5. Le journalisme social aujourd’hui : une spécialité infondée ?
p. 145-178
Texte intégral
1La mise en place de l’AJIS à la fin des années soixante et le travail de représentation du groupe des journalistes sociaux qu’elle a engagé depuis contribuent de manière certes non exclusive à la reconnaissance des journalistes de l’information sociale. Formée autour de la double figure du journaliste « militant » et du journaliste « technicien », cette spécialité est aujourd’hui encore établie : l’AJIS poursuit ses activités de représentation ; la rubrique s’inscrit toujours dans les colonnes de certains journaux ; le social structure encore des rédactions. Portée par un groupe, l’information sociale constitue un enjeu qui, tout en le dépassant, organise l’espace journalistique. C’est sur les mécanismes qui contribuent à faire exister – et perdurer – un groupe professionnel spécialisé et sur la manière dont il est aujourd’hui défini, représenté et mis en scène, qu’il convient de s’arrêter maintenant. Les contours du groupe des journalistes sociaux tels qu’ils se donnent à voir doivent être analysés au regard des profonds changements que connaît la profession journalistique depuis la fin des années soixante-dix. Ainsi, la transformation des représentations du groupe des journalistes sociaux, corrélative de l’arrivée à cette époque au sein de la spécialité d’agents dotés d’un capital scolaire plus important que celui de leurs prédécesseurs, semble au cours des années quatre-vingt/quatre-vingt-dix en voie d’achèvement. La figure du journaliste technicien expert des questions sociales, qui s’esquisse au moment de la mise en place de l’AJIS, semble dès lors s’imposer se conformant ainsi à l’évolution générale du champ journalistique. Cette victoire du journaliste technicien donne à penser la fin des journalistes sociaux au sens où les principaux fondements de leur identité, construite jusqu’alors autour d’une référence militante, sont gommés de la présentation et de la représentation que le groupe mobilisé cherche à donner de lui-même. Reste alors la réputation du groupe comme élément central de l’image qu’il se donne et qui lui est attachée.
Une victoire du journaliste technicien ?
2Chercher à rendre compte de la place des journalistes sociaux dans l’espace journalistique oblige à s’interroger sur la structure du groupe, c’est-à-dire sur les propriétés objectivées des agents qui le composent. Le nécessaire mais difficile passage par la sociographie précède ainsi un travail visant à saisir les logiques que déploient les acteurs dans la présentation qu’ils cherchent à imposer d’eux-mêmes.
Un portrait sociographique contrasté
3Comme l’ont mis en évidence d’autres chercheurs tel Yves Roucaute1, les journalistes sont d’autant plus hostiles aux regards extérieurs portés sur eux que ce regard est celui objectivant du sociologue qui, jusqu’à une période récente, a semblé se désintéresser de la « chose » journalistique. Parcours scolaires parallèles, bonne connaissance des sciences sociales, les journalistes estiment le plus souvent qu’ils n’ont guère besoin des sociologues pour réfléchir à leur propre situation. Les sociologues rendent d’ailleurs bien souvent la pareille aux journalistes accusés le plus souvent de simplifier leur pensée. Sans pouvoir régler ici cette question, on se limitera au constat que les relations entre les journalistes et les sociologues sont problématiques2 et que les conditions d’enquête dans le milieu journalistique toujours difficiles à partir du moment où il s’agit de dresser un portrait sociologique de ses membres. De fait, peu de travaux de référence existent ainsi en matière de sociographie de ce groupe professionnel, si ce n’est l’étude réalisée par l’IFP à la demande de la Commission de la carte professionnelle3 sur la population globale des journalistes. Ce travail ne fait malheureusement aucune référence aux spécialités qui la structurent. Comme d’autres, nous nous sommes heurtés aux réticences des journalistes à se prêter à l’exercice sociologique du questionnaire. Les expériences lancées se sont révélées dans ce domaine un échec4. À cela s’ajoute que les résultats obtenus – si tant est qu’on les obtienne – puissent être comparer à d’autres enquêtes, sur d’autres « sous-groupes » journalistiques.
4Faute d’un travail de première main – et en respectant les précautions d’usage – c’est une enquête réalisée en 1991 sous la direction des membres de l’AJIS qui s’est révélé l’instrument le plus sûr pour dresser un portrait sociographique encore très imparfait de la population des journalistes sociaux. Complétées par d’autres instruments – tels l’usage de dictionnaires biographiques – ces statistiques, avec toutes les limites qu’elles imposent, offrent la possibilité de générer de nouvelles questions et de dépasser les représentations communes mais aussi sociologiques d’un groupe – celui des journalistes sociaux – essentiellement abordé au travers de sa position « dominée ». Au-delà d’une approche purement monographique, l’étude de l’AJIS permet ainsi une rupture avec une vision spontanée du groupe des journalistes sociaux5 telles qu’elle s’impose notamment dans l’ensemble des travaux utilisés ultérieurement pour analyser les fondements de la réputation du groupe professionnel étudié. Un « test » préalable visant à juger de la fiabilité des réponses obtenues par l’association auprès de ses adhérents semblait néanmoins nécessaire avant d’user dans ce sens de « l’enquête AJIS » de 1991. Ce test consiste ici à évaluer la représentativité du questionnaire en rapportant la structure des réponses obtenues par le questionnaire aux propriétés structurelles de la population (sexe et positions éditoriales) telle qu’elle se dessine dans l’annuaire 1990 de l’association. L’analyse des différences entre la population de ceux qui ont répondu au questionnaire et la structure du groupe des journalistes sociaux, telle que la met en évidence l’annuaire, permet d’évaluer la pertinence des interprétations possibles6.
5L’Annuaire AJIS 1990 présente deux cent vingt-trois adhérents sommairement identifiés par leur nom, leur prénom, parfois leur photo et leur employeur (presse, télévision, indépendants, etc.). Sur ces 223 adhérents déclarés, 58 ont répondu au questionnaire lancé par un groupe de travail dirigé par le président de l’AJIS, soit environ un quart de la population totale. Au niveau de la répartition par sexe, 51 % des réponses au questionnaire proviennent des hommes, alors que l’annuaire indique que les adhérents AJIS sont en 1990 à plus de 60 % des hommes. Les réponses féminines, 49 %, sont donc sur-représentées dans le questionnaire par rapport aux réponses masculines. Au niveau du statut, on constate une répartition équivalente des pigistes dans l’annuaire et pour le questionnaire : constituant 11 % des réponses au questionnaire, ils représentent 10,5 % de la population AJIS. Au niveau de la répartition par type de presse, les catégories retenues par le questionnaire ont dû être réaménagées pour permettre la comparaison7.
6La distribution par type de presse de ceux qui ont répondu au questionnaire est donc comparable à celle des membres de l’AJIS recensée par l’annuaire. On peut donc considérer que la population des journalistes qui ont répondu au questionnaire est, exception faite de la sur-représentation féminine, représentative de l’ensemble des adhérents de AJIS. Comparer les résultats mis en évidence par l’enquête AJIS à ceux obtenus sur la population journalistique, telle que la décrit l’enquête IFP de 1992, permet d’apprécier quelle est la position des adhérents de l’AJIS dans le champ journalistique. Une fois n’est pas coutume, cette opération qui consiste à comparer les propriétés d’un groupe de spécialistes (les journalistes sociaux) à une population globale (la population journalistique) doit être opérée avec prudence. En effet, il aurait fallu pouvoir comparer la population des membres de l’AJIS à celle des adhérents d’une autre association de presse et non de « l’ensemble des journalistes ». Le filtre de « l’association » donne à penser que les journalistes de l’AJIS ont, par rapport à la population journalistique dans son ensemble, des spécificités tenant justement à cet « engagement ». En l’absence de tout autre instrument de comparaison, il est très difficile d’apprécier quel est le degré de particularité des journalistes qui s’engagent dans une association professionnelle, donc de mesurer si les particularités des membres de l’AJIS révèlent la spécificité des journalistes sociaux ou de ceux qui adhérent à une association journalistique. Les caractéristiques des journalistes ayant répondu au questionnaire AJIS seront donc considérées comme les caractéristiques moyennes des journalistes sociaux et peuvent, en ce sens, être rapportées aux positions moyennes de la population journalistique telle qu’elle est décrite par l’enquête IFP.
7L’enquête AJIS aborde de manière systématique plusieurs types d’éléments : le sexe, la formation, la fonction (le statut), les salaires, le lieu de travail et enfin les thèmes les plus souvent traités par ces journalistes. D’autres, tels que le « parcours » ou l’engagement dans l’association, ne sont abordés que de manière très allusive et difficilement utilisable8. Nous avons retenu parmi les principaux indicateurs, les deux permettant d’apprécier le plus finement la place des journalistes sociaux dans l’espace journalistique à savoir : leur capital culturel, apprécié ici en terme de formation et de manière plus anecdotique, une dimension parmi d’autres et par ailleurs assez réductrice de leur capital économique, apprécié ici en terme de salaire. Pour ces deux indicateurs, la position des journalistes adhérents de l’AJIS est plus avantageuse que celle de l’ensemble de la population journalistique. Du point de vue du salaire, on constate d’abord que les journalistes sociaux sont mieux rétribués que la moyenne des journalistes.
8Les journalistes sociaux qui ont répondu aux questionnaires sont en effet moins nombreux que l’ensemble des journalistes à toucher moins de 12 000 francs par mois (22 % pour la population AJIS, 40 % pour les journalistes en général) et plus nombreux à toucher plus de 12 000 et même plus de 20 000 francs par mois (51 % et 23 % pour la population AJIS, 43,2 % et 15,5 % pour les journalistes en général). Cette situation est d’autant plus remarquable que suivant les logiques du marché du travail (auquel n’échappent pas, comme le montrent les auteurs de l’enquête sur les journalistes français, les salariés des entreprises de presse), les femmes ont en général des salaires moins élevés que les hommes et que l’âge détermine la position occupée sur l’échelle des salaires. Or, la population des journalistes de l’AJIS qui ont répondu au questionnaire se caractérise par sa « jeunesse9 » et par la proportion importante de femmes10. En ce sens, leur niveau de revenu est d’autant plus remarquable qu’ils se recrutent parmi ceux qui sont habituellement les moins rétribués. De plus, la féminisation et la « jeunesse » de ceux qui ont répondu au questionnaire expliquent aussi qu’ils soient plus diplômés que leurs confrères.
9Plus récemment entrés dans la profession – comme le montre leur jeunesse – ils doivent, suivant l’évolution générale du recrutement journalistique aujourd’hui, être ainsi plus diplômés11. Le fait d’appartenir pour une grande partie d’entre eux à la presse spécialisée (65 % des adhérents de l’AJIS recensés par l’annuaire et 64,7 % des réponses au questionnaire), essentiellement juridique, du type Liaisons sociales, Légi-social, ou les Éditions Francis Lefèvre, explique aussi leur niveau de diplôme. Issus à près de 40 % des universités de droit et à près de 23 % d’un cursus économique, ils disposent ainsi d’une formation essentiellement technique (ils ne sont que 16 %, selon l’enquête AJIS, à avoir suivi un cursus de lettres contre 20 % pour la population globale des journalistes). L’enquête signale de la même manière qu’ils sont 29 % à être issus des écoles de journalisme (contre 19,5 % pour la population globale).
10L’analyse quantitative offre ainsi un portrait sociographique contrasté des adhérents de l’AJIS, dont les propriétés objectives sont finalement assez proches de celles du groupe professionnel pris dans son ensemble, et apparaît même sous certains aspects plus favorisés. Au-delà du constat que les journalistes sociaux disposent d’un capital culturel objectivé dans un diplôme et d’un capital économique relativement importants, encore faut-il – et nous rejoignons ici la notion de capital symbolique définie par Pierre Bourdieu12 – que ces « différentes espèces de capital13 » soient « perçues et reconnues comme légitimes14 ». C’est donc à la façon dont les journalistes sociaux mobilisent, dans la présentation qu’ils font d’eux-mêmes, les différentes ressources dont ils disposent effectivement, qu’il convient de s’intéresser maintenant.
Présentation de soi et redéfinition de l’espace journalistique
11Si l’approche externe du groupe permet de dessiner, certes de manière imparfaite, ses contours sociographiques et de rompre avec une vision par trop spontanée de ce dernier, elle reste largement insuffisante car elle ne permet pas de saisir comment ceux qui sont aujourd’hui reconnus – et se reconnaissent – comme journalistes sociaux cherchent à s’imposer dans l’espace journalistique une identité professionnelle spécifique. Les processus essentiellement discursifs dont ils usent pour exister dans un « monde social15 », le monde journalistique auquel ils appartiennent et dont ils doivent en même temps se distinguer pour exister doivent donc être analysés. Ils renvoient aux mécanismes de construction d’une identité pour soi, parfois différente de celle construite pour autrui.
12Les difficultés relatives à l’obtention de renseignements biographiques systématisables sont les mêmes que celles évoquées précédemment, lorsqu’on cherche à recueillir par entretien ce type de renseignements. « Professionnels de l’entretien », « donneurs d’avis », les journalistes répugnent généralement à parler de leur propre parcours social et biographique, d’autant plus que l’entretien sollicité se déroule dans le cadre défini par la situation d’enquête. Pourtant, au-delà de ces résistances certains éléments biographiques sont mobilisés au cours de l’entretien pour décrire la situation professionnelle. C’est la mobilisation de ce type d’éléments, dans la situation cadrée que représente l’entretien de recherche, qui devient dès lors particulièrement intéressante. En effet, à partir d’une consigne d’entretien qui était la même16, deux grandes catégories de réponses mobilisant des registres entièrement différents de construction de l’identité peuvent alors être alors produites par les journalistes interrogés. Les premières empruntent aux aspects « privés » leur biographie. Les récits sont alors centrés sur le poids de leurs origines familiales dans la détermination de leur choix professionnel17. Les secondes font quant à elles référence à la formation suivie avant l’entrée dans le journalisme, et plus rarement, aux compétences acquises avant la spécialisation dans le social. Bien que non exclusive, la mobilisation de ces différents éléments renvoie le plus souvent à des trajectoires et à des positions professionnelles typiques : d’un côté, celles qu’on peut considérer comme marginales au regard des valeurs dominantes de l’espace journalistique ; de l’autre, celles de journalistes ayant un parcours social et professionnel plus conforme aux représentations dominantes de cet espace.
13L’évocation des origines sociales au cours de l’entretien s’inscrit en effet dans un registre bien spécifique : ce n’est pas directement la profession des parents qui est évoquée mais leur engagement politique – le plus souvent, mais pas uniquement, au Parti communiste – qui fait sens dans les discours des journalistes décrivant leur parcours professionnel. Il ne s’agit pas d’affirmer que cette variable, l’engagement des parents dans un mouvement politique, conditionne et/ou détermine les choix de ceux qui l’évoquent, mais plutôt de considérer cet élément comme participant du processus d’affirmation de sa propre compétence professionnelle. Ceux qui mobilisent l’engagement de leurs parents sont ceux qui occupent, à la fois du fait de leurs propres attributs sociaux – diplôme ou sexe par exemple – mais aussi de leur appartenance professionnelle, une position peu valorisée au regard des valeurs dominantes de l’espace journalistique. Cette mise en avant de l’engagement des parents est par exemple la composante essentielle – mais non exclusive – de l’identité professionnelle des journalistes travaillant pour des journaux politiques ou syndicaux.
« Je venais d’un père que je revendique fortement comme militant syndical CGT, à la belle époque de 36, d’abord la CFDT n’existait pas où je crois qu’il y avait encore beaucoup d’illusions à se faire et mon père se les faisait toutes. Moi j’ai jamais fait le parcours par la CGT, ni par le Parti communiste et je m’en félicite tous les jours mais j’ai sans doute été très imprégnée par cette culture-là, il n’y a pas l’ombre d’un doute et ça me sert beaucoup » (journaliste femme, rédactrice en chef d’un hebdomadaire syndical, licence de lettres).
« Mon père, mon grand-père étaient communistes. Pas militants, mais ils étaient communistes. Dans une ville comme Saumur très bourgeoise, où il y a des inégalités sociales flagrantes, il était presque naturel qu’ils soient communistes » (journaliste, homme, rédacteur dans un hebdomadaire syndical, études supérieures [histoire/IUT de journalisme] interrompues sans l’obtention d’un diplôme).
« J’ai adhéré très jeune au Parti communiste ce qui d’ailleurs n’était pas du tout évident, j’ai eu la chance ou la malchance de ne pas avoir eu des parents communistes. C’était très loin de mon histoire familiale. Ma famille c’est des gens des républicains du côté de mon père une tradition radicale socialiste. Mon père lui-même a presque toujours voté socialiste. Il votait communiste mon père quand les socialistes étaient vraiment… En 1958 il a voté communiste, en 1969 il a voté Duclos parce que Defferre c’était vraiment… Du côté de ma mère c’était une tradition catholique de droite. D’ailleurs le paradoxe qui n’est qu’apparent c’est que du côté de mon père c’était une paysannerie aisée et du côté de ma mère c’était une paysannerie très pauvre. Et les pauvres étaient à droite. C’est pas si paradoxal que ça. Voilà j’ai adhéré au PC. J’avais quatorze ans en 68 » (entretien chef de service dans un quotidien politique, maîtrise d’histoire).
14Largement développée s’agissant des journalistes disposant pas ailleurs d’un capital scolaire moins valorisé, la référence au militantisme des parents est plus difficilement mobilisable lorsqu’elle intervient dans le discours de journalistes « militants », mais détenteurs par ailleurs d’autres ressources. C’est le cas par exemple pour ce rédacteur d’un mensuel syndical, diplômé d’une maîtrise d’histoire et du CFJ :
« Q : Et vous êtes militant depuis quand ? (silence) Quand vous étiez étudiant ?
R : Non quand j’étais étudiant, je ne militais pas, je ne militais pas non. Non je ne militais pas. J’ai adhéré… ma première carte, c’est au PS, c’était en 75. Avant j’étais sympathisant au PS. Mes parents étaient communistes.
Q : Vos parents étaient militants…
R : Pas en France. Mes parents ont été militants à l’étranger.
Q : Vous viviez donc dans un milieu politisé ?
R : Oui. J’ai vécu dans un milieu très marqué » (rédacteur dans un mensuel syndical, diplômé d’une maîtrise d’histoire et du CFJ).
15La mobilisation du militantisme « originel » peut donc se comprendre au regard de l’engagement actuel ou présumé de celui qui l’évoque. Le fait d’avoir ou non des parents engagés renvoie donc ici plus spécifiquement à l’identité militante actuelle de ceux qui mettent en avant ce type de ressources et non à leur identité spécifiquement professionnelle. Appuyer son militantisme – engagement dans une centrale syndicale ou au PC – sur sa propre histoire constitue un mode privilégié de légitimation de l’engagement18. Cependant n’étant pas uniquement le fait de journalistes explicitement engagés, ni même celui de tous les journalistes engagés que nous avons rencontrés, ce type d’analyse doit être d’autant plus nuancé que les conditions de l’entretien portaient avant tout sur la description du parcours professionnel.
16Cependant l’engagement parental dans les organisations politiques n’est pas le seul évoqué. Avoir recours à la « famille » pour décrire son parcours professionnel constitue pour des journalistes ayant à justifier de leurs qualités de journaliste professionnel et de leurs compétences à parler du social, une ressource qui est pour eux pertinente et mobilisable. Ainsi, ce journaliste ayant lui aussi commencé sa carrière dans les années cinquante, aujourd’hui rédacteur dans une publication interne d’un organisme public après s’être occupé du mensuel « grand public » de cet organisme, présente ses origines familiales comme un gage de sa légitimité à intervenir sur les questions sociales dont il a la charge :
« La famille… c’est-à-dire que la famille, la famille, la famille, oui la famille pratiquait le social… le pater… encore une fois ça faisait parti des traditions familiales mais c’était du social charitable. Bon je ne peux pas vous dire que j’apprécie ou non mais j’étais entraîné à… le social n’était pas étranger à moi… mais c’était le social charitable.
Q : C’est-à-dire ?
R : Ah ben… les bonnes œuvres… vous voyez » (journaliste, publication interne d’un organisme public, diplômé du CFJ).
17C’est ce mode de présentation de soi que l’on retrouve de la même façon chez ce journaliste, provisoirement sans publication, attaché à une revue syndicale en voie de transformation :
« Personnellement, moi mon itinéraire personnel, je me suis intéressé aux questions sociales très jeune, je suis originaire de Millau dans l’Aveyron et donc, une famille de gantier qu’est ce que vous voulez faire je sais pas des gants mais donc depuis trois générations, mon père, mon grand père, mon arrière grand père étaient gantiers moi j’ai pas suivi parce que le métier de gantier c’est pas un métier » (journaliste revue syndicale mensuelle, maîtrise d’économie à la Faculté catholique de Paris, DEA d’histoire sociale à Paris I).
18Prioritairement mobilisées par des journalistes occupant une position professionnelle incertaine, les origines familiales qu’elles soient ou non axées sur l’engagement politique des parents constituent pour une partie d’entre eux une ressource encore dicible et en quelque sorte valorisée même si le mode privilégié d’accès à la profession est aujourd’hui, comme le montrent les études sociographiques sur la profession journalistique en général et sur les journalistes sociaux en particulier, largement « conditionné » par l’obtention d’un titre scolaire qui représente le second mode de présentation que les journalistes adopte d’ailleurs le plus fréquemment au cours des entretiens.
19En effet, si l’évocation des origines sociales s’accompagne dans certains cas d’une mention même de manière accessoire19 des diplômes obtenus ou de la formation suivie, à l’inverse ceux qui mobilisent initialement leur parcours scolaire ne font ensuite aucune référence à leur biographie préscolaire. Ce mode privilégié de présentation de soi ne se distribue pas au hasard. Il est le fait des journalistes occupant les positions les plus conformes aux représentations dominantes de l’espace journalistique – journaliste de la presse généraliste, journaliste TV ou radio –, ou des journalistes spécialisés de la presse technique essentiellement juridique, dont les connaissances scolaires sont directement rattachables à l’exercice pratique du métier.
Une identité professionnelle déclinée autour du diplôme ou de la formation
Les réponses obtenues le sont à la question :
Comment êtes-vous devenu journaliste ?
1. « J’ai 36 ans je suis journaliste depuis 1982. J’ai fait le CFJ. Avant d’être journaliste j’ai fait une fac de droit en province à Angers. J’avais du droit social, du droit de la sécurité sociale. Ça m’avait pas mal intéressé déjà. Ensuite parallèlement à cela j’ai travaillé à Ouest-France dans une rédaction locale d’Angers comme pigiste. Je faisais toutes sortes de choses. J’étais un peu la petite main du weekend notamment. Après ça j’ai donc fait le CFJ entre 1980 et 1982 et je suis rentré à Europe 1 par l’intermédiaire de la bourse LOGA qui est un concours organisé tous les ans et qui oppose les élèves de différentes écoles de journalisme reconnues par la convention collective des journalistes. Et le lauréat de ce concours gagne son embauche à Europe 1. Je n’ai pas commencé à faire tout de suite du social. J’ai d’abord suivi un parcours initiatique que suivent tous les jeunes reporters arrivant dans cette maison… c’est-à-dire que j’ai fait Rosny-sous-Bois, les flashs de nuit, les flashs de jour. J’ai présenté des journaux à toutes les heures du jour et de la nuit » (reporter dans une radio périphérique).
2. « Je suis allé au Lycée Lakanal à Sceaux. Ce qui m’intéressait le plus c’était les études littéraires et en particulier l’histoire géographie et je crois que ça à un lien direct toute la vision historique des choses… donc j’ai passé le bac comme tout le monde ensuite j’ai fait à la fois… un Duel de sciences éco à Assas et histoire… et puis en fait j’ai continué histoire j’ai fait une licence d’histoire à Paris I… et c’est là… j’avais déjà eu Soboul… Fossier pour le Moyen Âge enfin des types qu’étaient un peu des grands profs il faut le dire… et puis j’ai fait la licence j’ai fait la maîtrise sur la révolution française… et j’ai fait un DES… sur révolution et contre révolution à Saumur…
Q : Un DES ?
R :Oui l’année après la maîtrise… et puis en même temps j’ai fait sciences po » (rédacteur en chef et présentateur d’une émission télévisuelle du matin).
3. « J’ai donc fait des études supérieures après le bac en écartant assez vite l’option école de journaliste parce qu’à l’époque ça n’était pas ce qu’il y avait de plus considéré… pour entrer dans le journalisme il fallait mieux faire des études comme science po donc j’ai fait sciences po… j’ai fait en parallèle une maîtrise de droit toujours avec un objectif très précis de rentrer dans la presse… après mes études et là… on peut dire que j’avais deux centres d’intérêt particuliers qui étaient la politique, la science politique, et les questions sociales, je m’intéressais beaucoup à ce moment là aux questions sociales et donc j’avais à ce moment là une dominante… science politique à sciences po et droit du travail questions sociales en droit… et bon après ça a été un peu un concours de circonstances » (chef de service économie/social dans un quotidien national).
4. « Et bien tout bêtement moi j’ai fait une école de journalisme à Lille voilà c’est comme ça que je suis devenu journaliste… [rire] tout bêtement » (pigiste, ancien rédacteur dans une publication syndicale destinée aux cadres, puis rédacteur en chef d’un journal mutualiste).
5. « On ne peut pas dire que je sois journaliste social de formation… parce que je crois qu’il n’y a pas de formation de journaliste social… c’est une première chose moi j’ai fait une école de journalisme j’étais à Lille j’ai fait une licence de droit et j’ai fait science po à Paris dans la section économique et social ça s’appelait comme ça à l’époque… mais qui formait des généralistes de l’information qui n’avait pas du tout une coloration sociale » (rédacteur dans un quotidien économique).
6. « Tout simplement en sortant de mes études de droit… j’ai répondu à une annonce à laquelle je ne croyais pas du tout parce que c’était un entrefilet depuis on fait beaucoup mieux chez [nom de la maison d’éditions qui l’emploie]… et à l’époque c’était une toute petite annonce ça faisait journal d’annonce gratuite… j’ai répondu quand même ils demandaient un spécialiste de droit du travail et c’est là dessus que j’avais fait ma maîtrise à Paris I et puis voilà » (rédactrice dans une maison d’édition juridique).
7. « J’ai fait une maîtrise d’AES ou j’ai abordé quand même le thème social ensuite je suis passé en droit ou j’ai fait droit de la sécu… quand même un petit fonds social. […] C’était une maîtrise de droit à Nanterre mais c’était privé c’était pas du tout orienté vers le droit social et le hasard d’être arrivé ici » (rédactrice dans un hebdomadaire spécialisé en protection sociale).
8. « Moi ce que j’ai remarqué c’est que quand j’étais à Sciences po, au début de la troisième année on doit faire un stage d’un mois dans une entreprise. Et moi j’étais pistonné pour faire un stage d’un mois au service des affaires sociales de l’AFP. C’était en septembre 77. Je suis allé dans ce service de l’AFP. C’était un des services phares de l’AFP, beaucoup plus que le service économique parce que c’était un service plus politique » (rédacteur quotidien national).
20Majoritairement détenteur d’un capital culturel objectivement sanctionné, les journalistes sociaux contribuent, en le mettant en avant dans la présentation qu’ils font d’eux-mêmes, à lui donner une légitimité particulièrement forte. En faisant de leur diplôme une ressource pertinente dans l’exercice de la profession journalistique, ils ne font ainsi qu’entériner une représentation dominante de l’excellence journalistique qui privilégie à l’heure actuelle, une bonne connaissance des dossiers ou une maîtrise de leurs aspects les plus techniques. Ils inscrivent de fait la définition du groupe des journalistes sociaux dans la lutte plus large autour de la définition du journaliste professionnel20.
21La nécessité d’une formation comme critère de « professionnalité » journalistique est largement intériorisée. Le suivi d’un stage au CPFJ – le Centre de perfectionnement du CFJ – constitue pour des agents devenus journalistes après une expérience professionnelle préalable un fondement essentiel de leur compétence et de leur légitimité journalistique. Ainsi, cette journaliste rédactrice en chef d’une revue d’association d’aide aux migrants, ancienne assistante sociale passée au service communication avant d’occuper son poste de journaliste, présente sa formation (d’abord une maîtrise de science de la communication puis un stage de deux ans au CPFJ) comme un élément explicitement stratégique :
« J’ai négocié à l’époque pour pouvoir faire une formation. J’avais fait avec des formations de cadres une maîtrise en sciences et techniques de la communication donc j’avais déjà des éléments en terme de communication. […] Pour le poste communication j’avais quelques éléments de base ; par contre pour l’aspect journaliste j’avais négocié : moi je veux bien être journaliste mais je veux faire une formation. Donc j’ai suivi le cycle de formation long à l’école de la rue du Louvre le CPJ. J’ai suivi ça religieusement pendant deux ans en formation continue en continuant mon activité.
Q : Ça vous semblait important la formation.
R : Pour moi oui.
Q : Et pourquoi ?
R : Je sais pas. Ça correspond à des techniques qui sont bien particulières : bon déjà tous ces aspects un peu marketing et puis surtout l’apprentissage des techniques pour être lu, l’apprentissage des techniques pour être accrocheurs, des techniques de l’interview, de rédaction des articles. Après ça permet de négocier avec les auteurs même quand on écrit pas soi-même […] d’autre part moi je crois que comment dire… ça donne aussi une facilité de contact avec les collègues, les homologues dans d’autres types de structures soit de journaux soit de médias en général. Enfin moi ça m’a beaucoup facilité les choses. Le fait d’être journaliste à part entière d’avoir une carte de presse d’être dans tout le réseau journalistique de Paris, du moins le réseau spécialisé, mais disons il me semble que ça facilite. Bon ben ça c’est au niveau extérieur mais au niveau interne comme en fait ici les trois quarts des personnels sont des travailleurs sociaux moi je crois que c’était important que la personne qui s’occupe de la revue et donc d’un service ait une légitimité professionnelle si vous voulez […]. C’est aussi une démarche personnelle. Quand je prends une activité nouvelle j’aime bien l’asseoir sur une base de connaissance et relationnelle » (rédactrice dans un hebdomadaire spécialisé en protection sociale).
22À l’inverse, l’absence de formation universitaire ou journalistique peut être parfois présentée (et ressentie) comme un manque et un frein à l’évolution de la carrière. Un journaliste arrivé dans un hebdomadaire spécialisé, après avoir été éducateur présente ainsi comme un « problème » le fait de ne pas disposer d’une formation spécifique qu’il associe à la professionnalité du journaliste :
« Q : Vous avez donc répondu à une annonce ?
R :Oui, l’occasion s’est présentée et je l’ai saisie sinon je serais sans doute encore éducateur ou je ne sais pas ce que je ferais parce que c’est vrai les postes qui ne sont pas réservés aux journalistes qui ne sont pas formés qui n’ont pas fait sciences po ni le CFJ, etc., il n’y en a pas beaucoup, la concurrence est rude… quand même donc voilà j’ai débuté en novembre 92 plus de deux ans bon j’ai pas une expérience énorme dans le métier et c’est vrai et pour moi ce qui était difficile c’était de changer dans ma tête, de changer de métier justement, de changer de logiques professionnelles parce que ce n’est pas du tout les mêmes métiers il a fallu que je réapprenne tout entièrement… des logiques différentes la logique de recherche de l’information… la présentation de l’information la proximité… etc. enfin bon… je ne connaissais rien du tout… donc voilà où j’en suis.
Q : Vous n’avez pas fait de formation à votre arrivée ?
R :Non formation sur le tas… il faut dire que quand même il y a une bonne partie des journalistes qui n’ont pas fait d’école… et qui ont été formés sur le tas c’est de moins en moins vrai pour les jeunes je crois mais quand même… enfin ce n’était pas in-envisageable […] surtout qu’on est hebdo ça veut dire que toutes les semaines il faut que ça sorte… donc ça tient essentiellement à ça et à une volonté de la direction… de l’époque […] c’était pas des gens du métier les anciens propriétaires… ni du social ni du journalisme… c’était des gens qui avaient hérité de l’affaire et pour eux la professionnalité du journaliste c’est un truc qui leur passait largement au-dessus de la tête sinon on m’aurait peut-être proposé effectivement… mais bon en fait j’ai appris et j’apprends toujours d’ailleurs comme ça… c’est en forgeant qu’on devient forgeron21… »
23Cependant, si le diplôme constitue pour tous un « biais » leur permettant d’aborder la description de leur parcours professionnel, le contenu des études suivies distingue d’un côté les journalistes de la grande presse et de l’autre ceux de la presse spécialisée. L’approche sociographique qui uniformisait la détention de diplômes supérieurs peut donc ici être nuancée : si les journalistes de la presse spécialisée sont plutôt détenteurs d’un diplôme universitaire élevé (maîtrise, DEA), les journalistes de la presse généraliste se recrutent quant à eux plutôt parmi les diplômés d’écoles telles que l’IEP, le CFJ ou l’École supérieure de journalisme de Lille. Pourtant, cette distinction quant au type d’études suivies apparaît moins pertinente dans les conceptions qu’ils se font de leur métier que celles qui les « opposent » aux journalistes revendiquant, comme composante essentielle de leur identité, un héritage militant. Il s’agit pour ceux dont la place dans la profession est la moins reconnue, à la fois du fait de leur trajectoire et de leur position éditoriale, de redéfinir à partir de leurs propres ressources les frontières d’un espace professionnel qui tend à les marginaliser.
24Les éléments « objectifs » permettant d’apprécier les contours du groupe des journalistes sociaux renvoient ainsi l’image d’un groupe professionnel actuellement dominé par les diplômés, occupant largement des postes – notamment dans la presse spécialisée – dans lesquels la formation, la compétence technique est une ressource centrale. Si coexistent encore aujourd’hui à l’intérieur du groupe, tel qu’il se présente à l’analyse, les deux figures du journaliste social (à savoir d’un côté un journaliste « technicien » de l’autre un journaliste « résistant » et plus « militant »), les rapports de forces semblent aujourd’hui largement marqués par la domination des premiers aux dépens des seconds. Les représentations que les journalistes se font de leur propre rôle s’en trouvent dès lors modifiées. Rompant avec l’image traditionnelle du journaliste « engagé », la définition des frontières internes du groupe passe désormais par une valorisation de savoirs experts. Le militantisme ou l’engagement syndical ou politique, principe fondateur de la légitimité à intervenir sur le social, apparaît désormais largement remis en cause et même dénoncé.
« Un journaliste politisé pour moi c’est pas un journaliste. L’information au public c’est pas une information politique l’information c’est pas du militantisme. Quand vous prétendez informer un public tous azimuts, c’est-à-dire avec tout l’échantillon du spectre politique, il faut savoir mettre dans sa poche ses opinions pour privilégier cette volonté d’informer » (journaliste quotidien national, maîtrise d’histoire).
25La volonté affichée, comme le résume un journaliste chef de service dans un quotidien national et ancien président de l’AJIS, est de rompre explicitement avec la réputation « militante » du groupe telle qu’elle était jusqu’alors constituée, notamment parmi leurs informateurs :
« Avant les journalistes sociaux étaient considérés comme des militants par les chefs d’entreprise. Autrement dit là où le journaliste social passait dans les jours qui suivaient la publication de son papier, il y avait une grève. Alors je crois que cette image-là était fausse, qu’elle était excessivement exagérée… que ça servait souvent d’alibi aux employeurs qui d’une manière générale ne voulaient pas que les journalistes entrent dans les entreprises et qu’en tout état de cause même s’il pouvait arriver que certains comportements de journalistes sociaux prennent pied sur les critiques qui leur étaient faites. Cette image n’est plus du tout valable aujourd’hui » (chef de service économie social d’un quotidien national, diplômé de l’IEP de Paris).
26Cette rupture avec la légitimité traditionnelle du journaliste social n’est d’ailleurs pas ici clivée par l’appartenance à une publication politique ou syndicale. Ceux qui de par leur statut pourraient s’appuyer sur leur bonne connaissance des milieux syndicaux pour affirmer leur compétence rejettent eux aussi la composante militante de leur identité.
« Je crois qu’il y a plusieurs dimensions différentes. Je me considère comme un journaliste je fais un métier. Je ne suis pas ici comme un responsable politique je suis journaliste » (journaliste, chef de service dans un quotidien national « politique » maîtrise d’histoire).
« Je ne pense pas que le fait soit neutre. Dans une actualité on choisit effectivement les faits, mais nous voulons essayer de donner une palette de tous les élément pour essayer de juger une situation même si quand c’est évidemment des gens qui ne partagent pas notre opinion. Chirac fait un discours sur le social personnellement comme militant ça me hérisse, mais je pense qu’il faut donner l’intégralité enfin l’intégralité le sens, plutôt que l’intégralité le sens général de ce qu’il dit. Ensuite on porte les appréciations qu’on veut. On veut essayer de tendre vers ça » (chef de service dans un quotidien national « politique »).
« Je peux être militant dehors, ici je ne suis pas militant. Je suis militant dans le sens ou j’ai choisi de travailler ici, ça c’est un peu militant. Sinon demain, je peux être journaliste dans un autre journal, je resterai militant (dans la centrale syndicale qui publie le magazine qui l’emploie), sauf si je la quitte pour des raisons de fond. Alors là j’aurais rompu avec le syndicat aussi. Mais moi je dirais, je suis militant et je travaille dans un journal syndical. Vous savez ça fait longtemps maintenant que même les infirmières ne sont plus bonnes sœurs. Et les journalistes qui travaillent dans tous les journaux syndicaux c’est pareil je crois ce sont des journalistes, ils sont militants mais ce sont avant tout des journalistes. Patrick Poivre d’Arvor jusqu’il n’y a pas très longtemps était au parti de Giscard d’Estaing. On ne lui demandait pas s’il était militant ou journaliste » (journaliste dans un mensuel syndical, diplômé du CFJ et maîtrise d’histoire).
27Ainsi être journaliste/militant n’est plus présenté comme un moyen d’obtenir – notamment auprès d’autres militants appartenant à son organisation – l’accès à des informations privilégiées.
« Q : Et ça vous facilite le travail d’être dans un journal comme le vôtre ? Lorsqu’il y a des grèves par exemple ?
R : C’est vrai que dans toute une série de conflits on garde des contacts parce que aussi on a un lien humain qui s’est construit au fil des années avec des militants syndicaux et des salariés. Quelquefois on a des accès privilégiés à l’intérieur de l’entreprise, ce qui n’est pas le cas pour d’autres journalistes. Mais on est pour l’essentiel dans une situation comparable de celle des confrères lorsqu’on traite un conflit » (chef de service dans un quotidien national « politique »).
28La figure du « journaliste militant » n’est donc plus pour les journalistes sociaux une figure légitime, comme elle avait pu l’être dans la première partie du XXe siècle, ou distinctive comme elle le fut pour les journalistes fondateurs de l’AJIS. La transformation du recrutement des journalistes explique en partie ces modifications. L’accès au journalisme, même au journalisme « d’opinion », est en effet aujourd’hui largement dépendant d’un titre scolaire. Que ce soit à L’Humanité ou dans les journaux syndicaux, les journalistes que nous avons rencontrés ont certes un parcours militant, mais ce dernier s’accompagne de la détention de titres scolaires équivalents, ou presque, à ceux détenus par les journalistes de la grande presse. Les deux journalistes de L’Humanité que nous avons rencontrés possèdent chacun une maîtrise d’histoire et leur histoire militante est largement confondue avec leur parcours professionnel (les deux furent membres de l’Union des étudiants communistes et l’un fut rédacteur en chef de Clarté). Cette homologie de parcours scolaire entre journaliste de la presse syndicale ou militante et ceux de la presse généraliste ou spécialisée, facilite d’ailleurs le passage d’un type de presse à l’autre. Il est ainsi possible – même si cette reconversion est parfois jugée difficile22 –, qu’un journaliste responsable d’un supplément d’un quotidien national ait eu au préalable une carrière de dix ans dans un hebdomadaire syndical ; qu’un autre journaliste détenteur d’un DEA de droit soit passé successivement par une publication syndicale, puis au Quotidien de Paris et occupe actuellement un poste de rédacteur social dans un quotidien national ; qu’un troisième, diplômé d’une licence d’histoire-géographie et de l’ESJ de Lille, commence son parcours professionnel dans un mensuel syndical pour partager actuellement son temps entre un quotidien national et une lettre sociale « confidentielle ».
29Il ne s’agit pas de dire que le passage par une école ou par l’université aurait un effet d’homogénéisation des représentations que les journalistes se font de leur propre rôle, mais simplement de souligner que la détention d’un capital scolaire participe en même temps qu’il accompagne des mécanismes objectifs et symboliques de redéfinition du groupe concerné par ces transformations. Les journalistes sociaux ne se vivent plus comme militants du mouvement social, même s’ils sont encore parfois vécus et présentés comme tel, mais investissent d’autres critères d’excellence, ceux qu’ils peuvent, de par leur trajectoire, mobiliser. Le savoir-faire militant laisse ainsi place à un faire-savoir fondé sur l’expertise.
30Quelle que soit leur trajectoire ou leur position professionnelle, la légitimité des journalistes sociaux semble aujourd’hui s’affirmer dans les entretiens individuels par un recours de plus en plus fréquent à des éléments tendant à prouver leur expertise dans le domaine social qu’ils sont amenés à traiter. Ainsi, l’affirmation de sa propre compétence technique qui permet de comprendre les questions sociales dont on a à traiter, passe dans le discours des journalistes sociaux par l’enrôlement23 d’acteurs ou d’objets appartenant à la sphère universitaire24. Les sociologues ou les économistes, qui remplacent en quelque sorte les militants que dans d’autres temps on aurait pu matériellement et symboliquement mobiliser, apparaissent ainsi comme autant de ressources permettant d’affirmer sa propre expertise :
« Je travaille pour une association qui s’appelle l’ASTS (Association Sciences, Technologie et Société) qui publie un petit journal qui s’appelle AXIAL pour qui j’interviewe des personnalités dans le domaine sociologique : Alain Caillé par exemple, Edgard Morin, des gens comme ça et puis aussi des scientifiques de sciences dures. Pour eux, j’ai monté un séminaire sur la modernisation du travail avec des gens comme Alain Touraine, Jacques Freyssinet, etc. » (journaliste pigiste).
« On a tous nos réseaux d’informations personnels des gens qu’on a rencontrés qu’on connaît à droite gauche des sociologues, des chercheurs qu’on a sous la main.
Q : Qui par exemple
R : Alors dans le secteur il n’y en pas tant que ça pour la famille François de Singly, Jacques Ion pour ce qui concerne le social en général, des économistes aussi, Guy Roustang par exemple et puis un jeune chercheur qui travaille à Nanterre, comme ça on a des références par thème on fonctionne par thème. On sait que telle personne est pointue sur tel thème, il sait à peu près se qui se passe et connaît les problématiques pas tellement pour avoir des informations mais plus pour nous éclairer sur les évolutions du secteur » (rédacteur dans un hebdomadaire destiné aux travailleurs sociaux).
31De la même manière, évoquer les livres et leurs auteurs constitue, dans le dispositif visant à affirmer sa propre compétence à parler du social, un gage de sa valeur :
« À Sciences Po j’avais eu Nicole Questiaux et Jacques Fournier. Nicole Questiaux qui a ensuite été ministre des Affaires sociales en 1981 et Fournier qui a été PDG de la SNCF et de Gaz de France, etc. Et je l’ai toujours ici d’ailleurs le manuel de Questiaux Fournier » (journaliste TV).
32Si, appartenant à une publication syndicale, les journalistes revendiquent jusqu’au début des années soixante-dix leurs contacts privilégiés avec les militants de leurs organisations, ils s’appuient aujourd’hui sur d’autres ressources collectives, tel que le centre de documentation ou le service juridique mis à disposition par la confédération à laquelle ils appartiennent :
« La documentation que nous avons est assez riche car nous avons accès à 600 dossiers de suivis d’actualité sociale, 600 dossiers de presse c’est-à-dire toute la presse syndicale qui est découpée et classée et toute la presse générale quand il y a des articles qui se rapportent au social. On a accès également à une grosse documentation d’à peu près 60 000 livres sur l’histoire du mouvement politique social et syndical qui ne nous appartient pas, mais c’est une bibliothèque (la bibliothèque d’histoire sociale de Nanterre) avec laquelle nous avions, nous avons eu pendant 17 ans des relations assez suivies » (rédacteur dans un mensuel dépendant d’une centrale syndicale).
33Les journalistes sociaux ne fondent donc plus leur légitimité sur d’éventuelles affinités avec leurs sources d’information, mais plutôt sur la distance créée par l’accumulation de compétences objectivées (un diplôme) ou mises en scène (la présence d’universitaire dans son carnet d’adresses, de livres dans la bibliothèque de son bureau, etc.). Valorisant au travers de leur expertise une modalité particulière de leur indépendance, les journalistes sociaux affirment ainsi leur propre légitimité professionnelle. Construire son identité autour d’un principe professionnel reconnu comme celui de l’indépendance c’est, en le reconnaissant comme pertinent, le constituer comme un enjeu à défendre et de fait s’inclure dans l’espace des luttes pour sa définition. Le jeu qui consiste à réévaluer ses propres pratiques au regard de celles légitimement admises dans l’espace à « conquérir » participe du processus conjoint de reconnaissance et de redéfinition – en fonction de ses propres ressources – des règles régissant la profession journalistique. C’est ainsi que les journalistes sociaux se présentent comme « plus rigoureux », vérifiant et recoupant davantage les informations que leurs confrères et disposant, selon les médias, de temps et d’espace plus importants. La définition du professionnalisme passe dès lors par la réactivation de règles générales réifiées par exemple dans les chartes de déontologie :
« Vous voyez le professionnalisme c’est ça quand vous n’êtes pas né de la dernière pluie et quand vous avez des règles… par exemple une voisine du quatrième tout à l’heure me donne une information, je la rencontre un peu plus tard et je lui dis votre information est bonne. Elle me dit : “comment ça j’ai pas l’habitude de donner des fausses informations”, je lui dis : “oui mais moi vous savez je suis victime de ma profession… j’ai une information je la contrôle… une information même quand elle est sûre… à 70 ou 75 % mais je suis obligé de la contrôler mais rassurez-vous elles sont bonnes” » (journaliste dans une publication dépendant d’un organisme social).
« Q : Et c’est quoi un bon journaliste ?
R : Je ne vais pas vous ressortir la charte… il ne donne que des informations… il donne des informations sûres et recoupées et ensuite il les remet en perspective selon ses perspectives mais… il faut déjà que les informations soient sûres et c’est pas évident » (pigiste, ancien rédacteur dans un journal syndical).
34Elle s’appuie aussi sur sa propre expérience comparée le plus souvent à celle – dévaluée – de journalistes reconnus comme légitimes :
« Il faut vous dire aussi par exemple X [nom d’un journaliste] lui il donne 4 lignes ou 6 lignes dans sa petite colonne alors que moi. Et puis j’utilise plusieurs sources, vous avez vu mon bureau, je ne suis pas gamin, je stocke » (rédacteur dans une publication interne d’un organisme social).
« Ici c’est un bon observatoire peut être que ça a l’avantage par rapport à la grande presse et surtout la presse quotidienne on est moins pressé par le temps par l’événement qui pousse là on a le temps quand même d’assimiler de voir les choses » (journaliste dans une association d’économie sociale).
« Moi je me souviens des discussions avec X [nom d’un journaliste de télévision publique] il me disait en substance : Ah toi tu peux t’étaler tu peux écrire et c’est vrai un papier de moins de 10 feuillets et lui il me dit quand moi j’ai fait trente secondes je suis très content » (journaliste dans une revue syndicale mensuelle).
35La définition des frontières du groupe des journalistes passe ainsi dans le discours des acteurs qui participent à sa définition par un surinvestissement des valeurs dominantes de l’espace journalistique.
36Loin d’un point de vue guidé par la nécessité pour des agents professionnellement dominés de se situer vis-à-vis de leurs concurrents dominants, cette stratégie d’intégration – d’adhésion aux règles régissant le champ journalistique – est rendue possible par la proximité sociale qu’ils ont effectivement avec ceux qui composent cet espace. Ainsi, les journalistes sociaux apparaissent aujourd’hui tant du point de vue de leurs propriétés sociales objectives que de la définition symbolique de leurs compétences professionnelles dans une situation comparable à celle de l’ensemble de l’espace journalistique. Journalistes comme les autres, ils n’auraient ainsi aucun intérêt spécifique à défendre hormis ceux de la profession dans son ensemble. On peut dès lors s’interroger sur leur existence en tant que groupe, si ce n’est au travers de l’organisation – l’AJIS – ayant la charge de les représenter et de leur fournir des prestations matérielles (un annuaire, un agenda, des voyages, etc.) et symboliques (un lieu de convivialité, un titre de reconnaissance, etc.). Face à un tel constat, celui de la quasi-disparition des spécificités d’un objet de recherche, restent des agents qui se pensent encore, et surtout qui sont encore pensés, comme journalistes sociaux dotés, du moins par réputation, de propriétés spécifiques (Ce seraient des journalistes « organiques », des militants, etc.). Au-delà des propriétés objectives des agents qui le composent, du travail de représentation et de mise en scène individuelle et collective du groupe subsiste le poids des représentations et des images historiquement construites et associées à ceux qui le composent.
La « réputation » comme fondement du groupe
37Comment, malgré leur insertion dans l’espace journalistique, les journalistes sociaux sont-ils amenés à se penser et à être pensé comme un groupe, et ce malgré la diversité, l’hétérogénéité des positions de ceux qui revendiquent leur appartenance à ce groupe ? La représentation « objective » du groupe ainsi que les présentations que les journalistes font d’eux-mêmes donne à penser que les journalistes sociaux sont des journalistes comme les autres. Néanmoins, l’image la plus diffusée du groupe reste celle historiquement construite d’une spécialité dominée du fait de la proximité réelle ou entretenue au monde ouvrier.
38Les journalistes sociaux gardent une mauvaise « réputation » au sens où Renaud Dulong et Patricia Paperman emploient ce terme dans leur étude sur le langage de l’insécurité tenu à propos des HLM25. Produit d’un sens commun, à la fois sociologique et indigène, la réputation constitue dans ces différentes formulations une composante à part entière de l’identité professionnelle. Elle fonde alors la spécificité des journalistes sociaux en apparaissant comme à l’origine de son existence. Construits de l’extérieur comme « dominés », les journalistes sociaux se pensent dans le même temps comme tels. C’est ce double phénomène qui les conduit dans l’interaction à exister en tant que groupe.
La réputation du groupe comme produit d’une rémanence historique
39Les journalistes sociaux sont des journalistes « dominés » dans l’espace journalistique. Cette sentence semble définitive, véhiculée tant par les discours scientifiques26 et que par les discours indigènes. Elle apparaît comme le produit d’une rémanence historique, au sens où l’histoire du groupe oriente désormais les représentations actuelles qui lui sont attachées. Ainsi, si les éléments fondant la domination des journalistes sociaux semblent aujourd’hui disparus, le social est encore apprécié par les observateurs extérieurs comme une catégorie dévaluée d’intervention publique et, par ricochet, comme une spécialité journalistique dévalorisée. Les journalistes sociaux sont donc des journalistes « bas de gamme ». C’est du moins la conclusion sans appel des travaux qu’Alain Supiot consacre à cette catégorie particulière de l’espace journalistique et qui par ailleurs font référence dans l’espace professionnel lui-même27 :
« La caractéristique majeure du journalisme social, c’est la position fort basse qu’il occupe dans la hiérarchie des valeurs qui dominent les médias. Le social c’est le “bas de gamme” du journalisme par opposition aux rubriques “politique” et surtout étranger qui représentent le sommet des ambitions caressées par les journalistes. C’est la face cachée du journalisme, celle des “tâches laborieuses” difficiles et ingrates qu’on n’envisage pas en épousant la profession et qu’on cherche ensuite à éviter au profit de spécialisations jugées plus exaltantes… le social ne s’identifie pas avec l’image de la réussite. […] La position du social dans les médias demeure une position basse même si elle s’est incontestablement élevée depuis une vingtaine d’années. Le social c’est le bas de gamme du journalisme28. »
40Produite dans et pour le milieu universitaire (l’ouvrage est publié aux Presses de la FNSP), cette assertion sera aussi diffusée dans le milieu professionnel. Rendant compte de ses travaux dans un organe de presse sociale (La Semaine sociale LAMY), il fait ainsi référence à l’ensemble des « lieux communs » que constituent les affirmations sur la domination de ceux qui – journalistes compris – investissent le social :
« Cette dévalorisation du social n’est pas propre aux médias. On la retrouve dans les entreprises dans la magistrature, à l’Université ou dans la haute fonction publique. Tout le monde sait par exemple qu’à la sortie de l’ENA, les postes prestigieux se trouvent aux affaires étrangères ou à l’économie et aux finances tandis que les ministères sociaux ne sont guère plus convoités que ceux de l’éducation nationale ou des anciens combattants29. »
41Si les travaux d’Alain Supiot posent un certain nombre d’indicateurs de cette domination, ils restent des indices plus subjectifs (tels que sa situation « morale ») que proprement objectifs. Rien n’est précisé de sa situation matérielle, simplement évoquée pour appuyer l’argumentation de la « faiblesse » de ce journaliste. D’autres recherches ne portant pas directement sur la population des journalistes sociaux en font elles aussi un journaliste « bas de gamme ». Les critères étant ici la condition économique et la position éditoriale de ceux qui investissent ce domaine particulier d’information. C’est ainsi, par exemple, qu’Annie Collovald et Brigitte Gaïti expliquent « l’échec » relatif de la médiatisation d’un conflit autour d’une école d’éducateurs en 1990 : « Si l’affaire est relatée, elle est le fait de “journalistes sociaux” parfois pigistes relégués dans les pages secondaires des quotidiens30. »
42De la même manière, s’agissant d’étudier les questions de protection sociale dans la campagne électorale de 1988, Frédéric Sawicki observe qu’au-delà de l’espace politique « la protection sociale n’a pas été perçue comme un coup rentable non seulement par les différents candidats mais aussi par les acteurs en position d’agir pour la publicisation de ce thème (comme les dirigeants syndicaux ou les journalistes par exemple)31 ».
43Rarement évoqués dans les travaux de recherche, les journalistes sociaux le sont pour souligner l’absence de prestige dont jouit leur spécialité.
44Dans le milieu professionnel, cette absence de reconnaissance se confirme. Ainsi, dans les travaux qui, quelque soit leur statut, consacre une élite journalistique32, peu de place est accordée aux journalistes revendiquant cette spécialité. Les journalistes sociaux sont d’abord absents des ouvrages produits par les journalistes sur leur propre profession. Rapporter ainsi la liste des journalistes membres de l’AJIS à l’index – quand il existe – des livres traitant de la « médiacratie » (vue par elle-même ?) n’aboutit à aucun résultat. Ainsi, ni Yves Roucaute33 ni François Henri de Virieu34 n’ont rencontré de journalistes sociaux pour écrire leur ouvrage.
45De manière moins anecdotique ensuite, si l’on considère, à la suite des travaux d’Annie Collovald35 mené à partir de l’Annuaire Bérard Quelin36, que la présence des journalistes sociaux serait un indice de leur reconnaissance dans l’espace professionnel défini par ce dictionnaire, on ne peut être que convaincu de la relégation des journalistes spécialisés dans le social. En effet, leur présence est, eu égard au nombre de fiches37 contenues dans cet annuaire, relativement rare. Dans un espace largement défini, seulement trente membres de l’AJIS (sur les deux cent soixante-dix-sept que compte l’édition 1994 de l’annuaire de l’association) semblent « dignes » de faire l’objet d’une fiche biographique. Leur présence est d’ailleurs ici liée à l’occupation d’un poste d’encadrement dans l’entreprise qui les emploie. Vingt-cinq journalistes sur les trente faisant l’objet d’une notice biographique dans le Bérard Quelin sont avant tout présentés38 comme « responsables » de publication, « rédacteurs en chef » ou « chefs de rubriques ».
46La qualité de simple « rédacteur/journaliste » (« social » ou « économique et social ») est le plus souvent accompagnée d’une autre fonction et notamment de celle de membre d’une association professionnelle – entendue ici au sens large du terme. Ainsi, tel « journaliste social au Monde » est présent dans le Bérard Quelin parce qu’il est aussi « président de l’AJIS », un autre « rédacteur au service économique du Monde chargé de la rubrique sociale » est aussi « trésorier de la société des rédacteurs » de ce journal ; un troisième, « chargé des questions économiques à la Vie » est aussi présenté dans sa notice biographique comme le « responsable du forum des lecteurs de la Vie ».
47Pour d’autres c’est la publication d’ouvrages qui induit leur présence dans l’annuaire, tel ce journaliste, « chargé des enquêtes société à l’Expansion » mais auteur d’un ouvrage paru chez Flammarion en 1993, ou cette journaliste au Figaro, chargée des rubriques « emploi, salaire, protection sociale, retraites » auteur elle aussi d’un livre.
48Plus « étonnant » enfin est la présence d’une « simple » « Journaliste à la Tribune de l’Expansion » dont le seul titre mentionné par l’annuaire – hors de son parcours professionnel – est son mariage avec un éditorialiste de Radio-France. Le simple titre de rédacteur social ne semble donc pas une condition suffisante pour figurer dans l’Annuaire de la presse française.
49Au-delà du dépouillement de cet annuaire, la confrontation de la liste des membres de l’AJIS avec « Les 4000 noms de la communication39 » retenus par le Médiasid illustre elle aussi la relative absence des journalistes sociaux dans la portion la plus visible de la « société médiatique ». Cet annuaire – ce guide – qui dépasse la recension des journalistes se veut un instrument destiné aux professionnelles de la communication40. Il permet d’évaluer la place que les journalistes sociaux occupent dans l’univers mental de ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler la « communication publique ». Cette place des journalistes sociaux dans le Médiasid est ambiguë. Reconnaissant pour certains médias l’existence d’un service social – ex. : les TV, radio, quotidiens nationaux d’information générale – les journalistes sociaux nommément mentionnés sont là encore très peu nombreux. Sur « Les 4 000 noms de la communication » annoncés, seuls 29 d’entre eux (sur les 277 que compte l’Annuaire AJIS) sont ceux de journalistes sociaux. Là encore, il s’agit parmi eux de nombreux rédacteurs en chef ou chefs de publication ou de rubrique (11/29), de journalistes de bureaux parisiens de grands quotidiens régionaux (3 journalistes de Ouest-France, un de L’Alsace, un de La Voix du Nord, un de Paris-Normandie soit au total 6/29 plus une correspondante de la presse étrangère à Paris), de présentateurs TV ou radio (2/29) ou de membres d’organisations professionnelles (le président et le secrétaire général de l’AJIS présents à ce titre dans le guide) et le président des journalistes CFTC (soit un total de représentants d’associations professionnelles de 3/29). Les autres, mentionnés au titre de simple journaliste ou reporter, sont le plus souvent comptés dans les services « économique » ou parfois « économique et social » des rédactions auxquelles ils appartiennent. Un seul journaliste, celui de l’ACP, apparaît au titre de rédacteur « purement » social.
50Appréciée du simple point de vue professionnel et institutionnel, la place du social et des journalistes qui en ont la charge n’est pas l’objet – et c’est un euphémisme – d’une forte reconnaissance. La qualité de rédacteur chargé du social n’apparaît donc pas comme un élément distinctif et principal permettant de rendre compte de l’identité professionnelle de ceux qui, par leur adhésion à l’AJIS s’en réclament. La « stigmatisation » dont les journalistes sociaux font l’objet dans la recherche et l’absence de reconnaissance dans le milieu professionnel apparaît comme d’autant plus « sûre » qu’elle est aussi un élément à part entière des représentations que les journalistes sociaux se font de leur propre position. Ainsi, l’histoire du groupe des journalistes sociaux, celle qui en fait un journaliste militant proche du mouvement social est celui qui « colle » encore aux représentations dominantes du groupe, alors même, on l’a vue, que ce modèle du journaliste engagé apparaît, depuis les transformations qui s’opèrent dans le recrutement des journalistes depuis les années soixante, comme un modèle dévalué d’excellence professionnelle. C’est donc sur la base de cet engagement davantage construit que réel que sont produites les dénonciations dont sont l’objet les journalistes de l’information sociale. Cette image du journaliste militant, c’est-à-dire à la fois issu du syndicalisme mais aussi et de fait soupçonné de sympathie à son égard, offre une prise à la critique qui se décline autour de deux pôles principaux : son « incompétence » et sa « partialité ». Ces éléments renvoient directement à la définition dominante de l’élite journalistique41 telle qu’elle s’impose dans les travaux de recherche42 et dans les productions « indigènes » elles-mêmes43.
51Un « bon » journaliste est un journaliste qui, pour aller vite, aurait « fait science po », une école de journalisme, ou du moins des études universitaires, et qui justifierait depuis cette position de sa compétence à intervenir dans le débat public. Le journaliste social est, dans les représentations dont il fait l’objet, encore perçu comme un intellectuel « organique » qui doit sa place à son engagement dans une organisation (ici syndicale) et à ce titre ne disposerait pas des titres scolairement sanctionnés (et valorisés) lui permettant de prétendre à l’excellence « exigée ». C’est de ce point de vue que sont dénoncés par des agents, eux-mêmes purs produits du système scolaire, les journalistes sociaux. C’est ce qu’illustre par exemple les propos tenus par Gérard Adam44 au colloque du CNESS du 22/23 septembre 1983 :
« Pourquoi cette marginalisation de l’information sociale et même cette marginalisation des professionnels du social ? Pourquoi lorsque l’on interviewe un leader syndical, le fait-on interviewer par un journaliste dont le domaine de compétence me paraît plus proche de Mireille Mathieu que de l’information sociale45. »
52Le lien entre compétence (scolairement sanctionnée) et indépendance du journaliste est là encore souvent établi. L’intervention de Michel Garibal, président de l’Association des journalistes économiques et financiers devant le CES46, résume assez bien le raccourci opéré entre formation universitaire et indépendance journalistique. Décrivant le nouveau profil des journalistes économiques, il explique ainsi :
« Aujourd’hui les jeunes confrères qui entrent dans la presse économique ont une formation poussée, acquise à Sciences Politiques ou dans les facultés. Ils ont une compétence qui facilite leur tâche à l’égard des interlocuteurs de la presse mais qui leur permet aussi de mieux répondre aux pressions en tout genre qu’ils peuvent subir et en définitive, de garder leur indépendance47. »
53Mais dans les liens qui s’établissent entre « incompétence » et « partialité » ne se lit pas seulement la valorisation d’un capital scolairement sanctionné. L’engagement diffusément « reproché » aux journalistes sociaux permet d’apprécier une compétence plus difficilement objectivable que la simple compétence technique : celle de l’impartialité dont devrait faire preuve tout journaliste digne de ce nom. Diffuse lorsqu’elles ont pour cible la presse en général, les accusations de partialité revêtent, lorsqu’elles s’adressent aux journalistes sociaux, une forme bien spécifique. Elles s’appuient non pas sur des principes généraux aujourd’hui partagés par la profession (du type, « il faut séparer les faits du commentaire »), mais en transposent dans l’espace professionnel des critères d’appréciation empruntés aux espaces politiques et syndicaux.
54Les « conflits » qui opposent certains membres de l’AJIS dans les années quatre-vingt sont de ce point de vue révélateurs : ce ne sont pas différentes conceptions du journalisme qui s’opposent mais explicitement des courants syndicaux et/ou politiques. Alors que les mises en cause principales des journalistes sont aujourd’hui axées sur des problèmes de déontologie professionnelle, la mise en cause des journalistes sociaux est aujourd’hui encore placée sur un terrain proprement politique. On dénonce ainsi Patrick Poivre d’Arvor pour ses interviews truquées de Fidel Castro non pour ses sympathies avec la droite. On met en cause les journalistes économiques parce qu’ils sont soumis à des pressions de la part des grandes entreprises et qu’ils profitent des avantages matériels (cadeaux) qui leur sont offerts, et non parce qu’ils sont suspectés d’être favorables à telle ou telle conception de politique économique48. À chacune de ces « affaires » est (ré) actualisée la vocation initiale de l’association et ses principes fondateurs, axés sur le pluralisme syndical. En 1983 par exemple, l’assemblée générale est « agitée » par une altercation entre le président et un journaliste « proche de FO49 ». En 1986, c’est le coup de force des « communistes » qui est dénoncé par les adhérents de l’AJIS sympatisants de FO50. En 1987, ce sont les journalistes « communistes » qui dénoncent à leur tour la « droitisation » de l’association51. En 1990 enfin, un journaliste « adhérent de l’AJIS qui souhaite garder l’anonymat », comme il le précise lui-même à la fin de son article paru dans le Libre Journal, développe longuement d’éventuelles stratégies du PC et de la CGT pour prendre le contrôle de l’association52. Des journalistes – sans être nommément évoqués53 – sont ainsi présentés comme « communistes, CGTistes ou compagnons de route » qui, écrit l’auteur de l’article, sont « avant tout des militants pour qui la conscience de classe l’emporte largement sur la conscience professionnelle ». Les critères empruntés à l’espace politique sont toujours largement présents lorsqu’il s’agit de décrire les journalistes sociaux.
55La position « bas de gamme » du journaliste social, si elle s’apprécie au regard des légitimités ambiantes de l’espace journalistique, prend appui sur la spécificité du social et sur la manière dont ce domaine est lui-même perçu et construit, dans différents espaces de prise de parole, comme « marginal ». Ainsi, comme le résume Daniel Gaxie :
« […] tous les indicateurs (rang de classement des élèves de l’ENA qui choisissent les ministères sociaux, profils des hommes politiques qui accèdent à leurs directions, féminisation du personnel, primes des fonctionnaires, localisation des services, états des locaux, places des rubriques sociales dans les programmes des partis politiques, hiérarchie des commissions parlementaires ou des positions gouvernementales, etc.) convergent et soulignent la position marginale des institutions spécialisées dans le traitement des questions sociales54. »
56De l’ENA au droit en passant par l’espace politique, les indicateurs de la domination du social dans l’espace public ne sont donc plus à démontrer. C’est ce que soulignent entre autres, sur des objets d’études extrêmement divers – et dans des problématiques différenciées – les travaux d’auteurs aussi différents qu’Anne-Marie Guillemard sur les retraites55, de Bruno Jobert sur les rénovations du service public56, de Jean-Noël Rétière sur les avocats57, de Pierre Cam sur le droit du travail58, de Jean-Luc Bodiguel sur l’Ena, ou de Brigitte Gaïti et d’Annie Collovald sur les députés de la commission sociale59.
57Le social, que ce soit dans les discours politiques ou scientifiques, est avant tout construit comme une catégorie dominée du débat public. Cette dévaluation entérine autant qu’elle participe de la réputation des journalistes sociaux. Mais cette construction externe du groupe est d’autant plus forte qu’elle constitue, pour ceux qui se pensent comme journalistes sociaux, le fondement même de leur identité et de leur spécificité professionnelle.
Une intériorisation de la domination : la réputation comme fondement du groupe
58La position dominée du social et par homologie des journalistes sociaux est une composante de leur identité telle qu’elle est construite « de l’extérieur », et ce malgré les indicateurs « objectifs » donnant à penser leur insertion dans l’espace journalistique. Elle est d’autant plus solidifiée qu’elle est aussi un élément essentiel de l’identité proclamée et publicisée de ceux qui se définissent comme journalistes sociaux. C’est en effet parce qu’ils se pensent comme « dominés » que les journalistes sociaux se considèrent, au-delà de leur diversité, comme un groupe. Cette présentation que les journalistes font d’eux-mêmes apparaît récurrente dans leurs discours et s’affirme à l’occasion de nombreuses et diverses mises en scène publique du groupe. Dans le colloque que l’AJIS organise au CNESS (Centre national la sécurité sociale) à Saint-Étienne60 les 22 et 23 septembre 1983, ce mode de présentation de soi est au centre des interventions de la plupart des participants, qu’ils soient ou non journalistes. Ainsi, et même s’il s’agit en quelque sorte de réparer l’injustice dont seraient victimes ces journalistes, la stratégie (inconsciente) qui préside à tous les discours contribue moins à une réhabilitation du groupe qu’à poser sur le mode de l’évidence « l’infériorité » de sa condition et de sa position. Cette dernière se formule notamment autour du « prestige », de « la renommée » de la rubrique dans laquelle ils écrivent. Le social est le parent pauvre de l’information, sa place dans les rédactions est insuffisante : c’est ce qui va de soi pour la plupart de ceux invités à intervenir au colloque du CNESS.
Le social comme domaine d’intervention dévalorisé dans l’espace journalistique : un consensus
(extrait des actes du colloque AJIS/CNESS du 22 et 23 septembre 1983)
– « L’information sociale serait le parent pauvre de la communication déchirée entre les rubriques nobles que sont l’économie ou la politique61. »
– « Dans la plupart des grands médias, elle (i. e. l’information sociale) demeure un genre mineur… le social est considéré comme un sous-produit de la politique et n’est souvent traité que par référence à celle-ci62. »
– « Il y a beaucoup de progrès à faire. Il faudrait que la place de l’information sociale soit davantage reconnue dans les rédactions63. »
– « Il est certain que la composition des rédactions elles-mêmes, qui n’a pas tellement changé quoi qu’on en dise n’incline pas ses membres à une sensibilité particulière vis-à-vis du social… je dirais que parmi les grands reporters à TF1, ils sont pour la plupart aux grands reportages et au service étranger, il n’y en a pratiquement aucun, peut être un ou deux sur trente qui s’intéressent au social64. »
– « Assurément le social, et les journalistes s’en plaignent souvent, est vu parfois par les directeurs de journaux, de chaînes ou de postes de radio par le petit bout de la lorgnette. Il n’a pas toujours la place qu’il mérite vous le regrettez. Nous aussi65. »
– « Ce dont vous vous plaignez est juste : le social est trop souvent considéré comme une spécialité secondaire66. »
59Si de nombreuses questions tenant « aux difficultés de recueil de l’information », à « la déontologie », aux « pressions » susceptibles d’être exercées sur les journalistes, etc., sont abordées, c’est encore la question de la dévalorisation de la rubrique sociale à l’intérieur des rédactions – et par conséquent des journalistes qui en ont la charge – qui occupe une grande partie des comptes rendus dont fut l’objet le colloque dans la presse :
« Si certains ont estimé que la place faite à l’information sociale dans les rédactions avait légèrement progressé au cours des dernières années, tous ont regretté que l’information sociale soit encore le parent pauvre et considérée comme “un simple appendice” du politique ou de l’économique67. »
L’information sociale « mal aimée de la grande presse ? Certains l’ont dit en affirmant qu’elle n’était qu’un sous-produit économique et politique et donc insuffisamment traitée dans les colonnes des journaux et des hebdomadaires. Paradoxalement ce parent pauvre de l’information figure au centre des enjeux sociaux68. »
60En dehors du lieu de consécration de la profession que constitue un colloque réunissant tous les « grands » acteurs du social (voir supra), le discours sur la condition de journaliste social ne varie ni dans son contenu ni dans son mode d’énonciation. Consacrant un article aux journalistes sociaux, Catherine Hersberg69 introduit elle aussi son papier par la position dévaluée du social dans l’espace journalistique.
« Le social dans les médias souffre d’une image de marque négative. […] Le social ça n’est pas vendeur. Et les journalistes sociaux, du moins certains d’entre eux, se plaignent d’être souvent traités comme les “parents pauvres de la presse” Il y a les rubriques nobles – traditionnellement la politique et l’étranger – et les rubriques moins nobles ou le social doit faire son trou70. »
61C’est à une conclusion semblable qu’arrive Jean-Michel Normand journaliste au Monde, président de l’AJIS, lorsqu’il publie dans Stratégies du Management71 le compte rendu du groupe de travail sur l’information sociale constitué, en 1991, au sein de l’association qu’il dirige :
« Autant le dire d’emblée, il existe des interrogations – si ce n’est un malaise – chez les journalistes sociaux. Elles sont de plusieurs natures. Nous nous interrogeons sur la définition de notre rubrique, mais aussi sur la façon dont elle est considérée parmi nos confrères, c’est-à-dire son image de marque … [et de s’interroger plus loin dans son texte]. Y a-t-il une vie après le social ? Oui indiscutablement. Nombreux en ont fait l’expérience : après avoir fait leurs preuves dans la rubrique sociale, nos plus jeunes confrères s’empressent souvent de gagner les rivages plus gratifiants des services économique ou politique. »
62Quelques années avant (en 1987) lors d’une audition devant le CES, l’idée que la rubrique sociale est parmi la moins valorisée de l’espace journalistique transparaît aussi dans le discours de François Charpentier, journaliste à la Tribune de l’Expansion et président de l’AJIS. Parlant de ce qu’il appelle la professionnalisation du journalisme social il souligne une fois encore :
« Même si la rubrique sociale n’est pas devenue la rubrique noble il arrive fréquemment que des jeunes journalistes formés dans des écoles commencent leur carrière dans le social… La mobilité professionnelle est une caractéristique de notre métier et il est vrai aussi que le passage d’une rubrique sociale d’un organe de presse à la rubrique du journal ou de la station concurrente soit fréquent. Il me semble cependant s’agissant de nos jeunes confrères qu’ils n’ont pas vocation à faire carrière dans le social. Mieux armés que leurs aînés on ne voit pas pourquoi après s’être frottés au social ils n’ambitionneraient pas d’accéder à des rubriques plus valorisantes. »
63À l’occasion du XXe anniversaire de l’AJIS, le débat organisé à l’occasion et reproduit dans le SIS tourne lui aussi autour de la « ringardisation » des journalistes de l’information sociale. Introduit par Alain Supiot et ses conclusions sur le journalisme social comme journalisme « bas de gamme », c’est l’occasion une fois encore de revenir sur la dévalorisation du social dans la presse72. C’est cette position « dominée » du social dans la presse qu’illustre par exemple Annette Ferrière, chef de rubrique à l’AFP :
« Lorsqu’un événement prend de l’importance il échappe aux journalistes spécialisés : Huit jours de grève à la SNCF, c’est pour le social, quinze jours c’est pour le politique. De même, souligne-t-elle, les journalistes sociaux n’ont guère accès aux voyages à l’étranger. Dans les journaux de province en particulier, les déplacements à l’étranger sont souvent réservés aux grands reporters73. »
64Publicisées, ces représentations dominantes qui s’attachent à la rubrique sociale font aussi partie intégrante des représentations que les journalistes, dans une situation d’entretien, se font de leur propre position. L’accueil que je reçus de l’un des premiers journalistes que j’ai interrogé traduit par l’étonnement et « l’humour » la représentation qu’il se faisait de sa propre position. L’une des premières phrases entendue avant même le début de l’entretien fut ainsi : « Mais pourquoi vous intéressez-vous à ces ringards du social ? » La récurrence des discours recueillis par la suite souvent sur le mode de la confidence confirme les représentations que les acteurs interrogés se font de leur propre position.
Le journaliste social : un journaliste « bas de gamme ».
Les représentations que se font les acteurs de leur propre position au travers des entretiens
« Plus profondément les journalistes sociaux sont aussi… tout le monde le dit pas, mais moi j’assume parfaitement cette situation, on n’a pas l’aura. Il faut dire que c’est une spécialité en perte de vitesse. C’est pas une spécialité qui n’a pas le prestige de la presse économique. […] le social c’est secondaire dans un certain nombre de médias. Les jeunes journalistes avant on faisait les chiens écrasés maintenant on fait du social. Bon ça c’est purement de la provocation » (journaliste quotidien national).
« La rubrique sociale est considérée comme intéressante à partir du moment où on en sort. On a vu depuis ces dernières années de jeunes journalistes sociaux qui sont restés un an, un an et demi ou deux ans maximum dans la rubrique et qui après sont allés à la politique, sont allés à la société, à l’économie, à l’étranger, bref ont changé de secteur pour aller dans des secteurs considérés comme plus nobles dans les rédactions que le social » (chef d’un service économie/social dans un quotidien national).
« Je crois que tous les journalistes sociaux, je plaisante peut-être un petit peu mais l’on vécu comme ça. On est les poubelles quoi. C’est pas tout à fait aussi grave que de fréquenter des drogués, mais c’est juste l’étage au dessus. C’est absolument évident » (chef du service social d’une agence de presse, à la retraite).
« Moi-même quand je dis que je suis journaliste social on me regarde de temps en temps en se disant la pauvre qu’est ce qu’elle doit s’emmerder » (journaliste, femme, presse spécialisée).
« Le social c’est souvent un accident dans la vie du journaliste » (rédacteur en chef d’un mensuel mutualiste).
65Le journaliste social serait donc un journaliste tout à la fois perçu et se percevant comme « marginal » dans l’espace journalistique. Cette marginalité s’exprime dans un registre particulier : celui du renom et du prestige du domaine d’information qu’ils traitent. À l’inverse des journalistes politiques auxquels ils se comparent souvent, les journalistes sociaux n’ont pas une visibilité importante comme si la reconnaissance professionnelle – et l’un des principes d’excellence journalistique – se définissait largement autour de son prestige. Dans les représentations qu’ils se font de leur propre position à l’intérieur de l’espace journalistique, ce n’est donc pas tant leur personne ou leurs attributs qui seraient dévalorisés mais l’information sociale elle-même. Le fait que cette marginalisation des journalistes sociaux soit largement associée à la marginalisation du social et non à d’éventuelles propriétés de ceux qui le traitent rend possible certaines évolutions de carrière. Des exemples montrent ainsi qu’il n’est pas exclu pour des journalistes disposant par ailleurs de ressources reconnues dans le milieu professionnel (le diplôme d’une école de journalisme ou de l’IEP) d’accéder à des « rivages plus gratifiants » que ceux de l’information sociale. Sans que cette approche soit systématisables, le social n’est donc pas forcément la rubrique à laquelle les journalistes sont « condamnés » toute leur vie professionnelle. Bien que certaines évolutions soient plus difficiles que d’autres, le journalisme social ne ferme définitivement aucune voie. Ainsi des journalistes ayant commencé leur vie professionnelle dans un organe syndical – début de carrière que l’on pourrait considéré comme le plus stigmatisant – ont pu rejoindre la presse quotidienne nationale. C’est le cas par exemple de certains journalistes du Monde comme Alain Lebaube – ancien journaliste à Syndicaliste Hebdo journal de la CFDT, ou Frédéric Lemaître. Les « promotions » à l’intérieur des rédactions ne sont pas non plus impossibles. Michel Noblecourt, nommé chef du service économique du Monde puis chef de la section « Acteurs » dans la nouvelle formule du quotidien après une longue carrière dans le social, est de ce point de vue exemplaire. Jean-Michel Normand, rédacteur social dans ce même quotidien, s’est vu confier la direction de la section « Modes de vie » dans la nouvelle formule. À la télévision aussi, certains membres de l’AJIS apparaissent désormais hors de la rubrique sociale. C’est le cas de Gérard Leclerc présentateur de la tranche d’informations du matin de France 2 et aujourd’hui responsable de la rédaction ; de Jean-Michel Carpentier, ancien membre de l’AJIS (et trésorier de l’association) devenu journaliste au service politique de France 2. Bien que ces exemples ne constituent pas en eux-mêmes une démonstration, ils permettent une remise en cause du sens commun – y compris du sens commun journalistique – qui fait de la rubrique sociale une rubrique à part dans l’espace journalistique. Les journalistes sociaux sont aujourd’hui des journalistes comme les autres qui connaissent les mêmes difficultés et évolution de carrière que les autres.
66Dès lors, pour conserver sa spécificité et assurer la cohésion du groupe, ils passent par d’autres mécanismes tels que la réputation du groupe, on l’a vu mais aussi la défense (et l’amélioration de l’information sociale à travers la mise en avant de pratiques liées à son recueil et à sa diffusion). C’est sur ce registre que s’affirment dès lors l’autonomie, l’unité et la cohérence du groupe.
67Au-delà de son histoire et de l’hétérogénéité de sa composition, l’AJIS reste le lieu ou s’opère un travail symbolique de mise en forme de l’information sociale comme éléments permettant de donner au groupe une identité collective et une spécificité. Si l’AJIS reste aujourd’hui encore une association dont le but officiel reste « l’amélioration d’une information au service du progrès social74 », son action est aujourd’hui largement tournée vers l’efficacité et l’amélioration des pratiques de « la profession des journalistes sociaux75 ». Si cette transformation s’explique par la victoire du journaliste « technicien » (évoquée plus haut) ce type d’explication n’épuise pas une analyse du sens à donner à ces changements. Le pluralisme de l’information, encore parfois à l’ordre du jour des actions engagées par l’AJIS, laisse place à la nécessaire progression de la qualité de l’information qui passe par un accès facilité aux sources d’information pour tous les journalistes de l’information sociale. Cette revendication s’exprime d’abord par l’usage du communiqué de presse. Ne mettant plus en scène un éventuel pluralisme syndical (comme c’était le cas à la création de l’AJIS), il souligne désormais la nécessité d’améliorer la pratique du métier de journaliste social. Entre 1983 et 1986, les prises de positions collectives de l’association, que ce soit à l’occasion de ses assemblées générales ou lors « d’affaires » particulières, s’expriment ainsi autour des conditions de travail de ses membres.
Communiqué n ° 1 publié à la suite de l’assemblée générale de 1983 :
« Les avancées enregistrées dans la diffusion de l’information ne sauraient faire oublier la persistance des discriminations et de phénomènes de rétention d’information chez les partenaires de la vie sociale et tout particulièrement dans les entreprise. Elle note avec satisfaction la progression générale de la place des faits sociaux et estime urgent de renforcer les effectifs et les moyens des rédactions sociales. Elle dénoncera avec fermeté toute entrave à un accès libre et pluraliste aux sources d’information76. »
Communiqué n ° 2 publié à la suite de l’assemblée générale de 1984 :
« L’AJIS entend être ferme contre les atteintes au libre exercice de la profession des journalistes sociaux [et] précise qu’elle n’écarte aucun moyen, y compris le boycott des manifestations de presse, pour lutter contre les pressions, les discriminations et les interventions auprès d’employeurs. Son objectif est de défendre les principes fondamentaux quelles que soient les organisations qui ne les respectent pas. D’autre part, l’AJIS a constaté que la politique d’information des pouvoirs publics se révèle tout à fait insuffisante, voire inexistante. L’association va entreprendre des démarches pour améliorer cette situation. Enfin l’AJIS estime que la place et les effectifs de la rubrique sociale dans les organes de presse sont encore insuffisants malgré quelques progrès. Cette situation est préjudiciable à un exercice correct de la profession d’informateur social77. »
68Hors assemblée générale, les communiqués de l’AJIS développent les mêmes préoccupations :
« Dans le cadre du conflit Citroën, l’AJIS déclare agir en permanence pour une ouverture des entreprises aux informateurs sociaux. Cette exigence conserve toute sa valeur en période conflictuelle. Constatant, à l’occasion de l’occupation de plusieurs usines Citroën en région parisienne que les journalistes sont maintenus en dehors des établissements ou qu’ils ne sont conviés qu’à des visites soigneusement encadrées, l’AJIS s’élève contre de telles atteintes au métier de journaliste et demande aux syndicats de prendre d’urgence toutes les dispositions afin que les journalistes respectueux de leur devoir d’informateur, puissent circuler librement dans ces établissements et informent ainsi leur public78. »
« L’AJIS rappelle qu’il est de son devoir de tout mettre en œuvre pour que les pressions de toutes natures exercées auprès des salariés journalistes, aussi bien par leurs employeurs que par leurs informateurs, et qu’elle fera preuve de la plus grande fermeté pour que soit respecté le libre exercice de la profession des journalistes sociaux79. »
« L’AJIS s’est toujours prononcée contre les manœuvres d’intimidation exercées à l’encontre des sources des journalistes sociaux et pour l’ouverture la plus large possible, des entreprises aux informateurs sociaux80. »
69Tournée vers l’extérieur, la mise en avant d’une destinée fonctionnelle de l’association (« il faut améliorer les conditions de travail des journalistes sociaux ») passe, lorsqu’elle est dirigée vers ceux susceptibles d’être directement intéressés par les actions de l’AJIS, par la valorisation de dispositifs visant eux aussi à faciliter l’égal accès aux sources. L’AJIS apparaît dès lors, moins comme une association visant à « un rapprochement confraternel81 » de ses membres que comme une association dispensatrice de services.
70Voyages, colloques, stages de formation (voir encadré) remplacent les déjeuners, petits déjeuners, qui sans être abandonnés prennent une forme plus solennelle82, et surtout les pots (limités à un par an) qui constituaient auparavant un mode spécifique de rencontre.
Quelques exemples de « manifestations » organisées par l’AJIS
En 1988, en dehors de deux petits déjeuners, l’un avec Jaques Barrot à l’assemblée nationale, l’autre avec Jean-Maxime Lévêque du Crédit lyonnais, le rapport d’activité publié à l’occasion de l’assemblée générale du 19 mars 1988, signale :
– Une opération personnes âgées à Strasbourg ;
– La visite de deux centres de formation de la CGPME ;
– Une journée de formation proposée par l’INT de Lyon à l’attention des journalistes sociaux ;
– Un déplacement en Normandie « mis sur pied par Lafargue Coppé, l’institut de l’entreprise et l’atelier “Mobiliser les ressources humaines” » ;
– Une journée portant sur la politique sociale de la SNCF et incluant une visite du chantier du TGV Atlantique ;
– Une visite organisée par ATD/Quart Monde de l’Institut de recherche sur la pauvreté ;
– Une session de formation aux outils statistiques pour les journalistes mis en place par l’INSEE.
En 1991, toujours selon le rapport d’activité produit à l’occasion de l’assemblée générale du 9 mars 1991, l’AJIS a été à l’initiative de deux petits déjeuners restreints, l’un avec Gilles JOHANET directeur de la CNAMTS, l’autre avec André LAIGNEL secrétaire d’État à la Formation professionnelle. Elle a de plus participé à un voyage dans les SCOP de l’Est, à une journée d’information organisée par l’ANPE d’Alberville sur les offres d’emploi saisonniers liées aux Jeux olympiques. Deux voyages à l’Étranger, l’un en URSS (en 1990) et l’autre en Grande-Bretagne.
On signalera, un colloque organisé le 30 septembre 1994, à l’initiative de l’AJIS au Sénat sur « Les fonds de la formation et le paritarisme en question ». La journée à laquelle nous avons assisté comportait le matin des interventions de consultants et d’universitaires et l’après midi un débat réunissant des partenaires sociaux trois pour les syndicats de salariés, (CFDT, CGT, FO) et trois pour les représentants des organisations patronales (CNPF, AGEFOS PME, et CGF-BTP).
71L’agenda mensuel des événements sociaux, préalablement et directement construit à partir des renseignements fournis par les interlocuteurs « naturels » de l’AJIS, est désormais fabriqué à partir des informations fournies par l’AFP, comme nous le souligne sans plus de précision le secrétaire général de l’AJIS dans un entretien informel. Cette destinée fonctionnelle que l’AJIS met en avant rencontre d’ailleurs la préoccupation de ses membres. Interrogés sur leur adhésion, les journalistes que nous avons rencontrés, la présentent avant tout comme motivée par cet aspect :
« Moi je m’occupais d’un mensuel dans un établissement public et je voulais la rencontre du public et du privé, des hebdomadaires et des quotidiens. Je pensais qu’une association technique comme l’AJIS pouvait favoriser ce développement-là. Voilà pourquoi j’y suis allé » (entretien journaliste dans une publication d’organisme public).
« L’AJIS permet de remettre certaines pendules à l’heure quand les ministères ont tendance à n’inviter que les gros journaux et à délaisser les journalistes indépendants ou les petits titres, les titres techniques, etc. L’AJIS permet de poser le problème et de maintenir une égalité au niveau de l’accès à l’information » (journaliste quotidien national).
« Les institutions ont tendance à réserver leurs informations pour des raisons que je comprends très bien… certaines informations qu’on juge stratégiques. Quand c’est les chiffres du chômage je vois pas pourquoi on les réserve à trois journalistes copains. Faut pas déconner. Il faut qu’il y ait une égalité d’accès à ce type de sources en tout cas. Après, chacun peut avoir ses sources propres ses relations, c’est le boulot » (journaliste pigiste).
« Et bien il y a le SIS et puis les opérations, les visites d’entreprises, c’est-à-dire que maintenant je pourrais facilement me passer de l’AJIS pour une visite d’entreprise je suis suffisamment connu. Maintenant oui mais au début non. C’est vrai c’est un bon moyen d’aider, c’est une entraide. Les ministères, les syndicats raisonnement toujours à l’audimat, c’est-à-dire au tirage ou à la notoriété du titre une petite revue spécialisée sans l’AJIS, elle aurait un peu plus de mal à fonctionner c’est vrai que ça aide » (journaliste mensuel syndical).
« Pour être dans un réseau au cœur de l’information, en adhérant à l’AJIS ça permet de recevoir de l’information pour les grands rendez-vous. Ça m’intéressait pour ça, surtout dans un domaine comme le mien ou il faut réfléchir et être à l’affût de ce qui se passe […] c’est principalement ça » (rédactrice en chef d’un mensuel spécialisé dans la formation professionnelle).
« Ça ça permet à tout le monde d’être en rapport et de poser des questions aux gens concernés. À la limite je m’en fous je peux appeler n’importe qui. Ça dépend ce qu’il fait mais il me prendra au téléphone. C’est pas un problème. Les gens des petits hebdos c’est pas le cas. Il y a vachement de petits médias. Ces gens-là ils pourront pas l’avoir. Pour ça aussi l’AJIS c’est utile » (journaliste quotidien national).
72Améliorer ses conditions de travail et par là même améliorer l’information sociale, est au centre des dispositifs qui permettent à des agents d’exister et d’agir ensemble.
73L’importance des processus discursifs est une composante essentielle des processus qui permettent à des agents d’exister et de se penser ici comme un groupe professionnel reconnu. Au-delà des variables permettant au chercheur de saisir, hors du cadre même d’intelligibilité des acteurs qu’il se propose d’étudier, les processus de construction des catégories du monde social, l’analyse des logiques subjectives qui participent de cette construction révèle ici son caractère heuristique. C’est tout à la fois grâce à une proximité sociale objective et des représentations – ici négatives – qui leur sont historiquement rattachées qu’est rendue possible aujourd’hui l’existence du groupe des journalistes spécialisés dans des questions sociales. Ce sont aussi ces deux éléments qui permettent de rendre compte de la manière dont le social – comme catégorie d’intervention journalistique – est aujourd’hui spécifiquement investi et construit dans l’interaction entre les médias et leurs sources d’information.
Notes de bas de page
1 Yves Roucaute, Splendeurs et misères des journalistes, Paris, Calmann Levy, 1991.
2 Voir sur ce point la journée organisée à l’initiative de l’Association française de sociologie sur le thème « sociologie et journalisme » qui s’est déroulée le 16 juin 1995 à l’Ens rue d’Ulm à Paris. Elle réunissait des membres des deux professions, dont Patrick Champagne, Gérard Mauger, François Dubet, Antoine Spire et Éric Dupin. On se reportera aussi à l’article de Cyril Lemieux, « L’objectivité du sociologue et l’objectivité du journaliste. Convergences distinction, malentendus », in J. Felman et alii, Éthique, épistémologie et sciences de l’homme, Paris, L’Harmattan, 1996.
3 Institut français de la presse, Les journalistes en France en 1990. Radiographie d’une profession, op. cit. Tous les chiffres se rapportant à la population journalistique dans les tableaux ou les graphiques que nous avons produits sont issus de cette enquête, nous éviterons ainsi de rappeler à chaque fois leur provenance.
4 Nous avons lancé en 1991, avec l’aide de l’AJIS, un questionnaire qui – du fait du faible taux de réponses obtenues et du caractère incomplet de certaines d’entre elles – n’a pu être exploité.
5 Une des réflexions les plus intéressantes sur les usages de l’instrument statistique dans la phase de construction de l’objet a été menée par Jean-Claude Chamborédon (« La délinquance juvénile. Essai de construction de l’objet », Revue française de Sociologie, vol. XII, n° 3, juillet 1971).
6 S’il n’y avait par exemple que des journalistes spécialisés ou que des journalistes de la grande presse qui avaient répondu au questionnaire.
7 Le questionnaire AJIS distingue 11 catégories : publication spécialisée, agence de presse, quotidien national, hebdo économique, publication syndicale, radio nationale, news magazine, quotidien régional, agence photo, lettre confidentielle, autre. Furent regroupés pour les besoins de l’analyse, les réponses Agence photo (1 %)/Agence de presse (1 %) (Agences : 2 %) ; Quotidien national (7 %)/News magazine (8 %) (Presse nationale : 15 %) ; publication spécialisée (56 %)/publications syndicales (8 %) (Presse institutionnelle et spécialisée : 64,78 %). La catégorie quotidiens régionaux correspond à la catégorie presse régionale et la catégorie radio du questionnaire à la catégorie radio-TV construite à partir de l’annuaire.
8 Les résultats de l’enquête AJIS nous ont été fournis par l’un de ses adhérents, sans aucune référence de publication.
9 Ceux qui ont répondu au questionnaire sont en effet 51 % à avoir moins de 35 ans contre 35 % des membres de la profession journalistique dans son ensemble. Et 83 % des réponses au questionnaire proviennent de journalistes ayant entre 26 et 45 ans, alors que cette classe d’âge ne représente que 68 % de la population journalistique.
10 33 % des journalistes détenteurs de la carte professionnelle sont des femmes, alors que l’on compte, parmi les adhérents de l’AJIS, 40 % de femmes, et parmi les journalistes qui ont répondu au questionnaire, 49 % de femmes.
11 Comme le montre l’enquête de l’IFP, ce sont les femmes de moins de 40 ans et la classe d’âge 26-30 ans qui sont, chez les journalistes, les plus diplômées.
12 Pierre Bourdieu, « Espace social et pouvoir symbolique », Choses dites, Paris, Minuit, 1987.
13 Ibid.
14 Ibid.
15 Cette notion de « monde social » (Social World) est empruntée à la tradition interactionniste américaine et notamment aux travaux d’Anselm Strauss (voir notamment « Social Worlds and legitimation Process », Studies in Symbolic Interaction, vol. 4, 1982, p. 171-190). Sur la notion de « monde social » et ses applications, on peut se reporter, en français, à l’article d’Howard Becker, « Monde de l’art et types sociaux », Sociologie du travail, n° 4, 1983.
16 J’aimerais savoir comment vous être devenu journaliste et en quoi consiste votre activité actuelle ? (en dehors de cette consigne de départ nous avions établi un guide d’entretien nous permettant de relancer sur les représentations que les journalistes se font du métier journalistique, de leur propre position, etc.).
17 Sur les ressources effectivement mobilisées pour déclarer sa profession dans un contexte d’enquête sociologique, voir le travail de Francis Kramarz, « Déclarer sa profession », Revue française de Sociologie, XXXII, 1991, p. 3-27.
18 C’est notamment ce qu’analyse Bernard Pudal (Prendre parti, op. cit.) lorsqu’il étudie les autobiographies des dirigeants communistes.
19 Évoquer en premier lieu ses origines sociales n’interdit pas – et surtout n’est pas exclusif – de la détention de diplômes ou du suivi d’une formation universitaire commune à l’ensemble des journalistes interrogés. Simplement, ce diplôme n’apparaît pas, du fait de l’actuelle position éditoriale de ces journalistes – largement moins conforme aux représentations dominantes du métier de journaliste –, déterminant dans le déroulement de leur carrière.
20 Ce processus renvoie aux luttes « intégratrices » évoquées par Pierre Bourdieu à propos de la haute couture (« Haute couture, Haute culture », Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1980, p. 196-216).
21 Entretien rédacteur dans un hebdomadaire destiné aux travailleurs sociaux, diplôme d’éducateur.
22 Voir sur ce point le travail de Vladimir Arujo, Les journalistes de la presse militante en France et au Brésil, mémoire de DEA de science de l’information et de la communication, IFP, Paris II, 1993.
23 Sur cette notion d’enrôlement on se reportera à l’article de Michel Callon, « Éléments pour une sociologie de la traduction : la domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc », L’année sociologique, n° 36, 1986.
24 Sur l’usage des sciences sociales dans les stratégies de légitimation des compétences professionnelles, voir l’étude des conseillers en communication menée par Jean-Baptiste Legavre, Conseiller en communication, L’institutionnalisation d’un rôle, op. cit., p. 34 sqq.
25 Renaud Dulong et Patricia Paperman, La réputation des cités HLM. Enquête sur le langage de l’insécurité, Paris, L’Harmattan, 1992.
26 Les travaux qui consacrent et souvent démontrent cet « état » de fait ne doivent en aucun cas être dénigrés. Ils seront plutôt ici analysés à la fois comme un élément à part entière de notre propre démarche sociologique, mais aussi comme participant de la construction de l’identité de ceux qui, familiers de ces productions (nous verrons qu’ils les connaissent, les rencontrent et en usent), en sont aussi les objets d’étude.
27 Alain Supiot interviendra dans les colloques de l’AJIS (en 1984) et à la suite de ce colloque dans les colonnes de La Semaine sociale Lamy (« Le social dans les médias », La Semaine sociale Lamy, n° 394, 1er février 1988).
28 Alain Supiot, « Le journalisme social », Les dédales du droit social, op. cit., p. 25.
29 Ibid.
30 Annie Collovald et Brigitte Gaïti, « Des causes qui “parlent”… », Politix, n° 16, 4e trimestre 1991, p. 11.
31 Frédéric Sawicki, « Les questions de protection sociale dans les campagnes électorales », Revue française de science politique, 41, (2), 1991.
32 Voir sur ce point Rémi Rieffel, L’élite journalistique, Paris, PUF, 1984.
33 Yves Roucaute, Splendeurs et misères des journalistes, op. cit.
34 François Henri de Virieu, La médiacratie, Paris, Flammarion, 1990.
35 Annie Collovald, « Identités stratégiques », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 73, 1988.
36 Le modèle du Dictionnaire biographique de la presse Bérard Quelin, faisant l’objet d’une édition spécifique, est construit de la même manière que son « homologue » politique.
37 L’Annuaire biographique de la presse française est périodiquement mis à jour. Il est très difficile de faire une estimation du nombre de fiches qui composent les quatre classeurs qui le composent au moment de l’étude.
38 Les fiches biographiques du Bérard Quelin sont construites de manière à présenter d’abord la situation familiale et le diplôme, suivis de la fonction principale occupée au moment où est rédigée la fiche. Suivent ensuite des éléments relatifs à la carrière professionnelle de l’individu « biographé ». Les éléments biographiques cités dans le corps du texte entre guillemets sont ceux repris du Bérard Quelin.
39 Le sous-titre de cet annuaire, établi par le Service d’information et de diffusion du Premier ministre, donne à penser que ces 4 000 noms sont les noms essentiels de ceux qu’il convient de retenir (le média Sid est sous-titré « L’aide-mémoire de la presse ») lorsqu’on est en contact avec la presse.
40 Nous l’avons d’ailleurs rencontré dans la plupart des bureaux des attachés de presse des organisations syndicales avec lesquels nous avions fait des entretiens.
41 L’élite journalistique s’apprécie par un faisceau d’éléments subjectifs et objectifs autour d’un agent doté de propriétés spécifiques qui le font appartenir à la fraction supérieure de l’espace social (définie en terme de volume des différentes formes de capitaux – économique, culturel, et social) mais aussi, et sans que les études fassent le lien entre ces deux éléments, de valeurs articulées autour des notions d’objectivité et d’indépendance.
42 Voir par exemple Rémi Rieffel, L’élite journalistique, op. cit.
43 Yves Roucaute, Splendeurs et misères des journalistes, op. cit.
44 Gérard Adam est d’autant plus prompt à dénoncer l’incompétence des journalistes sociaux qu’il est lui-même un représentant de l’université et d’un savoir expert scolairement sanctionné. Il occupe en effet une double position de journaliste et de professeur au CNAM et à l’IEP de Paris. Il est par ailleurs docteur en science politique. De la même manière, l’élite journalistique telle que la définissent Yves Roucaute et Rémi Rieffel renvoie à leur propre position d’universitaire (Yves Roucaute est journaliste mais aussi agrégé de science politique, Rémi Rieffel est docteur en sociologie, professeur et chercheur à l’IFP).
45 Gérard Adam, in Jean-Pierre Dumont (dir.), L’information sociale en question, op. cit., p. 12.
46 « L’information économique et sociale », annexe au procès-verbal de la réunion du jeudi 2 juillet 1987, au Conseil économique et social (audition de M. François Charpentier, président de l’Association des journalistes de l’information sociale et de M. Garibal, président de l’Association des journalistes économiques et financiers).
47 Ibid., p. 11.
48 Voir sur ce point les articles de Jean-François Rouge, « Le journaliste au risque de l’argent » et Thierry Naudin, « Situation morale de la presse économique », Esprit, « Où va le journalisme ? », n° 167, décembre 1990. On peut par ailleurs souligner qu’aucune contribution au numéro d’Esprit ne porte sur un éventuel engagement politique des journalistes mais seulement sur des questions strictement professionnelles de « déontologie ».
49 La Vie française du 7 mars 1983 rapportant l’assemblée générale de l’AJIS fait ainsi état de « remous » qui ont « failli déboucher sur une vive altercation entre le président et Jean-Louis Validire, proche de Force Ouvrière » (cet article de presse est tiré du dossier de presse « Information sociale », réalisé par le Service juridique et technique d’information).
50 FO Hebdo du 5 mars 1986. C’est Charles Schester membre du comité fondateur de l’AJIS qui est appelé à défendre le pluralisme syndical de l’association.
51 L’Humanité du 9 mars 1987 titre un article anonyme à la suite de l’assemblée générale de l’AJIS : « AJIS : un mauvais anniversaire », dans lequel il est souligné que le journaliste de L’Humanité a été écarté au profit du journaliste du Figaro magazine (comme pour l’affaire soulevée par FO Hebdo, il est à nouveau rappelé que parmi les membres fondateurs on comptait deux journalistes de L’Humanité) ; cet article de presse est tiré du dossier de presse « Information sociale » réalisé par le Service juridique et technique d’information.
52 Anonyme, « L’AJIS : le ventre mou de l’information sociale. Quand passe la perestroïka », Libre Journal, n° 2, novembre-décembre 1990, p. 32-33, dossier archives privées AJIS.
53 Dans une note, le journaliste mentionne ainsi, à partir d’une liste de titres, « la zone d’influence communiste » à l’AJIS qui irait de l’AFP à Sud-Ouest.
54 Daniel Gaxie, Le social transfiguré, op. cit., p. 5-6.
55 Anne-Marie Guillemard, Le déclin du social. Formation et crise des politiques de la vieillesse, Paris, PUF, 1986.
56 Bruno Jobert, « Itinéraire d’une rénovation inachevée », Informations sociales, n° 21, 1992.
57 Jean-Noël Rétière, « Les avocats », Les dédales du droit social, op. cit.
58 Pierre Cam, « Juges rouges et droit du travail », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 19, janvier 1978.
59 Annie Collovald et Brigitte Gaïti, « Discours sous surveillances : le social à l’assemblée », Daniel Gaxie (dir.), Le social transfiguré, op. cit.
60 Ce colloque sera en partie publié par le CNESS dans L’information sociale en question, Paris, Economica, 1984. D’autres extraits firent l’objet d’une publication dans la Revue des Affaires sociales, janvier-mars 1984.
61 Alain Guédé, journaliste à Sud-Ouest, ibid., p. 50.
62 Gérard Adam, ibid., p. 11.
63 Michel Noblecourt, chef du service économique du Monde, ibid., p. 31.
64 Yvan Charon, journaliste à TF1, ibid., p. 33.
65 Pierre Bérégovoy, ibid., p. 67-68.
66 Ibid., p. 70.
67 Communiqué AFP du 24 septembre 1983, rendant compte du colloque de Saint-Étienne (ibid., p. 145).
68 Le Monde Dimanche, 23-24 septembre 1983, ibid., p. 146.
69 Catherine Hersberg, « Le social peut-il faire recette ? », Liaisons sociales mensuel, n° 2, novembre 1985, p. 32-33, dossier archives privées AJIS.
70 Catherine Hersberg, « Le social peut-il faire recette ? », op. cit.
71 Jean-Michel Normand, « Le social dans tous ses états vu par les journalistes sociaux », Stratégie du Management, n° 203, sept. -oct. 1992. Ce compte rendu fut publié auparavant dans le bulletin de l’AJIS.
72 Jean-François Charpentier, L’information économique et sociale, annexe au procès verbal de la réunion du jeudi 2 juillet 1987 au Conseil économique et social, op. cit.
73 Annette Ferrière, « Compte rendu du débat de l’assemblée générale du XXe anniversaire de l’AJIS », SIS, avril 1987.
74 Annuaire AJIS 1993-1994.
75 Terme employé dans un communiqué de l’AJIS protestant contre la direction de TF1, Échos de la presse et de la publicité du 23 janvier 1985.
76 Correspondance de la Presse Française (CPF) du 22-02-1983.
77 CPF du 5-03-1984.
78 CPF du 16-05-1984.
79 Échos de la presse et de la publicité du 24-01-1985.
80 CPF du 29-01-1986.
81 « Stimuler la confraternité entre ses membres » reste cependant l’un des buts statutaires de l’association.
82 Annette Ardisson, auteur du rapport d’activité pour l’assemblée générale de 1989, souligne que les petits déjeuners seront « uniquement » repris « avec des personnalités haut de gamme et dans l’actualité ».
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