Le gaullisme dans la France méditerranéenne ou les difficultés d’implantation d’une famille politique (1947-1981)
p. 339-346
Texte intégral
1L’histoire du gaullisme en Méditerranée pourrait se résumer en une succession de déconvenues et d’échecs dans ses tentatives d’implantation réelles ou supposées. Pourtant, ces tentatives ont connu, au gré des échéances électorales, quelques succès de circonstances qui reposent bien souvent sur un contexte national favorable, comme par exemple la vague RPF de 1947, le retour au pouvoir du général de Gaulle en mai 1958 et la vague UDR des élections législatives de juin 1968. En dehors de ces quelques moments, force est de constater que les départements du littoral méditerranéen1 ne font pas partie des bastions du gaullisme à l’échelle de la métropole, à la différence par exemple de la France du Nord-Est. En effet, le Midi méditerranéen peut être considéré comme un espace politique réfractaire, ce qui a conduit d’ailleurs la plupart des dirigeants du mouvement gaulliste, du RPF au RPR2, à se désintéresser de combats électoraux qu’ils estimaient perdus d’avance, limitant ainsi sciemment leurs tentatives d’implantation. Depuis la capitale, le littoral méditerranéen est, durant la période concernée, perçu comme un espace qui est soit de gauche – à l’instar d’un « Var rouge3 » bien ancré dans les mémoires ou d’une scène politique marseillaise tenue en main par son maire Gaston Defferre (1953-1986) – soit de droite non gaulliste (la famille Médecin à Nice4), voire antigaulliste après 1962, notamment avec l’afflux des réfugiés d’Algérie.
Gaullisme et représentation parlementaire : tour d’horizon d’une implantation parcellaire et circonstancielle
2En analysant les circonscriptions qui ont élu des parlementaires gaullistes entre 1947 et 1981, on observe de forts contrastes sur le pourtour méditerranéen même si, comme nous l’avons écrit plus haut, ces terres ne sont pas à première vue favorables aux candidats se réclamant du gaullisme puis du néogaullisme.
3Pour la région PACA, deux départements sont moins hostiles (Alpes-Maritimes et Var), alors que deux autres y sont presque totalement réfractaires (Alpes-de-Haute-Provence5 et Hautes-Alpes). Quant aux Bouches-du-Rhône et au Vaucluse, ils peuvent être considérés dans une situation intermédiaire car ils ont permis, de temps à autre, l’élection et la réélection de parlementaires portant les couleurs du Général. À titre d’exemple, les électeurs des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes n’ont élu, sur la période considérée, que deux députés UNR et ce dans le contexte particulier des élections législatives de novembre 1958, au cours desquelles l’équation « UNR = de Gaulle » était de mise6. C’est le cas de Roger Diet, élu député des Basses-Alpes en 1958 (1re circonscription, Digne), alors qu’il avait exercé les fonctions de délégué départemental du RPF quelques années auparavant et du docteur Robert Garraud dans les Hautes-Alpes (2e circonscription, Briançon). Une fois la vague bleue UNR de 1958 passée, ces députés sont battus aux élections législatives de novembre 1962 et les électeurs de ces deux départements n’envoient plus aucun candidat gaulliste à l’Assemblée nationale.
4Les Alpes-Maritimes et le Var font figure de départements moins hostiles et ont même été le terreau de quelques carrières, à l’instar de celle de maître Pierre Pasquini, né à Sétif en 1921, ancien FFL7, gaulliste historique, adjoint au maire de Nice (1947-1965) et député des Alpes-Maritimes8 (1958-1967). En revanche, l’itinéraire de Léon Teisseire est moins linéaire. Alors qu’il avait fondé le RPF dans les Alpes-Maritimes en 1947 et qu’il incarnait la figure du gaullisme à Nice, le sénateur Teisseire (1948-1958) est élu député UNR en 1958, mais choisit de quitter le mouvement à l’automne 1962, dans la mesure où il ne partage pas les choix du chef de l’État en matière de politique algérienne. Il se présente donc comme candidat dissident aux élections législatives de 1962, alors que les instances nationales de l’UNR-UDT voient d’un bon œil la candidature du général Édouard Corniglion-Molinier, natif de Nice, ancien sénateur et député RPF, finalement élu député face à Jean Médecin. Battu aux législatives de 1962 et 1967, Léon Teisseire ne se représente pas en 1968. Dans le Var, le RPF avait été lancé en 1947 par Jules Hamel, un ancien résistant, avant d’être rapidement repris en main par le docteur Louis Puy9, fils d’officier d’une grande famille avignonnaise, homme de gauche proche du PCF à l’origine et maire de Toulon (1948-1953). Toutefois, celui-ci est battu sous les couleurs du CNIP aux législatives de 1958. Le gaullisme dans le Var10 est représenté dans les années 1950 par René-Georges Laurin, qui avait été l’un des fondateurs en 1947 du Rassemblement de la jeunesse française (RJF), groupement de jeunesse du RPF. Cet ancien résistant, qui avait participé en 1943 à la création des Jeunes chrétiens combattants, entame une belle carrière politique dans le département. Député UNR (1958-1967), il est élu maire de Saint-Raphaël en 196111, puis sénateur RPR (1986-2004).
5Dans les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse, la situation est plus complexe, même si le gaullisme peut compter sur quelques personnalités. En 1947, l’avocat Michel Carlini avait été élu maire de Marseille, mais le 12 novembre 1947, une séance du conseil municipal est le théâtre de violences des militants communistes à l’encontre des élus gaullistes. Même si la cité phocéenne accueille les premières assises nationales du RPF (16-17 avril 1948) et si Michel Carlini est élu député en juin 1951, la mairie est ravie par le socialiste Gaston Defferre en 195312. Dans ces conditions, le gaullisme dans la région marseillaise est pour ainsi dire réduit à la portion congrue. Néanmoins, le candidat UNR Pascal Marchetti parvient à battre Gaston Defferre aux législatives de 1958, dans le cadre d’une triangulaire, en le devançant d’à peine 200 voix et ce grâce à un bon report des électeurs centristes. Ancien résistant et délégué départemental du RPF, il avait été président des Républicains sociaux à l’époque de la traversée du désert. Toutefois, ce passé sans faille au sein de la famille gaulliste, tout comme son activité parlementaire au service de sa circonscription, ne lui permettent pas d’être élu maire de Marseille en 1959, alors qu’il conduit la liste UNR, ni de conserver son siège de député lors des législatives de 1962, où il est battu par le socialiste Jean Masse. En fait, il faut attendre les élections de 1968 pour voir un gaulliste revenir sur le devant de la scène marseillaise en la personne de Joseph Comiti. Originaire de Corse, ce chirurgien à la Timone est le cousin de Paul Comiti, l’un des gardes du corps du Général et responsable du Service d’action civique (SAC). Bien que battu aux municipales de 1965, ainsi qu’aux élections législatives de 1967, il fait figure d’homme neuf et parvient à être élu député en 1968, mandat qu’il conserve jusqu’en 1981. Grâce aux fonctions ministérielles qu’il occupe successivement13, il apparaît comme l’homme fort de l’UDR dans la région marseillaise au cours des années 1970.
6Dans le Vaucluse, les candidats de l’UNR remportent les trois circonscriptions en 1958 : Henri Mazo14 (1re circonscription, Avignon), Georges Santoni15 (2e circonscription, Carpentras), Jacques Bérard (3e circonscription, Orange). Toutefois, la vague UNR liée au retour au pouvoir du général de Gaulle et à l’avènement de la Ve République connaît un reflux de taille aux élections de 1962, puisque les trois députés sortants sont battus. De même, le département du Vaucluse n’envoie aucun gaulliste au palais Bourbon lors des législatives de mars 1967. Il faut attendre les législatives de 1968 pour que deux élus de 1958 retrouvent le chemin de l’Assemblée nationale, en l’occurrence Georges Santoni et Jacques Bérard. Dans les faits, seul Jacques Bérard est parvenu à s’implanter durablement dans le Vaucluse en mêlant mandats nationaux et locaux, alors que les gaullistes ont eu du mal à se constituer des fiefs locaux en terres méditerranéennes. D’abord député (1958-1967 ; 1967-1978) puis sénateur (1986-1995), Jacques Bérard est aussi conseiller général (1967-2004), maire d’Orange (1971-1977) et président du conseil général (1998-2001), un exemple assez rare pour un gaulliste du Midi de longévité politique.
7Dans la région Languedoc-Roussillon, les gaullistes se trouvent dans un espace politique où une tradition de gauche est puissante, en partie héritée du radicalisme de la IIIe République. Ainsi, parvenir à obtenir un siège de député est lié soit à des circonstances exceptionnelles, soit à une certaine notabilité et bien souvent il s’agit d’une alchimie entre ces deux paramètres. Ceci est notamment le cas du « tandem » Pierre Gamel-Paul Tondut qui se présente en 1958 dans la 1re circonscription du Gard (Nîmes), la seule sur les quatre circonscriptions gardoises que l’UNR parvient à conquérir. Dans le contexte particulier des premières élections législatives de la Ve République, ces deux gaullistes ne sont pas des novices en politique. Déporté-résistant, Pierre Gamel est pharmacien à Nîmes où il a repris l’officine de son père. Conseiller municipal de Nîmes (1947-1953), il participe à la fondation du RPF dans le Gard dont il devient délégué départemental en 1948. Son suppléant, Paul Tondut, est issu d’une vieille famille gardoise. Secrétaire du syndicat CFTC des préparateurs en pharmacie (1950-1954), il rejoint le RPF en 1947. Conseiller municipal de Nîmes (1947-1965), il est présent sur la liste des Républicains sociaux pour les élections législatives de 1956 mais n’est pas élu. Élu député UNR en 1958, Pierre Gamel est réélu en 1962 avant de décéder au printemps 1966. C’est alors Paul Tondut, son suppléant, qui lui succède, mais il ne parvient pas à conserver cette circonscription dans l’escarcelle des gaullistes en 1967, puisqu’il est battu par Georges Dayan, un ami très proche de François Mitterrand. Conseiller général (1959-1976) et bénéficiant d’une solide notoriété, Paul Tondut récupère son siège en juin 1968, mais choisit de ne pas se représenter en 1973. Les instances nationales de l’UDR décident de parachuter le gaulliste de gauche Jean-Claude Servan-Schreiber16, avec le soutien de Tondut, qui lui apporte son ancrage nîmois et accepte d’être son suppléant. Malgré tous leurs efforts et une campagne dynamique, le tandem échoue de peu devant le maire communiste de Nîmes Émile Jourdan. Tout compte fait, le contexte particulier des élections de 1958 et 1968, tout comme l’ancrage nîmois de Pierre Gamel et Paul Tondut expliquent leur élection, dans une circonscription qui ne leur était pas a priori favorable, même si elle l’était sans doute plus, du point de vue de la sociologie électorale, que celle d’Alès dans les Cévennes.
8En Lozère, le mouvement gaulliste était représenté sous la IVe République par l’abbé Félix Viallet qui avait rejoint le RPF dès 1947. Délégué départemental du Rassemblement, il est élu député sous les couleurs des Républicains sociaux en 1956, puis de l’UNR en 1958. Maire de Langogne depuis 1959, il choisit de ne pas se représenter en 1962. C’est Charles de Chambrun, issu du MRP, qui lui succède dans cette circonscription de Marvejols et qui rejoint ensuite l’UNR. Il conserve son siège jusqu’aux élections de 1973, où il est battu par le giscardien Jacques Blanc. Néanmoins, Charles de Chambrun retrouve en 1986 à la faveur du scrutin proportionnel les bancs du palais Bourbon, où il représente le département voisin du Gard sous les couleurs du Front national.
9Dans l’Hérault, un département très ancré à gauche sous la IVe République, les gaullistes locaux ne peuvent pas compter sur un point d’appui parlementaire de la République défunte, à l’instar de l’abbé Viallet en Lozère. Ainsi, le gaullisme « n’a pas dans l’Hérault de leader local de premier plan et ne bénéficie pas de l’image mythique acquise dans d’autres régions méridionales. Il n’a ni député, ni conseiller général et ne dirige aucune mairie17 ». Pour les élections législatives de 1956, les Républicains sociaux parachutent sans succès André Valabrègue, un industriel établi à Casablanca qui n’a pas d’attache dans l’Hérault et qui réside la plupart du temps à Paris. Pourtant, André Valabrègue est élu député UNR en 1958 dans la circonscription de Béziers. Il peut compter sur le renfort de son collègue de la circonscription de Sète, Cerf Lurie, qui parvient à battre Jules Moch. Sétois d’origine et négociant en vins, Cerf Lurie est un notable qui a contribué activement à l’implantation du RPF dans l’Hérault. Toutefois, les deux élus UNR de 1958 ne parviennent pas à conserver leur siège en 1962. Le mouvement gaulliste reste fantomatique et doit ses seuls succès au contexte national, comme en 1968 où les candidats UDR remportent quatre des cinq circonscriptions héraultaises18.
10Enfin, dans l’Aude et les Pyrénées-Orientales, le mouvement gaulliste se trouve dans une situation quasi léthargique. Il ne doit son salut, pour ce qui a trait aux mandats de député, qu’à deux personnalités qui l’ont représenté de façon temporaire dans deux départements où le député gaulliste se fait rare. Dans les Pyrénées-Orientales, il s’agit d’un transfuge, en l’occurrence Arthur Conte, député socialiste (1951-1962) et maire de Salses (1947-1972), élu sous les couleurs de l’UDR en 1968. Dans l’Aude, Jean-Pierre Cassabel, bien implanté à Castelnaudary, l’emporte d’une courte tête en 1968, mais est battu en 1973. Âgé de 30 ans en 1968, ce professeur d’histoire-géographie avait réussi à fédérer le mouvement gaulliste dans cette ville dès le début de la Ve République. Conseiller général et maire de Castelnaudary (1971-1987), il retrouve son siège de député en 1986, avant de disparaître en 1987. Il demeure encore aujourd’hui, dans la mémoire de la droite audoise, comme une personnalité respectable.
Les éléments constitutifs d’un espace politique réfractaire au gaullisme
11Si le pourtour méditerranéen peut être considéré comme un espace politique plutôt de gauche que de droite, les éléments d’analyse purement culturels liés à l’histoire politique ne suffisent pas à expliquer la faiblesse du gaullisme sur le littoral méditerranéen. Trois éléments d’explication doivent être mis en avant.
12Tout d’abord, les difficultés d’implantation des organisations gaullistes. Ensuite, la complexité pour trouver des candidats qui disposent d’une certaine notabilité, d’où un recours de temps à autre à des parachutés19, à l’instar du général Pierre Pouyade, suppléant de Jean Charbonnel en Corrèze à partir de 1962, avant de le remplacer au palais Bourbon (1966-1967), puis d’être élu député du Var (1967-1973) ; ou encore de Mario Bénard20, ancien élève de l’ENA, conseiller technique au cabinet de Roger Frey en 1968, député du Var (1968-1978). Enfin, la question algérienne qui a divisé les gaullistes locaux. Elle est en partie liée à la problématique du vote des rapatriés, en grande majorité hostiles aux candidats se réclamant du général de Gaulle, dans la mesure où ils rejettent un gaullisme identifié à l’abandon de l’Algérie française21. En sens inverse, force est de constater que le général de Gaulle n’a jamais su trouver les mots pour s’adresser aux pieds-noirs afin de panser leurs plaies22, d’où une incompréhension réciproque.
13Sans retracer l’histoire de chaque fédération départementale, du RPF à l’UDR, le mouvement gaulliste a connu des fortunes diverses, même s’il fut plus souvent coutumier des périodes de basses eaux que des périodes de crues. Si le RPF des Bouches-du-Rhône parvient à rassembler près de 11 000 adhérents à la fin de l’année 194723, soit au sommet de la vague, l’UNR n’en compte plus que 300 en 1959 et 3 000 en 196324, des effectifs somme toute bien minces face à ceux de la SFIO. Dans l’Hérault, l’UNR compte 950 adhérents en 195925, mais seulement 420 en 1963, après une vague de départs liés à la question algérienne. Qu’il s’agisse du RPF ou de l’UNR, ce sont les départements des Alpes-Maritimes et du Var qui rassemblent le plus de partisans, avec environ 5 000 adhérents chacun en 194826 et un peu moins de 3 000 en 1963. À l’inverse, trois départements n’ont qu’une quinzaine d’adhérents en 1963 (Alpes-de-Haute-Provence, Hautes-Alpes, Lozère), alors que le Vaucluse, le Gard, l’Aude, l’Hérault et les Pyrénées-Orientales oscillent entre 100 et 400 militants à jour de cotisation selon les périodes.
14Cette faiblesse du militantisme, associée à une absence de fiefs gaullistes, notamment pour ce qui relève des circonscriptions législatives, explique que le gaullisme ait eu du mal à s’implanter localement, en réussissant à remporter des cantons ou des communes. Dans l’Hérault, l’UNR ne présente de candidats que dans deux cantons aux élections de juin 1961, sans succès. Pour ce qui a trait aux élections municipales, les gaullistes préfèrent bien souvent faire liste commune avec d’autres formations de la droite et du centre, afin d’assurer une représentation au sein des conseils municipaux, plutôt que de tenter leurs chances sous leurs propres couleurs. Ainsi, en 1959, ils sont présents sur la liste de l’indépendant François Delmas, qui est élu maire de Montpellier. Toutefois, quelques gaullistes sont parvenus à accéder à la fonction mayorale, après des années d’investissement politique local, comme Georges Santoni à Apt (1965-1971), Jacques Bérard à Orange (1971-1977), Pierre Sauvaigo27 à Cagnes-sur-Mer (1961-1983), avant d’être député des Alpes-Maritimes (1973-1983). L’exemple le plus emblématique est sans doute celui du général Emmanuel Aubert, député des Alpes-Maritimes (1968-1995), qui en 1977 parvient à ravir le fauteuil de maire de Menton à son éternel rival Francis Palmero, président du conseil général qui tenait la ville depuis 1953. En outre, certains débuts prometteurs se sont parfois heurtés aux pesanteurs locales et à une certaine idée de la politique. C’est notamment le cas d’Aymeric Simon-Lorière, élu maire de Sainte-Maxime en 1971, député UDR en 1973 et à ce titre benjamin de l’Assemblée nationale. Parti défier Maurice Arreckx sur ses terres toulonnaises lors des élections municipales de 1977, le jeune député est battu dans les urnes et disparaît dans des circonstances tragiques quelques semaines plus tard.
15Enfin, certains maires de la côte d’Azur sont hostiles aux gaullistes dans le contexte de la perte de l’Algérie française et jouent ouvertement la carte des pieds-noirs, ce qui ne facilite pas les chances de succès UDR lors des rendez-vous électoraux. C’est notamment le cas de Francis Palmero, déjà cité, de Maurice Arreckx à Toulon, de Jean Médecin à Nice, dont « la réélection triomphale en 1965 doit beaucoup aux rapatriés28 ». En effet, la liste UNR conduite par Louis Delfino et Pierre Pasquini, est la cible des associations de rapatriés qui soutiennent activement la liste du « roi Jean29 », premier maire de France à avoir créé en 1962 un service municipal des rapatriés30. Avec 40 000 rapatriés pour le département des Alpes-Maritimes, dont 25 000 à Nice, le gaullisme n’est pas vraiment en odeur de sainteté. Un « vote de reconnaissance » des réfugiés en faveur de Jean Médecin, puis de son fils Jacques se construit, car les rapatriés « ont retrouvé avec lui une manière méditerranéenne de faire de la politique, à la fois clientéliste et patriarcale, à laquelle ils étaient habitués en Algérie31 ». Ce vote antigaulliste à l’échelle locale se retrouve à l’échelle régionale. Au référendum du 28 octobre 1962, le « non » l’emporte dans le Languedoc et en Provence-Alpes-Côte d’Azur, où beaucoup de rapatriés se sont installés32. Dans une même veine, lors de l’élection présidentielle de 1965, le candidat de l’extrême droite Jean-Louis Tixier-Vignancour, ancien avocat de l’OAS, réalise ses meilleurs scores dans les départements du Var et des Alpes-Maritimes33.
16Tout compte fait, le gaullisme de la France méditerranéenne a souffert de plusieurs handicaps, mais certains de ses représentants sont tout de même parvenus à incarner et à défendre les idées de leur famille politique à l’échelle locale et régionale. Ils se sont parfois heurtés à des personnalités bien implantées comme Bernard Cornut-Gentille34, tombeur de Pierre Pasquini aux législatives de 1973. Ministre du général de Gaulle, B. Cornut-Gentille avait démissionné du gouvernement en février 1960, à la suite de la semaine des barricades à Alger. Favorable à l’Algérie française, indépendant à l’égard des partis et bénéficiant du soutien des rapatriés, le député-maire de Cannes est néanmoins battu aux élections municipales de 1983 par Anne-Marie Dupuy, candidate du RPR et ancienne chef de cabinet de Georges Pompidou.
Notes de bas de page
1Cet essai de synthèse est centré sur l’étude des 6 départements de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Alpes-Maritimes, Var, Bouches-du-Rhône, Vaucluse, Alpes-de-Haute-Provence, Hautes-Alpes) et des 5 départements de la région Languedoc-Roussillon (Gard, Lozère, Hérault, Aude, Pyrénées-Orientales).
2Pour une approche d’ensemble des différentes mutations du mouvement gaulliste, qu’on nous permette de renvoyer à notre thèse, publiée sous le titre Les mouvements gaullistes. Partis, associations et réseaux (1958-1976), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011.
3Voir Girault Jacques, Le Var rouge. Les Varois et le socialisme de la fin de la première guerre mondiale au milieu des années 1930, Paris, Publications de la Sorbonne, 1995.
4Jean Médecin, maire de Nice (1947-1965), auquel a succédé son fils Jacques Médecin (1966-1990).
5Ce département se dénommait Basses-Alpes jusqu’en 1970.
6Voir Pozzi Jérôme, « L’Union pour la Nouvelle République (UNR) et les dissidents à la conquête du Palais-Bourbon : victoires et déboires des différents étendards gaullistes », in Bernard Lachaise, Gilles Le Béguec et Frédéric Turpin (dir.), Les élections législatives de novembre 1958 : une rupture ?, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2011, p. 51-63.
7Voir Muracciole Jean-François, Les Français libres. L’autre Résistance, Paris, Tallandier, 2009, p. 337.
8Pierre Pasquini représentera ensuite la Haute-Corse à l’Assemblée nationale (1978-1981 ; 1986-1993). De 1995 à 1997, il a été ministre délégué chargé des Anciens combattants et Victimes de guerre au sein du gouvernement d’Alain Juppé.
9Guillon Jean-Marie, « De la Résistance au RPF. Le gaullisme dans le Var (1946-1949) », in De Gaulle et le RPF, 1947-1955, Paris, Armand Colin, 1998, p. 247-257.
10Pour des éléments plus précis, on se reportera à la remarquable thèse de Bayle Marc, Les droites à Toulon (1958-1994). De l’Algérie française au Front national, Toulon, Les Presses du Midi, 2014. Marc Bayle est le fils de Marcel Bayle, ancien délégué départemental des jeunes RPF du Var (1947-1953), puis député (1962-1967 ; 1968-1973).
11René-Georges Laurin est maire de Saint-Raphaël (1961-1965 et 1977-1992).
12Voir Ollivier Anne-Laure, « Gaullistes et socialistes au prisme du pouvoir local. L’exemple de Marseille (1947-1977) », Vingtième Siècle, no 116, octobre-décembre 2012, p. 23-35.
13Joseph Comiti fut secrétaire d’État à la Jeunesse et aux sports (juillet 1968-mars 1973), puis ministre des Relations avec le Parlement (avril 1973-février 1974) et secrétaire d’État chargé des Départements et territoires d’outre-mer (mars-mai 1974).
14Ancien résistant, Henri Mazo était le délégué départemental du RPF. Élu maire d’Avignon en 1947, il démissionne de ses fonctions en 1949 suite à son élection au conseil général. Élu député UNR en 1958, il choisit de ne pas se représenter en 1962.
15Pharmacien à l’hôpital d’Apt, Georges Santoni est élu premier adjoint (1959-1965), puis maire d’Apt (1965-1971). Sa fille Dominique Santoni a été élue maire d’Apt en octobre 2015 dans le cadre d’une élection partielle. Conseillère départementale « Les Républicains » (LR) depuis mars 2015, elle est la suppléante du député Julien Aubert (5e circonscription, Vaucluse).
16Jean-Claude Servan-Schreiber avait été député de Paris (1962-1967). Il avait succédé à Roger Frey, dont il était le suppléant, lorsque celui-ci avait été nommé ministre de l’Intérieur. Habitué des parachutages électoraux, il avait été candidat en Saône-et-Loire en 1967, puis dans la Nièvre en 1968 face à François Mitterrand.
17Chaubin Hélène, « Le gaullisme dans le camp politique héraultais, 1957-1969 », Arkheia. Revue d’histoire. Histoire, mémoire du vingtième siècle en Sud-Ouest, no 7-8-9, 2002.
18René Couveinhes (1re circonscription), Georges Clavel (2e circonscription), André Collière (3e circonscription), Pierre Leroy-Beaulieu (4e circonscription). En revanche, dans la 5e circonscription, c’est le député sortant Raoul Bayou (FGDS) qui est réélu.
19Voir Criqui Étienne, « Le parachutage aux élections législatives en France sous la Ve République », in Bernard Dolez et Michel Hastings (dir.), Le parachutage politique, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 123-135.
20Fils du général Charles Bénard, Mario Bénard est le petit-fils de Maurice Long, député radical-socialiste de la Drôme (1910-1923). Mario Bénard a été maire d’Hyères (1971-1977).
21Voir Jordi Jean-Jacques, De l’exode à l’exil : rapatriés et pieds-noirs en France, l’exemple marseillais, 1954-1992, Paris, L’Harmattan, 1993, et Verdès-Leroux Jeannine, Les Français d’Algérie de 1830 à aujourd’hui, Paris, Hachette, 2015.
22Voir Frémeaux Jacques, « De Gaulle et les pieds-noirs (1962-1969) », in Maurice Vaïsse (dir.), De Gaulle et l’Algérie (1943-1969), Paris, Armand Colin, 2012, p. 248-263.
23D’après Thomas Jean-Paul, Droite et rassemblement du PSF au RPF, 1936-1953 : hommes, réseaux, cultures. Rupture et continuité d’une histoire politique, thèse de doctorat sous la direction de Serge Berstein, Paris, IEP, 2002, p. 1163-1164.
24Archives départementales de la Meuse, 47 J 1, « Directive no 2 du secrétaire général des Assises René Tomasini » adressée aux secrétaires généraux d’union départementales de l’UNR-UDT dans le cadre de la préparation des Assises de Nice (22-24 novembre 1963), 6 octobre 1963. Cette directive interne sur l’organisation des Assises précise le nombre d’adhérents de chaque département. Archives départementales de la Meuse, fonds Louis Jacquinot (47J) carton 1.
25Chaubin Hélène, « Le gaullisme dans le camp politique… », art. cité.
26Charlot Jean, Le gaullisme d’opposition (1946-1958), Paris, Fayard, 1983, p. 88.
27Pierre Sauvaigo décède pendant la campagne municipale de 1983 alors qu’il briguait un nouveau mandat. Sa veuve, Suzanne Sauvaigo, est élue maire de Cagnes-sur-Mer dans le cadre d’une élection partielle en 1984. Maire jusqu’en 1995, elle est députée RPR de 1988 à 1997, date à laquelle elle est battue par Lionnel Luca.
28Olivesi Dominique, « L’utilisation des rapatriés dans les Alpes-Maritimes (1958-1965) », Bulletin de l’IHTP, no 79, 2002, p. 120-131.
29Sur la liste que conduit Jean Médecin – surnommé « Jean l’Africain » par les pieds-noirs – figure entre autres Me Francis Jouhaud, fils du général Edmond Jouhaud, l’un des fondateurs de l’OAS.
30Olivesi Dominique, « L’utilisation des rapatriés… », art. cité, et Lavrut Didier, « Les associations de rapatriés : une histoire à construire. L’exemple du Gard et de l’Hérault », in Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault (dir.), La France en guerre, 1954-1962. Expériences métropolitaines de la guerre d’indépendance algérienne, Paris, Autrement, 2008, p. 309-315.
31Comtat Emmanuelle, Les pieds-noirs et la politique. Quarante ans après leur retour, Paris, Presses de Sciences Po, 2009, p. 288.
32Voir Goguel François, Chroniques électorales. La Ve République du général de Gaulle, Paris, FNSP, 1983, p. 233.
33Ibid., p. 381-394.
34Son neveu François Cornut-Gentille est député de la Haute-Marne depuis 1993 et a été maire de Saint-Dizier (1995-2017).
Auteur
Maître de conférences en histoire contemporaine, université de Lorraine, membre du CRULH.

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