Chapitre VI. Une radio nocturne en perte de vitesse ? 1985-1995
p. 333-383
Texte intégral
1La nuit radiophonique est désormais entrée dans l’ordinaire des quotidiens et du monde nocturne. Elle est devenue une part non négligeable de la programmation des différentes stations de radios, portion sonore variée, mouvante, intime, bavarde et musicale. Si cette diversité perd progressivement du terrain dans la dernière partie de notre étude, des initiatives originales sont toutefois proposées jusqu’au milieu des années 1990, notamment sur France Inter et sur les radios FM destinées aux adolescents.
Les radios traditionnelles et la nuit
2Que deviennent les nuits des radios « traditionnelles », c’est-à-dire les stations de Radio France et les anciennes « périphériques » à partir du milieu des années 1980 ? Comment sont-elles modifiées ?
L’invention de la télévision de nuit…
Jusqu’au milieu des années 1980, neige nocturne sur les écrans de télévision
3Jusqu’au début des années 1980, la télévision de nuit n’existe pas en France, ce qui confère à la radio un statut particulier et privilégié de média intime présent en continu. On peut allumer le poste à chaque instant pour y trouver du contenu, des voix ou de la musique. Comme on l’a vu dans le chapitre précédent, c’est tout particulièrement vrai depuis l’influence des radios libres qui ont permis de conquérir le territoire nocturne et de franchir ainsi la frontière de la nuit radiophonique. Par comparaison, les trois chaînes de la télévision publique1 se couchent tôt, puisque leurs programmes ne vont pas au-delà de minuit jusqu’en 1983. À cet égard, la France est en retard par rapport à d’autres pays occidentaux, comme les États-Unis ou l’Angleterre2. En avril 1982, les trois chaînes de télévision française ferment leur antenne après le dernier journal de la journée, programmé à 23 h 40 pour TF1, 23 h 10 pour Antenne 2, et 23 h 20 pour FR33. Après minuit, il n’y a plus que de la neige ou la Mire sur les écrans de télévision, tandis que des voix multiples – célèbres ou anonymes – se croisent et se répondent sur les chaînes de radio, jusque très tard dans la nuit, ou très tôt le matin.
4Avant que n’apparaisse la télévision de nuit, il existe tout de même des exceptions à la règle, lors de nuits spéciales des fêtes de fin d’année ou d’élections – à l’image de la radio antérieure à 1955. En 1981, Jacques Chancel4 élabore une nuit spéciale sur Antenne 2, à l’occasion de la nuit de la Saint-Jean. Pour l’occasion, la chaîne propose un programme de cinéma : neuf films sont diffusés pendant 24 heures, scandés par des débats, des interviews et des reportages consacrés au septième art. C’est une première en France. Télé 7 jours s’interroge sur le bien-fondé de cette opération : « Coup de folie, gaspillage ou charmante fantaisie5 ? » Jacques Chancel, qui a lui-même sélectionné les films programmés, justifie son pari « fou » : « tant pis si on me prend pour un dingue. Après tout, la télévision peut s’offrir le luxe, de temps à autre, de faire quelque chose qui sorte de l’ordinaire6 ». Parmi les films au programme de ce marathon cinématographique figurent notamment Zazie dans le métro de Louis Malle, Les Fêtes galantes de René Clair, La Chevauchée fantastique de John Ford, Jeux interdits de René Clément, ainsi qu’un film érotique : Les Contes immoraux de Walerian Borowzyk, diffusé à 2 heures du matin. En dehors de cette initiative particulière, il faut signaler que depuis l’apparition des magnétoscopes en France au milieu des années 19707, les « couche-tard » détenteurs d’un tel appareil ont la possibilité de regarder durant la nuit des émissions de télévision qu’ils auraient enregistrées et des films achetés dans le commerce ou loués dans des vidéo clubs.
Création de la télévision privée et premières émissions d’après-minuit
5Au milieu des années 1980, après la légalisation des radios libres, le paysage audio-visuel français connaît un deuxième bouleversement. La disparition du monopole de la télévision, partiellement inscrite dans la loi du 29 juillet 1982 qui régit la libéralisation des ondes radio, s’effectue progressivement. Dès le mois de juin 1982, François Mitterrand annonce la création d’une quatrième chaîne de télévision. Canal + est créée en décembre 1983, sous la forme d’une concession de service public par convention entre l’État et l’agence de presse Havas8. Il s’agit d’une télévision « à péages », qui nécessite un abonnement, et dont les émissions débutent à l’automne 1984. En 1985, à l’horizon des élections législatives de mars 1986 faisant planer un risque de cohabitation, le gouvernement de Laurent Fabius crée deux nouvelles chaînes de télévision privées : la Cinq9 – chaîne culturelle –, puis TV610 – chaîne musicale destinée à diffuser essentiellement des vidéo-clips, « genre dramatique nouveau11 ». Suite aux élections législatives du 16 mars 1986, le nouveau gouvernement de cohabitation mené par Jacques Chirac « fait aussitôt de la télévision le symbole de son néolibéralisme12 », selon Agnès Chauveau, en privatisant la chaîne de télévision publique TF1, ce qui constitue un cas unique dans l’histoire des télévisions occidentales. Par ailleurs, le gouvernement réattribue la Cinq et TV6, privatise complètement Europe 113 et remplace la Haute autorité par la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL)14. C’est dans ce contexte des débuts de la télévision privée qu’apparaît la télévision nocturne.
6Canal + est la première chaîne à proposer des programmes de nuit, dès son lancement en novembre 1984. Ses programmes s’interrompent alors à 3 heures du matin du dimanche au jeudi ; à 4 h 50 le vendredi ; et à 6 h 45 le samedi15. Ils reprennent à 7 heures en semaine et à 7 h 30 le week-end. La nuit, les programmes diffusés sont essentiellement de la fiction : séries, films et téléfilms, ainsi que des documentaires. En outre, la nouvelle quatrième chaîne programme une diffusion nocturne de films pornographiques à partir de 1985. Dès la rentrée suivante, les trois chaînes publiques poursuivent leurs émissions un peu plus tardivement dans la nuit, notamment durant la nuit du samedi au dimanche : TF1 coupe ainsi ses émissions à 3 h 15 cette nuit-là16. Le reste de la semaine, en revanche, les trois premières chaînes se couchent toujours aux alentours de minuit. En 1986, les deux nouvelles chaînes privées La Cinq et TV6 – cette dernière disparaîtra un an après sa création et sera remplacée par M6 – s’inscrivent dans le sillage nocturne de Canal +. La semaine, elles cessent respectivement leurs programmes à 3 heures et 1 heure du matin. La Cinq propose essentiellement des fictions, tandis que M6 diffuse de longues plages nocturnes de clips musicaux.
7La même année, FR3 inaugure une série érotique tardive, Série rose, le samedi soir après 23 heures17. Par ailleurs, depuis 1984, l’antenne de FR3 se clôt chaque soir avec un programme de musique classique intitulé Prélude à la nuit. Pascale Breugnot, productrice des premiers reality shows, crée et produit des émissions tardives tournant autour de la sexualité18 : Sexy Folies sur Antenne 2 en 1986, puis Super Sexy sur TF1 à partir de 198719. Dans ces émissions de « télé porte-jarretelles20 », on trouve des « filles » – les « girls » – dénudées, du strip-tease, des caméras cachées, des « vidéo-fantasmes » et l’interview « hard » d’une personnalité21. Sur M6, le magazine érotique bimensuel Charmes précède une série de Sexy Clips musicaux diffusée dans la nuit22. L’érotisme « invisible » et jusqu’ici suggéré de la radio de nuit est ainsi « importé » au petit écran, au moment où l’épidémie du sida bouleverse la sexualité des Français.
8La rentrée 1987 constitue un moment clé dans l’histoire de la télévision de nuit. En ce début de saison, en effet, deux nouvelles émissions d’après-minuit sont créées sur TF1 – tout juste privatisée – et la Cinq. Il ne s’agit plus de diffuser ou de rediffuser dans la nuit des fictions ou des documentaires, mais de créer un nouveau genre télévisuel. C’est la naissance des talk-shows23, des émissions culturelles et mondaines qui s’inscrivent dans une atmosphère nocturne, intimiste et conviviale, sorte de petites-cousines télévisuelles des programmes comme Le Pop Club sur France Inter ou Barbier de nuit sur Europe 1. Après avoir animé pendant quatre ans sur TF1 l’émission de cinéma Étoiles et toiles tard le samedi soir, puis le lundi24, Frédéric Mitterrand25 reçoit désormais ses invités dans son salon nocturne Permission de minuit, tous les jours de la semaine entre minuit et une heure du matin. Un journaliste du magazine belge Télé Moustique se réjouit de cette transformation importante :
« À partir de lundi, TF1 ne ferme plus avant une heure du matin. Une émission quotidienne faite pour la nuit et qui inaugure les promesses des racheteurs de TF1 annonçant, il y a quelques mois, leur désir de voir diffuser la chaîne 24 heures sur 24. Nous n’en sommes pas encore là […]. Joliment intitulé Permission de minuit, ce magazine […] racontera la journée passée en musique, en news, en invités et en flashes insolites. Évidemment, plus on avance dans la soirée, plus le téléspectateur-type se modifie. À cette heure tardive, le thermomètre indique une forte poussée d’insomniaques, de célibataires et de branchés. Tout ce petit univers de l’ombre pourra enfin se retrouver autour de la personne de Frédéric Mitterrand, modèle cousu main du célibataire branché insomniaque. Détesté ou adoré, Mitterrand est une véritable gazette : tout ce qu’il faut savoir, il le sait ; tout ce qu’il ne faut pas dire, il le dit26. »
9Parallèlement, le publicitaire, animateur et producteur Thierry Ardisson27 rejoint La Cinq où il commence à animer Bains de minuit, rendez-vous hebdomadaire du vendredi soir, de 23 h 30 à 1 h 30 du matin. L’émission est enregistrée aux Bains douches, discothèque parisienne à la mode et s’inscrit dans le monde noctambule, à l’image du radiophonique Pop Club. En septembre 1987, peu avant la première28, Thierry Ardisson présente ce nouveau programme :
« J’aime cette boîte et son décor venu d’ailleurs. Je suis noctambule par vocation. […] J’adore la nuit pour retrouver mes amis, échanger des idées, danser. J’ai fréquenté le Palace, la Main Bleue29. […] Il y aura des écrivains, des comédiens, et le showbiz sera là, mais si je reçois Deneuve ou Noiret, j’irai plus loin que leur dernier film. Ils seront vraiment sous l’œil de la caméra, comme au cinéma, et je leur demanderai tout30 […]. »
10À la différence de ce qui se passe pour la radio, les audiences de nuit télévisuelles sont mesurées et communiquées publiquement par Médiamétrie. Dès les premières semaines, l’émission de Thierry Ardisson attire un public plus large que celle de Frédéric Mitterrand. Le vendredi 25 septembre 1987, Bains de minuit a ainsi rassemblé 1,3 % de parts d’audience cumulée, contre 0,8 % pour Permission de minuit. En tout cas, ces deux émissions de « conversations mondaines » dans un « style feutré31 » sont les premières d’un genre nouveau qui sera amené à durer. Pierre Bouteiller32 est appelé par M6 pour présenter le talk-show Club 6, les soirs de semaine entre 23 h 40 et 00 h 30. Deux mois à peine après le début de saison 1987-1988, Antenne 2 réagit en proposant une émission du même style, Entrez sans frapper33. Programmée du lundi au vendredi entre minuit et 1 heure, cette émission a la particularité d’être diffusée simultanément sur Antenne 2 et Europe 1, en direct depuis un studio de radio de la rue François-Ier. Elle est présentée par Christian Barbier – l’animateur de Barbier de nuit sur Europe 1 depuis 1969, rompu à l’exercice de l’interview nocturne des célébrités – et la comédienne Évelyne Dress34, bientôt remplacée par Marie-Ange Nardi35. L’idée est que le studio soit ouvert à tous ceux qui font le spectacle. Des musiciens viennent jouer en direct, des comédiens parlent de leur pièce à la sortie du théâtre, des écrivains s’expriment sur leur dernier livre, etc. Cette émission quotidienne radiotélévisée ne survivra pas à l’année 1988, à l’instar de Permission de minuit de Frédéric Mitterrand. D’ailleurs, dès le mois de janvier 1988, Permission de minuit quitte un rythme quotidien pour n’être plus diffusée que le vendredi soir36.
11À la rentrée 1988, Thierry Ardisson rejoint la deuxième chaîne pour présenter Lunettes noires pour nuits blanches, le samedi soir à partir de 23 heures. Le principe est le même que Bains de minuit : interviews, reportages, enquêtes, variétés et supercheries composent l’émission. Pour ce nouveau rendez-vous nocturne, Thierry Ardisson a quitté les Bains douches pour s’installer au Palace, autre haut lieu de la nuit parisienne. À l’image de son émission précédente, Lunettes noires pour nuit blanches est filmée en clair-obscur, car, comme l’explique l’animateur : « je veux garder ces lumières de nuit que l’on ne retrouve pas dans un studio et qui sont propices aux confidences37 ». Il est intéressant de noter que les programmes d’entretiens nocturnes, à la télévision comme à la radio, reposent souvent sur cette dimension de confidence. Avec ces deux émissions, Ardisson forge son style et construit un type de programme tardif qu’il déclinera tout au long de sa carrière38. Quant à Frédéric Mitterrand, il produit à partir de 1988 Du côté de chez Fred, une émission culturelle quotidienne diffusée sur Antenne 2 l’après-midi, mais rediffusée chaque nuit entre minuit et une heure du matin.
Naissance de la télévision 24 heures sur 24
12Au cours des années 1980, la télévision française « grignote » progressivement sur la nuit, jusqu’à la conquérir complètement et à en faire le tour, comme l’écrit une journaliste de Télérama en février 1989 :
« D’année en année, les adieux ont été plus tardifs. Les frontières reculaient imperceptiblement comme dans la conquête de l’Ouest. Et un beau matin, on a touché le Pacifique. La télé a fait le tour de la nuit39. »
13Le 24 avril 1988, la chaîne privée la Cinq est la première à inaugurer la télévision 24 heures sur 24. Déjà leader en termes d’ouverture et de fermeture d’antenne, la chaîne de la fiction comble désormais le vide avec des rediffusions d’émissions diffusées la journée40. Elle sera suivie, dès 1989, par TF1 et M6. Les chaînes du service public, quant à elles, continueront d’interrompre leurs programmes au cœur de la nuit encore quelque temps. Durant l’été 1991, une expérimentation de diffusion 24 heures sur 24 est finalement mise en place sur les chaînes publiques. Le P.-D. G. d’Antenne 2 et FR3 Hervé Bourges41 défend ce choix en pointant du doigt le retard de l’audiovisuel public et en mettant en avant le potentiel et les possibles d’une télévision de nuit sans interruption. Il regrette l’idée de ne laisser aux spectateurs français le choix qu’entre les chaînes privées – « boîtes à séries et vidéo clips » – et le magnétoscope, alors que la télévision publique britannique, par exemple, « garde les yeux ouverts sur ses deux chaînes avec des programmations complètes et éclectiques42 ». Il souhaite que cette expérimentation soit fructueuse, car, comme il l’explique, même si l’audience nocturne est moindre, il ne doit pas y avoir de corrélation mécanique entre l’investissement-programmes et la dimension de l’auditoire quand il s’agit de télévision publique43. À la rentrée 1991-1992, Antenne 2 poursuit ses diffusions en continu, tandis que FR3 s’interrompt toujours durant les heures noires, à une heure en semaine, et même plus tôt le week-end – à minuit et demi44. Sur Antenne 2, les programmes diffusés la nuit sont essentiellement des rediffusions d’émissions produites par la chaîne pour la journée, ainsi que des documentaires, des feuilletons, et des programmes d’information. Par ailleurs, en septembre 1992, les chaînes Antenne 2 et FR3 seront respectivement renommées France 2 et France 3.
14En quelques années, le paysage télévisuel s’est élargi, donnant naissance à un nouveau téléspectateur. À l’automne 1991, l’écrivain et critique littéraire Francis Marmande publie dans Le Monde une réflexion sur ce phénomène nouveau de la télévision de nuit, qu’il qualifie de « rêve éveillé » :
« [La télévision de nuit] est dans la parfaite continuité du reste, des programmes qui la précèdent, et pourtant, rien ne peut faire qu’on la confonde. On sait qu’on y est. […] On est passé […] de l’autre côté. Preuve subsidiaire ; on sait parfaitement en revanche quand elle finit, quand on en revient. […] On voit d’un coup ce que voient les autres, hagards de la même Méduse, perdus dans une autre nuit, la même. On voit à travers leur regard. C’est leur regard même qu’on voit. De jour on oublie ça : on perd la tête. C’est la nuit que la tête revient. Au total, on est 200 000. Plus, selon les heures. Plus nombreux que le peuple russe affairé à faire révolution. Plus hétéroclite. On entend ce qu’ils entendent. On souffre et on rit pour eux. On s’en ressert un. […] La nuit n’a plus d’heures, je sors de la quatrième dimension, je rêve éveillé au réel. […] La nuit est le seul moment où la TV s’entend dans son pur silence45. »
15L’auteur se livre à une ode à la télévision nocturne, la qualifiant « d’accélérateur de pensée ». Avec l’avènement de la télévision après minuit, la radio a perdu le monopole de la nuit. D’ailleurs, si l’existence de programmes cathodiques durant les heures noires est présentée comme une révolution sous la plume des journalistes qui évoquent ce sujet, il est intéressant de constater qu’il n’est jamais question de radio nocturne dans ces articles. Il semblerait que l’invention de la télévision de nuit fasse de l’ombre à la radio.
… fait de l’ombre à la radio nocturne ?
16Concurrencée par la télévision qui s’est installée sur son territoire à partir du milieu des années 1980, la radio de nuit s’étiole sur les anciennes stations périphériques et les radios du service public, elles-mêmes concurrencée par les radios libres. Si certaines émissions phares perdurent, d’autres disparaissent, tandis que les nouvelles émissions créées ne renouvellent pas profondément le genre, et ne font pas beaucoup parler d’elles.
17En 1987, Radio France lance France Info, une nouvelle station dédiée à l’information continue, qui émet 24 heures sur 24. La même année, Europe 1 crée Europe 2, un programme essentiellement musical destiné à être écouté en modulation de fréquence. En dehors de la création de ces nouvelles stations, comment évoluent les radios traditionnelles sur le terrain des ondes nocturnes ?
Des émissions phares se poursuivent
• José Artur, Christian Barbier et Georges Lang, voix nocturnes semblant inébranlables
18Parmi les programmes déjà existants, certains, devenus cultes, se poursuivent. Pensons au Pop Club de José Artur sur France Inter – la personnalité de l’animateur semble d’ailleurs jouer un grand rôle dans le succès et la longévité de l’émission. Depuis janvier 1984, en plus de son rendez-vous nocturne, José Artur présente également À qui ai-je l’honneur ?, chaque soir entre 18 h 20 et 19 heures. Il anime ainsi deux émissions quotidiennes sur France Inter pendant plusieurs années, avant que son Club tardif ne soit à nouveau interrompu durant toute la saison 1987-1988, soit l’année même où les premiers talk-shows d’après-minuit voient le jour à la télévision. Il présente alors une seule émission entre 18 heures et 19 heures – le magazine culturel Au niveau du vécu –, et sort durant cette année-là un deuxième livre46. Cette interruption nocturne n’est toutefois que de courte durée puisque José Artur revient dès la rentrée 1988 sur son horaire de prédilection47, entre 23 heures et 1 heure. Certaines lettres d’auditeurs témoignent de la joie de retrouver le producteur sur cette tranche horaire :
« Pour nous, vous êtes le seigneur de France Inter. […] Nous aimons vos émissions intéressantes, intelligentes, vivantes et menées de main de maître avec votre humour naturel. Quelle joie l’année passée à l’annonce de votre retour sur les ondes du soir. Et notre retour à l’écoute, car le “précédent48” nous avait envoyé sur une autre station49. »
19José Artur ne quittera plus cette tranche et n’anime désormais plus d’émission en fin d’après-midi50. Son programme tardif est toujours réalisé en dehors des murs de la Maison de la radio, au Fouquet’s, et est renommé, s’intitulant d’abord Parlons d’eux, y’a qu’ça qui les branche51, avant de devenir À l’heure du pop. En réalité, ces tentatives de renouvellement de titres d’émission ne s’imposeront jamais pour remplacer le nom originel, et l’émission de José Artur restera toujours Le Pop Club dans l’imaginaire collectif.
20José Artur reste particulièrement impliqué et investi dans son émission, n’hésitant pas, par exemple, à être présent à l’antenne en direct les nuits de Noël. Certains de ses auditeurs écoutent José Artur depuis de très nombreuses années et affirment qu’il représente pour eux un repère, une source de joie nocturne quotidienne. Parmi les courriers qui lui parviennent, de nombreuses lettres continuent de vanter ses « talents », et insistent sur la longévité de l’écoute, « plus de vingt-cinq ans52 », et les bienfaits d’un tel « accompagnement ».
21Sur Europe 1, le salon nocturne de Christian Barbier se poursuit, même après l’échec de la tentative de transposition de son émission à la télévision. En 1986, le programme avait pris le nom de Club Kriter53, qu’il reprendra en 1988, après le retour à une simple diffusion radiophonique du programme. Sur RTL, la recette d’après-minuit ne change pas. Georges Lang reste en place aux commandes de son émission musicale des Nocturnes, berçant les auditeurs « de sa voix de crooner54 », sur une antenne commerciale débarrassée de ses publicités à l’heure de la nuit. Il ouvre d’ailleurs l’antenne de la nouvelle chaîne de télévision musicale M6, le 1er mars 1987, en animant sa toute première émission. Et l’émission de Georges Lang est toujours prolongée dans la nuit sur RTL par Jean-François Johann ou Lionel Richebourg, qui présentent Petites musique de fin de nuit entre 3 heures et 5 heures.
22José Artur, Christian Barbier et Georges Lang restent donc au micro toutes ces années. Non seulement ils traversent les décennies, les modes et les bouleversements du paysage audiovisuel, mais ils restent aux commandes des mêmes émissions. Si les titres de celles-ci sont parfois modifiés, les formules changent en réalité assez peu. Surtout, ces trois producteurs restent particulièrement attachés à leur créneau nocturne. En 1996, le journal France Soir consacre un article à ces trois animateurs nocturnes, présentés comme « les chouchous de la bande FM, qui préfèrent la nuit55 », et dont il est précisé qu’ils n’échangeraient pas leurs horaires contre une heure de grande écoute. Leur longévité et leur fidélité à une seule et même station sont soulignées, à juste titre, comme étant rares et exemplaires.
• Le retour d’Allô Macha sur France Inter
23Sur France Inter, Macha Béranger, qui avait délaissé les auditeurs pour dialoguer avec les vedettes pendant près trois ans dans Très star dans la nuit, finit par reprendre du service aux commandes de l’émission quotidienne de confidences téléphoniques Allô Macha, à partir d’août 198656. Le programme est d’abord diffusé plus tôt dans la soirée, entre 22 h 15 et minuit, avant de retrouver, dès le mois de septembre, une diffusion véritablement nocturne, à une heure du matin. L’abondance du courrier57 reçu suite à cette reprise témoigne d’ailleurs d’un fort élan d’enthousiasme de la part des auditeurs, que ceux-ci soient d’anciens habitués de l’émission ou de nouveaux auditeurs qui la découvrent grâce à cet horaire de diffusion plus accessible. En effet, en août 1986, Macha Béranger reçoit 252 lettres, soit une moyenne d’environ huit lettres par jour. En septembre de cette même année, elle en recevra près de deux fois moins, avec 123 lettres au total ; puis 39 lettres en octobre ; 52 en novembre ; et enfin 72 en décembre58. Les mois d’août et de septembre, qui correspondent à la reprise de l’émission, font donc clairement l’objet d’un courrier plus abondant.
24Certains de ces courriers proviennent d’anciens auditeurs de Macha Béranger, qui écrivent à l’animatrice pour manifester leur joie de retrouver cette émission de dialogue qui leur avait manqué, à l’image de Pierre :
« Merci Macha pour votre émission, je me sens moins seul. J’ai eu du mal à me remettre de la fin des émissions il y a 3 ans. Il existe encore des gens super. Merci d’exister Macha, je vous aime. Je vous embrasse vous et votre équipe59. »
25Joël réalise, en réécoutant Allô Macha, que le programme lui avait manqué, et cela le replonge dans le passé des premiers temps de l’émission, neuf ans plus tôt, au moment où il veillait pour préparer son baccalauréat. Il dit être heureux de retrouver ce « cercle des AMIS de la NUIT60 ». Paule écrit également à Macha dans ce sens : « Qu’il est bon de vous entendre à nouveau sur les ondes ! J’ai tant attendu ce moment61 !… » Ces mots peuvent d’ailleurs surprendre, car Macha Béranger n’a en réalité jamais vraiment quitté les ondes, c’est seulement son émission de dialogue téléphonique, au titre personnalisé, qui avait disparu pendant ces trois années. Jean-Philippe, jeune médecin, retombe par hasard sur le programme qui lui évoque également des souvenirs, ceux de ses années d’étudiant, et cette évocation souligne la force de la voix :
« L’avant-dernière fois que j’ai entendu votre voix, j’étais étudiant et je travaillais pour mes examens. Avec un ami grec, étudiant comme moi à l’époque, nous prenions souvent le café en écoutant votre émission. Hier soir, j’ai eu la surprise de vous entendre à nouveau et beaucoup de souvenirs sont revenus à ma mémoire. Bons et mauvais à la fois. Bons parce qu’on a toujours la nostalgie de sa vie d’étudiant, de ces soirées jusqu’à l’aube, de discussions à n’en plus finir et sur tous les sujets. Mauvais aussi car beaucoup de ces nuits blanches étaient destinées aux “travaux forcés” universitaires62. »
26Ce témoignage fait part du rapport intime et émotionnel lié à la voix, à l’écoute d’une émission nocturne. Pour certains de ces auditeurs qui connaissaient déjà Allô Macha, c’est une bonne chose que le programme soit diffusé plus tôt, comme l’écrit Paule :
« Surtout ne changez pas les heures actuelles de votre émission, car je ne pourrais plus vous écouter, car quand j’écoutais vos émissions naguère j’étais une “insomniaque” voulue. Savez-vous que lorsque vous interrogez les stars je n’ai jamais pu tenir plus de quinze minutes et très souvent moins ? Pourtant je mettais mon réveil à sonner ; je changeais l’heure, eh bien ! je n’avais même pas le temps de mettre l’aiguille sur l’heure désirée que je me rendormais avec le réveil dans les mains63… »
27Ce témoignage nous renseigne sur les pratiques de certains auditeurs qui, parce qu’ils sont attachés à une voix dans la nuit, vont jusqu’à mettre leur réveil pour pouvoir l’écouter, même si la lutte contre le sommeil est parfois vaine. Un autre auditeur partage l’avis de Paule concernant les horaires, se réjouissant que Macha Béranger ait choisi ces deux heures-là, « aux confins de la vie active et du mystère de la nuit64 ». En effet, s’il a toujours apprécié l’émission, la diffusion trop avancée dans la nuit ne lui convenait pas. À l’inverse, certains anciens auditeurs fidèles de la nuit sont un peu agacés par ce changement d’horaire, ayant l’impression d’être privés d’un privilège jusqu’ici réservé aux seuls nocturnes :
« Je suis jalouse… Cette nouvelle tranche horaire prive les insomniaques d’un privilège, d’une compensation. Pourtant depuis 9 ans, que d’infidélités j’ai dû vous faire pour dormir ! (Indispensable) Mais je savais que vous seriez là, à 2 heures du matin, si… Et la nuit, les choses prennent une toute autre dimension. Soyons honnêtes : je reconnais que les gens du soir ne sont pas indifférents non plus. Disons que le côté confidence de l’émission disparaît quelque peu. On sème à tout vent. Même Macha a moins sa voix de murmure feutré devant la fougue de certains surexcités de 10 heures du soir65. »
28Ce courrier est particulièrement intéressant et semble caractéristique de l’état d’esprit d’une partie de l’auditoire nocturne, transcrivant la joie de faire partie d’un cercle fermé, un club presque secret, sorte de revers de la médaille positif au fait de souffrir de problèmes de sommeil ou de travailler à l’envers des autres. L’émission nocturne, pour ces personnes-là, constitue un rempart rassurant, un repère immuable, une compagnie agréable quotidienne, ou simplement occasionnelle, en cas d’insomnie ou de veille nocturne. Selon cette auditrice, le ton général de l’émission n’est pas le même à 22 heures et au cœur de la nuit, la voix de Macha étant notamment moins feutrée dans la soirée – ou le paraissant ? –, tandis que l’énergie des auditeurs semble différente.
29Cette diffusion plus précoce dans la nuit a en tout cas permis d’élargir l’auditoire d’Allô Macha. Des auditeurs non noctambules découvrent ce programme durant le mois d’août 1986, précisément parce qu’il est diffusé dès 22 heures. Une auditrice se sent gênée de découvrir tardivement cette émission qu’elle qualifie de « fantastique d’humanisme » :
« Je ne fais pas partie de la famille des sans sommeil et ça me gêne. Je n’ai jamais fait attention à la grille des programmes de nuit de France Inter66. »
30À la rentrée, au moment où l’émission Allô Macha est à nouveau décalée plus tard dans la nuit, pour être désormais diffusée entre 1 heure et 2 heures du matin, ces nouveaux auditeurs s’en émeuvent, comme Béatrice, étudiante de 23 ans, qui prépare le concours de conservateur de musée :
« Depuis quinze jours (seulement) que j’écoute votre émission, elle m’a beaucoup apporté, et vous êtes devenue une amie. […] J’ai été très triste d’apprendre le changement d’horaire de la semaine prochaine, je crois […] que je ne me réveillerai pas entre 1 heure et 2 heures du matin, au moins pendant la préparation du concours67. »
31Anne-Josée est du même avis, précisant que l’émission l’a aidée à supporter un « choc affectif ». Elle explique que depuis que l’émission a été remise à une heure du matin, elle ne parvient pas à rester éveillée pour l’entendre, même si elle essaie de lutter dans ce sens68. La diffusion estivale d’Allô Macha à 22 heures a aussi permis à de jeunes auditeurs adolescents de découvrir le programme. À partir de la rentrée de septembre, ils ont eux aussi des difficultés à rester à l’écoute, à l’image d’Alain, 14 ans :
« Je vous écoute depuis début août à peu près car c’est le jour où j’ai eu un poste de radio à moi. Malheureusement je ne peux plus vous écouter pour deux raisons. La première c’est que votre émission est trop tard et parce que j’ai école maintenant, alors je ne peux écouter que le vendredi si je ne m’endors pas trop tôt. […] Ma mère aussi vous écoutait avant, elle m’a même dit que ça fait bien 10 ans que vous êtes à la radio, sinon plus69. »
32Il est intéressant de constater que plusieurs générations ont pu écouter l’émission dans une même famille, soit simultanément, soit successivement. Jean, interne en classe de terminale, explique avoir du mal à concilier sa passion pour Allô Macha et sa scolarité au lycée. S’il enregistre parfois certaines émissions, il regrette que leur ton se marie moins bien au jour : « ces émissions, sorties de leur contexte, nuit et silence, sont beaucoup moins séduisantes70 ». Il y a donc une réelle adéquation entre la nuit et les programmes de dialogues téléphoniques radiophoniques.
33Il est intéressant de noter que la proportion de lettres émanant de prisonniers, assez importante en 1986, a tendance à se réduire au fil du temps, traduisant vraisemblablement une diminution de l’écoute de cette émission nocturne au sein de la population carcérale. Cette baisse de l’audience chez les prisonniers s’explique certainement par l’introduction de la télévision dans les cellules, en décembre 1985, suivie par la prolongation des programmes télévisuels dans la nuit à la fin des années 1980.
34Macha Béranger avait interrompu ses dialogues nocturnes avec les auditeurs en 1983, au moment où la parole décomplexée des anonymes se faisait entendre sur la majorité des radios libres. Dans ce contexte d’évolution des mœurs accompagnée d’une introduction de l’érotisme dans les programmes audiovisuels – radiophoniques puis télévisuels – depuis la fin du monopole, Macha Béranger revient en affirmant sa singularité. Elle ne souhaite pas « tomber dans le créneau slip71 » médiatiquement en vogue, ni « jouer la carte des petites annonces72 ». En tout cas, son retour aux commandes d’une émission de dialogue, ainsi que l’accueil positif des auditeurs, montrent que ce type d’émission nocturne reste nécessaire et plébiscité. La libération des ondes et l’explosion des émissions de ce type sur toutes les stations n’ont pas galvaudé cette force de la parole nocturne, ni atténué le désir des auditeurs de s’exprimer.
35Europe 1, qui avait mis un terme à ce type d’émission en cessant la Ligne ouverte de Gonzague Saint Bris en 1980, soit en plein déferlement des radios pirates, a réitéré également l’expérience avec l’émission Allô c’est à vous, à partir de la saison 1984-1985. Ce programme, présenté à tour de rôle par plusieurs animateurs – Viviane Blassel73, Christian Morin, Nicole Chauvet, et Madame Soleil – est néanmoins diffusé l’après-midi, entre 14 heures et 16 heures Quelques années plus tard, la station met en place une émission de dialogue animé par le sexologue Gilbert Tordjman, Allô docteur, diffusée le dimanche soir entre 23 heures et 1 heure74.
36Les émissions de dialogue ont donc retrouvé une place sur les radios traditionnelles, Allô Macha restant un programme résolument culte, qui continue d’inspirer les créateurs. En 1991, Ged Marlon met en scène au Théâtre Paris-Villette une transposition scénique de l’émission, Tous en ligne, reprenant cinq entretiens que Macha a eus avec des auditeurs. Le Monde est séduit par cette pièce, décrite comme « une heure et quinze minutes terrifiantes de noire simplicité75 ». Pour le journal, ces récits d’anonymes, confiant pour la plupart leur « mal de vivre », sont l’occasion « de mesurer cette incroyable capacité des êtres à encaisser les coups les plus rudes76 » :
« Allô Macha comme Tous en ligne ne participent pas du grand barnum de la souffrance, façon journaux télévisés de 20 heures. Là comme ici, il est plutôt question de générosité, de compassion. Compassion de Macha, impeccable dans son ensemble rouge sang77, pour cette prof de gym bouffie par le scotch, immobilisée dans un fauteuil relax déglingué, pour ce moinillon converti à la vie civile coincé dans sa chambre de bonne, pour cette vendeuse à trois sous qui a décidé d’être gaie et qui chante dans son bain, pour cette jeune chômeuse mariée à un maître-chien, très cuir, tendance facho, et pour enfin ce drôle de type tenté par la psychopathie. […] Tous en ligne [est] un spectacle qui remue, qui saisit. Il développe une vision du monde tout à fait contemporaine. Ged Marlon et ses compagnons inventent sans afféterie un genre dramatique nouveau qui colle parfaitement à l’époque : le divertissement tragique78. »
37Le journal d’Antenne 2 consacre également un sujet à Tous en ligne, le présentateur soulignant le fait qu’un « phénomène de société a pris place sur les planches79 ». Des images de l’émission réelle, tournées en situation dans le studio 134 de la Maison de la radio, sont mises en regard avec celles de la mise en scène. Ici, l’émission de radio nocturne a fourni la matière première d’une pièce de théâtre, laquelle peut être perçue comme un témoignage authentique sur l’époque.
38D’une manière générale, le genre des émissions radiophoniques de conversation nocturne inspire les artistes, les auteurs. Quelques années plus tôt, Élisabeth Rappeneau80 a réalisé le film Fréquence meurtre, sorti en 1988. Dans cette adaptation d’un roman policier de Stuart Kaminsky81, Catherine Deneuve incarne le personnage d’une animatrice de radio de nuit, Jeanne Quester, aux commandes d’une émission de confidences. Là encore, le parallèle entre son personnage et celui de Macha est évident, même si la transposition n’est pas directement plaquée. La station de radio dans laquelle Jeanne Quester exerce est, par exemple, clairement identifiée comme étant Skyrock82 – radio libre créée en 1985 par Pierre Bellanger. Cependant, ce personnage semble être davantage dans le style de Macha que dans celui des animatrices de cette radio libre, telles Géraldine ou Supernana. De nombreuses scènes sont filmées dans le studio de radio plongé dans le noir, avec des plans circulaires sur les lumières de la ville. L’atmosphère tamisée et feutrée véhiculée par les images de l’émission Allô Macha transparaît nettement dans cette mise en scène.
39Il est intéressant de noter qu’il s’agit d’un thriller, un film policier. En effet, l’animatrice se trouve menacée par une personne à la voix mystérieuse et déformée l’appelant un soir durant l’émission, puis s’immisçant d’une manière inquiétante dans sa vie. Le cadre nocturne du travail de cette femme, ainsi que la nature de son activité, contribuent à entretenir ce climat angoissant. L’imaginaire véhiculé par ce type d’émission est donc propice à l’instauration d’une ambiance inquiétante, posant le cadre d’une histoire noire, policière, favorisée par le contexte nocturne, et par la dimension de contact avec les inconnus.
40Ce long métrage fait écho à Play misty for me de Clint Eastwood, sorti en 1972, dans lequel Clint Eastwood incarnait un animateur de radio nocturne harcelé par une auditrice psychopathe. Par ailleurs, en 1988, l’année de sortie de Fréquence Meurtre, le film Talk Radio d’Oliver Stone sort aux États-Unis, puis en avril 1989 sur les écrans français83. Dans cette fiction, le personnage principal, animateur d’une émission de confession nocturne, est lui aussi harcelé par un étrange auditeur. Menacé de mort à l’antenne, il est finalement assassiné une nuit en sortant du studio. Ce film entre en résonnance avec un fait réel, l’histoire de l’animateur nocturne Alan Berg, officiant dans une radio de Denver, tué par un groupe d’auditeurs antisémites. Toutefois, l’histoire de Talk Radio a été écrite par Éric Bogossian – le comédien qui incarne l’animateur – avant ce drame :
« Quand j’ai écrit Talk radio, en 1983, aucun drame ne s’était encore produit. Mais je sentais que c’était imminent. Que la violence allait engendrer la violence. Alors, j’ai imaginé que mon héros mourait, tué par un auditeur. Et, un an plus tard, Alan Berg a été assassiné. Tout à coup, la réalité a rejoint la fiction84. »
41 Le Monde salue la réussite de ce film, dont il est précisé que la « virtuosité, moins tape à l’œil que de coutume, fait merveille », tandis que le cadre est forcément comparé aux émissions nocturnes existantes. Télé 7 jours salue la performance d’Éric Bogossian85. À Télérama, le journaliste a quant à lui été agacé par la violence de Talk Radio, même s’il ne manque pas non plus de faire des parallèles avec la réalité :
« On est loin des confidences tranquilles d’Allô Macha sur France Inter. À Paris, l’abominable Skyman, le vengeur anonyme, incite les auditeurs de Skyrock à la délation et mijote avec eux quelques plats qui se mangent froid. Aux États-Unis, c’est pire : les radios à scandales font recette, les anecdotes ne manquent pas et l’on sent, hélas, que Bogossian n’a rien inventé86. »
42Ce film, comme Fréquence meurtre, est l’occasion d’évoquer la vie personnelle, et parfois sacrifiée, de ces animateurs de radio qui évoluent la nuit. Les émissions constituent des décors qui nourrissent la création de fictions, entretiennent une circulation d’imaginaires, et servent de supports à des histoires angoissantes, noires ou policières. Parfois, les films influencent le réel à leur tour. Par exemple, l’émission présentée par le personnage incarné par Catherine Deneuve dans Fréquence meurtre s’intitule Nuit de Chine, or, quelques années plus tard, un programme de France Inter portera ce nom87.
43Macha Béranger, dont tout le monde semble avoir oublié qu’elle avait délaissé pendant trois ans les confidences nocturnes, est une véritable institution qui semble inébranlable88.
Des émissions cultes qui disparaissent ou perdent du terrain
44Si certaines voix de la nuit sont ainsi devenues des rendez-vous incontournables, demeurant le point de ralliement du peuple nocturne, d’autres émissions de « l’âge d’or » de la radio des heures noires ne survivent pas dans ce nouveau paysage audiovisuel. Avant minuit, les soirées de RTL changent complètement, puisque Les Routiers sont sympa de Max Meynier disparaissent en 1986.
45Cette année-là, l’idole des routiers, victime d’un infarctus, quitte définitivement sa tranche du soir à RTL, pour des projets télévisuels89. Il ne sera jamais remplacé et son départ de la radio signe la fin d’une époque. Toutefois, la disparition des Routiers sont sympa résulte moins d’une décision de mettre un terme à ce programme que d’une obligation conjoncturelle, relative à l’état de santé de l’animateur.
46Sur France Inter, le week-end, Jean-Charles Aschero poursuit ses Choses de la nuit, mais il a « perdu », depuis 198290, la nuit du samedi au dimanche et n’officie plus que durant celle du dimanche au lundi. Plus encore, la durée de cette émission hebdomadaire se raccourcit. À partir de 1989, le programme Les Choses de la nuit ne dure plus que deux heures et quart, diffusé entre minuit et 2 h 1591, contre quatre heures précédemment (1 heure-5 heures). L’abondance et la richesse des rubriques qui faisaient l’originalité de ces Choses de la nuit se trouvent donc réduites et amputées peu à peu.
47Pourtant l’émission est particulièrement écoutée. Jean-Charles Aschero rassemble en effet plus de monde la nuit du dimanche au lundi que certaines vedettes présentant des émissions l’après-midi en semaine92. Médiamétrie, société spécialisée dans la mesure d’audience des médias audiovisuels créée en 1985, ne communique pas publiquement les chiffres des sondages radio réalisés entre minuit et 5 heures du matin. Cette distinction entre les audiences de jour et de la nuit tend à marginaliser l’espace-nocturne, à dévaloriser ou nier son importance relative.
48En 1993, Télérama consacre un dossier au thème de la radio nocturne, « La Nuit au Poste », dans lequel il est fait état de l’importance des chiffres d’audience de Jean-Charles Aschero, qualifié de « champion toutes catégories », rassemblant dans sa nuit du dimanche au lundi de 90 000 à 135 000 auditeurs entre minuit et 2 h 15. Au total, 240 000 auditeurs écouteraient la radio la nuit en semaine, 300 000 la nuit du samedi au dimanche, et 360 000 la nuit du dimanche au lundi. Cette écoute plus importante du dimanche est expliquée par les retours du week-end93, mais on peut aussi y lire un retentissement du syndrome du blues du dimanche soir, source d’angoisses et d’insomnies probables. Télérama propose d’ailleurs à ses auditeurs d’utiliser l’émission d’Aschero comme « remède contre les montées d’angoisse94 ».
49Si Aschero domine toutes les autres émissions nocturnes, France Inter, en général, se situe en tête des audiences de nuit.
De nouvelles émissions littéraires, créatives ou oniriques sur le service public
• Rendez-vous nocturnes de littérature
50Sur le service public, de nouvelles émissions nocturnes voient le jour, qui sont essentiellement culturelles, littéraires ou dramatiques.
51En 1985, comme on l’a vu, France Culture ouvre son antenne après minuit pour la première fois, ce dont le journal Libération se réjouit95. Jean-Marie Borzeix, directeur de la chaîne, salue à l’occasion « la chance, rare à la radio, de pouvoir innover en créant des programmes ex-nihilo96 ». Si les émissions diffusées entre 1 heure et 7 heures ne sont que des rediffusions, deux nouveaux programmes spécifiques sont créés à la rentrée 1985, tous deux imaginés et produits par Alain Veinstein, l’homme à l’origine des Nuits magnétiques97. Le lundi soir, il n’y a pas de Nuits magnétiques et Alain Veinstein présente une émission culturelle en public en direct du Théâtre de la Bastille intitulée La Nuit sur un plateau. Le programme se divise en deux séquences. La première, de 22 heures à minuit, s’organise autour d’un invité qui préside un débat, puis la seconde partie traite de l’actualité du monde du spectacle, jusqu’à une heure du matin. Selon le CSA, « l’émission rappelle, surtout dans sa seconde partie, la formule de José Artur sur France Inter98 ». Le Conseil note, en outre, une volonté de la chaîne d’adhérer davantage à l’actualité, ce qu’il considère comme « un élément positif de renouvellement ». L’émission cessera à la rentrée 1988 pour céder la place le lundi à Côtes d’amour, par Laure Adler.
52Les autres jours de la semaine, entre minuit et une heure, Alain Veinstein anime à partir de septembre 1985 Du jour au lendemain, un programme initialement présenté comme un « prétexte à la rêverie99 ». Cette émission se cherche dans les premiers temps – elle ressemble parfois étrangement aux Nuits magnétiques, avec des séries produites par de jeunes auteurs –, puis va peu à peu se définir comme une émission consacrée à la littérature : Alain Veinstein y reçoit un auteur qui vient de publier un ouvrage, en tête-à-tête dans le studio, ou un spécialiste de littérature. Cette émission d’entretien littéraire deviendra une institution qui durera près de trente ans, jusqu’à l’été 2014100. En 1993, une journaliste présente l’émission dans Télérama :
« Alain Veinstein donne la parole aux gens de plume. […] Le même ton calme, la même curiosité insatiable : art, essai, roman ou poésie, pour célébrer les classiques (Breton, Villon, Nietzsche), taquiner les grands (Carlos Guentes, Alvaro Mutis) et dénicher, bien sûr, les écrivains en herbe… L’art de l’entretien, ça ne s’invente pas101 ? »
53Sur France Inter, une émission nocturne consacrée à la littérature voit également le jour en 1990 : Noir sur Blanc de l’écrivain Brigitte Kernel102. Les premières années, il s’agit d’une quotidienne d’une heure, programmée entre 2 heures et 3 heures du matin en semaine, soit après l’émission de Macha Béranger. Dans la première demi-heure, l’animatrice reçoit un écrivain – dialoguiste, traducteur, scénariste ou romancier –, puis, dans une seconde partie, elle fait appel à l’imagination et la soif d’écriture des auditeurs de France Inter. L’émission est interactive, partant de l’idée que « l’écriture n’est pas un passe-temps privilégié réservé à une élite d’intellectuels103 ». Sur cette base, Brigitte Kernel invite ses auditeurs à écrire, chaque jour, la suite d’un feuilleton radiophonique, d’une « nouvelle interactive » qui commence la nuit du lundi et s’achève le vendredi. Télérama vante l’originalité de ce programme participatif :
« Des histoires à dormir debout, vous pouvez en entendre de toutes sortes à 2 heures du matin, dans la seconde partie de Noir sur blanc. Et le chic, c’est que vous les écrivez vous-mêmes, au fil des émissions. Brigitte Kernel, en grande prêtresse des “cadavres exquis” radiophoniques, fixe la trame et choisit la meilleure de vos versions104. »
54En 1994, un article du Monde indique que quinze à trente réponses, « plus ou moins imaginatives », arrivent quotidiennement sur le répondeur de l’émission, tandis qu’environ 40 000 auditeurs seraient à l’écoute quotidiennement105. L’animatrice de Noir sur Blanc fait également appel à l’intervention des auditeurs par téléphone, pour participer à des jeux, des « rébus sonores106 ».
55Les auditeurs écoutant ces programmes nocturnes de littérature semblent apprécier de pouvoir faire des découvertes littéraires et d’écouter, parfois avec plus d’attention que durant le jour, la parole des écrivains. Louise, par exemple, complète sa bibliothèque grâce aux invités de Brigitte Kernel et d’Alain Veinstein :
« J’aime les livres par-dessus tout. La nuit, à la radio, les auteurs résonnent et raisonnent bien ! On a le temps de savourer leurs mots, de les écouter mieux, de se laisser guider par l’envie de les lire107. »
• Des programmes policiers
56D’autres émissions culturelles d’entretiens feutrés sont créées sur France Inter, comme les programmes de Michel Grégoire – La Nuit au Poste, diffusée en semaine de 3 h 30 à 5 heures entre 1988 et 1995. Dans cette émission qualifiée de « policière », Michel Grégoire reçoit chaque nuit un invité, ou plutôt un « inculpé », qu’il a « convoqué » pour un « interrogatoire ». Il commence par lui demander de décliner son identité – « Nom, prénom, date et lieu de naissance, profession » –, avant de poursuivre avec une interview de l’invité en question, qui est généralement un artiste. Les bruitages de machines à écrire et de sirènes de police plongent l’auditeur dans l’atmosphère d’un commissariat, et confèrent à ces entretiens un charme bien particulier. Les invités sont, par exemple, la comédienne Micheline Dax, l’alpiniste Christine Janin, ou encore le chanteur François Béranger. Il s’agit de longues interviews, entrecoupées de musiques, dans lesquelles la personnalité est invitée à revenir sur l’ensemble de sa carrière. L’atmosphère de cette émission nocturne policière est particulièrement feutrée, et sa mise en scène fait écho à celles de programmes plus anciens, comme La Parole est à la nuit de Luc Bérimont, dans les années 1950.
57L’indicatif est le standard de jazz Harlem nocturne, composé par Dick Rogers et Earle Hagen, dont les notes de saxophone instaurent d’emblée une ambiance énigmatique de film policier. Michel Grégoire est conscient de s’adresser à plusieurs catégories d’auditeurs, puisqu’il les accueille parfois en début d’émission en disant : « Bonjour, Bonsoir, selon que vous êtes un matinal ou un noctambule108 », ou en leur souhaitant la « Bienvenue dans [son] commissariat nocturne, pour de rire109 ».
58Si le style policier a donc toujours sa place dans la nuit, il est même un ancien policier qui va produire pendant plusieurs années une émission tardive : Éric Yung110. À partir de 1983, il anime Dossier X… en cavale, le dimanche entre 22 heures et 23 heures sur France Inter, programme consacré aux récits de faits divers111. On retrouve, là encore, la tradition des émissions tardives des années 1950 et 1960, telles que Faits divers de Pierre Billard. En octobre 1983, lors de la sixième émission, Éric Yung rappelle en introduction la force des faits divers :
« Ces cinq dernières semaines nous avons ouvert avec vous cinq dossiers traitant d’affaires différentes. […] Pourtant toutes avaient le point commun de s’appeler fait divers. […] Or, nous le savons, ces dossiers vous ont étonnés, surpris, tant les histoires que nous vous avons contées peuvent appartenir au domaine de la fiction ou de l’imagination. C’est là toute la force du fait divers. Le fait divers c’est l’événement au quotidien, l’inévitable situation, l’incident ou l’accident devant lequel on se résigne, puisque c’est la vie ; comme on dit souvent, avec un haussement d’épaules et un long soupir112. »
59Au-delà du fait divers, Éric Yung proposera dans son émission des récits et des analyses d’une multitude d’affaires policières réelles. Par exemple, les émissions diffusées les 14 et 21 avril 1985 sont consacrées à l’histoire du cambrioleur Bruno Sulak113, décédé un mois plus tôt à la suite d’une chute lors d’une énième évasion.
60Comme dans La Nuit au poste, la musique de l’indicatif de Dossier X est une musique de jazz évoquant la bande originale d’un film policier, Light at the end of the tunnel, de Billy Cobham. Michel Grégoire, comme Éric Yung, ont tous deux des voix graves et posées, dont le timbre semble s’accorder parfaitement avec l’atmosphère nocturne. Éric Yung se mue en conteur114 et ses émissions peuvent aussi rappeler le ton de Pizella, la dimension « policière » en plus. Là encore, ces programmes sont particulièrement élaborés.
61Les dramatiques gagnent même de la place dans les nuits de France Inter, adoptant désormais une fréquence quotidienne. Patrice Galbeau, qui produisait de manière hebdomadaire Les Tréteaux de la nuit depuis la fin des années 1970, coordonne désormais La Dramatique de Minuit, diffusée tous les soirs autour de minuit à partir de l’automne 1984. Il s’entoure de nombreux auteurs et de comédiens plus ou moins connus, dont Jean-Pierre Marielle, Jean Rochefort et Bernard Blier.
62Toutes ces émissions culturelles ou littéraires nocturnes sont essentiellement le fait des stations publiques. Les radios privées, ex-périphériques et nouvelles venues de la bande FM, ne s’occupent généralement pas d’imaginer, concevoir et produire de nouvelles émissions culturelles en direct pendant la nuit. Les dramatiques ont disparu de leurs grilles depuis les années 1960. Seules quelques radios restées associatives jouent le jeu.
• L’érotisme nocturne selon Daniel Mermet
63L’érotisme revient aussi parfois sur les stations traditionnelles. Ainsi, durant la saison 1987-1988, Daniel Mermet propose une nouvelle expérience d’émission nocturne érotique, À la nuit, la nuit, diffusée chaque soir entre minuit et une heure du matin. L’animateur s’amuse à rebaptiser alors France Inter « France Int-érotique ». Par exemple, le 15 avril 1988, l’émission est transmise en direct de Chez Castel, lieu du Paris nocturne, où a lieu ce soir-là une rencontre entre le directeur du magazine Hara-Kiri115, le Professeur Choron116, et la Cicciolina. Daniel Mermet s’amuse de proposer des sujets subversifs :
« Amis auditeurs, amies auditrices, […] pour vous, cette nuit, nous sommes chez Castel, haut lieu de la vie nocturne parisienne, où nous allons vous faire vivre en exclusivité un événement capital. […] Nous allons assister ici, à Paris […] à la rencontre du professeur Choron […] avec le personnage politique le plus scandaleux du xxe siècle, celle qui a du culot et pas de culotte, la Cicciolina. Alors, attention ne bougez plus, vous n’allez pas en croire votre transistor, cette nuit vous allez tous être des Bernadette Soubirou, puisque la Cicciolina va vous apparaître, et regardez bien l’objectif, le petit oiseau du professeur Choron va peut-être sortir117. »
64Le ton ironique et subversif de Daniel Mermet indique bien que l’heure n’est plus à l’information classique mais bien à un autre genre d’information, ou plutôt de divertissement, axé sur le désir et les fantasmes. Le lendemain, Mermet répond d’ailleurs à des auditeurs sceptiques quant à la véracité de l’identité des invités de la veille, affirmant que « ce n’est pas parce que cette émission n’est qu’une illusion permanente que ces personnages étaient faux, ils étaient absolument là118 ». Dans ce programme de nuit, qu’il appelle aussi Le Malin plaisir, Daniel Mermet reçoit des invités, lit des textes de sa plume mis en musique, et propose des lectures érotiques d’autres auteurs. Ses textes d’introduction plantent d’emblée le décor :
« Bonne nuit les petits, c’est Daniel Mermet ! C’est le malin plaisir pour débaucher les oreilles des petits cochons qui sommeillent… […] Charmante enfant, charmante enfant… Mais quelle est celle qui brusquement met en marche le magnétoscope et fait se tendre la bande du film euh… X ? Le fameux X, espèce de croix assez semblable au crucifix, où nos désirs secrets le clouent. Charmante enfant, mais… quelle est celle qui geint à genoux, bergère naïve, maîtresse d’école, quand nous prions nos seins à nous, qui sont couronnés d’auréoles ? […] »
65La voix de Daniel Mermet est lente et charmeuse, tandis que la réalisation, signée Christian Rose – le « réalisateur de tous vos fantasmes » selon l’animateur –, laisse la place à des musiques et des bruitages sensuels. L’émission ne dure qu’une saison, probablement trop osée pour la chaîne publique, et seules de rares archives sont conservées.
66Daniel Mermet est le seul homme à avoir animé un programme nocturne érotique. Dans les années suivantes, des voix féminines présenteront sur RMC des émissions qui, si elles ne sont pas explicitement érotiques, jouent en tout cas sur l’ambiguïté dès leur titre. Entre 1989 et 1991, Corinne Madec119 anime Les Nuits câlines les soirs du week-end, entre 22 heures et minuit, tandis que, durant la saison 1990-1991, Amanda Lear présente chaque soir de la semaine Le Plaisir est au bout du micro. Cette dernière émission est un entretien en tête-à-tête, dans une ambiance intime.
• Minuit, l’heure de Kriss
67Enfin, citons les émissions nocturnes de Kriss, voix mythique de France Inter révélée dans L’Oreille en coin. Durant la saison 1994-1995, elle anime L’Heure du Kriss… me, la nuit du samedi au dimanche entre minuit et une heure. Dans cette émission, Kriss propose des lectures mises en musique et en ambiance. Les textes, lorsqu’ils ne sont pas puisés dans la littérature, sont écrits par elle ou par son collaborateur, l’écrivain Jacob Dellacqua. Pour la première de l’émission, le 4 septembre 1994, Kriss propose en introduction une sorte d’hymne à la nuit et à ce que cet espace-temps induit sur la radio, semblant heureuse de pouvoir enfin franchir la barrière de minuit, l’heure fatidique, « l’heure interdite » :
« Alors comme ça on se retrouve ? En douce. En douce et après minuit. Minuit, l’heure interdite. Après minuit, ni vu, ni pris. Depuis quelques années sur France Inter, nous nous rencontrons en été, nous comparons nos bronzages, et nous suçons des glaces ensemble en parlant de l’art de ne rien faire. Nous avons pris nos petits déjeuners et fait quelques grasses matinées ensemble aussi. Nous avons trinqué à l’heure de l’apéritif. Il y a un peu plus longtemps, de 11 heures à minuit, j’étais encore trop innocente pour qu’on me permette d’aller au-delà de l’heure fatidique, mais nous rêvions ensemble120. Maintenant, ça y est, j’ai le droit de veiller, et nous aurons ensemble la fièvre du samedi soir, […] après minuit, ni vu, ni pris. À minuit on change de culture, on passe de l’autre côté de cette invisible barrière entre les heures sérieuses et les heures secrètes, on devient libres121. »
68Dans cette première émission, Kriss offre diverses lectures, sur des thèmes parfois fantastiques. Elle évoque le désert, la lune, l’espace, et ces textes sont mis en ondes sur des musiques planantes, tantôt relaxantes, tantôt énigmatiques. À la fin de ce coup d’essai, elle conclut :
« Désormais, tous les samedis, je serai votre oreiller, vous serez mon édredon, et, pour varier les positions, parfois, même, je serai votre édredon et vous serez mon oreiller122. »
69Elle instaure un rapport particulièrement intime et complice avec l’auditeur, jouant avec l’ambiguïté de la situation d’écoute nocturne, parfois effectuée au lit. Ses propos rappellent Madeleine Constant, qui, au début des années 1970, commençait ses émissions nocturnes en susurrant dans le micro : « Ma joue contre ta joue, et ma voix dans ton oreille, comme sur un coussin. »
70Très peu d’archives de L’Heure du Kriss… me sont conservées, mais l’écoute des quelques émissions disponibles permet d’affirmer que le dispositif varie. Parfois, Kriss se contente de réaliser des lectures mises en musique, d’autre fois, elle reçoit des invités à son micro. L’émission traite aussi bien de sujets underground ou subversifs que de thèmes de société plus larges, mais pas toujours « grand public ». La nuit lui permet de réaliser une sorte de pas de côté dans le choix des thèmes abordés.
71La saison suivante, en 1995-1996, Kriss produit et anime au même horaire Microclimats. Dans cette nouvelle émission, elle propose désormais un long entretien avec une personnalité. L’interview a été enregistrée à l’avance et l’animatrice la commente au moment de sa diffusion. Par exemple, le 30 septembre 1995, elle diffuse un entretien avec l’écrivain de science-fiction Bernard Werber123. Elle a interviewé l’auteur dans sa cuisine, qu’elle se plaît à décrire, et n’hésite pas à dévoiler à l’antenne des anecdotes liées à cet enregistrement : elle explique par exemple s’être retrouvée avec les chaussettes mouillées à cause d’une fuite de la machine à laver de l’écrivain. Ce côté décalé, bien que constitutif du style de cette animatrice, est encore encouragé par l’horaire nocturne de l’émission. En septembre 1996, Kriss quitte la nuit pour animer un programme dominical l’après-midi, Dimanche en roue libre. Toutefois, cette voix mythique de la radio du service public aura participé, elle aussi, à construire un pan de l’histoire de la radio nocturne.
Les émissions musicales
72Les grilles des radios nocturnes ont toujours comporté une part importante de musique. Au milieu des années 1980, de nombreuses nouvelles émissions musicales tardives voient le jour, portées par des voix radiophoniques inconnues ou confirmées. Sur les trois stations généralistes France Inter, Europe 1 et RTL, la musique rock occupe une place privilégiée dans les grilles des émissions de soirée.
73Sur Inter, Jean-Louis Foulquier continue de proposer des émissions musicales le soir – C’est la nuit à 22 heures en 1983, Pollen (21 heures-23 heures) à partir de 1984 et jusqu’au début des années 1990 –, dans lesquelles il reçoit essentiellement des artistes proposant de la chanson française. À partir de la rentrée 1992, Alain Poulanges124, autre amateur de chansons françaises, présente pendant trois saisons En Avant la zizique, chaque jour entre minuit une heure. Télérama présente ainsi l’émission :
« Alain Poulanges […] ressort les si jolies “vieilleries” de la chanson française, qu’on ne prend plus jamais le temps d’écouter parce qu’on les connaît trop ; il assortit son choix de rengaines oubliées, méconnues… Un petit coin de mémoire, dans le noir125. »
74Outre la musique, cette émission exhume des archives d’entretiens inédits des grands de la chanson française, avec l’aide de la documentaliste Jeanine Pezet, spécialiste de la phonothèque de l’Ina. Quatre ans après la création d’En avant la zizique, Télérama salue le travail de ces hommes de radio qui « fouillent la mémoire des ondes » :
« Dans leur caverne d’Ali Baba s’entassent des cartons soigneusement étiquetés, preuve irréfutable que les trois chasseurs de sons n’en sont pas à leur coup d’essai : Béart, Caussimon, Aznavour, Lavilliers, Vassiliu, Lapointe, Vian, Salvador, Brel et le somptueux Ni Dieu ni maître diffusé cet été, face-à-face magnifique entre Ferré et Gainsbourg… Chaque boîte recèle des inédits, des chansons tombées dans l’oubli, des archives merveilleuses, et aussi des entretiens récents, avec lesquels ils concoctent, depuis trois ans, les séries chaleureuses et fouillées de leur rendez-vous nocturne126. »
75Dans l’esprit des Nuits de France Culture, la radio nocturne d’Alain Poulanges se présente donc comme le lieu de la mémoire radiophonique, ici liée au monde de la chanson. Mais le producteur tient à préciser que son émission « n’a rien à voir avec un musée poussiéreux » :
« Les archives sont vivantes dès qu’on les utilise. Il y a vingt, trente ans, la radio était un lieu de création. Elle commandait des chansons aux artistes, qui venaient les chanter et les échanger avec d’autres artistes. L’Ina regorge de ces inédits, jamais “disqués”, étonnamment modernes127. »
76Chaque nuit de la semaine, entre minuit et une heure, Alain Poulanges et son équipe donnent donc une seconde vie à ces bandes magnétiques, sortant des archives de l’oubli afin de construire des séries d’émissions en cinq, dix ou quinze heures. Par exemple, une série sur Jacques Brel est diffusée durant deux semaines en octobre 1992. Ce travail s’effectue sans l’aide des maisons de disques, « dédaigneuses d’une heure si tardive et agacées par le peu d’empressement de l’équipe de l’émission à accueillir les artistes en promotion128 ». Il ne demeure pas moins qu’En avant la zizique donne aux grandes voix de la chanson le temps de se raconter. Mais ce programme n’est pas uniquement tourné vers le passé car, en fin d’heure, Alain Poulanges diffuse des morceaux des nouveaux venus de la chanson française. Le générique d’En avant la zizique est un « medley » de nombreux standards de la chanson française, savamment mixés et arrangés par le compositeur Hugues le Bars129.
77Tandis que le rock est présent à la télévision en deuxième partie de soirée avec Les Enfants du rock, ce style musical disparaît de l’antenne de France Inter pendant les années où Jean Garretto130 dirige la station, entre 1983 et 1990. Bernard Lenoir, qui officiait avec Feedback dans les soirées d’Inter, est écarté de la chaîne en 1985, pour « aller flirter avec le FM131 ». Son émission est remplacée par un programme de jazz, Jazz à tous les étages, animé par Julien Delli Fiori132 et Clémentine Célarié, la voix sensuelle issue de Radio 7.
78Après deux saisons sur Europe 1, Bernard Lenoir revient sur la radio publique en 1990, lorsque Pierre Bouteiller devient directeur de France Inter, avec Lenoir, puis L’Inrockuptible, et enfin C’est Lenoir, des émissions diffusées les soirs de semaine à 21 heures ou 22 heures. Entre 1985 et 1987, puis à nouveau durant la saison 1989-1990, Jean-Baptiste Tuzet133 anime Crooner, une émission musicale qui semble particulièrement bien adaptée à la nuit. Voici comment ce programme est présenté dans le Bulletin information presse de Radio France en 1985 :
« Pour les séducteurs de la nuit et les femmes fatales… […] Crooner sur France Inter… une programmation prestigieuse composée comme une musique de film : un film qui pourrait s’intituler “Moonlight Sérénade”… Franck Sinatra, Dean Martin, Ray Charles, Liza Minelli, Guy Marchand, les grands orchestres sirupeux… Crooner c’est le swing, le charme et la séduction… une seule minute de crooner et le “kitsch” envahit votre environnement : éclairage suave, champagne… vous verrez votre partenaire en décolleté noir et votre véhicule se transformera aussitôt en Cadillac Eldorado 1953… mais attention, prenez garde, vers minuit le carrosse redeviendra citrouille134. »
79Après plusieurs saisons de programmes tardifs de Julien Delli Fiori jouant la carte de l’éclectisme musical (Certains l’aiment music, puis Night and day en 1990), un certain Laurent Lavige135 s’installe sur la tranche quotidienne de minuit en 1991, avec l’émission La Musique a une âme. Recruté par Pierre Bouteiller pour sa voix grave et charmeuse136, il deviendra une grande voix des nuits de la chaîne publique, produisant de très nombreuses émissions musicales nocturnes jusqu’en 2013137 – Comme à la maison, Playlist, Ondes de choc, Zone de Turbulence, Les Nuits de Lavige, Sur la Route, Black Liste, etc.
80Des styles musicaux sortant de l’ordinaire sont parfois diffusés à ces heures-là, à l’image des musiques du monde, qui font une petite incursion dans la grille de France Inter durant la saison 1991-1992, avec l’émission Pygmées, produite par Sylvain Alzial et Alain Weber138, et diffusée quotidiennement entre 2 heures et 3 heures, après Allô Macha.
81En 1990, Laurence Pierre139, une nouvelle voix féminine spécialiste de musique, rejoint France Inter, d’abord pour des émissions d’été, puis en tant qu’intervenante aux côtés de Jean-Louis Foulquier dans l’émission Pollen. Durant la saison 1993-1994, elle anime le samedi soir l’émission Idoles et formica (22 h 30-00 h), consacrée à la musique des années 1960, puis, à partir de la rentrée suivante, sur le même créneau, elle est aux commandes d’Alternatives, magazine hebdomadaire dédié aux musiques actuelles, aux talents émergents et aux cultures parallèles – la musique électronique, notamment, y occupe une place importante. Cette émission existera pendant près de vingt ans.
82Enfin, le jazz conserve une place de choix au cœur de la nuit. Si Frantz Priollet quitte France Inter en 1987, une nouvelle émission de jazz s’installe dans la nuit à partir de la rentrée 1989. Du côté de chez Swing est produite par Jean-Michel Proust140 et diffusée quotidiennement entre 4 et 5 heures du matin. Le réalisateur de ce nouveau programme est un certain Serge Le Vaillant, qui prendra à partir de 1994 le relais au micro des nuits de la station. Le jazz a également sa place dans les nuits de France Musique, dans L’Heure bleue (00 h 30-2 heures)141.
83Depuis 1982 et la fin des Choses de la nuit du samedi au dimanche, Inter propose à ses auditeurs noctambules du samedi soir un programme à base de musique, dans le cadre d’Inter danse : d’abord la retransmission des bals de province présentés par Jo Dona, l’émission se poursuivant comme une institution. En 1993, le magazine télévisuel de reportage Strip Tease consacre un sujet à Jo Dona : « L’homme qui valait 5 000 bals ». On le voit sur les routes de France, en particulier à Saintes, reçu par un directeur d’hôtel et par la municipalité, puis invité sur le plateau du journal régional de FR3. Jo Dona et son émission constituent un lien fort entre France Inter et la province, au même titre que l’itinérant Jeu des 1 000 francs142. Il s’agit d’une émission populaire, dont l’importance réside certainement plus dans l’événement qu’elle crée sur le terrain, que dans l’écoute du programme en lui-même. Durant ces soirées de bals, Jo Dona prend également le micro pour chanter et se muer en meneur de jeux, animant des concours de danse de salon.
84 Inter danse est suivie du Hit-parade des clubs de Wesson143. Ce Hit des Clubs, diffusé entre 3 et 5 heures du matin, a la particularité d’être animé non seulement par Wesson, mais aussi par deux voix de synthèse, « deux robots rigolos » selon l’auditeur Marc, qui écoute l’émission durant son adolescence144. Ce programme participe donc, là encore, d’un accompagnement destiné aux jeunes dans leur soirée festive, notamment au retour de discothèque.
85Sur RTL, si rien ne change après minuit du côté des Nocturnes de Georges Lang, qui se poursuivent imperturbablement, les soirées sont transformées après la disparition des émissions de Max Meynier. Désormais essentiellement musicales, elles sont prises en charge par Francis Zégut, qui a d’ailleurs commencé comme standardiste pour Les Routiers sont sympa, et qui officiait le vendredi soir avec Wango Tango depuis le début des années 1980. Désormais, ce « grand-prêtre145 » du rock présente toutes les soirées de semaine, découpées en plusieurs séquences. Entre 23 heures et minuit il propose une programmation musicale de hard rock et de métal, première émission de ce genre sur une antenne nationale. Le ton de l’animateur est d’ailleurs particulièrement bruyant, comme la musique qu’il diffuse :
« Je ne parlais pas dans le creux de l’oreille, je hurlais debout. On a cassé un nombre d’enceintes incroyable, car on mettait à fond tout le temps ! Une heure de radio, c’était comme une heure de concert, je jouais même de la guitare en carton146 ! »
86Francis Zégut reçoit à l’antenne des auditeurs, qu’il appelle « les graisseux et les graisseuses », et met en place dans son émission un univers proche de la bande dessinée :
« J’avais créé des personnages et des lieux. J’avais même intégré des personnes de la radio comme le patron de l’époque, Philippe Labro : je l’avais imaginé au camping des Flots bleus, sous le nom de Don Calabro, qui arrivait en limousine147. »
87En 1988, Francis Zégut est au micro chaque soir de 19 heures à 20 heures avec Ascenseur pour le rock, puis de 21 h 30 à minuit avec Z comme Zégut148. Si ces programmes changent parfois de nom, ils sont tous généralement consacrés à la musique rock et hard rock. Cet animateur restera, jusqu’au début des années 2000, le maître des soirées ou débuts de nuit de RTL. Il est notamment écouté par des adolescents qui étanchent leur soif de liberté à l’écoute de cette émission. Benjamin Bibas, aujourd’hui documentariste, explique que cette émission au ton différent l’a accompagné dans la construction de son identité personnelle et musicale quand il avait 15 ans, dans l’affirmation de sa personnalité, comme, plus tard, les programmes de Bernard Lenoir sur France Inter149.
88Enfin, Europe 1 consacre également une partie de ses nuits à la diffusion de programmes musicaux. En 1986, l’émission Rock à l’œil150 de Yves Bigot disparaît, remplacée par Musicradio de Nicolas Du Roy151. En 1990, un nouvel animateur, Yann Kullig, remplace Nicolas du Roy sur la tranche de 1 heure à 3 heures, désormais intitulée Europe nuit. Le rock semble avoir quitté la programmation nocturne de la chaîne, remplacé vraisemblablement par des disques de variétés.
L’automatisation, le recul des émissions en direct
89Au cours des années 1980, la radio nocturne se transforme sous l’influence des innovations techniques. En effet, il est désormais possible de programmer des machines capables de lancer sur les ondes des programmes préenregistrés, et de les diffuser de manière automatique, sans qu’une présence humaine ne soit nécessaire.
90France Musique est la première radio à inaugurer ce type de diffusion, dès 1982. En ouvrant son antenne 24 heures sur 24, la station mélomane du service public propose un programme entièrement automatisé : les Nuits de France Musique (de 2 heures à 7 heures)152. Ce programme, qui porte le nom d’Hector, est un fil musical continu, interrompu seulement par des annonces laconiques préenregistrées indiquant le titre, le compositeur et l’interprète de l’œuvre. Comme l’indique Télérama, ce type de programmes nocturnes, plutôt impersonnels, est réservé « à ceux qui n’ont pas besoin qu’on leur parle153 ».
• Les Nuits de France Culture
91En 1985, la création des Nuits de France Culture est également permise par ces possibilités techniques. En effet, les dirigeants de la chaîne culturelle du service public ont décidé d’utiliser la nuit comme un espace de mise en valeur des archives sonores154. Les productions sélectionnées sont remontées et installées sur des magnétophones automatisés qui les liront seuls dans la nuit. La première équipe des Nuits de France Culture est composée de Jacques Fayet155, Marc Floriot et Laurence Crémière. Le 29 janvier 1985, soir de la première nocturne de France Culture, Jacques Fayet est invité à la fin des Nuits magnétiques pour annoncer et présenter au micro de Laure Adler156 cette nouvelle émission de rediffusions :
« Ce sont des programmes […] composés d’émissions en seconde diffusion. Il y a des émissions récentes, même toutes récentes […], et puis des émissions moins récentes, une dizaine d’années ou une quinzaine d’années, c’est relativement jeune mais enfin… […] des émissions qui demeurent un exemple du genre. […]
C’est notre histoire orale, c’est notre mémoire collective finalement que nous allons exhumer. […] Et puis on a essayé […] d’orienter les programmes, parce que la nuit c’est un peu le rêve quand même, et c’est l’évasion […]. Alors des entretiens, des reportages, des faits de société, cinéma, théâtre, musique, vie quotidienne, des dramatiques… […] Et j’espère qu’être insomniaque va devenir un plaisir157. »
92Dans le cas de France Culture, le choix de « nuits en boîte » permet d’utiliser les heures noires pour faire vivre un patrimoine radiophonique. Espace dédié à la rediffusion, le pan nocturne de France Culture constitue une sorte d’invitation au voyage dans le temps. L’initiative est particulièrement intéressante, surtout quand on considère combien il est important de veiller à la conservation des archives radiophoniques. Cette formule aura de beaux jours – ou plutôt de belles nuits – devant elle, puisque Les Nuits de France Culture fonctionnent toujours sur ce principe en 2021. En 1993, Télérama conseille à ses auditeurs, au sujet de ce programme, de ne pas s’arrêter à une première mauvaise expérience :
« Si vous êtes déçus la première fois, n’hésitez pas à renouveler l’expérience : ces voyages-là révèlent leur force avec le temps158. »
93Quelques semaines après, Libération consacre à son tour un article élogieux au programme :
« Attentif à l’abîme que peut représenter la nuit, “l’écoute de nuit est une écoute solitaire”, Jaques Fayet ménage ses auditeurs : “j’ai moi-même horreur de la nuit. En radio, la voix prend un relief inouï alors j’évite les sujets morbides159”. »
94Si le budget alloué par France Culture ne permet pas de créer de nouveaux programmes propres à la nuit, cette sélection d’archives de la chaîne semble répondre, d’après le courrier, à une demande croissante des auditeurs. Finalement, à raison de quarante-deux heures de diffusion d’archives hebdomadaire, soit six heures par jour, c’est aussi « toute l’histoire de la radio qui se raconte160 ». Le courrier témoigne d’ailleurs de la diversité des profils des auditeurs se branchant à l’écoute de ces nuits d’archives, émanant, selon Jacques Fayet, de toutes les catégories sociales.
95Comme l’écrivent Emmanuel Laurentin et Anne-Marie Autissier, « Les Nuits dessinent un France Culture bis161 ». Cette heure tardive est idéale pour entrer dans une époque, sans lien avec l’actualité, tandis que ce programme redonne vie à une certaine radio du passé, donnant à entendre des voix, des intonations, des accents disparus. Ces Nuits sont un voyage dans le temps, mais aussi dans l’espace, à travers le cadre spatio-temporel nocturne lui-même spécifique, qui s’y prête particulièrement bien. Irène, auditrice de radio nocturne souffrant d’insomnie, se souvient de nuits exceptionnelles à l’écoute des programmes de France Culture :
« Je me souviens d’un été où je ne dormais pas bien, j’ai passé des nuits entières à partir, à voyager, des nuits d’une richesse incroyable. […] Je me souviens particulièrement d’une série entière sur Harlem. Il y avait une journaliste […] qui était vraiment partie prenante, en immersion, dans les ghettos noirs, dans une misère épouvantable. […] On voyait qu’elle était proche des gens qu’elle interviewait, parce que c’était dur. […] Elle décrivait les familles, la situation, et on était avec elle à Harlem dans les années 70. Ça durait deux heures, voire trois heures. […] Alors là, c’était pas un somnifère, j’étais captivée. Et il y a d’autres émissions comme ça où on se retrouvait en Afrique, au fin fond de l’Éthiopie, où on assistait à des rituels. Des reportages extraordinaires, des bruitages, des chansons, des gens qui décrivent leur vie au jour le jour… c’est vraiment des souvenirs de vie impressionnants. C’était presque, oui, une deuxième vie. Bon, je vivais le jour, j’étais fatiguée, mais avec France Culture j’étais dans un autre monde162. »
96Cette radio de nuit permet donc presque de vivre « une deuxième vie » ; avec, d’un côté, la vie sociale du jour, et, de l’autre, la vie nocturne d’auditeur, voyageant grâce aux émissions radiophoniques.
97Dans le cadre de France Culture, les rediffusions nocturnes sont utilisées dans une logique patrimoniale, mais cette expérience constitue une exception. Un peu plus tard, en effet, les autres stations vont elles aussi commencer à utiliser la nuit comme un espace de rediffusion, mais dans une tout autre optique, puisqu’il s’agira le plus souvent pour elles de reprogrammer des émissions de la journée de la veille.
• Diffusion nocturne automatisée de musique
98Nombre de chaînes de radio, notamment les stations privées de la bande FM, choisissent de ne plus produire de programmes en direct après minuit ou une heure, mais de proposer à la place des plages de musique automatique. Au début des années 1990, il semblerait qu’Europe 1 opère désormais de la sorte sur toute la tranche 1 heure-5 heures du matin, intitulée Europe nuit163. En fait, le direct a tendance à être progressivement mis de côté dans les pratiques professionnelles radiophoniques, notamment en ce qui concerne les reportages journalistiques. Cela s’opère la nuit, mais aussi parfois durant la journée, aussi bien sur les radios traditionnelles que sur les radios libres.
99Après l’effervescence des radios pirates et des débuts des radios libres, le calme est largement retombé sur les ondes des heures noires. Dès 1986, un article de Télérama regrette que la majorité des radios ne proposent plus de programmes parlés la nuit :
« Les couche-tard, les lève-tôt et ceux du milieu, insomniaques, artistes, travailleurs de nuit, taxis, angoissés du polochon, sont des auditeurs modèles, attentifs et avides. Mais, France Inter mise à part, peu de radios leur offrent encore une présence nocturne, une voix, un climat de confidence164. »
100De fait, France Inter fait désormais figure d’exception. En 1993, Télérama consacre un dossier-enquête de six pages à la question de la radio nocturne. L’une des journalistes regrette l’époque « bénie » de la radio de nuit, tout en insistant sur le fait qu’il existe encore quelques îlots de paroles nocturnes lancées en direct sur les ondes.
« Fini, le temps des radios libres où des fous bénévoles profitaient de la nuit pour chahuter leurs fantasmes, bricoler les sons et allumer le ciel d’étoiles effrontées. Aujourd’hui, de minuit à 5 heures, la plupart des stations ferment leurs micros, et par économie, branchent leurs téléphones sur répondeur. Dans les studios éteints, des bandes enregistrées défilent toutes seules, commandées par ordinateur. Pourtant, en se baladant sur la FM, on fait encore des rencontres : coquines, joueuses, chantantes, conteuses, savantes, pirates, bizarres… La radio résonne plus fort dans le silence du monde endormi, donne des mots aux solitudes et aux insomnies, réveille l’attention de ceux qui vivent à contrejour, borde les couche-tard, réconforte les lève-tôt165. »
101Victime de la concurrence de la télévision nocturne et de l’influence des radios privées de la bande FM cherchant à corréler les coûts à l’audience, la radio de nuit s’étiole dans le noir depuis le milieu des années 1980. Des émissions nouvelles sont créées, mais elles ne renouvellent pas vraiment le genre et passent souvent inaperçues dans le nouveau paysage radiophonique. Tandis que certaines émissions phares parviennent à durer, ici et là, d’autres s’éteignent et disparaissent dans l’oubli. Désormais, la radio de nuit fait moins parler d’elle. Si elle reste une pratique ancrée pour une certaine catégorie de la population, elle demeure privée, solitaire et dissimulée. En parallèle, un imaginaire mythique se construit autour de cette radio des heures noires qui suscite déjà des nostalgies. Mais si la radio nocturne a largement perdu de son éclat en une dizaine d’années, une forme nouvelle d’émissions de nuit, moins tardives mais très bavardes, voit le jour au début des années 1990 et va contribuer à braquer à nouveau le projecteur sur ce médium de l’ombre : la libre-antenne des adolescents.
La nuit de la FM
102Au début des années 1980, la bande FM est en ébullition. Dans les faits, toute radio libre obtenant une autorisation peut émettre, à condition qu’une fréquence lui ait été attribuée. Plus de huit cent radios sont créées dans la première année et elles seront plus de deux mille en 1984166. Mais ces stations éprouvent des difficultés, principalement financières, pour perdurer. Puisque la loi de juillet 1982 interdit la publicité sur leurs antennes, des stations contournent la loi : certaines sont financées par des municipalités ou des conseils généraux, comme TSF 93, d’autres violent franchement les règles en se comportant comme des radios commerciales, à l’image de NRJ ou de RFM. La publicité, déguisée ou clandestine, fait vivre la majorité de ces radios qui font pression sur le gouvernement pour une modification de la loi. Gonzague Saint Bris, ancien animateur de la Ligne ouverte nocturne d’Europe 1, qui a créé ensuite sa propre radio libre – Radio Mégal’O – fait d’ailleurs partie de ces acteurs167. En avril 1984, François Mitterrand s’annonce finalement prêt à introduire la publicité sur les radios libres, ce qui se concrétise avec la loi du 1er août 1984. Toutes les radios dites libres peuvent avoir recours aux annonceurs publicitaires, qu’elles aient choisi une forme juridique associative ou commerciale. Le paysage radiophonique hors service public est alors divisé en trois grands groupes : les radios commerciales nationales, les radios commerciales locales, et les radios associatives168, qui occupent un quart des fréquences.
103La plupart des nouvelles radios privées sont donc commerciales et « se transforment […] en réseaux musicaux nationaux qui laissent peu de place à la parole169 ». Interdits par la loi de 1982, les réseaux sont officiellement autorisés par celle du 30 septembre 1986, bien qu’ils ne l’aient pas attendu pour exister170. NRJ, Nostalgie, Fun, Skyrock171 ou RFM regroupent ainsi des dizaines de stations et dominent le marché, avalant au passage les petites radios locales qui doivent diffuser 20 % de programmes locaux, tandis que 80 % du contenu est envoyé via satellite par la maison mère172. Plus encore, Europe 1173 et RTL174 rachètent ces réseaux, ce qui marque « la fin des radios de proximité175 ».
104Après l’énergie et l’originalité des premières radios libres, ces stations désormais commerciales s’uniformisent. Taxées de « robinets à musiques » ou de radios « pousse-disques », elles proposent essentiellement des plages de musique commerciale, interrompues par quelques informations ou bavardages téléphoniques avec les auditeurs, dans le cadre de jeux, d’échanges pratiques ou de dédicaces. Toutefois, au début des années 1990, les radios FM vont inventer, ou plutôt réinventer, un genre radiophonique reposant sur l’intervention téléphonique des auditeurs à l’antenne. Le sociologue Hervé Glevarec parle de l’avènement d’un deuxième « moment radiophonique adolescent176 », trente ans après le succès d’une émission comme Salut les copains auprès des jeunes du Baby-Boom dans les années 1960. En réalité, on a pu le voir, les adolescents ont régulièrement pratiqué une écoute radiophonique tardive tout au long de la période, souvent en cachette, mais l’irruption d’un genre nouveau d’émission va faire événement.
La nuit adolescente
105La chaîne de télévision privée TV6 a été créée en 1986 à destination des jeunes. Essentiellement musicale, elle accueille d’ailleurs plusieurs transfuges rock de la radio, dont Patrice Blanc-Francard177, Alain Maneval178 et Francis Zégut179. TV6 lance aussi le programme quotidien de talk-show Système 6, dans lequel les jeunes téléspectateurs peuvent s’exprimer en direct par téléphone, notamment pour converser avec les artistes invités sur le plateau, instaurant un ton tout à fait nouveau. Toutefois, un an après sa création, l’autorisation d’émission de la chaîne est annulée, et ses programmes cessent le 28 février 1987. Le 1er mars, la nouvelle station M6 prend le relais sur cette fréquence. Si cette chaîne conserve une dimension musicale importante, la participation des téléspectateurs par téléphone a disparu. Quelques jours plus tard, Le Monde signale que la radio a retrouvé « son titre de premier média des jeunes », suite à la disparition de TV6. L’article évoque notamment l’émission de Géraldine sur Skyrock, diffusée à 20 h 15 tous les soirs :
« Le principe est simple : deux auditrices font en direct par téléphone une déclaration d’amour au skygigolo – un auditeur sélectionné par la radio –, lequel, les bras chargés de fleurs, se précipite au domicile de la belle… la plus éloquente. À vos poèmes180 ! »
106Si le téléphone est déjà largement utilisé dans les programmes radiophoniques destinés aux adolescents, son usage prendra bientôt un autre visage.
L’invention de la libre-antenne et l’irruption des discours sur la sexualité adolescente
107En 1987, Radio 7, la station jeune de Radio France, ferme ses portes. Désormais, l’auditoire adolescent ou jeune adulte s’oriente massivement vers les stations commerciales de la bande FM. En France, le concept de « libre-antenne » est inventé par Skyrock en 1991181, dans le cadre de l’émission Bonsoir la planète, animée par Malher182, même si des traces de ce dispositif existent auparavant. Le slogan de l’émission Bonsoir la planète, lancée en décembre 1991 et diffusée entre 20 heures et 22 heures est le suivant : « Les autres radios vous censurent. Skyrock assure et vous donne la liberté de parler183. » Ainsi, chaque soir, la station rock invite ses auditeurs à appeler pour parler de tout et dialoguer à l’antenne avec l’animateur. L’émission est un succès.
108Les dirigeants des radios concurrentes réfléchissent à des projets similaires. Rémy Sautter, vice-président du pôle radio RTL, présente au CSA le concept d’une nouvelle émission pour Fun Radio, qui serait selon lui « une expérience formidable pour donner la parole aux jeunes184 ». En août 1992, Lovin’Fun est lancée sur les ondes. Pour concurrencer Skyrock, elle est diffusée aux horaires de Bonsoir la planète. Inspiré d’une émission américaine intitulée Loveline185, le programme est animé par un duo : un jeune homme surnommé Difool186, accompagné d’un pédiatre, Christian Spitz, dit « Le Doc’ ». Cette émission vise explicitement un public adolescent à qui elle propose de prendre la parole sur des thèmes de préoccupation générationnels : principalement l’amour et la sexualité, mais aussi les relations avec les parents, la violence, ou encore la drogue. S’il s’agit d’une émission diffusée en soirée, entre 20 heures et 22 heures, on peut qualifier ce programme de nocturne, puisqu’il s’adresse à des adolescents – un public censé se coucher plus tôt que l’auditoire adulte et qui se trouve alors dans la position caractéristique de l’écoute de nuit. En effet, les adolescentes et adolescents profitent parfois du fait que la famille soit regroupée devant la télévision, à l’heure du film ou de l’émission de première partie de soirée, pour se retirer dans leur chambre et brancher leur radio sur la fréquence du programme qui leur est destiné. Généralement, cette pratique s’effectue même en cachette des parents, l’adolescent écoutant « sa radio » généralement seul, parfois au lit, dans le noir, les écouteurs sur les oreilles, comme en témoigne un ancien auditeur :
« Ça ouvrait des fenêtres, ça te mettait de la lumière. Mes parents m’envoyaient dormir à 8 heures, 8 heures et demi. Des fois il faisait soleil dehors et mon père m’envoyait dormir !… Ton père il veut pas que t’écoutes la radio, alors t’as ton casque, ton écouteur. Ou tu mettais le radio-réveil tout doucement, c’était tout ce qui te raccrochait au monde quand t’étais au lit187. »
109Parfois, certains jeunes pratiquent aussi cette activité en groupe, l’écoute pouvant être collective et identitaire188. Surtout, le lendemain, dans les collèges et les lycées, l’émission constitue un sujet de conversation des cours de récréation : elle est un marqueur générationnel189.
« J’avais l’impression que tout le monde écoutait Difool. […] Le lendemain au collège on se racontait avec les copines, “t’as vu hier ils ont parlé de fellation, tu crois que ça existe vraiment ?”… Les filles en parlaient dans les détails. Les garçons prenaient ça à la blague, en moquerie, vannaient un peu. Les filles étaient avides de savoir, de décortiquer190. »
110Hormis cet usage du terme de « libre-antenne », en quoi ces émissions se distinguent-elles des lignes ouvertes qui existent déjà ? Pourquoi se prétendent-elles plus « libres » que les autres ? Gonzague Saint Bris, dès 1975, ne mettait-il pas lui aussi en avant la primauté d’une libre parole ?
111Ici, comme dans les autres radios, tous ceux qui appellent le standard ne peuvent pas mécaniquement passer à l’antenne. Puisqu’il s’agit de programmes émettant nationalement et que les appels sont nombreux, il y a forcément un filtre, préalable au passage dans l’émission. Deux choses sont cependant radicalement nouvelles : le public à qui s’adressent ces émissions de libre parole et le ton employé. En effet, ces libre-antennes s’adressent à un public jeune, principalement adolescent, à qui il est proposé d’aborder tous les sujets, avec leur langage, leur façon de parler et leurs codes générationnels. Le ton impertinent employé « et les mots prononcés marquent une rupture dans l’histoire du langage radiophonique191 », un des slogans de Fun Radio étant : « Sur Fun Radio, c’est toi qui parles. » Selon un auditeur, c’est « le seul moment où on peut entendre des jeunes s’exprimer192 », c’est un moyen pour les garçons de « découvrir les filles193 », et inversement.
112Ces programmes susciteront les foudres d’une partie du monde adulte. Par ailleurs, ces libres-antennes se disent aussi « radios libres », établissant un lien de filiation entre les radios privées musicales et les ex-radios libres194. Le slogan de Lovin’Fun est le suivant : « l’amour avec humour, le sexe sans complexe », le tout dans le contexte du sida, et donc d’une sexualité des adolescents plus « contrainte » que celle de leurs parents au même âge. D’ailleurs, Lovin’Fun proposer d’envoyer à ses auditeurs et auditrices des kits de préservatifs, siglés du logo de la station.
113Christophe Deleu a bien étudié le dispositif de cette émission et les rôles complémentaires de ses deux animateurs. Il distingue d’un côté Difool, le « grand frère » trublion, proche de l’âge des jeunes195, qui joue sur le registre de l’humour et de la provocation ; et de l’autre Le Doc’, caution médicale du programme, qui est plus âgé196 et joue le rôle de « père ». Rassurant et conseillant les jeunes auditeurs, il intervient au micro sur un ton plus calme et plus sérieux197. La référence au père se discute toutefois, les adolescents n’allant justement pas se confier de la sorte à leurs propres parents, mais il est évident que le statut d’adulte du Doc’, peut-être plus que celui de médecin, apporte aux auditeurs une dimension rassurante. Christian Spitz est la voix de celui qui sait, qui a de l’expérience, qui peut justement répondre aux questions qu’il est impossible de poser aux parents. Il n’est pas là pour sermonner ni pour juger les auditeurs, mais pour les conseiller.
114Toujours selon Christophe Deleu, Lovin’Fun est organisé en « spectacle radiophonique comique », en « ping-pong verbal198 », les interventions de chaque auditeur à l’antenne étant assez courtes. L’émission, conçue pour concurrencer Skyrock, va en fait battre des records d’audience et créer l’événement. Dès le mois de novembre 1992, les animateurs reçoivent une quarantaine de lettres par jour et entre trois mille et dix mille appels chaque soir. Un article du Monde décrit le dispositif de l’émission et s’interroge sur le sens d’un tel succès :
« Lovin’Fun s’impose face aux périphériques et à Inter, mais elle rafle surtout la vedette à Bonjour la planète, talk-show provoc’ de Malher sur Skyrock, sa principale concurrente, la plus inventive.
Sur le papier, la formule de Love in Fun est classique. Entre deux disques, les auditeurs et auditrices téléphonent pour bavarder avec Doc’ et Difool, sortes de Macha Béranger ou de Ménie Grégoire de la FM. Sauf que Love in Fun n’aime rien d’autre que le “sexe sans complexe, l’amour avec humour”, comme dit pudiquement la bande-annonce. […]
Est-ce l’examen clinique, gratuit et anonyme ? Les vertus érotiques de la confidence radio, solitaire mais nationale ? Les raisons du succès sont multiples. Doc y voit la preuve manifeste des carences du système éducatif qui n’a jamais su parler de sexualité. Tandis que Allô Macha recueillait les détresses ou les folies des adultes insomniaques, que « Ménie » réconfortait les hommes abandonnés, Love In Fun collectionne la sexualité des jeunes nés avec la crise, à la fin des années soixante-dix. Une sexualité libérée des tabous, mais doublement prisonnière – des capotes et de l’obligation de se raconter sous son plus mauvais jour : technique. Ce qui se dit sur Fun Radio, c’est, en somme, la grande misère de la sexualité fin de siècle199. »
115En effet, comme l’a montré la sociologue Sandrine Rui, les questions techniques sont la part la plus importante des appels ayant pour thème la sexualité dans Lovin’Fun (30,6 %), devant notamment la prostitution (14,5 %), la contraception (14,3 %), l’homosexualité (10,2 %), les maladies sexuellement transmissibles, dont le Sida (6 %), ou encore les agressions sexuelles (4 %)200. Le succès de cette émission aura bientôt un parfum de scandale et il est d’ailleurs intéressant de constater que les concurrents directs de Fun Radio – Skyrock et NRJ201 – font alliance et alertent volontiers le CSA en transmettant à ce dernier des retranscriptions de l’émission. Ce phénomène nouveau de « libre-antenne » sera l’occasion d’une guerre intestine entre ces radios FM qui ont choisi de s’adresser aux jeunes.
116En réponse à Lovin’Fun, Skyrock décide de frapper plus fort encore, d’être plus provocatrice. En novembre 1992, la station lance Turlututu, une émission diffusée chaque après-midi de semaine entre 17 heures et 19 heures, avant Skyman, une émission de canulars téléphoniques, et Bonsoir la planète. Animé par Laurent Petitguillaume202 et Supernana203, ce programme de libre-antenne, Turlututu, traite explicitement et exclusivement de sexualité, son slogan étant « Turlututu, l’émission qui a un chapeau sur le pointu204 ». Les adolescents sont invités à raconter leurs aventures sexuelles avec détails. Le CSA juge cette émission « provocatrice et souvent de mauvais goût205 », considérant que les animateurs, dont le seul but est d’attirer les jeunes auditeurs, incitent clairement à la provocation et à la vulgarité à l’antenne. Si le Conseil indique que ces jeunes « ne sont sans doute pas représentatifs des adolescents d’aujourd’hui », il redoute que leurs expériences ainsi narrées à la radio puissent « éventuellement faire naître des complexes à la majorité silencieuse206 ». Le Conseil supérieur de l’audiovisuel met Skyrock en demeure et Pierre Bellanger décide de supprimer cette émission207.
117Par ailleurs, une autre émission spéciale hebdomadaire diffusée le vendredi entre 22 heures et minuit – Le Grand Défouloir – est supprimée. Mais d’autres programmes de Skyrock sont susceptibles de continuer à « poser problème ». Après Bonsoir la planète, Géraldine est toujours au micro des débuts de nuit de la station, avec une émission de petites annonces érotiques, entre 22 heures et une heure du matin. Si le CSA ne s’en émeut pas vraiment, il considère tout de même que certains kiosques téléphoniques sont « tendancieux208 ». Ceci dit, d’une manière générale, ce programme, dont le slogan est « 36 15 Géraldine, l’émission réservée exclusivement aux adultes », est toléré par le Conseil qui indique : « la tonalité générale de l’émission est assez coquine tout en restant décente malgré le sujet abordé209 ». Dans cette libre-antenne, les garçons donnent directement leur numéro de téléphone à l’antenne, tandis que les filles laissent le leur au standard. Les auditeurs sont également invités à envoyer des histoires érotiques que Géraldine lit au micro210.
118En 1993, douze ans après ses premières émissions sur La Voix du lézard, Géraldine est remerciée par Skyrock. Elle n’exercera plus jamais sur une station française mais réapparaît toutefois un an plus tard, à l’automne 1994, sur les ondes d’une radio internationale de Miami, WRMI, et son programme – Le Cri du caméléon – est par ailleurs retransmis par une station corse. Le Monde lui consacre un article :
« Quand elle lance ses “tubes” en américain, son accent frenchie et sexy jette, paraît-il, le trouble. En Floride, aux Caraïbes, en Corse même, pour les “afficionados” de la bande FM, la voix coule dans le monde sans images de la radio comme une sorte d’effluve mythique. […] Géraldine offre sur les ondes “un petit peu de folie parisienne”. […] En tendant l’oreille, la nuit, on peut ainsi entendre, à Ajaccio, les douces voix mêlées de Géraldine et de l’Amérique211. »
119Il y a donc une circulation internationale des voix et des programmes, la voix sensuelle de Géraldine faisant désormais rêver des auditeurs nocturnes américains, tandis que son accent français apporte, pour eux, une dimension supplémentaire.
120Sur Skyrock, il est une autre animatrice subversive qui demeure. Supernana anime des libre-antennes nocturnes trois fois par semaine, entre minuit et 3 heures, dans lesquelles elle « allume les ondes de fantasme et autres délires érotico-masochistes212 ». Toutefois, jusqu’au milieu de l’année 1994, aucun dérapage majeur n’est signalé, et le CSA constate que le ton de la station est désormais moins provocateur. Dans la dernière heure du programme, la séquence « La Meute » permet à plusieurs auditeurs de se retrouver seuls à l’antenne pour parler entre eux en direct213. Un auditeur se souvient de ses nuits d’adolescent à l’écoute de cette émission :
« J’étais vraiment dans un coin perdu, ma ville c’était 7 000 habitants, sans grande ville autour. J’étais dans ma chambre et je zappais sur les différentes radios […] quand je suis tombé sur une voie assez grave, bizarre, [qui] m’avait intrigué parce que ça ressemblait à une voix d’homme, de femme, on savait pas ce que c’était. […] C’était une émission un peu parisienne, [avec] des grandes personnes qui racontaient leur vie, leurs soirées. Il y avait vraiment un vent de liberté, de plaisir. Je savais que, chaque soir, […] il allait forcément se passer quelque chose. Je me disais, “15, 16 ans, je suis peut-être un peu jeune pour l’écouter”, même si aujourd’hui je découvre qu’il y a des gens de mon âge qui l’écoutaient aussi à l’époque. J’écoutais quasiment jusqu’au bout. Rarement j’arrêtais, sauf si j’étais vraiment fatigué, mais j’avais ce problème de […] “il faut que j’éteigne parce qu’il faut que je dorme, mais je veux pas éteindre, je veux tout entendre”. La peur de manquer un truc drôle, […] croustillant. J’éteignais, mais j’arrivais pas à m’endormir… Il y a une forme d’excitation : t’es avec eux, tu veux pas que ça s’arrête. Un peu comme des soirées où tu es trop bien, alors tu veux continuer… Ces gens que j’écoutais, je pense que je les entendais plus parler que mes parents ou mes potes, je devais écouter la radio huit ou dix heures par jour214. »
121Ce témoignage est particulièrement intéressant, car il montre combien cette écoute de la radio nocturne peut donner la sensation de relier l’auditeur à une autre vie, celle des adultes ou des jeunes adultes, des Parisiens, de la fête, et du plaisir. La radio fournit ici une alternative à une vie ennuyeuse dans une petite ville de province, donne à l’auditeur la sensation de vivre d’autres existences. Ces émissions transmettent un goût de l’interdit, étanchent une soif de liberté propre à l’adolescence. La question de la puissance de la voix, et de son caractère intrigant, fascinant et mystérieux, est également bien exprimée, tout comme la dimension addictive de cette écoute nocturne, dont l’auditeur sait qu’elle lui sera néfaste au niveau de sa fatigue, mais qu’il ne peut s’empêcher de pratiquer.
122Sur Fun Radio, Lovin’Fun dure de 19 heures à 22 heures et, à partir de 1993, une émission est prolongée sur l’antenne après 22 heures : Le Difooloir, toujours une libre-antenne, avec Difool pour seul maître à bord. L’émission va beaucoup plus loin car, si l’on en croit les observations du CSA, « les auditeurs s’expriment directement à l’antenne sans passer par le filtre habituel du standard215 ». La bande-annonce du programme est évocatrice : « Une rumeur à balancer ou un délire à vous taper, ici vous avez tous les droits. » La plupart du temps, les intervenants à l’antenne sont, ou se disent, très jeunes. L’émission est elle aussi déprogrammée par la chaîne au bout de quelques mois, après des pressions du CSA216.
123Au printemps 1994, Lovin’Fun fait les gros titres des journaux et la radio est menacée de sanction par le Conseil supérieur de l’audiovisuel qui souhaite lui interdire le direct. Mais des jeunes se mobilisent, avec des manifestations et pétitions pour défendre l’émission, tandis que des personnalités politiques se prononcent en faveur du programme : d’abord Jack Lang, au nom de la liberté d’expression, puis le ministre de la Communication Alain Carignon, qui dénonce au journal télévisé de France 2217 les tentatives de censure de la parole des jeunes, un an avant les élections présidentielles. Le CSA, qui souhaitait que l’émission n’ait plus lieu en direct, fait alors marche arrière : les animateurs sont seulement exhortés à veiller à ce que l’émission « soit un peu moins crue218 ». La médiatisation de cette affaire va agir comme un coup de publicité pour l’émission, en étant bénéfique aux audiences de Fun Radio, devenue la première radio écoutée de France entre 19 heures et 22 heures219. Parallèlement, Le Doc’, Christian Spitz, rejoint la télévision. Il a participé en 1993 à deux numéros d’une émission de TF1, Leçons d’amour, qui s’est révélée un échec220. Suite à l’engouement suscité par la publicité involontaire du CSA pour Lovin’Fun en 1994, Le Doc’ est à nouveau sollicité pour animer une émission sur TF1 avec Christophe Dechavanne221. Il sera finalement sur France 2 à partir de la rentrée 1994 pour Chela Ouate222, une émission mensuelle le samedi soir. Il s’agit d’un programme de « libre expression » destinée aux adolescents en présence d’un public d’environ trois mille jeunes223. L’émission durera une saison, s’achevant en juin 1995.
124Parallèlement, la guerre Fun Radio-Skyrock se poursuit, prenant parfois des allures de harcèlement. Le 6 juin 1994, Skyrock lance un appel à ses auditeurs, leur demandant d’appeler l’émission Lovin’Fun pour crier la phrase « Le Nouveau Skyrock débarque ». Des adolescents se prennent au jeu, et, en représailles, Difool divulgue à l’antenne et sans autorisation leur numéro de téléphone. Les jeunes se retrouvent alors assaillis d’appels, au domicile parental. Le CSA reçoit plusieurs lettres de parents, dont celle d’un avocat, qui désire porter plainte pour sa fille224. Cette guerre s’illustre aussi dans les cours de récréation, contribuant à créer deux groupes distincts, comme l’explique un ancien auditeur :
« On avait un jeu avec les potes. On devait être en quatrième, on allait voir les sixièmes et on leur demandait quelle radio ils écoutaient. S’ils répondaient pas notre radio, Skyrock, on leur disait qu’ils étaient nuls. Il y avait deux clans225. »
125Après s’être sensiblement assagie durant quelques mois, Skyrock revient en force à la rentrée 1994. La station de Pierre Bellanger contre-attaque en lançant une émission de « libre-antenne » du soir animée par Tabatha Cash, ancienne actrice pornographique en reconversion, déjà apparue comme chroniqueuse à la télévision226. Son émission s’installe aux mêmes horaires que Lovin’Fun (19 heures-22 heures). Il s’agit encore une fois d’aller plus loin dans la provocation, afin d’attirer un maximum d’auditeurs et donc d’annonceurs publicitaires. Un auditeur s’en souvient :
« Après, avec Tabatha Cash, ils ont carrément pris une actrice de porno. C’était l’époque où mes testostérones me travaillaient, quand Tabatha Cash a fait son émission j’étais carrément d’accord là-dessus. Ça te faisait travailler dans ta tête227. »
126L’équipe de l’émission n’hésite pas pour autant à donner la parole à l’antenne à des auditeurs plus âgés, afin de les laisser s’exprimer et répondre en direct à leurs remarques. Un soir, par exemple, un père de famille de 35 ans appelle, se disant choqué par le programme, trouvant « certaines choses un peu crues », ce à quoi Tabatha Cash répond :
« J’essaie d’être un maximum naturelle pour avoir des réelles discussions, comme avec des copains ou des copines228. »
127NRJ, quant à elle, fait appel à Sophie Favier229, ancienne danseuse de charme qui a été « coco girl » dans le programme télévisé de Stéphane Collaro dans les années 1980. Si les audiences de NRJ chutent, celles de Skyrock remontent pour rivaliser avec les chiffres de Fun Radio, sans pour autant les égaler230.
128Dans son émission – Le Skyclub – Tabatha Cash231 est elle aussi accompagnée d’un médecin – « Le Toubib’ » –, ainsi que d’un jeune homme, Frédérico232. Ces animateurs déclarent ouvertement la guerre à leurs concurrents de Fun Radio : le premier jour, les auditeurs assistent même à un affrontement téléphonique entre les animateurs en direct233. La guerre continue dans la presse, par articles interposés. Tabatha Cash se plaît à parler de Difool comme d’un « petit frustré » et du Doc comme d’un « vieux de 44 ans » qui ne peut pas se faire le représentant des jeunes. Une semaine après le lancement de cette nouvelle émission, le CSA s’insurge contre le fait que, depuis la création de ce nouveau programme, Skyrock diffuse des messages publicitaires pour le magazine X Hot Vidéo234, interdit à la vente des mineurs, entre 17 h 30 et 23 h 30. D’autant plus que Tabatha Cash figure au sommaire du magazine en tant que reporter, et que le numéro de septembre présente le dernier film pornographique de l’animatrice235. Outre cet écart déontologique relevé, le CSA fait savoir à Pierre Bellanger qu’il désapprouve le contenu de l’émission. Ce dernier se défend en argumentant que la teneur des propos tenus dans Lovin’Fun est identique :
« Vous avez tenu à m’informer que votre conseil désapprouvait vivement notre émission nocturne de 19 heures à 22 heures animée par le Docteur Alain Janaud, Tabatha Cash et Frédérico. Vous en avez souligné le caractère vulgaire et grossier. […] Permettez-moi de rappeler que le conseil s’était ému de l’émission Turlututu qui fut supprimée sur le champ à votre première demande, alors que prospérait sur une antenne concurrente une émission de même nature. Nous avons patienté un an, demeurant irréprochables et constatant jour après jour les effets de cette concurrence déloyale et tolérée. L’équilibre entre les deux stations fut remis en cause par ce traitement différent qui fût alors justifié par la présence d’un médecin sur Fun Radio. […] Ce que vous nous reprochez est à l’antenne chaque soir sur Fun Radio à l’horaire de Lovin’Fun, mais pas seulement à celui-là. [S’ensuit une retranscription d’extraits de Lovin’Fun de la veille.]236 »
129L’émission se poursuivra finalement sans faire trop de remous jusqu’au printemps suivant, notamment jusqu’à la diffusion d’un documentaire télévisé d’Envoyé Spécial, « Balade sur la FM237 ». Fin septembre 1994, Télérama présentait assez sobrement les deux émissions adolescentes concurrentes Lovin’Fun et Skyclub238, sans apporter aucun jugement de valeur.
130En revanche, Skyrock fait scandale pour d’autres émissions, notamment après le dérapage d’un animateur du matin – Jicé – qui s’est réjoui à l’antenne de la mort d’un policier. À la suite de cet incident, Skyrock a dû suspendre ses programmes pendant vingt-quatre heures239. Cette fois encore, Jack Lang240 prend la défense de Skyrock, jugeant la sanction du CSA trop sévère. Il est même un soir l’invité de Tabatha Cash : pendant les trois heures d’émission, l’homme politique répond aux questions des auditeurs adolescents241. Dans l’intervalle, un animateur de Fun Radio – Cauet – dérape à son tour à l’antenne en comparant le camp d’Auschwitz à une maison de campagne242. Comme pour Jicé sur Skyrock, Cauet est renvoyé de Fun Radio le lendemain. La presse s’émeut à nouveau et le président du CSA, Hervé Bourges, déclare vouloir lancer un débat sur les règles de déontologie à la radio. Il souhaite « moraliser la bande FM243 ».
131En avril 1995, dans le contexte de la diffusion d’un reportage d’Envoyé spécial donnant à voir de jeunes auditeurs et leurs animateurs vedettes244, la presse généraliste est une nouvelle fois inondée d’articles concernant ces émissions. Si certains s’insurgent contre ce phénomène245, d’autres tentent de l’analyser. Dans Le Monde, le journaliste Jean-Louis André replace ces programmes dans un contexte plus large de développement du discours sur la sexualité, au détriment de l’image. Selon lui, le spectacle érotique fait désormais moins vendre que les discours sur le sexe, les déballages de l’intime, dans un contexte où la presse de charme se porte mal. La diffusion des principaux titres de la presse masculine grand public érotique a en effet grandement diminué, tandis que la presse X la détrône246 : le magazine Lui247 cesse sa parution en 1994, et Playboy248 connaît plusieurs éditeurs en peu de temps. Par ailleurs, l’érotisme tend à disparaître des chaînes de télévision. TF1 avait lancé en 1993 trois nouvelles émissions de charme : Leçons d’amour, par Le Doc’ ; Sophie… sans interdit, présentée par Sophie Favier et Méfiez-vous des blondes249, présentée par Amanda Lear. Ces programmes n’ont duré que peu de temps : à la rentrée 1994, la case érotique de TF1 n’existe plus. Si Leçons d’amour n’a récolté que peu d’audience250 et a été arrêté au bout de la troisième édition, Sophie sans interdit a connu un plus grand succès, l’émission récoltant 52 % des parts de marché dès le premier numéro251. Elle a toutefois été rapidement arrêtée, considérée trop vulgaire, l’image de TF1 en pâtissant252. Par ailleurs, France Télévisions a enterré sa Série Rose en 1991. Seule M6 conserve un magazine érotique (Sexy Zap253) et un film érotique hebdomadaire, tandis que Canal + demeure la seule chaîne, avec Ciné Cinémas, à diffuser des films pornographiques. Ainsi, tandis que les émissions de charme se sont multipliées au début des années 1990, ce genre a quasiment complètement disparu des écrans de télévision au milieu de la décennie. Comme l’écrit Jean-Louis André dans Le Monde en 1995, ces programmes ont cédé la place à un nouveau type d’émissions :
« Le spectacle du sexe ne fait pas recette dans les médias généralistes. Mais cette relative sagesse est largement compensée par une abondance d’émissions d’actualité et de talkshows consacrés au sujet.
“Tout se passe comme si l’évolution des mœurs avait amené une banalisation de l’érotisme traditionnel, remplacé par une nouvelle forme de parole médiatique, constate Monique Dagnaud, sociologue et membre du CSA. La nouveauté, c’est le grand déballage de confessions intimes et impudiques sur la scène publique.” La programmation de Bas les masques254 qui n’hésite pas à recueillir les récits de “folles de leurs corps” ou celle de Ça se discute255 qui vient de traiter des “nouvelles formes amoureuses”, témoignent largement de cette évolution : on y écoute en toute quiétude des histoires très personnelles qui vont bien plus loin qu’on ne l’aurait osé du temps de Ménie Grégoire. Dans un tel contexte, les mots réussissent à se faufiler là où l’image heurterait. »
132Ces émissions s’inscrivent dans la continuité des programmes de reality-shows initiés au début des années 1980. Si la télévision montre moins, la radio offre en revanche un espace accueillant pour « l’auditeur-voyeur », poursuit Jean-Louis André :
« Puisque le voyeur est contraint d’écouter, il se réfugie volontiers sur les radios : jamais celles-ci n’avaient autant accordé de soins à l’édification sexuelle de leurs auditeurs-adolescents256. »
133Sur Skyrock, Géraldine ayant cessé ses émissions de petites annonces érotiques pour adultes, ce sont les programmes adolescents du soir qui constituent un véritable phénomène. Ils rassemblent des millions d’auditeurs : 3,5 millions pour Fun Radio, et 2 millions pour Skyrock. Bientôt, ils s’assagissent tout de même. Après moins d’une saison, Tabatha Cash met un terme à son émission257. Sur Fun Radio, Difool est écarté de l’antenne en 1996. Il est d’abord remplacé par une animatrice (Jessyca), puis par un animateur (Arnold) en 1997. Comme l’indique Christophe Deleu, « il ne s’agit pas simplement d’un changement d’individu mais de ligne éditoriale258 ». L’émission sera supprimée en 1998259, ce qui n’empêchera pas à Difool et au Doc d’être poursuivis juridiquement sur la base de l’article 227-24 qui réprime la pornographie260. Le CSA, soucieux de protéger les mineurs, finira par introduire de nouvelles règles concernant la protection de l’enfance et de l’adolescence à la radio en 2004, comme nous le verrons. Au total, Lovin’Fun aura profondément marqué l’histoire de la radio adolescente, mais aussi de la radio en général, ce type d’émissions adolescentes261 ayant dans une certaine mesure influencé la programmation des chaînes généralistes. En effet, des stations destinées aux adultes vont faire elles aussi appel à des médecins pour répondre aux questions des auditeurs autour de la sexualité. Si c’est le cas pour Europe 1 dès la fin des années 1980, avec le sexologue Gilbert Tordjman (23 heures-1 heure, une fois par semaine), Radio Montmartre utilise ce dispositif à partir de 1994262.
D’autres émissions destinées aux jeunes
134Toutes les émissions FM tardives destinées aux jeunes ne traitent toutefois pas de sexualité. Si la libre-antenne est reine, certains programmes de ce genre proposent un autre type de parole. C’est le cas de Maurice263, qui traite de sujets variés avec ses auditeurs. Il officie d’abord dans Maurice, c’est la nuit sur OUÏ FM à partir de 1991, puis dans Maurice Radio libre264 sur Skyrock de 1994 à 1997 (22 heures-1 heure).
135Dans une lettre adressée au président du CSA, Pierre Bellanger présente ce nouveau programme, lancé la même année que Le Skyclub avec Tabatha Cash :
« Dans la soirée, sur la tranche horaire 22 h 00-1 h 00, l’émission animée par Maurice Champvert […] se veut une émission beaucoup plus interactive, où tous les thèmes sont abordés, dans laquelle les auditeurs peuvent intervenir librement à l’antenne et dans laquelle l’animateur leur répond sans concession265. »
136Le terme « sans concession » est un euphémisme. En réalité, Maurice a un style bien à lui, consistant à raccrocher au nez des auditeurs qu’il juge inintéressants. Selon France Soir, « c’est le cas le plus mystérieux et le plus atypique de la FM266 ». Transfuge de Radio France, il n’hésite pas à maltraiter l’auditeur, et affirme refuser la démagogie vis-à-vis des jeunes qui l’écoutent : « l’idée générale est de permettre aux jeunes de s’exprimer en étant honnête avec eux267 ». Il reprend ainsi la méthode que Supernana a développée sur Carbone 14 au début des années 1980. Debout devant le micro dans un studio plongé dans le noir, Maurice « accueille » les auditeurs de sa voix grave et caverneuse, par cette entrée en matière, toujours la même : « Allô, qui va là j’te prie ? » C’est une émission rock qui ne fait pas dans la dentelle ni la douceur. L’un des jingles met en ondes une voix de femme hurlant, sur fond de guitare saturée :
« Dehors il fait noir, mais tu n’dors pas ! car tu l’écoutes ! Il est dans ta tête ! Maurice ! Skyrock ! 22 heures268 ! »
137Ce jingle insiste particulièrement sur la dimension nocturne, et assimile l’écoute de la radio à un acte allant contre les normes de la nuit et du sommeil. Selon ce slogan, l’animateur accapare l’auditeur, il est même « dans [sa] tête », infiltrant ses pensées quand tout le reste dort autour. Dans un autre jingle, introduit par une longue sirène hurlante, une voix de femme annonce le début de l’émission, d’un ton de plus en plus agressif :
« Welcome. It’s 10 PM ! Température ambiante, 20 degrés celsius ! Lieu : Paris, capitale de la France ! Commandant de bord : Maurice ! But de la mission : réveiller les cerveaux ! Moyen utilisé : la parole ! Émetteur : Skyrock ! Durée du processus : trois heures ouvrables ! Humains concernés : tous, sans exception ! Numéro à composer 16 1 42 36 96 96 ! Temps de réaction : Immédiat !
RÉSULTAT : RÉVEIL DÉFINITIF DE L’HUMANITÉ !
Message personnel : réagis, car il est ici Maurice, sur Skyrock dans ta radio à toi !
[Voix de Maurice] Salut les Parigots, salut les campagnards !
[Voix de femme, hurlant] Tu viens de pénétrer dans l’arène. Le fauve est lâché, alors bats-toi, au 16 1 42 36 96 96269 ! »
138En outre, avant même le début de l’émission, un message de Skyrock informe les auditeurs du caractère possiblement choquant de ce programme :
« La direction de Skyrock tient à prévenir l’auditeur que le programme qui va suivre pourrait le choquer. Elle l’invite par conséquent à se caler sur une autre fréquence, afin de conserver une image positive de Skyrock. En outre, elle se dégage de toute responsabilité concernant la prestation de Maurice270. »
139La station s’amuse du caractère subversif de cette émission, volontairement provocatrice. Certains auditeurs, conscients qu’ils risquent de se faire exclure de l’antenne en direct, continuent d’appeler régulièrement. Entre 1993 et 1996, un certain « Dorian de Saint-Ouen » téléphone souvent pour lire à l’antenne des textes ou poèmes de son cru, souvent noirs et pessimistes :
« Peu disert à l’oral dans cette période de ma vie, j’avais choisi l’écriture et la lecture de textes pour m’y exprimer, lesquels variaient entre des contes littéraires emplis de spleen ou de morbidité, et des chroniques acerbes sur l’actualité, très inspirées de Pierre Desproges. J’étais un provocateur qui n’hésitait pas à aborder des sujets extrêmement durs (la pédophilie, la maladie, la mort, le viol, etc.), dans des perspectives ambiguës et teintées de romantisme noir271. »
140Maurice se plaît à critiquer cet auditeur et à se moquer de son désespoir, mais il le laisse lire jusqu’au bout et accepte régulièrement ses appels. S’instaure entre les deux individus une relation particulière, dont les auditeurs sont témoins. En fait, Maurice invite assez vite Dorian à la radio, et lui confie un numéro de téléphone privé qui lui permet d’accéder au standard en une seule sonnerie, et donc d’être assuré de ne pas avoir à subir la saturation du standard272. Ce fameux auditeur privilégié a d’ailleurs créé un site internet regroupant les archives sonores des enregistrements personnels de ses passages à l’antenne273, qui nous a permis d’entrer en contact avec lui.
141Dorian a 21 ans en 1993. S’il s’intéresse à cette émission, c’est parce qu’il « recherche des programmes bizarres, avec des gens un peu marginaux ». Sortant peu le soir dans un Paris qu’il trouve ennuyeux, il écoute la radio tous les soirs jusqu’à 2 heures du matin, cette pratique constituant une sorte d’« échappatoire ». S’il ne recherche au début rien de plus qu’un divertissement, il est rapidement séduit par le programme qu’il entend :
« J’avais la sensation qu’avec la concurrence féroce de la télévision, les différentes stations radio laissaient carte blanche à leurs animateurs, et on pouvait écouter des émissions plus atypiques, plus improvisées. Quand il y avait la libre-antenne, les gens qui appelaient étaient rarement des employés de bureau devant se lever le matin. Il y avait essentiellement des gens inoccupés, chômeurs, étudiants, dépressifs, retraités, des gens qui avaient généralement une histoire pas ordinaire à raconter. […] L’émission […] ne manquait pas, à ses débuts, de moments surréalistes avec toute une armada de dingos et de sociopathes. J’aimais particulièrement […] ce côté “happening”, cette improvisation qui montrait un peu les âmes à nu, les tourments de chacun dont nous pouvions tous nous sentir proches – ou au contraire lointains, donc intrigués. D’où ma volonté d’y participer274. »
142L’animateur à l’esprit « ronchon et rock’n’roll » malmène donc ses interlocuteurs, leur raccroche au nez275. Citons par exemple cette conversation tenue avec un certain Emmanuel :
Auditeur : […] J’écoute depuis le début, […] depuis 22 heures. J’ai assez apprécié les réflexions sur la société, ce qui montre une bonne photographie…
Maurice : Emmanuel, c’est ça ?
Auditeur : Oui, Emmanuel.
Maurice : Ton avis et ce que tu as apprécié je n’en ai rien à foutre, moi. Moi ce que je voudrais c’est que tu aies éventuellement quelque chose à dire276. […]
143Un auditeur parle d’une émission qui l’a vraiment traumatisé, mais qu’il a tout de même eu plaisir à écouter :
« Maurice, l’homme à la queue de cheval et à la voie gutturale, il nous faisait tous flipper. Il était très charismatique et, au fond, c’est vrai, il arrivait à savoir quel sujet était porteur et pas porteur. Sa marque de fabrique, c’était une voix, un ton très insolent. J’écoutais l’émission de Maurice pour entendre les gens se faire dégager277. »
144Une autre auditrice, lycéenne, témoigne encore dans le même sens :
« Ce que j’aime chez lui c’est sa façon de remettre les gens à leur place. Je crois qu’on est dans une société d’assistés et Maurice est contre ça, il secoue les gens, ça leur fait du bien, moi la première donc c’est ça que j’aime278. »
145Un autre adepte de l’émission explique encore qu’une des qualités de Maurice est de vouloir élever ses auditeurs. Contrairement aux autres animateurs qui s’adressent aux jeunes, il a une « certaine tenue vis-à-vis du langage », n’aimant pas le mot « cool » par exemple, et réprimandant ses auditeurs qui l’utilisent :
« Il essaie d’inculquer chez les auditeurs une vraie personnalité. Les autres émissions c’est très standardisé la manière de parler. Alors que lui il [essaie] d’individualiser chaque auditeur et lui faire comprendre qu’à la place de “cool” il [peut] utiliser un autre mot279. »
146En 1995, France Soir qualifie ces libre-antennes nocturnes de « sortes de graffitis vocaux dont la verdeur du langage reste la couleur dominante280 ». Sur OUÏ FM, l’émission de Kad Mérad281 s’adresse aux jeunes dans un tout autre style. En effet, après le départ de Maurice de OUÏ FM pour Skyrock, Kad s’installe sur son créneau 22 heures – 1 heure, dans lequel il propose des dialogues teintés d’humour et d’improvisation musicale avec ses jeunes auditeurs282. Il joue de la guitare et chante lui-même le jingle de son émission, le Ziggy Show, sur l’air de New York New York :
« Toutes les lignes sont équipées/Tu es le bienvenu ce soir, comme tous les soirs/Pas de place pour le désespoir283… »
147Dans cette émission musicale et humoristique, les jeunes lisent par exemple leurs bulletins scolaires à l’antenne. Ils rient et dédramatisent leurs mauvais résultats avec l’animateur, appellent pour improviser des chansons sur le thème de leur choix. Kad leur donne la réplique, en musique. Les auditeurs adeptes de ce programme ont d’ailleurs tendance à dénigrer les émissions de Skyrock et Fun Radio284.
148Certaines émissions nocturnes de la FM destinées aux jeunes ne font cependant pas forcément appel à la libre-antenne. Dès 1985, le comédien Richard Bohringer crée sur RFM l’émission C’est beau une ville la nuit, qu’il poursuit par la suite sur Kiss FM, puis Europe 2, le vendredi soir entre 22 heures et minuit, à partir de 1993. Entre-temps, il a d’ailleurs publié un livre du même nom. En 1993, il parle de ses auditeurs à un journaliste :
« Je les imagine sur la route ou dans une petite chambre, travailleurs silencieux. Avec eux, je partage mon amour des beaux textes, du jazz, de la grande chanson française : Manset, Dutronc, Ferré et bien d’autres. Je les invite à m’écrire leurs coups de blues285. »
149Dans son émission, Richard Bohringer mêle donc la musique aux textes. Invitant les auditeurs à lui faire part de leurs difficultés, dans des lettres qu’il lit à l’antenne, il fait lui aussi en quelque sorte une émission de confidences d’anonymes mais par le biais de l’écrit, non plus du téléphone. Chaque vendredi, il reçoit aussi un adolescent à ses côtés, qui raconte le monde et ses mouvements tel qu’il le voit.
150Les adolescents constituent donc l’essentiel du public tardif ou nocturne des émissions radio de la FM, avec un nouveau type de programmes dits de libre parole. Comme l’indique le sociologue Hervé Glevarec, à la différence de la « télévision de l’intimité » dans laquelle les témoignages des téléspectateurs représentent des situations exceptionnelles, les appels recueillis dans les libres antennes sont généralement le fait d’individus plus ordinaires286. Par ailleurs, le chercheur précise que l’existence de ces émissions, donnant la parole aux jeunes chaque soir sur les antennes, est un fait spécifiquement français287.
151Dans les années 1990, l’imaginaire radiophonique des adolescents français a également été imprégné par un film générationnel, un teen movie consacré à la radio – Pump Up the volume, réalisé par Alan Moyle, sorti sur les écrans en 1990. Ce long métrage américain met en scène un adolescent timide, incarné par Christian Slater, qui lance une radio pirate depuis le garage de ses parents, et sur les ondes de laquelle il prend l’antenne chaque soir, à 22 heures. Adolescent introverti le jour, il se transforme en animateur loquace et révolté la nuit, délivrant des messages cyniques sur le monde qui l’entoure, jusqu’à devenir la voix de la rébellion dans son établissement. Chaque soir, les élèves de son lycée l’écoutent, fascinés par la force de cette voix dans la nuit, sans savoir pendant longtemps qui se cache derrière ce mystérieux pirate.
152Si ce film ne met pas en scène une émission de libre antenne, il retranscrit à l’écran la capacité de cette radio nocturne à devenir un outil d’émancipation et d’affirmation de la jeunesse, un support de distinction vis-à-vis des adultes, un signe de ralliement générationnel. Ce film, qualifié de « culte » sur de nombreux forums Internet, semble avoir été massivement regardé par les adolescents de l’époque des premières libres antennes. D’ailleurs, lors de la sortie du film, Fun Radio est partenaire du long métrage, puis la station utilisera son aura auprès des jeunes. En effet, en 1994, Fun Radio recrute le doubleur français de Christian Slater dans Pump up the Volume, Emmanuel Curtil, qui devient la voix officielle de la station, jusqu’en 1998. Pour les dirigeants de la chaîne, l’utilisation de cette voix est un moyen de laisser croire que leur antenne est piratée par un jeune auditeur.
153Outre l’auditoire adolescent, certaines stations FM françaises proposent encore des programmes en direct ou originaux la nuit, à destination des adultes, et s’il s’agit souvent d’antennes libres, d’autres initiatives existent.
Les programmes nocturnes FM pour adultes
154Quelques radios FM, essentiellement associatives, proposent la nuit autre chose que des plages de musique programmées par ordinateur. Certaines mettent en ondes des programmes spécifiquement conçus pour la nuit en direct.
155Étant donné la difficulté rencontrée pour rassembler des archives, des écrits ou des témoignages évoquant ces questions, il s’agira ici principalement de deux exemples qui ont émergé au cours des recherches – Ici et Maintenant et Radio Nova. Sans prétendre à l’exhaustivité, il s’agit de mettre en lumière le cas de ces deux stations, tandis qu’une dernière section présentera quelques autres exemples d’initiatives nocturnes originales de la bande FM.
Ici et Maintenant, « antennes libres » et dérapages
156La radio FM parisienne associative Ici et Maintenant est l’héritière directe de la radio pirate du même nom fondée par Didier de Plaige et Guy Skornik en 1980. Depuis ses origines, cette station a toujours privilégié les lignes ouvertes nocturnes. Dès le début, rappelons-le, elle émet uniquement la nuit. Après être devenue légale, la radio est d’ailleurs demeurée une station du soir et de la nuit en s’institutionnalisant. Partageant sa fréquence avec EFM inter-générations, elle n’émettra en 1994 que 13 heures par jour288.
157À partir de la fin de l’année 1985, Thierry Lefebvre est l’un des animateurs des nuits de cette station, et parallèlement étudiant en pharmacie289. Il commence même à l’occasion de la nuit de Noël 1985, au pied levé, accueillant dans son studio, à la demande du directeur Didier de Plaige, un homme qui se prend pour la réincarnation du Christ :
« Je commence sur Ici et Maintenant. […] Avec l’allumé qui se prend pour le Christ et des gens aussi allumés […] qui appellent. On était en pleine nuit de Noël, vous imaginez le topo. Ça dure des heures… Je me dis à la fin “bon si on fait des trucs comme ça en permanence ça va être un peu lourd, mais c’est quand même rigolo290”… »
158Finalement, il accepte des créneaux réguliers sur l’antenne, souvent la nuit, car la radio souhaite vraiment assurer une antenne en continu. Pendant plusieurs mois, il anime et réalise régulièrement des émissions nocturnes de plusieurs heures. Il est entièrement seul, remplissant toutes les fonctions :
« Je faisais technique, animation, réponses, musique, etc. C’est ça qui m’intéressait : avoir un flux permanent en étant tout seul. […] Répondre au téléphone, essayer de trouver des sons, amorcer le téléphone suivant, faire intervenir deux personnes en même temps… ça demande une vivacité d’esprit que j’avais à l’époque, donc j’en profitais. Et moi ça me plaisait beaucoup. C’était un truc qui m’excitait. J’avais ce sentiment que j’étais dans l’instant. Je ne me posais pas la question : “qu’est-ce que les gens vont penser de ce que je vais faire ?” […] Je trouvais ça intéressant, expérimental291. »
159Sur cette antenne largement ouverte aux appels des auditeurs, les coups de téléphone sont très nombreux. Thierry Lefebvre se souvient, par exemple, du jour du décès de Daniel Balavoine, où il se retrouve la nuit avec de nombreux auditeurs en larmes au téléphone292. Plusieurs mois plus tard, Thierry Lefebvre interrompt son expérience d’animateur radio, n’ayant plus suffisamment de temps à consacrer à cette passion.
160L’aventure Ici et Maintenant se poursuit, et, au fil des années, le créneau de cette station reste celui du dialogue et de l’interactivité. En 1993, Télérama évoque cette station, incontournable, dans son dossier consacré à la nuit radiophonique :
« Pour les Parisiens uniquement, qui peuvent aussi s’épancher sur Ici et Maintenant : n’importe qui peut appeler, pour parler de n’importe quoi. Du conflit israélo-palestinien au chagrin d’amour, de la poésie surréaliste au prix du ticket de métro (antenne libre tous les jours, de minuit à 7 heures)293. »
161Ici et Maintenant met l’accent sur une liberté totale de parole : il n’y a pas de standard et pas de sélection des appels qui passent à l’antenne294, ce qui laisse inévitablement la porte ouverte à des dérapages. À l’image de ses cousines adolescentes de la FM, cette station va parfois provoquer l’ire du CSA. En 1993, la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) rapporte au conseil des propos antisémites qui ont été tenus par un jeune auditeur au cours d’une émission. L’animatrice n’ayant pas interrompu ni condamné ces propos pourtant « inacceptables », le CSA met en demeure les responsables de la radio « de veiller expressément à ce que de tels dérapages n’aient plus cours sur leur antenne295 ». Quelques mois plus tard, en mars 1994, dans le cadre de l’émission Radio Village, un autre auditeur à la voix maquillée convie en direct à un grand bal costumé pour « chanter les beaux jours de Mathausen, Triblinka, Dachau, Dora, le costume rayé est de rigueur et n’oubliez pas de faire un petit régime pour maigrir296 », avant que la conversation ne se coupe brusquement. En réaction, le CSA fait le choix d’une sanction lourde – utilisée pour la première fois – : il décide de réduire d’un an l’autorisation d’émettre de la radio, jusqu’au 2 septembre 1996 au lieu de 1997, même si, contrairement aux affaires de Fun Radio ou de Skyrock, les animateurs d’Ici et Maintenant ne sont qu’indirectement mis en cause. Didier de Plaige se défend en argumentant qu’il est impossible de faire quoi que ce soit si un auditeur prononce à l’antenne une phrase raciste et raccroche juste après. Selon lui, leur station est visée car les tribunes libres font peur et dérangent « toute forme de pouvoir297 ». Malgré tout, pour montrer sa bonne volonté, il décide à contrecœur de modifier les dispositifs de passage à l’antenne des appelants dans sa radio. Pour limiter les risques, les auditeurs devront désormais donner un numéro de téléphone sur lequel la radio pourra les rappeler – comme il est d’usage sur les radios généralistes. Mais cette modification a un coût, estimée à 6 000 francs par mois298.
162Chaque nuit d’antenne libre est animée par un animateur différent. Certains d’entre eux sont particulièrement attirés par des thématiques telles que les sciences occultes, le spiritisme, les ovnis, l’étrange, autant de sujets qui confèrent à ces émissions une tonalité bien particulière. Ces thèmes semblent n’avoir leur place nulle part ailleurs sur les radios françaises et invitent toutes sortes de personnes à prendre l’antenne. Par ailleurs, la station s’inscrit aussi sur le terrain de l’érotisme, allant presque jusqu’à rejouer « L’amour en direct » qui avait fait scandale sur Carbone 14. En août 1993, une lettre d’une auditrice alerte le CSA à propos d’une émission qu’elle a jugée licencieuse, diffusée entre 23 heures et 7 heures. Ce programme d’antenne libre, généralement consacré aux sujets politiques et aux faits de société, a pour thème ce soir-là l’érotisme. Son animateur, Jean-Claude Carton, semble s’être particulièrement bien pris au jeu de cette thématique. D’abord, selon le CSA, les lectures de textes érotiques et les témoignages d’auditeurs « tout en étant osés, ne semblent pas devoir appeler d’observations particulières, compte tenu de l’horaire de diffusion299 ». Toutefois, certaines séquences dépassent ce cadre. En effet, l’animateur propose aux auditeurs et auditrices de se séduire mutuellement, afin de « faire l’amour en direct », par l’intermédiaire du téléphone. Le but étant de décrire la situation qu’ils imaginent et d’être le plus convaincant possible. Des auditeurs se prêtent au jeu, tandis que d’autres appellent, scandalisés, pour faire part de leur indignation. Un peu plus tard dans la nuit, l’animateur invite un couple à avoir une relation sexuelle réelle. Tout en gardant le téléphone près d’eux, l’homme et la femme s’adonnent alors vraisemblablement à leurs ébats tout en les commentant – le CSA ne semble pas douter de la véracité de ces faits300. Si cette dérive est signalée dans une note, le dossier ne contient pas d’éléments indiquant que le Conseil a recouru à une sanction envers la radio Ici et Maintenant.
163En dehors de ces quelques nuits qui ont fait scandale, nous n’avons pas de trace de l’essentiel des nuits blanches de conversation. On ne connaît que l’exception, la nuit scandaleuse. Il est donc difficile de se faire une idée juste de ces radios faute d’archives. Pourtant, l’immense majorité de ces nuits est composée de dialogues qui doivent représenter, d’une certaine façon, l’humeur d’une époque301.
L’ovni Radio Nova
164Radio Nova est une radio libre née en 1982, de la fusion de deux radios pirates : Radio Ivre302 et Radio Verte. Devenue Nova-Ivre puis Radio Nova, cette station est financée par le groupe de presse de Jean-François Bizot, refondateur du magazine underground Actuel303. Dès l’origine, Nova fait figure d’exception dans le paysage radiophonique. Décrite par L’Écho de la presse et de la publicité en 1984 comme « la fréquence la plus surprenante et la plus créative de la capitale304 », elle a en tout cas le mérite de proposer une programmation musicale éclectique, mettant à l’honneur des genres musicaux émergents ou alternatifs comme le hip-hop, dès le début des années 1980, le reggae ou la world music. Le DJ DeeNasty, un des pionniers du hip-hop en France, rejoindra d’ailleurs Nova dans la deuxième moitié des années 1980, après avoir animé des émissions sur plusieurs radios libres, dont Radio Arc-en-ciel, Carbone 14 et Radio 7305. Sur Nova, il crée son émission en 1988 – le Deenastyle –, qu’il anime en duo avec le rappeur Lionel D306 le vendredi307 de 22 heures à minuit et qui jouera un rôle très important dans la diffusion du hip-hop en France308.
165Les responsables de Nova prônent une dépersonnalisation de l’animateur au micro, mettant notamment en avant des voix étrangères, avec des accents.
166En 1984, la radio propose une émission littéraire novatrice diffusée le soir de 23 heures à minuit. Étant donnés de Marie-Dominique Arrighi est un programme où l’on parle des livres et non de leur auteur, « un anti-Apostrophes309 » rafraîchissant selon le journal Les Nouvelles :
« Trois parrains choisis par l’auteur discutent entre eux du livre ; des témoins, eux aussi choisis par l’écrivain, commentent du dehors un thème ou une image ; l’auteur lui-même réagit à ce qu’on a dit sur lui ; une narratrice livre la trame du récit : un meneur de jeu assure le fonctionnement du dispositif sans prendre parti. Ensuite, on mélange, on agite et cela donne une émission construite et montée. Le contraire du matériau brut310. »
167Pour la nuit, Nova a fait le choix dès l’origine de productions enregistrées et montées à l’avance, plutôt que d’émissions en direct311. La logique est donc inverse à celle d’une station comme Ici et Maintenant. En 1982 et 1983, le musicien et artiste Ramuntcho Matta est sollicité par la radio pour venir enregistrer des bandes destinées à être diffusées durant les heures noires. Il réalise ainsi des créations originales et personnelles à partir d’enregistrements divers et de disques musicaux. Il explique son processus de création :
« J’ai toujours […] eu des magnétos […] et j’ai toujours tout enregistré, ce qui fait que j’ai une sonothèque assez folle : […] des entretiens, des concerts, des bruits de train, […] d’oiseaux, […] de cuisiniers qui font la cuisine, des blagues débiles, des entretiens avec des gens inutiles… […] Je faisais un mélange de ça, et des disques qu’on pouvait faire à l’époque. Il y avait un magasin de disques – […] Raoul Vidal, Boulevard Saint-Germain – [avec] des cabines comme des cabines téléphoniques où on pouvait enregistrer son disque à l’unité. Parfois avec des copains on allait faire de la musique dans les cabines et ça faisait des bandes assez originales. […]. Ce que je faisais pour Nova c’était un mélange de disques et d’enregistrements personnels. […] Je ne parlais pas, je faisais parler les bandes312. »
168Bien des années plus tard, à la fin des années 1990, Jean-François Bizot utilisera toujours les productions de Ramuntcho Matta. Sur Radio Nova, la nuit est donc un espace de création et de rêverie, même si le renouvellement des productions qui y sont diffusées n’a pas été régulier, faute de moyens313. D’ailleurs, dès l’origine, Radio Nova se perçoit comme une « machine à rêver314 ». Plus tard, à partir des années 2000, la radio lancera le concept des Nuits Zébrées, des émissions-concerts organisées en direct de lieux de spectacle parisiens ou de province.
D’autres initiatives originales
169Citons encore quelques autres exemples d’initiatives originales pour terminer cette exploration de la bande FM nocturne du milieu des années 1980 au milieu des années 1990.
170Thierry Lefebvre, précédemment évoqué en tant qu’animateur d’Ici et Maintenant, réalise en fait ses premières armes radiophoniques sur la station parisienne Fréquence Libre. En « bricolant », il parvient à brancher jusqu’à trois téléphones sur la table de mixage, et imagine alors donner la parole aux auditeurs. Afin de ne pas avoir de problèmes avec le propriétaire de la station, il décide de proposer ses émissions la nuit, lorsqu’il n’y a alors plus de programmes. Il tient ainsi l’antenne pendant de longues heures, de minuit jusqu’à 6 heures du matin. Entre les interventions téléphoniques des auditeurs, opérées sans aucun filtre, Thierry Lefebvre propose de la musique, essentiellement répétitive, et « beaucoup d’essais sonores315 ». Il a conservé des enregistrements personnels de certaines de ces nuits de l’hiver 1984-1985, durant lesquelles les auditeurs parlent de tout, « de l’actualité bien sûr (de la crise calédonienne aux sans-abri qui meurent par dizaines cet hiver-là, en passant par la montée du Front national), mais aussi d’art et d’expériences intimes316 ». Au cours de la nuit du 15 au 16 janvier 1985, ils sont nombreux à appeler Fréquence Libre : un compositeur, une insomniaque, un musicien, un écrivain rédigeant une dramatique pour France Inter, un commercial, un maître-chien, ainsi qu’un ancien employé de station-service. Ce dernier auditeur tente d’ailleurs de définir ce qui relie tous ces individus entre eux : « si on a un seul point commun, c’est de connaître la nuit, si je comprends bien317 ». Thierry Lefebvre, devenu plus tard maître de conférences en Sciences de l’information et la communication, reviendra sur ces expériences :
« Un mot caractérise l’ensemble de ces interventions : modestie. Car il ne s’agit là, au fond, que d’une veillée, quoique médiatisée et remise au goût du jour. Ici, chacun s’exprime à tour de rôle… À mille lieues du tintamarre télévisuel…
“La nuit, décrocher son téléphone, c’est comme décrocher son parachute à huit cent mètres du sol, écrivait Claude Sarraute, on a vraiment l’impression que nos pauvres mots vont s’écraser dans le vide du studio.” Cette vacuité saute ici aux yeux. Que resterait-il, en effet, de ces conversations hertziennes, si le hasard ou quelque nécessité ne nous avait fait presser, cette nuit-là, le bouton “enregistrement” de notre magnétophone ? Rien, probablement. Pourtant, avec le recul, ces six heures d’enregistrement non-stop en disent plus long sur l’hiver 1984 que des centaines d’articles consultés à propos de la même époque318. »
171En effet, comme Thierry Lefebvre le remarque, ces émissions de libre-antenne constituent, à condition que les sources sonores aient été conservées, un corpus de sources formidable pour l’établissement d’une histoire des sensibilités. Dans ces enregistrements se dessinent des portraits et s’esquissent des témoignages qui disent quelque chose de la sensibilité d’une époque, du vécu des individus. Pouvoir accéder à de telles archives, quand elles existent, c’est entendre des voix qu’on ne peut retrouver nulle part ailleurs, ni dans les reportages télévisés, ni dans les romans et journaux de l’époque.
172Marina Urquidi, ancienne voix des nuits de la pirate Radio Ivre, a repris du service nocturne sur d’autres radios libres, après avoir été contrainte de quitter la station au moment de la fusion Nova-Ivre. Elle dispose d’enregistrements personnels de ses émissions sur cassettes, notamment de sa dernière de Nous, c’est les autres sur Radio Ivre, en mars 1982. Son invité, un journaliste africain installé à Paris et dénommé Francis, passe alors plus de deux heures avec elle à l’antenne dans la nuit et explique regretter qu’il s’agisse de sa dernière émission, ce à quoi Marina Urquidi répond :
« C’est ma dernière ici, sur 88.8, mais on verra bien… […] Ça fait 4 ans que je fais de la radio donc je pense que j’aurai du mal à m’arrêter maintenant, mais de toute façon y’a plein d’autres trucs à faire dans la vie319 ! »
173De fait, après un passage sur Radio Soleil où elle anime la nuit Cocktail tropical, elle présente ensuite en 1984-1985 l’émission nocturne hebdomadaire Maracduja sur Radio Gilda320, dans laquelle elle continue de passer des disques de musique antillaise et africaine, mais accueille aussi des invités et des appels d’auditeurs. Elle a un style bien à elle, tutoyant ses auditeurs et ses invités, parlant d’une voix sensuelle et légère sur les musiques, avec un petit accent, du fait de ses origines mexicaines. Son émission nocturne Maracudja321 est particulièrement longue, puisqu’elle dure de 23 heures à 6 heures du matin322, et Marina Urquidi fait régulièrement référence à ce cadre nocturne à l’antenne, comme en témoignent ses archives sonores :
« 3 heures et 19 minutes. Qu’est-ce qu’on peut être précis comme ça au milieu de la nuit, c’est stupide hein ?… En fait c’est quand même le milieu de la nuit, ou le début du matin, je sais plus. Il fait noir, noir, noir. Je crois que la pleine lune est passée depuis un moment. Maracudja, les fruits de la passion, Toute la nuit323. »
174Après Radio Gilda, Marina œuvre encore sur d’autres stations la nuit, bénévolement, jusqu’à 1987 ou 1988, avant que ne s’essouffle l’effervescence des radios libres. Sa voix aura marqué un groupe fidèle d’auditeurs de nuit, qui l’ont ainsi suivi, au gré de ces changements de stations.
175En dépit de l’autorisation des radios libres, les pirates de la radio n’ont pas disparu, dont certains trouvent encore refuge dans la nuit. En effet, le plan de Fréquence de TDF fonctionne difficilement, avec des mariages non réussis de diverses stations, tandis que la répartition laisse des trous dans la bande FM, sur lesquels des pirates des ondes s’insèrent. Parfois, ceux-ci viennent faire leur promotion à l’antenne d’une radio autorisée. Thierry Lefebvre, en l’occurrence, en reçoit régulièrement à son micro sur Fréquence Libre324.
176Si, dans les années qui suivent, la bande FM se retrouve beaucoup mieux remplie, il reste toujours, entre 107.5 et 108 FM325, un espace laissé vacant, « petit, mais confortable326 », sur lequel des pirates continuent d’opérer au milieu des années 1990. Toujours en raison de la plus grande propagation des ondes durant la nuit, ces nouveaux pirates agissent massivement pendant les heures nocturnes. En région parisienne, quatre centres d’écoute du CSA sont chargés de traquer ces bricoleurs de l’ombre.
177En dehors de ces pirates, d’autres voix nocturnes originales continuent de s’exprimer sur les ondes dans la légalité. Alain Dubois, alias Saturnin Pojarski, depuis la suppression de Carbone 14, poursuit la production hebdomadaire de son feuilleton d’aventures loufoque et scientifique Les Oiseaux de la nuit327, d’abord sur Fréquence Libre, où il croise Thierry Lefebvre, puis sur Radio Libertaire328. Une fois par semaine, en 1993, cette dernière propose d’ailleurs une Nuit d’Epsylonia, programme particulièrement audacieux et téméraire selon Télérama329, programmant de la musique électronique, électro-acoustique et psychédélique, le jeudi entre 22 h 30 et l’aube.
178Enfin, l’amour reste un thème récurrent des nuits de la FM. Sur Europe 2, par exemple, au début des années 1990, une émission quotidienne diffusée entre 22 heures et 1 heure du matin propose des chansons d’amour, entrecoupées des messages « enflammés » des auditeurs, laissés sur le répondeur ou envoyés par minitel. Sur les ondes de Radio Libertaire est programmée une libre-antenne de rencontres entre lesbiennes. Dorian, auditeur-intervenant des programmes de Maurice, se souvient d’avoir écouté avec attention et intérêt ce programme :
« Les femmes appelaient pour parler de la compagne qu’elles avaient envie de rencontrer. Elles se décrivaient physiquement, parlaient de leurs aspirations ; les animatrices les faisaient ensuite évoquer leur histoire, la façon dont elles vivaient leur homosexualité, les souvenirs d’expériences hétéros malheureuses qui parfois les avaient menées vers les femmes. Pour un homme, c’était très instructif, car on y comprenait bien des choses sur la sensibilité féminine, dont mes petites amies n’auraient jamais voulu me parler. Il y avait aussi quelques rubriques plus originales, un rappel historique des légendes grecques de Sapho ou de l’île de Lesbos330 […]. »
179Après Pump up the volume adressé aux adolescents, un autre film américain sort au cinéma en 1993 sur le thème de la radio de nuit, qui vient nourrir l’imaginaire et les représentations véhiculées autour de cet espace-temps médiatique. Nuits blanches à Seattle (Sleepless in Seattle) de Norah Ephron est une comédie romantique dans laquelle le média radiophonique nocturne joue un rôle central. En effet, ce long métrage met en scène la rencontre amoureuse entre deux individus, incarnés par Tom Hanks et Meg Ryan, provoquée par la confession de l’homme sur une antenne nocturne. La femme, qui l’entend au hasard d’une nuit de trajet en voiture, est bouleversée par sa voix et son témoignage, et fait tout pour le retrouver. Dans ce film, la radio nocturne constitue le lien qui permet de mettre en contact les deux protagonistes, qui provoque la rencontre. Réalisant plus d’un million d’entrées en France, cette fiction a contribué à entretenir le mythe de la magie de la radio nocturne. Toutefois, elle recouvre une réalité, comme le montre l’abondance de témoignages faisant état de rencontres amoureuses permises par ce type de programmes.
Conclusion
180L’apparition de la télévision nocturne, à la fin des années 1980, a contribué à faire perdre de l’importance à la radio de nuit. Mais même si cette radio est moins novatrice que durant la décennie précédente – tout n’aurait-il pas, après tout, déjà été inventé ? – les ondes de nuit demeurent, jusqu’au milieu des années 1990, un espace à part, riche et débordant toujours de paroles anonymes, même si celles-ci se limitent à certaines stations. En revanche, et ceci est réellement novateur, les soirées radiophoniques de certaines stations FM se sont transformées en des plateformes inédites de dialogue pour adolescents, inventant le concept de « libre antenne », souvent axé autour de la sexualité.
181La dernière période étudiée, de la fin des années 1990 à 2012, voit la lente disparition de la radio nocturne. De plus en plus, les grilles des ondes de nuit se vident de leur contenu pour laisser place à des rediffusions ou à des flux de musique automatique. La radio de nuit cesse alors de jouer le rôle qui a longtemps été le sien : celui de compagnon des solitudes. Comment et pourquoi s’est effectué ce glissement ? C’est l’objet du septième et dernier chapitre de cet ouvrage.
Notes de bas de page
1La loi de juillet 1982 mettant fin au monopole public de l’audiovisuel ne s’applique d’abord qu’à la radio.
2Sydney H. Wey, Broadcast programming : strategies for winning television and radio audiences, Londres, Wadsworth Publishing Company, 1981.
3Télérama, no 1683, semaine du 17 au 23 avril 1982.
4Le producteur de Radioscopie sur France Inter a rejoint la TV au début des années 1970.
5Télé 7 jours, no 1099, semaine du 20 au 26 juin 1981, p. 118-119.
6Ibid.
7Le premier magnétoscope à usage grand public, le VCR, est commercialisé en France en 1975. En 1978, le Betamax de Sony et la VHS de JVC arrivent sur le marché français.
8Agnès Chauveau, « La Naissance des télévisions privées », L’Écho du siècle, op. cit., p. 58-59.
9La Cinq est confiée à un groupe rassemblant Jérôme Seydoux, Silvio Berlusconi et Christophe Riboud, ce qui provoque de vives protestations.
10TV6 est attribuée à un groupe associant Gaumont à la radio privée NRJ.
11Chantal de Gournay, Le Local par la bande. Enquête sociologique auprès de 15 radios locales, juin 1986, p. 2.
12Agnès Chauveau, « TF1 privatisée », in L’Écho du siècle, op. cit., p. 61.
13La SOFIRAD vend à Jean-Luc Lagardère sa participation dans Europe 1 : ce dernier devient actionnaire majoritaire de la station.
14Christian Brochand, t. III, op. cit., p. 56-81.
15Télérama, no 1817, semaine du 10 au 16 novembre 1984, p. 132-135.
16Télérama, no 1870, semaine du 16 au 22 novembre 1985.
17Bernard Papin, Images du siècle des Lumières à la télévision, Paris, Ina/De Boeck, p. 123-135.
18L’érotisme avait fait son apparition à la TV en 1982 avec le strip-tease d’une Playmate dans l’émission Cocoboy de Stéphane Collaro sur TF1.
19L’émission bat des records d’audience, rassemblant plus de dix millions de téléspectateurs, Le Point, no 792, 23 novembre 1987.
20Libération, 30 avril et 1er mai 1986.
21Jack Lang est l’invité de la première de Super Sexy, en septembre 1987.
22Le Point, no 792, 23 novembre 1987.
23Le terme vient des États-Unis où ce type d’émissions existe déjà.
24Entre 22 h 30 et 00 h 30.
25Après une carrière d’exploitant de cinéma, Frédéric Mitterrand s’est lancé dans la réalisation et l’écriture. Il a rejoint la TV en 1981. Juliette Courtois, Frédéric Mitterrand, Une approche du 7e art au petit écran, Bry-sur-Marne, Ina, 2013.
26Télé Moustique, no 3215, semaine du 11 au 17 septembre 1987, p. 113.
27Publicitaire, Ardisson a commencé comme producteur de télévision en 1985 sur TF1.
28L’invitée de la première de Bains de minuit en septembre 1987 est la Cicciolina.
29La Main Bleue est à l’origine une discothèque d’immigrés africains à Montreuil, créée en 1976. En 1977-1978, elle devient le rendez-vous du Tout-Paris noctambule. Voir Karim Hammou, « Danser à Paris dans les années 1970-1980 », 2011, [http://surunsonrap.hypotheses.org/2044], consulté le 20 avril 2020.
30Télé 7 jours, no 1425, semaine du 17 au 25 septembre 1987.
31Médias, no 201, du 9 au 15 octobre 1987, p. 62.
32P. Bouteiller est devenu animateur radio sur Europe 1 à la fin des années 1950, avant de rejoindre France Inter.
33Entrez sans frapper, Antenne 2, 30 novembre 1987, Ina.
34Télé 7 jours, semaine du 5 au 11 décembre 1987.
35Marie-Ange Nardi a commencé à travailler à la TV comme speakerine.
36Le Figaro, 5 janvier 1988.
37Télé 7 jours, no 1475, semaine du 3 au 9 septembre 1988, p. 131.
38Archives des diverses émissions télévisuelles d’Ardisson, en partenariat avec l’Ina, [http://www.thierryardisson.fr/], consulté le 7 mai 2019.
39Télérama, no 2038, semaine du 1er au 7 février 1989, p. 47.
40Le Figaro TV magazine, du 18 au 24 avril 1988, p. 16-17.
41Hervé Bourges a dirigé RFI, TF1 et Radio-Monte-Carlo avant d’arriver à la tête d’Antenne 2 et de France 3 en 1990.
42Éditorial d’Hervé Bourges, « 24 heures sur 24 », Agora 2, no 4, juillet 1991, p. 2.
43Ibid.
44Télérama, no 2183, semaine du 16 au 22 novembre 1991.
45Francis Marmande, « La Télévision de nuit – un rêve éveillé », Le Monde Radio Télévision du 7 au 13 octobre 1991, p. 16.
46José Artur, Parlons de moi y’a que ça qui m’intéresse, Paris, Robert Laffont, 1988.
47Entretien avec José Artur, mai 2012.
48Il peut s’agir de Julien Delli Fiori, ou Daniel Mermet, dont les émissions se suivaient dans le début de la nuit durant la grille 1987-1988.
49Lettre d’un couple, 23 septembre 1989, archives de José Artur.
50Télérama, no 2027, semaine du 19 au 25 novembre 1988.
51Référence à son ouvrage sorti quelques mois plus tôt.
52Lettre de Bertrand V., non datée (années 1990).
53Télérama, no 1922, semaine du 15 au 21 novembre 1986.
54Télérama, no 2250, semaine du 27 février au 5 mars 1993.
55France Soir, 1er février 1996.
56Télé 7 jours, no 1370, semaine du 30 août au 7 septembre 1986.
57CAC, Fonds Macha Béranger, 19980208/1.
58Nous partons ici des lettres qui ont été conservées et versées aux Archives nationales. Il est tout à fait possible que certaines lettres aient disparu.
59CAC, AN, 19980208/1, 1986, dossier A, Lettre de Pierre, Marseille, 15 août 1986.
60Lettre de Joël R., 4 août 1986.
61Lettre de Paule F., Allonnes (49), 18 août 1986.
62Lettre de Jean-Philippe R., Mallemort (13), 6 août 1986.
63Lettre de Paule F., 18 août 1986.
64Lettre anonyme, Paris, 5 août 1986.
65Lettre de Chris, Grenoble, 20 août 1986.
66Lettre anonyme, 28 août 1986.
67Lettre de Béatrice de C., Paris, août 1986.
68Lettre de Anne-José L., 10 septembre 1986.
69Lettre de Alain M., 1er octobre 1986.
70Lettre de Jean P., Talence, 19 mars 1987.
71Télé 7 jours, no 1370, semaine du 30 août au 7 septembre 1986.
72Ibid.
73Viviane Blassel, Viviane, Allô c’est à vous, Paris, Presses de la cité, 1986.
74Télérama, no 2250, semaine du 27 février au 5 mars 1993.
75Le Monde, 25 mai 1991.
76Ibid.
77Interprétée par Nathalie Krebs.
78Le Monde, 25 mai 1991.
79« Tous en ligne », Midi 2, Antenne 2, 28 mai 1991, Ina.
80Fréquence meurtre est son premier film.
81Stuart Kaminsky, When the dark man calls, New York City, Saint Martin’s Press, 1983.
82Le Monde, 6 avril 1988.
83Le Monde, 13 avril 1988.
84Télérama, no 2048, semaine du 15 au 21 avril 1989.
85Télé 7 jours, no 1508, semaine du 22 au 28 avril 1989.
86Télérama, no 2048.
87Nuits de Chine, de Gilles Chenaille, samedi 22 h 40-00 heure sur France Inter, 1991-1992.
88Le Monde, 23 janvier 1994.
89Il produira et animera la première version du Juste Prix sur TF1, de 1987 à 1988. Il meurt en 2006, après deux transplantations cardiaques.
90Télérama, no 1708, semaine du 9 au 15 octobre 1982.
91Télérama, no 2081, semaine du 2 au 8 décembre 1989.
92Entretien avec Jean-Charles Aschero, mai 2012.
93Télérama, no 2250, semaine du 27 février au 5 mars 1993.
94Ibid.
95Libération, 16 septembre 1985.
96La Croix, 14 septembre 1985.
97Alain Veinstein, Radio Sauvage, op. cit., p. 137.
98Ina, fonds CSA 00015043-15, dossier no 19. Service d’observation des programmes audiovisuels, 251 SOP, « Les programmes à la rentrée 1985-1986 », p. 31.
99Libération, 16 septembre 1985.
100Tous les dossiers relatifs à cette émission ont été reversés à la Bibliothèque nationale de France. Fonds Alain Veinstein, NAF 28594, 1985-2014.
101Télérama, no 2250, semaine du 27 février au 5 mars 1993.
102Avant d’arriver à la radio, elle a publié les biographies de Michel Jonasz et Véronique Sanson.
103Le Monde, 19 juin 1994.
104Télérama, no 2250, semaine du 27 février au 5 mars 1993.
105Le Monde, 19 juin 1994.
106Entretien avec Christophe Imbert, 25 avril 2012. Il a été stagiaire sur l’émission.
107Télérama, no 2250, semaine du 27 février au 5 mars 1993.
108La Nuit au Poste, France Inter, 22 avril 1996, Ina.
109La Nuit au Poste, 21 juin 1986, Ina.
110Éric Yung est inspecteur de police en Brigade territoriale puis à la BRI. Après un séjour derrière les barreaux, il se reconvertit dans le journalisme.
111Bruno Bertherat, « Fait divers », L’Écho du siècle, op. cit., p. 443-445.
112Dossier X… en cavale, France Inter, 23 octobre 1983, Ina.
113« La belle et la mort. Bruno Sulak », Dossier X… en cavale, 14 et 21 avril 1985, Ina.
114Le Monde, 23 mars 1997.
115Le journal satirique Hara-Kiri a été fondé en 1960.
116De son vrai nom Georget Bernier, ce journaliste satirique et humoriste est le cofondateur des magazines Hara-Kiri et Charlie Hebdo.
117À la nuit, la nuit, 15 avril 1988, Ina.
118À la nuit, la nuit, 16 avril 1988, Ina.
119Corinne Madec est une jeune animatrice, elle rejoindra ensuite France Bleue.
120En août 1989, Kriss avait animé quotidiennement Songes d’une nuit d’été (23 heures-00 h) sur France Inter.
121L’Heure du Kriss… me, France Inter, 4 septembre 1994, Ina.
122Ibid.
123Microclimats, France Inter, 30 septembre 1995, Ina.
124Alain Poulanges a débuté à France Inter avec deux séries d’été. Il anime ensuite Nuit privée en 1991-1992, avant de produire En avant la zizique quotidiennement.
125Télérama, no 2250, semaine du 27 février au 5 mars 1993.
126Télérama, no 2336, semaine du 21 au 27 octobre 1994, p. 172.
127Ibid.
128Ibid.
129Le générique est écoutable sur Internet, [https://www.youtube.com/watch?v=ZU_GqPwe4Tg], consulté le 20 avril 2020.
130Le créateur de L’Oreille en coin et de FIP.
131Télérama, no 1828, semaine du 25 au 31 janvier 1985.
132Julien Delli Fiori a débuté à FIP au moment de sa création, en tant que programmateur.
133Amateur de variétés internationales, il publiera des livres sur le jazz manouche et les crooners.
134BIP, 9e année, no 486, 15 août 1985.
135Passionné de musique, ce jeune animateur s’est formé sur une radio libre associative, avant de faire ses armes sur RFM puis NRJ.
136Télérama, no 2177, 2 octobre 1991, p. 151.
137Il sera remercié de France Inter en juillet 2013.
138Sylvain Biville et Bruno Jeanbart, La Radio la nuit, mémoire de recueil, traitement et analyse de données, IEP de Paris, 1992.
139Elle a commencé sur des radios libres au début des années 1980.
140Jean-Michel Proust est un saxophoniste de jazz. Il a commencé sur RFM en 1981.
141Télérama, no 2250, semaine du 27 février au 5 mars 1993.
142Le Jeu des 1 000 francs étant un programme diurne diffusé à la mi-journée depuis 1958.
143Wesson a notamment participé à Radio 7, dans le cadre de l’émission musicale du soir, Smith et Wesson.
144Courriel de Marc Morvan, 13 mai 2012.
145Jean-François Remonté, op. cit., p. 150.
146Le Parisien, 30 mars 2015.
147Ibid.
148Télérama, no 2027, semaine du 19 au 25 novembre 1988.
149Témoignage de Benjamin Bibas recueilli le 31 janvier 2015.
15000 h 30-2 heures, depuis 1983.
151Nicolas du Roy est un jeune animateur entré à Europe 1 en 1984.
152Télérama, no 2250, semaine du 27 février au 5 mars 1993.
153Ibid.
154Télérama, no 1828, semaine du 26 janvier au 1er février 1985, p. 87.
155Jacques Fayet est un producteur important de la chaîne, il a notamment contribué à créer Les Matinales de France Culture en 1975.
156Elle coordonne depuis 1983 Les Nuits magnétiques.
157Les Nuits magnétiques, 29 janvier 1985, Ina.
158Télérama, no 2250, semaine du 27 février au 5 mars 1993.
159Libération, 28 avril 1993.
160Ibid.
161Anne-Marie Autissier et Emmanuel Laurentin, op. cit., p. 167.
162Entretien avec Irène, 23 juin 2015.
163Télérama, no 2181, semaine du 2 au 8 novembre 1991.
164Télérama, no 1882, semaine du 8 au 14 février 1986.
165Télérama, no 2250, semaine du 28 février au 6 mars 1993, p. 124.
166Michel Mathé, op. cit., p. 22.
167Entretien avec Gonzague Saint Bris, avril 2013.
168Les radios associatives bénéficient d’un fond d’État prélevé sur les recettes publicitaires des grands médias.
169Christophe Deleu, Les Anonymes à la radio, op. cit., p. 11.
170Agnès Chauveau et Cécile Méadel, « Les Radios locales privées, musicales et thématiques », in L’Écho du siècle, op. cit., p. 126-127.
171Skyrock est créée par P. Bellanger en 1986. Elle s’installe sur la fréquence de La Voix du lézard.
172J.-F. Remonté, op. cit., p. 154.
173En 1995, la société Hachette Filipacchi détient 85 % du capital de NRJ.
174RTL entre dans le capital de Fun Radio au début des années 1990.
175Christophe Deleu, Les Anonymes à la radio, op. cit., p. 40.
176Hervé Glevarec, Libre antenne. La réception de la radio par les adolescents, Paris, Armand Colin/Ina, 2005, p. 25.
177Ancien collaborateur du Pop Club, puis producteur d’émissions musicales pour France Inter.
178Ancien animateur de Pogo sur Europe 1.
179Producteur-animateur des programmes rock diffusés en soirée sur RTL.
180Le Monde, 8 mars 1987.
181Christophe Deleu, Les Anonymes à la radio, op. cit., p. 40.
182De son vrai nom André Petit. Il est un animateur de la génération des premières radios libres.
183« Lancement de Bonsoir la planète », Le Transistor, 30 décembre 2010, [http://le-transistor.net/2010/12/30/30-decembre-1990-lancement-de-bonsoir-la-planete-sur-skyrock/], consulté le 20 avril 2020.
184Aymeric Mantoux et Benoît Simmat, op. cit., p. 222.
185Loveline est un programme nocturne américain. Créé en 1983 sur KROQ-FM (Los Angeles), il est diffusé à l’échelle nationale.
186De son vrai nom David Massart, il a animé le WE La Nuit des auditeurs depuis 1990.
187Témoignage dans 90 FM. Jeunes émois et libres antennes d’Alexandre Duval, Arte Radio, 2014, [http://arteradio.com/son/616437/90_fm/], consulté le 7 mai 2019.
188« Ballade sur la FM », Envoyé spécial, 27 avril 1995.
189Voir Hervé Glevarec, La Libre-antenne, op. cit., 2005.
190Témoignage dans 90 FM, Arte Radio, 2014.
191Christophe Deleu, Les Anonymes, op. cit., p. 131.
19290 FM, Arte Radio, 2014.
193Ibid.
194Hervé Glevarec, La Libre antenne, op. cit., p. 30.
195Il a 23 ans en 1992.
196Il a 42 ans en 1992.
197Christophe Deleu, Les Anonymes, op. cit., p. 131.
198Ibid., p. 135.
199Le Monde Radio TV, du 30 novembre au 6 décembre 1992.
200Sandrine Rui, « La foule sentimentale. Récit amoureux, média et réflexivité », Réseaux, vol. 13, no 70, 1995, p. 109.
201Pierre Bellanger et Jean-Paul Baudecroux étant les directeurs respectifs de Skyrock et NRJ.
202Il a commencé sa carrière sur les radios libres parisiennes au début des années 1980.
203Ex animatrice de Carbone 14.
204Ina. Fonds CSA 00021808-110. Dossier no 173. CSA, Note, 29 décembre 1992.
205Ibid.
206Ibid.
207Ina, Fonds CSA 00021808-110. Dossier no 173. Note d’information, 8 avril 1993.
208Ibid., Note, 29 décembre 1992.
209Ibid., Commission radio du 12 mai 1992.
210Ibid., Note d’information, 8 avril 1993.
211Le Monde, 26 février 1995.
212Télérama, no 2250, semaine 24 février au 3 mars 1993, p. 127.
213Courriel de Dorian, auditeur, 2 décembre 2015.
214Témoignage dans 90 FM d’Alexandre Duval, Arte Radio, 2014.
215Ina, Fonds CSA, 00021808-110, dossier no 173, Notes sur le Difooloir, septembre 1993.
216Ibid., « Extrait du rapport d’activité du CSA 1993 ».
217Journal Télévisé de 20 heures, France 2, 7 mars 1994, Ina.
218Ibid.
219L’Événement du jeudi, du 15 au 21 septembre 1994.
220Télé 7 jours, no 1738, semaine du 18 au 24 septembre 1993.
221Télé 7 jours, no 1774, semaine du 28 mai au 3 juin 1994.
222« Lâche-toi » en verlan.
223Télé 7 jours, no 1791, du 24 au 30 septembre 1994.
224Ina, Fonds CSA, 00021808-110, dossier no 173, Fun Radio.
225Témoignage dans 90 FM d’Alexandre Duval, Arte Radio, 2014.
226Elle a animé sur Canal + à l’été 1994 la séquence « La Caméra couchée » dans C’est pas le 20 heures, Libération, 13 septembre 1994.
22790 FM d’Alexandre Duval, Arte Radio, 2014.
228Ibid.
229Aymeric Mantoux et Benoît Simmat, op. cit., 2008, p. 222.
230En 1995, Lovin Fun rassemble 3,5 millions d’auditeurs, contre 2 millions pour l’émission de Tabatha.
231De son vrai nom Céline Barde.
232Fred Musa. Il a commencé comme assistant de Malher dans Bonsoir la planète
233Archive écoutable sur Internet, [https://www.youtube.com/watch?v=HQVO8CpgFoI], consulté le 20 avril 2020.
234Hot Vidéo a été créé en 1989 par Fabrice Castel.
235Ina, Fonds CSA, 00021808-110, dossier no 173, Note, 16 septembre 1994.
236Ibid., Lettre de Pierre Bellanger au Président du CSA, 8 décembre 1994.
237« Ballade sur la FM », Envoyé spécial, 27 avril 1992, Ina.
238Télérama, no 2332, semaine du 21 au 28 septembre 1994.
239Le Monde, 7 janvier 1995.
240Il a été ministre de la Culture et de l’Éducation entre 1992 et 1993. D’abord candidat à la primaire socialiste pour les élections présidentielles de 1995, il se retire finalement.
241Le Monde, 28 janvier 1995.
242Le Monde, 13 février 1995.
243Ibid.
244« Ballade sur la FM », Envoyé spécial, 27 avril 1995, Ina.
245Voir par ex. « Scandale sur la FM », Madame Figaro, 28 avril 1995.
246Patrick Baudry, La Pornographie et ses images, Paris, Armand Collin, 1997.
247Lui a été créé en 1963 par F. Ténot et D. Filipacchi, conçu comme un « mensuel de charme de qualité ».
248Créé en 1953 aux États-Unis, Playboy connaît une première version française en 1973.
249Télé 7 jours, no 1756, semaine du 22 au 28 janvier 1994, p. 20-21.
25028 % de parts de marché, un chiffre modeste pour TF1.
251Médias, no 343, janvier 1994, p. 45.
252Ibid.
253Parodies érotiques d’émissions de TV.
254Talk-show hebdomadaire créé en 1992 sur France 2 et présenté par Mireille Dumas.
255Émission créée en 1994 par Jean-Luc Delarue.
256Jean-Louis André « Le sexe, de l’image vers les mots », Le Monde Radio Télévision, 7 avril 1995.
257France Soir, 27 avril 1995.
258Christophe Deleu, op. cit., p. 137.
259Seize ans plus tard, à la rentrée 2014, une nouvelle version de Lovin’Fun sera relancée.
260Libération, 24-25 octobre 1998. L’article L-227-24 a été mis en application le 1er mars 1994.
261Christophe Deleu, Les Anonymes, op. cit., 2006 ; Sandrine Rui, « Foule sentimentale. Récit amoureux, média et réflexivité », Réseaux, no 70, mars-avril 1995, p. 105-120 ; H. Glevarec, Libre antenne, op. cit.
262Et l’amour… est diffusé tous les soirs de 19 heures à 20 heures, Le Parisien, 9 septembre 1994.
263Maurice Champvert.
264À l’origine, l’émission s’appelle La Giclée du soir en grand, mais ce titre fait scandale et n’est pas conservé longtemps.
265Ina, Fonds CSA, 00021808-110, dossier no 173, Lettre de Pierre Bellanger au président du CSA, 19 septembre 1994.
266France Soir, 27 avril 1995.
267Ibid., et Le Parisien, 27 avril 1995.
268« Les voix qui nous sont familières », Bas les masques, France 2, 14 février 1996, Ina.
269« Maurice : Allô qui va là je te prie ? », Coup de vieux, 2009, [https://www.coup-de-vieux.fr/maurice-allo-qui-vala-je-te-prie/], consulté le 30 novembre 2019.
270Archive dans 90 FM, d’Alexandre Duval, Arte Radio, 2014.
271Courriel de Dorian, 2 décembre 2015.
272Ibid.
273Le site n’est plus consultable en 2019.
274Courriel de Dorian, 2 décembre 2015.
275Archive dans 90 FM, d’Alexandre Duval, Arte Radio, 2014.
276« Les voix qui nous sont familières », Bas les masques, France 2, 14 février 1996, Ina.
27790 FM, d’Alexandre Duval, Arte Radio, 2014.
278« Les voix qui nous sont familières ».
27990 FM, d’Alexandre Duval, Arte Radio, 2014.
280France Soir, 27 avril 1995.
281Il rentre à OUÏ FM en 1991.
282« Quand Kad Mérad faisait de la radio », L’Express, 16 juillet 2010.
283« Ballade sur la FM », loc. cit.
284Ibid.
285Télé 7 jours, semaine du 20 au 26 février 1993, p. 120.
286Hervé Glevarec, Libre antenne, op. cit., p. 30.
287Ibid, p. 30.
288Libération, 8 août 1994.
289Il a auparavant animé des émissions sur une autre radio libre parisienne, Fréquence Libre.
290Entretien avec Thierry Lefebvre, 19 mars 2013.
291Ibid.
292Ibid.
293Télérama, no 2250, semaine du 27 février au 5 mars 1993.
294Entretien avec Thierry Lefebvre, 2013.
295Ina, Fonds CSA 00021808-10, Dossier no 172, extrait du rapport d’activité du CSA 1993.
296Libération, 8 août 1994.
297Ibid.
298Ibid.
299Ina, Fonds CSA 00021808-10, dossier no 172, Note du CSA, Ici et maintenant, 16 septembre 1993.
300Ibid.
301Voir Thierry Lefebvre, « La Nuit hertzienne », art. cité, p. 284.
302Cf. supra, chapitre v.
303Actuel est un mensuel créé en 1967, d’abord consacré au free jazz. Il est repris en 1970 par le journaliste Jean-François Bizot, ancien de L’Express qui en fait le premier magazine de culture alternative francophone.
304L’Écho de la presse et de la publicité, no 1381, 12 novembre 1984, p. 17.
305Vincent Piolet, Regarde ta jeunesse dans les yeux. Naissance du hip-hop français, 1980-1990, Paris, Le Mot et le reste, 2015, p. 97-100.
306De son vrai nom Lionel Eguienta, Lionel D est décédé le 26 février 2020 au Royaume-Uni. Son complice Deenasty a mobilisé les politiques et la communauté du hip-hop français pour que son ami puisse avoir des obsèques.
307Ou le dimanche soir selon les sources. Il est aussi possible que le jour de diffusion ait changé.
308Vincent Piolet, Regarde ta jeunesse dans les yeux, op. cit., p. 299-302.
309Programme TV de littérature créé et présenté par Bernard Pivot depuis 1975.
310Les Nouvelles, du 7 au 13 juin 1984, p. 76.
311Chantal de Gournay, Le Local par la bande, rapport cité, p. 44.
312Entretien avec Ramuntcho Matta, 6 mai 2015.
313La station s’est ouverte à la publicité en 1992, Télérama, no 2199, semaine du 4 au 10 mars 1992.
314Chantal de Gournay, Le Local par la bande, rapport cité, p. 44.
315Entretien avec Thierry Lefebvre, 19 mars 2013.
316Thierry Lefebvre, « La Nuit hertzienne », art. cité, p. 283-284.
317Ibid.
318Ibid.
319Nous c’est les autres, Dernière, Radio Ivre, 5 mars 1982, archive personnelle sur cassette.
320Radio Gilda a été créée en 1981 par Patrick Fillioud, le fils de Georges Fillioud, ministre de la Communication de François Mitterrand de mai 1981 jusqu’à mars 1983, puis Secrétaire d’État chargé des techniques de communication jusqu’en 1986.
321Maracudja signifie fruit de la passion.
322Entretien avec Marina Urquidi, 25 janvier 2020.
323Maracudja, Radio Gilda, archive personnelle sur cassettes, non datée.
324Entretien avec Thierry Lefebvre, 19 mai 2013.
325Les fréquences ne sont attribuées que jusqu’à 107.5 et la bande réservée aux militaires et à l’aviation civile commence à 108 FM.
326Télérama, no 2250, semaine du 27 février au 5 mars 1993.
327Entretien avec Alain Dubois, 9 février 2015.
328Félix Patiès, Radio Libertaire : l’organisation d’une radio anarchiste, 1978-1986, mémoire de master 2 histoire et audiovisuel, sous la direction de Pascal Ory, université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, 2012.
329Télérama, no 2250, semaine du 27 février au 5 mars 1993.
330Courriel de Dorian, 2 décembre 2015.

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