9. Quand l’arène politique s’en mêle : la mise en place des zones franches urbaines
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Texte intégral
1Les premières réformes des gouvernements Juppé offrent des terrains féconds pour qui souhaite interroger la notion de changement dans les politiques publiques à partir d’une analyse centrée sur l’arène politique. Fin mai 1995, l’alternance présidentielle crée en effet une situation doublement inédite : première du genre après une période de cohabitation, elle permet en outre l’accession au poste de Premier ministre d’Alain Juppé, ancien membre du gouvernement précédent, dirigé alors par Édouard Balladur, Premier ministre, devenu lui-même, entre temps, adversaire de campagne du candidat Chirac. Que ce soit la « Réforme de l’État », premier programme public du gouvernement1 (Bezes, 2000), le « plan Juppé » concernant la protection sociale (Hassenteufel et al., 1999) ou le Pacte de relance pour la ville, tous trois semblent constituer des points d’entrée privilégiés pour confronter un discours politique de la rupture radicale à des pratiques d’action publique et le replacer dans une longue série de précédents. Encore peu étudiée, la troisième de ces entreprises réformatrices sera l’objet de ce chapitre2.
2L’institution des zones franches urbaines, créées par la loi du 14 novembre 1996 relative à la mise en œuvre du Pacte de relance pour la ville, a été présentée comme une très nette inflexion de la politique de la ville dans le sens de l’action économique. Pour Jean-Claude Gaudin, alors ministre de l’Aménagement du territoire, de la Ville et de l’Intégration, ce pacte s’attache, « pour la première fois, à placer la relance de l’emploi, le développement économique et l’esprit d’initiative au cœur de la problématique des quartiers difficiles, laquelle a surtout jusqu’à présent été traitée sous un angle social en privilégiant des politiques d’assistance aux individus et aux familles3 ».
3Affiché à la fois comme un changement de dispositif, d’orientation politique et de grille de lecture des problèmes, ce plan d’action connut une mise en œuvre aussi rapide qu’éphémère : engagement électoral du nouveau Président de la République élu en mai 1995, les zones franches entrèrent en vigueur au 1er janvier 1997. Mais, dès le premier rapport d’évaluation déposé au Parlement en mars 1999, le gouvernement entend « se borner à moraliser le dispositif jusqu’à son extinction légale4 » et « substituer à l’outil inopérant des zones franches des instruments susceptibles d’assurer plus efficacement la revitalisation économique des quartiers en difficulté » inscrits dans les contrats de ville pour 2000-2006. (Cahin, 1999, p. 477). C’est cette brève histoire des zones franches, fleuron d’un dispositif-phare d’un nouveau pouvoir, que nous voudrions ici comprendre en nous interrogeant sur les initiateurs du projet et sur les soutiens mobilisés, et en décrivant les grilles de lecture des problèmes et les registres de justification sur lesquels a pu s’appuyer la mise en place de ce nouvel instrument. Le passage d’une lecture sociale des problèmes à une lecture économique s’est-il accompagné d’une technicisation des débats, de l’apparition de nouveaux intervenants et d’une stabilisation des schèmes explicatifs de la « crise des banlieues » ?
4Notre lecture reposera sur l’hypothèse suivante : la vitesse et la facilité avec lesquelles s’est imposée une grille d’analyse forgée dans l’arène politique et lourde de charges symboliques s’explique par une triple instabilité : une faible institutionnalisation de la politique de la ville comme politique publique dont « l’ancrage […] dans les systèmes d’action ministériels et interministériels demeure problématique » (Dammame et Jobert, 1995, p. 3) ; une grande variabilité des grilles de description et d’analyse des problèmes et donc des diagnostics et solutions proposées ; une importante labilité des arènes publiques.
5Cette hypothèse permet aussi de rendre compte de l’articulation originale d’une configuration spécifique de la politique de la ville et d’une conjoncture politique particulièrement propice au déploiement de rhétoriques du changement. Elle suggère qu’à l’issue d’une campagne présidentielle menée par le futur président sur une thématique étatiste, le nouveau gouvernement trouve dans la politique de la ville un domaine à très forte charge symbolique, particulièrement favorable à l’affirmation d’une volonté de changement. Ce terrain permettait en effet de décliner le thème de la fracture sociale en fracture territoriale là où justement discours, rhétorique et politique du changement étaient à moindre coût.
6Pour valider ces hypothèses, il convient de croiser deux approches : la première en terme d’« arènes », la seconde en terme de « métier politique ».
7Les outils des approches cognitives des politiques publiques (notion de référentiel, de secteur, distinction forum/arène, etc.) semblent peu heuristiques dans le domaine de la politique de la ville. Il est en effet difficile de déterminer ce que pourrait désigner l’arène sectorielle dans le cas de la politique de la ville : stratification progressive de dispositifs, s’ajoutant les uns aux autres sans s’exclure mutuellement, cette politique peut être lue comme un exemple de politiques « bricolées » pour reprendre les termes de Patrick Le Galès, soulignant ainsi « combien ces politiques sont peu stabilisées, sans “référentiel”, aux objectifs incertains, sans groupes d’intérêt, avec des acteurs si changeants qu’il est parfois même difficile d’identifier un réseau » (Le Galès, 1995b, p. 270). Difficile aussi de repérer pour cette politique divers forums de production des idées, comme le fait Ève Fouilleux dans le cadre de son analyse de la politique agricole distinguant forums scientifique, professionnel et de la rhétorique politique (Fouilleux, 1998).
8On préférera alors s’appuyer sur la clarification conceptuelle des notions de publicité et d’espace public proposée par Nicolas Dodier qui semble constituer un cadre d’analyse plus souple, plus adapté à la plasticité de la politique de la ville, à ses conditions d’élaboration et de réception :
« Nous utiliserons le terme général d’arène pour qualifier un dispositif visant à mettre en relation des locuteurs et les audiences auxquelles ils s’adressent. Quatre éléments caractérisent généralement une arène : 1. Des conditions régissant l’entrée des locuteurs et ce sur quoi ils peuvent s’exprimer ; 2. Des conditions relatives au mode de confrontation entre locuteurs ou entre locuteurs et audience ; 3. Des supports d’inscription des discours produits (papiers, films, vidéos, supports électroniques, etc.) ; 4. Des conditions d’accès pour les audiences (grand public, membres d’une organisation, spécialistes…). Les arènes spécialisées sont celles dans lesquelles les locuteurs et les audiences sont des spécialistes d’un domaine. Nous appelons a contrario, sphère publique l’ensemble des arènes dont l’audience est, au moins au niveau des principes, sans restriction d’accès » (Dodier, 1999, p. 109).
9Ces distinctions permettent en effet de substituer à une approche réifiante d’arènes stables et fortement institutionnalisées, une analyse de la façon dont les arènes se transforment et se reconfigurent.
10De même, l’analyse en terme de « métier » politique (Fontaine et Le Bart, 1994 ; Briquet, 1994) sera ici préférée à celle en terme de « profession » : parce qu’elle met l’accent sur la façon dont sont élaborés ou mobilisés des savoirs, des savoir-faire, des compétences, des aptitudes dans l’exercice quotidien d’activités pratiques, l’approche par le métier politique insiste sur la grande variété des registres utilisés par les acteurs politiques et réhabilite de ce fait le matériau discursif. Surtout, alors que la référence à la profession, en liant la détention d’un savoir à l’exercice d’un monopole sur certaines activités sociales, focalise l’attention sur l’arène politique, la référence au métier s’avère beaucoup plus propice à une étude de la circulation des acteurs et des discours d’une arène à l’autre.
11L’analyse du fonctionnement du système d’arènes publiques de débat autour de la question des banlieues permettra de saisir pourquoi, dans ce domaine, l’annonce du changement était à moindre coût et de comprendre comment le gouvernement a pu passer outre les avis d’une arène spécialisée pourtant très critique quant à l’instauration de zones franches.
Chronique d’un « échec annoncé » : un changement politique de dispositif confronté à une expertise critique
12Simple approfondissement de la géographie prioritaire de la politique de la ville pour les uns, technique de discrimination positive ayant un caractère exorbitant de droit commun pour les autres, l’introduction du dispositif des zones franches permet de questionner la notion de changement dans les politiques publiques. Il peut certes paraître surprenant de s’emparer de ce questionnement à partir du cas des zones franches urbaines, décision unilatérale, prise en cercle fermé à la suite d’un engagement électoral de campagne présidentielle. Dans le cas de la politique de la ville, l’analyse du changement et de ses rhétoriques pourrait paraître plus appropriée à l’étude de nouveaux modes d’action publique regroupés autour de quelques mots-clés : interministérialité, méthode partenariale, contractualisation, « État animateur5 ». Pourtant, c’est cet écart entre un changement d’outil, initié par les acteurs centraux de l’arène politique, et un changement des méthodes d’action publique, impulsé par des acteurs administratifs et professionnels, que l’on voudrait ici interroger.
Du plan Marshall des banlieues au Pacte de relance pour la ville : un changement imposé par l’arène politique ?
13Élément important du programme électoral du candidat Chirac aux élections présidentielles de 1995, préparé ensuite dans l’urgence et le secret au plus haut niveau gouvernemental, annoncé enfin par le Premier ministre et repris par le président lors d’une visite qui lui est consacrée, le Pacte de relance pour la ville se présente comme un programme d’action fabriqué au sein de l’arène politique traditionnelle.
14Il faut distinguer la proposition d’un plan Marshall pour les banlieues de l’instrument économique que constitue la mise en place de zones franches urbaines.
15L’idée d’un « plan Marshall pour les banlieues » n’est pas nouvelle : lors du débat d’orientation sur la ville en avril 1993, premier débat de la nouvelle législature, Gilles de Robien, député-maire d’Amiens, vice-président de l’Assemblée nationale et premier orateur, réclame un « plan Marshall » pour la ville, programmé sur dix ans et financé par un grand emprunt national, « emprunt de sauvetage de nos villes et banlieues6 »; cette expression, sera reprise dans le débat budgétaire par Éric Raoult, rapporteur de la Commission des finances, pour évoquer un « plan Veil-Balladur », désignant ainsi l’affectation de 5 milliards de francs issus de l’emprunt d’État à un « plan d’urgence pour la ville » et un engagement de 9,56 milliards de francs pour la mise en œuvre de 185 « contrats de ville » entre 1994 et 1998 dans le cadre des contrats de plan État-Région. Si cette référence traduit avant tout l’exigence d’augmenter les moyens financiers et l’élévation des problèmes urbains au rang de priorité nationale, elle permet autant une dramatisation de la situation et de ses conséquences éventuelles et un appel à la responsabilité et au volontarisme politique. Pour reprendre la distinction de Philippe Bezes, sont donc exhibées des « intentions d’agir » sans pour autant que soient encore déployées des « capacités d’agir » (Bezes, 2000).
16Quant aux zones franches urbaines7, hormis un amendement déposé par Francis Delattre, alors député-maire UDF de Franconville (Val d’Oise), lors de la discussion du projet de loi d’orientation pour la ville en mai 1991, et proposant la création de véritables « zones franches » dans les « ex-ZUP », on n’en trouve pas trace dans le débat politique avant la fin 1994. Elles apparaissent en effet dans le cadre de la préparation de la campagne présidentielle de 1995 et dans la sphère publique momentanément ouverte et élargie par la proximité de cette échéance8, lorsque les prises de parole d’hommes politiques proches du maire de Paris se multiplient et développent paradoxalement des thèmes étatistes : Pierre Lellouche, député RPR du Val d’Oise depuis mars 1993, monte le premier au créneau pour dénoncer, dans un article intitulé « L’État en première ligne » et publié dans Le Monde des débats9 en décembre 1994, le « maquis décisionnel » de la politique de la ville ; il y accuse les maires d’être les « acteurs de la ghettoïsation » et prône un retour en force de l’État en proposant de « placer les villes et les quartiers difficiles sous administration directe de l’État donc de ses représentants, les préfets10 », première ébauche de ce qui deviendra le modèle des zones franches.
17Au même moment, Jacques Toubon, alors ministre de la Culture et maire du 13e arrondissement de Paris, développe les propositions du candidat lors d’un déplacement à Mantes-la-Jolie, le 21 décembre, et évoque la possibilité de transformer certains quartiers en « zones franches ». Le candidat Chirac enfin, dans son discours-programme du 17 février 1995, établit la connexion entre les deux termes : évoquant la nécessité d’appliquer des « solutions exceptionnelles » à des « circonstances exceptionnelles », il reprend à son tour le mot d’ordre fortement mobilisateur d’un « plan Marshall des cités » avant de proposer la création de zones d’activité bénéficiant d’une fiscalité dérogatoire et assimilables à des zones franches.
18Cette dimension fortement étatiste du discours électoral de Jacques Chirac ne cesse de s’accentuer au cours de la campagne avec l’application du thème de la « fracture sociale » aux problèmes urbains : la « fracture territoriale » appelle le retour de l’État. Quelques jours encore avant les élections, Éric Raoult réintervient dans Le Monde dans une interview dont le titre est sans ambiguïté : « Le “tout-État” est appelé à la rescousse des banlieues en difficulté : il nous faut les pleins pouvoirs11 »; au même moment, Gilles de Robien reprend l’initiative pour proposer un « plan Marshall pour recoudre la ville », dans une tribune libre du journal Libération12.
19Dès la mise en place de la nouvelle équipe gouvernementale, l’engagement électoral prend rapidement forme. Devenu « programme national pour l’intégration urbaine » dans la déclaration de politique générale du Premier ministre Alain Juppé, le 23 mai 1995, le plan désigne alors la mise en place d’un « régime fiscal différencié » accordant de larges exonérations aux entreprises s’installant dans les quartiers concernés.
20Confirmation de la volonté profondément étatiste qui anime le projet, la rédaction d’un rapport est confiée durant l’été à deux préfets : Francis Idrac, alors délégué interministériel à la Ville, et Jean-Pierre Duport, préfet de Seine-Saint-Denis. La première version du « Plan national d’intégration urbaine » est remise le 8 septembre à Éric Raoult, devenu ministre de l’Intégration et de la Lutte contre l’exclusion13 : si les termes de plan Marshall et de zones franches sont gommés, les dispositifs, s’appuyant sur un principe de discrimination positive et des avantages fiscaux massifs, sont là.
21À partir de ce moment, le processus décisionnel est en ordre de marche : concertation ministérielle, délimitation des périmètres et arbitrages financiers ; du fait de la difficulté d’opérer ces derniers, la présentation du plan, initialement prévue le 6 novembre, est repoussée à plusieurs reprises. L’annonce par le Premier ministre a finalement lieu le 18 janvier 1996 à Marseille, ville dont le ministre Jean-Claude Gaudin est le nouveau maire. Si Alain Juppé ne reprend pas à son compte l’expression de « plan Marshall », difficile à assumer après la rigueur des arbitrages financiers, le principe des « zones franches » est au cœur du dispositif. Pour son premier déplacement en province depuis les grèves de décembre, il choisit de tenir un Conseil interministériel à la préfecture des Bouches-du-Rhône, en présence de huit ministres, et ouvert à des maires, des représentants d’associations et d’organisations patronales. Si le choix hautement symbolique de la préfecture constitue un premier écart par rapport à la longue liste des annonces ministérielles dans ce domaine, l’abandon de la traditionnelle visite des quartiers nord de la ville au profit de celle d’un lycée professionnel marque une deuxième inflexion.
22L’obligation pour les deux ministres en charge de la question, d’aller défendre le principe des zones franches devant les commissaires européens chargés de la concurrence et de la politique régionale14, tend encore à renforcer l’impression de centralisme de la décision, d’autant plus qu’elle oblige à reculer la publication des sites retenus et le lancement de l’appel à projets.
23À l’annonce faite par le Premier ministre à Marseille, répond la visite présidentielle de trois jours à Amiens fin avril. Poursuivant le cycle de ses voyages en province (Mariot, 1999), le président vient longuement défendre le pacte de relance pour la ville et appuyer la proposition de zone franche soumise par Gilles de Robien, grand promoteur de l’idée d’un plan Marshall des banlieues : visite des quartiers pressentis, proposition de zone franche soumise par le maire à un conseil municipal, le 25 avril, en présence du président.
24La procédure est encore accélérée : en à peine un mois, les dossiers de candidature sont remis au ministère ; deux semaines plus tard, le projet de loi passe en Conseil des ministres ; tous soulignent à l’envie la grande célérité avec laquelle est adopté fin juin, en première lecture à l’Assemblée, le projet de loi de Pacte de relance pour la ville15. Dès la fin de la navette parlementaire, sont publiés, au JO du 28 novembre, les décrets d’application définissant les périmètres ; les mesures d’exonération de charges sociales et fiscales entrent en vigueur le 1er janvier 1997.
25Menée tambour battant, la mise en place des zones franches s’est jouée tout entière dans l’arène de la représentation politique avec des acteurs centraux s’appuyant sur leurs interventions dans la sphère publique pour légitimer leur action. Peu recherchés, les soutiens, hormis certains élus directement concernés par le dispositif, ne se sont pas manifestés.
Une contestation de l’outil par l’arène spécialisée ?
26L’annonce d’un changement de politique ne suffit pas à attester la réalité de celui-ci ; au contraire, les effets d’annonce peuvent aussi bien être les indices d’un immobilisme ; quant au changement, s’il a bien lieu, encore faut-il déterminer dans quelle arène il a été initié. Plutôt que de se contenter des déclarations des professionnels de la politique, toujours enclins à exhiber leur capacité d’action et leur rôle moteur dans la mise en place de nouveaux instruments, il convient d’observer comment se manifestent les soutiens et les adhésions au nouveau programme d’action et comment s’organise sa réception dans l’arène spécialisée.
27Les acteurs politiques concernés, en effet, tendent à présenter le plan comme une innovation politique radicale qui ne s’appuie ni sur un consensus ni sur des précédents nombreux : Pierre Lellouche la compare au programme gaullien de dissuasion nucléaire, élevé au rang de priorité nationale et décrété « contre l’avis de la plupart des acteurs concernés de l’époque (armée, recherche, partis politique)16 », et appelle de ses vœux la mise en place d’une structure « de type commando » : « il ne faut pas deux mille personnes, il en faut vingt ». Quant à Éric Raoult, lorsque Le Monde lui pose la question « Sur quel précédent vous appuyez-vous pour proposer ces zones franches ? », sa réponse est sans détour : « Aucun17 ». Si les ZFU ne sont donc pas replacées dans la suite déjà longue des zonages d’intervention économique, des pôles de reconversion du gouvernement Mauroy aux zones d’exception éligibles au FEDER pour les bassins industriels en déclin, il peut sembler surprenant qu’aucune mention ne soit faite aux zones d’entreprises mises en place par Alain Madelin lors de la première cohabitation18. Cette absence souligne une nouvelle fois le décrochage paradoxal des zones franches par rapport à la thématique libérale pour mieux les raccrocher, à l’inverse, à une volonté étatiste. Alors qu’en 1986, des économistes, comme Pascal Salin, ou des chefs d’entreprises, comme Claude Heurteux, PDG d’Auguste Thouard et chargé d’un rapport de mission sur la question, apportaient leur appui aux zones d’entreprises, en 1996, ces soutiens ne se manifestent pas.
28Si, comme on l’a vu, il est difficile de circonscrire une arène sectorielle de la politique de la ville, il est néanmoins possible de repérer des instances constitutives d’une arène spécialisée.
29Les avis du Conseil national des villes19 peuvent à ce titre nous servir de premiers indicateurs de la réception des décisions gouvernementales. Ainsi, dans son avis du 20 octobre 1995 sur le rapport de présentation du Plan national d’intégration urbaine, le CNV « met en garde le gouvernement contre les mesures tendant à substituer les préfets aux maires dans des domaines qui ne sont pas de la compétence de l’État » puis « contre le risque d’enfermement qui pourrait apparaître dans le fait de trop territorialiser l’ensemble de ces mesures ». Le rapport de clôture du mandat (1994-1997), remis au ministre en octobre 1997, fait par ailleurs état des réserves émises au moment de la mise en place du PRV « quant aux conséquences sur l’environnement immédiat et les risques d’effets de ces mesures qui consistent en l’octroi d’exonérations fiscales diverses ». Surtout, il exprime des craintes quant à la « diminution de l’effort financier de l’État sur le cœur contractuel et interministériel de la politique de la ville » et au fait que ces mesures « proposées unilatéralement par l’État, en dehors des contrats de ville pour la plupart » ne se fassent pas « au détriment de la contractualisation ». Selon le CNV, le pacte de relance pour la ville constitue un changement du mode d’intervention : la remise à jour insistante d’une géographie infra-communale contredirait la perspective dessinée par les contrats de ville alors que s’accentuerait la perte de vitesse que subirait l’interministérialité qui n’est plus que financièrement concernée par ces mesures.
30Le CNV n’est pas le seul lieu où les élus expriment leurs réserves. Dans la presse professionnelle qui leur est consacrée, et pour ne citer que quelques exemples, Pierre Cardo, maire de Chanteloup-les-Vignes, Marie-France Beaufils, maire de Saint-Pierre-des-Corps, Claude Vasquez, maire de Grigny, dénoncent dans Maires de France, en mars 1996, le manque de concertation. Communes, à l’été 1996, dans un article éditorial, parle de la « règle de l’incohérence » et critique une politique de la ville qui n’aurait été pensée que comme « une succession de rustine20 ». Maires de France s’interroge de nouveau, en juillet-août, sur la question de la compensation des exonérations alors que Le courrier des maires se fait l’écho des inquiétudes de l’Association des maires de France et de l’Association des présidents de conseils généraux dans son édition du 30 août 1996.
31Autre indicateur, l’étude d’impact, réalisée par la Délégation interministérielle à la ville au moment du passage du plan devant le Conseil d’État, le 9 mai, fait état d’une création attendue nette d’emplois de 1 000 par an sur la période et chiffre le coût du projet, la première année, à 1,2 milliards de francs, alors que les ministres concernés ont jusque-là systématiquement refusé de se soumettre publiquement à une évaluation chiffrée21. Lorsque Le Monde s’en fait l’écho le premier, dans son édition du 9 mai, la réponse du ministre est immédiate : dans un entretien accordé au même journal le 11 mai, Éric Raoult revient sur cette étude pour préciser que l’évaluation par la DIV des emplois créés est une hypothèse basse. C’est aussi rapidement au tour des revues juridiques (Chotin, 1996 ; Richard, 1997 ; Traoré, 1997 ; Prat, 1998 ; Le Pourhiet, 1998 ; Cahin, 1999) à monter au créneau, inquiètes de la rupture du principe d’égalité, comme le montre le titre provocateur du premier article juridique qui leur est consacré dans les Petites affiches, « Zones franches ou cour des miracles ? » (Chotin, 26 juin 1996). Les rapports sur la politique de la ville, enfin, sont nombreux. Parmi les critères de classement possible, celui de la publicité est ici particulièrement éclairant. Qu’ils soient confiés à une institution (Conseil national des villes, Cour des comptes, Comité d’évaluation de la politique de la ville, DIV, etc.) ou à une personnalité (Hubert Dubedout, Jean-Marie Delarue, Jean-Pierre Sueur, etc.), leur degré de publicisation, de publication et de diffusion est extrêmement variable : au rapport attendu, annoncé, publié puis diffusé (dont l’archétype serait le rapport de Jean-Pierre Sueur remis en février 1998 et publié à la Documentation française début mars), on peut opposer le rapport confidentiel et non publié ; encore faudrait-il distinguer dans ce second cas, ceux dont la presse a eu vent de ceux dont elle ne se fait pas même l’écho ou avec beaucoup de retard. L’appartenance des rapports sur les zones franches à ces deux dernières sous-catégories semble souligner une nouvelle fois le décrochage entre l’arène politique et l’arène spécialisée.
32Dans le cas du Pacte de relance, la nécessité d’évaluer le dispositif a été d’emblée prévue par le législateur : un rapport annuel au Parlement sur l’application de la loi du 14 novembre 1996 et notamment « sur les effets de la création des zones franches », présenté au nom du Gouvernement, est exigé par l’article 45 de la loi22. À la suite d’une évaluation approfondie de la DIV en mai 1998, le Comité interministériel des villes et du développement social urbain du 30 juin 1998 commande des rapports à trois inspections générales. Ces bilans extrêmement critiques remis en novembre et en janvier ne sont pas rendus publics ; la presse s’en fera pourtant l’écho, tardivement pour celui de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale de l’administration, plus rapidement pour celui de l’Inspection générale des affaires sociales23. Ces rapports seront à l’origine des mesures de moralisation.
Un moment de reconfiguration des arènes
33S’il est certes possible de mettre en évidence un décrochage de l’arène spécialisée par rapport à l’arène politique au moment de l’instauration des zones franches, il serait cependant dommageable pour l’analyse de ne pas tenir compte du caractère profondément hybride des forums et des arènes de la politique de la ville. Celui-ci a déjà été souligné ; il résulte autant de la très grande plasticité de la politique de la ville, de son caractère récent et instable, du manque de structuration des réseaux d’acteurs concernés que de l’émergence, dans des domaines d’action publique renouvelés, de nouvelles formes de débat ; ces domaines, tels l’environnement ou la ville, articulent en effet de façon inédite arènes traditionnelles de décisions et forums de débat (Gaudin, 1999b).
34Le changement présidentiel et la mise en place d’une nouvelle équipe gouvernementale constituent de ce point de vue des moments privilégiés de reconfiguration des arènes ou forums de débat. Certaines des anciennes arènes aménagées par la commande publique n’existent plus (par exemple, les forums autour de la Commission nationale de développement social des quartiers ou les assises de la mission Banlieues 8924), les nouvelles ne sont pas encore en place ; les soutiens se modifient mais, à la différence de certaines politiques sectorielles où l’on peut associer un changement de ligne d’action à la substitution d’un réseau d’acteurs à un autre, les choses sont ici beaucoup plus labiles.
35Ainsi, la centaine de maires réunis le mardi 30 janvier par l’Association des maires de France autour des deux ministres ne doit pas faire oublier que cette association est avant tout dominée par les maires ruraux et que, comparée à d’autres25, elle n’a eu jusque-là qu’un rôle extrêmement mineur au sein de la politique de la ville.
36En outre, l’examen de passage devant les commissaires européens, chargés de la concurrence et de la politique régionale, contraint assez fortement les procédures de concertation : l’appel à projet n’est lancé qu’après que l’avis définitif de la commission a été rendu, c’est-à-dire en aval de la sélection des quartiers26. Les associations traditionnelles écartées, l’interlocuteur direct n’est d’ailleurs autre qu’une association ad hoc, l’Association des villes candidates à une zone franche urbaine27, créée courant avril, après la publication des quartiers présélectionnés, autour du maire RPR de Montereau-Fault-Yonne, Yves Jégo.
37Loin des controverses scientifiques ou des débats d’experts, les questions urbaines se caractérisent par une absence de clôture des débats et semblent ainsi constituer le contrepoint exact du secteur du nucléaire décrit par Bruno Jobert : pas de professions ou d’élite dirigeante, organisées par un grand corps, concernées par ce domaine ; pas de monopole de l’expertise mais un éclatement des centres d’observation de la politique et la mise en place d’une instance d’évaluation simultanément à la mise en œuvre du programme d’action ; pas de secret légitimé mais au contraire une large couverture, notamment médiatique, des problèmes abordés (Jobert, 1992).
38On peut juger de la nature d’un débat à l’aune de ses intervenants. Dans des moments de décloisonnement des arènes (à l’occasion d’une campagne électorale nationale, de grandes assises ou de la remise d’un rapport attendu) ou dans des conjonctures critiques (lors par exemple d’incidents violents), la prise de parole sur les questions urbaines ne semble pas requérir de compétence particulière. Les intervenants proviennent d’horizons multiples et le nombre d’interventions dans la sphère publique élargie traduit la réalité du décloisonnement. L’exemple des incidents de Vaulx-en-Velin, début octobre 1990, peut à ce titre être évoqué : sont ainsi parues, entre autres, dans la presse nationale d’octobre 1990, les analyses des sociologues François Dubet, Jean-François Lae, Alain Touraine, Yves Grafmeyer, Azouz Begag, Adil Jazouli, du philosophe Jean-Paul Dollé, de l’architecte Roland Castro, du délégué interministériel à la ville, Yves Dauge, du secrétaire général à l’Intégration, Hubert Prévôt, du président de SOS-Racisme, Harlem Désir. Qu’en est-il comparativement pour les zones franches ? Constate-t-on une technicisation du débat qui se traduirait par un accès plus grand à la parole d’autres formes d’expertise et par une diminution du nombre d’interventions dans la sphère publique élargie ?
39Sur la période considérée, et en se limitant dans un premier temps au corpus du journal Le Monde, les tribunes libres sont inexistantes, remplacées par des entretiens qui viennent à l’appui de l’information politique : Daniel Béhar, géographe et directeur de la coopérative ACADIE, entreprise de consultants spécialisée dans l’évaluation des politiques urbaines, intervient sur les zones franches durant la visite de trois jours du Président de la République à Amiens28 ; Sophie Body-Gendrot, politiste, spécialiste de la crise urbaine aux États-Unis, accorde un entretien à propos de l’expérience américaine des empowerment zones au moment de l’adoption par le Conseil des ministres du projet de loi le 22 mai 199629 ; Christian Bachmann, enfin, sociologue, est sollicité en tant que coauteur de Violences urbaines. Ascension et chute des classes moyennes à travers cinquante ans de politique de la ville, lorsque le texte de loi entre en discussion en première lecture à l’Assemblée le 18 juin 199630. Le supplément Économie du 23 octobre 1996 ouvre ses colonnes à un économiste (Lahsen Abdelmalki, maître de conférences à Lyon II) et à deux consultants (Philippe Fournand, Dominique Gaudron) pour une tribune sur « Les limites des zones franches » qui, sur le thème, là encore, des effets pervers de l’instrument, souligne que « la vision du gouvernement repose sur une conception erronée du fonctionnement des marchés du travail urbain ». Il faudra attendre le 9 février 1998 pour trouver à nouveau trace d’une tribune ou d’un entretien dont l’auteur ne soit pas un acteur politique, avec l’entretien en commun de Michel Wieviorka et de Pierre-Didier Tchetche-Apea31 au moment de la présentation du rapport de Jean-Pierre Sueur. Surtout, les interventions citées relèvent toutes de l’univers savant ou de l’expertise et sont de nature critique, comme si l’arène spécialisée, dont les frontières sont rendues encore plus floues et incertaines dans ce moment de reconfiguration généralisée, débordait dans la sphère publique élargie et nuançait en partie le constat d’un début de technicisation du débat.
Une politique incertaine
40Comment comprendre la réception positive de cet instrument par l’arène politique et la neutralisation de certains clivages politiques alors que les mêmes élus exprimaient leurs réserves dans des arènes spécialisées à audience plus limitée ? Deux éléments de réponses seront successivement apportés : l’annonce de la mise en place des zones franches s’appuie sur des techniques de production de l’acceptabilité politique de la réforme. Surtout, les ZFU permettent la mise en place d’une grille d’interprétation renouvelée de la question des banlieues et de recréer un espace pour l’action politique.
La production politique de l’acceptabilité de la réforme
41Parmi les techniques de production de l’acceptabilité d’une réforme (Warin, 2000), l’expérimentation figure en bonne place : elle affaiblit la dimension irréversible de l’action en limitant son horizon temporel ; elle fait dépendre le projet de la libre participation des acteurs sur lesquels portent les transformations (Bezes, 2000). Par la durée limitée des exonérations fiscales et l’appel à candidatures, les zones franches répondent à ces deux critères. Surtout l’enrôlement progressif des élus concernés permet la formation de lignes de clivages atypiques.
42Le débat parlementaire à l’Assemblée nationale sur le Pacte de relance32 fournit un bon angle d’observation de ces questions : si pour les défenseurs du projet, l’urgence commande la dépolitisation du débat, celle-ci est rendue d’autant plus facile qu’une partie des députés d’opposition sont directement concernés par l’accueil d’une zone franche ou d’une zone urbaine sensible.
43Hormis Patrick Braouezec, député-maire de Saint-Denis, et de Laurent Cathala, député-maire de Créteil, opposés au principe de discrimination positive qui constitue à leurs yeux une rupture d’égalité économique et sociale entre les citoyens, le dispositif des zones franches ne rencontre pas d’opposition farouche au sein de l’Assemblée. Les défenseurs du projet ne cessent d’ailleurs de le souligner : Gilles de Robien remarque que « les choix opérés par le Gouvernement n’ont fait l’objet d’aucune critique, d’aucune polémique, tout au moins jusqu’à ce jour. Il est bien que la politique de la ville continue de rester à l’écart des politiques partisanes33 ». C’est aussi ce que constate un député de la majorité, comme Michel Jacquemin, député du Doubs, pour qui « la meilleure condition de réussite sera que la politique de la ville ne soit pas prise en otage par le débat politicien. Ce souci a été partagé par d’autres orateurs, et sur tous les bancs de cette assemblée34. » Il peut sembler plus étonnant de voir adhérer à une telle réforme un député socialiste comme Julien Dray :
« En ce qui concerne la question des zones franches dont nous discutons aujourd’hui, je n’ai pas d’état d’âme. […] Ainsi que je le répète depuis des années, il existe des sites particuliers envers lesquels l’État a une dette. Les problèmes s’y sont accumulés et les villes en cause ne pourront pas s’en sortir seules […]. C’est pourquoi j’estime qu’il est indispensable d’aller beaucoup plus loin dans ce dispositif des zones franches35.»
44Cet outil, en introduisant notamment un principe de discrimination positive fondé sur un critère territorial, ravive nécessairement la tension inhérente au « métier » de député, représentant de la Nation, élu dans le cadre d’une circonscription. C’est sur cette tension que vont jouer les ministres.
45Ainsi le ministre délégué, répondant à la question préalable de Patrick Braouezec, opposé à l’introduction de procédures dérogatoires contraires, selon lui, au traitement égalitaire et à l’unicité républicaine, n’hésite pas à multiplier les apostrophes insistant sur son ancrage territorial : aux « Monsieur le députémaire de Saint-Denis » succèdent les « Monsieur le maire de Saint-Denis ». L’échange assez vif entre ce même ministre et Laurent Cathala ayant antérieurement déposé une exception d’irrecevabilité traduit une nouvelle fois cette tension :
Interruption de Laurent Cathala : « Nous ne sommes pas au conseil général de Seine-Saint-Denis. »
Le ministre délégué à la Ville et à l’Intégration : « Nous ne sommes pas non plus au conseil général du Val-de-Marne, Monsieur Cathala !»
L. Cathala : « Nous sommes à l’Assemblée nationale ». […]
Le ministre délégué : « Je serais tenté de conclure d’une façon beaucoup plus nationale, Monsieur le député-maire de Saint-Denis, Monsieur le député-maire de Créteil commis d’office36.»
46La formule venant clore la réponse du ministre n’en est pas moins éclairante : « Il ne s’agissait pas d’une question préalable et il y a bien lieu de délibérer : la République le demande et nos villes le réclament. »
47Cependant, tout au long du débat, ces modes de qualification se modifient ; au fil des orateurs, les appartenances territoriales se trouvent de plus en plus affirmées. Plus encore, les références aux candidatures en cours pour l’obtention d’une zone franche urbaine se multiplient, comme si la parole se libérait progressivement.
48Jean-Jacques Weber, député UDF du Haut-Rhin, approuve les dispositifs définis et applaudit « la rapidité remarquable de leur mise en œuvre, en pensant aux quartiers difficiles de Mulhouse, dont [il est] le député : Brossolette, Wolf, Wagner ou Chêne-Hêtre d’Illzach » avant de soutenir « également la candidature de la ville de Mulhouse à un contrat de zone franche et de redynamisation urbaine37 ».
49Christian Vanneste, député RPR du Nord et conseiller municipal de Tourcoing, défend un texte « qui, en prime, offre à la ville de Tourcoing une zone franche, le quartier de la Bourgogne38 » et tient particulièrement à en remercier les ministres ; Marc Reymann, député UDF du Bas-Rhin et conseiller municipal de Strasbourg, évoque la sélection en zone franche du quartier du Neuhof ; Patrick Delnatte, député RPR et conseiller général du Nord, fait part d’une expérience dans un secteur de la future zone franche de Tourcoing qu’il « représente39 », alors qu’Ernest Chénière, député RPR de l’Oise, souligne que sa « circonscription est bien concernée puisqu’un quartier de Creil a été classé en zone franche urbaine et qu’à son autre extrémité un quartier difficile de la ville de Méru a été élu zone urbaine sensible40 », avant là encore de remercier les ministres.
50La réponse du ministre délégué, en clôture de la discussion générale, est de nature bien différente de la première déjà évoquée : loin d’en appeler à la représentation nationale, Éric Raoult s’adresse à chacun des orateurs de la première séance du 20 juin en se référant systématiquement à leur circonscription : « M. Michel Jacquemin, qui connaît bien le département du Doubs et plus particulièrement la ville de Besançon », « M. Jean-Pierre Calvel, vous êtes le député de Vaulx-en-Velin et de Rillieux-la-Pape », « M. François Cornut-Gentille, j’ai parcouru à vos côtés le quartier du Verbois à Saint-Dizier », « M. Marc Reymann, vous êtes le député de Strasbourg », etc.41.
51Pratique de disqualification de l’adversaire politique dans les premiers moments du débat, l’identification à un territoire, et qui plus est à un territoire concerné par l’outil discuté, est devenue le seul appui possible pour défendre un outil fondé sur des principes dérogatoires du droit commun alors même que la liste des sites retenus, déjà arrêtée, ne fait pas l’objet d’une délibération.
52Il est d’ailleurs ici important de noter que la figure du maire est systématiquement gommée par les ministres, sauf pour la disqualifier dans le cas des réponses à P. Braouezec et L. Cathala déjà évoquées, et est à peine plus mise en avant par les élus.
53Alors qu’être maire d’une commune possédant un « quartier difficile » rendait la prise de parole légitime dans les précédents débats consacrés à la politique de la ville, ce critère n’est ici plus pertinent ; à l’inverse, le mandat de député, jusque-là jamais avancé dans les débats, fait l’objet de multiples occurrences. De façon homologue, les entités territoriales citées sont la circonscription et le quartier, la cité ou plus souvent la zone franche elle-même. Ces constats soulignent une nouvelle fois le caractère unilatéral du dispositif et les rapports difficiles entre territoire de la commune et périmètre de la zone (Estèbe, 1999a).
Des appuis incertains : outils intellectuels et bricolage politique
54Si certaines techniques politiques ont pu être mises à jour, cette lecture reste insuffisante pour expliquer la faible polarisation du débat alors qu’au même moment la politisation est forte au niveau local42.
55En s’attachant à décrire les lieux et les pratiques de débat dans ces moments de reconfiguration politique, il devient possible de repérer et de saisir les appuis cognitifs mobilisés par les acteurs politiques puisque ces appuis n’ont pu être trouvés dans l’arène spécialisée. Au lieu de tenter d’objectiver certaines arènes de débat (arène politique, arène spécialisée, etc., regroupées, dans des moments de décloisonnement, au sein d’une sphère publique élargie), il s’agit alors d’inverser la démarche et de partir de certains éléments des débats et de constater leur circulation et leur reprise d’une arène à l’autre. L’analyse des débats publics autour des questions urbaines regroupées sous l’appellation générique de « problème des banlieues » permet en effet de mettre en évidence tant la récurrence des phénomènes de reprises de certains appuis cognitifs que l’accélération de la circulation de ces schèmes d’interprétation.
56On reprendra ici l’hypothèse d’une grande « hétérogénéité des ressources dont disposent les hommes politiques » avancée par Christian Le Bart. En effet, selon lui, « le métier politique consiste à assembler des matériaux empruntés à des univers très dissemblables » (Le Bart, 1999, p. 297).
57Le débat à l’Assemblée offre un premier exemple de ces phénomènes de reprise : dans la question préalable déposée par le groupe communiste, Patrick Braouezec, député-maire de Saint-Denis s’appuie à plusieurs reprises sur l’article du Monde de Christian Bachmann déjà évoqué ainsi que sur une analyse réalisée par Sophie Body-Gendrot sur les empowerment zones dont on peut supposer qu’il en a là encore pris connaissance grâce à l’article du Monde précédemment cité, puisque les termes y sont identiques. L’article de Ch. Bachmann est repris par le ministre E. Raoult lui-même, qui y ajoute en outre une référence à l’ouvrage Violences urbaines43. Le processus circulaire qui se joue entre les sources d’information politiques et journalistiques dans l’enceinte parlementaire a déjà été souligné (Charron, 1994, p. 112-127). Dans les débats étudiés ici, un pas de plus est franchi puisque les références aux médias, en tant que sources d’information, sont, d’une part, explicitées mais sont, d’autre part, substituées à d’autres sources souvent convoquées lors des débats, à savoir diverses formes d’expertise44.
58L’utilisation du rapport de Banlieuescopies rendu public en mars 1995 donne une seconde illustration de ces phénomènes de reprise.
59Durant la campagne présidentielle, ce rapport se révèle être un nouvel appui particulièrement recherché par le parti chiraquien. Le 2 mars 1995, a lieu à la DIV une présentation des travaux de l’Institut dirigé par Adil Jazouli45 dressant au terme d’une enquête de cinq mois dans huit cités, un tableau extrêmement sombre et alarmant de la situation dans certains quartiers46 : cette conférence de presse est très fortement relayée par les médias de presse écrite et audiovisuelle47.
60Le même jour, alors qu’Adil Jazouli accorde une interview au Nouvel Observateur sous le titre « Un plan Marshall pour les banlieues. Il est urgent que l’État prenne enfin ses responsabilités48 », et que Pierre Lellouche intervient dans Libération, Daniel Béhar et Philippe Estèbe, dans une tribune au Monde intitulée « Le frisson qui rassure », dénoncent le catastrophisme du rapport de Banlieuescopies49. Le 30 mars, Adil Jazouli et Éric Raoult accordent une interview croisée au Figaro50.
61Il est d’ailleurs intéressant de souligner que le premier rapport de Banlieuescopies de 199251 avait déjà constitué un appui pour l’opposition d’alors. Contesté par le gouvernement, il fait l’objet d’une polémique relayée par Le Figaro entre Pierre Cardo, maire de Chanteloup-les-Vignes, et François Loncle, secrétaire d’État chargé de la ville52 ; ce dernier est d’ailleurs interpellé à l’Assemblée sur ce thème par Éric Raoult lors de questions d’actualité en décembre 199253.
62On pourrait s’étonner de la récupération des rapports d’Adil Jazouli et de Banlieuescopies par les partis politiques de droite tant en 1992 qu’en 1995. La vitesse avec laquelle le second rapport a été diffusé, semble cependant traduire un manque de grilles de lecture et de schèmes d’interprétation des phénomènes considérés : les rares appuis disponibles sont alors particulièrement recherchés et font l’objet de multiples reprises. Ce constat n’est pas isolé mais s’inscrit au contraire dans une longue série : de la topique urbanistique diffusée par la mission Banlieues 89 dans les années 1980 à l’échelle des Renseignements généraux pour quantifier et décrire les violences urbaines à partir de 1993, l’histoire de la politique de la ville est pleine de ces appuis – assises, rapports ou échelles –, appartenant à des univers très hétérogènes mais mobilisés à des fins d’action politique.
63Après avoir insisté sur l’extrême plasticité des arènes concernant la politique de la ville, il s’agit de pallier cette difficulté descriptive en centrant l’analyse sur une arène privilégiée pour étudier plus finement les mécanismes de prise en charge du problème. De ce point de vue, l’arène parlementaire bénéficie de nombreux atouts : arène historiquement construite comme celle de la mise en forme politique, elle constitue un lieu discipliné, routinisé et producteur de catégories publiques.
L’impossible technicisation du débat
64Les débats parlementaires consacrés à la politique de la ville sont peu nombreux ; une fois écartées les déclarations de politique générale, les discussions budgétaires et les questions au gouvernement, subsistent, pour l’Assemblée nationale, le débat à l’issue de la déclaration sur la politique de la ville du 18 décembre 1990, la discussion du projet de loi d’orientation sur la ville fin mai 1991 et le débat d’orientation des 27 et 28 avril 1993 : ils nous serviront ici de points d’appui et de comparaison. Si, à la différence des débats de 1990 et 1993, la discussion sur le pacte de relance s’inscrit dans le cadre de l’activité normative des députés (Landowski, 1977), il faut cependant souligner le poids qu’exerce sur elle la contrainte européenne : le texte adopté par le Parlement devra en effet rester le plus conforme possible à celui présenté aux commissaires européens puis adopté en Conseil des ministres, sous peine de développer un contentieux devant la Cour de justice des communautés européennes.
65Selon J.-L. Briquet, à travers la spécification d’une compétence singulière, se dégage un modèle professionnel de l’élu relativement homogène : « parmi les représentations du métier d’élu, celles qui insistent sur la dimension technique et gestionnaire de ce métier apparaissent comme les plus valorisées, comme les fondements d’un modèle professionnel qui tend à s’imposer sous des formes homogènes à l’ensemble du groupe des professionnels de la politique » (Briquet, 1994).
66Ce constat ne peut être maintenu dans le cas de la politique de la ville : alors que dans ces débats, le rôle d’élu local est extrêmement valorisé, il ne s’accompagne pas d’une valorisation des registres techniques et gestionnaires. L’arène parlementaire semble au contraire imperméable au discours d’expert, confirmant une nouvelle fois pour les zones franches, la prédominance de l’arène politique sur l’arène spécialisée.
67La défiance vis-à-vis de l’expertise et de la technocratie semble en effet constituer un invariant des débats consacrés aux problèmes urbains. Moins caractéristique ici que dans les débats de 1990 et 1993, elle fait cependant quelques furtives apparitions au détour d’un propos, comme par exemple dans celui de Christian Dupuy, député-maire RPR de Suresnes :
« C’est ce que nous propose aujourd’hui le Gouvernement en nous soumettant non un “plan miracle” surgi de l’imagination de technocrates, sociologues ou doctrinaires associés, mais une série de mesures concrètes, pratiques, réalisables, s’attaquant à la fois aux symptômes et aux racines des difficultés vécues dans de trop larges zones de notre territoire national54.»
68Le ministre Gaudin s’en était déjà lui-même fait l’écho dans un entretien au Figaro en janvier, en évoquant son travail avec E. Raoult : « Nous ne sommes ni polytechniciens, ni énarques, nous sommes des élus du peuple55.»
69La proposition de créer des zones franches, couplée à la thématique de la fracture territoriale, devrait a priori permettre de stabiliser une grille de description des problèmes autour d’un principe d’explication causale simple, le chômage. Pour les défenseurs du pacte de relance, la séquence explicative est la suivante : il faut lutter contre la fracture territoriale « qui isole du reste du pays des territoires au sein desquels elle surajoute ses effets à ceux de la fracture sociale56 ». La mise à distance géographique de l’exclusion permet donc de spatialiser le social. Le ciblage et la concentration des moyens, rendus légitimes par le principe de discrimination territoriale positive, sont destinés à compenser les nombreux handicaps auxquels ces quartiers sont confrontés, à les ramener en quelque sorte à la norme (Conseil d’État, 1997). Il s’agit en conséquence de mettre l’accent « sur le traitement économique du chômage, qui est le premier fléau des quartiers difficiles, et sur la lutte contre l’insécurité qui en est le premier symptôme57 ». Comme le montre Philippe Estèbe, la grande vertu du Pacte de relance réside dans sa profonde cohérence et dans la simplicité apparente des dispositions qu’il préconise ; surtout le Pacte opère un renversement de la preuve : c’est parce qu’ils présentent telles caractéristiques que les quartiers sont dégradés. La cause de la dégradation se trouve donc en eux-mêmes (Estèbe, 1999a).
70Les emplois métaphoriques de la maladie contribuent d’ailleurs très fortement à inverser le « système d’attribution causale », pour reprendre les termes de Christian Le Bart (1990). En effet, la détermination de la maladie sociale dépend surtout de l’attitude avec laquelle on la considère. Reprenons les propos de Gilles de Robien :
« Précédemment, quel que soit le Gouvernement, la priorité était donnée au traitement social. On en avait plein la bouche ! On croyait qu’avec le traitement social, on allait résoudre le problème des quartiers. On subventionnait, on encourageait les acteurs sociaux ou culturels, et c’était déjà très bien ; on cherchait à apaiser les accès de fièvre, souvent quand ils étaient à moitié passés ; on soignait la douleur, toujours insuffisamment ; on oubliait d’aller aux racines du mal : le chômage, l’exclusion, la déshérence, l’oisiveté, la délinquance aussi, et puis la révolte qui, de temps en temps, provoquait l’explosion. »
71Comme le note Judith Schlanger, « les représentations de la maladie sont étroitement liées aux types d’attitudes thérapeutiques. […] La rhétorique politique de l’organisme ne s’appuie pas sur l’essence de la maladie ; elle s’appuie simplement selon ses besoins, sur les divers segments de conceptualisation que lui offrent des médecines différentes » (Schlanger, 1995, p. 185). Simplicité de l’explication causale et mise à distance géographique des territoires viennent en effet conforter une action thérapeutique ciblée comme l’illustre ce propos du rapporteur pour avis, François Grosdidier :
« Le phénomène de ghettoïsation qui s’est développé depuis vingt ans a conduit à la constitution de véritables extraterritorialités de la République. Là, les fléaux qui nourrissent l’exclusion se sont abattus massivement sur ceux de nos concitoyens qui étaient condamnés à les subir en silence. […] Cette approche ciblée s’efforce de doser l’intensité du traitement en l’adaptant à la gravité du mal58.»
72Si pathologie et thérapie sont liées, ces registres permettent avant tout de servir une nouvelle fois à stabiliser un vocabulaire et un cadre de description des phénomènes. Pour reprendre à nouveau les propos de J. Schlanger :
« Plus encore qu’une fonction polémique, l’approche clinique possède une fonction rationalisatrice. Quelle que soit la manière dont on aborde le malade social ou la nature de la maladie, ce point est commun aux discours qui exploitent les pathologies de l’organisme comme les pathologies de la subjectivité : il ne s’agit pas simplement d’exprimer les troubles à l’aide d’une métaphore qui demeurerait à la superficie de l’expression. Il s’agit alors de les rendre pensables » (Schlanger, 1995, p. 189).
73Pierre Muller soulignait récemment le fait que les politiques publiques permettent la production d’interprétations causales et normatives (Muller, 2000). S’il est difficile, dans le cas des zones franches, de s’appuyer sur l’arène spécialisée pour produire ces interprétations, la grille économique proposée par le Pacte de relance présente donc le double avantage de démêler l’écheveau des causes structurelles au profit d’attributions causales simples et surtout de permettre que soient exhibées des capacités d’action politique.
74Car, malgré cette clarification permise par le choix de l’instrument – ou de la thérapie –, la tonalité qui domine pour les défenseurs du projet demeure empreinte d’une certaine inquiétude.
75D’ailleurs, pour les ministres ou les élus, il n’est même plus temps de produire des analyses, de chercher les causes, il faut agir et les zones franches se présentent avant tout comme l’instrument de la dernière chance. Cette thématique a pour corollaire nécessaire la dépolitisation ou plutôt la désidéologisation du débat face à l’urgence ; et l’acceptation d’une certaine forme d’impuissance politique ou tout au moins la reconnaissance d’une situation de grande incertitude quant aux résultats escomptés : s’il est certes difficile d’évaluer l’impact de telles mesures, tout aura cependant été tenté.
76Dans un entretien au Monde du 11 mai 1996, Éric Raoult n’hésitait pas à qualifier le pacte de dernière « bouée » :
« Nous ne promettons pas l’Eldorado, nous lançons une bouée de sauvetage ! […] Cette idée n’a d’ailleurs pas suscité de débat idéologique. Aujourd’hui, l’approche de tous les maires est : on a essayé les associations intermédiaires, les régies de quartier, les réhabilitations, les flics, le RMI, mais ça non. Alors essayons-le ! […] Aujourd’hui, les maires, toutes étiquettes confondues, se disent qu’ils ont tout essayé. Tout sauf ça. »
77Ne cachant pas un certain désarroi, il déclare à l’Assemblée : « Si ce plan ne réussissait pas, je me demande alors quel traitement il faudrait apporter pour soulager les quartiers de nos villes en difficulté59 ! » Quant à Jean-Claude Gaudin, il reprend les termes du Premier ministre à Marseille : « Le problème n’est plus d’analyser ce qui ne va pas ; il est de déterminer ensemble comment regagner du terrain sur la dérive de certaines de nos banlieues, de partager ensemble l’audace d’y mettre en œuvre de nouvelles réponses60.»
78Loin d’endosser le rôle de spécialiste des questions urbaines ou d’invoquer une compétence particulière, un élu comme Pierre Cardo, pourtant député-maire de Chanteloup-les-Vignes, ne craint pas, lui non plus, de faire part de ses doutes : « Je ne crois pas que, dans ce domaine, quiconque puisse dire qu’il détient la vérité et que telle ou telle réponse sera réellement adaptée61. » Bernard Derosier, député PS du Nord, préfère faire état du « sentiment d’impuissance » de ses amis « devant les problèmes auxquels ils sont confrontés ».
79Il faut chercher dans l’expression de ce désarroi, rare dans l’hémicycle, une raison majeure de la neutralisation des clivages. Face au constat d’impuissance, le dispositif des zones franches permet aux acteurs politiques d’avoir de nouveau prise sur l’action et d’afficher, non plus cette fois des intentions, mais bien des « capacités d’agir ». Dans ce cas, seule la faisabilité compte (l’outil est simple à mettre en place); l’évaluation de son efficacité est, quant à elle, devenue hors de propos (ce que traduit le refus du chiffrage).
***
80Le critère d’efficacité reprendra pourtant rapidement ses droits à la suite des nombreux rapports d’évaluation : à partir du 1er janvier 2002, un dispositif unique et simplifié d’exonérations fiscales et sociales sera mis en place pour les entreprises s’installant sur les 416 quartiers de redynamisation urbaine, qui remplacera le système en vigueur depuis 1996 dans les 44 zones franches. Les avantages accordés aux entreprises déjà créées dans les zones franches seront prolongés mais celles-ci retrouveront progressivement le droit commun en 2004.
81À la lecture de ces mesures dites de « moralisation », on peut considérer les zones franches comme une parenthèse, ouverte par une arène politique souhaitant afficher une volonté de changement, fermée par une arène spécialisée ayant su finalement imposer ses arguments critiques. La comparaison avec le « plan Juppé » permet de renforcer cette interprétation : si là encore l’impulsion politique apparaît déterminante dans l’annonce du plan, « fruit d’une mobilisation politique aux sommets de l’exécutif » (Hassenteufel et al., 1999, p. 193) et si les deux processus décisionnels présentent de nombreuses similitudes, la mobilisation des intérêts organisés du secteur rend rapidement le changement extrêmement coûteux.
82Pourtant l’attention portée au fonctionnement du système d’arènes publiques permet d’apporter une autre interprétation, non exclusive toutefois de la première. Dans le cas du « plan Juppé », l’intervention de « l’élite du Welfare » sur le contenu même des décisions est nettement repérable : le plan puise largement dans le répertoire de solutions élaborées par les experts du domaine (Damamme et Jobert, 1999 ; Pierru, 2000). À l’inverse, pour la politique de la ville, l’importante labilité des arènes publiques rend difficile la transformation de certains points d’appui en ressources politiques et explique en partie la grande variabilité des grilles de description et d’analyse des problèmes et donc des diagnostics et solutions proposés. Le passage d’une configuration à l’autre (en termes d’arènes concernées, d’instruments d’action publique mis en œuvre, de type de cadrage des problèmes ou d’ancrages institutionnels) peut alors se faire au moindre coût.
Notes de bas de page
1 Circulaire en date du 26 juillet 1995.
2 La comparaison terme à terme avec le volet assurance maladie du plan Juppé a été menée lors de la journée d’étude « La construction politique des politiques publiques » du groupe Politiques publiques de l’AFSP, MSH, Paris, 10 novembre 2000, dans le cadre d’une contribution croisée avec Frédéric PIERRU que je remercie ici pour ses remarques critiques.
3 Journal officiel, présentation du projet de loi relatif à la mise en œuvre du Pacte de relance pour la ville, Assemblée nationale, 2e séance du 18 juin 1996, p. 4461.
4 Des mesures dites de « moralisation » du dispositif des zones franches urbaines ont été intégrées à la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains.
5 Pour une revue critique de ces travaux sur la politique de la ville, voir Fontaine (2000).
6 JO, Assemblée nationale, séance du 27 avril 1993, p. 156.
7 La Loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995 avait créé des Zones urbaines sensibles (ZUS) comprenant elles-mêmes des zones de redynamisation urbaines, en même temps que des zones de revitalisation rurale. Sur les ZUS, voir Goldberger (1998). Sur la politique de zonage, voir Siné (2001).
8 La période de cohabitation et surtout la double candidature à droite semblent perturber les canaux classiques d’expression de l’opposition en campagne : les tribunes dans les médias des proches du maire de Paris pourraient en être une des conséquences.
9 L’article « Rien sans les maires » de François Geindre, maire d’Hérouville-Saint-Clair, ancien président de la Commission nationale de développement social des quartiers et du groupe Ville au Plan, forme le contrepoint de cette tribune.
10 Pierre Lellouche, « L’État en première ligne », Le Monde des débats, décembre 1994, p. 3.
11 Le Monde, 14 avril 1995, interview d’Éric Raoult par Philippe Bernard et Nathaniel Herzberg.
12 Libération, 17 avril 1995, « Un plan Marshall pour recoudre la ville », Gilles de Robien.
13 Ministre chargé de l’Intégration et de la Lutte contre l’exclusion dans le premier gouvernement Juppé (avec Françoise de Veyrinas, secrétaire d’État aux Quartiers en difficulté), il devient en novembre 1995, ministre délégué de la Ville et de l’Intégration, rattaché au ministre Jean-Claude Gaudin, ministre de l’Aménagement du territoire, de la Ville et de l’Intégration.
14 Les zones franches sont constitutives d’un régime d’aides au sens des articles 92 et 94 du traité de l’Union européenne : les règles communautaires imposent aux aides des plafonds d’intensité maximale afin d’éviter des distorsions de concurrence intracommunautaires.
15 Pour une présentation du projet de loi par le préfet Idrac avant le passage au Parlement, voir Idrac (1996).
16 Pierre Lellouche, « L’État en première ligne », Le Monde des débats, décembre 1994, p. 3.
17 Le Monde, 11 mai 1996. Aucune référence n’est d’ailleurs jamais faite aux visites des ministres, accompagnés de parlementaires, aux États-Unis, mi-avril, et en Angleterre, fin mai. Pourtant la filiation avec les Empowerment zones créées aux États-Unis par la loi fédérale du 12 janvier 1995 est indéniable : d’ailleurs, le dossier « Économie » de Pouvoirs locaux intitulé « Zones franches, zones creuses » ne s’y trompe pas qui consacre un article à l’expérience d’Amiens, Ecopolis, « d’inspiration américaine » (1997, n° 34, p. 36-50). Sur les zones d’exception fiscale en France, voir Labia et Bernard-Gelabert (1998).
18 L’ordonnance du 15 octobre 1986 permettra notamment la mise en place de zones d’entreprise à La Seyne-Toulon, La Ciotat-Aubagne et à Dunkerque.
19 Créé en 1989, le Conseil national des villes, selon ses statuts modifiés en 1994, est un conseil constitué de quarante membres répartis entre deux collèges : l’un de vingt-cinq élus locaux, l’autre de quinze personnalités qualifiées, tous nommés par décret. Il remplit une mission de réflexion et rend des avis sur la sollicitation du gouvernement.
20 Communes, « Politique de la ville et aménagement du territoire : la règle de l’incohérence », n° 350, juilletaoût 1996.
21 Invité de l’émission 7/7 sur TF1 le dimanche 5 mai, Éric Raoult refuse de chiffrer le coût du dispositif annoncé : « Si je vous disais “tant de milliards”, les mômes de ces quartiers diraient “alors, où ils sont ces milliards annoncés ?”. Non, nous, ce que nous voulons, c’est faire du concret. »
22 L’article 45 de la loi du 14 novembre 1996 dispose qu’à compter de son entrée en vigueur « le gouvernement déposera chaque année sur le bureau de chacune des assemblées un rapport sur son application, et notamment sur les effets de la création des zones franches urbaines ». Le premier est déposé sur le bureau du Parlement le 4 mars 1999.
23 Le Canard enchaîné du 30 décembre 1998 fait état du rapport de l’IGF remis en novembre ; Le Monde du 6 janvier 1999 évoque le rapport de l’IGAS remis au début du mois.
24 Les assises de Banlieues 89, tenues à Enghien en décembre 1985, Nanterre en mai 1989 et Bron en décembre 1990, mettaient en présence élus, ministres et responsables associatifs sous la houlette des architectes en charge de Banlieues 89, et au premier chef de Roland Castro. Celles de Bron, intitulées « Pour en finir avec les grands ensembles » ont ainsi réuni de nombreux acteurs de la politique de la ville et, par la double présence du Président de la République et du Premier ministre, ont été érigées en scène centrale de débat. Surtout, c’est lors du discours d’ouverture de François Mitterrand qu’a été annoncée la nomination prochaine d’un ministre de la Ville.
25 Par exemple, l’Association de maires Ville et banlieues, plus récemment l’Association des maires des grandes villes de France ou des mouvements comme l’ADELS qui compte en son sein beaucoup d’élus.
26 L’accord de principe est donné le 21 mars par la commission. L’avis définitif étant rendu le 27 mars, l’appel d’offres est lancé le 28 auprès des 46 communes des 38 quartiers pressentis pour accueillir une zone franche ; elles disposent de trois semaines pour rédiger un dossier de candidature.
27 Elle se transformera par la suite en Association nationale des villes zones franches urbaines.
28 Le Monde, 27 avril 1996, « Le risque est d’officialiser l’existence de ghettos », entretien de Daniel Béhar par François Bonnet. Le même auteur publie quelques jours plus tard une tribune avec Philippe Estèbe dans Libération du 14 mai 1996, intitulée « Zones franches, effets pervers ».
29 Le Monde, 22 mai 1996, « La situation dans nos banlieues est loin de celle des ghettos américains », entretien de Sophie Body-Gendrot par Philippe Bernard.
30 Le Monde, 19 juin 1996, « L’État met plus d’argent dans Air-France que dans la politique de la ville », propos de Christian Bachmann recueillis par Philippe Broussard.
31 Le Monde, 10 février 1998, entretien de Michel Wieviorka et de Pierre-Didier Tchetche-Apea par Philippe Bernard et Nathaniel Herzberg.
32 Assemblée nationale, discussion générale du projet de loi n° 2808 relatif à la mise en œuvre du pacte de relance pour la ville, 1re lecture, 18-20 juin 1996.
33 Journal officiel, Assemblée nationale, p. 4496.
34 Ibid., p. 4588.
35 Ibid., p. 4571.
36 Journal officiel, Assemblée nationale, p. 4491.
37 Ibid., p. 4491.
38 Ibid., p. 4573.
39 Ibid., p. 4595.
40 Ibid., p. 4598.
41 Journal officiel, Assemblée nationale, p. 4606-4608.
42 Dans de nombreuses villes en effet, les débats municipaux autour de la pertinence du dispositif et du bien-fondé du découpage des zones sont houleux.
43 Journal officiel, Assemblée nationale, p. 4491.
44 L’analyse de cette présence inédite des médias dans l’arène parlementaire a déjà été menée pour le premier débat consacré à la politique de la ville, en décembre 1990 : les références à des sources médiatiques traduisaient alors un manque de schèmes cognitifs à la disposition des députés confrontés à un problème qualifié d’« émergent » (Rasmussen, 2002).
45 Créé en 1991, l’Institut indépendant Banlieuescopies regroupe des chercheurs autour d’un programme d’observation et d’évaluation des politiques publiques dans les banlieues.
46 Ces travaux menés au sein de l’Institut Banlieuescopies, sur une commande conjointe de la Délégation interministérielle à la ville, de la Caisse des dépôts et de consignations et du Fonds d’action sociale, donnent lieu à huit rapports non publiés. Un ouvrage en présentant la synthèse paraît à la fin du mois de mars (Jazouli, 1995).
47 On a pu recenser des comptes rendus dans La Croix, Le Figaro, Libération, Le Monde, La Tribune Desfossés et sur France 2, les 2 et 3 mars. Adil Jazouli a par ailleurs accordé une interview à Michel Field sur Europe 1 le 1er mars lors du journal de 18 heures.
48 Le Nouvel Observateur, 23 mars 1995, interview d’Adil Jazouli par Nicole Leibowitz.
49 Le Monde, 23 mars 1995, « Le frisson qui rassure », Daniel Béhar, Philippe Estèbe, p. 15 : « Pourquoi ces diagnostics alarmistes qui assimilent l’exclusion sociale à la relégation spatiale rencontrent-ils un tel succès ? Lorsqu’il proclame que les exclus sont toujours plus exclus et concentrés dans les quartiers d’exil, le rapport de Banlieuescopies vise à nous complaire : il nous apporte le frisson qui rassure. L’exclusion, toujours plus grave, est confinée dans un ailleurs social et géographique ; clairement circonscrite, elle ne nous concerne que comme un objet de compassion. Dès lors deuxième ressort du succès la solution devient évidente. L’État n’en fait pas assez, son action n’est pas à la hauteur de l’enjeu ; il en faut plus, plus de volonté, plus de moyens, bref, il faut, selon une expression que l’auteur du rapport aime à employer, déclencher un “plan Marshall pour les banlieues”. »
50 Le Figaro, 30 mars 1995, « Débat entre un politique et un sociologue. Banlieues : l’État à la rescousse », 30 mars 1995, interview d’Adil Jazouli et d’Éric Raoult.
51 Adil Jazouli, Banlieues : les nouvelles frontières intérieures, rapport de synthèse, Banlieuescopies, 1992.
52 Le Figaro, 21 novembre 1992.
53 Ce premier rapport fera d’ailleurs l’objet d’un éloge appuyé dans l’ouvrage d’Éric Raoult, SOS Banlieues (1993), sorti immédiatement avant les législatives des 21 et 28 mars 1993.
54 Journal officiel, Assemblée nationale, p. 4586.
55 Le Figaro, 19 janvier 1996.
56 J. -Cl. Gaudin, Journal officiel, Assemblée nationale, p. 4461.
57 E. Raoult, Journal officiel, Assemblée nationale, p. 4464.
58 Journal officiel, Assemblée nationale, p. 4468.
59 Journal officiel, Assemblée nationale, p. 4606.
60 Journal officiel, Assemblée nationale, p. 4461.
61 Ibid., p. 4477.
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