouvelle, qui est supposée engendrer un certain nombre de modifications dans les relations centre/périphérie avec l’introduction de nouvelles structures d’administration et/ou de représentation. Des travaux de ce type sont menés sur la Belgique7, l’Espagne, la France ou l’Italie8 (Mény 1982 ; Tarrow et al. 1978). Cette approche contribue à établir une relation étroite entre l’intervention des pouvoirs publics et l’institutionnalisation du fait régional. En France, la sociologie des organisations enrichit cette approche en mettant l’accent sur le décalage entre les objectifs fixés et les effets que produisent ces réformes sur le jeu des acteurs locaux. Elle produit ainsi de riches études sur les différentes réformes régionales françaises comme la création des Commissions de développement économiques régionale (CODER) en 1964 ou le vote des lois de décentralisation en 1982 (Grémion et Worms 1968 ; Rondin 1985). Il en a résulté un paradigme dominant dans l’interprétation des relations centre/périphérie en France, celui de la collusion entre le préfet et ses notables qui, en adaptant localement la norme centrale, apprivoise le « jacobinisme » (Grémion 1976). Concernant le processus de régionalisation, on peut néanmoins regretter le peu d’intérêt porté par la sociologie des organisations à l’historicité des dynamiques politiques qu’elle a étudiées9. Les logiques des acteurs ne sont appréhendées qu’à travers les contextes d’action créés ou révélés par la réforme, et non pas à travers des normes d’action collective préalablement construites.
8Inversement, l’approche bottom up appréhende le phénomène régional à travers les groupes d’acteurs qui se mobilisent pour la reconnaissance de « régions naturelles » ou de « droits historiques ». Le fort développement de ces mouvements dans les années soixante-dix et quatre-vingt en Europe de l’Ouest fait du régionalisme un vaste champ d’étude où l’on ausculte les modes d’organisation, les idéologies et les stratégies de ces mouvements (De Winter et Türsan 1998 ; Hechter 1975 ; Watson 1990). En France, plusieurs auteurs étudient la formation de mouvements régionaux dans le cadre plus large d’une recrudescence des mouvements sociaux liés à la crise économique de certains secteurs traditionnels comme en Bretagne ou dans le Midi de la France (Dulong 1975 ; Lafont 1974 ; Quéré 1978). Si en France cette approche est minoritaire, elle est davantage répandue dans d’autres pays, par exemple dans la science politique espagnole ou belge où le processus de régionalisation est avant tout perçu à travers la naissance ou la réactivation des mouvements régionalistes contestant l’autorité de l’administration centrale. Ces deux grandes perspectives, qui ont dominé les débats dans la science politique européenne depuis plus d’une vingtaine d’années, comportent un inconvénient principal. Elles surdéterminent un facteur d’explication causal dans l’interprétation des processus de régionalisation : la création de nouvelles institutions pour l’approche top down et la construction de mouvements régionalistes pour l’approche bottom up. Tenant compte de ces limites, certaines analyses influencées par le paradigme centre/périphérie, développé notamment par Stein Rokkan et Derek Urwin (1982, 1983), ont tenté de réconcilier ces deux approches. Elles considèrent les dynamiques régionales comme le résultat des interactions entre deux mouvements interdépendants, l’un, descendant, produit par l’ensemble des dispositifs et procédures mis en place dans le cadre des politiques de régionalisation administrative et économique, l’autre, ascendant, produit par les revendications régionalistes (Hebbert et Machin 1985 ; Mény et Wright 1986).
9A la suite des années soixante-dix, plusieurs pays d’Europe de l’Ouest, dont la France et l’Espagne, voient se structurer des institutions régionales en tant qu’échelon de représentation politique et d’action publique. Dès lors, une série d’analyses, diverses dans leurs inspirations théoriques, prennent pour objet d’étude les institutions régionales en tant que telles. Tout d’abord, un ensemble de travaux oriente l’analyse sur la ou les fonctions des institutions régionales par rapport à l’administration centrale et aux collectivités locales. Dans chaque système politico-administratif, on ausculte les secteurs d’intervention de ces institutions et leurs moyens d’action légaux et financiers (CURAPP 1984). La fonction de représentation politique de ces institutions est aussi largement étudiée, en particulier à travers le rôle des élections régionales dans le processus d’institutionnalisation des régions et des trajectoires sociales et politiques des élites régionales (Dauvin 1994 ; Percheron 1987 ; Perrineau 1987). D’autres travaux s’intéressent encore à la « popularité » de ces institutions par rapport aux autres niveaux d’administration (OIP 1993). Enfin, l’analyse des politiques publiques régionales souligne la prise en charge progressive par ces institutions d’un large éventail de problèmes locaux, aussi bien dans l’agriculture, le développement économique et industriel, l’environnement que dans l’éducation, la formation professionnelle ou la santé (CURAPP 1993 ; Le Pape et Smith 1998 ; Pongy et Saez 1994 ; Rico et al. 1998). Ces politiques sont analysées comme étant les vecteurs possibles d’une autonomisation des institutions régionales dans la gestion de l’action publique territoriale. L’importation progressive en Europe des théories néo-institutionnalistes débouche sur des travaux de nature différente10. Robert Putman (1993) fait se rejoindre néo-institutionnalisme11 et théorie démocratique pour mesurer la « performance institutionnelle12 » des régions italiennes. Il montre comment la construction d’un capital social spécifique dans certaines sociétés régionales sous la forme de normes de réciprocité, de réseaux d’engagement politique peut expliquer aujourd’hui les différences de « performance » entre les institutions régionales italiennes. Dans une perspective plus proche du néoinstitutionnalisme sociologique, Olivier Nay (1997) s’intéresse, à partir d’une étude de cas sur la région Aquitaine, aux dynamiques d’institutionnalisation de la région à travers l’apprentissage par les groupes sociaux, notamment de la profession agricole, de règles de négociation corporatiste à l’échelle régionale. L’apport principal de cette approche tient à l’analyse fine de la construction des règles politiques propres à l’institution régionale. Le processus d’institutionnalisation de structures régionales ne se résume plus à un statut, en l’occurrence aux lois de décentralisation, mais s’inscrit dans des dynamiques de stabilisation des règles et des pratiques bien plus larges. Concernant le phénomène régional, les analyses néo-institutionnalistes apportent principalement une prise en compte du temps long dans la stabilisation des interactions politiques à l’échelle régionale. Cependant, de façon générale, les approches institutionnelles, en particulier en France, souffrent d’un double déséquilibre méthodologique et théorique, avec une très faible place qui est faite à la méthode comparative et une surabondance des travaux consacrés aux logiques de représentation politique au détriment de l’analyse de l’action publique.
10L’analyse du phénomène régional est influencée aujourd’hui par un nouveau paradigme, celui de la gouvernance13. La théorie de la gouvernance a fait son apparition dans les sciences sociales voici une quinzaine d’années. Pour Robert Jessop (1998, p. 34), « l’intérêt porté à la gouvernance comme grand thème d’investigation est ancré dans le rejet de plusieurs dichotomies schématiques dont les sciences sociales se nourrissent : marché et hiérarchie en économie ; marché et plan dans les analyses de l’action publique ; privé et public en politique ; anarchie et souveraineté en relations internationales ». En science politique, le paradigme de la gouvernance apparaît dans la littérature anglo-saxonne au début des années quatre-vingt-dix14 (Mayntz 1993). Ce courant repose sur deux postulats principaux : une crise de gouvernabilité avec l’affaiblissement du guidage centralisé de l’État et l’épuisement des formes traditionnelles d’action publique. Ainsi, les tenants de cette théorie ne s’intéressent plus seulement au gouvernement, à ses pouvoirs et ses instruments, mais aussi à des mécanismes alternatifs de négociation et de gestion de l’action publique entre différents groupes d’acteurs au sein de sous-systèmes de politiques publiques ou d’échelons territoriaux. D’où l’intérêt porté par un certain nombre d’auteurs à l’émergence de nouveaux acteurs politiques infranationaux, les villes et les régions essentiellement (Le Galès 2003). Néanmoins, les usages du paradigme et de la terminologie varient assez largement. Les théoriciens de la gouvernance multi-niveaux (multilevel governance) avancent une hypothèse néo-fonctionnaliste (Hooghe 1995 ; Jeffery 1997 ; Marks 1993, 1996). Ces derniers analysent l’Union européenne comme une configuration en évolution au sein de laquelle les institutions de l’Union consolideraient leurs pouvoirs supranationaux, les États perdraient les leurs, et un troisième niveau, la région, émergerait comme un acteur à part entière. En participant à la mise en œuvre de la politique des fonds structurels et en investissant de nouveaux réseaux transnationaux de politique publique, les institutions régionales deviendraient des acteurs de premier plan de la nouvelle « gouvernance européenne » à l’image des États fédérés nord-américains et canadiens. Si cette proposition apparaît avant-gardiste, les outils théoriques mobilisés sont beaucoup plus conventionnels. Par bien des aspects, la théorie de la multilevel-governance reproduit les présupposés de l’approche top down la plus institutionnaliste. Le changement est perçu à travers un facteur descendant unique, les progrès universels de l’intégration communautaire dont l’acteur principal est la Commission européenne. Les analyses s’intéressent beaucoup plus aux niveaux (levels) institutionnels qu’aux interactions entre les institutions et les formes sociétales (Lequesne et Smith 1997ab). Le rôle des gouvernements régionaux (subnational governments) est perçu exclusivement à travers leur implication formelle dans un certain nombre de politiques alors que les relations conflictuelles ou coopératives qu’ils entretiennent avec les autres niveaux d’administration et un large éventail d’acteurs territoriaux ne sont pas intégrées à l’analyse. Aussi séduisante soit-elle, cette théorie reste donc largement prescriptive et se heurte à d’autres approches qui font un bilan plus nuancé des dynamiques de régionalisation en Europe.
11Ces approches ont en commun d’aborder la « gouvernance » selon une grille de lecture plus ascendante. Que ce soit les analyses en terme de « gouvernance régionale », de « néorégionalisme », ou d’« échanges politiques territorialisés », elles essayent d’évaluer dans quelle mesure les logiques de recomposition de l’action publique peuvent générer de nouvelles formes d’organisation et de mobilisation à l’échelle régionale (Balme 1996 ; Négrier 1995 ; Négrier et Jouve 1998). Cependant, la recherche d’explications causales des dynamiques de régionalisation diverge. Certains travaux analysent les nouvelles mobilisations régionales comme des tentatives des groupes sociaux de s’organiser pour résister ou s’adapter politiquement, culturellement ou économiquement aux logiques de la globalisation (Balme 1996 ; Le Galès et Lequesne 1997 ; Keating et Loughlin 1996). Ces mobilisations émergeraient sur la base de projets de collectifs liés à certaines spécificités politiques ou culturelles. D’autres études se veulent plus attentives aux interactions entre ces mobilisations, le jeu politique local ou encore la construction sociale du territoire (Bukowski et al. 2003 ; Négrier et Jouve 1998 ; Pasquier 2003a). De façon plus générale, ces approches autour de la « gouvernance » ont le principal mérite d’avoir mis l’accent sur les interactions entre intégration communautaire et mobilisations régionales et réhabilité les approches comparatistes pour appréhender le phénomène régional. Cependant, si la « réalité » des transformations politiques que décrit le concept de gouvernance est partagée par une large communauté de chercheurs, les marges d’incertitudes dans les définitions du concept, la multiplication des usages savants et profanes en font davantage un champ de recherches qu’un cadre interprétatif et explicatif.
Un cadre d’analyse comparatif : la capacité politique régionale
12Le choix de la comparaison est indissociable de notre objet de recherche. Pour traiter des dynamiques de régionalisation à l’échelle européenne, il paraît tout à fait déterminant d’adopter cette démarche intellectuelle. En effet, peu d’études adoptent des cadres comparatifs transnationaux homogènes et les résultats des travaux sont assez souvent disparates. L’intérêt majeur de la comparaison réside dans sa faculté à isoler des variables explicatives de la capacité politique différentielle des institutions régionales à l’échelle européenne et à en évaluer le poids respectif. Si l’analyse comparative est l’une des plus vieilles méthodes d’étude du politique, elle n’en comporte moins quelques risques théoriques et méthodologiques qu’il ne faut pas sous-estimer15. Ainsi, Patrick Hassenteufel (2000, p. 107) souligne qu’avec le développement récent d’un nombre important de travaux comparatifs, ce type d’analyse comporte un risque croissant de se transformer en une « comparaison canada dry ». Pour cet auteur, ce sont « des travaux qui ont l’apparence de la comparaison mais qui, en définitive, quand on les regarde de plus près, n’en sont pas ou si peu. C’est souvent le cas d’ouvrages collectifs, portant par exemple, sur une politique publique sectorielle, formés de chapitres couvrant un cas national et rédigés par des auteurs différents (en général du pays traité). La comparaison se réduit alors à de vagues considérations introductives (voire conclusives), dans la mesure où la présentation des différents cas nationaux n’est pas faite à partir d’une grille d’analyse partagée et homogène16 ». Pour éviter ces écueils il est nécessaire de prendre plusieurs précautions théoriques et méthodologiques aussi bien dans la stratégie de recherche que l’on adopte que dans la grille de lecture que l’on développe.
13La première exigence pour le comparatiste est de forger des concepts qui soient applicables à l’ensemble des cas étudiés (Rose 1991). Dans cette perspective, on développe ici le concept de capacité politique régionale. Dérivée de la notion de « capacité de gouvernement17 » (Stone 1989, 1993), on peut définir la capacité politique comme un processus complexe de définition d’intérêts, d’organisation et de coordination de l’action collective qui permet à des institutions et à des groupes d’acteurs publics et/ou privés de réguler des problèmes collectifs dans des contextes d’action fragmentés et fluides que sont les espaces régionaux. Une capacité politique ne se résume donc pas à des ressources institutionnelles mais induit la construction de formes de coopération entre des institutions et des acteurs divers autour d’un univers anticipé. Ceci ne signifie pas que le conflit est absent des relations socio-politiques mais que le processus de gouvernement nécessite des pratiques et des normes qui conditionnent la capacité d’action collective et de régulation politique des institutions et des acteurs régionaux. L’hypothèse centrale de ce travail est que l’on doit appréhender la capacité politique régionale en tant que processus historique, dans le temps long de la construction sociale des territoires régionaux et des relations centre/périphérie. Un ensemble de pratiques et de représentations sédimentées dans le temps façonnent les structures institutionnelles régionales et orientent leurs actions dans la mesure où les acteurs qui les investissent sont porteurs de cette histoire incorporée18 (Bourdieu 1980). La capacité politique régionale résulte de cette interaction complexe entre les pratiques et croyances héritées et les dynamiques du changement social qui viennent modifier régulièrement les répertoires d’action des acteurs régionaux. Il ne faut donc pas voir dans cette perspective un quelconque « déterminisme » mais une tentative d’appréhension de la « capacité différentielle des ordres institutionnels » à l’échelle régionale (Lagroye 1997, p. 177). L’enjeu est de comprendre comment les institutions et les groupes d’acteurs régionaux incorporent tout à la fois les expériences historiques et le changement social dans leurs logiques d’action19.
14Ainsi, l’analyse s’intéresse tout d’abord à la construction des modèles régionaux d’action collective. On peut les définir comme un ensemble de pratiques politiques et de représentations du monde stabilisées et territorialisées dans le temps qui orientent les logiques d’action des groupes d’acteurs régionaux. Ces modèles d’action collective sont très différenciés selon les espaces régionaux. En effet, les régions sont des lieux de mémoire20 et de formation d’identités qui s’inscrivent dans des histoires spécifiques avec des modes de régulation politique et des rapports à l’État différentiels. Les institutions régionales n’ont pas été créées ex nihilo. Elles résultent d’une combinaison de dynamiques institutionnelles et socio-politiques qui a produit des configurations d’acteurs et des cadres cognitifs très divers selon les espaces régionaux. Certaines ne doivent leur existence institutionnelle qu’à des réformes administratives imposées par l’administration centrale, alors que d’autres se sont constituées en espaces de mobilisation collective bien avant d’avoir une existence juridique effective. Des modes d’action collective spécifiques pénètrent les structures institutionnelles dans la mesure où les acteurs et les groupes sociaux qui les investissent sont porteurs de cette histoire incorporée sous la forme de pratiques et de représentations du monde.
15Les styles nationaux des politiques territoriales21 sont une autre variable déterminante pour comprendre la construction d’une capacité politique régionale. Ces styles nationaux désignent l’ensemble des règles et des ressources institutionnelles, des procédures de politique publique qui façonnent les relations entre les régions et les administrations centrales22 (Richardson et al. 1982). En répartissant des ressources politiques variées, en structurant les espaces politiques régionaux, en définissant des procédures de négociation, d’élaboration et de mise en œuvre des politiques publiques, ces styles délimitent des cadres nationaux d’action dans laquelle s’inscrivent les stratégies des acteurs régionaux. Sédimentés dans le temps, ils participent à la définition des relations entre les niveaux d’administration et influent fortement sur l’évolution des répertoires régionaux.
16Les régions sont impliquées dans un large éventail de processus d’action publique. Que ce soit à l’échelle nationale ou communautaire, les grands enjeux d’action publique se gèrent à travers des processus qui impliquent plusieurs niveaux d’administration et qui génèrent un jeu inter-organisationnel particulièrement complexe. L’actualisation de la capacité politique s’analyse ici à travers une double dimension : la capacité des régions à constituer des coalitions autour de grands enjeux du développement régional et la capacité qu’elles ont à produire des dispositifs d’action publique afin de réguler une série de problèmes collectifs. Les régions doivent être capables de négocier avec plusieurs niveaux d’administration une série d’enjeux d’action publique à l’échelon national et européen. Il leur faut structurer des coalitions (collectivités locales, groupes socioprofessionnels), se constituer en porte-parole d’un territoire et de représenter ses intérêts à l’extérieur dans différentes arènes de politiques publiques. Les régions peuvent ainsi articuler territorialement des formes de « coalitions de cause » autour de certains enjeux politiques et/ou de politiques publiques (Sabatier 1998). L’autre dimension de la capacité politique régionale est la fabrication de politiques publiques. En effet, depuis une vingtaine d’années, la gestion de toute une série de problèmes s’est décentralisée (Duran et Thoenig 1996). Un certain nombre de problèmes collectifs (développement économique, environnement, culture) peuvent recevoir aujourd’hui un traitement régionalisé par le biais de dispositifs régionaux d’action publique. Les régions ont aujourd’hui les moyens de peser dans la gouvernance locale.
17La seconde exigence du comparatiste tient aux cas à étudier. Dans ce travail s’est posé en effet le problème des terrains de recherche. Quelles régions choisir ? Dans quels pays ? Quels secteurs d’action publique étudiés ?
18Selon Charles Ragin (1987), deux types de stratégies de recherche comparatives sont possibles : la stratégie centrée sur les cas et celle centrée sur les variables23. C’est la première que l’on a adoptée. Elle cherche à identifier les cas comparables d’un phénomène et à analyser ensuite les ressemblances et les différences entre ces cas. Cette approche où le nombre de cas doit rester limité et relativement analogue vise une explication contextualisée nécessitant un investissement empirique conséquent pour chaque cas étudié. Dans cette perspective, nos investigations ont concerné deux régions françaises et deux régions espagnoles : la Bretagne et la région Centre en France, la Galice et La Rioja en Espagne24. Le choix de deux régions par pays permet cependant de développer une comparaison à « double tiroir », à la fois inter-nationale et inter-régionale, et donc d’aller au-delà de l’opposition traditionnelle entre systèmes politiques nationaux. Le choix des contextes nationaux s’expliquent par la fait que la France et l’Espagne ont suffisamment de points communs pour que la comparaison soit possible. Jusqu’à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, la France et l’Espagne sont deux États unitaires centralisés qui présentent des modèles d’administration publique et d’organisation territoriale assez proches, très influencés par le modèle napoléonien. De plus, les administrations centrales française et espagnole mettent en œuvre presque simultanément des opérations de rénovation territoriale qui se traduisent, au début des années quatre-vingt, par la mise en place d’institutions régionales élues au suffrage universel direct. Enfin, membres de l’Union européenne, ces États sont le théâtre du développement des politiques publiques européennes. L’analyse des rapports complexes entre régionalisation et européanisation en est donc facilitée. Le choix des régions à l’intérieur de ces cadres nationaux répond à une priorité de sélectionner, dans la mesure du possible, des régions peu étudiées et présentant des trajectoires socio-politiques très distinctes. En effet, les analyses récentes des dynamiques de régionalisation en Europe prennent souvent appui sur des cas « emblématiques », désormais routinisés, que sont la Catalogne en Espagne, Rhône-Alpes en France, le Bade-Wurtemberg en Allemagne ou la Toscane en Italie. Les régions sélectionnées ont été peu ou pas étudiées dans le cadre de recherches récentes sur la « gouvernance régionale », et présentent également des trajectoires historiques intra-nationales très différenciées tout en ayant certaines similitudes inter-nationales. Ainsi, la Bretagne et la Galice connaissent des mobilisations de groupes d’acteurs à l’échelle régionale dès la fin du XIXe siècle, alors que le Centre et La Rioja ont des trajectoires plus récentes directement liées aux processus de décentralisation français et espagnol.
19Reste maintenant à préciser le matériau empirique utilisé. Pour l’analyse des modèles régionaux d’action collective, on s’appuie sur une campagne d’archives orales et écrites afin de saisir la spécificité des pratiques et des croyances propres aux espaces régionaux étudiés depuis la moitié du XXe siècle. Concernant les champs de l’action publique dans lesquels on a cherché à évaluer la capacité politique, notre choix a été guidé par le souci de positionner l’analyse à différents niveaux, aussi bien au niveau régional qu’à l’échelle locale, nationale ou communautaire, et de privilégier des sites d’observation qui soient au cœur des grandes transformations de l’action publique contemporaine où interviennent une multiplicité d’acteurs (acteurs privés, collectivités locales, régions administration centrale et Commission européenne). Seule une approche multi-enjeux et multi-niveaux paraissait en mesure d’éclairer les dimensions de la capacité politique des régions européennes et d’apporter un cadrage nouveau sur les interactions entre régionalisation et « gouvernance polycentrique » en Europe. Dans cette perspective, les enquêtes ont porté à l’échelon national sur des séquences de négociation de l’action publique impliquant les régions et les administrations centrales, les négociations des contrats de plan État-Régions (1994-1999 et 2000-2006) en France, sur des échanges institutionnalisés correspondants en Espagne, en l’occurrence les négociations autour des transferts de compétences et le financement de programmes autoroutiers. A l’échelon communautaire, l’étude s’est attachée à prendre la mesure des négociations et de la mise en œuvre dans chaque région de la politique régionale communautaire (1994-1999 et 2000-2006), des stratégies de lobbying déployées par les acteurs régionaux vis-à-vis de la Commission européenne ainsi que les partenariats transrégionaux développées par les élites régionales dans l’espace communautaire25. Enfin, pour analyser la capacité régionale26 à peser dans le gouvernement local, une troisième enquête s’est intéressée à la mise en œuvre de politiques régionales de développement territorial dans les régions françaises et espagnoles. Ces politiques ont en effet la particularité d’établir de nouveaux cadres territoriaux infra-régionaux pour le développement local en s’appuyant sur les notions similaires de « pays » en France et de « comarca » en Espagne. Ces politiques qui s’appuient sur des principes d’action très ressemblants, empruntés à l’action publique européenne, participent à une recomposition des territoires d’action au niveau local et génèrent de fortes luttes institutionnelles entre les institutions régionales, les collectivités locales et les administrations centrales soulignant, s’il en était besoin, les processus de recomposition qui sont à l’œuvre.
20Le plan de cet ouvrage suit l’hypothèse constructiviste évoquée en amont. Les deux premiers chapitres analysent la construction de pratiques, de représentations spécifiques à l’échelon régional et national qui influent sur les possibilités d’action des acteurs régionaux en France et en Espagne. Les deux chapitres suivants s’attachent à étudier l’actualisation de cette capacité politique à travers la négociation des politiques publiques européennes et la recomposition des territoires locaux initiée par les régions françaises et espagnoles.
Notes de bas de page
1 Depuis une décennie, la redécouverte du « local » et du territoire par diverses disciplines des sciences sociales fournit des indices intéressants sur les possibles recompositions des intérêts et des identités. Ainsi, en s’intéressant au succès ou au déclin de certains territoires, des économistes ont souligné l’importance de formes organisationnelles dans le succès de systèmes productifs locaux ou régionaux. Ces systèmes locaux se caractérisent par des modes particuliers de coordination des acteurs, par des règles et des conventions originales (Benko et Lipietz 1992 ; Pecqueur 1989). Des sociologues ont également montré comment des communautés politiques locales singulières caractérisées par des structures sociales, des valeurs, des rapports au politique particuliers généraient des dynamiques économiques localisées vertueuses dans le nord de l’Italie, dans la région lyonnaise ou dans certaines métropoles américaines (Bagnasco et Trigilia 1993 ; Ganne 1991 ; Stocker et Mossberger 1992). En prolongeant ces analyses, des économistes et sociologues ont même proclamé l’avènement d’un post-fordisme centré sur la flexibilité d’unités locales de production et légitimant du même coup les niveaux intermédiaires d’organisation sociale et politique (Jessop 1994).
2 La notion de région recouvre différentes acceptions. Les relations internationales l’utilisent dans un sens global pour décrire une partie d’un continent. La région est définie ici comme un territoire sociopolitique à l’intérieur d’un État.
3 En France, la réforme de décentralisation initiée par Jean-Pierre Raffarin, fin 2002, illustre ce processus continu. A ce sujet se reporter au chapitre 2.
4 Pour mesurer les inégalités territoriales, l’Office statistique des Communautés européennes a été confronté à cette difficulté. Il a été contraint de distinguer trois types d’unités statistiques territoriales (NUTS I, NUTS II, NUTS III) pour couvrir la variété des échelons « régionaux » en Europe, du landër allemand au comté britannique.
5 Le 8 novembre 1998 les électeurs portugais ont repoussé un référendum sur la régionalisation à plus de 60 %. Ce projet prévoyait la création de huit autorités régionales dotées de pouvoirs autonomes pour gérer les fonds publics.
6 Se reporter notamment à l’ouvrage de Benko et Lipietz (1992).
7 L’événement clé dans le développement du fédéralisme belge est la division, en 1963, de l’État unitaire belge en deux zones linguistiques distinctes, l’une flamande, l’autre francophone. Ensuite, une série de réformes institutionnelles en 1970, 1980, 1988 et 1993 accélèrent la fédéralisation de l’État belge.
8 La constitution italienne de 1948 prévoit l’élection au suffrage universel direct de gouvernements régionaux. Ces dispositions constitutionnelles sont appliquées immédiatement à cinq « régions spéciales » (Trentin Haut-Adige, Frioul Vénétie Julienne, Val d’Aoste, Sicile et Sardaigne) qui connaissent des mouvements régionalistes actifs. En revanche, dans les régions « ordinaires » qui représentent 85 % de la population italienne, il faut attendre le début des années soixante-dix pour voir se créer des conseils régionaux élus au suffrage universel à cause des réticences de l’administration centrale à voir son autorité se diluer, et la crainte des chrétiens-démocrates de voir les communistes prendre le contrôle de plusieurs régions, notamment dans le centre-nord de l’Italie.
9 Notons, cependant, que les travaux d’Olivier Borraz (1998) sur le gouvernement municipal intègrent dans une perspective de sociologie des organisations une forte dimension diachronique.
10 Plusieurs courants composent le label « néo-institutionnalisme ». Peter A. Hall et Rosemary C. R. Taylor (1996) distinguent trois grandes approches : le néo-institutionnalisme historique ; le néo-institutionnalisme des choix rationnels moins connu en France ; et enfin le néo-institutionnalisme sociologique.
11 Robert Putman s’appuie principalement sur les travaux du néo-institutionnalisme des choix rationnels et sur les travaux de James Coleman autour de la notion de « capital social ».
12 Pour évaluer la performance d’un gouvernement démocratique, en l’occurrence des gouvernements régionaux italiens, Putman et son équipe (1993) retiennent deux dimensions : la réceptivité du gouvernement aux attentes des administrés (responsiveness) d’une part, et l’efficience des autorités dans la conduite des affaires publiques (effectiveness). Douze indicateurs permettent de mesurer empiriquement cette performance : trois évaluent la qualité de gestion interne des institutions (stabilité des gouvernements, calendrier budgétaire, services statistiques et d’information), deux se rapportent à la capacité d’identification des besoins sociaux et de proposer des solutions novatrices (travail législatif, innovation législative), six évaluent la capacité des régions à résoudre des problèmes et à fournir des services (centres de soin de jour, cliniques de consultation familiale, instruments de politiques industrielles, dépenses pour l’agriculture, dépenses locales de santé par habitant, logement et développement urbain), enfin la dernière mesure évalue comment les administrations régionales répondent aux demandes des administrés (réceptivité démocratique).
13 Les travaux que nous évoquons ici ne se réclament pas tous de ce courant mais partagent un certain nombre de ses postulats, en particulier concernant les transformations de l’action publique à l’échelle européenne.
14 En 1992, le Conseil pour la Recherche économique et sociale de Grande-Bretagne lance un important programme de recherche sur « la gouvernance locale » pour analyser les nouveaux réseaux de la gestion urbaine.
15 Dans les années soixante et soixante-dix, l’analyse comparative connaît un essor considérable sous l’impulsion de l’école développementaliste avant d’entrer dans une « crise » profonde (Badie et Hermet 1990). Depuis une quinzaine d’années, une nouvelle génération de travaux comparatifs est apparue dont le néo-institutionnalisme est l’un des ciments. Apparus aux États-Unis au milieu des années soixante-dix, ces travaux s’intéressent principalement aux politiques publiques. Ce n’est pas un hasard si ce courant d’analyse se développe d’abord aux États-Unis car les chercheurs sont confrontés dans un cadre fédéral à une hétérogénéité des contextes. La multiplication des monographies sur tel ou tel secteur dans tel ou tel État fédéré, pose très tôt des problèmes de comparabilité. Ce n’est pas non plus un hasard si les premiers travaux d’analyse comparée des politiques publiques en Europe sont menés en Allemagne puis en Italie où les différences territoriales sont également importantes. Le moindre développement de ce type d’études en France s’explique à la fois par le petit nombre de spécialistes de la discipline et sans doute aussi par l’hypothèse implicite que les variances dans un système centralisé sont trop faibles pour justifier une étude comparative.
16 Dans sa typologie des risques méthodologiques des travaux comparatifs, Patrick Hassenteufel (2000) ajoute la « comparaison jivaros » qui vise le réductionnisme quantitativiste et la « comparaison ventriloque » dans laquelle la façon de construire la comparaison détermine a priori le résultat.
17 Les années quatre-vingt sont marquées par un profond renouvellement des études urbaines américaines. Des approches en termes de régimes urbains (urban regime) ou de coalitions de croissance (growth coalitions), apportent des éclairages nouveaux sur la constitution des coalitions de gouvernement et des formes de leadership urbain. Le point de départ des travaux de Clarence Stone est une brillante étude monographique sur le régime urbain de la ville d’Atlanta de 1946 à 1988. Clarence Stone (1989, p. 6) définit un régime urbain comme « les arrangements informels par lesquels les autorités publiques et les intérêts privés coopèrent dans le but d’élaborer et de mettre en oeuvre des décisions de gouvernement ». A partir d’un cadre théorique empruntant à la sociologie des organisations, de l’action collective et à l’économie des transactions, cet auteur s’interroge sur les dynamiques permettant à des institutions et des groupes sociaux, dont les intérêts ne coïncident pas nécessairement, d’appliquer des décisions de gouvernement « innovantes » pour faire face à un contexte de fort changement social, alors que ces conditions n’ont pas été réunies dans d’autres villes américaines similaires. L’hypothèse que Stone développe est que la capacité de gouvernement (capacity to govern) ou la capacité d’action (capacity to take action) de la coalition de gouvernement n’est pas principalement attachée à la détention d’une fonction institutionnelle de commandement ni au résultat d’un rapport de force. Elle est le produit des arrangements négociés, informels et stabilisés dans le temps par lesquels s’est réalisée une coalition d’acteurs dont la combinaison des ressources a permis la poursuite d’une action collective. Pour avoir en langue française une synthèse claire des travaux de Clarence Stone, il est indispensable de lire l’article de Jean-Yves Nevers (1997).
18 Comme le note Pierre Bourdieu (1980, p. 6), « toute action historique met en présence deux états de l’histoire (ou du social) : l’histoire à l’état objectivé, c’est-à-dire l’histoire qui s’est accumulée à la longue du temps dans les choses, machines bâtiments, monuments, livres, théories, coutumes, droit etc., et l’histoire à l’état incorporé, devenue habitus (…). Cette actualisation de l’histoire est le fait de l’habitus, produit d’une acquisition historique qui permet l’appropriation de l’acquis historique ».
19 A cet égard, notre perspective est très proche du néo-institutionnalisme historique qui définit les institutions comme des comportements cohérents et des règles stabilisées, produits d’une histoire, influant sur les pratiques et les représentations des acteurs politiques (Steinnmo et al. 1992).
20 Pour Pierre Nora (1984, p. 8), « la mémoire (…) est un cadre plus qu’un contenu, un enjeu toujours disponible, un ensemble de stratégies, un être-là qui vaut moins par ce qu’il est que par ce que l’on en fait ».
21 Pour le concept de style de politique publique on renvoie ici à l’ouvrage de Jeremy Richardson (1982).
22 « We are interested in whether societies develop standard operating procedures for making and implementing policies (…) These reflect often deep-rooted values in society (sometimes even in the form of constitutional and legal rules) » (Richardson et al., p. 2)
23 La stratégie centrée sur les variables vise exclusivement les généralisations. C’est une démarche quantitative. Le chercheur étudie un nombre de cas aussi élevé que possible en désagrégeant chaque cas en un nombre limité de variables. Les cas non conformes à l’hypothèse générale sont souvent qualifiés de déviants.
24 Se reporter aux cartes 1, 2, 3 et 4 dans le chapitre 1.
25 Plusieurs dizaines d’entretiens semi-directifs en direction des élus régionaux, des administrations régionales, de certains groupes d’intérêt régionaux, des collectivités locales, des administrations centrales et de la Commission européenne. Ces entretiens ont été complétés par une étude systématique des procès verbaux des assemblées régionales et de la presse régionale dans les domaines qui nous intéressaient, et par l’analyse d’un ensemble de documents à usage externe ou interne des institutions rencontrées (régions, administration centrale, Commission européenne).
26 Lorsque nous avons réalisé nos enquêtes de terrain, les régions Bretagne, Centre et Galice avaient déjà mis en œuvre ce type de politiques. En Rioja, l’administration régionale n’était qu’à la phase d’élaboration de cette politique. Cependant, ce léger décalage dans la temporalité de fabrication des politiques entre la Galice et La Rioja s’est révélé tout à fait pertinent pour identifier l’ensemble des dynamiques administratives et partisanes qui participent à l’élaboration des politiques régionales en Espagne.
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