5. Quoi de neuf dans les « nouvelles » politiques sociales ? Le cas de la production urbaine du droit au logement à Rennes et Brest
p. 115-141
Entrées d’index
Index géographique : France
Texte intégral
1Lorsqu’en 1990 est adoptée la loi Besson1, ce « nouveau » champ d’action publique qu’est la mise en œuvre du droit au logement semble d’emblée s’inscrire dans le référentiel des « nouvelles » politiques sociales2. Si l’affirmation législative de ce droit n’est pas en elle-même une nouveauté3, pour la première fois la loi Besson inscrit celui-ci dans le cadre de la politique de lutte contre l’exclusion (Donzelot, 1991 ; Paugam, 1996). Fruit d’une convergence entre les dispositifs politiques de la ville sédimentés depuis le début des années 1980 et les premières mesures contre l’exclusion (loi sur le RMI en 1988, loi Neiertz sur le surendettement des ménages en 1989), elle vise à garantir l’accès au logement et le maintien dans le logement des personnes en difficultés, au moyen d’actions diverses reposant sur la mobilisation des acteurs locaux.
2La référence dans le discours scientifique aux nouvelles politiques sociales trouve son origine dans le constat de l’érosion des politiques sociales « traditionnelles » telles qu’elles se sont développées durant les Trente Glorieuses, au sein du référentiel modernisateur (Jobert et Muller, 1987). Ces politiques sociales sectorialisées, faisant l’objet d’une gestion corporatiste par l’administration d’État et les professions du social, sont depuis deux décennies entrées en crise (Muller, 1992b) sous l’impact de la transformation des problèmes sociaux (extension de la précarité et de l’exclusion sociale) et du contexte global (crise du modèle fordiste/keynésien, intégration européenne, désengagement des États), et cèdent progressivement la place à des actions publiques dont l’économie globale est très différente. Ces actions sociales « émergentes » (RMI, politique de la ville, prestation dépendance, etc.) affichent tout d’abord unanimement comme objectif la « lutte contre l’exclusion », en même temps que son corollaire obligé, l’insertion ; elles convergent, ensuite, dans les modes d’action auxquels elles ont recours et dont la nouveauté est affichée par les discours sur le partenariat, la transversalité, la contractualisation (Gaudin, 1999a), la territorialisation, l’« État animateur » (Donzelot et Estèbe, 1994), etc. ; enfin, elles font appel à la mobilisation collective des acteurs territoriaux.
3La loi Besson, si elle propose aussi des dispositifs à l’échelle urbaine4, inscrit essentiellement la mise en œuvre du droit au logement dans le cadre départemental, à travers un dispositif pivot, le Plan départemental pour le logement des plus défavorisés (PDLD ou parfois PDALPD), supposé susciter une large mobilisation locale autour du préfet et du président du conseil général, érigés en copilotes du plan5. Le législateur semble ici, comme en matière de RMI, de prestation dépendance ou de politique de la ville, reconnaître la mise en échec, du fait de la grande diversité des problèmes d’exclusion au gré tant des situations individuelles que des différenciations locales, de toute solution centralisée et uniforme à ces maux sociaux et renvoyer en conséquence aux territoires la responsabilité de la définition des problèmes, des publics et des actions à mettre en œuvre. Par ces différents aspects, cette loi est symptomatique des mutations de l’action publique, en particulier en ce qui concerne le rapport de celle-ci au territoire (Balme, Faure et Mabileau, 1998), et les modes de régulation juridico-politique (Chazel et Commaille, 1991 ; Commaille et Jobert, 1999a), mutations dont les concepts de « politique d’organisation » (Lascoumes, 1994) ou de « politique constitutive » (Duran et Thoenig, 1996) tentent de rendre compte en soulignant le passage d’une action publique substantielle à une action publique plus procédurale. Selon Patrice Duran et Jean-Claude Thoenig, le traditionnel système de la « régulation croisée » (Grémion, 1976) aurait cédé la place à une régulation sur le mode de « l’institutionnalisation de l’action collective » :
« L’État mobilise autrui en nommant une mesure, mais sans trop la définir, en construisant des lieux et des opportunités spécifiques d’échange, mais sans remettre en cause les anciennes institutions, en sollicitant l’implication d’acteurs tiers, mais sans imposer sa manière comme dénominateur commun obligé. En d’autres termes, les politiques constitutives sont activées dans l’espoir qu’à travers elles se créeront des fenêtres d’opportunité pour de l’action collective » (Duran et Thoenig, 1996, p. 602).
4La loi Besson semble correspondre à ce type de schéma, dans la mesure où elle renferme, moins un programme d’action livré « clé en main » aux acteurs territoriaux, qu’un simple projet d’action publique qui ne prend tout son sens – ou plutôt, tous ses sens – qu’à travers des processus singuliers de territorialisation.
5L’étude de la production urbaine du droit au logement à Rennes et Brest nous conduit pourtant à nuancer le changement induit par la loi Besson et à questionner la vision de l’État que peut véhiculer l’analyse de P. Duran et J. -C. Thoenig, c’est-à-dire celle d’un État qui régulerait les territoires par sa maîtrise des modes d’institutionnalisation de l’action collective locale, et des processus (et objets) de mobilisation locale. L’observation des dynamiques locales de longue durée amène en effet à relativiser l’impact de la loi Besson et, dans le même temps, la capacité de l’État à « mettre en ordre » l’action locale en imposant ses propres schémas d’institutionnalisation de l’action collective. À la logique étatique de la loi Besson, s’opposent (avec un certain succès) des logiques territoriales qui tendent à rapprocher la production du droit au logement de l’échelle urbaine. La genèse du droit au logement comme champ d’action publique montre que ce champ s’est développé selon un processus de coproduction nationale/locale dans lequel les actions des villes ont joué, très tôt, un rôle déterminant6. Dès avant la loi Besson, on observe une dynamique de constitution d’un champ d’action publique et de systèmes d’action concrets autour de l’enjeu du logement des plus démunis, à l’échelle urbaine ; or, loin d’être infléchie ou contrariée par la proclamation de la loi Besson, la dynamique d’affirmation des villes sur ce champ d’action se renforce dans les années 1990. En ce sens, on a semble-t-il affaire ici à une régulation par les territoires plutôt qu’à une régulation des territoires.
6Cette hypothèse s’appuie sur une étude comparative de l’émergence et du développement d’une action publique autour de l’enjeu du logement des personnes en difficultés à Rennes et Brest (Sala Pala, 1999)7. L’attention portée à la question du changement dans l’action publique a conduit à retenir deux principales options méthodologiques relatives aux dimensions géographique et temporelle de l’analyse : d’une part, la démarche comparative s’est imposée comme outil permettant d’« évaluer » le poids relatif des facteurs locaux et nationaux dans les transformations de l’action publique ; d’autre part, une perspective diachronique a été adoptée en vue de resituer la portée d’un « moment » législatif dans un développement à plus long terme de l’action publique, et de reconstituer des dynamiques locales de longue durée. En termes de grille d’analyse du changement, cette étude s’appuie sur deux grandes modalités d’appréhension du changement, à savoir, d’une part, la prise en compte de l’histoire locale et du processus de construction sociopolitique du champ d’action publique considéré au plan local, en vue de mettre en perspective la « nouveauté » de la loi Besson par rapport aux situations locales préexistantes ; et, d’autre part, la question, traditionnelle en analyse des politiques publiques, du lien entre décision et mise en œuvre, qui conduit à s’interroger sur les changements générés concrètement par la loi Besson au niveau local. Précisons qu’ici le terme de « mise en œuvre », bien qu’il figure dans le titre de la loi Besson, est inadéquat, les politiques d’organisation abandonnant largement, comme on l’a vu, l’opération de définition même de l’action aux territoires ; en ce sens il serait plus pertinent de se demander dans quelle mesure la dynamique d’action collective prend bien place dans le « cadre d’interaction concret » (Lascoumes, 1994) posé par l’instance législatrice. Nous verrons donc tout d’abord comment, antérieurement à la loi Besson, des configurations urbaines se sont cristallisées à Rennes et Brest autour de cet enjeu selon des processus de construction différents, liés aux singularités locales (I). Nous nous interrogerons ensuite sur la territorialisation de la politique nationale d’organisation formulée dans la loi Besson, en tentant de montrer pourquoi ce projet est en décalage avec les dynamiques territoriales et comment, en conséquence, la production du droit au logement se joue aujourd’hui essentiellement à côté du cadre d’interaction concret fixé par l’État, au niveau des agglomérations (II).
Genèse de l’institutionnalisation d’une action collective urbaine en faveur du logement des personnes en difficultés
7La question de la genèse territoriale de l’action publique à Rennes et Brest ne peut être abordée sans une interrogation préalable sur la portée et la signification du changement introduit par la loi Besson au plan national. Sans trop nous attarder ici toutefois sur le débat rupture/continuité de la politique nationale, lequel a fait par ailleurs l’objet de diverses études (en particulier, Coing et Topalov, 1995 ; Lefevre, Mouillart et Occhipinti, 1991 ; Bourdieu et Christin, 1990), nous verrons comment il est possible d’interpréter la loi Besson comme une étape dans la formation progressive d’un volet social de la politique du logement, suite à la réforme du financement du logement de 1977, puis nous tenterons d’analyser la construction, en lien avec l’émergence au plan national de ce champ d’actions locales de lutte contre l’exclusion à Rennes et Brest.
Au plan national : la loi Besson, une étape dans la constitution progressive d’un volet social de la politique du logement
8La loi Besson peut se lire comme un élément du processus de libéralisation de la politique du logement entamé dans les années 1970, qui s’est manifesté par un découplage croissant entre, « main droite8 », un volet macroéconomique pris en charge par l’État, visant à la construction et à l’unification du marché du logement, et « main gauche », un volet social largement abandonné aux instances locales, orienté vers un objectif de lutte contre l’exclusion, visant à remédier aux dysfonctionnements sociaux générés par la conduite libérale de la politique9. La réforme du financement du logement de 1977 (dite réforme Barre), qui marque le passage des aides à la pierre aux aides à la personne, est considérée comme emblématique de l’imposition d’un « paradigme » néolibéral de la politique du logement : en privilégiant l’aide à la consommation sur l’aide à la production et en inaugurant un recentrage des aides publiques sur les ménages les plus modestes, elle opère une transition d’une politique tendant à se substituer ex ante aux mécanismes de marché à une autre se limitant à la correction a posteriori des dysfonctionnements du marché. Appliquée dans un contexte radicalement différent de celui qu’avaient anticipé ses artisans (désinflation, contrainte budgétaire, transformation de la structure sociale, montée des phénomènes d’exclusion), cette réforme, loin de résoudre les problèmes, a contribué à alimenter le décalage entre les besoins sociaux et les réponses produites par la politique du logement. Les « anomalies » (Kuhn, 1983 ; Hall, 1993) liées à ces décalages ont conduit à la constitution progressive, au cours des années 1980, d’un volet social de la politique du logement. Ce volet disparate et sédimenté comprend de nombreuses mesures, relatives à quatre principaux domaines d’intervention : la régulation du rapport locatif (lois de 1982, 1986 et 1989); la solvabilisation des locataires les plus en difficultés, à travers la création de fonds spécifiques (Fonds d’aide aux impayés de loyers, FAIL, 1982) puis la généralisation des aides au logement (entre 1990 et 1993); le renforcement des dispositifs facilitant l’accès au logement des personnes les plus fragiles, avec la réactivation des réserves préfectorales et la création de Fonds d’aide au relogement et de garantie (FARG, 1984); et enfin, les incitations au développement d’une approche globale de la question du logement des défavorisés à l’échelle locale, avec notamment la circulaire du 17 mars 1978 sur l’accès à l’habitat des populations en difficultés incitant à la passation de conventions locales et celle du 24 décembre 1986 incitant à la mise en place de Plans départementaux d’action pour le logement des plus démunis, lesquels ont constitué une sorte d’expérimentation des PDLD rendus obligatoires par la loi Besson.
9En termes de changement dans l’action publique, ces éléments conduisent à formuler deux propositions. D’une part, la loi Besson peut être interprétée comme un élément de cristallisation, au stade de la mise en œuvre, du paradigme néolibéral de la politique du logement qui se substitue à la fin des années 1970 au paradigme modernisateur des Trente Glorieuses. Ainsi, elle organise un ciblage renforcé des personnes les plus en difficultés, notamment à travers un recours accentué aux aides personnelles – de façon symptomatique, le seul dispositif obligatoire des PDLD est un Fonds de solidarité logement (FSL), cofinancé par l’État et le département –, mais aussi, à travers une re-catégorisation des aides à la pierre conduisant à la création de différents types de logements sociaux ou « très sociaux ». L’élargissement de l’offre immobilière en direction des ménages en difficultés est par ailleurs préconisé et s’appuie sur trois principales modalités d’action : des mesures pour un meilleur accès au parc locatif social des plus démunis10, le soutien de la fonction sociale d’une partie du parc locatif privé et la constitution d’un parc spécifique à partir de nouveaux types de financements, qui déclinent la principale formule d’aide à la pierre, le Prêt locatif aidé (PLA)11. D’autre part, la loi Besson se présente avant tout comme une démarche de mise en cohérence et de renforcement de mesures pour la plupart préexistantes mais souvent non obligatoires et/ou non effectives et/ou inégalement mobilisées sur l’ensemble du territoire national, ainsi que comme une entreprise symbolique visant à renforcer et à systématiser la mobilisation des acteurs locaux autour d’un très vague « droit au logement ». Elle vient rationaliser un ensemble de démarches apparues au cours des années 1980, le plus souvent sous la forme d’incitations adressées aux acteurs locaux, urbains ou départementaux. Elle puise ainsi en partie son inspiration dans les diverses expériences locales nées de ces incitations nationales, mais aussi d’initiatives plus originales des acteurs locaux. C’est notamment le cas du POPS, dispositif dont la paternité rennaise a été reconnue par le ministre du Logement lors des débats parlementaires12. Soulignons, à ce titre, la régularité avec laquelle, au cours de ceux-ci, les parlementaires-élus locaux mettent en avant leurs initiatives locales en faveur du logement des plus démunis (généralement présentées comme particulièrement innovantes ou précoces), puisant dans cette référence une légitimité à intervenir dans le débat politique13, voire à s’opposer à un dispositif législatif perçu par nombre de conseillers généraux comme inutilement contraignant étant donné l’« anticipation » locale, et surtout comme une dépense obligatoire supplémentaire imposée par l’État contre l’« esprit » de la décentralisation.
10La genèse de l’émergence d’un droit au logement entendu comme dispositif de lutte contre l’exclusion apparaît à cet égard comme un exemple de coproduction d’une action publique par les acteurs nationaux et locaux, la distinction entre ces deux types d’acteurs ayant au demeurant un caractère plus analytique que réel, notamment du fait du cumul des mandats. Dès lors, et quand bien même il est difficile de reconstituer précisément les processus et les résultats de cette coproduction, d’imputer à telle ou telle démarche locale l’émergence au niveau national de tel dispositif, ou inversement, on est conduit à se pencher aussi sur l’émergence territoriale de l’action en faveur du logement des plus défavorisés et à se demander comment ces mises à l’agenda local s’articulent avec le processus d’émergence de ce champ d’action au niveau national. L’étude de la genèse territoriale de ce « nouveau » champ d’action qu’est le logement des plus défavorisés aboutit à mettre en évidence la constitution d’agendas locaux (et particulièrement urbains) différenciés, dès avant la réforme de la décentralisation. Si l’action locale développée à la croisée de l’habitat et de l’action sociale a connu différents avatars depuis le XIXe siècle (du modèle hygiéniste né au XIXe aux « cités de transit » de l’après-guerre puis à l’actuelle « lutte contre l’exclusion par le logement »), les systèmes d’action concrets urbains tels qu’on les trouve institutionnalisés à la veille de la loi Besson émergent essentiellement au tournant des années 1970-1980, plus ou moins parallèlement à la constitution d’un volet social de la politique du logement au niveau national, suite à la réforme de 1977. Jusqu’aux années 1990 cependant, le développement de cette action locale reste déterminé par des facteurs locaux autant que par des décisions nationales, l’incitation (notamment par voie de circulaire) demeurant à ce stade le mode d’intervention privilégié de l’échelon national. C’est en cela que l’étude de la mise sur agenda locale est un enjeu pour la compréhension du changement dans l’action publique. Dans les deux agglomérations étudiées ici, la construction de l’agenda semble répondre aux caractéristiques du modèle de l’anticipation défini par Philippe Garraud à propos des politiques nationales : volontarisme des autorités publiques, absence de conflit et de demande sociale explicite (Garraud, 1990, p. 36-37).
À Rennes : une action expérimentale et innovante nourrie par une forte tradition d’action collective
11Il est ici tentant d’évoquer, au-delà d’une « anticipation », un modèle de l’« expérimentation ». En effet, sur cet enjeu, comme dans d’autres domaines de politique sociale et urbaine, Rennes s’est affirmée comme une « ville-pilote14 ». À l’instar de Grenoble, la ville a incarné depuis l’après-guerre une forme de « solidarisme municipal » qui se revendique « prosélyte et novateur, pionnier d’un modèle de gestion sociale transférable du local vers l’échelon national », autour d’une « stratégie de constitution du local comme espace d’expérimentation sociale15 » (Valarié, 1996, p. 79). L’institutionnalisation de l’action rennaise en matière de droit au logement puise son origine dans une réflexion engagée dès les années 1970 au niveau du district (créé en 1970), qui conduit à l’adoption dès 1983 d’une Convention pour l’accès à l’habitat des populations ayant des problèmes spécifiques. Cette convention, dans un premier temps districale, est étendue au département d’Ille-et-Vilaine en 1987, en réponse à la circulaire ministérielle de 1986 signalée plus haut. La convention rennaise fait figure de modèle et passe pour avoir inspiré le législateur de 1990 : « Cette convention, tout le monde y fait référence16. » L’émergence précoce de cette problématique sur la scène locale peut sembler paradoxale, du fait de la faible acuité « objective » du problème par rapport à d’autres agglomérations. Cette précocité tient pour beaucoup à la tradition rennaise d’innovation sociale, mais s’explique aussi par des facteurs plus conjoncturels.
Le poids des héritages et de « l’effet localité » : la tradition rennaise de mobilisation collective autour des enjeux urbains et sociaux et sa traduction dans le domaine du logement social
12L’« union sacrée17 » autour des problèmes sociaux liés à l’habitat s’institutionnalise dès les années 1950, cette précocité s’expliquant principalement par un fort volontarisme politique, et par la fédération des différents acteurs du logement et du social autour de cet enjeu. Il s’agit en cela d’une action qui « a des racines18 », nourries du terreau de la démocratie chrétienne locale, incarnée par celui qui fut le maire de Rennes de 1953 à 1977, Henri Fréville. L’enracinement du partenariat local, favorisé par la forte stabilité politique municipale (deux maires en 47 ans, avec la succession de deux municipalités modérées, celle d’Henri Fréville de 1953 à 1977 et depuis 1977 celle d’Edmond Hervé) est l’une des pièces maîtresses du « modèle social » rennais. Patrick Le Galès (1993) propose de parler d’un « effet localité » à propos de l’« invention » des politiques de développement économique local à Rennes et Coventry, ce qui renvoie à la capacité d’action collective d’une ville ; cet « effet localité » s’est manifesté de la même façon en matière d’action sociale liée au logement. L’action collective dans ce domaine a émergé dès l’ère Fréville, principal instigateur d’une politique de modernisation urbaine dans une logique novatrice de « cogestion » avec l’État19, notamment en matière d’urbanisme20. L’héritage de l’ère Fréville demeure « agissant », du fait qu’il est ancré, d’une part, dans la morphologie urbaine qui porte la marque d’un interventionnisme de longue date en faveur d’un équilibre socio-spatial (notamment à travers une politique très volontariste de réserve foncière) et, d’autre part, dans un ensemble d’interrelations et d’interconnaissances solidifiées dans des institutions partenariales diverses qui ont évolué au gré des lois ou d’initiatives plus locales.
13Sur le terrain du logement social, la capacité rennaise d’action collective s’est manifestée à travers plusieurs initiatives locales, desquelles émergent les noms de quelques personnalités locales marquantes21. Dès 1955, est mis en place un système d’enregistrement centralisé de la demande HLM, selon un accord signé entre le bureau logement de la mairie, la CAF et les organismes HLM. Cette initiative signalait l’intérêt précoce des instances municipales pour la question si actuelle des attributions de logements sociaux. En 1960 est créé l’Office social et culturel (OSC) qui institue un partenariat original entre la ville et la CAF, désireuses de conjuguer leurs efforts face à l’amplitude des problèmes d’accueil et de cadre de vie générés par la croissance urbaine et l’arrivée massive d’une main-d’œuvre rurale, rapidement rejointes par les organismes HLM. En 1963 est créée la Commission unique d’attribution (CUA), institution clef de la politique rennaise de logement social : « C’est bien ce système de centralisation de la demande et de l’offre qui constitue la grande originalité du dispositif rennais, et qui traduit une longue pratique locale de concertation entre les bailleurs HLM, d’une part, et différents services sociaux, d’autre part22. » Par ce système, la ville s’octroie en quelque sorte un droit de regard sur les attributions de logements, domaine sensible traditionnellement considéré comme la chasse gardée des organismes HLM, aujourd’hui encore23. En contrepartie, les organismes sont incités à se plier au jeu de la transparence dans la mesure où ils bénéficient de l’implication financière de la ville : les processus d’« échanges territorialisés » n’ont pas été inventés dans les années 1980. À l’origine, le rôle de la CUA se bornait à établir des propositions d’attribution des logements HLM24. Recyclée en « Conférence communale du logement » en 1992, suite à la loi Besson, elle constitue toujours le socle du partenariat rennais en matière de logement social. Son rôle est aujourd’hui étendu au suivi du POPS, dispositif national précisément inspiré de l’expérience de la CUA. Citons, enfin, la création, en 1967, de la première commission « dettes de loyer » afin de prévenir les expulsions, qui réunit la ville, la CAF et la DDASS. Sa mission s’élargit progressivement, ce qui aboutit à la constitution, en 1980, d’un premier fonds de solidarité visant à l’apurement des dettes de loyers, avec ou sans menace d’expulsion.
L’émergence de la question de l’« accès à l’habitat des populations en difficultés » : le poids de la conjoncture
14Sur cet arrière-plan historique, l’émergence de l’enjeu de l’accès à l’habitat des populations en difficultés est à relier à l’ouverture d’une « fenêtre politique » : la victoire socialiste aux élections municipales de 1977. Les enjeux d’habitat et de logement sont fortement mobilisés lors de la campagne. La nouvelle municipalité s’inscrit contre le raidissement à droite de la municipalité Fréville au cours des années 1970, en réaction à la montée en puissance de la gauche urbaine25. Dans le domaine de l’urbanisme, ce durcissement se traduit par des actions favorables aux classes moyennes supérieures, notamment avec le programme de développement du quartier du Colombier26. En 1977, la nouvelle équipe municipale menée par Edmond Hervé prend le contre-pied de cette évolution en impulsant la mise sur agenda des problèmes d’accès à l’habitat de certaines catégories de population. Elle est très liée au milieu associatif socioculturel, en particulier à l’APRAS (Association pour la promotion et l’animation sociale), issue d’une réorganisation de l’OSC suite aux élections, qui travaille notamment dans les cités de transit. Parallèlement, dans les années 1970, le district de Rennes s’investit progressivement sur les questions d’habitat27, sous la pression du phénomène de péri-urbanisation, en s’appuyant sur l’expertise de son agence d’urbanisme, l’AUDIAR. C’est dans ce contexte que le district se saisit de la circulaire, déjà évoquée, du 17 mars 1978 sur « les populations ayant des problèmes spécifiques en matière d’accès à l’habitat », une circulaire par ailleurs peu utilisée au plan national : « Il y avait peu d’agglomérations qui avaient cette fibre-là28.» Cette circulaire des ministères de l’Équipement, de la Santé et du Travail précise le contenu de la convention nationale du 1er décembre 1977 entre l’État et l’Union des fédérations HLM et incite à la passation de conventions locales. La période préparatoire à la passation de la convention locale, entre 1979 et 1982, est une période fondatrice, riche en échanges entre les acteurs du logement et du social, qui aboutit en 1982 à la formulation d’un bilan-diagnostic et de propositions d’action. La convention signée en 1983 décline un répertoire d’action autour de trois grands thèmes : améliorer l’offre en habitat adapté, faciliter l’accès au logement, compléter et améliorer les structures d’hébergement collectif. Restée en sommeil jusqu’en 1990, en l’absence de pilote affiché, elle est avant tout un ensemble de recettes dans laquelle on puisera plus tard – la convention ville habitat de 1990 viendra ainsi l’« actualiser29 ». Elle trouve néanmoins certains prolongements dans les années 1980, notamment à travers un Fonds de cautionnement mutuel (FCM) mis en place à Rennes en 1985, visant à offrir une garantie financière aux organismes HLM acceptant des locataires « à risques » issus de structures d’hébergement collectif. Ce fonds préfigure à certains égards le Fonds de solidarité logement (FSL) départemental qui est, rappelons-le, le principal des dispositifs mis en œuvre effectivement au niveau des départements dans le cadre de la loi Besson et qui fonctionne essentiellement comme une garantie aux organismes HLM pour le logement de personnes en difficultés30.
15La mise en perspective historique de l’action rennaise en matière de logement des plus démunis met ainsi en évidence la dimension expérimentale de l’action locale et l’existence d’une marge de manœuvre substantielle pour les initiatives locales, bien en amont de la réforme de la décentralisation, même si celle-ci a évidemment contribué à élargir cette marge. Rennes est toutefois un cas à considérer comme particulier, dans la mesure où – de la même façon que Grenoble – elle se démarque par une longue tradition d’interventionnisme municipal. L’adoption d’une démarche comparative peut se révéler d’autant plus éclairante. La configuration brestoise est en effet tout autre, et pourtant, à Brest aussi, on peut repérer dans les années 1980 la formation d’une dynamique partenariale visant à faire face au problème du logement des plus défavorisés. Cette dynamique se structure autour du Centre communal d’action sociale (CCAS)31, à partir d’un enjeu central : les cités de transit.
À Brest : un partenariat structuré autour de l’enjeu des cités de transit
16L’analyse de John Kingdon en termes de « process streams32 » (Kingdon, 1984a) permet d’éclairer le processus de mise sur agenda de la lutte contre l’exclusion par le logement à Brest en soulignant trois éléments : la cristallisation sur un enjeu spécifique au tournant des années 1970-1980, celui des cités de transit (problems stream) ; la constitution d’un partenariat autour du CCAS, dans le cadre d’une dynamique des politiques publiques marquée par la décentralisation et la montée des phénomènes d’exclusion (policy stream) et enfin, le contexte politique défavorable à l’extension de l’enjeu à l’agglomération avant la fin des années 1980 (political stream).
Une mise à l’agenda intercommunale tardive
17C’est en effet seulement à partir de 198933 que la Communauté urbaine de Brest (CUB) s’investit sur ce terrain des problèmes d’exclusion par le logement, alors même que la CUB est créée dès 1973 avec la compétence logement, création accompagnée de celle d’une agence d’urbanisme, l’AUCUBE, et de la transformation de l’office public communal d’HLM de Brest en office public d’HLM de la CUB34. Le premier Programme local de l’habitat (PLH) n’est signé qu’en 199135. Deux éléments d’explication au caractère relativement tardif de l’émergence sur Brest d’une action pour résoudre les problèmes liés au logement de certains ménages peuvent être proposés. Le premier tient à un arrière-plan historique local caractérisé par une maîtrise relativement faible des acteurs urbains sur le devenir de la cité, par contraste avec l’expérience rennaise de stabilité, d’interventionnisme et de cogestion des affaires urbaines avec l’État. Les notables brestois ont été privés de la plupart des leviers de commande sur la vie quotidienne de la ville, celle-ci étant fortement tributaire de décisions prises ailleurs du fait du poids, sur la vie de la cité, de la marine nationale et des décentralisations économiques (notamment celle de Thomson CSF), et mis à l’écart des grands choix urbanistiques, tels que le Plan de reconstruction de Brest. Ils ont en outre été de façon récurrente piégés par leurs dissensions internes36. Le second, plus conjoncturel, est relatif à la situation politico-institutionnelle locale des années 1970-1980. À partir de la création de la CUB en 1973, sous l’impulsion du maire Georges Lombard, les alternances municipales fréquentes se doublent de la cohabitation de deux légitimités parallèles, celle de la CUB et celle de la ville-centre. On observe alors une montée des antagonismes entre les deux niveaux de gouvernement, dus à des rivalités internes à la droite brestoise. Seule la double élection de Pierre Maille (Parti socialiste) à la mairie et à la présidence de la CUB met fin, en 1989, à ces rivalités de structure. Cela se traduit jusqu’en 1989-1990 par une répartition implicite des rôles, confiant aux instances intercommunales la responsabilité de l’aménagement et des grandes infrastructures37 et aux services communaux (de fait, ceux de la ville-centre) la responsabilité du « social », y compris dans sa composante logement. Il n’est mis un terme à cette division du travail, génératrice d’« incohérence38 », qu’à la fin des années 1980, avec la création à la CUB de la Délégation au développement de l’agglomération brestoise (DDAB). Tout ceci explique que le CCAS de la ville de Brest ait été le point d’ancrage de la dynamique de mobilisation qui émerge au tournant des années 1970-1980. Cette dynamique se construit à partir d’un enjeu et d’un public particulièrement « visibles » à Brest : les cités de transit.
La construction, à partir de l’enjeu des cités de transit, d’un problème de lutte contre l’exclusion par le logement
18La façon dont la question de la lutte contre l’exclusion par le logement a été abordée à Brest à partir de l’enjeu des cités de transit donne une illustration des formes de « recyclage » des actions qui lient travail social et habitat, dont la loi Besson apparaît comme un avatar. Ces cités de transit ont en effet constitué « l’une des figures de l’association entre intervention en matière d’habitat et action sociale » (Ballain et Jaillet, 1998). À Brest, le système d’action concret aujourd’hui constitué autour des questions de lutte contre l’exclusion par le logement est un « recyclage » ou plutôt une extension de ce système primaire construit autour de l’enjeu des cités de transit. Celles-ci sont définies par la circulaire interministérielle du 27 août 1971 comme « des ensembles d’habitations affectées au logement provisoire des familles, occupantes à titre précaire, dont l’accès en habitat définitif ne peut être envisagé sans une action socio-éducative destinée à favoriser leur insertion sociale et leur promotion ». La politique des cités de transit se fonde ainsi sur un discours promotionnel associant travail social et logement, qui trouve un écho dans la loi Besson39. À Brest, les cités de transit sont apparues dans le contexte de la démolition des baraques construites après guerre, dans le cadre de la résorption de l’habitat insalubre40. La démolition des baraques pose alors le problème du relogement des « anciens des baraques », en particulier des ménages les plus marginaux, essentiellement des familles issues de l’exode rural ou de l’immigration, considérées comme « inadaptées » au mode de vie et d’habitat urbain. En 1973, le programme de l’office HLM de Brest prévoit de reloger les familles les plus marginales dans certains ensembles qui sont alors constitués en cités de transit. Concomitamment, la crainte des problèmes, notamment financiers mais aussi comportementaux, que peuvent générer ces locataires « indésirables » conduit l’office à déléguer la gestion de ces logements à des acteurs spécialisés dans le suivi social : le PACT-ARIM (Programme d’action contre les taudis) et le BAS (Bureau d’aide sociale), futur CCAS.
La montée en puissance du CCAS et l’émergence d’une dynamique partenariale
19Le contexte des années 1980, marqué par la décentralisation et l’émergence de nouveaux publics précarisés, favorise la « montée en puissance » du CCAS41 qui se voit en position de jouer le « rôle de coordonnateur de l’action sociale42 » locale. Son redéploiement se manifeste alors par une différenciation de ses services et notamment la création d’un service logement social en 1981 autour de la question des cités de transit : « La mise en place du service logement social a été le point de départ d’une réflexion sur le rôle que devaient avoir ces cités et sur l’accompagnement socio-éducatif à mettre en place43. » Une commission est créée en interne en vue de l’attribution des logements des cités ; elle constitue la matrice de la future CASAL (Commission d’accompagnement social et d’attribution de logements), créée en 1994, chargée de faire le lien au plan local avec le dispositif du PDLD. Du fait de la configuration politique brestoise de cette époque, le partenariat local reste cantonné à la question des cités de transit jusqu’à la veille de la loi Besson, en 1989 ; ce n’est qu’alors que la nouvelle donne politique conduit à la mise en place de la Conférence inter-organismes du logement social (CIOLS) qui formalise des réunions jusque-là informelles, tenues dans l’enceinte du CCAS, entre l’OPAC et les différentes structures d’intermédiation dispensant des mesures d’accompagnement social (CCAS, PACT-ARIM, SA HLM Les Foyers). La création de cette arène locale reflète la volonté d’organiser un partage de la problématique du logement des ménages en difficultés entre ces acteurs.
20Le processus d’institutionnalisation d’une action collective sur la question de l’exclusion du logement à Rennes et Brest, dans la décennie quatre-vingt, progresse ainsi en « tâtonnant », par le jeu incrémental des expérimentations locales et des incitations nationales. Si pour Richard Balme, il y a « une faible spécificité des agendas locaux les uns par rapport aux autres » (Balme, Faure et Mabileau, 1998, p. 14) du fait du degré limité de liberté des collectivités, ces observations invitent plutôt à souligner le poids des facteurs locaux dans la construction de l’action publique, notamment la tradition d’action collective et le rôle structurant du politics, qui semble loin d’être soluble dans la gouvernance locale44. Local politics matters : c’est ce qui transparaît nettement de l’expérience rennaise d’impulsion et de mise en cohérence des actions locales et du partenariat local par le politique45. L’expérience brestoise illustre a contrario l’importance du facteur politique local dans la mise en place d’une politique sociale volontariste : ici, l’absence de stabilité politique et de capacité politique à « piloter » l’action publique empêche l’institutionnalisation précoce d’une action en faveur du logement des plus démunis. Ainsi lorsqu’arrive la loi Besson, l’action collective reste balbutiante à Brest, tandis qu’à Rennes elle est déjà bien ancrée. Les expériences rennaises et brestoises convergent en revanche pour illustrer l’importance du développement de territoires politiques intercommunaux comme ressource – à la fois en termes fonctionnels et de légitimité – pour la consolidation de véritables politiques sociales de logement au niveau local, dans un contexte de décentralisation dont sort renforcée la légitimité des acteurs urbains à se saisir des enjeux sociaux. Les différences locales ne doivent pas occulter les mêmes tendances à l’œuvre : développement du partenariat local, déplacement et diversification des enjeux (de l’accent mis sur la construction de logement social à la prise en compte des divers problèmes d’accès au logement et de maintien dans le logement, de solvabilisation des ménages, de construction de parcours d’insertion dans le logement), élargissement et diversification des publics concernés. Autour de ces problèmes complexes et individualisés qui appellent un traitement partenarial et transversal, se dessinent progressivement des espaces locaux d’action collective, différenciés selon les territoires. On assiste ainsi au cours des années 1980 à une sorte d’institutionnalisation de l’action collective « par le bas » à l’échelle des villes et des agglomérations. C’est dans ce contexte qu’intervient la loi Besson, qui déploie un autre registre d’institutionnalisation de l’action collective46, prenant appui sur l’échelle départementale. On peut alors se demander en quoi les systèmes d’action locaux vont être infléchis par cette « fenêtre d’opportunité47 ».
La politique nationale d’organisation à l’épreuve des territoires : la dynamique d’affirmation des agglomérations comme territoires de production du droit au logement
21L’analyse de la territorialisation de la loi Besson à Rennes et Brest fait apparaître les limites de la régulation départementale opérée par le biais des PDLD. Ce constat rejoint le bilan plus général dressé par le rapport d’évaluation de la loi Besson48 (Ballain, 1998), qui souligne tant la grande diversité des figures locales de plans que le faible impact du dispositif en termes de régulation et de mobilisation. L’homologie est ici frappante avec les évaluations du RMI (Vanlerenberghe, 1992), qui, de façon très similaire, ont révélé les insuffisances des PDI, « compensées » par des pratiques de re-territorialisation des actions à l’échelle infra-départementale, au niveau des zones d’action des Commissions locales d’insertion (CLI) (1). L’« échec » de la régulation départementale est-elle si surprenante ? L’affirmation de l’échelle urbaine, puis intercommunale, comme territoire légitime de l’action en faveur du droit au logement apparaît au fond doublement « logique », d’abord, parce qu’elle s’inscrit dans une tendance générale au rapprochement des territoires des problèmes et des territoires de gestion (bassins d’emploi, d’habitat…) et, ensuite, parce que la complexité des problèmes sociaux liés à l’exclusion est telle que leur traitement rend nécessaire la mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés ; or, la logique départementale des plans n’est pas propice à l’implication d’acteurs aussi cruciaux que les organismes HLM et les communes (2).
La régulation départementale à travers les PDLD : chronique d’un échec annoncé ?
22Les plans départementaux d’Ille-et-Vilaine (pour Rennes) et du Finistère (pour Brest) s’inscrivent dans des configurations assez différentes. Le dispositif semble relativement enraciné en Ille-et-Vilaine, département promoteur d’une politique sociale novatrice49, et où préexistait la convention départementale de 1987. Le PDLD peut dès lors s’appuyer sur une « tradition et une volonté de partenariat50 ». Dans le Finistère, par contraste, le dispositif peut être interprété comme une situation d’« anarchie organisée » (Cohen, March et Olsen, 1972). Après le lancement en 1991 d’un premier plan, évalué en 1995, « il paraît qu’il y en a eu un deuxième, mais seulement personne ne l’a vu51 » ; les actions ont par la suite été vaguement reconduites, mais sans pilotage clair : « Il n’y a plus de pilote dans l’avion […], on est complètement dans le brouillard52. » Ces différences s’expliquent en partie par l’absence dans le Finistère d’une tradition d’expérimentation en matière de politique sociale, malgré l’engagement de quelques actions dans les années 1980, notamment la mise en place de fonds d’aide en matière de logement. Le « flottement » du plan tient par ailleurs au changement fréquent des équipes administratives, mais aussi et surtout à l’absence de portage politique : « Ça n’intéresse ni le conseil général ni la préfecture53. » On observe une même sorte d’« indifférence » des pilotes (préfet, conseillers généraux) en Ille-et-Vilaine où la technostructure de l’État (DDE essentiellement) et du département (service d’action sociale) demeure le principal appui du plan. Quant à leur contenu matériel, les plans tiennent largement, à l’image de la loi Besson elle-même, de la « compilation d’actions préexistantes54 ». S’ils se présentent formellement comme des catalogues ambitieux d’actions disparates visant à la fois à la solvabilisation des ménages, à l’élargissement de l’offre de logement, à l’accompagnement social et au ciblage de certaines populations (gens du voyage, jeunes…), leur apport se résume de fait, pour l’essentiel, au seul dispositif rendu obligatoire par la loi Besson, le FSL : « le plan est cantonné en gros dans son FSL et l’attribution d’une aide à l’accès55 », « c’est surtout le FSL qui a été marquant là-dedans56 ». Aux différents fonds de solvabilisation préexistants dans les deux départements, le FSL adjoint le financement des mesures d’accompagnement social. Les plans semblent également remplir assez peu leur fonction de diagnostic des situations locales, ce qui découle notamment de la difficulté de définir et de « compter » les publics de l’exclusion.
23Ces constats conduisent à proposer deux hypothèses en termes de changement. Tout d’abord, la tendance des plans à privilégier le dispositif du FSL traduit un net infléchissement de l’intervention des départements dans le domaine du logement social, intervention qui privilégiait jusque-là l’aide aux opérateurs ; le dispositif du plan amène les départements à s’aligner sur les orientations de la politique de l’État depuis 1977, à savoir l’augmentation progressive des aides à la personne au détriment des aides à la pierre. Par ailleurs, le fait que les plans ne jouent pas leur rôle de régulation globale et de définition de l’action locale pour le logement des plus démunis semble s’expliquer par le faible investissement sur cet enjeu des acteurs de l’échelon départemental, aussi bien du côté des services déconcentrés de l’État que du côté des instances départementales. Il convient donc de s’interroger plus précisément sur le repositionnement de ces deux types d’acteurs.
Les services extérieurs de l’État : un repositionnement ambigu
24Si la loi Besson a parfois été présentée comme l’un des symptômes d’un « retour de l’État », au nom de la solidarité nationale et en vue de réprimer les « égoïsmes locaux », au risque du principe de libre administration des collectivités locales (Vedel, 1990), la réalité semble plus complexe et tout d’abord du fait de la nature non monolithique de l’État local, cette administration « en miettes » (Dupuy et Thoenig, 1985). Plusieurs segments locaux de l’État étaient potentiellement appelés à se repositionner avec la loi Besson : le préfet (copilotage du plan, mais aussi réactivation du RDA57, de la gestion du contingent préfectoral58 et procédure – facultative – du POPS); la DDE, service extérieur en charge de la politique du logement (en particulier dans sa dimension financement du logement social) et la DDASS (sur les questions d’hébergement et de logement d’urgence). De fait, les DDASS, en grande partie vidées de leurs substances par la décentralisation de l’action sociale, sont restées relativement effacées sur cet enjeu. Les transformations sont plus nettes, quoique variables selon les situations locales, du côté des DDE et des préfectures.
25Dans les deux départements étudiés, les comités de pilotage du plan faisant figure de « chambre d’enregistrement59 » plutôt que d’instances décisionnelles, les DDE sont les véritables chevilles ouvrières du plan, côté État60. La loi Besson a marqué le coup d’envoi de l’action des DDE sur le terrain du social en matière de logement : « ça a été le grand point de départ61 ». Les DDE interviennent en outre, de façon centrale, dans le partenariat constitué localement autour de l’enjeu de la prévention des expulsions (enjeu mis en avant par la loi contre les exclusions), à travers la gestion des SDAPL (Services des aides publiques au logement). Cette irruption du « social » dans des services concentrés jusqu’alors sur les dimensions techniques et financières du logement a conduit certains agents à accomplir une révolution culturelle. Ils ont dû incorporer un nouveau rôle, apprendre un nouveau langage et transformer leur rapport aux autres acteurs locaux, notamment aux organismes HLM ; de simples objets du contrôle financier des DDE, ces organismes se sont soudainement mués en partenaires de l’action en matière de logement social. Quant aux préfets, peu investis sur les PDLD, ils se sont souvent plus nettement repositionnés à travers la réactivation de leurs prérogatives en matière de logement social. Ce repositionnement est néanmoins variable selon la personnalité des préfets, leur conception de leur rôle, et les contraintes liées à leur insertion dans un système local du logement social62 (Bourgeois, 1996), au sein duquel les organismes HLM et les communes tiennent à préserver leur marge d’autonomie et sont réticents à se laisser imposer certains types de locataires/clients ou habitants. Ainsi le RDA, pourtant obligatoire depuis la loi du 18 juillet 1985, réactivé par la loi Besson, fait encore défaut dans certains départements, notamment le Finistère où l’on note aussi l’absence de gestion du contingent préfectoral : « C’est la pratique, dans ce département, de dire que l’attribution des logements HLM est clairement du ressort des organismes eux-mêmes63. » Plus prosaïquement, l’absence de gestion du contingent tient aussi aux difficultés matérielles d’organisation et de gestion d’un parc relativement important par les préfectures : « Ça équivaut à un parc d’un organisme HLM déjà assez important, on ne s’est jamais donné les moyens de le faire64. » En Ille-et-Vilaine, le préfet a certes établi un RDA en 1992, mais dans une forme qui fait bien ressortir l’ambivalence de la position du préfet dans le système local du logement social. Ce RDA confie en effet aux Commissions locales de l’habitat (CLH), instances locales chargées de la mise en œuvre du PDLD, la gestion du contingent préfectoral en faveur des plus défavorisés, le préfet se réservant seulement la possibilité d’intervenir, sur le mode de « l’État subsidiaire » (Brouant et Jégouzo, 1998), en vue d’annuler cette délégation « en cas de manquements graves ou répétés ou en cas de silence de la CLH ou de l’organisme envers les demandes du préfet65 ». Soulignons toutefois que ce RDA ne vaut que sur le département hors district de Rennes. En effet, la situation au regard des attributions différencie les agglomérations rennaise et brestoise du reste des départements, du fait de l’existence de POPS qui contractualisent les objectifs en matière d’accueil des populations défavorisées à l’échelle intercommunale. Cela reflète la différenciation, selon une ligne urbain/rural, des enjeux et rapports de forces au sein des systèmes locaux du logement social.
26Il semble donc finalement simpliste d’évoquer un univoque « retour de l’État » via la loi Besson. Le repositionnement de l’État apparaît plus ambigu et aléatoire, ce qui tient tant à sa position souvent fragile dans le système local du logement social66 qu’à son tiraillement entre des postures contradictoires (partenaire, animateur, arbitre, financeur…) et enfin au problème du « turn over » : le rythme auquel se succèdent les responsables des services nuit en effet à la dynamique de l’action partenariale67. Cet État mouvant, aléatoire, se trouve en porte-à-faux par rapport à la logique de mobilisation et de projet que réclame une politique locale de lutte contre l’exclusion.
Les instances départementales : une implication « subie »
27L’absence d’investissement politique des conseils généraux en matière de droit au logement est manifeste tant en Ille-et-Vilaine où « il n’y a pas un grand enthousiasme sur le logement68 » que dans le Finistère où « globalement, au conseil général, il y a peu d’élus investis dans cette politique69 ». Au niveau politique, la question relève dans les deux départements70 de la Commission d’action sociale du conseil général, qui ne lui accorde qu’un intérêt secondaire. Ce désintérêt découle principalement du caractère de « dépense obligatoire » du dispositif : « Du côté de l’État : ce n’est pas l’État qui va faire de la politique locale. Du côté du département : c’est une dépense obligatoire. Cela explique beaucoup de choses. Une dépense obligatoire, on y met ce qu’il faut y mettre, et puis c’est tout, si bien qu’on ne peut pas dire qu’au niveau du département ça suscite la passion71.» Le PDLD souffre par ailleurs d’un défaut de mise en cohérence avec les autres politiques départementales relatives au social ou au logement. Côté social, il « vit de façon plus ou moins autonome […], il n’y a pas assez d’interconnexions72 » avec des actions relevant de la politique de la ville ou du RMI. Côté logement, il s’écarte de la logique traditionnelle de la politique d’habitat des conseils généraux, dont le slogan pourrait être « un logement de qualité qui contribue à la valorisation de nos bourgs et à l’aménagement du territoire73 » (départemental). De façon significative, la responsabilité politique du plan n’incombe dans aucun des deux départements au président de l’organisme HLM départemental (OPAC 35 et OPAC Habitat 29). Ceci est lié à l’identité profondément rurale du département, que son mode d’élection, sur la base des cantons, contribue à reproduire. Le décalage de l’institution départementale avec la réalité sociopolitique se reflète tout particulièrement dans les difficultés des politiques d’insertion. Le rapport Sueur74 d’évaluation de la politique de la ville a ainsi récemment évoqué l’éventualité de supprimer le département de la topologie administrative française, de même que les évaluations du RMI (Vanlerenberghe, 1992) ont interrogé la pertinence du choix de l’échelon départemental pour porter cette politique. On ne peut donc guère s’étonner de la faible mobilisation des départements autour des plans.
28On doit s’interroger au bout du compte sur les motivations qui ont poussé le législateur à retenir ce schéma départemental d’institutionnalisation de l’action collective. Ce choix a pu être motivé par le fait qu’en 1990, le problème était encore perçu comme touchant une population bien ciblée, celle du « Quart-Monde » et des « sans domicile fixe75 », une population encore assez proche du public traditionnel de l’action sociale. Dix ans plus tard, le décalage est manifeste entre ces présupposés et la réalité des enjeux et publics concernés (étendus aux « normaux inutiles »). En faisant le choix du cadre départemental au nom de la nécessité de mobiliser les travailleurs sociaux départementaux, le législateur méconnaissait la réalité urbaine du problème de l’exclusion par le logement et des systèmes locaux du logement social, et semblait dans le même temps ignorer le caractère incontournable de la mobilisation d’autres catégories d’acteurs, à savoir les communes et les organismes HLM. Cela explique que ce soit à l’échelle des agglomérations que se joue essentiellement la mobilisation pour la production du droit au logement.
La mobilisation urbaine pour le droit au logement
L’intercommunalisation de l’enjeu du droit au logement
29L’affirmation (ou la réaffirmation) de la légitimité des acteurs urbains à prendre en charge la question de l’exclusion par le logement s’est tout d’abord manifestée à travers la pratique de la territorialisation des plans, et là encore la similarité avec les expériences locales de politique du RMI est tout à fait manifeste. La loi Besson ne prévoyait aucune disposition relative à une éventuelle territorialisation infra-départementale des plans, ce qui n’a pas empêché certains départements de recourir à des formules décentralisées ; c’est le cas du Finistère et de l’Ille-et-Vilaine. Dans le Finistère, un réseau de Coordonnateurs locaux logement (CLL), opérant sur le territoire des sept Commissions locales d’insertion (CLI), est chargé du suivi et de l’animation du plan au niveau local. Leur fonction est proche de celle des Animateurs locaux d’insertion (ALI) en matière de RMI, la différence principale tenant à ce que le plan ne prévoit pas d’instances partenariales de type CLI à l’échelon local. À l’échelle de la ville de Brest toutefois, le CLL s’appuie de facto sur le service logement du CCAS et sur les instances partenariales locales déjà évoquées (CIOLS, CASAL). Par le truchement du CLL, le CCAS réaffirme son rôle de pivot des dispositifs sur Brest. En Ille-et-Vilaine, la mise en œuvre du plan repose, au niveau local, sur des instances partenariales, les Commissions locales de l’habitat (CLH) dont le découpage correspond à celui des CLI, sauf sur le territoire du district de Rennes. Le district est en effet parvenu à négocier de telle sorte que son territoire soit doté d’une CLH unique (alors que la ville et sa couronne sont dotées chacune d’une CLI), et que la présidence de la CLH revienne au président de sa commission habitat. Les deux agglomérations « récupèrent » ainsi, par le biais des procédures de territorialisation, la gestion des plans c’est-à-dire essentiellement du FSL.
30Surtout, au-delà de la réappropriation des plans par les acteurs des agglomérations, on peut observer une « intercommunalisation » plus globale de la problématique du droit au logement à travers de nombreuses procédures ou instances qui reflètent la singularité des modes d’action collective urbaine. Le PDLD apparaît dès lors comme une simple ressource parmi d’autres pour mettre en œuvre le droit au logement, moins fondamentale au niveau des agglomérations que d’autres instruments, notamment le POPS proposé par la loi Besson. À Rennes, la mise en place du POPS a surtout consisté en une opération de recyclage de la fonction antérieure de la CUA ; à Brest, le POPS a été élaboré et est suivi par la CIOLS, instance partenariale mise en place en 1989, et progressivement élargie à de nouveaux acteurs, à de nouveaux enjeux et à la dimension intercommunale. D’autres instruments ont participé au développement des actions de lutte contre l’exclusion par le logement (PLH, contrats de ville, conventions ville habitat, etc.). Les instances urbaines et intercommunales ont par ces divers canaux étendu leur répertoire d’actions visant à garantir le droit au logement en créant un ensemble cohérent et diversifié de « solutions logement » pour des publics divers : accueil d’extrême urgence et d’urgence, formules d’hébergement variées, élargissement de l’offre de logements sociaux et diversification des types de logements sociaux construits, réhabilitation de logements sociaux et privés, recours à des formes d’utilisation sociale du parc privé, suivi social des personnes en difficultés d’insertion dans le logement, lutte contre la concentration spatiale des plus défavorisés, etc.
31Les développements précédents ont apporté des éléments de réponses à la question des raisons de la mobilisation à l’échelle de l’agglomération : le problème de l’exclusion par le logement s’inscrit dans le contexte spécifique d’un marché local du logement et d’un bassin d’habitat ; l’enjeu du peuplement du territoire communal ou urbain est un enjeu éminent de politique locale, plus précisément communale, et de plus en plus intercommunale ; les systèmes urbains ou intercommunaux du logement social – ou plutôt de la politique sociale de logement, car ces systèmes tendent à s’élargir vers une multiplicité d’acteurs du social de type structures d’hébergement, accueil d’urgence, etc. – tendent à se différencier à l’intérieur du système départemental en même temps que se transforme plus globalement l’économie des relations entre pouvoir d’agglomération, d’un côté, et conseil général et État déconcentré, de l’autre. Pour légitimer leur affirmation sur ce champ d’action, les acteurs des agglomérations soulignent l’insuffisante intervention de l’État et du département et mobilisent plus positivement les arguments de proximité du citoyen/usager, d’efficacité, de connaissance fine du terrain (d’où l’importance accordée au développement de l’expertise, et plus particulièrement d’une expertise partagée, à travers par exemple la création d’observatoires du logement ou de l’exclusion). L’action de lutte contre l’exclusion par le logement est présentée par les acteurs politiques urbains comme une action très volontariste, comme partie intégrante d’un projet politique et social, celui d’assurer une régulation du marché du logement afin de garantir des équilibres sociaux. Saisir le pourquoi de la mobilisation collective implique toutefois de s’interroger sur les motivations, forcément diverses, des différents types d’acteurs du système urbain du logement social. L’implication des communes, « naturellement » hostiles à l’accueil de populations « à problèmes » sur leur territoire, ou des organismes HLM, soumis à des injonctions contradictoires d’accueil des plus démunis et de mixité sociale, en même temps qu’à des contraintes de gestion croissantes, n’a rien d’évident. À Rennes et Brest, on peut observer une mobilisation effective, sous la houlette des instances intercommunales « pilotées » par les villes-centres, de l’ensemble des acteurs ; cette mobilisation collective repose sur une intégration forte des systèmes d’acteurs, réalisée à travers des modes d’action innovants.
Le territoire d’agglomération comme espace et objet privilégiés de déploiement de nouvelles formes collectives d’action publique
32La prise de conscience de l’interdépendance forte des acteurs et de la nécessité de fonder un partenariat débouche ainsi sur le recours à de nouvelles modalités d’action (collective) et simultanément sur la mutation du « métier politique ». L’élu local peut moins qu’avant se définir simplement comme l’un des pôles du classique triangle administration déconcentrée, intérêts organisés, élus responsables du dossier ; il doit désormais travailler à « construire l’alliance » (Lorrain, 1993, p. 292) sur une base solide et élargie. Ce nouveau rôle a été intégré par les élus rennais et brestois, à en juger à la récurrence dans leur discours des termes « convaincre » et « mobiliser » (l’État, les organismes HLM, l’ensemble des acteurs concernés) ou encore de celui de « réseau ». L’intégration des systèmes d’action, comme remède à la fragmentation des ressources et des acteurs, est forte à Rennes et Brest où elle prend des formes différentes. À Brest, le système d’acteurs est très intégré du fait que l’essentiel se joue au sein du secteur public communal ou intercommunal, les acteurs clefs étant les instances politico-administratives de la ville et de la CUB, le CCAS et l’OPAC de la CUB, qui détient plus de 90 % des logements sociaux sur la CUB. Le vice-président de la CUB, Jean-Pierre Caroff, incarne les liens étroits entre ces structures : il est à la fois président de la commission habitat de la CUB, vice-président de l’OPAC (dont le président est P. Maille, maire de Brest et président de la CUB) et responsable politique du service logement social du CCAS76. À Rennes, le système d’acteurs est plus éclaté, notamment le secteur HLM, mais, comme on l’a vu, il existe un partenariat solide, fondé sur une tradition d’action collective ancienne et des règles du jeu communes. À travers la Conférence communale du logement (recyclage de la CUA créée en 1963), la ville s’octroie un droit de regard sur les attributions de logements sociaux ; en contrepartie, les organismes HLM bénéficient de la forte implication financière de la collectivité, notamment dans la réhabilitation et la production de logements sociaux. Ainsi, les partenaires sont parvenus à stabiliser un rapport d’échange et de négociation qu’ils estiment mutuellement profitable, ce qu’Ehrard Friedberg appelle un « échange politique » (Friedberg, 1993, p. 124-128).
33Malgré ces différences locales, le processus d’intégration des acteurs a pour caractéristique commune à Rennes et Brest de reposer essentiellement sur des instances multi-partenariales. Ces « arènes » locales (CUA et CLH à Rennes, CASAL et CIOLS à Brest, etc.) sont les lieux où se partage le problème, où s’élaborent un langage et un référentiel commun, où se négocient les « normes secondaires » de l’action (Lascoumes, 1990), où s’établit une « jurisprudence locale » coproduite par les acteurs du social (administratifs ou associatifs), les acteurs HLM, les services extérieurs de l’État, les acteurs du conseil général, les communes et l’instance intercommunale. L’action en faveur du droit au logement apparaît comme un « construit collectif » (Biarez, in Biarez et Nevers, 1993, p. 15) sous pilotage intercommunal. La production urbaine du droit au logement passe par la mise en réseaux d’acteurs multiples, schématiquement groupés autour de trois pôles (pôle politico-administratif, opérateurs HLM et opérateurs de l’action sociale), selon un processus de « mobilisation réticulée » (Gaudin, 1995) qui opère de façon privilégiée au sein d’arènes locales fonctionnant comme des espaces de socialisation. La question du changement dans l’action publique se pose ici sous la forme des enjeux de l’entretien ou de l’élargissement des réseaux, des processus d’apprentissage et de négociation-renégociation des normes d’action dans l’interaction. Les acteurs soulignent en particulier le caractère déterminant de l’apprentissage progressif du droit au logement par les communes. Les instances partenariales – ad hoc ou classiques77 – et les normes contractualisées (dans le POPS, le PLH, etc.) jouent un rôle crucial dans la diffusion –, qui reste relative, d’une « culture du logement social » au niveau des agglomérations et dans l’affirmation progressive d’une volonté d’agir conjointement pour un peuplement social équilibré à l’échelle de l’agglomération – pour un « partage » des problèmes d’exclusion par le logement et des « coûts » (financiers, mais aussi électoraux) de cette politique par les communes, partage qui est perçu comme un enjeu majeur pour l’avenir. On observe ici l’étroitesse des liens entre les problématiques de droit au logement et de mixité sociale. La question de l’« oubli des communes78 » par la loi Besson fait aussi apparaître le décalage entre le dispositif départemental du PDLD, fondé sur une approche « action sociale » en termes de publics-cibles, et la logique des communes et des agglomérations qui est une logique territoriale bâtie sur l’enjeu du peuplement équilibré des territoires.
34Ce dernier point condense l’ambiguïté fondamentale de la loi Besson, tiraillée entre la logique urbaine et la logique sociale. La loi exclusions, dont le volet logement prolonge et corrige la loi Besson, semble avoir en quelque sorte pris la mesure de ce décalage, tout en le perpétuant. Elle accorde une reconnaissance législative à la notion de bassin d’habitat et la dote d’une institution qui lui est propre, la Conférence intercommunale du logement, structure de concertation qui doit servir de cadre institutionnel à l’organisation du partenariat entre l’État et les différents acteurs locaux du logement social ; mais, alors même que cette enceinte est censée faciliter la synthèse entre les exigences du logement des plus démunis et la mise en œuvre du principe de mixité sociale dans le cadre du bassin d’habitat, la loi n’y prévoit pas la présence de représentant du département. Cette « omission » (Brouant et Jégouzo, 1998, p. 128) doit-elle se lire comme un aveu de la faiblesse du dispositif du plan ? Sans doute convient-il d’être plus nuancé et se limiter à constater que cette loi « laisse subsister toutes les ambiguïtés actuelles sur les compétences des collectivités territoriales dans le domaine du logement » (Brouant et Jégouzo, 1998, p. 134). Elle persiste à privilégier des outils départementaux (Règlement départemental d’attribution, Accord collectif départemental, PDLD), tout en offrant la possibilité de « sous-territorialiser », au niveau du bassin d’habitat, ces normes départementales ; évolution qui reflète les « tâtonnements » du législateur, et l’indétermination des territoires de production du droit au logement dans la prise en compte du principe de mixité sociale.
***
35Il semble au final nécessaire de mettre à distance la figure d’un État régulateur qui aurait en quelque sorte le monopole de la production des cadres d’interaction concrets de l’action publique locale. Selon P. Duran et J. -C. Thoenig (1996, p. 621), l’État, réduit à agir au moyen de politiques constitutives, « ne peut faire autre chose que de fixer les règles du jeu et identifier les acteurs légitimes ». L’analyse de la production urbaine du droit au logement à Rennes et Brest révèle que le jeu se déroule aussi à côté des règles fixées par l’État, avec des joueurs qui peuvent puiser ailleurs que dans le droit de l’État, et notamment du côté du territoire, leurs ressources en termes de légitimité. S’il serait hâtif de tirer de cette étude limitée, tant sur le plan géographique que sur le plan sectoriel, une conclusion générale sur l’émergence d’un « État creux », l’action publique en matière de droit au logement semble néanmoins illustrer cette formule de Jean Leca selon lequel les effets d’annonce des grandes lois récentes (politique de l’emploi, d’insertion, de formation, politique de la ville), « peuvent ne pas être les mêmes que leurs effets d’allocation et d’organisation » (Leca, 1996, p. 351). Le bilan que l’on est tenté de tirer de l’analyse de la « mise en œuvre » de la loi Besson est dès lors celui de la dimension aléatoire de l’action publique, ce qui invite à s’interroger sur les conditions de possibilité d’une mobilisation territoriale que l’État n’a manifestement pas les moyens d’imposer. Les exemples de Rennes et Brest, qui fournissent deux illustrations de configurations territoriales propices à la production partenariale du droit au logement, permettent de dégager certains des facteurs favorables à une mobilisation effective : des problèmes relativement peu aigus, une forte intégration des systèmes d’acteurs construits autour de l’enjeu du droit au logement, un investissement politique et financier substantiel des collectivités, une intercommunalité très affirmée, des communes et des organismes HLM qui « jouent le jeu ». Au-delà, le constat d’une action publique aléatoire – ici en l’occurrence, de la mise en œuvre aléatoire d’un droit affirmé comme universel – soulève l’enjeu plus fondamental de l’équité de traitement des citoyens, en lien avec la différenciation des actions publiques territoriales.
Présentation de l’enquête
Trente-trois entretiens ont été conduits, dans le cadre de la réalisation d’un mémoire de DEA, entre les mois de décembre 1998 et juillet 1999, avec les acteurs suivants :
Élus des instances municipales ou intercommunales
– Rennes : l’adjoint à l’habitat du district rennais et maire de Thorigné-Fouillard ; l’adjoint au maire chargé du logement social à la Ville de Rennes.
– Brest : le vice-président de la CUB chargé de l’habitat et de l’insertion ; l’adjoint aux affaires sociales de la Ville de Brest ; l’adjointe au maire de Guilers (7000 habitants) en charge de la jeunesse, de l’insertion et du logement.
Services administratifs des municipalités/des structures intercommunales
– Rennes : la responsable du service logement social du CCAS ; la responsable de la mission habitat du District ; l’ex-responsable de la mission habitat du District ; un agent de l’AUDIAR (Agence d’urbanisme du District).
– Brest : le responsable du service habitat de la CUB ; la responsable du service logement social du CCAS ; un agent du service logement social du CCAS ; une chargée d’études à l’ADEUPa (Agence d’urbanisme).
Services de l’État
– Rennes : la responsable du bureau des organismes HLM à la DDE d’Ille-et-Vilaine ; le responsable de la lutte contre la toxicomanie au cabinet du préfet d’Ille-et-Vilaine.
– Brest : l’agent DDE du secrétariat commun du PDLD (DDE/DPAS); le responsable du Service qualité de l’habitat et du logement (SQHL) à la DDE du Finistère.
Services départementaux
– Ille-et-Vilaine : le responsable du suivi du PDLD à la DAS 35 (direction d’action sociale), conseil général d’Ille-et-Vilaine ; une conseillère en économie sociale et familiale, CDAS Belleville (quartier du Blosne).
– Finistère : le responsable du service actions de logement, jeunes, politique de la ville, à la Direction de la prévention et de l’action sociale (DPAS), conseil général du Finistère.
Organismes HLM
– Rennes : le directeur du service gestion locative de la SA HLM Espacil Habitat ; le directeur du service action sociale à l’OPAC 35.
– Brest : la directrice du service social de l’OPAC de la CUB.
– Une chargée d’études à l’Association régionale des organismes HLM de Bretagne (AROHLM).
Autres acteurs
– Rennes : le secrétaire de la Commission locale de l’habitat du district (CLH); le chef de projet contrat de ville du quartier de Maurepas à Rennes ; l’animatrice logement de l’association « Habiter pour vivre », résidence Triskell, à Rennes ; un agent de l’APRAS (Association pour la promotion et l’animation sociale); la directrice d’ALFADI (Association pour le logement des familles en difficultés) ; un agent de la CAF d’Ille-et-Vilaine.
– Brest : le coordonnateur local logement de la ville de Brest (PDLD).
– Un enseignant de l’École nationale de la santé publique (ENSP).
LISTE DES SIGLES UTILISÉS
36ADEUPa Agence de développement et d’urbanisme du pays de Brest (ex-AUCUBE)
37ALI Animateur local d’insertion
38APL Aide personnalisée au logement
39APRAS Association pour la promotion de l’animation et de l’action sociale
40AUDIAR Agence d’urbanisme du District de l’agglomération rennaise
41BAS Bureau d’aide sociale
42CASAL Commission d’accompagnement social et d’attribution de logements
43CCAS Centre communal d’action sociale
44CHRS Centre d’hébergement et de réadaptation sociale
45CIOLS Commission inter-organismes du logement social
46CLH Commission locale de l’habitat
47CLI Commission locale d’insertion
48CLL Coordonnateur local logement
49CUA Commission unique d’attribution
50CUB Communauté urbaine de Brest
51DAFIL Dispositif d’aide aux familles en impayés de loyer
52DAS 35 Direction de l’action sociale d’Ille-et-Vilaine
53DDASS Direction départementale de l’action sanitaire et sociale
54DDE Direction départementale de l’équipement
55DPAS Direction de la prévention et de l’action sociale (département du Finistère)
56DUAR District urbain de l’agglomération rennaise
57FAIL Fonds d’aide aux impayés de loyers
58FARG Fonds d’aide au relogement et de garantie
59FCM Fonds de cautionnement mutuel
60FJT Foyer de jeunes travailleurs
61FSL Fonds de solidarité logement
62LARES Laboratoire de recherche en sciences sociales
63LOV Loi d’orientation pour la ville
64OPAC Office public d’aménagement et de construction
65OPHLM Office public d’habitation à loyer modéré
66OSC Office social et culturel
67PACT-ARIM Protection, Amélioration, Conservation, et Transformation de l’habitat (à l’origine Programme d’action contre les taudis)
68PAP Prêt aidé à l’accession à la propriété
69PDI Plan départemental d’insertion
70PDLD (ou PDALPD) Plan départemental pour le logement des plus démunis
71PLA Prêt locatif aidé
72PLA-I Prêt locatif aidé d’insertion
73PLA-LM Prêt locatif aidé à loyer minoré
74PLA-TS Prêt locatif aidé très social
75PLH Programme local de l’habitat
76PLUS Prêt locatif à usage social (remplace le PLA en septembre 1999)
77POPS Protocole d’occupation du patrimoine social
78RDA Règlement départemental d’attribution
79RMI Revenu minimum d’insertion
80SDAPL Service des aides publiques au logement
81SQHL Service qualité de l’habitat et du logement
Notes de bas de page
1 Loi visant à la mise en œuvre du droit au logement, dite loi Besson, du 31 mai 1990, JO, 2 juin 1990, p. 6551-6554.
2 Cf. Politiques et management public, numéro spécial « Politiques sociales et territoires », sous la responsabilité de P. Hassenteufel, vol. 16, n° 3, septembre 1998, notamment l’article de Bruno Palier sur « La référence au territoire dans les nouvelles politiques sociales » ; voir aussi Castel (1995) ; Rosanvallon (1995) ; Lipietz (1995).
3 Le législateur avait à plusieurs reprises, antérieurement (en 1982, 1986 et 1989), affirmé l’existence d’un droit à l’habitat ou d’un droit au logement ; mais la loi Besson s’écarte très nettement de la conception étroite du droit au logement qui prévalait jusqu’alors, laquelle renvoyait essentiellement à la régulation juridique des relations locataires/propriétaires.
4 Il s’agit notamment des Protocoles d’occupation du patrimoine social (POPS) qu’elle invite à établir à l’échelle intercommunale ou, à défaut, communale, en vue de la contractualisation d’objectifs en matière d’accueil des plus défavorisés dans le parc social et de mixité sociale.
5 Ce schéma d’action basé sur l’échelon départemental reproduit fidèlement le dispositif du Plan départemental d’insertion (PDI) créé par la loi sur le RMI.
6 Ce constat se rapproche de celui qu’établit Blanche Youinou-Le Bihan au sujet de l’action culturelle municipale à Rennes : cf. sa contribution dans cet ouvrage.
7 Cette étude s’est notamment appuyée sur une trentaine d’entretiens ; la liste des personnes rencontrées est renvoyée à un encadré in fine.
8 Cf. Bourdieu (1993).
9 Signalons que cette re-marchandisation du bien logement et cette contradiction croissante entre objectifs sociaux et économiques sont des évolutions caractéristiques des politiques du logement social de la plupart des pays de l’Union européenne depuis les années 1980 (Sala Pala, 2000).
10 Notamment avec la création des POPS et la réactivation des Règlements départementaux d’attribution (RDA), établis obligatoirement (en théorie) par le préfet sur la base de critères définis au niveau national et dans le respect desquels les organismes HLM sont tenus de dégager leurs orientations.
11 En particulier les PLA d’insertion, PLA-I, pour l’acquisition de logements existants avec ou sans travaux, et les PLA adaptés, PLA-A, pour la construction neuve destinée à des ménages « à problèmes ». Soulignons que cette re-segmentation du parc entre en contradiction flagrante avec l’objectif d’unification du marché qui fondait en partie la réforme de 1977, ce qui peut être analysé comme l’émergence d’anomalies remettant en question l’aptitude du nouveau paradigme néolibéral à traiter les problèmes de la politique du logement. Précisons aussi que notre enquête a été menée avant le remplacement, en septembre 1999, du PLA par le PLUS, Prêt locatif à usage social, produit unique simplifié (suppression des sous-catégories du PLA, à l’exception du PLA d’intégration qui est maintenu), en vue de favoriser la mixité sociale en permettant à des catégories de ménages à revenus divers d’accéder à ce logement ; il faudrait aussi citer dans cette perspective la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, JO, 14 décembre 2000, qui vise à renforcer les mécanismes de solidarité dans la ville, notamment en imposant des quotas de logement social.
12 « La logique que nous voulons faire prévaloir, c’est une logique de concertation entre le maire, les organismes d’HLM, l’État et les réservataires. Des exemples montrent que cela est possible. Des initiatives existent. J’ai eu l’occasion de me rendre sur le terrain en Bretagne où j’ai pu constater que, dans une grande ville, les choses se passaient bien. […] Les Protocoles d’occupation du patrimoine social proposés par le texte constituent bien une démarche allant dans ce sens » (Louis Besson, Sénat, séance du 5 avril 1990, JO, p. 119). Soulignons que Rennes et Brest sont au nombre des rares agglomérations s’étant rapidement saisies de ce dispositif qui est simplement proposé par le législateur.
13 Pour une analyse plus fine de ces présentations stratégiques de soi et de son action locale dans l’arène parlementaire à des fins de légitimation de la prise de parole, on se reportera au chapitre de Jane Rasmussen dans cet ouvrage, à propos de la politique de la ville.
14 Ce « statut » ancien, affirmé dès 1964 par le maire Henri Fréville (cf. son article « Rennes, ville pilote », Revue politique et parlementaire, n° 744, avril 1964, p. 9-20), reste aujourd’hui fortement revendiqué par les acteurs rennais, et les démarches innovantes (« modèles ») rennaises sont diffusées vers d’autres acteurs locaux selon divers canaux (réunions ou rencontres, revues spécialisées comme HLM aujourd’hui ou Urbapress Informations).
15 Cette évocation par Pierre Valarié de l’exemple grenoblois nous semble transposable à l’expérience rennaise.
16 Entretien avec l’ex-responsable de la mission habitat du district de Rennes.
17 Cf. Ouest-France du 19 octobre 1992 : « Action sociale et ville de Rennes : trente années d’union sacrée ».
18 Entretien avec l’adjoint au logement social à la ville de Rennes.
19 À partir des années 1960, la plupart des grandes villes françaises ont développé leur moyen en personnel et en administration. D’après l’analyse de Dominique Lorrain, qui porte sur 75 villes, ce processus s’est déroulé à Rennes essentiellement entre 1954 et 1962, avec une dizaine d’années d’avance par rapport aux autres villes : cf. D. Lorrain, Les mairies urbaines et leurs personnels, Paris, DGCL, ministère de l’Intérieur, 1989, cité par P. Le Galès, 1993, p. 162. Notons toutefois que d’autres observateurs se montrent plus nuancés sur cette « avance » de l’administration rennaise, en particulier envisagée sous un angle qualitatif : cf. en particulier Fontaine (1989).
20 Rennes et Grenoble sont en 1958 les deux premières villes françaises à élaborer un plan d’urbanisme, en collaborant avec les services de l’État.
21 On peut citer en particulier Guy Houist, maire-adjoint et président de l’office HLM sous H. Fréville, qui a également œuvré au ministère du Logement, mais aussi Michel Le Roux et Renée Prévert, tous deux maires-adjoints de H. Fréville dans les années 1960, en charge d’une politique d’équipements résidentiels, d’action sociale et de développement culturel ; Michel Le Roux a en outre été l’un des fondateurs de l’OSC et son premier président.
22 Diagnostic de 1982 sur l’accès à l’habitat des populations en difficultés, AUDIAR, p. 50.
23 Sur la traditionnelle opacité du système local du logement social et l’attachement des organismes HLM à leur indépendance, cf. les analyses de C. Bourgeois, dans une approche sociologie des organisations (Bourgeois, 1996).
24 Les organismes HLM gardent au bout du compte la maîtrise de la décision d’attribution, mais l’obligation de motiver les refus des propositions établies par la commission les contraint à des pratiques plus transparentes.
25 Après avoir fait alliance avec la SFIO de 1953 à 1971, en 1971, la municipalité Fréville s’ouvre à la droite avec l’entrée du Parti républicain, dont le leader local, Jean-Pierre Chaudet, est rapidement nommé adjoint à l’urbanisme.
26 Il s’agissait d’un programme de logements de standing pour cadres près de la gare, complété par la réalisation d’un grand centre commercial.
27 Le dossier habitat de 1978, intégré à la redéfinition du schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU), constitue une étape décisive de la politique intercommunale de l’habitat et donne naissance en 1979 à l’Observatoire de l’habitat. En 1980 est créée la commission habitat du district, dont le rôle est fondamental dans l’élaboration de la politique districale de l’habitat et dans l’acculturation des acteurs locaux.
28 Un agent de l’agence d’urbanisme du district (AUDIAR).
29 L’ex-responsable de la mission habitat du district.
30 Cf. Ouest-France du 20 juin 1995 : « L’État a copié le fonds de cautionnement “inventé” à Rennes ».
31 Les CCAS ont remplacé les anciens BAS, Bureaux d’aide sociale, en 1981.
32 J. Kingdon suggère d’analyser les processus de changement, de mise sur agenda et de problématisation des enjeux comme la rencontre entre trois dynamiques considérées comme autonomes : celle des problèmes (problems stream), celle de la vie politique (political stream) et celle des politiques publiques (policy stream).
33 Date de création d’un organisme partenarial, la CIOLS, Conférence inter-organismes du logement social, qui est aujourd’hui l’arène principale de l’action de lutte contre l’exclusion par le logement à Brest.
34 L’OPAC de la CUB est un acteur crucial du logement social sur l’agglomération : il détient la quasi-totalité du parc HLM de la CUB (plus de 90 %). Créé en 1921, l’office public communal d’HLM de Brest a été transformé en office public d’HLM de la CUB en 1975, puis en office public d’aménagement et de construction (OPAC) en 1988.
35 À Rennes, c’est dès 1983 qu’est signé un PLH.
36 Ainsi en l’espace de trente ans, de 1959 (date de la première élection de Georges Lombard comme maire) à 1989 (date depuis laquelle la configuration politique s’est stabilisée, avec deux mandats successifs de P. Maille), on ne compte pas moins de douze élections de maire au sein du conseil municipal. Seul le mandat municipal 1965-1971 n’a pas connu de crise.
37 Les élus de la CUB étaient alors portés par le mythe du « Grand Brest », qui les a conduits à mener une grande politique d’infrastructure et de développement à l’échelle de l’agglomération (cf. P. Dieudonné, « Le grand Brest », in Le Gallo et al., 1992). Ce mythe avait été lancé dès 1959 par G. Lombard, selon lequel Brest avait vocation à devenir une agglomération de 300 000 habitants et à atteindre une « masse critique » l’arrachant au statut de ville moyenne. C’est dans cet esprit qu’il avait œuvré à la création de la CUB ; la communauté urbaine de Brest est d’ailleurs l’une des seules à avoir été constituée de façon volontaire.
38 Le responsable du service habitat de la CUB.
39 En effet « les dispositifs développés depuis 1990, dans le cadre de la loi Besson, puis des mesures gouvernementales qui ont privilégié la promotion de formes d’habitat provisoire, se focalisent sur deux notions : d’une part, la nécessité d’établir un parcours résidentiel, lequel se doit de conduire les plus démunis de structures d’accueil en habitat temporaire vers le logement social ordinaire ; d’autre part, la nécessité de prévoir un accompagnement social du candidat locataire tout au long de ce parcours que l’on s’est efforcé, dans de nombreux Plans départementaux pour le logement des plus démunis, de graduer selon le niveau supposé de “handicap” » (Ballain et Jaillet, 1998, p. 132).
40 Loi Vivien de 1970.
41 On peut ainsi, avec P. Valarié, observer comment la transformation des politiques sociales que traduit le nouveau mot d’ordre de « gestion territorialisée de l’exclusion » aboutit depuis les années 1980 au « retour sur le devant de la scène des Centres communaux d’action sociale, nouvelle version des anciens BAS » (Valarié, 1996, p. 88).
42 Rapport d’activités du CCAS, 1981, p. 11.
43 Ibid., p. 19.
44 Voir en ce sens l’étude d’Hervé Michel (1999).
45 Cf. les travaux du LARES et notamment Huet (1996) ; voir aussi la contribution de cet auteur dans Plan urbain (1997).
46 On retrouve ici en quelque sorte la distinction opérée en sociologie des organisations entre règles formelles et informelles (Reynaud, 1996).
47 Pour reprendre la formule de J. Kingdon empruntée par P. Duran et J. -C. Thoenig (1996, p. 602).
48 Ce rapport (Ballain, 1998), a été élaboré dans le cadre de la préparation de la loi contre les exclusions ; cf. loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions, JO du 31 juillet 1998, p. 11679-11709.
49 Celle-ci s’est illustrée avec l’expérimentation du Complément local de ressources avant la mise en place du RMI (Verdié, 1992) ou encore, récemment, avec celle de la Prestation expérimentale dépendance (PED) (Martin, 1998, et le chapitre de T. Frinault dans cet ouvrage).
50 L’agent de la DAS 35 responsable du suivi du plan.
51 La responsable DDE du secrétariat commun du plan.
52 Le Coordonnateur local logement (CLL) de la ville de Brest.
53 Un agent de l’ADEUPa.
54 Le président de la Commission des affaires sociales du conseil général, cité dans le Rapport d’évaluation du PDALPD réalisé par les sociologues du CERUR (Rennes) et de l’AURES (Nantes), juin 1995, p. 40.
55 L’agent de la DAS 35 chargé du suivi du plan (conseil général d’Ille-et-Vilaine).
56 Le CLL ville de Brest.
57 Selon la loi du 18 juillet 1985 les préfets doivent adopter, sur la base de critères définis au niveau national, un Règlement départemental d’attribution (RDA). Les organismes HLM sont tenus de dégager leurs orientations en matière d’attribution dans le respect de ce RDA.
58 Selon l’article L441-1 du Code de la construction et de l’urbanisme, le préfet a droit de réservation sur 30 % des logements sociaux (5 % pour ses fonctionnaires et 25 % pour les personnes défavorisées).
59 L’agent de la DAS 35 responsable du suivi du plan.
60 En collaboration avec les Directions de l’action sociale des départements (DAS 35 en Ille-et-Vilaine, DPAS dans le Finistère).
61 La responsable DDE du secrétariat commun du PDLD dans le Finistère.
62 « Le préfet n’est pas uniquement un agent représentant l’autorité de l’État au niveau du département. Il est inséré dans un système local vis-à-vis duquel il ne saurait se placer en “chef suprême”, sans perdre une partie de ses intérêts dans le jeu local » (Bourgeois, 1996, p. 207).
63 Le responsable du SQHL de la DDE du Finistère.
64 Id.
65 RDA d’Ille-et-Vilaine.
66 « L’État a quelques moyens incitatifs, mais il ne peut pas obliger par exemple un maire ou un organisme HLM à loger quelqu’un. Il peut essayer d’intervenir gentiment, mais si les organismes HLM ne jouent pas le jeu, l’État ne peut rien faire » (le responsable du SQHL de la DDE du Finistère).
67 « L’État, je vais même dire la DDE, et je vais même dire, à l’intérieur de la DDE, le service habitat/logement de la DDE, ou le directeur de la construction etc., ce sont des gens qui tournent et qui tournent vite. Et chacun vient avec sa philosophie » (le responsable du service habitat de la CUB).
68 Le responsable technique du plan à la DAS 35.
69 Le président de la Commission des affaires sociales du conseil général, cité dans le Rapport d’évaluation du PDALPD réalisé par les sociologues du CERUR (Rennes) et de l’AURES (Nantes), juin 1995, p. 116.
70 D’autres départements ont effectué des choix différents, comme le montrent les travaux livrant des expériences locales de plans (Ballain et Benguigui, 1995 ; Ballain, 1998).
71 Le responsable technique du plan à la DAS 35.
72 Le responsable du service actions de logement, jeunes, politique de la ville à la DPAS (conseil général du Finistère).
73 Selon la formule du président de l’OPAC Habitat 29, rapportée dans Ouest-France du 16 février 1998.
74 Demain, la ville, Paris, La Documentation française, 1998.
75 En témoigne cette formulation du problème par une lettre-circulaire du printemps 1990 donnant l’orientation générale du programme d’action gouvernemental pour le logement des plus défavorisés : « Il subsiste aujourd’hui un nombre inacceptable de sans-abri et de mal logés. C’est pourquoi, dans le cadre de la priorité gouvernementale majeure que constitue la politique du logement, il a été décidé d’arrêter un plan d’ensemble en faveur du logement des personnes et des familles les plus défavorisées, destiné à rendre effectif leur droit au logement » (lettre-circulaire du 30 mars 1990 du ministre de l’Équipement, du Logement, des Transports et de la Mer et du ministre délégué chargé du Logement).
76 Il faudrait aussi évoquer ses responsabilités à l’échelle nationale comme président de la Fédération des offices HLM, l’une des principales composantes de l’Union nationale des fédérations des organismes HLM, UNFOHLM, le puissant « lobby » des constructeurs et gestionnaires de logements sociaux.
77 Au rang de ces instances « classiques », il faudrait insister sur le rôle décisif des commissions habitat des instances intercommunales, cf. Huet, 1996.
78 Cf. D. Vanoni, « Comment réparer l’oubli des communes ? », in Ballain et Benguigui, 1995, p. 198.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La proximité en politique
Usages, rhétoriques, pratiques
Christian Le Bart et Rémi Lefebvre (dir.)
2005
Aux frontières de l'expertise
Dialogues entre savoirs et pouvoirs
Yann Bérard et Renaud Crespin (dir.)
2010
Réinventer la ville
Artistes, minorités ethniques et militants au service des politiques de développement urbain. Une comparaison franco-britannique
Lionel Arnaud
2012
La figure de «l'habitant»
Sociologie politique de la «demande sociale»
Virginie Anquetin et Audrey Freyermuth (dir.)
2009
La fabrique interdisciplinaire
Histoire et science politique
Michel Offerlé et Henry Rousso (dir.)
2008
Le choix rationnel en science politique
Débats critiques
Mathias Delori, Delphine Deschaux-Beaume et Sabine Saurugger (dir.)
2009