Entre contre-révolution et révolution
Les élites politiques en France méridionale (1939-1945)
p. 213-228
Texte intégral
1Il n’a pas lieu d’insister sur l’importance de la période 1940-1945 sur le plan politique, qu’il s’agisse d’idéologie, d’action ou de sociologie des acteurs. Jamais depuis la Révolution française, le pays n’a connu des soubresauts aussi brutaux et aussi rapprochés. C’est en fait à une double révolution – au sens politique premier du terme – à laquelle il est confronté sur fond de guerre et d’occupation, avec les drames divers qui accompagnent de telles situations et qui contribuent à radicaliser les attitudes. Comme toujours dans ce cas, plusieurs « guerres » s’emboîtent, plus ou moins vives selon les moments et les lieux : « guerres » locales (de factions), guerre sociale, « guerre » de génération, quasi-guerre civile avec, ici ou là, en 1944, des épisodes de « vraie » guerre civile. Le moment joue le rôle de révélateur et c’est pourquoi il est nécessaire de s’y arrêter.
2L’instauration du régime de Vichy est un moment de rupture politique partout. Il est cependant plus ou moins accentué selon les zones et les régions. Le Midi méditerranéen est l’un des territoires où la rupture est particulièrement nette. Nous avions illustré cette situation en étudiant le département du Var – « Le Var rouge dans la vague blanche1 » –, mais la problématique peut être étendue puisque le « rouge », sous ses diverses nuances, domine la vie politique locale à peu près partout, à l’exception des arrière-pays les plus montagneux. La contre-révolution vichyste est ici souvent non seulement le triomphe des « blancs », mais aussi leur revanche. Comme nous l’avions fait constater par ailleurs, cette situation ne se retrouve pas dans toutes les autres terres « rouges », en particulier dans celles de zone occupée (Nord - Pas-de-Calais, banlieue parisienne) où les Allemands et les autorités françaises préfèrent jouer la carte de la continuité politique, situation qui pèsera après coup sur les relations entre les socialistes et les communistes (qui, eux, ont été éliminés avant l’arrivée au pouvoir du maréchal Pétain). Il était inévitable que l’autre révolution, celle de la Libération, soit par contrecoup radicale sur le plan politique puisqu’elle est la revanche des « rouges » et de « rouges » souvent plus affirmés que ceux qui ont été évincés en 1940-1941.
3C’est donc cette double rupture qui est au centre de notre propos. Si celle de 1940-1941 est révélatrice de la persistance d’un milieu « blanc » dont on a eu parfois tendance à sous-estimer la permanence, celle de 1944-1945 est refondatrice d’une tradition politique et donne essor à une nouvelle génération d’acteurs politiques. Après avoir contribué à libérer le pays, la Résistance a en charge de le reconstruire, en commençant par ses institutions démocratiques, tâche à laquelle les élites locales qu’elle fait émerger concourent d’autant plus que cette reconstruction se fait aussi par le bas, et même surtout d’en bas. En témoignent non seulement la « révolution communale » de l’été 1944, mais aussi la décision du gouvernement provisoire, prise dès le 3 octobre 1944, de commencer le rétablissement de la démocratie représentative par les élections locales, municipales puis cantonales, avant de passer aux élections générales. En témoignent également les projets de « décentralisation » des pouvoirs portés par tout un pan de la Résistance, du Sud-Est en particulier, qui, même s’ils n’aboutissent pas, sont révélateurs de certaines aspirations, tout comme les expériences de « gestion ouvrière » à Marseille. Ceci dit, on ne peut faire de ces initiatives une caractéristique de la zone méditerranéenne. La première a pour épicentre la région lyonnaise et la deuxième reste circonscrite à la métropole provençale. L’essentiel reste donc bien les ruptures de 1940-1941 et de 1944-1945, ainsi que le retour de « la République au village ».
4Pour traiter de ces questions, on peut s’appuyer sur un assez grand nombre de témoignages et d’études locales ou départementales, en particulier celles que l’Institut d’histoire du temps présent (CNRS) a initiées lors des deux grandes enquêtes qui ont porté sur les pouvoirs à la Libération et sur les élites locales des années 1930 aux années 19502, ainsi que les travaux antérieurs conduits sur la Libération du Midi sous l’égide des universités de Montpellier et Toulouse3, plus des travaux dont nous donnerons quelques références en cours de parcours et les études que nous avons menées sur le Var ou sur la Provence en général4.
Révolution nationale et épuration politique
5La région méditerranéenne est l’un des bastions des partis de gauche. Il y en a d’autres en zone non occupée au point que, comme nous l’avions fait déjà remarquer, paradoxalement, l’assise géographique du régime de Vichy repose sur les régions de France qui lui sont les moins favorables. Le vote du 10 juillet 1940 est, sur ce plan, un bon indicateur. Ce jour-là, les parlementaires des départements méditerranéens (hors Algérie5) présents ont beaucoup moins voté en faveur du tandem Pétain-Laval que l’ensemble de leurs collègues. Ceux-ci ont voté à 85 % en faveur du « oui » alors que les cent cinq « méditerranéens » ne se sont prononcés dans ce sens qu’à un peu plus de 67 %. C’est l’importance de la représentation socialiste qui l’explique puisque si presque toute la droite (neuf sur onze), les quatre USR et presque tous les radicaux (vingt sur vingt-cinq) ont voté pour le « oui », les socialistes se sont coupés en deux (onze voix de chaque côté).
6Cette répartition reflète une évolution qui s’est accentuée au cours des années trente. La gauche socialiste a continué à grignoter les positions de la gauche radicale (radicale-socialiste ou radicale indépendante), avec ici ou là, dans des villes ouvrières, l’apparition de points d’ancrage communistes. Les élections législatives de 1936 ont été très favorables aux socialistes et aux communistes qui ont bénéficié du bon report des voix de gauche. Cependant, si l’on s’en tient aux élections municipales et cantonales, l’ancrage local penche très nettement en faveur de la gauche réformiste. Les positions de la SFIO sont fortes dans les villes – Marseille, Nîmes, Avignon notamment – mais aussi dans les campagnes, en dépit de la scission « centriste » – celle des néo-socialistes – que la SFIO vient de connaître. La gauche a même conquis des villes aussi bourgeoises que Montpellier6 ou Aix-en-Provence. La droite est minoritaire presque partout, sauf dans ce que l’on peut considérer comme des isolats ruraux restés « blancs » (et souvent royalistes) ou quelques secteurs urbains marqués par une sociologie spécifique (Toulon, les quartiers sud de Marseille) ou une habitude de soumission aux élites traditionnelles (Nice). Dans cet ensemble, les Alpes-Maritimes constituent un cas à part, surtout dans leur partie orientale7.
7Le parti radical-socialiste reste influent dans plusieurs départements, où il détient la majorité dans le conseil général (notamment le Vaucluse) et dirige encore de nombreuses communes, mais il n’est pas ici le seul parti du « système » sous la IIIe République. La SFIO qui est fréquemment aux commandes du pouvoir local, municipal ou départemental (Bouches-du-Rhône, Var, Gard, Hérault, Basses-Alpes, Pyrénées-Orientales, Haute-Garonne, etc.), l’est tout autant. Le « cas » marseillais (et plus largement celui du département des Bouches-du-Rhône) est, de ce point de vue, significatif, y compris sur le plan des dérives clientélistes auxquelles cette implantation peut aboutir. La prise en main de la gestion de la ville de Marseille (dont le maire est le socialiste Henri Tasso8) par le pouvoir central en mars 1939, alors que le gouvernement est dirigé par le leader radical du Vaucluse, Édouard Daladier, à la suite d’un incendie catastrophique, peut s’analyser de diverses façons. On peut la rattacher aux stéréotypes liés à Marseille (la mauvaise réputation de la ville) et à la nécessité de politique nationale pour Daladier – « le taureau du Vaucluse » – de se montrer un homme à poigne, elle n’en a pas moins quelques fondements de politique locale solides9.
8Cette situation donne des arguments à ceux qui souhaitent chasser les forces politiques dominantes des pouvoirs locaux qu’elles détiennent et la Révolution nationale leur en donne les outils et la possibilité. Les conseils généraux sont suspendus par la loi du 16 octobre 1940, puis remplacés par des commissions administratives de neuf membres puis, entre 1942 et 1943, par des conseils départementaux, composés de personnalités nommées – une par canton – qui font la part belle aux supporters de l’État français, même si leur composition dépend beaucoup du préfet, de l’influence de la Légion française des combattants et de la sociologie politique du département concerné. Le plus souvent, les conseillers généraux de droite sont maintenus, mais aussi, de nombreux radicaux, voire des socialistes indépendants.
9Les municipalités des villes de plus de 2 000 habitants sont remaniées obligatoirement en application de la loi du 16 novembre 1940, mais déjà plusieurs d’entre elles avaient été suspendues auparavant, en général dirigées par des parlementaires de gauche ou des maires « non conformes », comme le républicain socialiste Albert Naquet, à Sète, éliminé dès le 26 septembre car franc maçon et juif. En outre, les préfets ont la possibilité de désigner des délégations municipales pour remplacer les municipalités des communes plus petites. Compte tenu des rancœurs accumulées, c’est une véritable et très large épuration politique qui est mise en œuvre dans les départements méditerranéens. L’épuration affecte 66 communes sur 151 dans le Var10 (soit 85 % de sa population) et 65 communes sur 151 également dans le Vaucluse. Dans le Gard, 7 villes seulement sur 27 gardent leur conseil municipal sans grand changement et ce sont au total 63 communes dont la municipalité est remplacée11. Aucun département n’échappe à cette vague, même pas les Alpes-Maritimes où 39 localités sont touchées, soit parce qu’elles étaient de gauche, soit pour des insuffisances de gestion ou des rivalités de personnes12. Même si la gauche modérée est partiellement maintenue et même si certaines municipalités de droite considérées avec suspicion sont remaniées, le changement d’orientation et d’hommes est net. Pourtant, de très nombreux maires éliminés étaient tout disposés, pour des raisons diverses dont le souci de « l’union nationale » n’était pas forcément le moindre, à se rallier. Certains d’entre eux comme Hubert Rouger, socialiste, à Nîmes, avaient fait allégeance. Plusieurs manifestent leur incompréhension, comme celui de Saint-Jeannet (Alpes-Maritimes), socialiste, précisément parce qu’ils avaient appelé après l’armistice à se rassembler derrière Pétain13. Mais le désir de revanche était le plus fort. Le pouvoir local est fréquemment concédé aux battus aux élections d’avant-guerre, notamment aux battus de 1935. Les droites accèdent donc largement aux commandes locales. Cette promotion fait la part belle à leur aile conservatrice, voire traditionaliste, puisque l’extrême droite d’origine monarchiste ou PSF est désormais très présente au sein des conseils (à la différence du PPF qui est en général tenu en lisière). Vichy est bien ici la revanche des « blancs ».
10Mais, dans les grandes communes comme ailleurs en zone « libre », les nouveaux maîtres du pouvoir municipal sont souvent des hommes qui n’ont jamais exercé de mandats électifs et se sont tenus à l’écart de la vie politique. Ce sont de hauts fonctionnaires, des juristes, des industriels, des militaires à la retraite, généralement sans appartenance partisane. À Toulon, le maire de droite, Marius Escartefigue, est remplacé à la veille de la visite du Maréchal par le candidat de la Marine, issu de son corps des commissaires14. Dans les Alpes-Maritimes, les militaires et les industriels sont particulièrement promus (Grasse, Vence, Beaulieu, etc.). À Aix-en-Provence, c’est l’industriel Célestin Coq, fabricant bien connu de machines agricoles, qui prend la direction de la ville, tandis qu’à Sète, il s’agit du président de la chambre de commerce. À Marseille, la délégation instituée le 24 novembre 1940 est représentative des élites que le régime promeut : présidée par le doyen de la Faculté libre de droit, elle comprend le président de la Société pour la défense du commerce et de l’industrie, le directeur de la Banque de France, un avocat membre du conseil de l’ordre et ancien bâtonnier, un juge au tribunal civil, un patron boulanger président d’une amicale régimentaire et le président de la Fédération des artisans provençaux15. Cette délégation est complétée un mois après par un ouvrier et une femme – ce qui est conforme à la loi –, plus deux cadres (un ingénieur et un cadre des PTT à la retraite), un employé (chef comptable), un médecin très connu et un agriculteur, ce qui ne rend pas le conseil municipal plus représentatif tant d’un point de vue sociologique que politique. À noter que Simon Sabiani, leader du PPF, ancien premier adjoint et « vrai » maire, reste toujours sur la touche. Presque seul, Jean Médecin à Nice échappe à cette vague, mais il est vrai qu’il donne toutes les garanties à Vichy, même si le préfet Ribière souhaite l’écarter. Homme d’une droite qui fraye avec l’extrême (il a apporté son appui à la création du PPF en 1936), c’est un ancien combattant très décoré, il a servi à Verdun et il s’affirme en totale concordance avec l’État français du Maréchal. Ne déclare-t-il pas le 22 juin 1941, lors de l’installation du conseil municipal qu’il a coopté, que le « but à atteindre » est de « faire passer dans les faits les principes de la révolution nationale, mettre en pratique sa devise : Travail, Famille, Patrie » et qu’il entend pour cela collaborer avec la Légion qui doit être « l’aide et la lumière » des pouvoirs publics16 ? Alors qu’à Marseille, le PPF est tenu à l’écart, il est à Nice intégré au nouveau conseil municipal (deux représentants dont son secrétaire fédéral), tandis qu’un adjoint juif et Jacques Bounin, bien qu’ayant voté « oui » le 10 juillet 1940, mais déjà en délicatesse avec les orientations du régime, sont mis sur la touche.
11Ce parallèle entre Marseille et Nice montre bien que l’épuration municipale dépend de divers facteurs et que, parmi eux, les facteurs locaux ne doivent pas être sous-estimés. En effet, dans une région où les luttes politiques ont été vives, la base du régime impose des remaniements plus importants que ceux que le gouvernement de Vichy aurait, au moins dans un premier temps, souhaités. Dans ce choix et sa plus ou moins grande radicalité, l’orientation idéologique des préfets et sous-préfets surtout s’ils sont issus de la fournée promue par le régime constitue un autre facteur non négligeable. On en a un exemple dans le Gard avec le préfet Chiappe17 ou bien encore avec le sous-préfet d’Arles, l’écrivain Jean des Vallières, qui peuple les municipalités de son arrondissement de légionnaires18. Cette présence de la Légion française des combattants est l’illustration de la pression qui s’exerce à la base, car cette organisation, créée par et pour le régime du Maréchal, est l’instrument privilégié de la revanche des droites.
La Légion française des combattants, un acteur politique majeur en 1940-194219
12Au moins jusqu’en 1942, la Légion est partout le fer de lance de l’épuration politique qui aboutit au remplacement de centaines de municipalités. On peut le mesurer partout et les cas, précisément étudiés, du Var ou du Gard ne sont en rien exceptionnels20. Agent actif de la politique d’exclusion et de répression qui caractérise le régime, antisémitisme inclus, elle est le fer de lance de la reconquête « blanche » dans tous les départements où la gauche était en place, mais elle s’impose aussi, non sans provoquer des remous, là où la droite n’était pas marginale. L’activisme dont elle fait preuve en Corse n’a rien à envier à celui des zones de fractures politiques et se rapproche du cas des Alpes-Maritimes, même si l’extrême droite ne trouve ici guère de freins. C’est autour de la Légion que les clivages entre partisans et opposants du régime, sur lesquels se grefferont souvent ceux de la Résistance et des « collaborateurs », s’organisent. Par ailleurs, elle revêt un caractère de revanche sociale, caractéristique du Vichy des premiers temps. Le nouveau régime permet à toute une partie des élites sociales ou culturelles, boudant ou méprisant la vie politique avant-guerre, mais dominant tout un monde d’associations, de syndicats professionnels, de réseaux cléricaux et de société savantes, de prendre ou de reprendre la place qu’elles considèrent comme naturelle pour elles. L’origine socio-culturelle des dirigeants légionnaires est significative. Le trait sociologiquement et idéologiquement le plus marquant, car le plus spécifique, de ce milieu, c’est l’empreinte de l’armée. Une fois encore, le cas de l’Algérie, qui, pour nous, est le territoire de prédilection de la Révolution nationale, est emblématique : les généraux qui dirigent la Légion et l’appel massif aux militaires, sous le proconsulat Weygand, ne reflètent pas seulement la structure de la société coloniale21. Ils sont aussi les expressions d’une idéologie tellement marquée par le système colonial qu’elle voudrait bien en transposer des traits en métropole.
13Compte tenu de cet ancrage, les dirigeants qui comptent dans la Légion, qui lui donnent son orientation, ceux des UD ou des principales sections urbaines, sont, comme les maires, souvent choisis parmi des personnalités sans engagements politiques affichés, mais ce sont des pétainistes convaincus. Si l’on élargit le corpus à l’ensemble des responsables de section, le poids des droites est écrasant et la présence de l’extrême droite significative, pas seulement dans les Alpes-Maritimes. La Légion offre elle aussi une occasion de revanche rêvée pour ceux « que le progrès de la démagogie avait frustrés, depuis vingt ans, de toute influence véritable22 ». Elle est la principale expression des droites radicalisées dans les années trente et soucieuses de revanche, soit contre le Front populaire, soit contre la IIIe République, soit contre la République tout court. Ce sont ses cadres locaux qui poussent à l’épuration politique en se montrant plus radicaux que le « centre » et que, parfois, les chefs départementaux qu’il avait désignés. D’où la généralisation des conflits locaux et l’ostracisme exercé contre des notables de gauche qui étaient tout près de faire allégeance. Certains de ces ralliements sont opportunistes, mais la plupart relèvent de la norme (la solidarité combattante ou de voisinage), du maréchalisme ou du patriotisme ordinaire, de la volonté de faire front dans le malheur commun. Le député socialiste SFIO du Var, Zunino, qui a été l’un des « 80 », tient à s’inscrire parmi les premiers à la section de sa commune, il recommande aux anciens combattants de suivre son exemple et note sur son bulletin d’adhésion : « se met à la disposition de la Légion23 ». Le sénateur Sénès, président du conseil général du Var, lui aussi socialiste SFIO et lui aussi opposant le 10 juillet, est membre de la section locale de sa bourgade, du moins jusqu’au moment où le tribunal d’honneur de la Légion l’en exclut.
14Toutes les droites sont donc présentes dans les cercles dirigeants de la Légion. Dans ce concert, les cléricaux occupent des positions appréciables. L’Église en tant qu’institution et la plupart de ses évêques soutiennent d’ailleurs la Légion publiquement jusqu’à la fin de 1943, au moins. Même s’ils ne vont pas jusqu’à l’engagement inconditionnel de l’archevêque d’Aix-en-Provence24, la plupart des évêques restent les cautions du pétainisme25. Dans les Bouches-du-Rhône, le chef départemental désigné en 1940 (plus tard chef régional) vient de la Fédération nationale catholique. Il est entouré d’éléments issus des Jeunesse patriotes, de l’Action française et du PSF26. Si le PPF est tenu, là encore, à l’écart à Marseille27, il est bien présent ailleurs, notamment parmi les cadres et les propagandistes légionnaires, et encore davantage en Afrique du Nord. La place du PSF revêt une autre dimension, car, contrairement à une représentation répandue, fondée sur une vision « au sommet » qui tend à le distinguer de Vichy et de la Légion, « en bas », le PSF s’est dissous littéralement dans les institutions du régime, la Légion en particulier à qui il fournit une partie de son encadrement, et pas le plus modéré. Pour l’Aveyron, comme dans l’Algérie de Jacques Cantier, on retrouve ce que l’on a pu relever ailleurs, en Provence notamment. Quant à l’Hérault, Olivier Dedieu n’hésite pas à ce propos à parler d’« OPA » du PSF28. Mais il est vrai qu’au fil du temps, ces éléments apparaissent comme bien moins fidèles que leurs compagnons qui se situent dans la mouvance de l’Action française. Ce sont eux en particulier qui assurent la survie de la Légion après l’Occupation. La branche activiste garde le contrôle de sections urbaines qui se distinguent par les bons rapports qu’elles entretiennent avec la Milice et par le soutien qu’elles apportent à la collaboration. Mais la majorité, germanophobe, s’en tient au pétainisme stricto sensu, à la ligne Maurras, à « la France seule » et ses rapports avec la Milice ne sont pas bons. C’est elle qui, tout en restant fidèle au Maréchal, essaye de prendre ses distances avec Laval, de tenter cet exercice difficile – et vain – de se délier du gouvernement, tant il est honni. La déconfiture de la Légion est bien antérieure à 1943-1944. En dépit de chiffres d’adhésion impressionnants, y compris sur les bords de la Méditerranée, et d’une affluence significative aux premières cérémonies de 1941, son déclin commence dès ce moment et est bien plus rapide que celui du seul maréchalisme. Son élargissement aux non-combattants est un échec. Les relations sont vite tendues avec les administrations et la police, excédées de sa volonté de tout contrôler. Mais c’est surtout le retour de Laval au pouvoir qui provoque le choc le plus profond dans la Légion comme dans tout le pétainisme. Les défections parmi ses militants et ses cadres au printemps 1942 témoignent de son ampleur, y compris dans les Alpes-Maritimes où la dégringolade des effectifs en 1942 est spectaculaire. La Légion, déconsidérée, divisée, ne pèse plus guère après, mais elle cristallise sur elle une grande partie du ressentiment de la population à l’égard du régime. Il en va de même pour les municipalités nommées entre 1940 et 1942, qui, bien que vite minées par des dissensions et des démissions, restent en place jusqu’à la Libération29. Comme le régime de Vichy, elles ne peuvent alors s’opposer à la prise du pouvoir par les résistants et sont balayées sans chercher à opposer une quelconque résistance.
15Dans la zone méditerranéenne (hors Algérie), le choc en retour de la Libération est d’autant plus brutal sur le plan politique que l’épuration vichyste a été la plus étendue, que la présence maquisarde y est forte et que c’est à gauche que la Résistance a trouvé l’essentiel de sa base et de ses cadres.
La Libération, une révolution « en bas »
16Les élites politiques qui émergent à la libération dans les comités de libération et les délégations municipales sont toutes issues de la Résistance, même si leur participation à l’action n’a pas été forcément d’une grande effectivité. Mais, en tout cas, c’est dans le combat clandestin que se forge l’influence de certains de ceux qui vont marquer la politique sur le plan local, voire, pour quelques-uns sur le plan national. L’exemple le plus remarquable de l’ascension d’un militant obscur avant-guerre et devenant un leader national est celui de Gaston Defferre.
17Les personnalités venues de la droite ou du centre, et y restant positionnés, pèsent peu dans la Résistance de la zone méditerranéenne, du moins sur son versant politique. La plupart de ceux qui prennent des responsabilités en 1944 appartiennent aux mouvances socialistes et communistes. Les mois qui ont précédé la Libération ont été marqués par les affrontements entre ces deux courants, en particulier au moment de la préparation de la prise du pouvoir dans les principales villes et, plus encore, lors de la composition des comités départementaux de la Libération (CDL). Ces comités, à l’exception de celui du Var qui prend la suite d’un comité de coordination antérieur30, commencent à se mettre en place à l’automne 1943, mais la plupart ne fonctionnent guère avant le printemps ou l’été 1944 par suite des désaccords entre les deux courants qui, chacun, essaient de limiter la représentation de l’autre. Les communistes et les alliés qu’ils trouvent éventuellement au sein du MLN (Mouvement de libération nationale) tentent souvent d’empêcher la représentation du parti socialiste dans le « noyau actif » du CDL. Ces tensions peuvent être exacerbées comme dans les Pyrénées-Orientales où des « résistants socialistes » (militants du MLN conduits par Camille Fourquet, président du mouvement) s’opposent aux « socialistes résistants » menés par le député Louis Noguères. Quoi qu’il en soit, la poussée communiste est incontestable, même si la majorité reste souvent à leurs partenaires-concurrents. Le remplacement généralisé au sein des CDL du représentant de la CGT « confédéré » par un « unitaire » en est l’une des illustrations, mais plusieurs cas de refondations de CDL, par suite de la répression, dans les Alpes-Maritimes ou les Basses-Alpes en particulier, sont mis à profit par les communistes pour modifier l’équilibre politique en leur faveur.
18La période de la Libération est donc le deuxième politique choc important sur le plan local. Il s’agit d’un renouvellement plus profond et bien plus riche de conséquences que le premier, provoqué par l’épuration vichyste. Il est l’événement essentiel de l’histoire municipale en France au xxe siècle, particulièrement dans la zone qui nous intéresse puisque le renouvellement politique voulu par la Résistance est plus large que le précédent31. La Libération est une revanche sur Vichy et contre les élites qui l’ont jusqu’au bout soutenu. Les municipalités nommées sont donc éliminées, mais aussi (au moins dans les localités moyennes, plus rarement dans les petits villages où le « stock » édilitaire de rechange est limité), les conseils municipaux élus en 1935 et maintenus par Vichy ou faiblement remaniés. Dans ce cas, qui concerne des localités de tendance modérée, le pouvoir est souvent pris par les éléments de gauche battus en 1935 ou minoritaires au conseil municipal (mais qui ont été présents dans la Résistance). Le rejet affecte même d’assez nombreux conseils municipaux élus, dissous par Vichy ou qui ont démissionné très vite, mais que les résistants repoussent si leurs membres ne sont pas engagés dans le combat clandestin. Dans le Var, 120 délégations municipales sont mises en place pour 14 anciens conseils municipaux rétablis et seulement 16 maintenus (sur 151 communes) ; dans le Gard, 27 conseils sont maintenus sur 353, alors que dans les Alpes-Maritimes, la Résistance maintient 98 conseils, rétablit 30 anciennes municipalités et ne nomme donc que 33 délégations sur 161 communes. Comme dans ce département, les 56 municipalités maintenues dans l’Hérault (sur 343 communes) concernent essentiellement de petits villages. Quand l’ancien maire démis par Vichy est remis en place, il est souvent entouré d’une majorité de résistants, nouveaux venus aux affaires municipales, porteurs d’une autre légitimité, il se trouve donc isolé et, dans ce cas – on le voit à Sète (Hérault) par exemple – sa démission intervient rapidement32.
19Ces résistants sont généralement membres du comité local de Libération (CLL), structure créée tardivement, le plus souvent au moment même de la Libération, qui se dilue en général assez vite dans la délégation municipale qu’elle met en place. C’est le cas pour cent neuf communes du Var33. Quand elle s’en distingue, sa représentativité est généralement faible, son discrédit d’autant plus rapide qu’elle apparaît alors comme l’un des instruments du parti communiste contre la municipalité résistante nommée. S’il est un trait caractéristique des régions où Vichy comme la Résistance ont suscité des clivages marqués – donc la France méditerranéenne –, c’est la non-application de l’ordonnance prise à Alger par la France Libre le 21 avril 1944 qui prévoyait la remise en fonction des municipalités d’avant-guerre, comme celle des conseils généraux. L’initiative des changements municipaux a été prise immédiatement au moment de la Libération, validée ensuite par les préfets issus de la Résistance en accord avec les CDL qui, par-dessus les CLL, ont la haute main sur la composition des municipalités.
20L’une des tendances naturelles des CDL a été de prendre la place des anciens conseils généraux et de revendiquer leurs prérogatives. Il n’était donc pas question de leur céder la place comme le prévoyait l’ordonnance du 21 avril. Chambres de notables, incarnations du milieu rural surtout et de réseaux d’influence bien installés – ce qui profitait aux radicaux –, ces conseils auraient laissé une part trop faible aux forces politiques qui avaient réellement « fait » la Résistance. Ceci valait aussi là où le conseil général d’avant-guerre était socialiste. Ni le président de celui des Bouches-du-Rhône, le socialiste Léon Bon (qui en tant que sénateur avait voté les pleins pouvoirs au Maréchal le 10 juillet), ni celui du Var Henri Sénès, sénateur socialiste lui aussi (et qui a fait partie des quatre-vingts parlementaires qui avaient voté contre ces mêmes pleins pouvoirs) ne retrouvent leur fonction et, comme dans le Gard, aucun des conseillers généraux ne fait partie du CDL. Les CDL ont donc une composition très différente des conseils généraux, non seulement d’un point de vue politique, mais aussi d’un point de vue générationnel, géographique (avec une représentation urbaine majoritaire) et – même si c’est dans une moindre mesure – sociologique. Un changement aussi net n’est pas propre au Midi méditerranéen, mais il est ici la norme. Cette région porte d’ailleurs avec celle de Lyon-Grenoble qui en eut l’initiative le congrès des CDL de la zone Sud qui se tient à Avignon en octobre 1944 et qui a pour objectif d’empêcher le retour des conseils généraux34. L’élargissement des CDL à des organisations annexes des principaux mouvements (MLN et Front national) et partis (PS et PC) – femmes, paysans, jeunes, etc. – est l’une des questions qui relancent la concurrence entre socialistes et communistes (avec l’épuration, la presse, les Milices patriotiques). Cette concurrence est illustrée aussi par la mise en place de comités régionaux de la Libération, plutôt favorables aux communistes afin de contrebalancer le poids de leurs rivaux dans les CDL, avec une différence de taille entre celui du Languedoc et celui de Provence, puisque le premier, présidé par Gilbert de Chambrun (MLN, proche des communistes) est créé dès avant la Libération, alors que le deuxième, présidé par l’ancien député communiste Cristofol rentré d’Algérie, est institué après la Libération comme une concession que fait Aubrac au pôle communiste et ne jouera qu’un rôle figuratif.
21Les élections locales du printemps et de la fin de l’été 1945 ne bouleversent pas, globalement, la redistribution du pouvoir effectuée à la Libération. Ce résultat est d’importance puisqu’il maintient aux responsabilités des hommes qui ont émergé grâce à la Résistance et donc justifie leur intégration dans l’élite politique locale. Les élections municipales des 29 avril et 13 mai sont les premières élections d’après la Libération. Le résultat est sans appel, le pouvoir résistant est massivement confirmé, mais non sans glissements en son sein avec, dans certaines communes, le désaveu de ceux qui, trop sectaires, s’étaient coupés de la population ou qui n’en étaient pas représentatifs. Mais la gauche est confirmée dans sa prééminence, une gauche plus à gauche qu’elle ne l’était auparavant puisque dominée désormais très largement par les socialistes (leurs dissidents « néo » d’avant-guerre et la plupart des socialistes indépendants ayant disparu) et les communistes. La droite est balayée presque partout et les radicaux sont très affaiblis. Dans le Gard, la droite ne conserve plus que six municipalités (au lieu de 40) et les radicaux 53 (au lieu de 136). Les socialistes s’imposent comme la première force électorale sur le plan local, souvent seuls. Ils remportent des succès y compris dans des départements peu favorables comme les Alpes-Maritimes où ils dirigent désormais, non seulement Nice, mais aussi Grasse, Cagnes, Menton. Mais les communistes, bien qu’en recul par rapport aux délégations municipales de la Libération, connaissent une progression spectaculaire par rapport à leurs résultats d’avant-guerre. Dans le Gard, si les socialistes ont conquis 116 communes, les communistes en dirigent désormais 66 et les talonnent en nombre de voix. Leur choix de défendre une liste « unique » en alliance avec ceux qui souhaitaient contourner les socialistes (radicaux et modérés) a souvent constitué un succès et a parfois obligé, comme à Marseille, les socialistes à s’y rallier au second tour.
22Les élections cantonales de septembre confirment l’ancrage résistant, même si, grâce à leur influence conservée en milieu rural, les courants notabiliaires d’avant-guerre, radicaux et modérés, parviennent à conserver quelques positions (sans parvenir à les reconquérir comme en Corse35). Mais le conseil général du Gard ne compte plus que 5 radicaux au lieu de 18 et celui de l’Hérault 7 au lieu de 1336. Les radicaux n’ont plus d’élus dans le Var où leur position était déjà faible. Ce type d’élections confortait ceux qui dans la Résistance avaient pu le plus aisément capter ces mêmes réseaux et donc les socialistes au premier chef. Mais les communistes, à l’enracinement géographique plus neuf et moins étendu, sont parvenus à tirer leur épingle du jeu, principalement dans les départements les plus urbains, comme les Bouches-du-Rhône où ils passent de trois conseillers en 1939 à quatorze en 194537.
Nouveaux acteurs politiques. Un moment fondateur
23Avec la Libération, ce sont de nouveaux visages qui s’imposent, assurent la relève, et s’installent parfois pour longtemps aux commandes du pouvoir local. Il est rare que les anciens parviennent à rétablir leur position. Un Jean Médecin, élu conseiller général en 194438 et retrouvant la mairie de Nice en 1947, est un cas unique. Daladier, réélu au Parlement dès 1946, maire d’Avignon plus tard, effectue un rétablissement personnel remarquable, mais il n’enraye pas le déclin du radicalisme local. Quelques hommes politiques résistants comme Félix Gouin dans les Bouches-du-Rhône, ou, dans une moindre mesure, comme Jules Moch dans l’Hérault39 font la transition entre la IIIe République et la IVe, mais derrière eux, la relève s’impatiente.
24À la suite de la Libération, le changement se situe d’abord dans le rapport droite/gauche. Déjà minoritaires avant-guerre, les droites sont éliminées des responsabilités locales. Le choc bouleverse même les Alpes-Maritimes où elles détenaient la majorité au conseil général et se retrouvent, en 1945, très minoritaires (cinq sièges)40. Les démocrates-chrétiens, qui viennent de se constituer en parti (le MRP), sont trop nouveaux pour pouvoir participer de façon significative au partage du pouvoir. Mais la présence d’une force qui se réclame de la religion dans un environnement marqué par l’anticléricalisme est en soi un changement majeur, d’autant qu’elle obtient des scores appréciables lors des élections nationales et même locales (un tiers des voix aux élections municipales et cantonales dans le Gard en 194541), qu’elle contrôle une partie de la presse, et met sur orbite des personnalités, comme Germaine Poinso-Chapuis, qui, sur le plan national et surtout local, joueront un rôle de premier plan. Le MRP constitue donc un élément de renouvellement politique incontestable.
25La principale modification concerne cependant les gauches. On a vu que l’effondrement du parti radical-socialiste est spectaculaire, y compris dans ses fiefs de l’Aude ou du Vaucluse. Sans hommes nouveaux, apparaissant comme dépassé, inexistant en tant que tel dans la Résistance même si certains de ceux qui s’en réclament se sont comportés de façon exemplaire, le radicalisme paraît ici comme le vestige d’une époque révolue42. Ce bouleversement profite au parti socialiste dont nombre de cadres, d’élus municipaux ou d’éléments de base se sont illustrés dans la Résistance et ont fourni à son aile non communiste une grande partie de ses responsables départementaux et locaux. Ainsi régénérée, renouvelant le radicalisme, parti d’ordre rassurant l’électorat modéré inquiet de l’action des communistes, la SFIO rassemble un électorat divers. Le cas du Gard est à tous égards le plus éclairant puisque le nombre des conseillers généraux socialistes passe de 8 à 24, à la fois grâce à la consolidation d’un électorat propre et à la captation de celui des radicaux, mais cette poussée traduit aussi le rejet des communistes qui se sont souvent imposés à la Libération contre eux. Le développement de l’implantation socialiste est notable dans le Languedoc, moindre en Provence où les positions étaient déjà solides, mis à part les Alpes-Maritimes. Mais, en dépit de cette consolidation et de ces gains, de l’intégration des socialistes dissidents d’avant-guerre, les élections, en particulier municipales, ont déçu les dirigeants socialistes car ils ont subi des échecs dans les zones ouvrières qu’ils dirigeaient avant-guerre et, très souvent, dans le milieu urbain quand ils ont refusé la liste commune de la Résistance dont les communistes se sont fait les champions, ainsi dans les Bouches-du-Rhône et le Var où l’audience urbaine des socialistes décroît et où ils ne conservent que 22 des 24 communes de plus de 2 000 habitants que la SFIO et sa scission de l’Union socialiste républicaine dirigeaient. À l’évidence, le parti et son électorat se ruralisent et se fonctionnarisent alors que leur implantation ouvrière et urbaine s’érode et cette évolution sociologique se reflète sur la composition de ses élites.
26Dans ce « Midi rouge », la nouveauté se situe principalement à l’extrême gauche avec l’installation du parti communiste à un niveau d’audience et dans des positions de pouvoir sans rapport avec sa situation avant-guerre. Conservant l’essentiel des implantations anciennes, comme dans le bassin minier gardois, il en conquiert d’autres dans des villes ouvrières, celles des chantiers navals (La Seyne dans le Var, La Ciotat dans les Bouches-du-Rhône) ou des petites industries de l’arrière-pays. Grâce à des coalitions, il parvient même à prendre momentanément la tête de villes comme Avignon, Arles, Perpignan, Toulon, et, à Marseille, Defferre, tirant les leçons des élections cantonales et du rapport de force favorable aux communistes, choisit de s’effacer, laissant ainsi le champ libre à Cristofol. Devenus la première force politique à Marseille, les communistes vont le rester pendant trente ans. Comme l’écrit très justement Roger Bernis à propos des Pyrénées-Orientales, il s’agit véritablement du « 2e âge du parti communiste ». Dans ce département, les communistes multiplient par cinq le nombre de leurs élus municipaux, font élire leurs premiers conseillers généraux et leur premier député en octobre 194543.
27Ce changement politique modifie la sociologie des élites politiques. Même si leur présence reste secondaire, des femmes accèdent à des responsabilités politiques, surtout sur le plan municipal et national, beaucoup moins sur le plan départemental. Cette accession est favorisée par les forces politiques les plus neuves, démocrate-chrétienne et communiste. Le parcours d’une personnalité comme Germaine Poinso-Chapuis, élue MRP de Marseille, qui sera la première femme à accéder à des responsabilités ministérielles en 1947, est significatif. Mais la politique reste essentiellement une affaire d’hommes, ce qui n’est pas un trait propre au Midi méditerranéen. Le rajeunissement des élus est sensible44. Dans les Bouches-du-Rhône, plus de la moitié des élus municipaux ont moins de 50 ans, pour un tiers en 193545. Leur origine socio-professionnelle n’est pas bouleversée, mais les cadres du PCF qui accèdent à des mandats locaux ou nationaux sont en partie issus de milieux populaires, ouvriers en particulier46. Cette promotion est très repérable parmi les conseillers généraux communistes ou les maires élus en 1945, de même que celle de jeunes instituteurs dont certains accéderont aussi à des mandats nationaux, par exemple Toussaint Merle maire de La Seyne (Var) de 1947 à sa mort, en 1969. Avec les instituteurs, bien représentés aussi parmi les élus socialistes, ce sont les classes moyennes d’origine populaire qui trouvent leur place parmi les élites politiques avec une fonction de médiatrices entre le local et le national. Ce rôle était jusque-là plutôt tenu par des catégories socialement mieux établies, les professions libérales et le négoce en particulier. Or, même si ces catégories restent solidement installées, la poussée des fonctionnaires, et pas seulement ceux de l’Éducation nationale, est caractéristique du moment, ce qui nous a conduit à mettre en parallèle la montée de ces « nouvelles nouvelles couches » et celle des « nouvelles couches » sur lesquelles la IIIe République des débuts s’était appuyée.
28Mais le changement profond de l’encadrement politique à la Libération dans la France méditerranéenne est peut-être surtout un changement de génération. Dans le Var, la présidence du conseil général est conservée par les socialistes, mais le sénateur Sénès, qui le présidait avant-guerre, est remplacé par un médecin toulonnais vingt plus jeune que lui et la vraie relève issue de la Résistance arrive en 1956 avec Édouard Soldani, un autre socialiste, déjà sénateur et bientôt maire de Draguignan, la préfecture, qui va « régner » sur le Var jusqu’en 1985. Avec lui, c’est la génération de la Résistance qui accède à des responsabilités de premier plan47.
29S’il est un changement majeur à la Libération, il se situe dans cette accession, qui commence généralement d’abord par des responsabilités communales, puis, avec un décalage plus ou moins grand, selon la rapidité des cursus, le capital politique accumulé, départementales et éventuellement nationales, même si la Résistance a pu formidablement accélérer, comme dans le cas de Soldani, le parcours de ce classique cursus48. La continuité des étiquettes politiques ne doit pas masquer la véritable rupture que constitue ce passage du relais. La génération socialiste de la Résistance conteste le socialisme installé au pouvoir avant-guerre et qui, à ses yeux, semblait avoir perdu son idéal. On a évoqué le cas des Pyrénées-Orientales où Louis Noguères, le patron de la Fédération socialiste, est bousculé, mais, dans l’Hérault, le parti, régénéré par la clandestinité et l’auto-épuration qu’il entreprend, est pris en mains par de nouveaux leaders49 et, dans les Bouches-du-Rhône, ce sont bien les hommes de la nouvelle génération – Gaston Defferre, Francis Leenhardt – qui écartent l’ancienne équipe au prix d’une crise interne grave, provoquant la dissolution de la Fédération à l’automne 194550.
30Pour autant, les hommes de la Résistance ne sont pas des nouveaux venus en politique. Ils assumaient souvent des mandats locaux – Jean Bène, maire de Pézenas, démis par Vichy, « patron » des Mouvements unis de la Résistance avant de devenir celui du socialisme héraultais et du département – ou militaient en politique, comme Gaston Defferre, ou dans le syndicalisme. Ils ont tous pris des responsabilités dans la clandestinité, souvent en réaction contre l’inertie ou le ralliement des « anciens ». On ne saurait comprendre l’influence de Gaston Defferre après-guerre sur toute la région provençale et au-delà si l’on ignore le rôle majeur qu’il a joué dans la Résistance socialiste. À partir de la Libération, les hommes de cette génération contrôlent une grande part du pouvoir régional, après avoir, comme lui, pris des positions solides dans la presse locale quotidienne. Ils sont rejoints en 1945 par une vague complémentaire, satellite, d’élus locaux, qui partagent les mêmes options sans avoir eu les mêmes engagements, qui vont occuper des responsabilités électives importantes à partir des années cinquante et pour lesquels on peut parler de « génération de la Libération ». De véritables puissances locales émergent donc en 1944 et 1945, conquérant d’abord des mandats locaux et parvenant plus ou moins vite à devenir députés et sénateurs, tandis que d’autres, qui suivront le même cheminement plus tard, commencent leur parcours dans cette conjoncture exceptionnelle et grâce à elle. Même si la gauche, communiste et socialiste, offre naturellement le plus grand nombre d’illustrations de ce phénomène, il touche aussi la droite qui est renouvelée, elle aussi, par les changements induits par la Résistance et la Libération et qui voit naître une génération d’élus locaux51.
31En Provence, toute une série de présidents de conseils généraux socialistes relève de cet itinéraire. Outre Soldani dans le Var (1956-1985), citons Ernest Borrely (1945-1959) dans les Alpes-de-Haute-Provence, Jean Garcin dans le Vaucluse (1970-1990) ou Louis Philibert dans les Bouches-du-Rhône (1967-1990). Le Languedoc ou le Sud-Ouest offrent des exemples semblables. Le cas de Raoul Bayou, « le député du vin », très bien étudié par Olivier Dedieu, relève plutôt de la génération de la Libération52. Cet instituteur, doublement héritier politique, à la fois du capital local qui lui vient de son père, militant socialiste, et de l’appui que lui apporte Jean Bène à la Libération, vient du syndicalisme et du militantisme laïc, sans s’être distingué dans la Résistance. Il gravit les divers échelons du cursus politique : maire et conseiller général en 1945, constamment réélu, bon gestionnaire et appui fidèle du pouvoir départemental, devenant député en 1958 et se glissant là dans le rôle de défenseur des intérêts viticoles d’une région qui avant-guerre avait déjà donné à l’Assemblée nationale, avec Édouard Barthe, un élu de ce type dont, tout naturellement, Bayou s’est inspiré.
32L’homme qui symbolise le mieux cette génération est évidemment Gaston Defferre puisqu’il cumule la puissance politique et médiatique locale (Fédération SFIO et groupe de presse), l’accès rapide aux responsabilités nationales (des fonctions ministérielles dès 1946), la conquête électorale du territoire régional (de la mairie de Marseille de 1953 à sa mort en 1986 à la présidence du premier conseil régional de la région Provence-Côte d’azur en 1975) et une longévité politique exceptionnelle, du moins sur le plan national puisqu’il occupe une place éminente – ministre d’État – en 1981, après la victoire de François Mitterrand53. Le cursus est exceptionnel, il est emblématique du poids de cette génération qui s’engage en politique au sortir de la Résistance, de sa participation à la reconstruction du pays, mais aussi de ses divisions, de ses illusions vite perdues au profit d’un réalisme peut être inévitable, qui lui a permis de conserver le pouvoir et de peser sur la vie du pays plusieurs décennies durant.
Notes de bas de page
1Notamment dans Guillon Jean-Marie, « 1940 : le Var rouge dans la vague blanche », Vingtième Siècle, no 28, octobre-décembre 1990, p. 57-63.
2Ces études ont été partiellement publiées dans Buton Philippe et Guillon Jean-Marie (dir.), Les pouvoirs en France à la Libération, Paris, Belin, 1994, et par Le Béguec Gilles et Peschanski Denis (dir.), Les élites locales dans la tourmente. Du Front populaire aux années cinquante, Paris, CNRS Éditions, 2000.
3Principalement, La Libération dans le Midi de la France, Toulouse, Éché éditeur/université Toulouse-Le Mirail, 1986, et Lendemain de Libération dans le Midi, Montpellier, université Paul-Valéry - Montpellier III, 1997.
4En particulier Guillon Jean-Marie, « De Flaissières à Defferre. Les élites politiques en Provence », Parlement[s]. Revue d’histoire politique, hors-série no 7, 2011, p. 42-53.
5Sept parlementaires algériens sur douze étaient absents. Les cinq présents ont tous voté « oui ».
6Pour Montpellier, Lacombrade Philippe, « Un chrétien de gauche dans le “Midi rouge”, Paul Boulet (1894-1982) », Parlement[s]. Revue d’histoire politique, hors-série no 7, 2011, p. 75-89. À Aix, la municipalité a été conquise par l’équipe du radical-socialiste Jean Peytral.
7En dehors de la Corse que nous ne traiterons pas ici, sinon à la marge, car sa situation géopolitique et ses traditions électorales en font un cas trop particulier.
8Pour les élus socialistes ou communistes cités dans ce texte, nous renvoyons aux notices du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français (1919-1939) et de son prolongement (1940-1968), Paris, Éditions de l’Atelier, à consulter soit dans les volumes publiés, soit sur le site maitron.fr.
9Sur la situation à Marseille, voir Menchérini Robert, Midi rouge, ombres et lumières, Paris, Syllepse, t. I : Les années de crise, 1930-1940, 2004, t. II : Vichy en Provence (1940-1942), 2009 ; Guillon Jean-Marie « Administrer une ville ingouvernable : Marseille, 1938-1946 », in Isabelle von Buetzingsloewen, Laurent Douzou, Jean-Dominique Durand, Hervé Joly et Jean Solchany (dir.), Lyon dans la Seconde Guerre mondiale. Villes et métropoles à l’épreuve du conflit, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 61-72.
10Pour plus de détails, Guillon Jean-Marie, « Vichy et les communes du Var ou les dilemmes de l’épuration », Provence historique, tome 33, fascicule 134, octobre-décembre 1983, p. 383-403.
11Cosson Armand, « La francisque et l’écharpe tricolore : Vichy et le pouvoir municipal en Bas-Languedoc », Annales du Midi, t. 104, no 199-200, juillet-décembre 1992, p. 293-296, et sa contribution, « Le Gard », in Gilles Le Béguec et Denis Peschanski, Les élites locales…, op. cit, p. 288 et suiv.
12Panicacci Jean-Louis, Les Alpes-Maritimes dans la guerre (1939-1945), Clermont-Ferrand, De Borée, 2013, p. 91.
13Ibid., p. 91 : il a adhéré à la Légion française des combattants.
14Ancien anarchiste, ancien maire socialiste de la ville, parti de France au début de la guerre en 1914, Escartefigue, bien qu’ayant voté « oui » le 10 juillet 1940 (il est député), ne peut décemment accueillir le Maréchal !
15Sauvageot André, Marseille dans la tourmente, Paris, Les Éditions Ozanne, 1949, p. 109, commente : « Les membres de la nouvelle municipalité sont des notables, gens de bonne, parfois d’excellente réputation dans leur milieu d’origine ou dans leur profession ; mais ils sont inconnus du grand public, et pour cause : aucun d’eux ne s’est jamais mêlé aux luttes politiques. »
16Panicacci Jean-Louis, Les Alpes-Maritimes…, op. cit., p. 93-94.
17Cosson Armand, Nîmes et le Gard dans la guerre (1939-1945), Le Coteau, Horvath, 1988, p. 31.
18Varga Daniel, Étude régionale d’un mouvement sous Vichy, la Légion française des combattants dans les Bouches-du-Rhône, mémoire de maître d’histoire, université de Provence, maîtrise d'histoire, 1988, p. 22 : des Vallières se vante en novembre 1942 d’avoir nommé vingt-huit municipalités sur les trente-six communes de son arrondissement, et qu’elles sont toutes légionnaires.
19Pour cette partie, nous renvoyons au numéro spécial des Annales du Midi, no 245, janvier-mars 2004, « Voyage dans la France de Vichy : la Légion française des combattants » et notamment à notre introduction, « La Légion française des combattants ou comment comprendre la France de Vichy », p. 5-24.
20Guillon Jean-Marie, « Vichy et les communes du Var… », art. cité, p. 383-404. On trouvera confirmation de cette importance des facteurs locaux dans Cosson Armand, « La francisque et l’écharpe tricolore… », art. cité.
21Cantier Jacques, L’Algérie sous le régime de Vichy, Paris, Odile Jacob, 2002, p. 198 et suiv. Le général François préside la Légion nord-africaine. Le général Paquin dirige celle d’Algérie, mais, trop modéré et suspect de philosémitisme, il est remplacé dans l’été 1941 par le général Martin, qui, de ce point de vue, est irréprochable.
22Du Moulin de Labarthète Henri, Le Temps des illusions – Souvenirs (juillet 1940-avril 1942), Genève, Les Éditions du cheval ailé, 1946, p. 125.
23Officier de réserve, Zunino était vice-président de l’association locale des anciens combattants. Il rejoindra le Front national et sera membre de son comité national zone Sud.
24Brando Julien, « Mgr du Bois de la Villerabel : un archevêque sous Vichy (1940-1944) », Provence historique, t. LXIII, fasc. 252, avril-juin 2013, p. 167-178.
25Outre le numéro des Annales du Midi déjà cité, voir notre contribution « Les évêques de Provence et le régime de Vichy 1940-1942 », in Jean-Paul Pellegrinetti, avec la collaboration de Jérémy Guedj (dir.), La Méditerranée en passion. Mélanges d’histoire contemporaine offerts à Ralph Schor, Paris, Classiques Garnier, 2016, p. 551-573.
26Varga Daniel, Études régionale…, op. cit., p. 4 et suiv. PSF : Parti social français, dirigé par le colonel de La Rocque.
27C’est le cas à Marseille où la Légion fait front commun avec l’administration préfectorale contre le PPF qui essaie d’apparaître comme à l’avant-garde de la Révolution nationale (Varga Daniel, Étude régionale…, op. cit., p. 62).
28Dedieu Olivier, « Anciens combattants et revanche politique : l’Hérault et sa Légion des combattants », Annales du Midi, no 245, janvier-mars 2004, p. 44-45 ; Cantier Jacques, L’Algérie…, op. cit., p. 198 et suiv. Dans les Bouches-du-Rhône, le chef départemental du PSF a refusé la direction départementale en préférant garder la main sur Marseille (Varga Daniel, Étude régionale…, op. cit., p. 5). Même constat de présence dans le Var.
29C’est le constat d’Armand Cosson pour le Gard, département pourtant difficile pour ces élites sans légitimité (« Le Gard », art. cité, p. 289). Même constat dans le Var.
30Voir Guillon Jean-Marie, La Résistance dans le Var. Essai d’histoire politique, thèse d’État sous la direction d’Émile Temime, université Aix-Marseille 1, 1989 ; pour la création des CDL du Languedoc, Bourde Roger, Libération du Languedoc méditerranéen, Paris, Hachette, 1974, p. 198.
31Ce que confirme Mencéerini Robert dans son rapport de synthèse, « Les changements des rapports de forces politiques », in Gilles Le Béguec et Denis Peschanski (dir.), Les élites locales…, op. cit., p. 39.
32Caron-Leulliez Marianne, « Le personnel politique des villes du Bas-Languedoc méditerranéen au lendemain de la Libération, renouvellement ou continuité ? », in La Libération dans le Midi…, op. cit., p. 308.
33Guillon Jean-Marie, La Libération du Var. Résistance et nouveaux pouvoirs, Paris, IHTP-CNRS, 1990, p. 54-56, et Caron-Leulliez Marianne, « Le personnel politique des villes du Bas-Languedoc… », art. cité, p. 300-302, qui fait le même constat dans le Languedoc où les CLL coïncident avec la délégation municipale dans 50 % des villes étudiées ou agglomèrent à eux des personnalités locales ou des représentants d’organisations afin de former une délégation élargie.
34Grosso René et Simon André, « Le congrès d’Avignon (7 et 8 octobre 1944) et la fronde des comités de libération du Midi », Études vauclusiennes, no LIV, juillet-décembre 1995, p. 47-51.
35En Corse, les élections cantonales voient la revanche des radicaux et des notables sur le PC et le FN. La parenthèse politique ouverte à la Libération en 1943 se referme donc. Aux municipales de 1945, le FN avait conservé 180 communes et le PCF 57, dont Ajaccio.
36Wahl Alfred, « Le choc politique de la Libération », in Gilles Le Béguec et Denis Peschanski (dir.), Les élites locales…, op. cit., p. 70.
37Menchérini Robert, La Libération et les années tricolores (1944-1947), t. 4 de Midi rouge, ombres et lumières, Paris, Syllepse, 2014, p. 220.
38Panicacci Jean-Louis, Les Alpes-Maritimes…, op. cit., p. 366 : le PC refuse de se désister en faveur du maire de Nice élu en avril-mai 1945, Jacques Cotta, socialiste, et, en maintenant son candidat, permet ainsi de faire gagner Médecin…
39Dedieu Olivier, « Jules Moch, député de l’Hérault (1937-1967). La réussite ambivalente d’un parachutage en Languedoc », Parlement[s]. Revue d’histoire politique, hors-série no 7, 2011, p. 90-101.
40Ibid., p. 368 : le conseil compte alors 25 nouveaux membres sur 30 dont 11 communistes ou FN, 10 socialistes SFIO ou indépendants, 4 radicaux et 5 républicains indépendants.
41Sugier Fabrice et Vizelier Monique, Le Gard dans la guerre, 1939-1945, Clermont-Ferrand, De Borée, 2017, p. 424 : le MRP obtient aussi 22 % des voix à l’élection à la Constituante.
42Ce qui n’est pas le cas partout en France. Dans l’Ouest en particulier, il est l’un des éléments majeurs du « parti du mouvement » sorti de la Résistance.
43Bernis Roger, Roussillon politique, du réséda à la rose. 1. Le temps de la Quatrième (1944-19458), Toulouse, Privat, 1984, p. 242-244.
44Caron-Leulliez Marianne, « Le personnel politique des villes du Bas-Languedoc… », art. cité, p. 312, estime le rajeunissement à 8/6 ans pour l’ensemble des membres des délégations municipales des villes du Languedoc.
45Mencherini Robert, « Les Bouches-du-Rhône », in Gilles Le Béquec et Denis Peschanski (dir.), Les élites locales…, op. cit., p. 241.
46Nombre d’entre eux s’emploieront ou seront encouragés à livrer leurs souvenirs, offrant en quelque sorte leur parcours en modèle (ce que l’on ne retrouve dans aucune autre famille politique) : Girardot Pierre, La lavande et le Palais-Bourbon, Paris, Éditions sociales, 1980 (Girardot, cadre communiste clandestin, devient secrétaire fédéral du PC des Basses-Alpes et conseiller général en 1945. Il sera élu à plusieurs reprises député de ce département), Laurenti Jean, Carnets de bord d’un vétéran, La Trinité, Imprimerie de la Victoire, 1972 et Minetti Louis, De la Provence au Sénat. Itinéraires d’un militant communiste, Pantin, Le Temps des cerises, 2003 (tous deux ouvriers agricoles eux aussi et devenus sénateurs, l’un des Alpes-Maritimes, l’autre des Bouches-du-Rhône), etc. À noter la place que tient la Résistance dans cette ascension.
47Soldani a été l’un des responsables de la Résistance non communiste dans l’arrondissement de Draguignan ; on peut ajouter qu’il est fils d’immigrés italiens.
48En ce qui concerne ce changement de génération, voir Caron-Leulliez Marianne pour le Languedoc (« Le personnel politique des villes du Bas-Languedoc… », art. cité, p. 317). Soldani, élu dès 1947 au Conseil de la République, va rester plus de quarante ans au Sénat, d’autres sénateurs socialistes de Provence (Jean Geoffroy, Vaucluse, Alex Roubert, Alpes-Maritimes, etc.) et le communiste Léon David, Bouches-du-Rhône, appartenant à la même génération, presque autant (Guillon Jean-Marie, « Les sénateurs des départements provençaux au xxe siècle [1919-1986]. Un concentré des caractéristiques de la “classe politique” régionale ? », Cahiers de la Méditerranée, no 96, juin 2018, p. 33-48 [dossier « Les parlementaires méditerranéens. France, Espagne, Italie, xixe-xxe siècles », sous la direction de Pierre Allorant, Jean Garrigues et Jérémy Guedj]).
49Voir Dedieu Olivier, « La fédération socialiste de l’Hérault de 1944 à 1948 », Recherches socialistes, no 4, septembre 1998, p. 68.
50Menchérini Robert, « La fédération socialiste des Bouches-du-Rhône de 1944 à 1948 », Recherches socialistes no 4, septembre 1998, p. 17.
51Qui comme ceux de gauche émergent plus ou moins vite. Jean Francou à Salon-de-Provence qui adhère au MRP ou le maire d’Aix-en-Provence de 1945 à 1967 Henri Mouret (droite modérée) s’imposent à la Libération. D’autres atteignent la notoriété plus tard comme Maurice Arreckx, maire de Toulon de 1959 à 1985, président du conseil général ensuite, qui apparaît en politique en 1944 dans la délégation municipale comme (jeune) caution catholique poussé par l’évêque.
52Dedieu Olivier, « Raoul Bayou, député du vin », Pôle Sud, no 9, novembre 1998, p. 88-109.
53Sur Gaston Defferre, Ollivier Anne-Laure, « Notabilité et modernité politique. Le cas de Gaston Defferre, 1944-1986 », Histoire @ Politique, no 25, 2005, p. 103-119. Voir aussi Colombani Roger et Loo Charles-Émile, C’était « Marseille d’abord. » Les années Defferre, Paris, Robert Laffont, 1992.
Auteur
Professeur émérite d’histoire contemporaine à Aix-Marseille Université, membre du laboratoire TELEMMe.

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