1. Sport et vie quotidienne
p. 21-36
Texte intégral
1Si l’on considère avec Charles Taylor que les pratiques de la vie quotidienne sont au cœur de la formation des identités collectives (1989, 27), il faut cependant préciser lesquelles. En d’autres termes, un premier défi pour la recherche consiste à définir ce qu’on entend par une pratique sociale. Notre point de départ est que, malgré les apparences, une pratique n’a pas, et logiquement ne peut jamais avoir, de signification universelle, c’est-à-dire elle n’est pas interprétée de la même manière partout dans le monde. Au contraire, ce n’est qu’en interrogeant au cas par cas le « sens social » accordé à des manières de faire et de vivre que l’on peut parvenir à comprendre les représentations sociales et les comportements à l’œuvre autour d’une pratique observée.
2Le sport de spectacle offre ici un cas d’école. Les organisateurs des coupes du monde de football et de rugby, par exemple, font tout pour présenter leur sport respectif sous le signe d’une pratique mondiale, image nourrie par le traitement médiatique de tels événements, ainsi que par un grand nombre de sociologues1 Dans le cas du football, le mythe universel s’appuie sur le fait que ce sport se joue dans quasiment tous les pays du monde et que les matchs de finale attirent un nombre de téléspectateurs sans équivalent2 Le rugby étant pratiqué dans bien moins de pays, par moins de joueurs et regardé par moins de spectateurs3 les partisans de ce sport ont évidemment une tâche de mythification plus difficile. Il n’en reste pas moins que chez ses organisateurs la représentation dominante de ce jeu est celle d’un jeu dont les valeurs transcendent les frontières nationales4
3Le mythe universaliste du sport a donc une prégnance certaine pour ceux qui y participent sous des angles divers et variés. Du point de vue de l’analyse sociologique, toutefois, pris au premier degré ce mythe rend schématique toute interrogation du rapport entre la manière dont une population suit un sport et la formation de ses représentations sociales. Notre conceptualisation de l’intérêt pour le sport de spectacle est tout autre : malgré les apparences, le sport est représenté et vécu de manière différenciée dans l’espace et dans le temps. Autrement dit, les différences de pratique du sport de spectacle par territoire et par époque sont aussi révélatrices des éléments du lien social que le constat de similitudes souvent superficielles.
4Ce positionnement a naturellement des conséquences importantes pour la manière dont nous avons structuré nos enquêtes, le type de données recherchées et les interprétations que l’on peut en tirer. Le point de départ consiste à analyser les façons de vivre ces deux sports comme pratiques sociales révélatrices de découpages mentaux du monde. Afin de mieux comprendre les comportements et représentations récurrents qui rendent sociale cette pratique, il a ensuite fallu problématiser le verbe suivre. Formaliser ce terme et les questions qui en découlent est l’objectif du deuxième chapitre. Dans un premier temps, toutefois, il convient de rappeler des permanences et des évolutions des pratiques qui composent cette « passion ordinaire5 » pour le football et le rugby.
5Du moins en France et en Angleterre, le sens commun est imprégné de références aux sports de football et de rugby. Pour s’en convaincre, il suffit de passer en revue les titres des journaux, regarder les panneaux publicitaires ou écouter un discours politique. De même, les partisans de ces sports font l’objet de références moins fréquentes mais tout aussi reconnues : l’homme qui regarde tous les matchs télévisés et néglige sa femme, les jeunes qui refont les matchs au pied des immeubles, les « troisième mi-temps » bien arrosées, etc. Bref, tout se passe comme si on connaissait l’importance de ces sports pour nos sociétés, ainsi que les pratiques des personnes les « plus mordues ». Mais les connaît-on vraiment ? Ne se satisfait-on pas la plupart du temps d’images habituelles et de représentations caricaturales ? Les témoignages de nos interviewés offrent ici un éclairage à la fois plus complexe et plus stimulant des manières de suivre ces deux sports et le sens qui leur est accordé. Distinguer les pratiques qui se déroulent autour des matchs de celles répertoriées à d’autres moments est donc un premier pas vers « la défamiliarisation » (Abélès, 1997) de ces pratiques. Qu’il s’agisse de rugby ou de football, un match fournit naturellement un moment qui organise le temps de quelqu’un qui suit ces sports. Depuis les années 1950, vivre ces moments « en direct » implique deux types d’activité, aller au stade et regarder à la télévision, deux comportements qui s’imbriquent avec un troisième : suivre le sport entre les matchs. En explorant ces trois facettes d’une pratique, nous verrons que son inscription sociale se trouve frappée par une variable clé : le rapport au territoire, c’est-à-dire à l’espace et au temps.
Aller au stade
6Contrairement à la représentation souvent véhiculée par les médias, aller au stade n’a jamais été une pratique régulière de la majorité des personnes s’intéressant au football et au rugby. Victimes du syndrome de « l’âge d’or », les spécialistes du football anglais, par exemple, soulignent fréquemment le phénomène de stades de 50 000 à 60 000 spectateurs pour chaque match du championnat des années de l’après guerre. Mais même à cette époque, seule une fraction infime de la population qui suivait le football allait régulièrement au stade. Loin d’être gratuite, cette mise au point sert surtout à orienter notre regard moins sur la fréquentation des stades et plus sur ce rituel qui est la possibilité d’aller au stade. Si on aborde cette pratique non pas comme un acte consumé mais comme un comportement potentiellement chargé de sens social, la participation du « public » aux matchs se voit sous une lumière différente. Comme l’écrit Christian Bromberger, la partisannerie comporte trois niveaux :
- « faire fonctionner à pleine émotion en devenant soi-même acteur (passer de “ils” a nous ) » ;
- « affirmer une ou plusieurs appartenances »;
- et « adhérer à une nébuleuse singulière de valeurs qui incarnent à travers un style qui leur est propre “son équipe” et “ses” joueurs préférés » (1995, 110-111).
7Bref, comme Bromberger le précise dans un texte ultérieur, la partisannerie est
« indispensable pour éprouver pleinement le sentiment d’être acteur d’une histoire incertaine qui se construit sous nos yeux et dont on pense, dans les gradins, pouvoir infléchir le dénouement par une intense participation vocale et corporelle. Contrairement au film ou à la pièce de théâtre, les jeux ne sont pas ici déjà faits avant la représentation » (1998, 273). »
8Les personnes interviewées au cours de notre enquête assistent aux matchs à domicile de leur club selon une fréquence qui varie entre 0 et 100 %. Pour ceux qui y vont, ou qui y sont allés par le passé, deux représentations sont fréquemment exprimées : celle d’un rapport fort aux autres supporters de leur équipe et celle d’un rapport à ce lieu mythique que peut être un stade.
9La force de la représentation d’une communauté de supporters renvoie premièrement à la manière dont chaque supporter a commencé à aller au stade. Un bon nombre de nos interviewés y sont allés pour la première fois à un jeune âge (entre 5 et 10 ans), la plupart du temps avec un de leurs parents ou un autre membre de la famille. D’autres, notamment ceux dont les parents se désintéressaient du sport, ont connu leur « baptême » pendant l’adolescence en allant au stade « en bande » avec les copains de classe ou de voisinage. Enfin, il ne faut pas minimiser le nombre de personnes qui découvrent l’ambiance du stade à l’âge adulte et en tombent amoureux. C’est par exemple le cas d’Andrew, devenu supporter de West Bromich Albion (WBA) à l’âge de 25 ans6 sans jamais s’enthousiasmer pour le football auparavant.
10Si la force de leur passé personnel explique en partie pourquoi les gens vont voir les matchs de football ou de rugby, le plaisir qu’ils continuent à y vivre est naturellement aussi un facteur favorable. Tout d’abord, un match est un événement autour duquel on tisse et on maintient des liens affectifs. Perpétuer des traditions familiales continue à être une motivation pour fréquenter les stades, traditions qui peuvent prendre au moins trois formes. La première, et la plus classique, est le parent qui emmène son ou ses enfants. Ensuite, ce modèle peut s’inverser et ce sont les enfants, dès lors des adultes, qui emmènent leur parent, voire même leur grand parent. Enfin, et contrairement à une idée très répandue, un match peut aussi être un objet partagé par des couples. Un premier exemple est fourni par Martin et Nina (tous les deux 38 ans), abonnés d’Aston Villa qui parcourent plus de 400 km pour assister à chaque match à domicile. Un autre est ce couple de montpelliérains, Philippe et Laurence (26 et 25 ans) qui se réjouissent d’avoir pu trouver un appartement à 400 mètres de leur stade, « la Mosson ».
11Si le rapport entre la famille et le sport reste important, aller au match avec les copains n’est pas une pratique qui disparaît avec l’adolescence. Au contraire, les matchs fournissent maintes occasions pour nouer, et parfois renouer, des liens d’amitié.
12Cela étant, il convient de noter que celui qui va au stade ne vit pas toujours les matchs sur le mode d’une sociabilité organisée. Bon nombre de ceux qui fréquentent les stades de football et de rugby le font seul. En prenant place pour chaque match dans la même partie du stade où se trouvent souvent les mêmes personnes, ils y trouvent les mêmes plaisirs que les personnes qui viennent à plusieurs. À ces plaisirs peut s’ajouter une forme de camaraderie spontanée engendrée par la proximité et la suspension des interdits sociaux, notamment ceux qui gouvernent en temps normal le langage.
13Du moins en Angleterre et en France, dans le cas du football, ce sentiment se fonde le plus souvent sur le soutien de la même équipe et sur la représentation des rivaux comme des « ennemis ». En rugby, et pour une partie importante mais néanmoins minoritaire de ceux qui assistent aux matchs de football, soutenir son équipe a certes son importance, mais les spectateurs vont aussi au match pour célébrer leur passion pour le sport lui-même7 Synthétisée souvent comme « l’esprit rugby », cette différence par rapport au football s’entretient par le fait qu’aux matchs de rugby les deux camps de supporters sont rarement séparés au sein du stade.
14Si les rapports humains (la sociabilité) constituent une première série de raisons pour aller aux matchs de football et de rugby, les gens se déplacent également pour se rendre à un lieu imprégné de références : le stade lui-même. À un premier niveau, le stade est le « domicile » d’une équipe qui doit le défendre contre les joueurs venant de « l’extérieur ». Ce point a certainement son importance puisque les équipes de football ou de rugby gagnent plus souvent « chez eux » qu’à « l’extérieur ». Mais le stade est également (et peut-être avant tout) une figure de la mémoire collective qu’il convient de respecter, voire de révérer. Ce n’est pas un hasard si chaque stade est généralement connu par un nom qui l’individualise : « The Hawthorns » pour WBA, « Lescure » pour Bordeaux, « The Reddings » pour Moseley RFC, « La Mosson » pour l’équipe de football de Montpellier, etc. (Bale, 1982).
15La force mythique des stades se manifeste le plus clairement aux moments où ces derniers se trouvent menacés par les projets de déplacement du stade, soit pour des raisons d’obsolescence et de sécurité publique, soit pour des raisons financières. Depuis une dizaine d’années, cette tendance se développe à grands pas en Angleterre. Dans le cas du football, malgré la contestation appuyée de nombreux supporters, des clubs comme Stoke ou Middlesborough ont fait construire des stades à l’extérieur des villes8 Ted (50 ans, supporter de Stoke) souligne que ce qui compte pour lui c’est la sortie (« the occasion »). Dans son cas, cette pratique a été sérieusement déstabilisée par le changement de stade de son équipe :
« Auparavant, j’adorais aller au stade à pied en traversant un quartier de la classe ouvrière typique de Stoke, regarder les gens à table, sentir l’odeur des hamburgers vendus dans la rue [...] maintenant tout a changé. Le stade est en dehors de la ville et tout ce qu’on traverse c’est un parking anonyme ».
16Afin de faire face aux diverses pressions que comporte la professionnalisation de leur sport, de nombreux clubs de rugby anglais tentent de suivre un chemin similaire. Certains, comme le Saracens du nord de Londres, ont même décidé de jouer à 30 kilomètres de leur fief traditionnel sur le terrain du club de football de Watford. Dans le cas des deux clubs étudiés dans notre enquête, toutefois, la résistance des supporters attachés à leur stade a jusque très récemment continué à l’emporter. Quitter ou ne pas quitter « Coundon Road » a provoqué un schisme au sein de Coventry RFC entre, d’un côté, les traditionalistes qui voient dans leur stade un lieu sacré, imprégné des gloires des années précédentes, et de l’autre les « modernistes » qui souhaitent à tout prix voir leur équipe monter en première division9 Le devenir des stades donne lieu souvent à des clivages que « les modernisateurs » résument à un choix entre modernité et sentimentalité. Pour leur part, ceux qui souhaitent garder leur stade actuel réfutent cette image en avançant celle d’un gouffre qui sépare un changement brutal qui dénature leur sport et une évolution qui respecte ses valeurs fondamentales10
17Enfin, l’attachement au stade est souvent conforté par une affinité avec une certaine partie de celui-ci. De nombreux supporters vont toujours dans la même tribune où ils disent trouver l’ambiance qui leur convient. Dans le cas du football, les virages sont souvent privilégiés, le « virage sud » bordelais, par exemple, étant le lieu préféré de ceux qui se considèrent les supporters les plus fidèles. Lors d’une rencontre récente en coupe de l’UEFA entre leur équipe et celle de Parme, Cyril déclare préférer ne pas aller au stade plutôt que de changer son emplacement habituel :
« J’ai fait presque tous les matchs de la saison. Et là, ce sont les gens qui ne viennent jamais qui nous prennent les places. C’est une honte. Je les ai comme ça [...] au virage Nord, ils ne se lèvent jamais, et ils ne chantent pas. Pas de question d’y mettre les pieds. Tant pis, moi, je serai au retour à Parme »11
18L’attachement des supporters aux virages des stades se trouve renforcé en Angleterre car, traditionnellement dans ces tribunes, on regardait le match debout. Représentés comme des lieux plus « chaleureux », souvent on accorde implicitement aux virages le statut du « vrai » stade. Habitué de ses lieux depuis l’enfance, Roger (50 ans, Birmingham), explique par exemple qu’il a été invité par une entreprise à regarder des matchs dans les « boxes ». Mais il en conclut que « c’est une nouveauté pour moi mais je ne le ferais pas tout le temps ».
19Au total, dans cette pratique qui consiste à aller au stade, la sociabilité que les supporters y retrouvent semble un facteur important de leur rapport au sport suivi. Si celle vécue lors des matchs de football tend fortement à se structurer autour du soutien d’une des équipes en jeu plus qu’autour de la passion pour « leur » sport (cas plus fréquent pour le rugby), au fond cette motivation pour assister en direct à ces spectacles repose sur les bases similaires. De manière complémentaire, en tant que lieu de mémoire, le stade lui-même fixe la passion de nombreux passionnés des deux sports, fournissant ainsi un ingrédient stable de leur allégeance à un club particulier12
LES CLUBS DES MIDLANDS
Le football :
Aston Villa
Année defondation : 1882 Surnom : « The Villa »
Stade : Villa Park, capacité 35 000, situé légèrement au nord du centre
de Birmingham
Palmarès : 7 fois champions de l’Angleterre (1884, 1896, 1897, 1899,
1910, 1911, 1981), champions d’Europe (1982), 7 coupes de
l’Angleterre (1887, 1895, 1897, 1905, 1913, 1920, 1957), 3 coupes
de la ligue (1974, 1995 1996)
Position actuelle : joue en première division depuis 1988
Birmingham City
Année de fondation : 1875 Surnom : « The Blues »
Stade : Saint Andrews, capacité 30 000, situé légèrement au sud du
centre de Birmingham
Palmarès : 1 Coupe de la ligue (1963)
Position actuelle : joue en deuxième ou troisième division depuis 1986
(en D1 de 1969 à 1985)
Coventry City
Année de fondation : 1883 Surnom : « The sky blues »
Stade : Highfield Road, capacité 30 000, situé près du centre de Coventry
Palmarès : 1 coupe de l’Angleterre (1987)
Position actuelle : a joué en première division entre 1967 et 2000.
Actuellement en D2.
West Bromich Albion (WBA)
Année de fondation : 1879 Surnom : « The Baggies »
Stade : The Hawthorns, capacité 24 000, situé à l’ouest de Birmingham
Palmarès : 1 coupe de l’Angleterre (1968)
Position actuelle : joue en deuxième division depuis 1981
Le rugby :
Coventry RFC (Rugby Football Club)
Année defondation : 1873 Surnom : « Cov »
Stade : Coundon Road, capacité 8 000, situé près du centre de Coventry
Palmarès : 2 coupes de l’Angleterre (1973 et 1974)
Position actuelle : joue en deuxième division depuis 1986
Moseley RFC Année fondée : 1873 Surnom : « Mose »
Stade : The Reddings, capacité 7 000, situé dans un quartier résidentiel
au sud de Birmingham Palmarès : 1 coupe de l’Angleterre partagée avec Gloucester après match
nul (1972)
Position actuelle : joue en deuxième division depuis 1986
LES CLUBS BORDELAIS ET MONPELLIÉRAIN
Le football :
Bordeaux Année de fondation : 1936 Sobriquet : « Les Girondins »
Stade : Parc Lescure, capacité 35 000, situé légèrement au sud du centre
de Bordeaux
Palmarès: 5 fois champions de France (1950,1984, 1985,1987,1999),
3 coupes de France (1941, 1986, 1987)
Position actuelle : joue en Division 1 depuis 1992
Montpellier-Hérault Année fondée : 1974 Pas de surnom
Stade : La Mosson, capacité 30 000, situé à l’ouest de Montpellier
Palmarès : Coupe de France 1990.
Position actuelle : a joué en Division 1 entre 1987 et 2000 et à nouveau
depuis 2001-2002 (relégué en D2 pour la saison 2000-2001).
Le rugby13 :
Bègles-Bordeaux
Année fondée : 1907 (devenu Bègles-Bordeaux en 1983) Surnom : « Les Damiers »
Stade : Le Musard, capacité 11 000, situé dans la banlieue de Bègles au sud-est de Bordeaux
Palmarès : 2 championnats de France (1969 & 1991)
Position actuelle : joue en Division 1 depuis les années 50
Regarder à la télévision
20Tout comme pour les spectateurs qui vont au stade, l’image médiatisée du partisan des sports de spectacle « scotché » à tous les matchs qui passent à la télévision s’avère bien schématique. Bon nombre de nos interviewés regardent en effet beaucoup de matchs télévisés, mais en général des choix sont quand même effectués. Certains ne regardent que les matchs où il y a un enjeu sportif décisif (matchs de coupe, matchs entre leaders du championnat, etc.). D’autres ont leurs clubs fétiches ou des styles de jeu préférés. Enfin, il y a des personnes qui suivent le sport mais qui ne le regardent que rarement à la télévision. Autrement dit, ces modes de discernement renvoient à des critères implicites révélateurs du rapport du spectateur à son sport de prédilection.
21Mais comprendre la pratique qui consiste à regarder son sport à la télévision, implique aussi de saisir comment les téléspectateurs ont adapté leur pratique à une offre d’images de leur sport qui connaît depuis une dizaine d’années des mutations importantes. Jusqu’au milieu des années 1980, les matchs télévisés ont plutôt été des exceptions. Depuis cette époque, l’offre ne cesse de se diversifier et donc d’influer sur la manière dont on suit le football et le rugby14
22Dans le cas du football les matchs diffusés en direct (en France comme en Angleterre) se limitaient traditionnellement à des confrontations internationales, à des finales des coupes nationales et à des « grandes rencontres » en coupe d’Europe. En France, en effet, la télédiffusion des matchs « européens » de Saint Etienne dans les années 1970 a constitué une nouveauté importante. De même, les années de réussite des clubs anglais en coupe d’Europe (1977-1985) ont eu un impact certain sur la télédiffusion de ce sport. En même temps, les matchs diffusés en différé ont continué à tenir une place importante dans la couverture médiatique de ce sport15 Dans les deux pays, depuis la fin des années 1980 ces deux formules ont été concurrencées par la télédiffusion en direct des matchs du championnat par les chaînes privées : TF1, Canal +16 et Sky.
23Quant au rugby, ces deux dernières chaînes sont aussi à l’origine d’une transformation de sa télédiffusion. Traditionnellement, la télévision ne montrait que les matchs de l’équipe nationale (surtout les matchs du Tournoi des cinq nations) ainsi que les finales de coupe ou de championnat des clubs. Aujourd’hui en France, Canal + montre régulièrement des matchs du championnat et, en établissant un rapport concurrentiel, incite les chaînes publiques à multiplier leur propre offre17 Cette évolution s’accélère avec la professionnalisation de ce sport depuis 1994. En Angleterre, le rugby a traditionnellement été diffusé par les deux chaînes de la BBC18 Il y a une coïncidence exacte dans ce pays entre la professionnalisation du rugby de club en 1994 et la privatisation de la télédiffusion des matchs de ce type19 En 1996, cette évolution se complète par la « privatisation » de la diffusion des matchs de l’équipe de l’Angleterre. Négociée par la Rugby Football Union du pays, cette privatisation implique que pour regarder les matchs de l’équipe anglaise il faut désormais s’abonner au bouquet Sky ou se déplacer dans un lieu équipé à cette fin (pub, club, etc.).
24Aussi intéressante soit-elle, l’analyse des dimensions économiques et stratégiques de ces évolutions20 risque toutefois de nous éloigner de notre questionnement central. Plus précisément, nous chercherons à comprendre la manière dont nos interviewés se représentent et vivent cette tendance. Dans cette optique, se dessinent trois positions principales, chacune révélatrice du sens social accordé aux deux sports étudiés.
25Le premier point de vue consiste à adhérer aux évolutions récentes en listant leurs avantages. Le premier progrès cité est naturellement la quantité accrue de matchs diffusés. Par exemple, Martin (45 ans, supporter de Coventry RFC) se réjouit de pouvoir regarder le « Super 12 » et les « Tri nations21 » sur Sky. De manière similaire, en France, Canal + offre un spectre plus large de matchs en direct et d’images d’autres rencontres jouées en France ou à l’étranger.
26Outre l’offre accrue de matchs diffusés, plusieurs autres aspects plaisent à ce type de « téléspectateur ». Premièrement, ils apprécient souvent les commentaires qui accompagnent les images. Souvent effectuée par des internationaux actuels ou récents, l’analyse pour le spécialiste du jeu tend à primer sur les descriptions plus superficielles typiques des chaînes classiques. Ensuite, les images elles-mêmes sont souvent mieux estimées grâce à l’usage de caméras supplémentaires et de prises de vue différentes. Robert (60 ans, Bordeaux) considère par exemple que « c’est une autre façon de filmer le sport, on le met plus en forme, on fait les montages intéressants, on choisit la chanson qu’il faut [...] c’est une incitation à voir des matchs ». Autrement dit, la mise en scène du match est vécue et appréciée avant le coup d’envoi (présentation des équipes, anticipation des « duels » entre joueurs, mise à plat des enjeux pour chaque club), à la mi-temps (analyse en profondeur plutôt que la publicité) et à la fin du match (de nouveau analyse, interviews...). Bref, comme le résume Serge (33 ans, Gironde), « Canal + a réinventé la télé et a révolutionné la façon dont on présente le sport ». En effet, ce sont les différences par rapport aux chaînes classiques qui sont souvent soulignées. Cécile (23 ans, supportrice de Bordeaux) déclare par exemple :
« Canal fait plus découvrir le football comme événement sportif, on ressent plus l’attachement à l’équipe des supporters. De plus, TF1 c’est un véhicule pour passer la pub et puis c’est axé sur l’Audimat. Les commentaires nous font rire et sont souvent misogynes, et il y a plus de22 ».
27Marc (40 ans, supporter de la même équipe), va plus loin :
« Téléfoot m’agace. De manière générale, la vision des journalistes télé est très vite dans le cliché. En plus, TF1 donne une image beauf du football23 Elle est également partisane, ce sont toujours les mêmes qui sont suivis - Paris, OM [...] et on est plus indulgents avec eux. Je ne fais pas de théorie du complot mais les mêmes reviennent sans arrêt et on pardonne tout à certains ».
28En résumé, les chaînes de télévision renvoient au « téléspectateur » des représentations du sport (et indirectement de lui-même) que ce dernier ne partage pas nécessairement. Il faut donc éviter de faire trop vite des amalgames entre le comportement et les représentations sociales de ceux qui présentent le sport à la télévision, et la manière dont ces mêmes sports sont vécus par ceux qui les regardent24
29Autour de la télédiffusion du match lui-même, il convient également de signaler que la limitation de celle-ci aux chaînes privées peut aussi plaire parce qu’elle crée des occasions de sociabilité. En Angleterre, de nombreux « pubs » s’abonnent à Sky, s’équipent de grands écrans et organisent des fêtes autour des matchs. C’est le cas, par exemple, de « The Nursery Tavern » à Coventry où le propriétaire, Harry, et les habitués de son pub ont créé toute une série de rituels autour des matchs de rugby internationaux. Par cette voie, ils considèrent participer au match « comme s’ils y étaient ». Des bars en France se spécialisent eux aussi dans la diffusion de matchs diffusés uniquement par Canal + ou par ses variantes numériques. Dans les deux pays, les téléspectateurs impliqués peuvent vivre les matchs sous l’angle d’une consommation individualisée et s’en aller au moment où le match est fini. Dans d’autres cas, cette évolution offre une occasion pour renouer en quelque sorte avec la sociabilité des « troisième mi-temps » si chère au folklore d’un sport comme le rugby.
30De manière générale donc, avouons clairement qu’une représentation positive des évolutions récentes de la télévisation du sport est peu explicable en termes de la variable territoriale. Plus exactement, l’appartenance territoriale de ces interviewés s’efface devant l’importance d’un sentiment de compétence par rapport au sport suivi.
31Toutefois, essentiellement négative, la deuxième position adoptée par nos interviewés face aux évolutions récentes de la télédiffusion renvoie plus clairement à la variable territoriale. Contrairement à ce qui se dit souvent en France sur la réception favorable du choix par le marché en Angleterre25 s’opposer à cette tendance est plus commun outre-Manche qu’en France. Roger, par exemple, un quinquagénaire de Birmingham, avance un argument apparemment fondé sur l’intérêt général et national mais qui en fait est lié étroitement à l’importance qu’il accorde à la nation :
« Pour moi certains événements sont sacrés : les matchs internationaux de cricket et de rugby, le Grand National (une course de chevaux), la finale de la coupe anglaise [...]. Le gouvernement devrait intervenir pour garder ceux-ci sur les chaînes hertziennes ».
32Pour ce qui concerne les téléspectateurs du rugby, leur sport passe désormais rarement sur les chaînes terrestres. La position ambivalente du Président de Moseley RFC, Peter Woodroofe, résume un sentiment souvent entendu par rapport à cette évolution :
« Je suis content qu’on voit le rugby plus souvent à la télévision et de toute manière ce sport à besoin de la télé pour équilibrer ses finances. Mais je m’inquiète que les chaînes nationales et terrestres aient été condamnées à se retirer pour des raisons budgétaires [...] Je veux que notre sport reste disponible pour tout le monde ».
33D’autres interviewés critiquent plutôt la manière dont les besoins de la télévision privée tendent à dominer l’organisation de leur sport. En Angleterre, par exemple, des matchs de football de première division sont souvent déplacés au dimanche après-midi ou au lundi soir26 mutation qui rend de plus en plus difficile un élément distinctif de football anglais : le déplacement en nombre des supporters aux matchs à l’extérieur. Richard par exemple (32 ans, supporter de Birmingham City) estime que « Sky favorise les supporters qui ne quittent jamais leurs fauteuils » (armchairfans).
34Il convient de signaler qu’en tant que composante de « l’empire médiatique de Rupert Murdoch » (Tunstall, Machin, 1999), Sky est souvent critiquée pour des raisons politiques. On fustige, par exemple, cette forme de « capitalisme rampant » qui, d’une part, soumet les supporters au chantage de l’abonnement et, d’autre part, privilégie la domination du football et du rugby par une « élite » de plus en plus restreinte27 Dans le cas du rugby anglais, cette tendance est évidemment indissociable des effets globaux de la professionnalisation de ce sport28 Enfin, certains supporters s’inquiètent qu’un rapport de dépendance trop fort entre un sport et une chaîne de télévision finit toujours par fragiliser le premier. Richard (45 ans, supporter de Coventry RFC), exprime ainsi son malaise pour le rugby :
« Je crois que Sky détruit plus de sports qu’il n’aide [...]. La professionnalisation a été lancée de manière précipitée et aujourd’hui il y a le danger que les médias cherchent à changer les règles de ce sport en l’obligeant à fusionner avec le rugby à treize. Mais si le rugby devient autre chose il sera fini ».
35En résumé, pour cette deuxième catégorie d’interviewés, les regrets exprimés par rapport à l’offre télévisuelle contemporaine ne sont pas que des préférences personnelles et anecdotiques. Ils renvoient plutôt à leur conception du rapport entre le sport et leurs valeurs sociales et politiques.
36Enfin, une troisième catégorie de téléspectateurs de football et de rugby considère que l’évolution actuelle de la médiatisation de leur sport est tout simplement inéluctable. Par conséquent, il ne sert à rien de prendre position. Peter (71 ans, supporter de Wolves) par exemple, déclare qu’il n’aime pas Sky mais qu’il ne peut pas « vivre sans ». Cette position quelque peu fataliste est partagée par John (57 ans, également supporter de Wolves) : « Je déteste Murdoch mais le sport en direct m’intéresse trop ». La manière dont cette catégorie de supporter est prêt à compromettre ses valeurs politiques pour pouvoir suivre leur sport préféré est peu intéressante en soi puisque les contradictions de ce type sont fréquentes. Il n’en reste pas moins que les choix effectués constituent encore un indicateur de la force des passions pour le sport et donc de la pratique sociale qui consiste à le suivre.
37Au total, il ne fait pas de doute que dans les deux pays, ces deux sports sont aujourd’hui regardés à la télévision autrement qu’il y a vingt, voire même dix ans. Le match télévisé comme événement a été banalisé et le rapport entre une offre accrue et la « demande » sociale a clairement eu une importance. Toutefois, ce n’est pas pour autant que le sens profond accordé à ces rencontres a diminué. Il se peut qu’aujourd’hui l’on visionne le sport de manière différente qu’autrefois, mais il est loin d’être certain que la façon dont on le vit ait fondamentalement changé.
Avant, après et surtout entre
38Afin de comprendre cette continuité importante dans la manière dont on suit le football et le rugby, il est également nécessaire de saisir la façon dont ces sports sont vécus en dehors du moment du match. En effet, le temps de celui qui suit le sport n’est pas découpé en tranches nettes. Au contraire, vu le degré d’interdépendance entre les matchs29 sa préparation (sélection de l’équipe, pronostics faits, déplacement des supporters), l’événement lui-même ainsi que son analyse ex post (tant celle des participants que celle des spectateurs) tendent fortement à se fondre dans un cycle permanent et sans interruption. Ce point est souligné par le sociologue et supporter de Leicester City, Stephen Wagg :
« Pour certains d’entre nous, la nature éphémère de la vie (les mariages qui échouent, la menace d’un licenciement, les amis qui déménagent...) est trop forte si nous n’avons pas en même temps l’assurance que chaque samedi après-midi, à trois heures moins dix, des maillots d’une certaine couleur entreront quelque part dans un stade » (Wagg, 1992, 104).
39Même la fin de chaque saison s’enchevêtre avec le début de la prochaine. Autrement dit, celui qui suit ces sports est toujours entre des matchs, phénomène auquel participent pleinement les médias.
40À ce titre, la presse écrite continue de jouer un rôle majeur dans la vie de celui qui suit le football et le rugby. Les technologies télévisuelles et informatisées se développent à grand pas30 mais d’après nos interviewés le journal demeure la première source d’informations et d’idées à débattre pour ceux qui suivent le football et le rugby. Dans les Midlands comme à Bordeaux et à Montpellier, les journaux locaux fournissent au quotidien des « nouvelles » des équipes de leur région respective31 D’ailleurs, les pages sports de ces journaux sont souvent citées par nos interviewés comme la raison principale de lire la presse locale. À la différence des deux régions françaises, par contre, en Angleterre le journal local du supporter est le plus souvent acheté en complément d’un journal national qui, lui aussi, consacre de nombreuses pages au sport, notamment le football32 Afin de compléter la comparaison, cette pratique recoupe en partie celle particulière à la France de l’achat de L’Équipe, journal qui offre une vision nationale et internationale du sport.
41Enfin, intervient à une échelle moins important l’achat des revues plus spécialisées soit hebdomadaires (Midi Olympique pour le rugby, France Football...) soit mensuelles33 Rappelons enfin que de nombreux journaux quotidiens et hebdomadaires sont également « consommés » dans les lieux publics tels que les cafés et les bibliothèques.
42Note3535
43Au-delà du simple constat de l’ampleur du temps consacré à ces diverses formes de lecture, il convient de saisir le sens qui leur est accordé par ceux qui suivent ces sports. Naturellement, les partisans du football et du rugby y retrouvent des informations sur les joueurs de leurs équipes, sur ceux des autres, sur les transferts possibles et réalisés, sur la sélection nationale, etc. Comme en témoigne l’achat accru des journaux le lundi, ils apprécient aussi des comptes rendus de matchs qu’ils n’ont pas vus ou, au contraire des matchs auxquels ils ont assisté mais dont l’interprétation du journaliste les intéresse. Au fond, cette presse fournit une part importante de sujets potentiels de discussion et de débat, ce que Ch. Bromberger appelle les « délices de l’expertise : savoir identifier, désigner, argumenter » (1998, 29). D’ailleurs, les journalistes eux-mêmes deviennent souvent des objets de débat autour du problème de l’attention favorable accordée à certaines équipes. En Angleterre, par exemple, ce sentiment de biais est très fort chez les supporters de Coventry. Kevin, 30 ans, est même allé jusqu’à se plaindre par écrit auprès de l’agence nationale de régulation de la presse (The Press Complaints Authority) après qu’une victoire 4-0 de son équipe face à Tottenham ait été présentée dans plusieurs journaux nationaux comme un mauvais échec pour le club londonien plutôt que comme un triomphe pour l’équipe des Midlands. Les représentations de biais sont également communes en ce qui concerne le choix des matchs présentés par la BBC (ex. dans l’émission du samedi soir Match of the Day) ou pour les matchs diffusés en direct sur Canal + ou en différé par TF1 (domination du PSG et de l’Olympique de Marseille). En Angleterre, l’engouement récent pour les émissions de football transmis par les radios locales s’explique en partie par cette interprétation des préférences de la presse et de la télévision nationale. Au contraire, les radios locales sont souvent présentées par nos interviewés comme un mode de communication qui corrige ce biais anti-Midlands en encourageant un dialogue autour des performances des clubs de la région.
44Il ne fait pas de doute que les médias participent pleinement à structurer l’intérêt investi dans le football et le rugby entre les matchs. En revanche, contrairement aux idées reçues sur les supporters sportifs, les informations et les opinions exprimées par cette voie sont rarement traitées comme des vérités ou des modèles à suivre. En fournissant des sujets à discuter, les médias aiguisent constamment l’esprit critique de leur auditoire. Comme en témoigne la capacité de ceux qui s’intéressent au sport à se souvenir des joueurs et des matchs d’un passé parfois lointain, ces informations « s’impriment » de manière durable parce que l’individu concerné s’est développé des cartes cognitives pour les décoder et les stocker. Or, cette durabilité semble difficilement attribuable au simple fait de suivre le sport comme une activité ludique. Malgré sa futilité apparente, cette connaissance est également entretenue par la prégnance des informations pour les personnes concernées, prégnance qui renvoie au fond à leur sens social. De manière plus générale, ce sens se génère et se propage sous la forme d’un cycle ininterrompu qui participe pleinement à la conception du temps (c’est-à-dire à leur vision du passé, du présent et du futur) pour ceux qui suivent le football et le rugby.
Notes de bas de page
1 La dimension « universelle » du sport est récurrente dans la littérature sociologique consacrée à ce sujet. Voir par exemple les ouvrages Football. A sociology of the globalgame de R. Giulianotti (1999) et Sport et civilisation. La violence maîtrisée de N. Elias et B. Dunning (1994). Pour une critique approfondie de cette tendance, voir diverses contributions au numéro « Les enjeux du football », Les Actes de recherche en sciences sociales, n° 103, juin 1994.
2 À titre d’exemple, on estime que près de 20 millions de français ont regardé la finale de la coupe du monde de 1998 à la télévision, chiffre auquel il faudrait ajouter des milliers de personnes qui l’ont regardé dans les lieux publics. 25 millions d’anglais (sur 45 millions) sont estimés avoir regardé la demi-finale de la coupe du monde de 1990 qui a opposé l’équipe de l’Angleterre à celle de l’Allemagne.
3 En citant les chiffres Médiamétrie, TF1 estime que plus de 14 millions de téléspectateurs en France (soit une part d’audience de 80 % et « 27 % des téléspectateurs ») ont regardé la finale de la Coupe du monde de rugby le 7 novembre 1999. Toutefois, seulement entre 11 et 17 % des téléspectateurs français regardent les matchs internationaux du Tournoi des 5 nations (Le Monde, 2.3.99).
4 Le mythe universaliste du sport est perpétué par une littérature énorme composée de manuels, d’annuaires, de biographies etc. Mais, comme en témoigne un livre récent sur le rugby (Darbon, 1999), il l’est aussi par un nombre important d’ouvrages qui se veulent scientifiques.
5 « Les passions ordinaires » sont au cœur d’un ouvrage collectif récent dirigé par Ch. Bromberger. Ce terme est utilisé pour nommer « ces rumeurs fondamentales de la vie contemporaines, ces activités qui donnent sens et sel pour ceux qui s’y adonnent » (1998, 23).
6 Après maintes hésitations, afin d’alléger notre style d’exposition, nous avons choisi de faire figurer dans le corps de ce texte que l’âge, la ville habitée et le club suivi par chacun des interviewés cités. Dans certains d’autres variables telles que la profession et l’intensité de leur intérêt pour un ou des sport(s) seront intégrés dans l’analyse. Pour une description complète de ses variables par interviewé voir les tableaux en annexe.
7 Ce qui n’exclut en rien des échanges verbaux entre les supporters de différentes équipes. Toutefois, en rugby on appelle ça « se chambrer » tandis qu’en football cette activité est appelée le plus souvent « de la provocation » ! Comme le montre bien Ch. Bromberger, à travers les banderoles et les chants, de nombreux supporters de football ont transformé la provocation en une forme d’art (Bromberger, 1995).
8 Pour un témoignage des émotions suscitées par les abandons de stade voir Bull (1992). D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si en anglais de nombreux supporters ont du mal à remplacer le terme traditionnel de « ground » par celui plus « moderne » de “stadium” (Wagg, 1992, 100). Cette tendance provoque chez J. Williams la conclusion suivante : « Sans authenticité, ces endroits “dysneslandisés”, pourraient mener à la destruction de la notion de l’espace. Ce sont des lieux sans les caractéristiques identifiables du chez soi, avec des places anonymes et facilement transférables : un stade “conteneur”, connu seulement par le nom de la société qui le sponsorise. Et actuellement, il ne paraît plus étonnant que quelques spectateurs regrettent déjà le bon vieux stade » (1999, 336). Les nouveaux stades peuvent, en effet, être analysés comme les « non-lieux » de la vie moderne selon l’expression de Marc Augé (1992 ; 1994b, 180).
9 Afin de réaliser cette réussite sur le terrain, il semble aujourd’hui nécessaire d’attirer des sponsors individuels (le cas de Newcastle et de Bedford) ou corporatifs (le cas de Bath). Dans un cas comme dans l’autre, l’objectif est de pouvoir acheter des meilleurs joueurs et les garder en leur proposant des salaires « compétitifs ». Pour ne donner qu’un ordre d’idées de l’argent en jeu, en 1997-1998 l’équipe de Coventry, un club de deuxième division, comportait pas moins de 22 joueurs salariés à plein temps.
10 Partisane farouche du premier camp, Ann (60 ans), déclare simplement : « si vous êtes sentimental vous ne pouvez plus faire face à la concurrence ». Moseley RFC a connu des débats similaires et, en l’an 2000, a fini par déplacer son stade vers les terrains de l’université de Birmingham.
11 Citation du journal Sud-Ouest, 27.2.99.
12 Si l’intensité de cette allégeance peut fluctuer en fonction des résultats sportifs du club, du moins dans les deux pays étudiés, plusieurs illustrations contemporaines suggèrent que l’adhésion à un club peut difficilement être montée de toutes pièces par l’intervention de financiers privés ou des pouvoirs publics. Un premier exemple est fourni par le club de rugby de Newcastle. Acheté et transformé par Sir John Hall en 1994, ce club est devenu un des plus performants en Angleterre sur le plan sportif. Toutefois, ses matchs à domicile n’attirent qu’entre 3 000 et 5 000 personnes. Dans le même ordre d’idées, rappelons la naïveté du Ministère des sports autour de l’usage du Stade de France. En présumant que le PSG souhaiterait quitter le Parc des Princes pour ce nouveau stade, les agents de cette administration ont non seulement sous-estimé l’attachement des supporters à leur « domicile », mais, plus encore, ils ont fait l’impasse sur la contradiction d’un club censé représenter Paris installé en banlieue (Mignon, 1999).
13 Montpellier possède un club de rugby. Toutefois, il suscite peu de soutien populaire, les fans de rugby de cette ville préférant suivre des équipes plus porteuses comme Béziers.
14 Depuis une dizaine d’années, l’offre des émissions sportives a évolué très rapidement. Pour des informations précises qui sont déjà largement dépassées, voir le numéro spécial de la revue Dossiers de l’audiovisuel intitulé « Le sport à l’aube du numérique » (n° 77, janvier-février 1998).
15 En Angleterre, une émission de ce type inauguré au début des années 1960, Match of the Day, diffusé par le BBC à 22 heures chaque samedi soir, est souvent présentée comme une institution nationale. À celle-ci s’ajoutent des émissions diffusées le samedi midi : FootballFocus (BBC) et On the ball (ITV). L’équivalent de ces émissions en France est Téléfoot, émission diffusée depuis 1977 par TF1 (aujourd’hui elle est diffusée le dimanche matin). Voir à ce sujet une recherche en cours effectuée par Dominique Marchetti (1998).
16 Créé en 1984, Canal + « a stimulé l’offre de retransmission qui, à son tour, a stimulé un développement du sponsoring. En 1990, le chiffre d’affaires des clubs de Division 1 représente quelque 500 millions de francs. Les droits télévisés en constituent un peu moins du tiers, contre 1 % en 1978 ! » (Faure, Suaud, 1999, 107).
17 Dans ce pays, la télédiffusion du rugby s’accroît très rapidement. Son temps d’antenne a doublé en dix ans : de 34 heures en 1989 à 63 heures en 1998 (par rapport à 200 heures annuelles pour le football). Le Monde, 2.3.99.
18 Elles ont surtout diffusé les matchs du Tournoi des cinq nations, ainsi qu’une émission des « meilleurs moments » (highlights) des matchs du championnat, Rugby Special, entre 17 heures et 18 heures le dimanche soir.
19 Depuis 1996, la chaîne Sky-sports diffuse les matchs de club en direct tous les samedis après-midi et propose bien d’autres en différé.
20 Sur ces enjeux, voir notamment les différents papiers consacrés au football européen dans Le Monde, 2.3.99.
21 Fondés en 1994, ces deux tournois impliquent les équipes de « l’hémisphère sud » : l’Australie, la Nouvelle Zélande et l’Afrique du Sud. « Le Super 12 » met en concurrence des équipes provinciales et régionales, tandis que « le Tri nations » oppose chaque année les trois équipes nationales.
22 Elle explique ensuite que pour elle l’émission Téléfoot de TF1 a été longtemps uniquement un moyen pour voir les buts de Bordeaux. Après les avoir vus elle avait l’habitude d’éteindre son poste.
23 Approche critiquée par l’écrivain Louis-Stéphane Ulysse qui écrit de Téléfoot : « Et les images enchaînent : les buts, les poteaux, les hors-jeu. Elles s’enchaînent encore, sans distance, sans contexte, parfois ralenties, mais finalement bien peu éloignées de la compil Vidéo-gag. En fait, Téléfoot parle de foot mais ne parle jamais de foot. Ce sont des images à ce point vidées qu’il paraît impossible de se souvenir avec cohérence du contenu de l’émission, une fois celle-ci terminée ». Les Inrockuptibles, 1-7 octobre, 1997.
24 Cette mise en garde a été développée de manière plus générale par Toby Miller et Alec Mchoul dans leur ouvrage Popular culture and everyday life (1998). Ces auteurs critiquent notamment la tendance forte des études de la culture populaire (Culturalstudies) à extrapoler les significations d’une pratique sociale à partir de l’offre médiatique. L’antidote qu’ils proposent - étudier la culture à partir de la quotidienneté des gens ordinaires - nous semble plus satisfaisante.
25 « L’Angleterre, terre du néolibéralisme » est un thème récurrent dans la presse française tout comme dans des ouvrages de sciences sociales. Des analyses plus fines de l’idéologie montrent que la réalité est plus complexe (Hall, 1997).
26 Évolution qui frappe aussi le football français. À la demande de Canal +, les matchs de D1 sont souvent avancés ou décalés, y compris à des heures quelque peu incongrues.
27 Dans le cas du football et du rugby anglais, la plupart des recettes de la télévision sont désormais réparties entre les clubs de première division.
28 En Angleterre, la professionnalisation du rugby a eu des effets en cascade sur les équipes mineures (« junior rugby »). Même au niveau des villages, certaines équipes paient désormais leurs joueurs...
29 Rappelons que la plupart des matchs de football et de rugby de haut niveau s’inscrivent dans le cadre de championnats qui durent d’août à mai. En ce qui concerne le football, la première division en France (18 clubs) et en Angleterre (20) se déroule selon un format de matchs aller et retour où les équipes accumulent des points pour les victoires et les matchs nuls. Limité à entre 12 et 14 clubs, le championnat de rugby anglais suit le même modèle. Par contre, celui de la France combine une logique de championnat (à travers des systèmes de « poule ») et une logique de coupe éliminatoire lors des « phases finales ». Dans les quatre cas, les résultats en championnat déterminent non seulement les clubs vainqueurs et les clubs qui seront relégués en deuxième division, ils déterminent également les qualifiés aux compétitions européennes.
30 En Grande Bretagne, aux médias traditionnels s’ajoutent des services d’information de télétexte : Ceefax. De nombreux partisans du football et de rugby utilisent ces services pour se tenir au courant des résultats, de la composition des équipes, etc. Certains supporters de clubs rarement traités par les médias vont jusqu’à regarder la page Ceefax leur correspondant tout au long d’un match... Depuis quelques années, l’Internet permet de prolonger de telles pratiques.
31 Pour cette raison nous avons accordé une attention particulière aux quatre journaux suivants : le Birmingham Evening Post, le Coventry Telegraph, Sud-Ouest, Le Midi Libre.
32 Chaque journal national, presse « de qualité » comprise, consacre au moins quatre pages par jour au sport.
33 A cette presse traditionnelle, s’ajoute depuis quinze ans pour le football anglais l’émergence de journaux édités par les supporters eux-mêmes : les fanzines (Haynes, 1995). Animées dans un style irrévérencieux, ces publications se sont construites en grande partie contre les revues officielles vendues par les clubs. Par exemple, Kevin (30 ans supporter de Coventry), participe à la rédaction du « Sent to Coventry », fanzine inspiré en grande partie par le constat que : « Le programme officiel est nul. Il ne fait que dire que nous sommes les meilleurs ! » (Tendance qui pousse David Bull à assimiler les programmes officiels à La Pravda ! - 1992, 17). En France, les fanzines se font plus rares et sont généralement produits par les membres du mouvement « ultra ».
34 Source : Le Monde, 2.3.99 et Dargelos et Marchetti (2000).
35 A ce tirage moyen pour son édition du mardi s’ajoute celui de l’édition de vendredi (98.603) : (Dargelos et Marchetti, 2000).
36 Source : ABC databank, 6.2.00.
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