8. Le « journalisme d’investigation »
Genèse et consécration d’une spécialité journalistique
p. 167-191
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Index géographique : France
Texte intégral
1La simple expression « journalisme d’investigation » évoque généralement un ensemble d’images souvent valorisantes du métier de journaliste, qui doivent beaucoup aux journalistes eux-mêmes, tant ils parlent et écrivent beaucoup sur leur profession1. Depuis les années 1980, les médias nationaux d’information générale et politique vantent régulièrement les mérites du « journalisme d’investigation » et leur rôle dans les « affaires ». Les « unes » annonçant des révélations sur des affaires judiciaires, qui impliquent notamment des personnalités politiques de premier plan, sont de plus en plus nombreuses. Beaucoup de journalistes semblent accorder à l’investigation une supériorité évidente sur les autres pratiques journalistiques, rejetant parfois l’expression au prétexte qu’elle serait un « pléonasme »2. La valorisation de l’« enquête » dans les discours des professionnels est liée à l’émergence d’une nouvelle catégorie de journalistes qui doivent leur notoriété aux affaires qu’ils ont « sorties ». Un certain nombre d’entre eux publient régulièrement des ouvrages sur les dossiers qu’ils couvrent3, ce qui leur vaut d’être invités dans des émissions de télévision.
L’existence d’une littérature abondante sur les médias ou le journalisme, et notamment en l’espèce sur la médiatisation des « affaires » et le « journalisme d’investigation », fait qu’il y a peu de chances que le sociologue apporte en ce domaine des faits nouveaux, le terrain étant très occupé. C’est d’ailleurs là une des différences majeures entre l’enquête journalistique au sens où elle est souvent entendue et l’enquête sociologique. Même si ces représentations restent largement mythiques en tendant à faire croire que « le journalisme, c’est l’investigation » ou que tel ou tel « a sorti » l’« affaire X », elles font partie de l’analyse car elles participent aujourd’hui très fortement à la construction de l’identité professionnelle des journalistes français. Mais il faut rompre avec les problématiques éthico-politiques de cette littérature. En effet, les différents protagonistes des « affaires », voire certains essayistes et/ou représentants des sciences sociales4 oscillent à propos de l’investigation journalistique entre le registre de la glorification (« pilier de la démocratie », « liberté de la presse et des journalistes ») ou de la critique (dénonciation du « quatrième pouvoir », du « sensationnalisme » ou du « scandale », des « lynchages médiatiques », de la mise en cause de la « présomption d’innocence » ou du « secret de l’instruction »)5. Les titres de colloques professionnels (« Les journalistes présumés coupables ? »6, « La liberté d’informer menacée ? »7) sont souvent assez significatifs de ces logiques.
2Ces professionnels incarnent donc publiquement « le journalisme », ayant notamment une forte visibilité interne dans le champ journalistique. Ce n’est pas un hasard qu’ils soient souvent cités quand un institut de sondage demande à un échantillon de 101 journalistes « représentatifs de la profession » de désigner les « meilleurs journalistes de la presse écrite française »8 ou un autre interroge « les Français » sur les métiers du journalisme9.
3On ne peut qu’être surpris par le décalage qui existe entre l’importance publique prise par le journalisme d’investigation10 en France depuis le début des années 1980 et le faible nombre de ceux qui le pratiquent ou prétendent le pratiquer, même s’il est difficile de cerner ce groupe. Le titre même et les frontières de cette population font l’objet de luttes. Mais on peut tout de même tenter de caractériser ce type de journalisme en précisant que ceux qui sont désignés dans le milieu comme des journalistes d’investigation appartiennent généralement à des rédactions de la presse écrite (quotidiens et hebdomadaires nationaux d’informations générales et politiques) et portent souvent le titre de reporter, mais surtout de grand reporter ou de chef d’enquête. Rattachés aux services « Informations générales » ou « Société » ou bien à des cellules, des sections « Enquêtes » ou « Investigations », leur spécialité est de suivre des affaires, c’est-à-dire de s’intéresser à des questions donnant lieu à des poursuites judiciaires ou à des enquêtes des services spécialisés. D’autres, plus marginaux, ont quitté les rédactions et publient leurs enquêtes sous forme d’ouvrages comme Denis Robert et Pierre Péan.
Des transformations externes au champ journalistique
4Pour comprendre la montée de ce journalisme – c’est-à-dire aussi des affaires dans le champ politique – il faudrait montrer dans quelle mesure il est d’abord largement le symptôme d’une série de changements externes au champ journalistique, notamment ceux qui ont affecté les univers politique et judiciaire, et de l’état des relations que ces différents espaces entretiennent entre eux. En effet, l’essor de cette nouvelle spécialité est d’abord lié à des transformations affectant le champ politique qu’on ne peut qu’esquisser ici. Il faudrait par exemple détailler comment l’augmentation du coût des activités politiques, le développement de nouvelles techniques (sondage, marketing, communication) ou encore la transformation structurelle de l’action publique, notamment avec la décentralisation, ont pu conduire à des pratiques qui ne faisaient pas l’objet de poursuites judiciaires : soit parce qu’elles n’existaient pas auparavant (ou tout du moins à grande échelle), soit parce qu’elles étaient perçues comme « normales ». La nécessité de financer le développement de ces activités n’a pas été parfois sans introduire la recherche de nouvelles sources de revenus.
5Une autre série de raisons doit beaucoup à l’alternance politique et à ses effets. Selon plusieurs auteurs11, l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 a provoqué, au moins dans les premières années, des tensions internes dans les institutions militaires et policières (police, gendarmerie, services secrets), certains personnels donnant pour des raisons diverses des informations à quelques journalistes qui visaient à mettre en cause le pouvoir en place. Ces changements politiques – parce qu’ils ont des effets par exemple sur les nominations du personnel – ont affecté les rapports de force internes à ces différentes administrations. Le poids des luttes entre courants du Parti socialiste ou au sein même du pouvoir a contribué dans certains cas à alimenter les affaires. Tout laisse également à penser que les périodes de cohabitation et les périodes préélectorales ont été et semblent particulièrement propices à l’intensification des luttes à la fois dans le champ politique mais aussi, par ricochet, dans les univers judiciaire et policier. Une sociologie de l’apprentissage du pouvoir par les dirigeants socialistes apporterait probablement aussi des éléments permettant de mieux comprendre l’émergence des affaires.
6C’est enfin et surtout ce qu’on pourrait appeler la dépolitisation des enjeux internes au champ politique induite par un « alignement néo-libéral », notamment du Parti socialiste, qui a contribué à modifier les conditions de la lutte politique. L’affaiblissement des oppositions traditionnelles entre droite et gauche, du fait notamment de l’homogénéisation croissante du personnel politique issu des écoles du pouvoir, a déplacé au moins en partie la lutte politique vers des enjeux plus strictement moraux, la moralité des hommes politiques devenant un des enjeux des conflits internes dans une conjoncture marquée par le « discrédit de la classe politique ». La place prise par les affaires à partir des années 1980 peut être ainsi rapportée à cette nécessité croissante pour les hommes politiques de se démarquer en utilisant la « moralité » comme arme politique, pour qualifier ou disqualifier – contexte qui n’est pas sans rappeler mutatis mutandis celui de la IIIe République. Cette évolution n’est pas spécifiquement française, comme le montrent les exemples des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Mais il existe, semble-t-il, au moins deux spécificités nationales : les affaires touchent plus directement le pouvoir politique même quand elles concernent des entreprises parce que celles-ci ont partie liée avec les marchés publics ou l’État ; elles portent moins sur la « vie privée » des protagonistes (hommes politiques, sportifs, « stars » du cinéma et de la télévision, etc.).
La médiatisation des affaires renvoie toujours à des faits divers concernant des crimes, qui peuvent d’ailleurs être politisés, ou parfois à des actes terroristes. Mais le terme n’exprime plus seulement aujourd’hui ce qui fait l’objet d’une enquête judiciaire mais tout ce qui peut donner lieu à une controverse publique, c’est-à-dire à un débat médiatico-politique. Cette expression renvoie aussi à des affaires dites politiques12. Si celles-ci ne sont bien évidemment pas une nouveauté en France, le terme recouvre en fait des réalités différentes suivant les époques. Philippe Garraud13 explique que, du début de la IIIe République aux années 1970, ces affaires sont peu nombreuses, portent sur « des cas d’escroquerie à l’épargne », les hommes politiques y jouant « un rôle secondaire » et étant rarement sanctionnés. Alors qu’à partir du milieu des années 1980, il s’agit d’affaires politico-financières plus importantes en nombre, qui concernent des « cas d’enrichissement personnel » ou de « financement occulte des activités politiques et partisanes », touchent « toutes les catégories de personnel et d’institutions politiques » et débouchent sur des condamnations judiciaires. Par exemple, plusieurs ministres, députés ou maires ont dû démissionner ou ont quitté l’activité politique à la suite d’affaires judiciaires. Depuis le début de la décennie 1980, les affaires14 sont effectivement liées à des activités plus directement politiques (les affaires politico-financières : les affaires Urba, MNEF, Elf, Carignon, Noir, Longuet) mais aussi à des faits divers politiques (les affaires des Irlandais de Vincennes, Greenpeace, Carrefour du développement, Tibéri) qui, du seul fait de la notoriété des protagonistes ou des services de l’État engagés (les services de renseignements, une cellule de l’Élysée, des ministères, des amis du président de la République), peuvent constituer un enjeu politique, ou encore des affaires touchant à des secteurs qui ont partie liée avec l’État comme l’économie (« affaire Péchiney », « affaire du Crédit Lyonnais ») ou la science (les affaires du sang contaminé, de la vache folle, de l’amiante). Ce sont donc au sens large les pratiques du pouvoir d’État – ou en lien avec lui dans le cas, par exemple, des entreprises qui ont des marchés publics – qui sont visés. Autrement dit, ce qui est appelé les « affaires » porte pour une grande part sur la vie politique et beaucoup moins strictement sur les entreprises ou les « problèmes sociaux ». On peut faire au moins plusieurs hypothèses pour expliquer ce constat. La première renvoie notamment au fait que les propriétaires des grands médias sont de plus en plus des grands groupes économiques aux activités très diversifiées. Les travaux récents sur la Grande-Bretagne montrent bien comment la concentration croissante des médias, notamment l’arrivée de Rupert Murdoch au Times, a contribué à réduire certaines « investigations »15. La seconde est que l’accès à l’information est beaucoup plus difficile dans ces domaines. La troisième tient au fait que ce type d’affaires demandent un capital de compétences souvent beaucoup plus élevé que dans les affaires plus directement politiques.
7La montée des affaires et du journalisme d’investigation a été rendue possible dans la mesure où ces luttes de concurrence au sein du champ politique ont rencontré des transformations à la fois dans les champs judiciaire et médiatique, le premier permettant le dévoilement des affaires, le second contribuant à leur donner un écho public. Au sein de l’univers judiciaire, des nouveaux agents étaient particulièrement disposés à contribuer par leurs enquêtes à dévoiler des affaires politiques. En effet, le recrutement dans le champ judiciaire est marqué, à la fin des années 1960, par l’arrivée de nouvelles générations de juges d’instruction (les juges « rouges »), qui sont plus souvent issus des classes moyennes et plus sensibles aux droits de l’homme, porteurs de dispositions « soixante-huitardes ». Ainsi, le Syndicat de la magistrature, créé à cette époque, participe au développement de nouvelles pratiques et de représentations du milieu16 destinées à affirmer une plus grande autonomie du champ judiciaire à l’égard du champ politique, dénonçant par exemple « la mainmise du pouvoir politique » sur la Justice à travers notamment les nominations et le déroulement des carrières. Ce groupe, suivi par d’autres dans les années 1980, a fortement contribué à la montée en puissance du droit pénal, à la valorisation croissante des juges, redéfinissant ainsi leur identité sociale et professionnelle17, mais aussi à la politisation de la vie judiciaire.
8Si les affaires et l’investigation ont pris une telle place, c’est également parce qu’elles sont le produit et le révélateur de la position stratégique qu’occupent désormais les médias dans une partie des luttes internes au champ politique18 et au champ judiciaire ainsi que dans les relations qu’ils entretiennent entre eux. Le champ journalistique est stratégique non pas parce qu’il représenterait un « quatrième pouvoir » mais parce qu’il permet d’agir par ricochet sur différents univers sociaux. Comme le montrent les affaires, « la médiatisation » est en partie le produit de rapports de forces internes à différents espaces sociaux – opposant ceux qui s’intéresseraient au « scandale » comme violation de normes et ceux pour qui le « scandale » serait d’en faire un « scandale »19 – que l’espace journalistique retraduit selon ses logiques propres.
9La manière de présenter l’investigation comme une enquête journalistique de longue durée, consistant à « aller chercher » l’information, voire à la voler, masque et reflète des réalités bien connues des professionnels eux-mêmes, qu’ils évoquent très souvent en privé, notamment de manière humoristique. Comme les affaires dites du sang contaminé20 ou de la Commission européenne21 le font apparaître, les divisions des journalistes reproduisent très souvent en partie les divisions des champs qu’ils couvrent22. Ceux qui « sortent » des affaires s’appuient toujours sur différents types d’agents, qui varient selon les cas : des magistrats, des avocats, des policiers ou des gendarmes, des hommes politiques ou leur entourage, d’anciens employés d’une entreprise ou d’un service politique ou administratif, des membres d’associations ou de comités de soutien, etc. Les « révélations » sont bien souvent le produit des multiples conflits internes aux différents champs, comme le montre exemplairement l’affaire du sang contaminé. Les journalistes en charge du dossier profitent ainsi des effets de publications, une « révélation » entraînant par un effet en chaîne des mobilisations diverses (réactions publiques, organisations de « fuites », etc.) qui, à leur tour, contribuent à alimenter ce qui est désigné comme un « feuilleton »23.
10L’accès au dossier se fait souvent à travers une alliance objective avec l’une des parties ou plus rarement avec un magistrat, un policier ou un gendarme. Les intérêts des journalistes d’investigation ont rencontré et rencontrent ceux d’autres agents pour lesquels la presse est parfois considérée comme un recours pour agir sur une instruction judiciaire ou plus largement sur les autorités judiciaires et politiques. Il n’est pas rare que les journalistes fonctionnent, comme le disent certains d’entre eux, comme des « boîtes aux lettres » : ils reçoivent des documents ou on leur suggère d’aller enquêter sur tel ou tel fait, sélectionnant ce qu’ils doivent diffuser ou pas.
Certains médias profitent de ces capitaux de relations suivant les différents journalistes pour bénéficier d’informations ou d’interviews. Par exemple, la structure du capital de relations professionnelles distingue les chroniqueurs judiciaires des journalistes d’investigation. Si les premiers ont un carnet d’adresses centré essentiellement sur l’institution judiciaire (autrement dit des magistrats et des avocats, l’administration ou le ministère de la Justice), les seconds, compte tenu des affaires qu’ils traitent, ont des réseaux de relations non seulement dans le secteur judiciaire mais aussi auprès des enquêteurs dépendant du ministère de l’Intérieur (les policiers, les membres de services de renseignements) ou de la Défense (les gendarmes) et des hommes politiques ou de leur entourage.
11Au-delà, la faible autonomie à l’égard des champs politique et judiciaire, qui détiennent le monopole des informations en ce domaine, se manifeste dans le fait que les médias se voient imposer leur agenda par les différentes institutions (auditions, mise en examen, perquisitions, procès, conférences de presse, etc.) et qu’ils doivent aussi de plus en plus compter avec les risques de procès que peuvent leur intenter certains protagonistes. Qu’une enquête journalistique déclenche une instruction judiciaire (ou un supplément d’enquête) ou administrative et qu’un journaliste donne des éléments qui alimentent le dossier d’un magistrat, demeure une configuration très exceptionnelle. Les affaires de dopage au tour de France cycliste 1998 ou celle du sang contaminé font voir à quel point les prises en charge judiciaire ou politique du problème précèdent la couverture journalistique.
12En fait, l’investigation renvoie moins (à quelques rares exceptions près) à des enquêtes proprement journalistiques qu’à la capacité de se procurer avant les concurrents des éléments concernant des enquêtes judiciaires classiques (annonces exclusives de mises en examen, de plaintes, de perquisitions, divulgations de pièces du dossier, déclarations à la presse, etc.) et les rapports administratifs (voire les pré-rapports) commandés sur des sujets sensibles. Paradoxalement, ce journalisme d’humeur anti-institutionnelle s’appuie, pour critiquer des structures publiques et leurs tutelles politiques, sur des enquêtes de l’État qui sont communiquées en avant-première. Les fuites sont orchestrées par les membres de cabinets ministériels, les membres de commission ad hoc ou les rapporteurs, voire le principal responsable de telle ou telle administration. Nombre de rapports administratifs ou de pièces d’un dossier d’instruction sont l’objet d’une concurrence pour la priorité – et aussi d’une lutte d’interprétations – entre quotidiens et entre quotidiens et hebdomadaires. Ce type d’événements fait voir que le champ journalistique est très peu autonome à l’égard d’autres univers sociaux – économique, judiciaire et politique notamment. C’est d’autant plus vrai que, dans le cas des affaires, les protagonistes (notamment les hommes politiques ou les avocats qui sont les mieux armés, les institutions étatiques, les associations ou les entreprises) mettent en place des stratégies de communication (dite parfois « de crise ») de plus en plus sophistiquées, qui vont par exemple du choix des supports, en passant par la mobilisation d’« experts » ou encore l’organisation de « fuites ».
13Enfin, si l’espace médiatique est devenu aussi stratégique, c’est que dans le cas des affaires, il s’agit du lieu privilégié non seulement des luttes internes aux différents univers sociaux mais aussi des luttes entre ces champs pour l’imposition de leurs points de vue sur les faits, leurs logiques propres, c’est-à-dire par exemple des principes de vision, des légitimités spécifiques, des images publiques de leur propre univers d’activité (la « Justice », la « Politique » ou le « Journalisme »).
Des transformations internes
14Toutefois, les affaires et l’investigation n’ont pu émerger que dans la mesure où ces transformations externes ont aussi trouvé un écho au sein du champ journalistique. En effet, pour comprendre ce qu’est le journalisme d’investigation et pour rendre compte du succès qu’il rencontre dans les discours professionnels aujourd’hui, et même au-delà, il faut analyser en quoi il est le produit et le révélateur de transformations du champ des médias nationaux d’information générale et politique depuis une vingtaine d’années, notamment parce qu’il représente un enjeu professionnel important.
15C’est à partir des années 1970 et surtout 1980 que les journalistes d’investigation sont devenus une des images dominantes du journalisme en France, c’est-à-dire à la fois un modèle d’excellence professionnelle et une incarnation publique du métier de journaliste, quasiment au même titre que les présentateurs des journaux et des émissions télévisés (« les interviewers ») ou encore les éditorialistes politiques. Mais cette nouvelle figure est aussi venue concurrencer celle du grand reporter (de guerre), qui a perdu progressivement de son prestige – même si elle reste un des exemples régulièrement cités comme modèle professionnel ou pour évoquer publiquement (reportages, documentaires, films, etc.) cette profession. Bien que l’enquête journalistique constitue une technique professionnelle ancienne, elle va être réactualisée par quelques journalistes qui fondent progressivement une nouvelle spécialité journalistique en cherchant à dévoiler des faits et des pratiques « cachées ».
16Les luttes à l’intérieur des champs politique, judiciaire et entre ces champs ont rencontré les intérêts d’un petit groupe de journalistes en formation qui fonde en France une nouvelle spécialité journalistique24. Réinventant l’enquête à la manière des reporters de la fin du XIXe siècle qui avaient adapté des techniques du journalisme américain25, les journalistes qui suivent les affaires judiciaires importent le concept de journalisme d’investigation dans le domaine politique. Le Canard enchaîné notamment développe des enquêtes dans ce domaine. Spécialisé dans la satire politique, il se tourne davantage, dans les années 1950 et 1960, vers l’information et l’investigation26. Les guerres coloniales mais aussi les scandales immobiliers du début de la Ve République fournissent des sujets d’enquête. L’arrivée au début des années 1970 de Claude Angéli, qui a travaillé dans les rubriques de politique intérieure de plusieurs publications de gauche et d’extrême gauche (Le Nouvel observateur, Politique hebdo), accentue ce changement éditorial, le journal médiatisant plusieurs affaires touchant au président de la République de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing. Mais il faudra attendre les années 1980 et 1990 pour que les scandales et affaires hebdomadaires du Canard soient repris plus régulièrement par ses confrères (sous forme d’articles ou citations dans les revues de presse) et pour que les journalistes d’investigation deviennent une des images dominantes du journalisme en France. En effet, l’investigation n’est pas sans susciter de fortes critiques à l’époque au pôle intellectuel du champ journalistique, notamment dans les quotidiens et les news magazines27. Par exemple, les enquêtes publiées au début des années 1980 dans Le Monde ne sont pas vues positivement par l’ensemble de la rédaction du quotidien.
« Longtemps, notre journal a été le seul en France à faire du journalisme d’investigation, tandis que la grande presse baignait dans le conformisme, la prudence, l’information de communiqué, le sirop. Lorsque, à l’époque du gaullisme immobilier et du pompidolisme mercantile, Le Canard lançait une affaire, il était généralement peu relayé, quand il n’était pas purement et simplement montré, dénoncé avec des mines dégoûtées, comme un mouton noir » (Canard enchaîné, 8 février 1989)28 ; « On n’est pas là pour dénoncer à longueur de temps les maladresses d’un tel, ou tel scandale. C’est le rôle d’un journal satirique comme le Canard enchaîné, pas le nôtre. Nous ne sommes pas des chiens de chasse. » (Extrait d’un entretien avec un chef des services d’un hebdomadaire au début des années 1980, cité par Rémy Rieffel dans L’élite des journalistes, Paris, PUF, 1984, p. 181)
17C’est vrai encore aujourd’hui pour d’autres raisons. Parce que le journalisme d’investigation vient concurrencer les journalistes des services « Politique », « Informations générales » ou « Société », il ne va pas sans susciter des réactions négatives. La place importante accordée aux affaires à certaines périodes vient réduire de facto celle des autres sujets provoquant des luttes internes parfois exacerbées.
18Au-delà du Canard enchaîné, quelques « francs-tireurs » des services « Informations générales » ou « Société » s’intéressent aux affaires. L’un des pionniers de ce type de journalisme est Jacques Derogy qui, après avoir notamment fait du journalisme scientifique et médical, devient reporter généraliste, auteur de premières enquêtes à L’Express sur des affaires politiques. Quelques-unes ont contribué à fonder sa réputation professionnelle : par exemple l’« affaire Ben Barka », celle de la « tuerie de Charonne » ou l’« affaire de l’Observatoire » dans les années 1960, l’« affaire Touvier » ; des enquêtes sur les assassinats des juges Renaud (à Lyon) et Michel (à Marseille) ou sur plusieurs affaires du septennat de Valery Giscard d’Estaing au cours des années 1970. Pierre Péan est aussi une des figures de « l’investigation à la française » : après être passé dans plusieurs rédactions (AFP, Le Nouvel Économiste, L’Express), il devient spécialiste des affaires pour des hebdomadaires ou des quotidiens (Le Canard et Libération par exemple) avant de se consacrer progressivement de façon quasi exclusive à la rédaction d’ouvrages qui sont le produit d’enquêtes menées sur plusieurs années.
19Il est aussi évident que les exemples américains – à travers les « affaires » touchant la guerre du Vietnam et le cas du Watergate – et, à un degré moindre, l’exemple anglais de la fin des années 1960 et des années 197029, sont pour une part dans la consécration de l’investigative reporting. En effet, l’investigation doit beaucoup à l’importation de pratiques qui sont d’abord apparues aux États-Unis et dont Michael Schudson, étudiant l’impact du Watergate sur le journalisme américain, a montré qu’elles avaient davantage à voir avec le pouvoir d’un double « mythe » (le mythe du « Watergate dans le journalisme » et du « journalisme dans le Watergate ») qu’avec des changements dans les pratiques journalistiques qui ont suivi l’affaire30.
20Ces premières générations des journalistes d’investigation occupent une position homologue à celle des « juges rouges » des années 1970 ou des nouveaux entrants dans le champ judiciaire des années 1980. Ces journalistes sont d’autant plus disposés à avoir un rapport critique au pouvoir politique – ou plus largement une « humeur anti-institutionnelle » – que nombre d’entre eux ont un passé politique de gauche ou ont été politisés très jeunes pendant la guerre, dans la période de la guerre d’Algérie et de celle d’Indochine31 ou encore au moment des mouvements sociaux de la fin des années 1960. Au détour de certains de leurs ouvrages écrits à la première personne, certains témoignent de leur déception à l’égard de la politique (plus particulièrement de la gauche au pouvoir32). Leur entrée dans le journalisme est conçue comme un engagement politique ou son prolongement. Il faudrait montrer plus précisément que la plupart ont eu un rapport de plus en plus critique à la politique bien que les plus jeunes, entrés à la fin des années 1980 et au début des années 1990, présentent sans doute un autre profil : de Jacques Derogy (ancien résistant devenu journaliste du Libération d’après-guerre et militant du Parti communiste dont il a été exclu) à Claude Angéli (qui a eu des engagements politiques dans les mouvements de jeunesse notamment communistes, avant d’être exclu lui aussi du Parti communiste, qui a participé à la création du Secours rouge et qui a eu des responsabilités éditoriales dans plusieurs journaux de gauche) en passant par Edwy Plenel (ancien militant trotskiste et rédacteur de Rouge, journal de la Ligue communiste révolutionnaire) ou encore Pierre Péan (qui s’engage contre l’Algérie française).
21Au-delà de cette connaissance pratique plus ou moins développée de la politique, ces journalistes d’investigation avaient également pour certains un capital scolaire supérieur à la majorité de leurs confrères de leur génération. S’ils ne semblent pas en majorité être titulaires de diplôme d’écoles professionnelles, beaucoup ont suivi des études supérieures à l’université ou dans des grandes écoles (Institut d’études politiques, à Paris ou en province, et École normale supérieure). Leurs cursus correspondent à ceux de leurs confrères de la presse nationale d’information générale : les lettres, la philosophie, le droit et la science politique pour beaucoup. Ils semblent majoritairement issus des classes moyennes et supérieures : ils sont notamment fils de journalistes, de professions libérales ou de fonctionnaires de catégorie A33. Reste à savoir s’il en va de même pour les plus jeunes générations. Quelques-uns présentent des trajectoires scolaires moins hautes que la majorité de leurs confrères de la même génération travaillant dans la presse quotidienne nationale et les news magazines mais ont une expérience professionnelle « de terrain » en régions notamment. Ils ont fait leurs premières armes professionnelles dans la presse quotidienne régionale.
Un enjeu commercial et professionnel
22L’importance de la figure du journaliste d’investigation est aussi liée à l’enjeu professionnel qu’il représente depuis le début des années 1980 au sein du champ des médias nationaux. De même qu’au tournant du siècle, le grand reportage était un objet de concurrence très fort entre les titres, un support d’autopromotion d’une partie de la presse34, « faire de l’investigation » devient pour quelques médias une nécessité professionnelle. Les quotidiens nationaux d’information générale et politique, notamment Le Monde qui a contribué à consacrer le genre en le reprenant à son compte, et l’ensemble des news magazines font de ce nouveau produit journalistique une arme dans la concurrence.
23C’est dans la première moitié des années 1980 que les premiers services et cellules dits d’investigation (s) ou enquête (s) sont créés dans plusieurs rédactions de médias nationaux d’information générale et politique. Jacques Derogy par exemple forme en 1984 celui de L’Express avec Jean-Marie Pontaut, en compagnie duquel il fera de nombreuses enquêtes et écrira plusieurs ouvrages. Ce tandem va contribuer à installer ce nouveau genre journalistique en France. La « première génération » fera école dans les années 1980 et 1990, au moment où elle est rejointe par de plus jeunes journalistes (Jérôme Dupuis et Hervé Gattégno par exemple) qui vont être chargés de ce travail à un, deux, voire trois ou quatre par rédaction. Les affaires prennent alors une place croissante dans les pages d’informations générales et l’« investigation » commence également à faire l’objet de débats professionnels35. Ce modèle se diffuse au-delà de la presse écrite puisque, à la fin des années 90, les stations de radio et surtout les chaînes de télévision font à leur tour des enquêtes avec des programmes comme Envoyé spécial sur Antenne 2 puis France 2, Le Droit de savoir sur TF1, Capital ou Hors stade sur M6 et plus encore Le Vrai journal (dont les responsables souhaiteraient qu’il devienne l’équivalent du Canard enchaîné à la télévision) et 90 minutes, diffusés sur Canal +. Cette promotion de l’investigation s’étend aussi à différentes rubriques comme la science et la médecine, le sport, etc.
24La constitution de cette nouvelle spécialité journalistique est le produit et le révélateur d’une transformation de la structure de cet espace, du fait de la montée des contraintes économiques. Les médias audiovisuels (et particulièrement la télévision à partir des années 1970 et 1980), vers lesquels se tourne un public de plus en plus large et qui attirent les publicitaires, sont devenus le pôle autour duquel s’organise en partie le champ journalistique. Leur développement a renforcé le pôle commercial et, du même coup, homogénéisé la production de l’information. Les radios et les télévisions, mais aussi la presse spécialisée en pleine expansion, ont aussi contribué à intensifier la concurrence économique au sein de la presse écrite généraliste, obligeant les différents supports à marquer leurs différences par des « révélations » ou à trouver des nouveaux sujets.
La presse d’information générale et politique a été fortement touchée par la crise économique dès le début des années 1990. Du fait de la chute des recettes liées à la publicité et aux petites annonces dont elle est fortement dépendante, son chiffre d’affaires (-5,7 % de 1989 à 199536) et sa diffusion (de 869 millions d’exemplaires en 1985 à 738 millions en 199837) ont régressé. C’est la presse quotidienne qui a été particulièrement concernée. La baisse de la diffusion enregistrée à partir des années 1950 se confirme surtout pour les titres nationaux d’information générale et politique : en 1998, ils avaient un tirage total de 1,9 millions d’exemplaires38 contre 2,9 en 1980, 4,28 en 1970 et 5,95 millions en 194639. Cette tendance concerne tout particulièrement la presse d’opinion40 : le nombre de quotidiens nationaux passe de 26 en juin 1945 à 16 en juin 195041. Cette évolution se confirme ensuite, notamment dans les décennies 1980-1990, avec la disparition de deux titres marqués politiquement : Le Matin de Paris, classé à gauche, et Le Quotidien de Paris, classé à droite. D’autre part, si Le Figaro a une diffusion totale payée42 en hausse (300 251 exemplaires en 1980 et 366 660 en 1999), L’Humanité (138 731 exemplaires en 1980 contre 54 835 en 1999) continue à perdre sur la période des lecteurs. La presse quotidienne populaire conserve son public mais elle ne se distingue plus par l’ampleur de ses ventes, qui ont sensiblement diminué. Ainsi, France-Soir, alors qu’il vendait près d’un million d’exemplaires en 1964 contre 700 000 en 1976, a continué à chuter fortement dans les années 1980 et 1990 : sa diffusion, qui était de 403 085 exemplaires en 1980, est passée en dessous de 200 000 en 1994 pour atteindre 144 573 en 1999. Malgré la forte progression du Parisien (qui, strictement régional à l’origine, est devenu national avec son édition Aujourd’hui) dans les années 1980 et 1990 (479 113 exemplaires en 1999 contre 333 971 en 1980), le pôle populaire de la presse quotidienne nationale est très affaibli. Le secteur des news magazines a poursuivi sa progression en termes de diffusion totale payée, représentant 1,8 million de lecteurs en 1998 (pour six titres) contre 1,17 en 1983 (pour trois titres). L’arrivée de L’Événement du jeudi à partir de 1984 (il a disparu en 2000), puis de Marianne en 1997, a contribué à renforcer la concurrence économique, dont de nombreux indices montrent qu’elle s’est exacerbée : le développement des pages de publicité, le lancement de nouvelles formules, la distribution de cadeaux pour les abonnés, les changements de prix, de dirigeants et d’actionnaires majoritaires (rachat de L’Express, du Point et de L’Événement du jeudi).
25Les affaires, parce qu’elles peuvent parfois susciter des ventes supplémentaires – ou en tout cas favoriser cette croyance – deviennent donc un enjeu commercial majeur pour ce type de publications. En dépit de déclarations contraires (« On a sorti comme on dit de grosses affaires, il n’y a pas d’exemples où ça fait vendre », affirmait en 1994 Jean-François Kahn, alors directeur de la rédaction de L’Événement du jeudi43), tout laisse à penser que les succès de vente imputés à la révélation d’affaires, dans le cas du Canard enchaîné dès le début des années 1970 et du Monde à partir de la première moitié des années 1980, n’ont probablement pas été sans favoriser les « unes » sur ce type de sujet. C’est dire que dans le cas du quotidien du soir, la situation a bien changé depuis les années 1970, son directeur de l’époque expliquant alors que ce type d’enquêtes « n’intéressent pas les lecteurs »44. Selon un comptage statistique portant sur 421 numéros du Monde parus entre 1995 et 1999 et ayant donné lieu à une croissance de part de marché supérieure ou égale à 2 % sur les ventes Paris Surface45, 50 « unes » (soit 12 % des 421 ou 3 % du total des numéros parus dans la période) étaient consacrées à des affaires. Les « unes » portant sur les affaires tendent en moyenne à procurer une croissance de 2 % à 4 % des parts de marché et 10 000 à 20 000 exemplaires supplémentaires ; certains événements plus directement politiques liés aux affaires (comme lorsque Dominique Strauss-Kahn a démissionné du gouvernement) procurent des augmentations plus importantes (de 35 000 à 45 000 exemplaires en plus).
Nouvelles formes de la concurrence et homogénéisation des pratiques
26Autrement dit, l’investigation est le produit et le révélateur d’une concurrence qui est au moins autant professionnelle que commerciale, ces deux dimensions étant fortement liées. Ce type de concurrence, invisible pour le public et, du coup, sous-estimée, est très important pour les professionnels. Si les affaires « font courir » certains journalistes, c’est parce que se jouent, à travers elles, les réputations inséparablement collectives (les médias) et individuelles (les journalistes) et le capital de relations avec les « sources » qu’ils peuvent mobiliser. Les cas très liés d’Edwy Plenel et du Monde, à propos de l’affaire Greenpeace notamment – le journaliste s’appuyant sur la réputation de son titre46 et, à l’inverse, la réputation de ce dernier bénéficiant du travail du premier – illustrent bien cette accumulation progressive d’un crédit professionnel ou de profits internes47. En fait, le journalisme d’investigation, qui participe plus largement d’un mouvement de professionnalisation48, a contribué à la fois à introduire et à révéler de nouvelles formes de concurrences internes entre les différents supports et a tenté d’imposer une définition plus professionnelle du métier.
27En effet, dans des états antérieurs du champ journalistique, notamment dans les années 1970, les débats portaient davantage sur les prises de position politiques des différents supports (Le Monde et Le Figaro, Le Monde et L’Humanité, Le Monde et Le Nouvel observateur)49 à l’occasion de tel ou tel événement. Avec le déclin de la presse politique – les journaux se veulent des journaux de journalistes et non de militants – les enjeux ont pris une dimension plus professionnelle (et plus morale aussi) même si les logiques politiques demeurent toujours présentes. Pour les affaires, comme pour d’autres événements, la concurrence entre les titres prend la forme – elle n’est pas nouvelle mais est, dans ce cas, exacerbée – de la concurrence pour la priorité : sortir un « nouveau document », une « interview exclusive », pister un protagoniste en fuite, etc.
Cette recherche de l’exclusivité ne s’exprime pas de la même manière dans tous les sous-espaces du champ journalistique. Dans le sport, le cinéma ou la musique par exemple, elle fait l’objet de transactions économiques : les organisateurs de spectacles font systématiquement payer l’exclusivité des images des manifestations les plus importantes. La passation de contrats, qui visent pour les télévisions et les radios à garantir l’exclusivité d’une interview, de photos, des « bonnes feuilles » d’un livre à paraître ou encore d’articles, d’un acteur de cinéma, d’un héros de l’actualité, d’un sportif de haut niveau, etc., tend à être de moins en moins exceptionnelle. Dans d’autres secteurs stratégiques (les faits divers, les catastrophes naturelles mais aussi les affaires), si elle ne prend pas complètement cette forme, la concurrence pour la priorité peut s’en approcher parfois par l’achat d’images, tournées par des amateurs, ou d’informations auprès des protagonistes ou de leurs avocats par exemple50. À l’inverse, dans d’autres sous-espaces du journalisme, la concurrence pour la priorité semble moins intense (par exemple dans les rubriques « Social »51 ou « Éducation »52), voire quasi inexistante dans le cas de la chronique judiciaire.
28Par exemple, à l’occasion des affaires, l’attribution de ce qu’on pourrait appeler la paternité de l’affaire (qui l’a révélée ?) est un enjeu primordial. Elle se joue aussi pour les journalistes spécialisés notamment dans la sortie de plus en plus rapides d’ouvrages sur les affaires en cours.
« Bon moi, ce qui m’a fait mal […] c’est que l’affaire des hémophiles sorte et puis qu’on nous oublie complètement… Bon parce que, nous, on a bossé dans cette histoire et on a apporté notre pierre à l’édifice […]. J’ai été pendant très longtemps le seul journaliste à avoir un procès avec Garretta […]. Ce qui m’a fait plaisir c’est que quand X [journaliste de la rédaction] est parti […] à un congrès sur le sida, tout le monde lui a dit : “On sait que Y [nom du journal] a sorti cette histoire”. Ça, c’est ma compensation » (Entretien avec un grand reporter d’un quotidien populaire, 1992) ; « Quand l’affaire […] est réapparue en 1991 sous une nouvelle forme etc., cet ensemble de papiers a été complètement occulté, personne n’a jamais recité […]. C’est comme si ça n’avait pas existé comme d’ailleurs les quelques lignes que le Canard enchaîné avait consacré » (Entretien avec un journaliste médical d’un news magazine, 1992) ; « Je vous rappelle que c’est Le Monde avec peut-être L’Événement du jeudi, qui a sorti le maximum d’informations sur cette affaire » (Bruno Frappat, directeur de la rédaction du Monde, invité de Radio Com sur France Inter, 7 décembre 1992); « On a été les premiers à parler du sang [contaminé]. » (Entretien avec un journaliste d’un news magazine, 1997).
29Mais le second changement lié au journalisme d’investigation, dans la mesure où il produit des « révélations », tient au fait que cette concurrence se traduit par une recherche désormais explicite des « reprises »53 par les confrères, phénomène qui est aujourd’hui institutionnalisé dans certaines rédactions. Il n’est donc pas anodin que les dirigeants de certains médias développent aujourd’hui une sorte de « service après-vente » ou de « service de presse », tout particulièrement dans le cas des révélations sur les affaires, pour bénéficier de publicité gratuite, autrement dit d’un impact maximal dans les autres médias, tout particulièrement auprès de l’Agence France-Presse, des radios nationales et des chaînes de télévision. C’est la puissance d’amplification des médias audiovisuels qui conduit des journalistes de la presse écrite à chercher plus ou moins consciemment les reprises par leurs confrères de télévision ou de radios, voire à susciter des sujets d’émissions.
30Ces reprises sont valorisantes pour le journaliste parce qu’elles donnent du crédit à la fois à son information, à son support et à lui-même. Elles sont appréciées par les supérieurs hiérarchiques : « Au journal, ça leur plaît bien […], les directeurs sont toujours contents quand ils voient N [nom d’un quotidien national] apparaître à la télé », explique un journaliste d’un grand quotidien national54. Envoyer des fax ou passer des coups de téléphone aux confrères amis pour annoncer certains scoops est devenu un réflexe dans de nombreuses rédactions. C’est le cas notamment du Monde qui, au-delà des publicités payantes à la radio, développe des stratégies de reprise, ce qui ne va pas parfois sans susciter l’ironie de ses confrères : « On en a marre de faire le service après-vente du Monde », explique un journaliste d’une radio d’information en continu55. Dans certains journaux, la diffusion externe visant à susciter des reprises de « révélations » est directement réalisée par les membres du service de communication, dont certains assistent aux conférences de rédaction.
31Le journalisme d’investigation produit et révèle également une homogénéisation des pratiques professionnelles qui n’est pas spécifiquement française, comme l’ont montré des travaux anglo-saxons56. Les pratiques qui étaient autrefois l’apanage de la presse dite populaire se sont diffusées au pôle intellectuel du champ des médias omnibus nationaux ; l’inverse est tout aussi vrai. Les affaires constituent pour la presse dite « sérieuse » l’équivalent des faits divers dans la presse populaire. Par exemple, les titres de plus en plus incitatifs d’un journal comme Le Monde ressemblent à ceux des news magazines ou des quotidiens populaires57. Plus largement, c’est souvent la forme ou la présentation des articles et des reportages qui laisse penser à une investigation. Certains journalistes prétendant faire de l’investigation (ou leurs rédacteurs en chef qui rédigent des titres et des « chapeaux » de « unes » notamment) jouent en effet très souvent sur les mots ou les expressions qui pourraient faire croire à une investigation poussée : « Un document inédit », « Les contrats dont N [nom d’un quotidien parisien] s’est procuré des copies », « Nouveaux documents sur… », « Nouvelles pièces au dossier », « Nos révélations », « Affaire Mitterrand : les secrets de… », etc. Les pratiques des différents types de journalistes, qui consistent à gonfler les révélations, à ressortir des documents pour être présents ou à les écouler au fur et à mesure pour « faire plusieurs coups », se répandent et suscitent (en privé seulement) l’ironie des uns et des autres.
Un médecin spécialiste du sida illustre cette prime donnée à l’« exclusivité » à travers son récit d’une discussion avec un journaliste : « Je lui ai dit : c’est infiniment plus intéressant de savoir que cette information là est publique, elle est dans le journal [il s’agit d’un quotidien américain], ça te donne une analyse beaucoup plus sérieuse que si tu cites un document secret. Mais le fait que c’était un compte rendu interne, ça lui donnait une valeur particulière alors que l’information elle-même était totalement transparente ; mais ça lui permettait de faire croire qu’il y a eu quelque chose de caché que lui a réussi à révéler. »58
Des conditions de production ordinaires
32Cependant, contrairement aux représentations idéalisées du journalisme d’investigation, les conditions de production des journalistes qui traitent des affaires sont relativement semblables à celles de leurs confrères des médias nationaux d’information générale et politique. Loin de mener des enquêtes sur plusieurs mois ou plusieurs années, comme c’est le cas de quelques journalistes-écrivains (par exemple de Pierre Péan), ils doivent travailler dans l’urgence59. L’émergence du journalisme d’investigation montre à quel point le rythme de production de l’information s’est accéléré. Les médias audiovisuels ont imposé leur propre temporalité à l’ensemble des autres supports, le culte du direct ayant modifié la temporalité de la presse écrite. Celle-ci vise à concurrencer en retour les médias audiovisuels, notamment au moyen informations en continu. La nécessité de produire régulièrement sous peine de ne pas être rentable60, de travailler sur plusieurs affaires simultanément et surtout d’être les premiers face à la concurrence sont autant de facteurs qui expliquent ce nouveau tempo. Et il n’est pas rare que les plus anciens dénoncent ce qu’ils jugent comme des dérives de certains de leurs jeunes confrères.
« Il y a quelques années les journalistes étaient loyaux entre eux ; aujourd’hui, ils se livrent à une course abominable. L’investigation se réduit à une affaire de vitesse. La peur de voir le concurrent aller plus vite pousse à sortir n’importe quoi. S’il est indispensable d’avoir de l’audace, il ne faut pas oublier la patience : l’investigation, c’est précisément le contraire de la vitesse » (interview de Jacques Derogy dans L’Événement du jeudi, 16-22 octobre 1997); « Je me considère comme un enquêteur. D’abord, quelqu’un qui prend son temps parce que je constate – et ceux qui travaillent sur la presse le savent mieux que moi – que, depuis un certain nombre d’années, il y a une dérive extraordinaire de la pratique de ce qu’on appelle le journalisme d’investigation […]. Ceux qui portent ce titre, pour la plupart, je ne suis pas en train de régler des comptes, mais… ils font ça rapidement. » (Entretien avec un auteur d’enquêtes journalistiques, 1997)
33Même si ces conditions ne vont pas sans provoquer des erreurs factuelles ou amènent des journalistes à tirer des conclusions hâtives à partir d’éléments sommaires, certains journalistes y voient au contraire une sorte de progrès puisque, d’une part, nombreux sont ceux qui disent toujours demander avant publication l’avis de toutes les parties, respectant ainsi « l’objectivité journalistique », et, d’autre part, ce type d’information peut – ou vise seulement à – susciter des réactions ou un débat pouvant « éclairer sous un jour nouveau certains aspects du dossier ».
34Ces contraintes d’urgence et de concurrence se posent d’autant plus fortement aux journalistes d’investigation qu’ils ont souvent un exercice plus solitaire du métier, au moins tel qu’il est pratiqué dans les médias généralistes en France. Même si ce type d’enquête n’exclut pas un travail en tandem au sein d’une même rédaction (à une époque Edwy Plenel et Georges Marion au Monde, Jacques Derogy et Jean-Marie Pontaut à L’Express par exemple), des collaborations occasionnelles, voire une certaine confraternité, notamment face aux attaques publiques, il n’en demeure pas moins que les échanges d’informations entre confrères sont, semble-t-il, beaucoup moins fréquents que dans le cas des chroniqueurs judiciaires. Contrairement à des exemples étrangers, il n’existe pas de lieux ou d’associations où ce type de professionnels se rassemblent.
La rupture relative avec des « noblesses » du journalisme
35L’imposition de ce nouveau modèle d’excellence professionnelle et la constitution de ces nouvelles positions dans le champ journalistique ont eu notamment des effets sur le traitement de trois grands secteurs d’activités (politique, police et justice). En fait, les journalistes d’investigation sont venus concurrencer plusieurs genres journalistiques traditionnels. Prôner une conception plus critique de l’information politique, c’est en fait rompre d’une certaine manière61 avec la tradition littéraire et politique de la presse française. Pour la traiter autrement, les journalistes d’investigation ont contribué à « couvrir » cette actualité sous forme de fait divers, technique qui avait été développée mutatis mutandis par la presse populaire à la fin du XIXe siècle62. Là encore, il est en fait question de mettre en cause les relations de « connivence » avec le champ d’activité couvert, notamment celle des éditorialistes politiques et les dirigeants des grands médias, c’est-à-dire des professionnels qui sont situés en haut de la hiérarchie journalistique. En dévoilant des « faits cachés », le journalisme d’enquête s’oppose au journalisme d’opinion, à celui qui privilégie le commentaire, les idées, le parti pris (qui est ou était autorisé pour les « critiques » littéraires et cinématographiques notamment) ou les talents de « plume » au détriment des « faits ». Peu à peu, au cours des années 1980, les journalistes d’investigation vont imposer un modèle d’excellence professionnelle et une figure dominante concurrents, même si leur notoriété est probablement plus interne, notamment parce que leur présence dans les médias audiovisuels de grande diffusion est beaucoup plus faible.
36Les journalistes d’investigation ont également participé à une redéfinition de ce que recouvrent les faits divers et la chronique judiciaire. S’ils se réclament de la tradition du fait divers63 et même ont eu pour beaucoup d’entre eux à traiter de cette matière au début de leur carrière, les journalistes d’investigation, en portant davantage leur attention sur des faits à caractère politique qui impliquent des personnalités connues ou engagent l’État, ont cherché à anoblir professionnellement cette rubrique. Dans le même temps, la couverture médiatique traditionnelle des activités policières s’étendait de plus en plus au traitement des activités syndicales, des politiques gouvernementales, etc. Une des principales conditions d’accès à la reconnaissance professionnelle était de politiser le fait divers – « S’intéresser à je ne sais quelle corruption est peut-être un peu plus noble que d’aller ennuyer les parents d’une jeune fille violée », ironise un chroniqueur judiciaire d’un quotidien national64 – même si celui-ci reste valorisé : « Ce que j’aime dans les faits divers, c’est cette obligation d’aller au charbon. Cela vous donne une bonne leçon d’humilité, car les faits passent toujours avant les idées »65. À l’inverse, le fait divers est aussi de plus en plus dévalorisé dans les grandes rédactions des médias d’information générale et politique, où le niveau de formation est de plus en plus élevé : « Les affaires de flic, les affaires de…, que ce soit le terrorisme ou le grand banditisme, à part le factuel, l’explosion, les blessés, etc., les gens ne s’intéressent pas vraiment à ça […]. Les gens disent : “C’est pas assez intellectuel pour nous, c’est pas assez…”. Vous voyez ce que je veux dire ? », se plaint un rédacteur en chef d’une chaîne de télévision66.
37L’arrivée des journalistes d’investigation a enfin contribué, comme l’explique Remi Lenoir67, au déplacement progressif du « centre de gravité » de la médiatisation de la vie judiciaire du procès vers l’instruction, faisant perdre à la chronique judiciaire une partie de son prestige. Considérée comme l’une des « noblesses » du journalisme français, qui était tenue par des journalistes expérimentés, loués pour leur plume, voire par des écrivains de renom68 après la guerre, la chronique judiciaire avait déjà évolué puisque la médiatisation des activités judiciaires, qui concernait essentiellement la couverture des procès (essentiellement les procès d’assises), s’était élargie dans les années 1970 au fonctionnement même de l’activité judiciaire institutionnelle dans des nouvelles rubriques intitulées « Vie judiciaire », « Justice », etc.69. La politique judiciaire au sens large, du fait notamment du travail du Syndicat de la magistrature qui, dès sa création en 1968, joua le rôle « de bureau d’information de la presse »70, va prendre une place de plus en plus grande. Les articles de Philippe Boucher dans Le Monde incarnent bien cette transformation. Aujourd’hui, l’essentiel de l’actualité judiciaire porte sur les annonces de mises en examen, le déroulement de perquisitions, l’audition de protagonistes par le magistrat instructeur, qui donnent lieu à des comptes rendus immédiats. Si bien que seules les rédactions les plus nombreuses (les agences de presse comme l’AFP et Reuters, TF1, France 2 et France 3, Europe 1, France Inter, Le Monde, Le Figaro notamment) ont encore des chroniqueurs judiciaires attitrés. La place accordée aux procès est moindre ; les audiences sont de moins en moins nombreuses à être suivies et ce sont aussi désormais des reporters ou des grands reporters des services d’information générale, voire d’autres journalistes spécialisés qui les couvrent.
Alors que le suivi des instructions des affaires en cours est un exercice hautement concurrentiel, le traitement des procès et de l’information judiciaire institutionnelle l’est beaucoup moins. Les reporters-chroniqueurs judiciaires jouissent d’un certain confort, comme le dit l’un d’entre eux71, puisqu’ils ont généralement accès aux mêmes informations et qu’en même temps, le cas des procès illustre particulièrement bien ce type de situation où le « scoop » n’est pas un enjeu. Si l’information dans ce domaine peut être parfois diffusée en exclusivité par un média, elle l’est par le biais des agences de presse qui la transmettent de fait à l’ensemble des supports abonnés. Le microcosme des reporters-chroniqueurs judiciaires, fonctionnant comme « une petite famille »72 qui est « accréditée » par l’institution, n’est donc pas concurrentiel et très peu conflictuel. L’entraide est permanente dans les discussions, particulièrement lors des procès où les reporters-chroniqueurs communiquent leurs impressions, échangent des sons et des images, rapportent des propos parce que l’un d’entre eux était en train de faire son papier ou qu’il avait un problème technique par exemple. Si des sous-groupes existent, ils se retrouvent très souvent sur les mêmes lieux, qu’il s’agisse de la salle qui leur est allouée au sein du Palais de justice de Paris (essentiellement occupée par les agenciers), des couloirs ou de la buvette du Palais, des salles d’audience, et plus encore des hôtels et des restaurants lorsqu’ils couvrent des procès en dehors de la région parisienne. Ils sont tous regroupés au sein d’une association spécialisée, qui gère notamment les accréditations lors des procès et les relations avec les institutions judiciaires, mais joue aussi le rôle d’instance de socialisation professionnelle, où les « anciens » « parrainent » les nouveaux entrants. Cette forme d’autorégulation peut aller jusqu’à l’entraide spontanée comme en témoigne l’exemple suivant, raconté lors d’un entretien : « Il peut nous arriver, on entend un confrère dicter son papier et puis il y a un mot, pas le bon, aussitôt, on lui dit : “Non” [il fait des gestes négatifs avec la main]. “Ne quittez pas” [il mime toujours la réponse de son confrère]; “Quoi ça va pas ?”. “Non là c’est pas juste, c’est l’article tant c’est…”. “Ah bon”. Alors qu’on travaille pour des organismes différents, hein… »73
38Enfin, le contenu même de la chronique judiciaire, comme exercice de style, a évolué. Pour ne prendre qu’un exemple, là où les journalistes des radios et des télévisions rendaient compte des audiences par un seul et long « papier », leurs productions sont aujourd’hui entrecoupées d’interviews d’avocats ou de protagonistes réalisées par eux ou d’autres confrères qui les accompagnent. Là où le compte rendu s’arrêtait aux échanges à l’intérieur de la salle d’audience, il comporte aujourd’hui des éléments sur ce qu’il se passe à l’extérieur, voire sur ce qu’il va se passer à la prochaine audience.
Les usages externes
39Si le journalisme d’investigation apparaît aussi important dans le milieu, c’est parce qu’il est l’objet de luttes symboliques portant sur la définition même de l’activité journalistique. Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de lutter contre ceux qui font du journalisme en « amateurs » mais de contester certains professionnels (au-delà des traditionnels mauvais exemples : paparazzis ou journalistes corrompus) qui sont censés menacer l’honneur de la profession. Ces enjeux de définition se sont exacerbés à partir des années 1980 avec le développement des médias audiovisuels et la montée du journalisme spécialisé. Les promoteurs du journalisme d’enquête défendent une conception plus professionnelle et plus autonome du métier, c’est-à-dire, au moins à leurs yeux, plus subversive et plus morale. Le fait d’accoler au mot journalisme non plus un secteur d’activités (politique, scientifique, judiciaire, etc.) ou bien même un média (radio, télévision, presse écrite), mais une méthode de travail en témoigne.
40La constitution de ces nouvelles positions peut être en partie comprise comme une réponse des titres de la presse écrite généraliste nationale aux chaînes de télévision et de radio venues menacer leur position dominante dans la production de l’information. Elle est devenue une des armes dans la critique interne des « dérives » du journalisme, qui est très souvent une critique des pratiques des journalistes de télévision. L’affirmation d’un nouvel idéal professionnel s’inscrit plus fortement encore contre le développement des pratiques de communication de plus en plus sophistiquées dans de nombreux secteurs d’activité – que les « enquêteurs » eux-mêmes relaient –, tout particulièrement dans le champ politique. Au « journalisme de connivence », « de complaisance », au « journalisme de compte rendu » ou encore à l’« information spectacle » des chaînes de télévision, les journalistes d’investigation opposent une nouvelle définition de l’activité journalistique : « Restaurer l’information dissidente contre le fait accompli, la liberté indocile de la première contre la douce dictature du second. Restaurer la nouvelle qui fait sens contre le communiqué qui fait silence. La révélation qui dérange contre la communication qui arrange », explique ainsi l’un d’entre eux74.
41Cette revendication d’indépendance à l’égard du champ politique s’est d’autant plus posée à plusieurs quotidiens et hebdomadaires classés « à gauche » avec l’installation du nouveau pouvoir socialiste. C’est particulièrement vrai dans le cas du Monde où la baisse des ventes pendant la première moitié des années 1980 était mise sur le compte d’une trop grande proximité avec les nouveaux dirigeants en place. Les « investigations » répétées touchant notamment au Parti socialiste et à la présidence de la République étaient une manière de démontrer « l’indépendance » du quotidien du soir à la fois aux yeux des confrères, pour rester le « journal de référence », mais aussi d’une large fraction de ses lecteurs.
« Il est vrai que, quand les équipes Mitterrand étaient au pouvoir, on a eu des rapports délicats : nous avons perdu des lecteurs. Il y a des gens de gauche qui ne voulaient plus nous lire parce que nous critiquions la gauche. Nous faisions simplement notre travail. Quand, en 1986, la droite est revenue aux affaires avec le premier ministre Jacques Chirac, Mitterrand étant toujours Président, en 8 à 10 jours, on a regagné 40 à 50 000 lecteurs. » (Entretien avec Claude Angéli, rédacteur en chef du Canard enchaîné)75
42Le paradoxe français, par rapport à l’Angleterre76 par exemple, est que la médiatisation de la plupart des affaires a été largement (mais pas seulement) initiée et développée par des journaux « de gauche » contre des gouvernements « de gauche ».
43Les journalistes spécialisés (parfois appelés dans un sens péjoratif les « rubricards » ou les « spécialistes ») sont souvent cités à titre de mauvais exemples. L’opposition entre les « généralistes » et les « spécialistes », entre les compétences professionnelles générales et la connaissance des sujets traités, structure l’ensemble du champ, comme le montrent, pour ne prendre que cet exemple, les modes de recrutement et les trajectoires professionnelles des journalistes des médias nationaux d’information générale et politique77. Les journalistes les plus généralistes estiment qu’ils n’ont pas nécessairement besoin de connaître a priori la matière dont ils traitent, mettant en avant la seule maîtrise des techniques journalistiques : disponibilité, débrouillardise, rapidité, culot, capacité à être le premier, indépendance à l’égard des sources, etc. Se posant en observateurs neutres, c’està-dire, de ce fait, plus à même d’expliquer clairement les sujets traités aux publics auxquels ils s’adressent, ils s’opposent à ceux qui auraient une vision étroite, partielle, partiale ou « trop technique »78 : les journalistes spécialisés souligneraient la continuité plutôt que les « nouveautés spectaculaires » et auraient des « réflexes corporatistes » de défense du milieu qu’ils « couvrent ».
« Ils voient des gens, ils vont à Europe 1, ils rencontrent des anciens ministres de la Santé, qui disent : “C’est trop facile d’accuser”. Ils rentrent, et après il y a Bérégovoy qui dit : “Mais enfin qu’est-ce que c’est que cette histoire !”. Ils ne savent plus quoi penser c’est évident […]. Je crois qu’ils ont leurs petits groupes d’amis, qu’ils ont très contents, parce qu’un directeur de journal a besoin d’être connu, qu’ils sont ravis parce que dans le petit milieu politique, ils sont parmi les gens qui comptent » (Anne-Marie Casteret, ancienne journaliste médicale à L’Événement du jeudi et grand reporter à L’Express, 199379) ; « Les journalistes politiques sont mortels pour la profession de journaliste. Idem pour les journalistes économiques […]. Aujourd’hui les journalistes politiques ou économiques passent le plus clair de leur temps chez les ministres ou en déjeuner chez les chefs d’entreprises. » (Denis Robert, ancien journaliste-enquêteur à Libération, aujourd’hui écrivain, 199680)
44Face à ces modèles professionnels, les journalistes d’investigation ont contribué à faire émerger une nouvelle figure. Au nom des « demandes » ou des « attentes » de l’« opinion publique », qui serait soucieuse d’une plus grande transparence, ils se posent en concurrents des plus hautes instances judiciaires et politiques. Par exemple, ils instaurent des relations plus critiques avec des sources judiciaires qui, de fait, viennent disqualifier celles qu’entretiennent les chroniqueurs judiciaires. Alors que, comme l’explique Remi Lenoir81, les premiers « respectent les usages des institutions », les seconds « les mettent en cause » et dénoncent les règles du jeu en vigueur jusque là. Certains chroniqueurs judiciaires (mais aussi d’autres « rubricards » ou éditorialistes) regardent souvent les « investigateurs » comme des journalistes sans scrupules ou sans déontologie (l’image du « flic »82 ou du « voyou » étant souvent employée) parce qu’ils violeraient les règles avec tel ou tel magistrat ou avocat, c’est-à-dire qu’ils seraient prêts à tout pour diffuser une information exclusive. À propos de la publication dans certains journaux du carnet d’adresse d’Alfred Sirven, un des protagonistes de l’« affaire Elf », un directeur de la rédaction d’un news magazine expliquait ainsi : « Elle [la publication] accuse gratuitement, sans aucun bénéfice pour le droit d’informer. On ne voit pas très bien pourquoi il faudrait se solidariser de ces pratiques douteuses. À force de refuser toute critique, d’enquêter sans réflexion, sans contrôle ni scrupule, certains confrères vont s’apercevoir finalement, mais un peu tard, qu’ils exercent un autre métier que le leur… »83.
45Mais la valorisation de ce nouvel idéal professionnel est un enjeu important pour l’ensemble du champ journalistique dans la mesure où il a aussi des usages externes, permettant aux journalistes de réaffirmer la légitimité souvent contestée de leur profession et leur autonomie à l’égard des univers sociaux dont ils parlent. La construction par les journalistes de l’affaire du sang contaminé en exemple emblématique le montre particulièrement bien84. Aux décisions de justice et aux projets de lois sur la presse qui leur sont défavorables, les journalistes opposent en effet très souvent l’exemple de ce « scandale » qui, selon eux, n’a pu être porté sur la place publique que grâce au travail journalistique. Les enquêtes sur le scandale du sang contaminé incarnent un journalisme indépendant des pouvoirs, qui dévoile la vérité que d’autres (journalistes concurrents, médecins de la transfusion, hommes politiques, etc.) tenteraient de minimiser, voire d’étouffer. De nombreux journalistes, qui ont travaillé sur les contaminations post-transfusionnelles, expliquent qu’ils ont largement contribué à faire connaître aux publics de leurs médias respectifs, ou plus largement au grand public, le drame que vivaient des centaines d’hémophiles et de transfusés ainsi que leur entourage. Ils montrent qu’ils ont fait leur métier en dénonçant des faits délictueux contraires à une sorte de morale publique, développant parfois l’image forte du journaliste défenseur du « peuple » contre « l’intelligentsia ».
France Inter, Le choix d’Inter, 31 janvier 1999 : « Anne-Marie Casteret, en révélant cette affaire, a permis aux victimes de se défendre quand elles le pouvaient encore. Elle leur a également rendu leur dignité. Ces victimes qui, souvent, étaient des enfants et qui, pendant de longues années, n’ont pu que souffrir en silence »; Journaliste (parlant à Anne-Marie Casteret), Europe 1, Arrêt sur Info, édition de la mi-journée, 25 février 1999 : « Dans cette affaire, vous êtes, et cela vous honore, du côté des plus faibles, des victimes, est-ce que c’est vraiment de l’impartialité ?»
46Selon certains journalistes, l’enquête d’Anne-Marie Casteret dans L’Événement du jeudi et le travail de quelques journalistes spécialisés ou de reporters généralistes n’auraient pas seulement été à l’origine d’une intense mobilisation médiatique mais auraient aussi pesé sur la première instruction judiciaire. Certains vont jusqu’à affirmer qu’il n’y aurait pas eu d’affaire judiciaire en l’absence de l’intervention des médias au printemps 1991. Comme dans d’autres affaires, cette interprétation surestime largement le « pouvoir » de la presse. Il suffit en effet de rappeler que la première instruction avait débuté dès la fin des années 1980. Le scandale du sang contaminé permettait en quelque sorte de laver « l’honneur de la profession ».
« L’affaire se serait sans doute éteinte dans un non-lieu si le scandale n’avait éclaté dans la presse »85, explique par exemple une journaliste médicale de Libération tandis qu’Anne-Marie Casteret de L’Événement du jeudi se dit convaincue que c’est la « publication de ce document [un rapport du CNTS datant de 1985 qu’elle a « sorti » fin avril 1991] qui a provoqué le tournant judiciaire de cette affaire »86, assurant dans une interview87 : « Je peux vous dire que si le scandale n’avait pas éclaté [sous-entendu dans la presse], on s’acheminait tout droit vers un non-lieu général ». « Je crois que si j’avais pas eu ce document, ça ne serait jamais sorti. Ça serait jamais sorti », dit-elle88. « La presse relayée par l’opinion publique, a efficacement joué son rôle : sans elle, les hémophiles seraient morts dans le silence. Et sans scandale », explique un journaliste d’Info Matin (22 septembre 1994). Le journaliste écrivain Mark Hunter soutient ainsi que « ce n’est qu’après les premières révélations d’Anne-Marie Casteret dans L’Événement du jeudi que de vraies enquêtes judiciaires et officielles ont été mises en route. »89
47Le journalisme d’investigation apparaît donc comme le produit et le révélateur de transformations du champ des médias nationaux d’information générale et politique – tout particulièrement sous le rapport des enjeux et des pratiques professionnels – et de son caractère stratégique dans le fonctionnement d’autres univers sociaux. Sans doute faut-il maintenant mieux comprendre en quoi il est plus largement le symptôme de transformations externes et d’un changement de l’état des rapports de forces entre les champs judiciaire, politique et médiatique. C’est aussi à cette condition qu’on pourrait sans doute rompre avec les visions idéalisées de professionnels souvent enclins à surévaluer leur contribution à la production des affaires.
Notes de bas de page
1 Cette contribution est le produit à la fois d’un travail de thèse (Contribution à une sociologie des transformations du champ journalistique dans les années 1980 et 1990. À propos d’« événements sida » et du « scandale du sang contaminé », Paris, Doctorat de sociologie sous la direction de Pierre Bourdieu, École des hautes études en sciences sociales, décembre 1997) mais aussi d’un état d’une étude en cours visant à comparer plusieurs secteurs de l’activité journalistique. Il s’agit de reconstituer la genèse et de comprendre les logiques de fonctionnement des sous-espaces que constituent les différentes spécialités journalistiques. Ces recherches devraient permettre de mieux préciser à la fois les transformations générales qui affectent l’ensemble des activités journalistiques et d’autres plus spécifiques. Je tiens à remercier Julien Duval, Remi Lenoir, Gérard Mauger et Pierre Rimbert pour leurs remarques sur une version antérieure de ce texte (« Les révélations du “journalisme d’investigation” », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 131-132, 2000). Il s’agit ici d’une version plus longue enrichie notamment d’un nouveau travail documentaire.
2 Cette phrase revient régulièrement dans un débat entre professionnels : « Quel journalisme d’investigation ? Table ronde avec Jacques Derogy, Gilles Gaetner, Edwy Plenel et James Sarazin », Esprit, n° 167, 1990. On le retrouve également dans la presse anglo-saxonne : De Burgh (H.), ed., Investigative Journalism. Context and Practice, Londres, Routledge, 2000, p. 13.
3 Lenoir (R.), Poilleux (S.), Justice et médias. Le secret de l’instruction et le droit au respect de la présomption d’innocence, Paris, CREDHESS, Université de Paris 1, mars 1997, chap. v.
4 Voir par exemple les travaux d’Antoine Garapon, magistrat, secrétaire général de l’Institut des hautes études judiciaires. Cf. notamment la version révisée d’une note de la Fondation Saint-Simon publiée dans Esprit (« Justice et médias : une alchimie douteuse », Esprit, n° 4, 1995) et un de ses ouvrages (Le gardien des promesses. Justice et démocratie, Paris, Odile Jacob, 1996). Pour d’autres exemples, cf. le « Que sais-je ? » du journaliste-écrivain américain Hunter (M.), Le journalisme d’investigation, Paris, PUF, 1997) ou Charon (J.-M.), « Les journalistes et les juges », Le Monde, 22 décembre 2000.
5 Réunissant plusieurs journalistes ou anciens journalistes et un avocat sur le thème « Lynchage médiatique et présomption d’innocence », un numéro de l’émission Le Gai savoir, diffusée sur Paris Première le 10 décembre 1998, illustre parfaitement cette ambivalence.
6 Colloque organisé à Paris par l’association « Reporters sans frontières » le 20 novembre 1997.
7 Débat au Centre de formation des journalistes à Paris, 20 avril 1995.
8 L’Expansion, 18 juillet-4 septembre 1991, p. 90-93.
9 Dans ce sondage consacré aux « métiers du journalisme » (réalisé par IPSOS en septembre 2000), la catégorie « journaliste d’investigation » figure au même titre que le grand reporter, les présentateurs de radio et de télévision, les journalistes sportifs et scientifiques, l’éditorialiste (politique, économique, diplomatique) et le critique d’arts, de lettres, de spectacles.
10 . Pour faciliter la lecture de ce texte, nous avons enlevé les guillemets pour les mots « affaires » et « journalisme d’investigation ».
11 Cf. par exemple Ménage (G.), L’œil du pouvoir. Les affaires de l’État 1981-1986, Paris, Fayard, 1999, (chapitre vii) ou Gerbaud (S.), Le journalisme d’investigation en France de 1945 à nos jours, Paris, Thèse pour le doctorat d’histoire, Université Paris X, 1993, p. 155.
12 Pour une illustration, voir deux numéros spéciaux consacrés aux affaires : Les Cahiers de L’Express, juillet 1991 et L’Événement du jeudi, 30 janvier-5 février 1992.
13 Garraud (P.), « Les nouveaux juges du politique en France », Critique internationale, n° 3, 1999.
14 Sur certaines affaires, on peut se reporter aux analyses de Lascoumes (P.), Corruptions, Paris, Presses de Sciences po, 1999.
15 De Burgh (H.), ed., Investigative Journalism…, op. cit., p. 287.
16 Lenoir (R.), « La parole est aux juges. Crise de la magistrature et champ journalistique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 101-102, 1994.
17 Roussel (V.), « Les magistrats dans les scandales politiques », Revue française de science politique, n° 2, 1998.
18 Champagne (P.), Faire l’opinion. Le nouveau jeu politique, Paris, Minuit, 1991.
19 Garrigou (A.), « Le “boss”, la machine et le scandale. La chute de la maison Médecin », Politix, n° 17, 1992, p. 18.
20 Marchetti (D.), Contribution à une sociologie des transformations du champ journalistique…, op. cit.
21 Voir la contribution de Didier Georgakakis dans cet ouvrage.
22 S’il fallait illustrer ce type d’oppositions à des fins pédagogiques, on pourrait comparer deux articles du Monde (« Un Américain en colère », 25 février 1998) et de Libération (« De Niro, Retour sur un pseudomartyr judiciaire », 2 mars 1998) à propos de la mise en cause de l’acteur américain Robert De Niro dans le cadre d’une enquête judiciaire sur un réseau de prostitution.
23 Pour des exemples, voir Marchetti (D.), « La genèse médiatique du “scandale du sang contaminé” », in Éthique, sida et société. Rapport d’activité du Conseil national du sida, Paris, La Documentation française, 1996.
24 Pour une histoire du journalisme d’investigation en France, cf. Gerbaud (S.), Le journalisme d’investigation…, op. cit.
25 Dès le début du XXe siècle aux États-Unis, certains phénomènes de corruptions politiques faisaient déjà l’objet d’enquêtes journalistiques agressives (leurs auteurs étant souvent appelés muckrakers, c’est-à-dire des « remueurs de boue » ou des « fouille-merde ») qui suscitèrent alors des critiques.
26 Champagne (P.), « Le Canard enchaîné, de la satire politique à la défense de la morale publique », Liber, n° 7, 1991.
27 Cf. les exemples cités par Padioleau (J.-G.), Le Monde et le Washington Post. Précepteurs et mousquetaires, Paris, PUF, 1985, p. 315-316 et l’article de Guissard (L.), « À propos du Watergate », Presse actualité, n° 95, 1974.
28 Cité par Gaglione (V.), L’influence du journalisme d’investigation du Canard enchaîné sur Le Monde : mutation et dérive du quotidien de référence, Paris, Mémoire de maîtrise d’information et de communication, Université Paris-Sorbonne (CELSA), 1989, p. 33.
29 .Sur cette période, cf. De Burgh (H.), ed., Investigative Journalism…, op. cit., p. 48 et s.
30 Schudson (M.), The Power of News, Cambridge, Harvard University Press, 1995, p. 148.
31 Cf. le témoignage de Georges Marion, journaliste au Monde, dans Gerbaud (S.), Le journalisme d’investigation…, op. cit., p. 172.
32 Pour des illustrations, cf. Robert (D.), Pendant les « affaires », les affaires continuent…, Paris, Stock, 1996, p. 60 et les interventions d’Edwy Plenel dans « Quel journalisme d’investigation ? », art. cité.
33 En l’état actuel de notre enquête, il est difficile de préciser davantage les propriétés sociales de ces journalistes et donc de voir en quoi elles nous permettraient de mieux comprendre notamment ce rapport à la politique et au journalisme politique et en quoi ils se différencient sous ce rapport de certains de leurs confrères.
34 Delporte (C.), Les journalistes en France 1880-1950. Naissance et construction d’une profession, Paris, Le Seuil, 1999, p. 70.
35 Un débat est ainsi organisé au début de l’année 1981 à l’école de journalisme de la rue du Louvre à Paris sur le thème : « Journalisme d’investigation : en France aussi ! » (cf. Hunter (M.), Le journalisme d’investigation, op. cit., p. 80 et s.).
36 Gentil (B.), « Les entreprises de presse », INSEE Première, n° 547, 1996.
37 Dumartin (S.), Maillard (C.), « Le lectorat de la presse d’information générale », INSEE Première, n° 753, 2000.
38 Chiffres cités par Junqua (D.), La presse, le citoyen et l’argent, Paris, Gallimard, 1999, p. 58.
39 Tableaux statistiques de la presse, 1987-1988, SJTI-La Documentation française, 1990, p. 111.
40 Bellanger (C.), Levy (C.), Michel (H.), Terrou (F.), dir., Histoire générale de la presse française (Tome iv : de 1940 à 1958), Paris, PUF, 1975, p. 439-452.
41 Tableaux statistiques de la presse…, op. cit., p. 111.
42 Selon la définition de « Diffusion contrôle », la diffusion totale payée en France et à l’étranger est la somme des abonnements, des ventes aux numéro, de la diffusion individuelle par portage et de la diffusion différée payée. Les chiffres qui suivent proviennent de « Diffusion contrôle ».
43 Propos extraits de l’émission Le Cercle de minuit, diffusée sur France 2 le 6 février 1994.
44 Propos rapportés lors d’une interview avec Jean-Louis Servan-Schreiber par Gerbaud (S.), Le journalisme d’investigation…, op. cit., p. 146.
45 Ces chiffres sont extraits d’un exposé oral de Patrick Eveno publié dans Delporte (C.), Palmer (M.), Ruellan (D.), Presse à scandales, scandales de presse, Paris, L’Harmattan, 2001.
46 Cf. à ce sujet l’interview d’Edwy Plenel : « Ma première arme, c’est mon appartenance au Monde », Autrement, n° 94-95, 1997.
47 Accardo (A.), Abou (G.), Balbastre (G.), Marine (D.), Journalistes au quotidien. Outils pour une socioanalyse des pratiques journalistiques, Bordeaux, le Mascaret, 1995, p. 46-47.
48 Ruellan (D.), Les « pro » du journalisme. De l’état au statut, la construction d’un espace professionnel, Rennes, PUR, 1997.
49 Pour quelques exemples, cf. Planchais (J.), Un homme du Monde, Paris, Calmann-Lévy, 1989.
50 Plusieurs témoignages de journalistes ou d’informateurs laissent penser que ces deux situations se sont parfois produites dans le scandale du sang contaminé. Pour des exemples sur une autre affaire, cf. Lacour (L.), Le bûcher des innocents. L’affaire Villemin, coulisses, portraits, preuves, engrenages, correspondances, choses vues…, Paris, Plon, 1993.
51 Lévêque (S.), Les journalistes sociaux. Histoire et sociologie d’une spécialité journalistique, Rennes, PUR, 2000.
52 Padioleau (J.-G.), « Systèmes d’interaction et rhétoriques journalistiques », Sociologie du travail, n° 3, 1976.
53 Marchetti (D.), Contribution à une sociologie des transformations du champ journalistique…, op. cit. (chapitre i de la 2e partie).
54 Entretien avec l’auteur, 1993.
55 Entretien avec l’auteur, 1998.
56 Cf. Esser (F.) « “Tabloidization” of News. A Comparative Analysis of Anglo-American and German Press Journalism », European Journal of Communication, n° 3, 1999.
57 Pour prévenir d’éventuelles mauvaises lectures (cf. Eveno (P.), Le Monde. Une histoire d’indépendance, Paris, Odile Jacob, 2001, p. 190), on précise qu’il ne s’agit là que d’un constat et non d’un jugement de valeur sur cette évolution.
58 Entretien avec l’auteur, 1994.
59 Ce constat qu’on a pu faire lors de notre travail de doctorat portant sur l’affaire du sang contaminé est confirmé par exemple dans un ouvrage d’Edwy Plenel : Un temps de chien, Paris, Stock, 1994, p. 85.
60 Voir sur ce point l’expérience de Denis Robert (Pendant les « affaires », les affaires continuent…, op. cit., p. 152-153). Par ailleurs, tous les travaux anglo-saxons cités dans cette contribution montrent bien à quel point les contraintes économiques ont affecté les journalistes spécialisés dans les enquêtes.
61 Ils ne s’en distinguent qu’en partie pour certains d’entre eux. C’est particulièrement vrai dans le cas d’Edwy Plenel par exemple, où on retrouve fortement cette tradition, l’auteur cherchant dans ses ouvrages à la fois à montrer ses qualités de « plume », ses qualités « intellectuelles » et l’engagement politique qui sous-tend son activité professionnelle (Plenel (E.), Un temps de chien, op. cit.).
62 Palmer (M. B.), Des petits journaux aux grandes agences. Naissance du journalisme moderne, Paris, Aubier, 1983, p. 259.
63 Sur ce sujet, voir Kalifa (D.), « Les tâcherons de l’information : petits reporters et faits divers à la Belle époque », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 4, 1993, et, du même auteur, L’encre et le sang. Récits de crimes et société à la Belle époque, Paris, Fayard, 1995. Cf. aussi Lever (M.), Canards sanglants. Naissance du fait divers, Paris, Fayard, 1993.
64 Entretien avec l’auteur, 1995.
65 Propos de Jacques Derogy reporté dans Chastenet (P.), Chastenet (P.), Les divas de l’information. Voyage en classe médiatique, Paris, Le Pré aux Clercs, 1986, p. 124.
66 Entretien avec l’auteur, octobre 2000.
67 Lenoir (R.), « Champ judiciaire et réforme de l’instruction », in Delmas-Marty (M.), dir., Procès pénal et droits de l’homme. Vers une conscience européenne, Paris, PUF, 1992, p. 197.
68 Voir le témoignage de Jean-Marc Théolleyre, ancien chroniqueur judiciaire au Monde, dans Pinard (N.), Rémond (E.), Le guide du reporter dans le monde judiciaire, Bordeaux, IUT de journalisme de Bordeaux-France 3 Aquitaine, 1995, p. 63.
69 Lenoir (R.), Poilleux (S.), Justice et médias…, op. cit., p. 69.
70 Expression d’un des fondateurs de cette organisation citée par Lenoir (R.), Poilleux (S.), Justice et médias…, op. cit., p. 70.
71 Entretien avec l’auteur, 1997.
72 Entretien avec l’auteur, 1998.
73 Entretien avec l’auteur, 1995.
74 Plenel (E.), Un temps de chien, op. cit., p. 186.
75 Entretien accordé à une radio étrangère disponible sur internet à l’adresse suivante www.swr2.de/wissen/manuskripte/canardfr.html.
76 De Burgh (H.), ed., Investigative Journalism…, op. cit., p. 21.
77 Cf. Marchetti (D.), Contribution à une sociologie des transformations du champ journalistique…, op. cit. (chapitre 2 de la 2e partie). Notre enquête sur les conditions d’entrée sur les marchés du travail journalistique, qui a été réalisée en 2000 avec la collaboration de Valérie Devillard et Marie-Françoise Lafosse, confirme et précise ce type d’analyse. Marchetti (D.), Ruellan (D.), Devenir journalistes, La Documentation française, 2001.
78 Les mots ou expressions entre guillemets qui suivent sont extraits d’entretiens réalisés par l’auteur et d’une interview de Louis Pinto citée dans Pinto (L.), L’intelligence en action : Le Nouvel Observateur, Paris, A.-M. Métailié, 1984, p. 59-60.
79 Entretien réalisé et reproduit par le journaliste-écrivain américain Mark Hunter dans un travail de doctorat (Aspects du journalisme d’investigation. Psychologie, méthodologie, et stratégies narratives de trois enquêtes européennes, incluant une histoire de l’investigation en France et aux États-Unis depuis 1973, Paris, Université Paris 2, Institut français de presse, Doctorat en sciences de l’information sous la direction de Francis Balle, 1996, annexes, p. 535-566).
80 Robert (D.), Pendant les « affaires »…, op. cit., p. 68 et p. 174.
81 Lenoir (R.), « Champ judiciaire et réforme de l’instruction », art. cité, p. 197-198.
82 À l’occasion d’un entretien dans un quotidien national, un journaliste politique, qui venait de signer un article avec un journaliste d’investigation, expliquait de manière humoristique à l’un de ses collègues : « Tu as vu, j’ai signé avec un flic ! ».
83 Joffrin (L.), « Le journalisme de pilori », Le Nouvel observateur, 15-21 février 2001.
84 Pour un cas beaucoup plus « exemplaire » de cette émergence d’une figure idéale du journalisme, voir Schudson (M.), The Power of News, op. cit.
85 Libération, 21 septembre 1994.
86 Extrait d’une interview publiée dans N. Pinard et E. Rémond, Le guide du reporter dans le monde judiciaire, Bordeaux, IUT Journalisme de Bordeaux-France 3 Aquitaine, 1995, p. 83-85.
87 Le Quotidien de Paris, 24 février 1992.
88 Entretien avec l’auteur, 1992.
89 Hunter (M.), Aspects du journalisme d’investigation…, op. cit., p. 26. On trouvera ce type d’informations dans un livre sur les relations entre la presse et la justice : Charon (J.-M.), Furet (C.), Un secret si bien violé. La loi, le juge et le journaliste, Paris, Le Seuil, 2000, p. 10 et 76.
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