8. Le pluralisme limité de l’action publique territoriale : le ministère de l’Équipement entre adaptations et continuité
p. 189-209
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Texte intégral
1Est-il pertinent de saisir les mutations de l’action publique en observant l’État quand « succède au pilotage centralisé par l’État, un mode de gouvernement pluraliste, ouvert et différencié, dont l’épicentre se situe autour du traitement territorialisé des problèmes ? » (Duran et Thoenig, 1996, p. 590).
2Détonateur et révélateur d’une « crise » de l’État (Muller, 1992a et 1992b), la décentralisation, du fait des transferts de compétences qu’elle a entraînés, a été interprétée comme une remise en cause de ce dernier. Alors « durant une décennie, les recherches et les débats vont essentiellement porter sur les collectivités territoriales comme si elles étaient à elles seules toute l’administration territoriale de la France » (Grémion, 1992, p. 210).
3Ainsi, en centrant l’analyse sur l’État territorial et sur ses réformes, nous souhaitons montrer que « les lois de décentralisation n’ont pas mis fin à la dualité de l’administration territoriale française, fondée sur une interrelation forte entre les collectivités locales et les administrations déconcentrées de l’État ; elles en ont seulement modifié les équilibres » (D’Arcy, 1996, p. 204).
4L’action publique locale ne serait que fragmentation et complexité, éclatement et désordre. On assisterait à un enchevêtrement des niveaux de gouvernement, on verrait émerger une « polyarchie institutionnelle » ou encore une « gouvernance polycentrique » qui témoigneraient du caractère diffus et anarchique de l’action publique, devenue un véritable « kaléidoscope » (Balme, Faure et Mabileau, 1998). Parallèlement, aucune régularité ne serait vraiment identifiable, l’action publique oscillant entre l’« anarchie organisée » et le pluralisme. Le mouvement de territorialisation de l’action publique ne produirait donc que du désordre là où l’État, jadis, jouait le rôle du grand intégrateur.
5Pourtant, les « nouvelles politiques locales » s’inscrivent, à maints égards, dans une certaine continuité de fonctionnement du système politico-administratif français. C’est pourquoi il nous semble fructueux de décaler le regard vers des institutions traditionnelles et stables pour dégager les tendances lourdes de l’évolution de l’action territoriale. Comme le souligne Dominique Lorrain,
« Les travaux récents ont très largement porté sur la dernière couche de l’action publique locale […]. Or, par définition, l’invention des réponses à des problèmes neufs conduit toujours les organisations à développer à leurs franges des formes nouvelles, souples, en réseau, incertaines, contractuelles. […]. Le passage à l’affirmation d’une nouvelle forme de gouvernement supposerait tout de même que soit démontré que les grandes organisations “dures” n’ont pas disparu » (Lorrain, 1995b, p. 204).
6C’est dans cette perspective que nous avons étudié le ministère de l’Équipement, administration qui a fait l’objet de nombreux travaux, objet déjà bien balisé, trop diront certains. En effet, les recherches ayant ce ministère pour objet ont marqué la sociologie politique en France (Friedberg et Thoenig, 1970 ; Thoenig, 1973 ; Crozier et Thoenig, 1975 ; Duran et Hérault, 1992 ; Duran, 1993 ; Berrivin, 1995). Pour autant, certaines caractéristiques de ce ministère en font toujours un lieu d’observation privilégié lorsque l’on s’intéresse à la territorialisation de l’action publique.
7En effet, l’administration de l’Équipement participe à de nombreuses politiques publiques : habitat, logement, tourisme, transports, infrastructures, aménagement, urbanisme en jouant des « rôles » différents. Les agents de ce ministère remplissent des missions régaliennes classiques et peuvent, dans le même temps, être mis à disposition auprès des collectivités locales. Ils ont la charge des contrôles de légalité sur les documents d’urbanisme et conseillent par ailleurs les collectivités. En d’autres termes, ces fonctionnaires travaillent à la fois pour l’État (35 %), pour les départements (40 %), pour les communes et les structures intercommunales (25 %). La variété des missions, des partenaires et des positionnements s’accompagne de modes d’action publique eux-mêmes différenciés. En d’autres termes, l’analyse de cette administration offre la possibilité de saisir concrètement la problématique de la différenciation et de la territorialisation de l’action publique dans la mesure où les directions départementales de l’Équipement agissent, plus que jamais, dans le flou lié à l’adaptation constante des règles juridiques, en fonction des spécificités de chacune des politiques publiques menées localement. En quête d’efficacité, l’État est en train de repenser son rapport au territoire pour concilier territorialisation et intégration de l’action publique.
8Cette approche implique, en termes méthodologiques, qu’il faut sortir de l’analyse sectorielle des politiques publiques pour mesurer l’étendue des mutations de la gestion publique territoriale. Ainsi, nous avons fait le choix de mener un travail de terrain approfondi dans trois DDE (Loiret, Ille-et-Vilaine, Yvelines) sans cibler sur une politique sectorielle particulière mais en identifiant progressivement des positionnements et des modes d’action publique différents, en fonction des missions et des partenaires. Cette démarche impliquait également de privilégier un échelon territorial sans ignorer ses relations avec les autres niveaux territoriaux et ce, afin d’éviter les effets de loupe d’une approche exclusivement « par en bas » ou « par en haut ». Dans le cas d’une analyse centrée sur les DDE, il était intéressant de considérer cet échelon comme un niveau intermédiaire entre le maillage infra-départemental et le niveau central – sachant que le niveau régional est marginal au ministère de l’Équipement –. Enfin, cette approche s’est traduite par un travail de terrain à la fois quantitatif1 et qualitatif2.
9Cette territorialisation de l’action publique questionne l’État à la fois sur les contenus des politiques territoriales de l’Équipement, sur l’évolution du management d’une administration territorialisée et remet en cause les modes d’intervention traditionnels de l’État.
10S’il est difficile de mesurer les conséquences de la territorialisation sur le contenu des politiques dont le ministère de l’Équipement a la charge, on peut, en revanche, les apprécier au regard des problèmes qu’elles posent à la « culture » des deux principaux corps techniques dont sont issus la majeure partie des cadres de ce ministère. C’est de la force de son inscription territoriale que le ministère de l’Équipement a acquis sa légitimité et celle-ci prenait sens dans la figure de l’ingénieur des Ponts et Chaussées en poste dans la filière territoriale du ministère de l’Équipement (Thoenig, 1973). En quoi les cultures techniques et étatiques des ingénieurs des Travaux publics de l’État et des ingénieurs des Ponts et Chaussées sont-elles affectées par l’autonomisation des territoires infra-étatiques ? Les membres de ces deux corps, par leur culture technique et leurs modes d’action, « marquaient » l’action publique. Ces « bâtisseurs jacobins », selon l’expression du président de l’Association des ingénieurs des Ponts et Chaussées, sont-ils à l’origine de mutations en cours internes ou extérieures à l’administration concernée ?
11La territorialisation pose également le problème du management des services territoriaux et de l’évolution des modes d’action publique. Si le ministère de l’Équipement est caractérisé par sa « modernisation » plus forte que celle de n’importe quelle autre administration, c’est sûrement parce que, plus qu’un autre, ce ministère est en charge de la gestion du territoire.
12S’il s’agit bien de saisir les mutations d’une administration d’État, ces dernières n’ont de sens que mises en parallèle avec l’évolution des partenaires de l’État et la redéfinition des relations entre les services de l’État que sont les directions départementales de l’Équipement et les collectivités locales. Force est de constater que le couple État/collectivités locales, élus/ingénieurs, reste central et que les DDE sont en train de se recomposer et de repenser leur inscription territoriale de façon différenciée selon les contextes locaux.
13En d’autres termes, du fait de la décentralisation et de la déconcentration, on observe une continuité dans l’extension de l’interdépendance entre les services déconcentrés de l’État et les collectivités locales, qui se traduit par la généralisation de modes d’action publique et de structures partenariales entre ces deux catégories d’acteurs davantage que par une ouverture du processus de construction de l’action publique à de « nouveaux » acteurs.
14À travers la thématique de la déconcentration de l’État, c’est bien une nouvelle articulation entre d’une part la territorialisation et d’autre part l’intégration de l’action publique qui est recherchée. Après la remise en cause d’un pilotage descendant et uniforme (top-down) et l’affirmation d’une logique ascendante et fragmentée (bottom-up)3, on entrerait dans une phase de stabilisation de la déconcentration privilégiant une logique de « va-et-vient » largement initiée par les DDE. Cette capacité des DDE à innover n’est pas sans lien avec leur positionnement local caractérisé à la fois par des relations privilégiées avec les préfets et des facilités d’accès auprès des élus locaux.
15Au total, des changements importants sont observables au sein de l’administration de l’Équipement qui témoignent de l’adaptation culturelle de l’État à la problématique de la différenciation territoriale (I). Pour autant, de forts éléments de continuité caractérisent la structure des scènes locales toujours marquée par la forte interdépendance entre l’État et les collectivités locales (II). Aussi, combinant changement et permanence, l’État local serait en cours de recomposition en vue de trouver un nouvel équilibre entre l’intégration et la différenciation de l’action publique territoriale (III).
Que sont les technocrates devenus ? L’évolution sociologique et culturelle des ingénieurs de l’Équipement face à la territorialisation de l’action publique
16À la fin des années quatre-vingt, le thème de la territorialité du ministère a été l’occasion de repositionnements corporatistes dont les enjeux en termes de postes et d’influence ont largement occulté les questions de fond. En conséquence, les réformes pourtant réelles du management territorial4 ne se sont pas toujours traduites, sur le terrain, par une adaptation à de nouveaux besoins qui appellent des changements quant au contenu des politiques et aux modes d’action publique nécessaires pour les mettre en œuvre.
L’ancrage local des ingénieurs de l’Équipement, source de repositionnements corporatistes
17Traditionnellement, on observe une forte autonomie, aussi bien fonctionnelle que territoriale, entre chacun des différents niveaux territoriaux de l’Équipement, DDE siège, arrondissement, subdivision. En effet, chaque niveau s’appuie sur une certaine polyvalence professionnelle et gère, à son échelle, son environnement politique local. Au directeur départemental, les grands élus, les grands maires, le président du conseil général, les grands dossiers et les chantiers importants ; au subdivisionnaire, « ses » maires, les conseillers généraux de « ses » cantons et les chantiers de plus petites tailles (Dupuy et Thoenig, 1983). Cette répartition des territoires, des interlocuteurs et des postes selon des appartenances corporatistes structurent fortement tout l’appareil territorial du ministère de l’Équipement.
18Ainsi, c’est en observant les pratiques des agents de ce ministère que des concepts et des modèles tels que le « jacobinisme apprivoisé », le « pouvoir périphérique » ou « la régulation croisée » ont émergé dans les années soixante-dix. En effet, en dépit d’une centralisation forte, les relations étroites entre les élus et « leur » ingénieur, présent en permanence sur le territoire, permettent d’atténuer le principe de la centralisation.
19L’intégration est alors assurée par l’homogénéité des représentants du ministère de l’Équipement sur le territoire, recrutés au sein du même corps et par conséquent détenteurs d’une même culture technique dont ils ont le monopole. La différenciation en fonction des scènes locales est, quant à elle, rendue possible par le maillage territorial infra-départemental doublé d’une large autonomie des ingénieurs quant au pilotage de la subdivision. Ainsi, peuvent se nouer des relations denses entre élus et représentants de l’État dont l’aboutissement est la mise en œuvre locale différenciée de politiques définies à l’échelon central.
20Au total, grâce à cette organisation territoriale, c’est à la périphérie que sont résolus les problèmes nés des décisions prises au centre. Les politiques élaborées à Paris et mises en œuvre localement sont sujettes à des arrangements. Il existe donc une régulation à la marge qui dépend du « pouvoir » de la périphérie, c'’est-à-dire de la capacité des élus locaux à négocier avec le représentant de l’État local qu’est l’ingénieur de l’Équipement. Cette capacité d’adaptation, ce jacobinisme apprivoisé n’est toutefois que périphérique au sens où il ne se comprend que par rapport à un centre, producteur de normes et de politiques.
21Dotés d’une autonomie forte, issus de corps prestigieux, exerçant des prestations variées, les cadres de l’Équipement sont de véritables notables locaux qui gouvernent le local, qui disposent d’un quasi-monopole de l’expertise technique en même temps que de ressources indispensables aux élus. Si ces relations d’interdépendance existent toujours, les lois de décentralisation en ont bouleversé les équilibres et ont conduit à redéfinir les règles du jeu entre les représentants de l’État et les collectivités locales.
22Dans les années quatre-vingt, l’État consacre juridiquement un processus de décentralisation révélateur de l’évolution des rapports de force entre le local et le national, entre l’État et les collectivités territoriales. Le ministère de l’Équipement est concerné de près par la décentralisation dans la mesure où celle-ci donne le droit aux départements de demander une partition des DDE, c’est-à-dire un transfert des services chargés des compétences transférées de l’État vers les conseils généraux.
23Au travers des réformes de décentralisation, c’est tout l’ancrage territorial du ministère de l’Équipement qui se trouve bouleversé, alors même que celui-ci constituait la force du ministère et était le lieu de relations privilégiées avec les élus locaux.
24En conséquence, les cadres qui faisaient le prestige de cette administration, à savoir le corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées, se sont désengagés de la filière territoriale (Filliol et Thoenig, 1988). Nous avons quantifié ces tendances en analysant les bilans de gestion du corps des Ponts et Chaussées5. Pour ne citer que quelques chiffres, de 1982 à 1994, le nombre d’IPC en poste au ministère de l’Équipement est passé de 840 à 656 (soit une baisse de 22 %). Ces départs ont particulièrement frappé les services extérieurs (sur 351 IPC en poste en DDE en 1982, ils ne sont plus que 210 en 1994, soit des départs représentant 40 % de l’effectif) et sont plus importants chez les IPC de deuxième niveau c’est-à-dire les plus bas dans la hiérarchie et les plus jeunes (150 IPC2 étaient en poste en DDE en 1982 contre 66 en 1994, soit une baisse de 56 %). Signalons également que depuis 1994, les effectifs sont stables.
25De plus, ces bilans de gestion du corps des Ponts et Chaussées font apparaître un « conflit de génération » entre les grades supérieurs, plus traditionnels et plus tournés vers l’administration et les ingénieurs les plus jeunes qui s’inscrivent sur un marché de l’emploi libéral fonctionnant selon le principe de l’offre et de la demande et qui ont tendance à quitter l’Équipement au moment fort de leur carrière, c’est-à-dire au moment d’occuper un poste de directeur départemental de l’Équipement6. Toutefois, pour ces derniers, la question se pose pour l’administration du ministère du renouvellement de ses cadres territoriaux.
26On assiste donc, depuis quelques années, à un rééquilibrage des rôles au profit des ingénieurs des Travaux publics de l’État ainsi qu’à la mise en place de passerelles entre le corps des TPE et celui des Ponts et Chaussées. Cette accession des TPE dans le corps des Ponts se fait sur concours après une expérience professionnelle de sept ans minimum ce qui équivaut à deux à trois postes chaque année, ou bien sur liste d’aptitude pour les TPE plus avancés dans le déroulement de leur carrière. Ainsi, ce corps, petit à petit, « récupère » les postes de commande abandonnés par les Ponts polytechniciens. Le corps des TPE a su profiter des réformes de décentralisation et des départs des ingénieurs des Ponts et Chaussées qui s’en sont suivis pour renforcer son emprise localement. Plus que jamais, les TPE représentent la filière territoriale du ministère de l’Équipement : en 1998, sur les 4943 ingénieurs des TPE, 3900 étaient en poste au ministère de l’Équipement, soit 79 % du corps. Plus précisément, ils sont 2496 en poste en DDE, ce qui représente la moitié du corps.
« Par rapport à la décentralisation, tous les corps ne se sont pas comportés de la même façon. Le corps des TPE a été dans une position d’accompagnement. Il existe une telle culture de conseil aux collectivités locales. On a 4 000 TPE près des élus et près du terrain. Le Syndicat national des ingénieurs TPE, en 1982, s’est montré favorable à la décentralisation. Cet accompagnement est lié à la fois à des convictions et à l’intérêt du corps. Les TPE étaient bridés par les ingénieurs des Ponts alors que le niveau de recrutement n’a cessé de croître. Donc, les TPE ont vu dans la décentralisation une possibilité d’épanouissement de leurs ingénieurs » (chargé de mission pour le corps des ingénieurs des Travaux publics de l’État auprès du directeur du personnel et des services, ministère de l’Équipement).
27Supériorité numérique, fort taux de syndicalisation de cadres en situation de responsabilité, relations denses avec le terrain : les ingénieurs TPE tiennent une place centrale au ministère de l’Équipement. Ce sont eux qui portent les politiques du ministère localement et qui s’affirment comme les garants de l’inscription territoriale d’un ministère auquel ils sont très attachés.
28Au total, durant les années quatre-vingt-dix, la composition sociologique des cadres du ministère a considérablement évolué. Si un rapprochement entre les deux corps a eu lieu par l’usage des passerelles permettant aux ITPE d’intégrer le corps des Ponts, une différence majeure persiste entre les membres de ces deux corps dans leur rapport à l’État. Aux ingénieurs des Ponts et Chaussées, occupant le plus souvent des postes où le donneur d’ordre est l’État, membres d’un grand corps d’État réputé jacobin et dont l’histoire est intimement liée à la centralisation étatique (Petot, 1958 ; Brunot et Coquand, 1982), se sont substitués des ingénieurs des Travaux publics de l’État, porteurs d’une vision de l’action publique émanant du terrain où s’entremêlent les activités régaliennes et celles conduites pour le compte des collectivités locales. De ce fait, les repositionnements corporatistes sont bien étroitement liés à l’ancrage territorial du ministère de l’Équipement.
29Cependant, ces repositionnements au sein des corps techniques ne doivent pas donner l’illusion qu’ils suffisent à eux seuls à renouveler, localement, la place et le rôle du ministère de l’Équipement. Si l’accroissement de la présence des TPE peut témoigner d’une attention accrue à l’égard du terrain, placer des ingénieurs des TPE en lieu et place des X-Ponts sur le territoire permet aussi d’éviter de poser la question de fond de l’adaptation des savoirs et savoir-faire de ces ingénieurs et de leur adéquation avec les besoins émergents. C’est pourquoi, il convient de prendre en compte l’évolution du contenu des politiques et des missions du ministère et de s’interroger sur la place de la technique quand l’action publique partenariale implique une proximité avec le politique et une prise en compte des dynamiques territoriales.
Une technicité remodelée par les territoires et immergée dans le politique : de « l’Ère des technocrates » (Thoenig, 1973) à la « fin du gouvernement des techniciens » (Edou, 1992) ?
30En 1992, Patrice Duran et Bruno Hérault faisaient déjà le constat d’une administration de l’Équipement « à la découverte du politique » (Duran et Hérault, 1992). La décentralisation en initiant un processus de territorialisation de l’action publique a en effet conduit à une remise en cause de la place des considérations techniques dans l’action publique :
« Aujourd’hui, on est manifestement sorti d’une logique d’action publique définie en termes de production. Il s’agit moins de produire que de répondre à des problèmes complexes difficilement cernables dans des savoirs d’experts. Construire des routes et des logements, distribuer de l’eau, transporter, correspond à des activités que l’on peut techniquement déterminer et standardiser. Il est plus difficile de produire un environnement de qualité, un urbanisme équilibré, du développement local, etc. La demande sociale est moins préformée par des normes techniques qu’elle ne s’exprime à travers des problèmes directement vécus, qui ne sont pas réductibles aux catégories administratives habituelles. […] Aujourd’hui, il n’y a plus le même degré d’adéquation entre le contenu d’une mission à assurer et un savoir technique » (Duran, 1999, p. 115-116).
31Les rapports entre l’Équipement et le politique ne datent pas de la décentralisation mais celle-ci est venue rappeler à quel point une conception neutraliste de la technicité était un leurre. Un leurre, certes pratique et sécurisant pour les cadres de l’Équipement, mais qui ne correspond plus aux besoins des collectivités et au rôle attendu de l’État local.
32Pour illustrer ce propos, l’exemple des stratégies contradictoires autour de la place de la route dans la ville est à la fois simple et parlant. En la matière, les conseils généraux, représentant le monde rural cherchent avant tout à garantir aux ruraux un accès routier à la ville. Les villes ont, quant à elles, eu tendance ces dernières années à miser sur la qualité de vie des urbains, ce qui s’est traduit par la multiplication des transports collectifs au détriment de la route. Un DDE, maître d’œuvre dès lors qu’il s’agit d’une route nationale, est chargé de concevoir le tracé d’une nouvelle pénétrante entre une grosse commune du département et l’agglomération. À grand renfort de géologues, d’experts du foncier, d’aménageurs maîtrisant le schéma directeur, d’ingénieurs des Ponts spécialistes en ouvrage d’art, le DDE va s’efforcer de proposer le « meilleur » tracé possible. Or, cette solution, fondée sur des critères techniques, va se heurter aux conceptions antagonistes, en matière d’aménagement du territoire, des représentants du conseil général et de ceux de l’agglomération : les premiers trouvant le tracé trop sinueux, pas assez direct, pas assez rapide ; les seconds mécontents de voir un nouvel axe routier pénétrer l’agglomération.
« Avant la décentralisation, on pouvait faire passer n’importe quel projet si le volet technique était bon. Demain, je vais présenter un dossier techniquement irréprochable mais qui pose un gros problème politique. Moi, j’ai une solution technique excellente, pas chère. On propose une solution mais ça ne convient pas à nos partenaires. Il y a une solution proposée par le conseil général, une autre proposée par le District de Rennes… et, ça dépasse les clivages politiques, c’est plus compliqué que des clivages politiques. Ce n’est pas facile pour moi, au milieu, mais c’est aussi l’intérêt du boulot. Je ne dis pas ça en regrettant le temps de “Monsieur l’ingénieur des Ponts et Chaussées” » (directeur départemental de l’Équipement, DDE 35).
33Nous avons vu précédemment que les départs des X-Ponts avaient été compensés par une présence accrue des ingénieurs des TPE au sein de l’administration de l’Équipement, notamment dans la filière territoriale. Un rééquilibrage s’est effectué au sein des corps techniques sans véritablement interroger la pertinence de tels recrutements et sans remettre en cause le clivage entre les « techniques » et les « administratifs » au sein du ministère. Dès lors, comment se comportent ces ingénieurs face à des politiques publiques dont la dimension technique n’est que résiduelle, marginale et qui font intervenir d’autres modes de construction de l’action publique qui dépendent largement des territoires sur lesquels elle s’inscrit ?
34La légitimité des ingénieurs du ministère était en effet fondée sur leur technicité. Ayant perdu sinon leur technicité, du moins la plénitude de son usage, sans reconstituer de nouvelles compétences adéquates, les DDE sont absentes dans certains secteurs d’action publique révélateurs du décalage entre les logiques de métier et les problèmes transversaux qui émergent localement. À ce titre, un certain conservatisme est présent chez les ingénieurs ayant effectué la majeure partie de leur carrière avant les années quatre-vingt. S’enfermer dans le technique pour garder son pouvoir ou du moins pour ne pas être trop déstabilisé, c’est ce que nous avons perçu chez des ingénieurs mal à l’aise par rapport aux problématiques d’aménagement et de développement local, politiques où les acteurs sont nombreux, où « tout le monde a son mot à dire », où « il n’y a pas de vérité absolue », où « c’est tout et tout le monde », bref, politiques qui dérangent… et qu’ils ignorent pour ne pas être trop dérangés.
35En conséquence, face à cette attitude, le ministère ne manque pas une occasion, et c’est très net depuis 1998, de mettre en avant une « nouvelle culture du territoire7 » qui serait en train de voir le jour au travers de nouvelles « démarches territoriales en DDE8 » qui initieraient une révolution culturelle.
36Ayant perçu que leur posture technique faisait problème, que l’essentiel était dans l’usage stratégique de la connaissance qu’ils produisent, reste maintenant à trouver comment communiquer autrement cette parole de l’État.
« On dit qu’on est ingénieur et qu’on veut faire du technique mais en fait, on s’accroche à des procédures. On part d’une culture d’objet technique qui ne se discute pas, alors quand il faut organiser des discussions avec les riverains, on a peur du contentieux, on a une démarche procédurale, on cherche à leur dire qu’on a respecté les procédures, mais on ne les fait pas participer à la gouvernance. La posture professionnelle de l’ingénierie de concertation, on ne l’a pas. On fait beaucoup de réunions, de débats, mais on reste maître du jeu, on est maladroit. On a raison sur le fond mais tord sur la forme. On reste un peu obtus et beaucoup de choses sont rabattues dans le juridico-institutionnel » (directeur départemental adjoint, DDE 78).
37C’est donc l’usage stratégique de la connaissance plus que les connaissances techniques elles-mêmes qu’il faut repenser dans cette perspective de territorialisation de l’action publique. Cela suppose de nouveaux supports de la connaissance, moins figés qu’un Plan d’occupation des sols ou encore qu’une enquête d’utilité publique.
38Le 17 juin 1999, s’est tenue une journée « Évaluation des politiques publiques en DDE » sur le thème de la territorialisation de l’action publique, organisée par le Plan urbain. A été évoqué, à de nombreuses reprises par des directeurs départementaux de l’Équipement, la question de la difficulté à communiquer une « parole de l’État », sans être trop directif mais qui pose toutefois des orientations et des enjeux. L’enjeu est de redéfinir l’opérationnalité de la connaissance produite par les DDE localement pour ne pas le faire basculer vers de la programmation, et, par conséquent, pour ne pas brusquer les élus.
39Comment alors mettre en forme cette production de connaissance ? Les DDE se sont lancées dans la production de Livres blancs ou encore de diagnostics territoriaux. Dans quelle mesure ces appellations sont-elles porteuses d’une posture moins technocratique des ingénieurs de l’État ?
40Ces outils, à la base de modes d’action publique partenariaux et territorialisés restent largement à inventer. Ce rapport au politique et au territoire se construit quotidiennement dans les DDE, de façon inégale. Pourtant, il apparaît que c’est dans la continuité de l’interdépendance entre les services déconcentrés de l’État et les collectivités locales qu’est co-construite la « nouvelle » action publique. C’est pourquoi nous faisons nôtres les propos de Patrice Duran lorsqu’il propose de saisir ce nouveau rapport au politique empiriquement en observant l’administration « au travail », « là où les attitudes et les représentations acquièrent de la consistance en s’inscrivant dans la durée et la répétitivité des tâches » (Duran et Hérault, 1992).
Les DDE face aux élus : une interdépendance accrue par la territorialisation de l’action publique ?
Le poids du tandem élu-ingénieur
41Notre travail de terrain a fait ressortir que de nombreux élus, et pas seulement ceux qui représentent des communes rurales, continuent de chercher l’appui et la collaboration des services déconcentrés du ministère de l’Équipement. Ce recours à l’État local ne doit pas être interprété, à notre avis, comme un « dernier recours », faute de mieux. Les DDE continuent d’être trop souvent sollicitées, notamment dans des domaines ayant donné lieu à des transferts de compétences, pour expliquer ce besoin d’État par la seule absence d’autres acteurs.
42Cela fait maintenant 250 ans que les services locaux de l’Équipement travaillent avec différents donneurs d’ordre et remplissent à la fois des missions pour le compte de l’État et pour celui des collectivités locales.
« Est-ce qu’on va continuer à travailler comme ça ? On est vraiment à la croisée des chemins » (directeur départemental de l’Équipement, DDE 35).
43Si les premiers temps de la décentralisation ont été le théâtre de prises de pouvoir, parfois violentes, notamment contre l’Équipement en raison de sa proximité à l’égard du politique, une vingtaine d’années plus tard, c’est davantage l’inter dépendance entre ces administrations décentralisées et ces services déconcentrés de l’État qui frappe l’observateur.
44Du côté des collectivités, le recours à la DDE est motivé par des éléments distincts selon les niveaux territoriaux et leur poids politique.
45Globalement, les conseils généraux continuent de faire appel aux DDE pour tout ce qui concerne la voirie départementale alors même qu’ils ont la possibilité de constituer leurs propres services en demandant la partition des DDE. Au 1er septembre 1999, seuls dix-sept départements étaient concernés par des réorganisations totales, autrement dénommées partitions, et treize par des réorganisations partielles aboutissant aux transferts de quelques agents9. Le plus souvent, les présidents de conseils généraux n’ont pas souhaité, par souci d’économie, des partitions qui se seraient soldées par un dédoublement des structures. La politique du ministère de l’Équipement étant d’éviter au maximum l’éclatement des services, les conseils généraux ont pu par ailleurs poser des conditions au maintien de la mise à disposition. Enfin, les maires qui souhaitaient préserver leur indépendance vis-à-vis des départements n’étaient pas favorables aux partitions et ont pesé pour que les DDE restent rattachées à l’État. Aussi, il est de l’intérêt des départements de ne pas casser « l’outil DDE » tant celui-ci est important aux yeux des maires ruraux… dont les conseils généraux se font les représentants face aux zones urbaines.
46S’agissant des transferts de compétences en direction des communes, le constat est de même nature. Dans les trois départements étudiés, les communes se tournent vers la DDE siège ou la subdivision. Ceci est très net en matière d’Application du droit des sols (ADS) où les collectivités font appel, de surcroît gratuitement, à la DDE et s’assurent ainsi une sécurité juridique.
« On fait 95 % des POS sur le département et il faut qu’on n’en fasse plus que 50 %. Les bureaux d’études privés peuvent faire ce boulot pour les maires. Mais les élus se servent de nous comme caution en disant que le POS fait par la DDE est plus crédible que si c’est un bureau d’études privé qui le fait » (directeur départemental de l’Équipement, DDE 35).
47De plus en plus, les DDE souhaitent pourtant se désengager de ces tâches lourdes en incitant les communes les plus grosses, telle Versailles, à prendre directement en charge l’ADS ou en aiguillant les plus petites vers des bureaux d’études privés.
« C’est vrai que la réglementation est foisonnante et très difficile à adapter donc ça fait peur aux maires. Ils n’ont pas totalement pris leur compétence. Ils veulent que la DDE fasse le POS. L’urbanisme est revenu à l’État par le biais de la mise à disposition aux communes, ce qui n’est pas très logique face à la décentralisation » (chef du service Prospective et compétence juridique, DDE 78).
48Au-delà du seul domaine de l’urbanisme, les communes continuent également de faire appel aux DDE pour effectuer des travaux, des maîtrises d’œuvre. On ne repère pas de chute significative des montants de travaux réalisés qui puisse être interprétée comme un « lâchage » des DDE. Si les communes de plus de 10 000 habitants « s’émancipent » de l’Équipement, on constate aussi, dans le Loiret par exemple, que le SIVOM de l’agglomération d’Orléans confie toutes les maîtrises d’œuvre sur ses chantiers importants à la DDE. Cette activité pour le compte du SIVOM représente 25 % des honoraires globaux perçus par la DDE du Loiret et 15 agents de la DDE travaillent à temps complet pour le SIVOM. Plusieurs facteurs expliquent ce recours à la DDE. D’une part, le SIVOM de l’agglomération d’Orléans s’appuie sur la DDE pour des raisons de neutralité politique. Sous la houlette du maire socialiste d’Orléans, Jean-Pierre Sueur au moment de l’enquête, le SIVOM est également composé de petites communes qui craignent de voir s’affirmer le poids de la ville-centre en cas de création de services techniques propres au SIVOM, dans la mesure où ces derniers seraient en réalité constitués à partir des services de la ville d’Orléans. D’autre part, les prix pratiqués par l’Équipement sont globalement compétitifs et des « prestations masquées » qui, théoriquement pourraient être rémunérées, et qui, de fait, ne le sont pas (montage de dossiers de demande de subventions, petites opérations de maîtrise d’œuvre, audits d’aménagement…), sont effectuées de façon assez courante. Enfin, la qualité de l’expertise technique est mise en avant pour expliquer le recours à la DDE.
49Alors que les villes ont les moyens de se passer des services de l’Équipement, on constate qu’elles ont, elles aussi, tout intérêt à bien s’entendre avec la DDE. Les politiques mises en place par les villes, qu’il s’agisse du développement de transports collectifs ou de politiques de la ville, sont des politiques partenariales, qui impliquent les services de l’État notamment au niveau de leurs financements.
50C’est pourquoi, et ceci est valable pour les villes et pour les départements, de bonnes relations avec les DDE facilitent la mise en œuvre de leurs politiques locales en leur dégageant une marge de manœuvre dans l’application locale de politiques et législations nationales, c’est-à-dire en adaptant la norme nationale au contexte local.
« Le président du conseil général revendique le droit à l’expérimentation. Il dit que la loi est trop rigide. Il nous demande une souplesse par rapport à certaines lois. Par exemple, il nous dit qu’avec la loi littoral, le Mont-Saint-Michel n’aurait jamais été construit » (directeur départemental de l’Équipement, DDE 35).
51De plus, l’enquête a montré que, même regroupées dans des structures intercommunales, les communes continuent de solliciter les services de l’Équipement. Peu de bureaux d’études privés se sont positionnés sur le créneau du conseil aux petites communes et ont anticipé les besoins consécutifs au développement de l’intercommunalité rurale. De plus, l’enracinement territorial des services de l’Équipement, leur neutralité politique, assortis de prestations d’un bon rapport qualité-prix font perdurer la confiance des groupements intercommunaux à leur égard.
« Alors qu’on a peur que l’intercommunalité rurale soit synonyme d’un retrait contraint de l’Équipement, nous constatons, que plus les structures intercommunales sont dotées de services techniques, plus nous travaillons avec elles. C’est le cas à Vitré : ils embauchent mais nous on est de plus en plus sollicité. Leurs cadres se servent de la DDE au bon sens du terme. […] Les élus locaux nous demandent de réfléchir avec eux sur l’évolution de l’intercommunalité en terme d’équipement, d’aménagement, d’habitat. On est presque incourtounable sur ces questions et on est compétent territorialement » (directeur départemental de l’Équipement, DDE 35).
52Du côté des directions départementales de l’Équipement, la donne est plus simple. À l’exception des missions de contrôle de légalité pour le compte des préfets, toute l’activité des DDE nécessite l’aval des collectivités locales, y compris les maîtrises d’ouvrage État.
« En ce qui concerne ma génération, la décentralisation est bien rentrée dans les mœurs. Moi, j’attache autant d’importance aux propos du préfet qu’à ceux du président du conseil général ou au président du conseil régional. De toute façon, les collectivités locales paient la moitié de l’autoroute, donc il faut les informer. Si on veut faire avancer les projets, il faut travailler avec eux, on est obligé. Si on ne prend pas en compte le maire du coin, il y a risque de blocage » (chef du service Grands Travaux, DDE 35).
53Par ailleurs, l’activité pour le compte des collectivités est la raison d’être des DDE. Elle représente environ 60 % de l’activité totale des DDE et le maillage infra-départemental est justifié par les prestations fournies aux communes.
La place toute relative des acteurs privés
54Parallèlement, on constate que dans les trois départements étudiés il n’existe pas de bureaux d’études privés pouvant réellement se substituer aux directions départementales de l’Équipement. Si les gros travaux peuvent être pris en charge par des groupes privés de BTP, et certaines études pointues sous-traitées à des bureaux d’études, les DDE restent au cœur du système au sens où la privatisation de certaines tâches en amont (études, prospective) ou en aval (réalisation des travaux) n’exclut jamais complètement les DDE.
55En matière d’ingénierie publique, le secteur privé ne s’est pas positionné sur le marché des prestations à destination des petites communes. Ce segment est considéré comme trop étroit et non rentable. Ainsi, l’Équipement affirme son rôle de service public sur ce segment.
« Sur le rural profond, l’État se substitue à un privé absent » (sous-direction Services et décentralisation, DPS, ministère de l’Équipement).
56Par ailleurs, lorsque des cabinets privés tentent de concurrencer les services de l’Équipement, ils se heurtent à l’obstacle du rapport qualité-prix des prestations fournies par la DDE.
57Côté prix, les élus préfèrent s’adresser aux services de l’État plutôt qu’à des bureaux d’études privés parce que les tarifs de l’Équipement sont inférieurs de 30 % à ceux du privé, avec des modulations encore plus favorables pour les petites communes. Ainsi, par le biais de l’ingénierie, l’État subventionne indirectement les petites communes.
58Côté qualité des prestations, l’accent est mis sur la fiabilité des subdivisions ainsi que sur le savoir-faire des agents. Le principal problème réside dans le respect des délais et pour y pallier, des démarches « qualité » ont été engagées dans de nombreuses DDE. Il s’agit de rationaliser les commandes en fonction du contenu de la prestation, des délais et du financement.
« Notre principal problème, c’est qu’on a du mal à dire non aux élus. Du coup, on s’engage dans des trucs alors qu’on sait qu’on ne pourra pas respecter nos engagements, notamment en termes de délai. Sur mon arrondissement, on expérimente une démarche de rationalisation des commandes. Les élus sont intéressés, donc si ça marche, on va la généraliser » (ingénieur d’arrondissement, DDE 35).
59Enfin, les élus, en faisant appel à l’Équipement, cherchent à s’abriter derrière le parapluie de l’État alors que leur responsabilité fait de plus en plus souvent l’objet de poursuites judiciaires. Les élus se servent des DDE comme caution juridique. Ceci est un facteur explicatif fort du recours à la DDE et de la faible concurrence émanant du secteur privé.
60Solliciter les services de l’Équipement signifie, pour les élus, que le contrôle de légalité est intégré, en amont, dès la prestation.
« Sur la concurrence, on est à l’abri nulle part. Mais, d’une façon générale, les élus font confiance à l’Équipement. C’est aussi un gage pour ne pas être embêté par le préfet. De nombreux élus aujourd’hui n’engageront pas de travaux avant d’en avoir parlé à leur subdivisionnaire » (Bureau de la planification urbaine et rurale, DGUHC, ministère de l’Équipement).
61Au total, dans les trois départements étudiés, les DDE ne sont pas véritablement concurrencées sur ce créneau des missions facultatives pour le compte des communes donnant lieu à des rémunérations accessoires.
« Il n’y a pas de bureau d’étude pour surveiller une entreprise qui va poser 300 000 F de bordures de trottoir. Soit ils ne savent pas surveiller ce type de chantier, soit ça ne les intéresse pas. On ne peut pas envisager de confier les travaux des petites communes à des bureaux d’études privés » (chef du service des Routes et des Infrastructures, conseil général des Yvelines).
62Aussi, les intérêts privés ne se positionnent pas en termes d’action publique territoriale mais davantage selon les opportunités. Qualitativement, ils profitent d’opérations déjà « programmées » plus qu’à une réelle coproduction de l’action publique (Jouve et Lefèvre, 1999).
63Dès lors, au sein de structures partenariales mixtes, la mixité réside davantage dans la codirection entre l’État et la collectivité locale que dans l’extension ou l’institutionnalisation de partenariats public-privé. À titre d’exemple, prenons le cas des Sociétés d’économies mixtes locales. Si elles peuvent être considérées comme des structures en plein essor qui traduisent le développement du pluralisme de l’action publique en faisant une place à des acteurs ni politiques ni publics (Caillosse, Le Galès et Loncle-Moriceau, 1997), elles sont surtout investies par l’État et les collectivités locales. La mixité des capitaux, obligatoire en France, est toute relative. Les collectivités locales doivent détenir entre 50 % et 80 % du capital : la moyenne était établie à 64 % en 1999. Et plus des deux tiers de la part du privé sont en fait détenus par des investisseurs institutionnels tels que la Caisse des dépôts et consignations10.
64C’est pourquoi, il nous semble que, dans le cas de l’Équipement, le pluralisme dans la construction de l’action publique est à relativiser. De la même façon, les notions de polyarchie institutionnelle ou d’ouverture du jeu collectif sont loin d’être évidentes, pour ne pas dire absentes. Si apparaît bien une différenciation croissante de l’action publique, celle-ci n’a pas automatiquement pour corollaire un accroissement du nombre des acteurs dans la construction des politiques locales. Le tandem collectivités-État local, élu-ingénieur, domine largement les scènes observées et reste central dans la mesure où il constitue le pôle de référence pour tout éventuel acteur tiers participant de près ou de loin à l’action publique locale. Pour autant, quelles sont les formes prises par cette action publique coproduite ?
De « nouveaux » modes de coproduction de l’action publique ?
65L’action publique serait, comme jamais, coproduite. À un système vertical de relations se substitueraient des partenariats et des modes d’action publique marqués par l’horizontalité. Dans cette perspective, quelles sont les recompositions à l’œuvre dans les DDE ?
Comment concilier différenciation et intégration de l’action publique ?
66Dans les DDE, des réorganisations territoriales très différenciées selon les sites et largement pensées et menées par les DDE elles-mêmes, indépendamment de l’administration centrale, traduisent une volonté de prise en compte des contextes locaux.
67En Ille-et-Vilaine, le projet de réorganisation est essentiellement tourné vers une intercommunalité en plein essor. Alors que les DDE craignaient que la coopération intercommunale joue contre l’Équipement en permettant aux communes d’être moins dépendantes à l’égard des subdivisions, dans les départements les plus avancés en matière d’intercommunalité, on a constaté, au contraire, que si les structures intercommunales permettaient de faire émerger des projets politiques, leur traduction technique exigeait une coopération avec les services de l’État. Observant l’émergence de ces nouveaux besoins des collectivités, la DDE d’Ille-et-Vilaine a mis en place, de façon concertée, le projet « DDE 2000 » dont l’ambition est de redéfinir un axe d’action stratégique en direction des communes qui sollicitent la matière grise de l’Équipement.
68Pour la DDE, ceci implique des redécoupages territoriaux pour une implantation de ses services qui prennent en compte la carte des territoires intercommunaux ainsi que des formations spécifiques pour les agents de la DDE. Ces derniers doivent, en effet, se convertir en conseiller technique du politique sans être en contradiction avec leur rôle régalien réglementaire. La marge de manœuvre est limitée mais possible grâce à une interprétation du droit en fonction de considérations locales. Des compromis sont ainsi trouvés, par exemple, lorsque l’implantation d’une entreprise est à la limite de la réglementation établie dans un Plan d’occupations des sols. Cette territorialisation du droit équivaut à reconnaître la légitimité d’un intérêt général local sous réserve de ne pas être en contradiction avec l’intérêt général porté par des textes s’appliquant au niveau national.
69Aussi, certaines DDE disposent de véritables capacités d’action et sont créatrices d’action publique indépendamment des structures centrales, qui ne font qu’entériner des pratiques existantes et parfois les généraliser. Autrement dit, pour reprendre les termes d’un directeur départemental de l’Équipement, « la DDE n’est pas seulement la courroie de transmission, le relais des politiques du ministère. On a des choses à dire et à faire localement ».
70Pourtant, alors que les DDE tendent à « devenir un ensemble de moyens d’action mis au service d’une gestion collective des projets politiques de développement local » (Duran et Hérault, 1992, p. 19), elles sont également chargées de garantir la bonne application locale de politiques nationales. À être trop seules face aux collectivités et donc face au politique, la conciliation de ces deux impératifs devient incertaine.
« L’État local a du mal à être le garant d’une cohérence des politiques ici. Quand les élus ne sont pas favorables à telle chose, l’État ne va pas les gêner » (chef du service études et prospective, DDE 78).
71Ainsi, dans les Yvelines, la DDE se retrouve en porte-à-faux au milieu d’élus d’envergure nationale plus ou moins en conflit. Les arbitrages politiques locaux trouvent alors souvent une issue à l’échelle nationale, court-circuitant partiellement le local (Reigner, 1998).
72C’est pourquoi, à l’échelle des DDE, l’autonomie locale est considérée comme un atout, une ressource à condition qu’elle soit doublée d’une administration centrale forte. Le principal grief que les cadres des DDE émettent à l’encontre de leur administration centrale est d’être livrés à eux-mêmes sans réflexion descendante, sans vision globale et générale qui leur permette de procéder plus facilement à des arbitrages locaux.
73La déconcentration vise à accorder aux représentants locaux une marge de manœuvre suffisante pour qu’ils adaptent la règle aux particularités de la situation concrète, tout en appliquant les principes fondamentaux de la stratégie ministérielle. Dans la réalité, les administrations centrales éprouvent une certaine difficulté à énoncer des règles générales.
74Plus qu’une absence de déconcentration, certaines directions d’administration centrale, telle la direction des Routes, en font l’apprentissage en accordant une marge de manœuvre au local enserrée dans un ensemble de procédures qui leur garantit une remontée de l’information. La faiblesse de l’administration centrale peut également se traduire, à l’opposé, par un fonctionnement en roue libre des DDE « qui se débrouillent toutes seules ». Faute de pouvoir fixer des orientations stratégiques et de procéder à des arbitrages, la direction de l’Aménagement et de l’Urbanisme11 était contrainte de renvoyer au local cette responsabilité.
75Récemment, dans la perspective de la négociation des futurs contrats d’agglomération, les DDE ont établi les diagnostics des aires urbaines françaises. Or, la réalisation de ces diagnostics d’agglomération a été l’occasion de mettre en œuvre un système d’aller-retour assez inédit entre les DDE et la DGUHC. Dans un premier temps, le Premier ministre, relayé par le ministre de l’Équipement, a demandé aux DDE de se livrer à cet exercice en privilégiant des thèmes d’investigation. Dans un second temps, les DDE ont engagé la démarche localement. La nouveauté réside dans la valorisation d’une démarche dite de « diagnostic » en amont de celle de « projet ». À ce stade, il n’est pas question de livrer aux collectivités un projet clé en main. Le diagnostic sert de support à la parole de l’État et de base à la discussion avec les collectivités locales. Il ne contient que des propositions alors que la contractualisation découlera d’un diagnostic partagé entre l’État et les collectivités concernées. Tout au long de cette démarche, les DDE sont complètement autonomes vis-à-vis de leur administration centrale qui s’est contentée de fixer une définition assez lâche des aires urbaines, « espace humain et économique cohérent regroupant au moins 50 000 habitants et intégrant une commune centre d’au moins 15 000 habitants ». Jusqu’à ce stade, il s’agit du fonctionnement courant entre le central et le local dans un ministère historiquement déconcentré, dont un des leitmotivs de la modernisation administrative était la responsabilisation des directeurs départementaux de l’Équipement, assortie d’une formation poussée au management.
76Dans un troisième temps, la direction générale de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Construction s’est efforcée de rassembler tous les documents établis par les DDE, de les exploiter et de rédiger une synthèse nationale. Dans sa première version, cette synthèse devait largement évoquer les expériences locales et sa présentation orale devait laisser la parole aux DDE et ce « pour montrer qu’on est à l’écoute12 ». Or, cela n’a pas satisfait les DDE qui « voulaient nous entendre, nous, la centrale. Ils veulent que la centrale prenne position sur ce qui est remonté des DDE. Ils veulent qu’on théorise un peu et après que ça redescende13 ». Ainsi, sous la pression des services déconcentrés, les directions d’administration centrales sont en train de faire l’apprentissage d’un nouvel équilibre entre territorialisation et intégration de l’action publique. Si « elles ne savent pas trop encore comment s’y prendre avec les services déconcentrés14 », des expériences commencent à émerger qui associent autonomie et information ascendante à l’intégration de cette autonomie locale grâce à un mouvement de « va-et-vient » entre les DDE et les DAC.
77Pour autant, n’y a-t-il pas là matière à reconsidérer cette « nouveauté » des relations partenariales entre les DDE, les collectivités locales et l’État central en France ? En prenant quelques exemples relatifs au domaine d’activité de l’Équipement, nous souhaitons montrer comment, le « nouveau » a tendance à s’immiscer dans des cadres d’action traditionnels, voire comment il n’existe que « grâce » à eux.
Quand le nouveau est encadré par l’ancien…
78Il ne s’agit pas d’affirmer ici que rien ne change mais simplement que les « nouvelles politiques locales » s’inscrivent à maints égards dans une certaine continuité de fonctionnement du système politico-administratif local qui semble être sous-estimée.
79D’une part, le droit de l’État encadre la territorialisation de l’action publique. D’autre part, on observe une continuité s’agissant des acteurs qui jouent un rôle structurant dans la coproduction de l’action publique et le maintien de réseaux corporatistes forts localement.
80Par « en haut », la territorialisation de l’action publique s’affirme par et dans le droit public au travers duquel sont explicités les fondements de l’action de l’État15.
81En désignant sous le même vocable d’Administration territoriale de la République à la fois les services déconcentrés de l’État et les collectivités locales, la loi du 6 février 1992 permet donc une perception plus juste de ce qu’est aujourd’hui le système politico-administratif local.
82En 1995, une nouvelle étape est franchie avec la loi Pasqua qui présente la décentralisation non plus comme un objectif en soi mais comme l’accompagnement de la politique de l’État.
83La loi de 1995 se situe donc moins dans une perspective stricte de décentralisation ou de déconcentration que dans une perspective de « combinaison des deux formules en instituant, comme jamais, des formes de concertation et de coadministration entre administrations décentralisées et institutions territoriales de l’État » (D’Arcy, 1996, p. 222).
84Dans cette perspective, le texte de 1995 marque une rupture dans le droit français en affirmant la prise en compte des spécificités territoriales dans le dispositif juridique arrêté à l’échelon national. Cette prise en compte, dans des dispositions législatives, de la réalité observée sur le terrain n’est pas nouvelle. En revanche, sa traduction juridique constitue un changement radical eu égard aux principes d’égalité et d’indivisibilité de la République dans la mesure où devrait résulter de l’application du texte, des différences de droit applicable selon que l’on se trouve dans telle ou telle partie du pays. Le Conseil constitutionnel16 a considéré que ces principes n’étaient pas atteints puisqu’il s’agit de prendre en considération des situations différentes.
85Ainsi, il est admis que les lois de la République ne sont pas identiques pour tous : la différenciation est préférable à l’uniformité, l’équité pourrait prendre le pas sur le sacro-saint principe d’égalité. On assiste à une remise en cause des vieux balisages juridiques du territoire au profit d’une reconnaissance, dans et par le droit de l’État, de territoires flous qui s’affranchissent des découpages administratifs traditionnels. Par le droit, l’État est donc en train de repenser son rapport au territoire, depuis les territoires, à partir de la combinaison administration déconcentrée de l’État/administrations décentralisées des collectivités locales, c’est-à-dire à partir de la notion d’Administration territoriale de la République.
86L’opposition entre des modes d’action publique verticaux traditionnels et des modes nouveaux, conventionnels et horizontaux apparaît alors plus fragile. C’est davantage à une hybridation à laquelle on assiste17. Ainsi, c’est la loi qui oblige la relation conventionnelle entre les conseils généraux et les directions départementales de l’Équipement. C’est la loi, encore, qui incite à l’intercommunalité qu’elle soit rurale, version pays, ou urbaine, version agglomération18.
87Par « en bas », notre terrain a fait apparaître que c’est globalement toujours autour de quelques élus influents, souvent cumulant plusieurs mandats et ayant une visibilité nationale, ainsi que de quelques hauts fonctionnaires, dont le préfet et le DDE, issus de grands corps techniques ou administratifs que sont négociés, bâtis, structurés les principaux « projets » locaux.
88Les technocrates et les notables sont toujours là même si leurs compétences ont évolué faisant peut-être d’eux des « technotables19 ». Ce constat ne semble pas être isolé. Emmanuel Négrier, quand il évoque la notion d’« échanges politiques territorialisés » en la définissant comme « une relation entre deux acteurs généralement publics […] qui prend place lors de la formulation et de la mise en œuvre d’une politique et au sein de laquelle une négociation, fondée sur des ressources et des pouvoirs mutuellement partagés, émerge dans le but de définir et d’éprouver les objectifs d’action publique » (Négrier, 1999, p. 116), ne manque pas de préciser que cette notion d’échange politique était déjà présente, bien que moins théorisée, dans les travaux de Pierre Grémion (1976) portant sur les relations centre-périphérie et sur la structuration du système politico-administratif local.
89On peut noter la même référence quand il s’agit de définir les communautés de politiques mises à jour par des analyses qui s’appuient sur la notion de réseau :
« “Les communautés de politiques” caractérisent des ensembles très stabilisés de relations. Elles s’inscrivent dans des rapports néo-corporatifs et confortent des frontières sectorielles, négociées en fonction d’intérêts collusifs structurés au plan national ou bien de systèmes politico-administratifs régulés localement. L’archétype en est le triangle de fer qui lie, de manière stable et solide (comme son nom l’indique), trois pôles organisés d’acteurs : élus, fonctionnaires, représentants des intérêts. C’est souvent le cas […] de comités de pilotage qui sont aux commandes de grandes opérations d’aménagement urbain, de transport, d’équipement. […] La personnalisation dérive d’abord de la procédure décisionnelle ou du rapport institutionnel, comme autrefois pour le préfet et ses notables » (Gaudin, 1999a, p. 118).
90Parallèlement, les DDE profitent de la force de réseaux corporatistes qui dépassent les clivages institutionnels. Dans le Loiret, l’ancienne présence d’un ingénieur des Ponts à la tête des services de la ville d’Orléans est à l’origine des bonnes relations tissées entre la DDE et l’agglomération. On trouve au conseil général, des ingénieurs des TPE dans le service des Routes et des Infrastructures. Globalement, l’association des chefs de service technique des départements est d’ailleurs composée d’ingénieurs issus à 95 % de l’Équipement. Dans les Yvelines, le directeur du service des Routes ainsi que le directeur général adjoint des services chargés de l’Urbanisme sont des ingénieurs des TPE ayant travaillé à la DDE des Yvelines. Ce département compte aussi la plus forte proportion de polytechniciens (et d’énarques) au kilomètre carré en accueillant les domiciles principaux ou secondaires de nombreux hauts fonctionnaires ! Le cas de l’Ille-et-Vilaine est encore plus frappant. Le président du conseil général est un ancien ministre de l’Équipement. Il connaît « la maison » et a joué de son influence dans le cadre du projet de l’autoroute des Estuaires. Il a également choisi « son » DDE. Toujours au conseil général, le directeur du service des Routes est ingénieur TPE, ancien agent de l’Équipement. Il partage avec ses anciens collègues de la DDE la même culture technique, les mêmes schémas de pensée. En second lieu, on trouve également un ingénieur divisionnaire des Travaux publics de l’État à la tête des services techniques du District de l’agglomération rennaise. Enfin, des arrangements sont également possibles avec le secrétaire général aux Affaires régionales, ingénieur des TPE passé Pont.
91Ainsi, les trois DDE étudiées disposent de relais locaux, détenteurs d’une même culture, parlant le même langage. Préventif, ce corporatisme peut être mobilisé pour « mettre de l’huile dans les rouages », « pour avoir une entrée ».
92Si, comme les projets du ministre de l’Intérieur l’ont laissé entendre20, les fonctions de préfet et de secrétaire général de préfecture s’ouvraient à des corps autres que le corps préfectoral – et ce sont bien les ingénieurs techniques de l’Équipement qui sont visés –, nul doute que localement, les ingénieurs de l’Équipement pourraient se trouver à la tête de l’État local en occupant deux postes majeurs : celui de DDE et celui de préfet.
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93L’ancrage territorial très fort de l’Équipement, assorti de réseaux liés à l’essaimage et au pantouflage, assurent, au niveau de l’encadrement du ministère de l’Équipement, un contexte favorable pour faire face à la « remise en cause » de l’État. En dépit d’un contexte de transferts de compétences et de réforme du service public « à la française » qui a affecté la forme et le fond de l’action des DDE, ces dernières, grâce à leurs capacités d’adaptation, sont toujours très sollicitées par les collectivités locales. Il en découle l’affirmation « par en bas » d’étroites relations entre les services déconcentrés de l’État, confortée par une reconnaissance « par en haut », dans le droit de l’État, de la territorialisation de l’action publique. Les directions départementales de l’Équipement, loin de renvoyer l’image d’un État malmené et concurrencé, sont à la tête de l’État local aux côtés des préfets et leur proximité au politique les place au centre du système politico-administratif local.
Notes de bas de page
1 Notamment au travers d’une analyse des bilans de gestion des corps des Ponts et Chaussées et des Travaux publics de l’État depuis 1982, d’une approche relative au poids économique des DDE, des bilans de la répartition de l’activité des DDE selon le donneur d’ordre, État, département ou commune.
2 Au total, environ 80 entretiens semi-directifs ont été menés de février 1997 à août 1999, non seulement auprès des fonctionnaires de l’Équipement mais aussi auprès de leurs partenaires.
3 Ce ne sont là que deux modèles types auxquels la réalité a toujours été irréductible dans la mesure où elle les a toujours confondus. Ce ne sont que les « dosages » entre ces deux modèles qui changent.
4 Nous n’aborderons pas ici directement le thème de la modernisation administrative du ministère de l’Équipement (encore que la déconcentration soit pensée comme une voie privilégiée de la modernisation), qui, par ailleurs, a déjà été étudiée, notamment par Patrice Duran (1993). Toutefois, cette dimension est présente en creux dans notre travail dans la mesure où insister sur la question de la place de la technicité face à la territorialisation de l’action publique revient à évoquer les limites d’une modernisation de gestion qui n’a pas mis à plat cette question de la politisation et des territoires.
5 Ce document, établi par le chargé de mission pour le corps des Ponts auprès du directeur du personnel et des services, paraît tous les ans et fait état des affectations des ingénieurs des Ponts et Chaussées ainsi que des mouvements à l’intérieur du corps par le biais du solde d’essaimage (en détaillant les sorties et les entrées).
6 L’analyse des soldes d’essaimage ventilés par secteurs d’activité fait apparaître un retour des grades supérieurs (ingénieurs généraux des Ponts et Chaussées) dans des structures telles que le conseil général des Ponts et Chaussées. À l’inverse, on observe un essaimage sortant pour les jeunes IPC. Les plus gros mouvements ont lieu dans le secteur para-public (une dizaine d’ingénieurs tous les ans vers des SEM autoroutières, la SNCF, l’IGN…) et vers les établissements publics de l’État (en moyenne 5 tous les ans dans les secteurs de la construction et de l’aménagement) et vers le secteur privé (une dizaine d’ingénieurs en disponibilité). Si les ingénieurs des Ponts ont tendance à quitter l’administration de l’Équipement à partir du second et du troisième poste, force est de constater qu’ils ne fuient pas l’État pour se diriger massivement vers le secteur privé. D’une manière générale, leur préférence va vers le secteur para-public.
7 L’Équipement magazine, « Vers une nouvelle culture du territoire », n° 100, août-septembre 1998, p. 22-23.
8 L’Équipement magazine, « Les démarches territoriales en DDE », n° 96, avril 1998, p. 13-17.
9 À l’exception du département de l’Eure-et-Loir où la réorganisation partielle concerne 176 agents, le poids de ces réorganisations oscille entre 2 et 42 agents dans tous les autres cas. Ces chiffres nous ont été communiqués, fin 1999, par la Direction des personnels et des services du ministère.
10 Ces chiffres sont cités dans : Le Monde, « Les Sociétés d’économie mixte attirent encore peu le capital privé », 14 septembre 1999.
11 Rebaptisée DGUHC (direction générale de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Construction) depuis la fusion fin 1997 de la DAU (direction de l’Aménagement et de l’Urbanisme) et de la DHC (direction de l’Habitat et de la Construction).
12 Propos tenu par le responsable de cette synthèse à la sous-direction de la planification stratégique, DGUHC, ministère de l’Équipement.
13 Sous-direction de la planification stratégique, DGUHC, ministère de l’Équipement.
14 Sous-direction des services et de la décentralisation, Direction du personnel et des services, ministère de l’Équipement.
15 Nous renvoyons ici à la loi du 6 février 1992 relative à l’Administration territoriale de la République ainsi qu’à la Loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, dite loi Pasqua. Cette territorialisation du droit de l’État fait l’objet de travaux de juristes (Madiot, 1995) qui mériteraient d’être pris en compte par les politistes tant leurs apports sont complémentaires.
16 Dans sa décision n° 94-358 DC du 26 janvier 1995, parue au JO du 1er février, p. 1706.
17 Voir, sur ce sujet, l’article d’Alain Supiot paru dans Le Monde du 7 mars 2000, « Il faut se défaire des illusions du “tout contractuel” ».
18 Nous faisons bien sûr référence aux lois Voynet, n° 99-533 du 25 juin 1999, et Chevènement, n° 99-586 du 12 juillet 1999.
19 C’est-à-dire des « entrepreneurs de médiation » disposant de trois types de ressources : « des savoirs et des capacités d’expertise appliqués au positionnement des projets et à la mobilisation des moyens juridiques et financiers de la contractualisation ; des réseaux de correspondants liés à un itinéraire personnel, des rapports de confiance ou d’échanges ; des dispositions individuelles à l’action stratégique mettant en avant une posture de broker » (Gaudin, 1999a, p. 196).
20 Voir « Jean-Pierre Chevènement veut moderniser la gestion du corps préfectoral », Le Monde, 18 août 1998, p. 6.
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To Change or not to Change ?
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