Chapitre III. Vers une transfiguration de la nuit radiophonique ? 1965-1975
p. 127-205
Texte intégral
1Durant la décennie 1965-1975, la radio de nuit se transforme progressivement, change de visage. Si elle gagne peu à peu du terrain sur l’ensemble des stations, France Inter reste, jusqu’à la fin de la période, la seule chaîne à émettre quotidiennement en continu.
2L’époque connaît de profonds bouleversements d’ordre sociétaux – libération sexuelle, Mai 68, mouvements de jeunesse et mouvements pour les droits des femmes, musique pop, phénomène des grands festivals de musique, etc. – qui se ressentiront dans ces programmes, puisque leur diffusion nocturne permet d’adopter une certaine liberté de ton. Évidemment, il n’y a pas que dans les émissions nocturnes que ces mutations se perçoivent, mais la radio de nuit, en raison de son caractère presque « alternatif », a tendance à suivre ces bouleversements d’un peu plus près que les médias audiovisuels traditionnels, plus conservateurs.
3Tandis que le paysage audiovisuel se transforme, avec le développement rapide de la télévision, la radio nocturne demeure un espace non soumis à la concurrence du petit écran, puisque celui-ci cesse ses programmes autour de minuit. De fait, au tournant des années 1960 et 1970 s’opère une transformation structurelle de la nuit radiophonique, qui s’élabore et se dessine progressivement. Les différentes mutations des grilles nocturnes et les essais divers sur la quasi-totalité des stations prouvent que la question de la nuit radiophonique devient sujette à réflexion. Terrain en friche restant à bâtir, la nuit hertzienne s’ouvre comme un champ des possibles dont les professionnels de radio découvrent les potentialités.
4Ce chapitre propose d’étudier ces différents mouvements en quatre temps : les émissions tardives essentiellement musicales, parfois destinées à la jeunesse ; la redéfinition et construction d’une nouvelle nuit radiophonique ; les éventuelles reliques de la nuit hertzienne traditionnelle ; et, enfin, le dernier point s’attarde particulièrement sur le cas du Pop Club, émission symbolisant le renouveau de cette nuit radiophonique.
Les émissions tardives essentiellement musicales
Europe no 1 et les jeunes
5Europe no 1 a bouleversé le monde de la radio en créant, en 1959, l’émission musicale de fin d’après-midi Salut les copains, présentée par Frank Ténot et Daniel Filipacchi, ceux-là mêmes qui animent Pour ceux qui aiment le jazz tous les soirs depuis la création de la station. Pascal Ory les décrit à juste titre comme « deux amoureux du jazz qui ont saisi au vol le changement des mœurs1 ». Destiné aux jeunes à l’heure de la sortie des cours, ce programme novateur sera porté par la vague de la musique rock puis « yé-yé » qu’il va lui-même révéler. L’émission rencontre un très grand succès – son audience restera longtemps imbattable2 – et cette domination, incontestée entre 1959 et 1966, constitue un véritable phénomène. C’est la première fois qu’une telle émission fédératrice et générationnelle existe en France3. La radio jeune est née, une radio identitaire et musicale dans laquelle l’usage du prénom et le tutoiement sont de rigueur. Salut les copains ouvre la voie à la décennie des années 1960, inaugurant l’explosion et l’affirmation d’une génération de « jeunes » issus du Baby-boom, en quête de divertissement.
6Jusqu’aux années 1950, les adolescents sont qualifiés de « jeunes hommes » et de « jeunes femmes », mais ces désignations ont disparu dix ans plus tard, remplacées par le mot « jeune », adjectif asexué devenu substantif4. Dès le milieu des années 1950, les adultes perçoivent cette génération avec incompréhension, crainte, ou amertume. En mars 1955, la revue La Nef5 s’interroge « Jeunesse, qui es-tu ? », puis, en 1957, à l’origine de L’Express, l’IFOP réalise une enquête nationale sur cette classe d’âge. L’hebdomadaire en publie les résultats sous le titre « La Nouvelle vague arrive », présentant ces jeunes et leurs valeurs, qui se différencient comme jamais de leurs aînés6. Même si cette génération reste multiforme, elle se distingue malgré tout par ce que l’historienne Anne-Marie Sohn appelle « les nouveaux signes extérieurs de jeunesse7 » : une scolarisation de masse, des apparences et une culture jeune. Faisant partie inhérente de cette culture, le transistor a été largement adopté par cette génération. En 1959, un reportage des Actualités françaises8 consacré au « style » jeune met en avant l’attrait des adolescents pour ce récepteur radiophonique portable9. Le journaliste présente les traits distinctifs de la jeunesse : le transistor, la musique, la danse, et le téléphone.
« Le poste à transistor est à l’honneur car le goût de la musique ravage les foules. De là, la fortune des juke-boxes qui débitent en tranches du rock’n’roll à volonté. Et l’on danse beaucoup, pas la valse bien sûr, le calypso ou le chachacha. Le téléphone est un besoin comme la nourriture et la pensée, il faut compter, dit-on, une heure de téléphone par jour10. »
7Les jeunes font l’objet de reportages où on les présente aux adultes, parfois presque comme des bêtes curieuses. Le conflit des générations a quitté la sphère privée pour devenir une question de société.
8Chaque jour, en fin d’après-midi, Europe no 1 constitue donc le rendez-vous des adolescents. Essentiellement musicale, cette émission comporte aussi des interviews de chanteurs yéyé français ou américains. Le monde des tubes et des idoles est né, les jeunes fans recouvrent les murs de leur chambre avec les images de leurs vedettes préférées. En 1962, le magazine Salut les copains est lancé, du même nom que le programme radiophonique. Pour accroître encore la popularité d’Europe no 1, le directeur des programmes Lucien Morisse décide d’organiser un grand concert gratuit en plein air, place de la Nation à Paris. La date choisie du 22 juin 1963 correspond d’ailleurs au premier anniversaire du magazine papier. Comme l’écrit l’historien Denis Maréchal, « la Nuit de la nation illustre de manière spectaculaire le cas encore inédit d’un événement médiatique, conçu, réalisé et perçu depuis comme une référence11 ». Les organisateurs, qui espèrent la venue de 40 000 personnes, voient affluer un raz-de-marée humain de 150 000 à 200 000 personnes12. Toutes les idoles des jeunes, dont Johnny Hallyday, doivent arriver sur scène dans des cars de police qui roulent à reculons dans la foule. À minuit et demi, la fête, initialement prévue jusqu’à deux heures du matin, est interrompue13 et quelques incidents et dégradations ont lieu durant la nuit. Ce succès sans précédent témoigne de l’affirmation d’une identité collective. Deux semaines après ce concert, le sociologue Edgar Morin met en avant l’émergence d’une nouvelle classe adolescente dans Le Monde14. Grâce au transistor, la radio des jeunes échappe au contrôle parental et s’affirme dans une « culture de la chambre15 », qui délimite un espace culturel autonome et véhicule des codes identitaires qui leur sont propres : une musique, un langage, des préoccupations.
9Les médias audiovisuels et la presse sont les vecteurs de la culture de cette classe d’âge. En 1964, Daniel Filipacchi lance le magazine Mademoiselle âge tendre, qui constitue le pendant féminin du journal papier Salut les copains. Le titre de ce nouveau magazine fait référence à l’émission Âge tendre et tête de bois, équivalent télévisuel de Salut les copains, apparu en 1961 sur le petit écran et animé par Albert Raisner. D’autres émissions de télévision destinées aux jeunes sont créées à partir de 1960, comme L’Avenir est à vous, premier magazine consacré aux 15-20 ans, produit par Françoise Dumayet. Les programmes de télévision proposent des portraits de cette classe d’âge. Par exemple, en février 1962, deux épisodes du magazine L’Avenir est à vous s’intitulent « À quoi rêvent les jeunes filles ? ». Le premier numéro est consacré aux étudiantes16, le second aux jeunes filles qui travaillent17.
10Parallèlement aux programmes audiovisuels, les jeunes achètent les disques de leurs idoles qu’ils écoutent à la radio, qu’ils voient à la télévision, et dont ils lisent les interviews dans les magazines. Durant le seul premier trimestre 1963, cinq millions de 45 tours sont vendus en France18. La naissance du disque microsillon 45 Tours et du tourne-disque a encouragé le développement de ce marché, essentiellement construit sur les plus jeunes classes d’âge. En 1966, le magazine Rock & Folk est créé, qui s’intéresse essentiellement à la création musicale anglo-saxonne. Dans ses pages, les articles de fonds remplacent ceux sur la vie des vedettes. Si le tirage d’un tel journal n’excède pas quelques dizaines de milliers d’exemplaires, son existence prouve que la culture jeune est plurielle19.
11Cette génération du baby-boom bénéficie d’un double processus pointé par Jean-François Sirinelli : la « montée irrésistible de l’image et du son » et « la dilatation audiovisuelle à l’échelle de la planète », tandis qu’une inversion des rapports de force générationnels lui permet désormais d’avoir suffisamment de poids pour imposer ses goûts aux autres classes d’âge20. La radio constitue alors le média privilégié de cette génération : en 1961, 67 % des 16-24 ans écoutent la radio tous les jours, ils seront 71,8 % en 196621. Un tiers de ces auditeurs ont pour émission préférée Salut les copains22 et le succès de ce programme contribue à façonner la légende d’Europe no 1, en tant que radio jeune et dynamique, comprenant les goûts de la génération montante, même si Salut les copains ne réunit pas l’ensemble des jeunes, catégorie restant hétérogène en dépit de la culture commune véhiculée par la presse de l’époque23.
12La télévision, quant à elle, progresse inexorablement dans les foyers – en 1966, plus de la moitié des foyers français possède un récepteur24 –, et les Français délaissent de plus en plus leur radio le soir. Toutefois, la radio de fin de soirée continue d’être écoutée et « certains jeunes réagissent par querelle de générations contre le “robinet à images”25 », tandis que la radio constitue pour eux un média identitaire.
13Une deuxième chaîne de télévision est lancée le 18 avril 1964, et, comme l’écrit Jean-François Remonté, « après avoir été le premier spectacle de France, la radio des années soixante va doucement abandonner ce rôle à la télévision et s’orienter vers un rapport intime avec l’auditeur26 ». En dépit de la création d’une deuxième chaîne télévisuelle, les Français restent majoritairement spectateurs de la première. En effet, en 1967, seuls 15 % d’entre eux – essentiellement des urbains aisés – peuvent capter le deuxième canal sur leur poste de télévision. Or même cette minorité reste pour l’essentiel fidèle à la Une, surtout par habitude27. Cette année-là, il résulte des différentes études que les Français regardent la télévision le soir, mais continuent d’écouter la radio la journée28. À la différence de la radio, la pratique d’écoute télévisuelle est essentiellement collective, familiale.
Réformes et changements sur Radio Luxembourg et les radios publiques
14Face au succès d’Europe no 1 auprès des jeunes et à celui grandissant de la télévision, les radios concurrentes essaient de s’adapter et d’innover. Radio Luxembourg lance le premier Hit Parade, trouvant la bonne formule en 196329. À la rentrée de septembre 1963, soit à peine quelques mois après l’événement de « La Nuit de la nation » fin juin, le directeur des programmes de Radio Luxembourg, Jean Luc30, annonce une transformation en profondeur des émissions et de la grille des programmes, « pour trouver le point d’équilibre qui est modifié par ces deux données nouvelles : la concurrence croissante de la télévision ; […] le rajeunissement de la population31 ». La grille de Radio Luxembourg est désormais découpée en tranches horaires, en « sessions », à l’image d’Europe no 1, chacune étant confiée à un animateur attitré. La session de 22 heures, essentiellement musicale, vise clairement un public de jeunes, dont Jean Luc espère qu’ils « refusent d’être les esclaves inconditionnels de l’image », sous-entendu de la télévision.
15En 1963, le ministre de l’Information Alain Peyrefitte charge Roland Dhordain32 de préparer une vaste réforme de la RTF, la plus profonde de celles qui ont été appliquées jusque-là33. La radio publique tente alors de redresser son audience, souffrant de la concurrence d’Europe no 1 qui a su attirer un public jeune, et de Radio Luxembourg : les deux périphériques concentrant les deux tiers de l’auditoire français34. Une nouvelle orientation de programmes se dessine, mettant l’accent sur leur simplification. De quatre, le nombre de chaînes de la radio publique est ramené à trois, et ces dernières sont renommées suite à un concours national organisé par des associations d’auditeurs : France Inter, France Culture et France Musique. France Inter a comme mission de proposer des programmes « grand public », en concurrence directe avec les stations périphériques, mais à la différence de ces dernières elle émet 24 heures sur 24, grâce à l’émetteur grandes ondes d’Allouis. Le soir, France Inter se scinde en deux pour offrir deux programmes distincts : Inter-Jeunesse, qui émet seulement sur ondes longues, et dont les émissions au rythme vif se destinent surtout aux jeunes ; et Inter-Variétés, sur ondes moyennes, dans un style plus sérieux, qui diffuse des pièces de théâtre et des variétés. France Culture est la chaîne culturelle, dans la lignée du Programme National, et France Musique est une chaîne musicale qui bénéficie de la haute-fidélité et d’un réseau en modulation de fréquence, dont le nombre d’auditeurs augmente. La même année, le 14 décembre 1963, la Maison de la radio est inaugurée par le général de Gaulle. Conçue par l’architecte Henry Bernard, sa construction a commencé en 1954 et s’inscrit parmi les grandes réalisations architecturales des années 1950. Enfin, à l’été 1964, la RTF devient l’ORTF, Office de radiodiffusion télévision française35. Les responsables de l’office de l’audiovisuel national s’interrogent lors de séances de travail sur le nouveau rapport des jeunes à leur transistor, cherchant à s’adapter aux exigences de ce nouveau public. Ici, en avril 1965 :
« Sans doute les jeunes, garçons et filles, cherchent-ils à s’affirmer en opposition avec le monde des adultes, mais dans le même temps, ils savent qu’ils auront à s’y intégrer, et ayant répudié une fois pour toutes les conseils périmés de leurs parents, ils ont besoin d’autres guides, d’autres exemples. À côté des rites yéyé où ils se retrouvent dans leur solidarité de jeunes, il y a donc place pour une description du monde adulte vu par des jeunes qui sont en passe de le conquérir. […] Il est d’ailleurs significatif que les émissions pour les jeunes ont jusqu’à présent négligé le style “individuel” qui est devenu presque de règle pour les adultes. Si l’on accepte le principe que la radiodiffusion est intimiste, il faut s’adresser d’une part aux garçons, d’autre part aux filles, non pas en groupe mais à chacun d’eux individuellement36. »
16C’est dans ce contexte de transformations du service public de la radiodiffusion que vont naître sur France Inter des émissions musicales de fin d’après-midi ou début de soirée destinées aux jeunes – comme le Hit Parade – ainsi que le programme qui deviendra l’une des émissions nocturnes les plus populaires et les plus emblématiques du paysage radiophonique français : Le Pop Club de José Artur.
Création de « clubs » radiophoniques nocturnes
Le Pop Club sur France Inter
17En septembre 1965, l’ORTF lance le premier numéro du magazine papier Micros et Caméras, en même temps que sa version télévisuelle37, le but de ces deux supports complémentaires étant de présenter et promouvoir les différents programmes de l’ORTF, en montrant aux téléspectateurs-auditeurs l’envers du décor du monde audiovisuel. Dans un article évoquant la nouvelle saison radiophonique, une surprise est annoncée pour les soirées de France Inter :
« Une surprise nous sera réservée en soirée. Par qui ? Ne dévoilons rien, ce ne serait plus une surprise38… »
18Quelques pages plus loin, plusieurs paragraphes sont consacrés à décrire José Artur, qui a animé pendant l’été La Table ouverte, aux côtés de Michel de Villers39. En octobre 1965, le nouveau programme surprise est lancé : Le Pop Club, présenté par José Artur. Il s’agit d’une émission culturelle diffusée en direct et en public d’un bar de la Maison de la radio, de 22 heures à une heure du matin. À l’heure de la sortie des spectacles, ce programme propose des interviews avec des artistes et personnalités de tous horizons, mais aussi la diffusion de disques pop.
19José Artur, qui anime l’émission, est un homme de radio de 38 ans. Après avoir débuté comme comédien sur les planches puis à la radio40, il a fait ses armes en tant qu’animateur du programme pour jeunes Les Ardugo, en trio avec Claude Dupont et Michel Godard41.
20Roland Dhordain, directeur des programmes de France Inter, aurait eu l’idée du Pop Club, afin d’animer et « sortir de sa torpeur42 » la Maison de la radio, en créant un va-et-vient de visiteurs le soir. Pour la programmation musicale, il s’inspire des premières radios pirates britanniques43 et des stations « underground » qui surgissent aux États-Unis dans cette seconde moitié des années 196044. Ces deux types de radio proposent une programmation musicale « pop » et rencontrent un vif succès. Au Pop Club aussi, les disques diffusés sont anglo-saxons, ramenés d’outre-Manche ou d’outre-Atlantique par les collaborateurs de José Artur. Cette émission va contribuer à transformer le monde radiophonique français de l’époque et le dernier point de ce chapitre sera exclusivement consacré à l’analyse de ce programme.
21 Le Pop Club commence début octobre 1965, en même temps que deux autres émissions publiques : Les 400 coups, de Jean Bardin et Claude Chebel, qui se déroule chaque soir en extérieur, et Entrée libre à l’ORTF, de Pierre Codou et Jean Garretto, programme qui ouvre les portes de la Maison de l’ORTF chaque dimanche matin aux auditeurs.
22L’ORTF a réussi sa transformation et son rajeunissement. En 1963, Radio Luxembourg était en tête des sondages avec 43 % des voix, loin devant la RTF (27 %) et Europe no 1 (20 %). Deux ans plus tard, en 1965, le paysage radiophonique a été complètement bousculé. France Inter devance désormais largement ses concurrents, avec 45 % d’audiences, suivie par Europe no 1 (29 %), et Luxembourg (24 %)45.
Barbier de nuit, un club nocturne sur Europe 1
23Trois ans après la création du Pop Club, à la rentrée 1968, Europe no 1 installe à un horaire nocturne l’animateur Christian Barbier46, pour une émission similaire : un studio aux allures de club, des vedettes au micro à la sortie des spectacles entre 22 h 30 et une heure du matin, de la musique et de la conversation décontractée autour d’un verre. Le programme s’appelle d’abord Pour les couche-tard, puis C’est déjà demain. Durant la deuxième saison de son existence, en 1969-1970, il est renommé La Nuit est à nous et s’installe à un horaire plus tardif, entre minuit et 3 heures du matin. Un article de Télé 7 jours annonce ces changements :
« Christian Barbier, l’homme des nocturnes, le confident des vedettes et des artistes, va devenir l’ami de ceux qui veillent pour leur plaisir. […] Christian Barbier continuera à recevoir […] peintres, musiciens, écrivains, comédiens, et il diffusera des scènes de spectacles qu’il aura enregistrées quelques heures auparavant. Des “correspondants de nuit”, dispersés dans toute la France, formeront un club d’entraide et fourniront les informations concernant leur région, et aussi l’état des routes. Et, bien sûr, il y aura de la musique et des chansons47. »
24Cette nouvelle émission de Christian Barbier propose ainsi une sorte de synthèse entre Le Pop Club et Route de nuit, les deux programmes nocturnes de France Inter. Les invités sont variés, ils viennent présenter leur livre, disque, film ou pièce de théâtre. Christian Barbier insiste sur le mélange des genres et les rencontres, parfois insolites, qui se produisent dans son studio nocturne :
« Notre ton est celui de la conversation, ceux de la nuit se croisent souvent mais se voient peu. Chez moi, ils se rencontrent. Je tiens essentiellement à mélanger les genres et les gens. Les stars et les débutants. Ces combinaisons produisent des effets inattendus, insolites, souvent merveilleux. Un soir, Clio Goldsmith découvre Roger Peyrefitte. Un autre soir, Patrick Dewaere interviewe Poilâne. Je m’efface, je suis le meneur de jeu. Il y a aussi les habitués : César, Galabru, Le Poulain, Jean Lefebvre, qui passent comme ça, à l’impromptu, parce qu’ils ont vu de la lumière48. »
25Quand ils le souhaitent, les invités musiciens peuvent interpréter des morceaux en direct. Désormais, ce type de programmes est devenu un genre à part, tandis que la radio nocturne affirme son existence et son utilité. En 1971, une journaliste de Télé magazine se réjouit de l’existence d’émissions tardives qui s’adressent à ceux qui en ont besoin :
« Minuit : on tourne le bouton… Trop tard pour écouter la radio ? Tout le monde dort ? Mais non, c’est au contraire le début d’une seconde nuit réservée à nous qui travaillons tard, qui étudions tard, à nous qui avalons des kilomètres au volant de notre voiture. Par le truchement des ondes, oui, la nuit nous appartient : La Nuit est à nous49. »
26Selon Christian Barbier, les choses sont plus faciles la nuit. Les invités sont plus à l’aise, plus décontractés, ils se livrent plus spontanément, tandis que les auditeurs eux-mêmes participent davantage à l’émission50. En effet, la nuit se présente comme un autre temps, celui du dialogue, de la décontraction et de la confession.
27Cette émission cessera temporairement plusieurs fois mais reviendra sous d’autres noms, rebaptisée par la suite Barbier de Nuit et Club Kriter51, avant de disparaître définitivement en 1998.
Disc-jockeys et émissions musicales « jeunes » du soir
28En 1963, Europe no 1 est à la recherche de nouveaux animateurs et fait passer des auditions. Nombreux sont les jeunes qui tentent leur chance. Un certain Hubert Wayaffe, alors âgé de 25 ans, se présente et impressionne par son talent. Son style, inspiré de celui des disc-jockeys américains, est particulièrement novateur pour la France :
« Je voulais être pilote de ligne, alors je m’étais engagé dans l’aéronavale à dix-huit ans. J’avais été muté pas loin de Marrakech, où il y avait une base américaine […]. Comme les américains ne se déplaçaient jamais sans leur intendance, j’écoutais leur radio FM, pour être au courant des dernières nouveautés américaines, j’écoutais leurs disc-jockeys. Le jour où Europe 1 m’a fait faire des essais, j’ai présenté les disques comme [eux], en parlant sur la musique. Ce style, je l’ai pas inventé, je l’ai importé52. »
29Introduit à l’antenne avec son seul prénom, Hubert, il débute le soir-même de ses essais dans Service de nuit53, émission nocturne d’accompagnement musical jusqu’à une heure du matin. L’année suivante, en 1964, il remplace Michel Cogoni au micro de l’émission musicale Dans le vent, diffusée le soir entre 20 h 30 et 22 h 30. Très vite, il devient un intime des vedettes54 et un modèle pour les adolescents, tandis que certains adultes s’offusquent du côté débridé de cette émission. Ces émissions coïncident avec la naissance des premières radios pirates britanniques qui soufflent sur les ondes radiophoniques un vent de rock’n’roll et de liberté, comme Radio Caroline, créée en 1964, ou Radio London55. Les DJ qui officient sur ces radios deviendront d’ailleurs des modèles pour une partie des jeunes adolescents européens se prenant à rêver de micro.
Radio Luxembourg rajeunit et devient RTL
30Devant l’effondrement de son audience, Radio Luxembourg est à son tour conduite à mettre en place une réforme. Les tentatives de rajeunissement de l’antenne menées par Jean Luc, le directeur d’antenne, n’ont pas porté leurs fruits. Entre 1964 et 1966, l’audience recule de 40 % selon les sondages, alors que jusqu’à la percée d’Europe no 1, Radio Luxembourg avait toujours été la station la plus écoutée de France, « le grand poste populaire de l’après-guerre56 ». La chaîne est vieillissante, les jeunes s’en détournent. Pour tenter de lutter contre ce phénomène, Radio Luxembourg organise en octobre 1965 un débat intitulé « La Radio intéresse-t-elle encore les jeunes ? », regroupant des mouvements de jeunesse de diverses tendances, parmi lesquels l’UNEF, les Scouts, les Éclaireurs et Éclaireuses de France. Les délégués de ces mouvements font face à Jean Luc, qui leur pose des questions à propos des goûts et des attentes de la jeunesse en matière radiophonique. L’équipe de Music and News, nouvelle émission du soir destinée aux « 20 ans et plus », prend part au débat, dont Télérama retranscrit des extraits. Les délégués des mouvements de jeunesse affirment que la radio fait partie de la vie et « meuble la solitude ». Pour eux, le transistor est un « instrument d’autonomie », qu’il soit écouté de manière individuelle ou collective, et les chaînes de radio devraient avoir comme objectif de faire progresser les jeunes. Ils souhaiteraient en effet que ces derniers délaissent leurs idoles pour s’intéresser à des artistes qu’ils considèrent davantage dignes d’intérêt. En matière d’information, ils réclament plus de reportages et d’explications et moins de faits divers, ainsi qu’une meilleure hiérarchisation de l’information57. Si ces représentants ne parlent pas au nom de la jeunesse dans sa diversité, il est intéressant qu’une station organise une telle rencontre afin d’essayer d’approcher les attentes des jeunes.
31En 1966, l’homme de presse Jean Prouvost58 devient le nouveau PDG de la radio dont il change le nom : Radio Luxembourg devient RTL (Radio-Télé-Luxembourg). Il nomme Jean Farran59 directeur de la station. Sa mission : bouleverser la grille pour renouveler la chaîne en profondeur. Il supprime de vieilles émissions devenues de vraies institutions – La Famille Duraton, parmi d’autres –, il ne renouvelle pas de nombreux contrats et engage un jeune disc-jockey, le président Rosko60. Américain d’origine, Rosko a notamment exercé sur la station pirate britannique Radio Caroline. Il passe des disques rock dans une atmosphère énergique très familière. Seul maître à bord, il réalise lui-même la technique de son émission dans le studio que la radio a fait construire pour lui. En l’engageant, Jean Farran espère casser l’image vieillie et familiale de la radio du Grand-Duché de Luxembourg. Jean Namur, directeur de la promotion de la station, explique ce choix :
« Pour rallier les jeunes, nous avons engagé Rosko. Nous lui avons offert le plus formidable studio-gadget automatique qui se pouvait imaginer. […] Rosko lançait ses disques pop en les annonçant dans un langage approximatif inimitable, fait de borborygmes, de cris d’oiseaux, de klaxons, de trompettes. Bref, c’était inaudible, mais c’était jeune61. »
32En 1967, Rosko, animateur de RTL, et Hubert, animateur d’Europe 1, sont tous deux invités ensemble dans l’émission télévisuelle Dim Dam Dom62, dans laquelle ils s’adonnent à des numéros de provocation63. Ils se tiennent volontairement mal, les pieds sur la table, coupent la parole à celui qui les interviewe, jouent des sketchs un peu absurdes et vident leurs verres sur les murs du studio. Un reportage portant sur chacune de leur émission de radio est diffusé, permettant de découvrir les studios et l’ambiance très détendue qui y règne. Ces animateurs vedettes transmettent ainsi l’image d’une jeunesse rebelle, en rupture avec le monde des adultes, ce qui semble être une mise en scène volontaire, décidée en concertation avec les producteurs de l’émission de télévision.
33Grâce aux transistors, les jeunes sont de plus en plus à l’écoute de programmes qui leur sont destinés : en 1966, près de la moitié des 15-20 ans sont équipés d’un poste de radio individuel64. Si l’émission du président Rosko – Mini Max – apporte un ton résolument nouveau, elle n’est d’abord pas nocturne, ni même tardive : elle a lieu à l’heure de Salut les copains sur Europe no 165. Il est toutefois important de la mentionner parce qu’elle est la première émission réalisée par un disc-jockey sur RTL, puis parce qu’elle connaît une version de soirée, quelques mois après sa création, Mini Max-Soir, de 21 heures à 22 h 1066, Rosko étant à l’antenne deux fois dans la journée. Plus tard, il rejoint même la nuit, animant par exemple les nuits du samedi entre minuit et 3 heures du matin en 1968 sur RTL, puis il sera aux commandes de Rosko super cool la semaine sur Europe 1 en 1973, entre 1 heure et 3 heures du matin, après La Nuit est à nous de Christian Barbier67.
34En 1967, RTL lance une émission d’un genre nouveau, animée par une femme, Ménie Grégoire, l’après-midi. Dans ce programme, l’animatrice répond à des questions intimes d’auditrices – d’abord en lisant des lettres au micro, puis en prenant des appels à l’antenne68. La chaîne recrute également Sophie Garel69, jeune femme qui présente une autre émission musicale destinée aux jeunes : Music Club entre 22 heures et minuit.
35À partir de la rentrée 1967, les auditeurs français noctambules de RTL ne sont désormais plus forcés d’écouter le service anglais de la station après minuit, puisqu’un programme en langue française est créé. Le journaliste Philippe Bouvard70 présente entre 22 heures et 23 h 30 un Journal de la nuit, puis de 23 h 30 jusqu’à 3 heures du matin, la station propose Plus courte la nuit, programme musical animé par un jeune chanteur, Chris Baldo71. Ce dernier présente également le dimanche Votre ami de la nuit, de minuit à 5 heures du matin. Il s’agit d’émissions nocturnes d’accompagnement, essentiellement musicales, dans lesquelles les auditeurs sont invités à envoyer du courrier afin de participer au contenu72.
Soirées Campus sur Europe 1, 1968-1972
• Une émission pour les étudiants
36Sur Europe 1, les soirées comptent désormais des émissions de Disques à la demande, chaque soir entre 22 heures et 1 heure du matin, juste après Dans le vent. Puis, au moment où le mouvement étudiant du 22 mars 1968 débute à Nanterre, une nouvelle émission se crée : Campus. Initialement animé par François Jouffa, ce programme de deux heures est consacré à l’actualité étudiante et aux nouvelles musiques. À partir de la fin mars, l’émission Dans le vent est avancée de deux heures pour céder la place à Campus, qui s’installe entre 20 heures et 22 heures. Alors que la vague de Salut les copains s’émousse, l’idée n’est pas de faire un contre Salut les copains, mais « une émission qui lui succède en s’élargissant73 », comme l’a écrit l’historienne du mouvement pop à la radio Cécile de Kerguiziau de Kervasdoué. Le producteur François Jouffa, qui n’a lui-même que 24 ans, s’entoure d’une équipe jeune, dont certains membres viennent d’ailleurs de Salut les copains, à l’instar du réalisateur Michel Brillié – 23 ans –, ou de l’assistante Nadine. François Jouffa présente cette émission destinée aux étudiants :
« Le concept, c’était une nouvelle culture. Campus devait refléter ce qui se passait dans tous les campus, et tout ce qui était lié à ces campus. Tout était nouveau, dans le théâtre, le cinéma, la poésie. Dans tous les domaines tout explosait complètement, l’art nouveau se mélangeait avec l’art psychédélique, la hip génération… Donc, quand on était dans cette génération, et bien branché, il y avait matière quotidienne à diffuser74. »
37Au cours de l’émission, François Jouffa donne des nouvelles des campus d’autres pays du monde, et se fait le relais des événements de cette année 1968. Le 4 avril, jour de l’assassinat de Martin Luther King, il bouleverse complètement le programme de l’émission, en invitant notamment à son micro des Afro-Américains installés à Paris. La musique occupe une place importante dans ce programme, et elle est « pop », folk-rock et psychédélique, même si plusieurs chanteurs français sont également programmés, comme Georges Brassens, Georges Moustaki, Serge Reggiani, ou encore Jacques Higelin.
• Les Campus de Michel Lancelot
38Quelques semaines après la création de Campus, François Jouffa est écarté du micro75, remplacé fin avril 1968 par Michel Lancelot, un journaliste de 30 ans pour lequel il s’agit d’une première vraie expérience radiophonique76. Licencié de psychologie, Michel Lancelot a passé près d’un an en Californie pour étudier le mouvement hippie et vient de publier un livre sur la question77. C’est avec ce personnage charismatique, déroutant et ambigu78, que Campus acquiert ses lettres de noblesse. À partir de septembre 1968, l’émission passe tous les soirs entre 20 h 30 et 22 h 30 (sauf le dimanche) et se décline en trois catégories : des émissions « normales », composées à 80 % de musique ; des émissions spéciales et des séries.
39Dans les Campus classiques, Michel Lancelot commente des disques, qu’il relie à l’actualité, et reçoit des chroniqueurs musicaux – Frank Ténot vient présenter des disques de jazz, et Jacques Vassal, journaliste à Rock & Folk, propose des chroniques sur la musique folk. Les émissions spéciales, qui représentent un tiers des Campus, font la particularité du ton du programme79. Entre 1968 et 1971, la majorité des « spéciales » portent le titre Radio Psychose. Le concept est le suivant : un auteur-compositeur est confronté à un psychiatre80, qui a pris soin d’étudier les textes de l’artiste, afin d’essayer de « décerner la personnalité réelle, consciente et inconsciente du chanteur81 ». Ce dispositif s’inscrit dans la veine psychologique alors prisée à la radio : l’émission de Ménie Grégoire sur RTL et Radioscopie sur France Inter par exemple, programme d’entretiens intimes de personnalités menés par Jacques Chance à partir de 1968. Ces spéciales de Campus rappellent aussi des programmes du début des années 1950, comme Qui êtes-vous ? d’André Gillois.
40En décembre 1968, Yves Froment-Coste de Télérama répond dans un long article à une auditrice scandalisée par ce programme. Selon lui, et contrairement à l’avis de cette auditrice, Radio Psychose et les programmes à tendance psychologique de Ménie Grégoire et de Jacques Chancel sont de bonnes émissions. Elles ont une réelle utilité et sont très intéressantes, même si elles peuvent parfois s’avérer « néfastes » ou être mal comprises, lorsqu’elles tombent dans l’oreille d’un auditeur non averti ou « mal informé des problèmes psychologiques ». Le journaliste salue le travail du psychiatre de Radio Psychose :
« Il faut avouer que le neuropsychiatre […] d’Europe no 1 se tire admirablement de cette tâche délicate, sans perdre l’auditeur dans des considérations ardues ou… trop déplacées. Dans la mesure où […] les protagonistes refusent de tricher, l’émission se révèle un passionnant témoignage. Alors que la chanson exerce, dans notre société, une influence considérable, comment ne pas s’intéresser aux mobiles profonds des auteurs ? […] Et ceci d’autant plus que la connaissance de ces mobiles nous impose, souvent, de faire notre propre examen de conscience82. »
41En trois ans, dix-huit personnalités se prêteront au jeu de « Radio psychose », parmi lesquelles les auteurs-compositeurs Serge Reggiani, Charles Trénet, Serge Gainsbourg, Jean Ferrat, Claude Nougaro, Pierre Perret et Joan Baez ; ainsi que les humoristes Raymond Devos et Francis Blanche. À la rentrée 1971, ces études psychologiques sont remplacées par un nouveau concept, « La Mémoire courte », qui consiste toujours à faire parler l’invité de sa vie, mais cette fois à partir d’archives sonores. Ces documents ne sont qu’un prétexte pour que la personnalité se livre, le but étant de la démystifier, la débarrasser de sa légende. Les chanteurs Léo Ferré et Michel Polnareff participent à ces sessions, ainsi que les écrivains Louis Aragon et Jean Rostand. Le Monde salue l’originalité de ce type d’entretiens :
« On pouvait penser qu’après Radioscopie de Jacques Chancel, les innovations en matière d’entretien radiophonique seraient rares, eh bien non, “La Pointe courte83” […] renouvelle l’approche des interviews. Au lieu de questionner son interlocuteur, Michel Lancelot l’invite à réagir sur des événements du passé, évoqués par des documents sonores. Premier sur la sellette, Léo Ferré… à ce jeu de mémoire, il excelle. […] 1932, une voix torturée, étrangement cahotante, s’élève d’un vieux phonographe. Celle de Louis-Ferdinand Céline […] : “J’ai découvert Céline à la messe, c’était le seul endroit où je pouvais lire sans être surpris84.” »
42Outre ces programmes spéciaux réguliers, Lancelot propose des émissions spéciales ponctuelles, par exemple la session « 30-40-50 », durant laquelle sont conviées trois générations d’artistes. L’émission rassemblant Léo Ferré, Georges Brassens et Claude Nougaro laissera un souvenir vivace à Michel Lancelot, qui affirmera avoir assisté pour l’occasion à « la plus grosse engueulade de sa carrière85 ».
43Enfin, la troisième catégorie de Campus consiste en de grandes séries d’émissions portant sur des débats de sociétés, échelonnées en plusieurs soirées, et qui ont lieu en public. Michel Lancelot se démarque ainsi des jeunes animateurs disc-jockeys en vogue en proposant d’ouvrir des horizons et d’informer. Il élabore par exemple une série de cinq émissions sur le Christ, à la fin de l’année 1968, qu’il prépare à l’aide de théologiens, psychologues et sociologues86. Les séries suivantes traitent des grands penseurs, de sexualité – l’émission sur l’homosexualité fait notamment couler beaucoup d’encre87 et suscite de nombreux courriers –, de la non-violence, de la drogue, de l’euthanasie, du racisme, ou encore des sociétés secrètes américaines88. Lancelot prend le contre-pied des programmes destinés aux jeunes et à leurs idoles, lesquels ont, selon lui, « abêti les gens pendant des années avec des médiocrités89 ». Salut les copains, dont l’audience déclinait progressivement, est finalement déprogrammée en 1969, dix ans après sa création.
• Une émission pop
44 Campus est avant tout un programme de culture pop, dans lequel la musique occupe une place centrale. Les nouveautés de disques se mêlent aux morceaux plus anciens et Campus couvre les grands festivals pop90, organisant des émissions spéciales en direct de l’île de Wight91, du festival de Rotterdam en juin 197092, ou encore une semaine spéciale pop à l’Olympia, durant laquelle l’équipe de Campus se relaie jour et nuit pour retransmettre des concerts des Pink Floyd ou de John Lennon93. Michel Lancelot prend d’ailleurs à l’antenne la défense du festival rock d’Aix-en-Provence, interdit par la municipalité. Durant l’été, l’émission est rebaptisée Campus Orangina94 et fait la tournée des plages.
45 Campus contribue à répandre l’esprit pop sur les ondes radio, apparu avec la création du Pop Club en 1965, puis qui se développe largement à la fin des années 1960. En mars 1970, Le Monde publie un article sur le lien entre « radio et pop-music95 », qui salue l’originalité de certaines émissions spécialisées, mais exprime des réserves « sur une récente tendance » qui vise à faire de la pop music « une ambiance diffuse, un support de publicité amenant très vite la lassitude et la satiété96 ». Trois mois plus tard, un autre article du même journal97 est consacré à la « pop music ». L’auteur Martin Even constate que ce style musical, qui restait auparavant une affaire d’initiés et cantonné dans des « émissions de radio très parisiennes » (Campus et Le Pop Club), est désormais devenu un phénomène d’ampleur nouvelle qui se répand dans toutes les couches de la population et qui n’a comme signe distinctif que la jeunesse de ses adeptes.
46La déferlante pop est en effet venue balayer les yéyés au tournant des années 1970, quittant son statut de musique alternative pour devenir un style populaire, que toutes les stations de radio diffusent désormais. À la télévision, depuis le mois d’avril 1970, la deuxième chaîne propose aussi Pop 2, programme animé par Patrice Blanc-Francard, collaborateur du Pop Club et de Rock & Folk. À partir de décembre 1970, l’hebdomadaire Télé Magazine propose même à ses lecteurs la rubrique « Le Pop Hit des Ondes », qui présente l’actualité des émissions pop et les titres préférés de leurs animateurs – José Artur pour France Inter, Michel Lancelot et Patrick Topaloff pour Europe no 1, Jean-Bernard Hebey pour RTL.
• L’audience de Campus
47Sans être véritablement nocturne, Campus est une émission diffusée le soir, à l’heure où le petit écran propose les programmes les plus regardés de la journée. Pour les auditeurs, Lancelot est malgré tout « une voix dans la nuit98 ». Destinée aux jeunes, l’émission semble plaire également à leurs parents99 et devient, en quelques mois à peine, le programme le plus écouté de la station100. L’émission draine un abondant courrier d’auditeurs, ces derniers faisant part de leurs impressions et de leurs suggestions, à la demande du producteur qui sollicite constamment l’avis de son auditoire et en tient vraisemblablement compte pour faire évoluer la formule de son émission.
48Avec Campus, Michel Lancelot affirme vouloir lutter contre l’incommunicabilité et prône le dialogue « entre toutes les cellules humaines101 ». Dans la continuité du Pop Club, le ton de Campus se veut décontracté et Michel Lancelot est « un très bon interviewer qui sait désarçonner ses invités102 » selon Frank Ténot. L’émission phare des soirées d’Europe no 1 devient une tribune de l’anticonformisme, un signe de ralliement des jeunes. Selon Le Monde en 1970, Campus est « certainement la seule émission qui ait en quelque sorte tenu compte des événements de Mai et compris de quelle manière il fallait s’adresser à un public jeune et sensibilisé103 ». Au début de l’année 1970, Lancelot affirme que 88 % des auditeurs de l’émission ont moins de 29 ans, 63 % étant des lycéens, et 18 % des ouvriers104. D’ailleurs, selon les propres mots de Daniel Filipacchi, c’est Campus qui aurait « tué » Salut les copains105.
49 Campus a toutefois une existence relativement courte, et le succès de son animateur restera plutôt fulgurant. Au début des années 1970, le programme s’essouffle, sans doute parce que la déferlante pop perd de son importance, comme la fièvre contestataire qui animait originellement l’émission à sa création en 1968. Le réalisateur Michel Brillié quitte l’émission au premier semestre 1972, puis Michel Lancelot annonce son départ en septembre et le programme disparaît un mois plus tard106. Si cette émission n’a duré que quatre ans, elle aura en revanche marqué les esprits et contribué à transformer la radio.
• L’influence de Campus
50Sous l’influence de Campus, les stations concurrentes créent de nouveaux programmes pour la jeunesse. Sur France Inter, Daniel Hamelin présente à la fin des années 1960 une émission musicale de fin de journée destinée aux jeunes. En mars 1970, il est remplacé par Pierre Lattès, aux commandes d’un nouveau programme intitulé Mon fils avait raison, dont le concept est le suivant : « deux générations autour du micro, père et fils de préférence, […] confrontent leurs goûts, leurs opinions107 ». Par exemple, dans une émission de mai 1970, les invités sont le dessinateur Sempé et son fils Nicolas, qui présentent en les commentant des disques de leur choix – essentiellement Satie et Ravel pour le père, et de la musique pop pour le fils108, même si Sempé dit apprécier également certains disques pop.
51Quelques mois plus tard, à l’automne 1970, RTL crée à son tour une émission de dialogue intergénérationnel explicitement destinée aux jeunes : Faites la radio, pas la guerre. Le principe consiste à mettre en situation de dialogue des personnes représentant la génération des moins de 30 ans et celle de leurs parents. Au micro, l’écrivain Gilbert Cesbron (57 ans) représente les « cheveux gris », et Jean-Bernard Hebey (25 ans) « les cheveux noirs, ou cheveux longs109 ». Deux fois par semaine, un tandem féminin prend le relais, composé des deux auteures Claire Galois (25 ans) et Renée Massip (55 ans)110. Ce programme de dialogue entre générations ne durera que quelques mois.
52Enfin, à partir du printemps 1971, Jean-Bernard Hebey, seul au micro, anime une « émission pour les jeunes111 », entre 19 h 30 et 22 heures Ces programmes sont vraisemblablement essentiellement musicaux, Jean-Bernard Hebey étant spécialiste de la musique pop112.
L’essoufflement de la culture pop et le retour des DJ pour les jeunes
53Depuis la rentrée 1972, l’émission Campus de Michel Lancelot n’est plus, et, dès 1973, Europe 1 ouvre tous les soirs de semaine son antenne à un nouveau programme destiné aux jeunes : Radio 2, entre 20 heures et 3 heures du matin, sept heures d’antennes fractionnées en séquences de vingt minutes maximum. Le programme est produit par Michel Brillié (27 ans) – ancien réalisateur de Campus –, Claude Brunet (27 ans) – ex-programmateur de Campus – et Marc Garcia (24 ans), et animé par une bande de jeunes gens : Hubert, l’animateur vedette de Dans le vent, accompagné de deux disc-jockeys de 18 ans : François Diwo et Yann Hegann. Ces jeunes hommes n’ont vraisemblablement pas d’autre formation que leur passion pour la musique. Selon la publicité, Radio 2 constitue « une station dans la station conçue et réalisée par des jeunes pour des jeunes », avec son studio, ses indicatifs et un ton particulier. L’émission s’éloigne de l’intellectualisme et de la contre-culture propre à Campus. La musique est à l’honneur mais n’est plus nécessairement pop. L’émission de divertissement alterne variétés musicales, interviews, jeux interactifs et magazine d’actualité parisienne. Les auditeurs sont invités à appeler pour participer à l’émission, afin de désigner leur chanteur favori ou, pour les nostalgiques de la période yé-yé, demander des tubes (« goldies ») des dix dernières années113. Assez rapidement, l’émission, qui dure d’abord jusqu’à 3 heures, n’est plus diffusée que jusqu’à 1 heure du matin.
54Parallèlement, sur France Inter, Le Pop Club délaisse lui aussi la musique pop, à partir de la rentrée 1973. Ce style musical n’est plus l’ADN de l’émission, qui conserve pourtant le même nom. Désormais, José Artur accueille dans son bar toutes sortes d’invités, y compris « [ceux] que la musique pop peut heurter114 ». Une case reste toutefois réservée à la pop, entre 22 heures et 23 heures, d’abord produite par Pierre Lattès – Boogie –, puis par Patrice Blanc-Francard115 et Bernard Lenoir116 – Cool. Toutefois, France Inter propose également une émission animée de l’esprit de nostalgie des yéyés, Souvenirs Souvenirs, également présentée par Patrice Blanc-Francard.
55Sur RTL, un jeune animateur prénommé Georges Lang remplace Chris Baldo aux commandes des nuits de RTL en 1973 – alors rebaptisées Les Nocturnes. Grand amateur de musique rock et country américaine, ce passionné de radio et de musique, nourri aux DJs anglo-saxon et autodidacte, rêvait d’animer une émission de radio nocturne depuis son adolescence117. Avec lui, les nuits de RTL laissent place à la musique rock américaine. Il officie depuis la Villa Louvigny à Luxembourg et a carte blanche pour la programmation musicale. Cette émission existe encore quarante-huit ans plus tard, au moment où nous écrivons ces lignes, animée par le même Georges Lang, toujours mû par son indéfectible passion.
56Les émissions de RTL, qui s’arrêtaient jusqu’en 1973 à 3 heures, se prolongent désormais jusqu’à 5 heures, avec une deuxième partie des Nocturnes animée par Bernard Schu118, sans doute parce que RTL souhaite concurrencer France Inter sur le terrain de la radio nocturne. Avec ces Nocturnes, divisées en deux tranches, Georges Lang et Bernard Schu souhaitent créer une véritable émission de rock sur l’antenne, à la manière des grands DJ qui sévissent sur le programme anglais de Radio Luxembourg 208, ou sur les radios pirates britanniques off-shore. Les nouveautés du rock anglais (Pink Floyd, The Who, David Bowie) et californien (The Eagles, Steely Dan, James Taylor…) occupent une place centrale dans la programmation. L’ambiance sonore du programme est directement inspirée des DJ anglo-américains, tous comme les interventions calées sur les introductions des morceaux et l’utilisation de jingles.
Nouveaux rythmes ? Nouvelles temporalités ? Nouvelles voix nocturnes ?
57À partir du milieu des années 1960, cette radio nocturne commence à se transformer de manière tangible et concrète, adoptant de nouvelles formes, de nouvelles temporalités et de nouvelles voix. D’une part, les retransmissions en direct de nuits exceptionnelles se multiplient, faisant de cet espace-temps nocturne un enjeu de la lutte entre les différences stations. D’autre part, la forme de la nuit radiophonique traditionnelle est modifiée, différents moments se dessinant dans la nuit. Enfin, les voix féminines se font de plus en plus nombreuses sur les antennes nocturnes, souvent dans une optique d’érotisation de cet espace-temps encore à conquérir.
Des nuits exceptionnelles pour la radio ?
58À la fin des années 1960, la question de la nuit devient un enjeu de cristallisation de la compétition entre les différentes stations. Cette cristallisation s’opère non pas au sujet de la nuit « de tous les jours » – puisque la majorité des stations restent silencieuses dans l’ordinaire nocturne quotidien –, mais lors de nuits spéciales, d’événements exceptionnels qu’il s’agit de retransmettre en direct et en continu. Lors de ces nuits extraordinaires, les stations essaient alors d’être présentes 24 heures sur 24 afin de faire mieux que leurs concurrentes, de se démarquer.
Mai 68, la « nuit des transistors119 »
59Au cours des événements de Mai 68, la radio – via le transistor –, s’impose comme le média idéal de terrain et de l’information en direct, avec une grande rapidité et maniabilité. Au milieu du mois de juin, Yves Froment-Costes, dans Télérama, insiste sur l’importance historique de ce phénomène.
« Jamais, depuis l’avènement de l’ORTF, pareille chose ne s’était produite : l’allocution “charnière” du général de Gaulle, le 30 mai, n’a pas été télévisée, mais uniquement radiodiffusée ! Les transistors ont-ils détrôné le petit écran ? Certes pas. Mais les événements qui viennent de convulser la France ont mis en évidence une vérité : la radio n’a jamais perdu de son importance. Quand, demain, des historiens se pencheront sur le printemps 1968, ils lui accorderont un rôle de premier plan. Qu’il nous soit permis de l’évoquer avant eux120.” »
60En effet, l’historiographie a bien montré le rôle joué par la radio au cours de ces événements121. À la veille du mois de Mai, France Inter est annoncée largement en tête des audiences dans un sondage organisé par le CESP : avec 46,5 % d’auditeurs, contre 29 % pour Europe no 1, et 24,5 % pour RTL. Les deux stations périphériques sont d’autant plus inquiètes qu’une autre menace plane : celle de l’arrivée de la publicité sur l’ORTF. Elles décident alors de s’allier, en organisant une grande soirée spéciale conjointe, prévue pour le 8 mai. Cette soirée n’aura jamais lieu, au vu des événements.
61Au cours de la décennie 1960, les périphériques Europe 1 et RTL avaient inauguré l’usage du direct et de la possibilité d’interrompre les programmes pour laisser place à l’information. Durant le mois de Mai 68, les deux stations vont se révéler leaders de l’information sur le terrain, les journalistes-reporters pouvant intervenir à l’antenne à tout moment, tandis que le service public, qui couvre de façon partiale et plus limitée les événements, est vivement critiqué par la presse et les auditeurs. Les deux périphériques tirent ainsi profit des événements du printemps 1968. Si Luxembourg multiplie les témoignages en direct sur son antenne, Europe 1 essaie plutôt d’en faire une synthèse constante, et, pour Yves Froment-Costes, les radios se révèlent plus complémentaires que concurrentes122.
62Notre propos n’est pas de refaire l’histoire de Mai 68123 mais d’essayer de voir en quoi la radio nocturne a pu peser dans le déroulement des événements, et dans la vie quotidienne.
63Durant la nuit des barricades, du 10 au 11 mai, Europe 1 et RTL vont informer toute la nuit du déroulement des événements, minute par minute, sans jamais fermer l’antenne, et l’écoute mobile de la radio jouera un rôle primordial. La radio de Mai 68 informe sur les événements de l’intérieur, le « transistor sert d’agent de liaison entre les manifestants124 », tandis que les reporters des deux périphériques ont sensiblement l’âge des manifestants125. Ainsi, « la France entière, par les reportages ininterrompus des stations de radio, [est] aux balcons de la rue Gay-Lussac126 ». Yves Froment-Costes parle de « l’extraordinaire dialogue de la nuit du 10 mai, au-dessus des barricades127 ».
64Le 10 mai, quatre mille étudiants et lycéens se sont rassemblés Place Denfert-Rochereau en fin d’après-midi. À 21 h 55, Fernand Choisel annonce sur Europe 1 la construction de la première barricade. Dans le journal de 22 heures sur RTL, un communiqué de l’Éducation nationale est diffusé, précisant que le recteur Roche est prêt à recevoir les représentants des étudiants pour examiner les conditions dans lesquelles les cours pourraient reprendre. Dans ce même journal, Jacques Idier donne la parole à Alain Geismar, secrétaire général du Syndicat national de l’enseignement supérieur (SNESup), depuis une voiture émettrice de RTL stationnée rue Gay-Lussac, qui entre en contact direct avec le vice-recteur Chalin à l’antenne. Alain Geismar demande l’amnistie pour les étudiants déjà arrêtés.
« Vice-Recteur Chalin : Vous comprenez que je ne puis personnellement prendre un engagement là-dessus. Ce que je peux faire, c’est prendre contact avec M. le Ministre qui, lui, au nom du Gouvernement, peut prendre cette décision. Alain Geismar : Absolument. Et si le ministre prend cette décision, il sait qu’il peut communiquer directement avec tous les manifestants sur les antennes de radio. Il suffit de demander à tous les gens qui sont dans les appartements, au contact de la manifestation, de mettre leur radio devant les fenêtres128. »
65Près d’une heure plus tard, à 22 h 52, Monsieur Chalin revient à l’antenne pour annoncer qu’il n’y aura pas d’amnistie, et propose une rencontre avec le recteur. La tension monte. Conscient du risque de dérapage, le rédacteur en chef de RTL, Jean-Pierre Farkas, met finalement un terme aux échanges, précisant à Alain Geismar qu’il lui est impossible de lui « laisser la parole pour qu’il donne des consignes à ses militants129 ». Le Monde écrira :
« RTL, dans le feu de l’action et des événements, a été amené à jouer le rôle de courroie de transmission entre le vice-recteur Chalin et certains leaders manifestants “bouclés” derrière leur retranchement. On a pu s’étonner que des journalistes […] aient pu déborder leur mission d’informateurs pour prêter un instant leur concours à une tentative de négociation. Certes, les circonstances, le climat, peuvent expliquer et en partie justifier une telle initiative. Mais très vite est apparu […] ce qu’un tel rôle peut avoir d’équivoque130. »
66À minuit, sur Europe no 1, Gilles Schneider annonce l’arrivée d’une délégation de professeurs à la Sorbonne, à laquelle s’est joint Daniel Cohn-Bendit. Le ministre de l’Éducation nationale, Alain Peyrefitte, apprend l’information par ce biais et demande au recteur Roche de refuser toute négociation avec cette délégation. Les négociations sont dès lors rompues et, à 2 heures du matin, les forces de police donnent l’assaut. Les barricades brûlent, reprises les unes après les autres par la police, tandis que les reporters à la voix haletante d’Europe 1 et de RTL se succèdent à l’antenne pour décrire les affrontements en direct. Ils donnent aussi la parole à des manifestants131. Sur Europe 1, Jacques Paoli132 lance un appel aux taxis « assez braves et courageux pour perdre de l’argent » afin de contribuer à évacuer les personnes blessées. Les manifestants s’informent du déroulé des événements grâce aux transistors, comme cet étudiant :
« Je me trouvais au coin de la rue Saint-Jacques et de la rue des Feuillantines, ne sachant que faire. Un poste, à une fenêtre, dit à ce moment-là : “Ils attaquent la barricade de la rue Royer-Collard.” Mon réflexe a été d’y aller. […] Dès que je rencontrais un transistor, je m’approchais, on se collait autour pour savoir. On entendait les explosions mais on ne pouvait rien voir […]. On s’adressait aux gens qui étaient aux fenêtres des étages et ils nous renseignaient en nous décrivant ce qu’ils voyaient […]. Dès que j’ai entendu un transistor, cela m’a énormément réconforté. […] C’est par la radio que j’ai pris conscience de l’ampleur, du nombre. […] J’imaginais ma famille, en banlieue, en train de dormir. […] La France entière dans le noir à roupiller et, nous, on allait se faire tuer comme des rats. On commençait à entendre péter les grenades et on croyait que c’était aussi des coups de feu. […] Et puis, brusquement, une femme s’est approchée avec un transistor […] et j’ai pris conscience […] que la France était à l’écoute et que, si on mourait, on mourrait avec des témoins, reliés au monde133. »
67On voit bien dans ce témoignage l’importance de la radio et du transistor, qui informent les manifestants et les relient non seulement entre eux mais aussi au reste du monde, malgré la nuit et l’impression de solitude. À quatre heures du matin, l’archevêque de Paris lance un appel au calme sur RTL, tandis que le prix Nobel Jacques Monod s’exprime sur l’antenne d’Europe 1 pour demander au ministre de l’Intérieur, Christian Fouchet, d’« arrêter le massacre134 ». C’est le petit matin, sur Europe 1 Jacques Paoli et Étienne Mougeotte résument cette longue nuit, puis le journaliste Georges Leroy s’exprime par téléphone à 5 h 20 pour demander aux manifestants de rentrer chez eux :
« J’appelle tous les manifestants à se retirer du Quartier latin ; vu la cruauté de la police, il n’est pas nécessaire de mener des combats d’arrière-garde. Et j’appelle tous les syndicats, tous les partis de gauche à se mettre en grève générale à partir de lundi, en solidarité avec les étudiants et les jeunes travailleurs135. »
68Il est 5 h 20, l’émeute est terminée136, les forces de police ont repris le contrôle du Quartier latin. Sur France Inter, une édition spéciale d’information mobilise l’antenne tout au long de la nuit. Si celle-ci donne la parole à quatre reporters qui, depuis le quartier latin, décrivent l’évolution des émeutes, elle n’est pas continue mais fragmentaire : Le Pop Club se poursuit jusqu’à une heure, tandis qu’entre des messages d’information en plateau par Philippe Harrouard et les interventions des reporters sur place, des musiques sont diffusées. Par ailleurs, France Inter diffuse tout au long de la nuit des communiqués du gouvernement, par exemple, un démenti sur l’usage de grenades au chlore137. L’écoute de cette nuit spéciale condensée par les archives de l’Ina permet toutefois de reconstituer avec précision la chronologie des faits, jusqu’à plus de six heures du matin138.
69Les deux périphériques sont exceptionnellement restées actives toute la nuit, au cœur de l’événement, et le pouvoir en place n’apprécie pas le rôle joué par ces stations. Dès le lendemain, le premier ministre Georges Pompidou déplore leur comportement dans un discours à l’Assemblée nationale : « Le rôle de ces stations périphériques est néfaste. Sous prétexte d’informer, elles enflamment, quand elles ne provoquent pas139. » Quelques jours plus tard, le gouvernement interdit l’usage du radio-téléphone, qui permet les reportages en direct, à ces deux radios privées – en réalité sous contrôle de l’État par l’intermédiaire de la SOFIRAD – ainsi qu’à l’ORTF. La raison invoquée : le gouvernement souhaite récupérer les fréquences allouées à ces voitures radio-émettrices pour les rendre à la police. Le 23 mai à 23 h 30, les directeurs des deux stations privées, Jean Farran et Maurice Siégel, lisent à l’antenne le texte d’un communiqué commun annonçant cette décision140. Maurice Siégel appelle par ailleurs les auditeurs à ouvrir leur porte aux reporters d’Europe no 1 afin qu’ils puissent téléphoner à la radio pour continuer à proposer leurs « papiers » en direct.
70En ce mois de mai 1968, comme l’écrit Yves Froment-Costes dans Télérama : « la radio a été le seul lien entre les multiples fractions d’une France chaotique ». De fait, si l’on suit le sociologue spécialiste de radio Hervé Glevarec, Mai 68, en incarnant une convergence nouvelle entre l’événement et sa restitution radiophonique, correspond à l’invention de « l’effet de réel » en radio141. La nuit-même n’est plus un obstacle, les frontières de la nuit ont été complètement franchies, et cette expérience d’antenne en continu pendant Mai 68 sera réitérée dans les mois suivants pour d’autres événements spéciaux, avec plus ou moins de succès.
Les élections américaines de novembre 1968
71À l’occasion des élections présidentielles américaines de 1968, les deux périphériques Europe 1 et RTL prévoient d’émettre toute la nuit142, créant pour l’occasion de véritables événements. Europe 1 transforme l’hôtel Hilton rue de Suffren en lieu d’accueil d’une réception « made in USA143 ». Pierre Salinger, l’ancien porte-parole du président Kennedy, est, avec toute l’équipe des journalistes d’Europe 1, en liaison directe avec les envoyés spéciaux de la radio aux États-Unis, depuis le studio spécialement installé sur les lieux de la réception. La station RTL a quant à elle organisé avec la compagnie Pan American Airways et le journal International Herald Tribune une nuit spéciale dans l’immeuble parisien de la « Pan Am ». La rédaction de RTL, aidée de Romain Gary, ancien consul général de Los Angeles, est en liaison permanente avec les services du Washington Post, du New York Times, ainsi qu’avec ses envoyés spéciaux et correspondants aux États-Unis.
72Selon le journal Combat, les informations sont constantes sur les deux chaînes périphériques qui ont réussi un beau pari et même donné « une grande leçon de journalisme », tandis qu’est déploré « le vide » informatif du programme de France Inter144. La station publique a en effet beaucoup moins bien organisé et préparé cet événement, et ne s’est décidée à proposer un contenu spécial que la veille de l’élection, probablement encouragée par toute la publicité organisée par les périphériques autour de leurs opérations145. Les programmes de télévision sont ainsi prolongés, tandis que l’antenne de radio est confiée toute la nuit à José Artur. Il est prévu d’organiser un duplex, à partir de 3 heures du matin, avec deux correspondants de la rédaction aux États-Unis, qui doivent diffuser les résultats du scrutin au fur et à mesure, tandis que des reporters à Paris sont censés enregistrer des réactions à l’ambassade des États-Unis et chez les Américains de Paris146. Pour Combat, cette opération spéciale montée à la dernière minute est un échec : « Ce n’est pas le talent d’un animateur qui peut effacer le vide des informations du journal parlé147. » Toutefois, le journaliste précise qu’un éclair de chaleur humaine a illuminé cette nuit lorsque José Artur a joint par téléphone une Afro-américaine qui a raconté sur l’antenne sa perception de cette journée d’élection : « car la radio, car la télévision, car l’information, ce ne sont pas que des chiffres ».
73Au-delà de la dimension journalistique et informative, cette nuit spéciale a fait événement en rassemblant de nombreuses vedettes. La réception de RTL est qualifiée par le journal Combat de « kermesse héroïque », où « l’on parle, boit et pense américain », tandis que le journaliste de Télé Poche est émerveillé par le studio d’Europe 1 au Hilton, ressemblant, selon lui, à une reconstitution d’un « véritable ranch du Texas » :
« On était à la fois chez Johnson, chez l’oncle Tom et sur la Cinquième Avenue. Une prodigieuse réussite. Du whisky et du bourbon à gogo, des plats typiquement US et malgré tout succulents, des cuisiniers par brigades de dix, des garçons cow-boys, l’orchestre de Marc Taynor148, la fanfare des Beaux-Arts, les danseuses du Crazy Horse Saloon149. »
74Ces événements sont bien plus que des programmes radiophoniques et la présence sur place de personnalités permet de faire de la publicité pour les stations organisatrices. À Europe 1, les invités sont particulièrement nombreux, le journaliste de Télé Poche en dresse la liste, comprenant des hommes politiques150, des comédiens151, des chanteurs152, des écrivains153… Si la nuit de France Inter n’a vraisemblablement pas été vraiment réussie d’un point de vue journalistique, c’est tout de même chez José Artur, au sixième étage de la tour de la Maison de l’ORTF, que ce « Tout Paris » est venu terminer cette nuit154.
La dernière nuit des Halles, la première nuit de Rungis, février-mars 1969
75Décidé en 1960, le transfert du marché des Halles de Paris vers Rungis et la Villette a lieu entre le 27 février et le 1er mars 1969, tandis que le marché de Rungis ouvre ses portes les 3 et 4 mars. L’opération, qui concerne environ 20 000 personnes et 1 000 entreprises, est considérée comme le « déménagement du siècle ».
76À cette occasion, la « guerre des radios prend un nouveau tour155 », selon une expression du Monde. En effet, là encore, tandis que l’actualité télévisée présente chaque jour de nombreux reportages156, les stations France Inter et RTL organisent chacune deux nuits spéciales ininterrompues : d’abord « La dernière nuit des Halles », puis « La première nuit de Rungis ». Elles se sont vraisemblablement entendues entre elles, car leurs opérations n’ont pas lieu en même temps, mais à vingt-quatre heures d’intervalle. Dans la nuit du vendredi 28 février au samedi 1er mars, France Inter installe un studio chez un négociant en gros des Halles, tandis que la station périphérique propose, dans la nuit du samedi au dimanche, une émission depuis le premier étage d’un restaurant de la rue du Jour. Les archives de ces émissions ne sont pas conservées, mais cette dernière nuit des Halles est particulièrement festive, selon les images d’un reportage télévisé de Panorama157, même si cette ambiance de fête laisse place à une certaine amertume au petit matin, comme l’indique le journaliste :
« Pour la dernière nuit, restaurants et cafés des vieilles halles avaient fait le plein, mais cette gaieté était un peu forcée, et à l’aube une grande lassitude enveloppait ce bon vieux quartier. C’est avec une certaine amertume que le dernier marché fini, chacun commençait à charger sa resserre et son matériel. C’était le “déménagement du siècle”, en route pour Rungis, pour l’inconnu. Au revoir Paris ! Ton cœur avait du mal à respirer, on t’en a greffé un tout neuf, immense, moderne, fonctionnel, il te faudrait bientôt alimenter douze millions d’estomacs158. »
77La retransmission radiophonique de ces nuits permet en tout cas aux auditeurs de toute la France, et même d’ailleurs, de participer à cet événement historique. En tendant le micro aux divers acteurs des Halles, l’objectif de ces programmes nocturnes est moins d’informer que de transmettre des témoignages vivants de cette page qui se tourne, de la disparition d’un certain Paris. Si l’événement est particulièrement « parisien », il est probable que ce déménagement intéresse aussi les auditeurs de province, notamment les acteurs des autres marchés de gros français, travaillant eux aussi de nuit. En proposant de tels programmes, les stations rendent aussi hommage, d’une certaine façon, à ces travailleurs de nuit.
78De même, l’arrivée des Halles à Rungis et les premiers pas du nouveau marché font l’objet de retransmissions en direct sur l’antenne de ces stations. « La Première Nuit à Rungis » de France Inter se déroule dans la nuit du lundi 3 au mardi 4 mars, celle de RTL dans la nuit du mardi 4 au mercredi 5159. Au matin, l’un des envoyés spéciaux nocturnes de France Inter, ayant tenu l’antenne pendant plusieurs heures, fait le bilan de cette première nuit au cours des journaux du matin. Là non plus, aucune archive de ces programmes spéciaux n’a été conservée, mais les radios ont choisi d’accompagner l’événement au plus près, en direct, jusqu’au cœur de la nuit.
La radio perdante à l’heure des premiers pas de l’homme sur la lune
79En juillet 1969, au moment de la mission Apollo XI et des premiers pas de l’homme sur la lune, les radios mobilisent également toutes leurs équipes pour assurer une couverture de l’événement en continu, sans interruption. RTL décide d’émettre 24 heures sur 24 pendant tout le temps du voyage d’Apollo XI. Un certain Max Meynier est recruté en intérim pour assurer un suivi d’animation durant les quatre nuits en question. Même si son rôle est limité, cette expérience lui a laissé un souvenir impérissable, d’autant qu’il n’en est qu’à ses débuts radiophoniques :
« Ces quatre nuits furent extraordinaires. Ma prestation était des plus modestes. Elle consistait à annoncer l’heure et éventuellement le titre d’un disque entre deux interventions de journalistes. Comme tout le monde j’étais passionné par ce vol Apollo et par ce premier pas de l’homme sur la lune, mais j’avais le privilège rarissime de ne pas être que spectateur. J’avais vraiment l’impression de participer à l’événement. Et puis c’était la première fois que je causais dans le poste depuis les studios de la rue Bayard. […] J’étais fasciné160. »
80Sur l’ORTF, outre le dispositif télévisuel, « la lune [éclipse]161 » les trois chaînes de radio pour faire place à un programme spécial : « Radio Terre ». Les journalistes Michel Forgit162 et Jean-Claude Héberlé commentent en direct toutes les phases de l’opération lunaire163. Durant l’événement, des équipes spéciales de France Inter se mobilisent dans la Maison de la radio pour créer en deux jours une dramatique sur le thème des premiers pas sur la lune. La pièce, dont l’action se déroule dans le futur, en 2969, est jouée en direct le 22 juillet peu après 20 h 30. Parmi les comédiens figurent José Artur et Raymond Jérôme164. Europe no 1, qu’on appelle désormais « Europe 1 » tout court165, a quant à elle la folie des grandeurs autour de ce vol et de cette nuit historique. En plus du Planétarium du Palais de la découverte exceptionnellement ouvert aux auditeurs de la station, les dirigeants de la chaîne veulent créer un théâtre en plein air sous la tour Eiffel pour le public. Le problème, comme l’indique l’historien d’Europe 1 Luc Bernard, est qu’on ne connaît pas l’heure exacte où Neil Armstrong et Edwin Aldrin vont fouler le sol lunaire. À la radio, l’attente entre le moment où l’homme a atteint la lune – 21 h 17 – et celui où Neil Armstrong pose le pied sur la lune – 3 h 56 – paraît interminable166.
81Malgré les efforts déployés par les chaînes de radio pour couvrir l’événement 24 heures sur 24, c’est la télévision qui sort grande gagnante de cette nuit historique. Ici, il ne suffisait pas d’entendre les cris et l’émotion des commentateurs, il s’agissait de voir, de mettre une image sur ce qui semblait alors si difficile à concevoir. Surtout, la surmédiatisation de l’événement voulue par les États-Unis et la multiplicité des caméras fournissent aux 700 millions de téléspectateurs qui suivent l’événement dans le monde une incroyable expérience de télévision167. Il n’est d’ailleurs plus question ni de nuit ni de jour, sur la lune comme dans la retransmission de cet événement, qui tend à ressembler tous les terriens dans un même moment, comme s’il était la même heure à tous les endroits du globe.
Temporalités de la nuit en construction
82Tandis que France Inter demeure la seule chaîne à émettre en continu quotidiennement 24 heures sur 24, les programmateurs des autres stations s’interrogent sur la nécessité de prolonger les émissions jusqu’au cœur de la nuit. L’heure de fermeture de programmes devient de plus en plus tardive, tandis que celle de leur ouverture matinale a tendance à être avancée. La nuit s’allonge ou rétrécit, selon le point de vue duquel on se place. Des temporalités différentes de la nuit se construisent, des distinctions apparaissent entre les temps nocturnes successifs, ainsi qu’entre la nuit et le petit matin.
L’allongement des émissions dans la nuit
83En émettant jusqu’à 3 heures du matin quotidiennement depuis le début des années 1960, RTL fait longtemps figure d’exception aux côtés de France Inter en termes de radio nocturne. À partir de la rentrée 1968, la radio du grand-duché prolonge même ses émissions jusqu’à 5 heures les nuits du samedi au dimanche, avec des programmes de variétés musicales proposés en direct du Luxembourg168. Pour ces nuits du week-end, l’antenne ne se coupe que durant deux heures, entre 5 heures et 7 heures du matin. Ces nuits de fin de semaine font donc figure d’exceptions régulières, proposant à leurs auditeurs un divertissement tardif dans le cadre de l’institutionnelle fête du samedi soir. Le reste de la semaine, les émissions musicales animées par Chris Baldo s’arrêtent toujours à 3 heures du matin.
84À partir de la rentrée 1970, Europe 1 allonge à son tour ses programmes jusqu’à 3 heures du matin. La première saison, l’émission de Christian Barbier La Nuit est à nous est décalée de minuit à 3 heures, tandis que la tranche 22 h 30 – minuit est confiée à une femme (Viviane). Dès la saison suivante, l’émission de Christian Barbier revient à un horaire moins tardif (22 h 30 – minuit), tandis que les programmes indiquent Madame Soleil de minuit169 entre minuit et une heure, puis, de 1 heure à 3 heures du matin, une émission d’accompagnement musical animée par Patrick Topaloff. En 1974, après quatre saisons d’émissions tardives jusqu’à 3 heures, Europe 1 procède à un retour en arrière en fermant à nouveau son antenne à une heure du matin170. La station de la rue François-Ier a donc cherché pendant quelques années sa forme nocturne, testant différentes options et différents horaires, avant de choisir de revenir au silence du cœur de la nuit au milieu des années 1970.
85En dehors de France Inter, les deux stations publiques France Culture et France Musique s’aventurent, elles aussi, sur un terrain davantage nocturne. À partir de la rentrée 1971, France Culture s’arrête désormais à une heure et une émission différente est diffusée chaque soir de la semaine entre minuit et une heure du matin. Le lundi, Du haut de la tour propose des activités musicales à la Maison de l’ORTF, par le comédien Claude Lehmann et le critique musical François Pouget ; le mardi, il s’agit souvent de retransmissions de concerts ; le mercredi, Gérard Auffray et Jean Martin produisent des Entretiens imaginaires ; le jeudi, Libre Parcours diffuse des récitals ; et enfin, le vendredi, Joëlle Wittold171 présente Au chat qui pouffe, programme de longs entretiens avec des artistes.
86L’émission Entretiens imaginaires consiste en une mise en scène d’entretiens avec des personnes défuntes, plus précisément des compositeurs. Le présentateur fait mine de s’adresser à ce dernier et de lui poser des questions, tandis qu’un comédien répond en lisant des écrits de la personne disparue. Ainsi l’émission propose-t-elle un entretien avec Mozart le 5 avril 1972172, et un avec Berlioz le 4 octobre173. Ces émissions tardives de France Culture sont culturelles. Leur contenu, tout comme leur forme, ne semblent pas vraiment détonner par rapport à la tonalité générale des programmes de la station, même si elles sont plus musicales que le reste de la grille.
87À partir de la rentrée 1972, France Musique poursuit à son tour ses émissions dans la nuit, jusqu’à 2 heures du matin. Pour clore l’antenne, entre 1 h 30 et 2 heures, la chaîne propose des programmes musicaux mettant en avant d’autres styles que la musique dite classique : Pop Music par le critique musical Laurent Goddet174, puis Les Nocturnales, musiques légères présentées par Jean Fontaine175. Si France Musique ne revient pas en arrière, continuant de proposer quotidiennement des programmes jusqu’à 2 heures au fil des saisons, France Culture, en revanche, cesse à nouveau ses émissions à minuit dès la rentrée 1973. La poursuite des programmes jusqu’à 2 heures sur France Musique prouve, en tout cas, que les dirigeants de la chaîne estiment qu’un public nocturne existe pour ce type d’émission.
Des nouveautés et des nouvelles voix pour France Inter
88Étant l’unique radio qui émet en continu, France Inter est la seule à pouvoir satisfaire le public jour et nuit sans interruption, même si les autres stations la concurrencent de plus en plus sur le terrain d’après-minuit. S’ils aiment à se vanter de détenir le monopole de la radio 24 heures sur 24, les programmateurs et dirigeants de France Inter cherchent tout de même à innover, à explorer la nuit différemment, en veillant à répondre au mieux aux attentes des auditeurs. Dans un numéro de Micros et Caméras de janvier 1971, les auteurs rappellent la mission qui incombe à cette chaîne généraliste :
« Concilier l’agrément de l’écoute avec le respect de l’auditeur ; adapter les programmes pendant vingt-quatre fois soixante minutes aux catégories d’auditeurs majoritaires sur l’antenne. On ne fait pas la même radio à toutes les heures du jour et de la nuit. Les trois éléments de base – musique, animation, information – ne se combinent pas selon les mêmes proportions176. »
89De fait, durant quelques années, France Inter « se cherche » d’un point de vue nocturne. En 1971, Route de nuit ne commence plus à 1 heure mais à 2 heures du matin. Entre 1 heure et 2 heures, Claude Dufresne177 assure l’animation. En 1973, près de vingt ans après sa création, France Inter met finalement un terme à l’institution Route de nuit178. À la place, deux émissions se succèdent dans les heures noires de la saison 1973-1974 : Claude Dufresne, l’homme de la nuit (1 heure-3 heures), Canal 3-6 (3 heures-6 heures), programme d’accompagnement présenté par une équipe tournante de jeunes animateurs179. Le week-end, une autre nouvelle voix – Pierre Guillermo180 – anime La Nuit avec vous (1 heure-3 heures). Tous ces programmes n’ont semble-t-il rien de très original, ils consistent simplement en des diffusions de disques, entrecoupés de commentaires enjoués des animateurs, dont la mission consiste à accompagner les auditeurs dans leur nuit, à maintenir éveillés ceux qui en ont besoin.
L’apparition et la définition d’une radio du petit matin
90La nuit est multiple, elle a plusieurs visages. Certains auditeurs et animateurs se situent encore dans le jour qui vient de s’achever, tandis que d’autres sont déjà dans le lendemain, la limite du passage du jour au lendemain étant matérialisée par le sommeil. Au cours de la nuit, les noctambules tardifs vont peu à peu se coucher, laissant la place aux lève-tôt, aux travailleurs de l’aube. À la rêverie et à l’accompagnement tranquille doivent succéder l’énergie et l’entrain. La radio de nuit ne crie pas. Elle peut contribuer à garder éveillés mais elle n’a pas vocation à réveiller, à la différence de la radio du matin et du petit matin.
91Jusqu’en 1968, aucun programme radio n’est diffusé avant six heures du matin sur l’ensemble des stations nationales, excepté sur France Inter. Sur cette radio 24 heures sur 24, l’émission Route de nuit s’arrête à 6 heures pour laisser place au Réveil en fanfare de Georges Lourier. Les périphériques mettent fin au silence de la nuit et commencent leurs journées de programmes à six heures aussi, cet horaire correspondant alors à la frontière entre la nuit et le matin. De leur côté, France Culture et France Musique n’émettent pas avant sept heures, et France Culture s’ouvre d’ailleurs par le traditionnel Réveil musculaire, type de programme radiophonique matinal existant depuis les années 1920181. À la rentrée 1968, France Inter avance d’une demi-heure son émission matinale qui succède à Route de nuit : L’Heure du crème d’Arnaud Monnier182 remplace le Réveil en fanfare de Georges Lourier, et commence désormais dès 5 h 30. L’année suivante, en 1969, RTL l’imite, tandis qu’Inter décale encore cette frontière à 5 heures du matin.
92Durant la saison 1970-1971, Europe no 1 avance elle aussi son heure d’ouverture d’antenne à 5 h 45, puis, commence ses programmes dès 5 heures avec Jean-Philippe Alain l’année suivante, face au nouveau venu Daniel Hamelin183 sur France Inter (En cinq-sept). Sur RTL, Maurice Favières prend le micro à 5 h 30, tandis que sur Radio Monte-Carlo, José Sacré commence toujours à 6 heures En ce début des années 1970, la spécificité de la radio du petit matin se dessine, matérialisant la transition entre la nuit et le jour, avec des animateurs enjoués et populaires qui réveillent les lève-tôt, dans le cadre d’une radio de jeux et de divertissements accompagnant les auditeurs – notamment les boulangers –, entrecoupée d’informations toutes les demi-heures. Des journalistes de Micros et Caméras, en immersion pendant vingt-quatre heures à France Inter en 1971, décrivent ce moment du petit matin en studio :
« 4 h 55. Les couloirs de la maison de la l’ORTF sont déserts. […] J’arrive au troisième étage tel un visiteur insolite du petit matin. […] Ici on ne dort part ! […] Je me glisse discrètement dans la régie […]. Éclats de voix, ordres brefs, rires sonores : d’évidence l’humeur est bonne. Il est 5 heures. […] Le 5/7, animateur Daniel Hamelin, boute en train de l’aurore de vingt-huit ans. Son auditoire : tous ces gens qui travaillent la nuit, des boulangers sédentaires aux routiers itinérants. Des jeux, des auditeurs qui passent à l’antenne. Des boulangers arrivent en studio. Par surprise pour offrir une brioche, ils viennent du Mâconnais. La tradition est sauve. Presque tous les matins “débarquent” ainsi d’un peu partout de fidèles auditeurs. France-Inter petit-déjeuner184. »
93Daniel Hamelin, comme ses collègues des autres stations, a ainsi des habitués fidèles qui viennent lui rendre visite. Après la profession des routiers, c’est le corps de métier des boulangers qui est particulièrement à l’honneur dans ces tranches horaires très matinales. Toutefois, comme l’indique Daniel Hamelin, l’auditoire de la fin de nuit est très varié :
« L’objectif […] c’est de réveiller les gens. D’accompagner ceux qui vont se coucher, […] les fêtards, les gens qui ont passé la nuit dans une boîte de nuit à Paris ou ailleurs, de les accompagner jusqu’au pied du lit. Et puis de reprendre ceux qui se lèvent, les accompagner eux jusqu’à leur travail, les mettre de bonne humeur, […], leur donner du tonus le matin, leur faire croire qu’il y a du soleil alors qu’il pleut […]. Et puis aussi […] tenir compagnie à ceux qui continuent, qui sont un peu de la nuit, un peu du jour, par exemple les routiers, les boulangers185… »
94Daniel Hamelin affirme bien connaître son public, parce que cet auditoire lui téléphone, lui écrit, lui rend visite. Dans un reportage télévisuel, on le voit se lever de son siège tout en continuant son émission au micro, pour accueillir un auditeur venu lui rendre visite en péniche, accompagné du capitaine du bateau, puis d’un routier. La Maison de la radio est donc ouverte en cette fin de nuit. Daniel Hamelin est un animateur joyeux, qui n’hésite pas à raconter des histoires drôles, jouer des petits sketchs en transformant sa voix. Un vrai coq est présent dans les studios ce jour-là pour chanter à l’heure du lever du soleil et le reportage donne à voir une ambiance détendue entre l’animateur et les auditeurs présents. Les auditeurs sont invités à appeler pour participer à des jeux, notamment à « L’inconnu de 6 h 22 », dans lequel il s’agit d’identifier la voix modifiée d’une célébrité.
95En 1973, France Culture cesse son programme de Réveil musculaire en ouverture d’antenne à 7 heures, et à partir de la saison 1974-1975, la chaîne culturelle propose une heure d’Émissions pour les travailleurs étrangers dès 6 heures du matin, avec de courts programmes successifs en portugais, arabe, yougoslave, espagnol et italien186. Ces heures isolées s’adressent à un public ciblé, rappelant dans une certaine mesure les émissions en langue arabe ou kabyle diffusées durant la guerre d’Algérie.
96Quand Europe no 1 commence à décaler son horaire d’ouverture, elle utilise d’abord ce créneau matinal comme un espace à rentabiliser. En effet, pour les saisons 1970-1971 et 1971-1972 au moins, la station de la rue François-Ier loue un quart d’heure de temps d’antenne à des producteurs d’un programme radio religieux, La Voix de l’Évangile187, entre 5 h 30 et 5 h 45. Ce phénomène se retrouvera sur la majorité des radios périphériques. Finalement, la nuit est ici utilisée comme un espace-temps solvable.
Quid de la télévision nocturne ?
97Alors que s’opère cette redéfinition des contours de la nuit radiophonique, les dirigeants de la télévision ne se posent pas encore la question de créer des programmes télévisés nocturnes.
98Si la télévision se développe particulièrement rapidement entre le milieu des années 1960 et le milieu des années 1970 – avec le lancement de la télévision en couleur en octobre 1967, la création d’une troisième chaîne en 1972188, ainsi qu’une extension des programmes sur des plages horaires de plus en plus vastes –, la nuit demeure un terrain inexploré par ce média. Les programmes télévisés s’arrêtent au plus tard aux alentours de minuit, rendant à la radio le monopole de l’audience à partir de cette heure-là.
99De fait, la radio nocturne est devenue le seul espace-temps durant lequel les ondes sonores ne sont pas concurrencées par la « boîte à images ». Cette exception donne à la radio de nuit une saveur toute particulière, une place privilégiée. Face à l’invasion croissante des images, la nuit audiovisuelle demeure le terrain du son, du rêve et de l’imaginaire. L’absence de télévision nocturne joue d’ailleurs certainement pour beaucoup dans la création de nouveaux types d’émissions radiophoniques.
100Malgré tout, en dépit de cette désaffection nocturne par la télévision, certains programmes du petit écran diffusés en fin de soirée sont empreints d’une atmosphère de nuit. Ils semblent inviter ou accompagner les téléspectateurs en direction du sommeil, à l’image de l’émission enfantine Bonne nuit les petits, créée en 1962, même si ce programme s’adresse aux enfants et est diffusée aux alentours de 20 h 30, ou encore de Nocturne, émission dans laquelle des musiciens interprètent des morceaux de musique classique, entre 22 h 45 et 23 heures.
101La télévision produit également d’autres types de programmes tardifs, comprenant, dans leur titre, le mot « nuit ». Dans La Nuit écoute, émission diffusée sur la première chaîne entre 1964 et 1970 de 22 heures à 23 h 15189, Claude Santelli interviewe des personnalités dans un cadre intimiste. Permis la nuit, qui existe durant quelques mois seulement au début de l’année 1967, est produite par Michel Caste et diffusée aux alentours de minuit sur la première chaîne. Cette émission est inspirée du programme radiophonique de José Artur, Le Pop Club, nous aurons l’occasion d’en parler plus longuement dans le dernier point de ce chapitre. Enfin, à partir de 1971, Gilbert et Maritie Carpentier produisent sur la première chaîne l’émission de variétés Tréteaux dans la nuit, diffusée entre 22 heures et 23 heures et présentée par Francis Blanche.
102Mais malgré des titres à connotations nocturnes, et hormis l’exception de Permis la nuit, les émissions de télévision ne s’aventurent pas sur le terrain de l’après-minuit, qui demeure encore l’apanage de la radio.
Un nouveau rôle pour les voix féminines nocturnes ?
103Sur les différentes stations de radio, on observe une féminisation progressive des voix nocturnes, qui correspond à une féminisation générale des voix au micro. Toutefois, dans la nuit, le recours à ces voix féminines prend parfois une coloration particulière et inédite.
De nouvelles voix féminines jouant la carte de la séduction
104Si certaines femmes ont parfois animé des programmes radiophoniques nocturnes ou tardifs dès l’après-guerre, comme Christiane Montels dans Prélude aux rêves, Denise Alberti, Anne-Marie Duverney ou Édith Lansac dans Route de nuit, leur rôle au micro ne différait pas vraiment de celui des animateurs hommes. En revanche, ces femmes restaient en général de simples présentatrices, parfois coresponsables d’émissions, mais rarement seules productrices ou responsables d’un programme190, tout comme pour le reste de la journée. Il est par ailleurs intéressant de noter que toutes ces femmes, à l’exception d’Édith Lansac, étaient comédiennes avant de venir au micro.
105À partir de la deuxième moitié des années 1960, la présence de femmes au micro de nuit se fait un peu plus présente, et prend surtout une tonalité nouvelle, puisqu’il est vraisemblablement demandé à ces animatrices de jouer la carte de la séduction. Peut-être les directeurs de programmes s’inspirent-ils des États-Unis, où quelques femmes sont à l’antenne la nuit, depuis Jean King – « The Lonesome Gal », une comédienne de formation qui parlait d’amour à ses auditeurs à la fin des années 1940 et au début des années 1950 –, et Alison Steele, surnommée the « Nightbird », officiant « d’une voix sensuelle » sur WNEW191 avec beaucoup de succès dans les années 1960, à partir de minuit192.
106En France, en 1967, Sophie Garel anime Radio-Câlin le samedi soir entre minuit et 1 heure sur RTL, titre à la teneur symbole d’une intimité nouvelle193, l’adjectif « câlin » semblant indiquer en effet l’emploi d’un ton particulier afin d’accompagner les auditeurs dans la nuit. Aucune source concernant cette émission n’a toutefois été retrouvée. Sur Sud Radio, depuis 1963, la jeune Marie-Ange194 anime seule des programmes bilingues français/espagnol, chaque nuit de la semaine entre minuit et 1 heure du matin. Selon un document promotionnel de Sud Radio, qui joue sur le potentiel de séduction de sa voix, l’accent de Marie-Ange « lui vaut un légitime succès auprès des amateurs d’exotisme méridional195 ».
107Sur Europe 1, à partir de la rentrée 1970, tandis que l’émission de Christian Barbier est décalée à un horaire plus tardif, le créneau 22 h 30 – minuit est désormais animé par Viviane Blassel196, appelée simplement Viviane – les animatrices d’Europe 1 n’étant jamais caractérisées dans leur métier par leur nom de famille. Son émission s’intitule Comment vous le dire197 ?, programme vraisemblablement musical dans lequel les disques sont entrecoupés de commentaires et d’anecdotes légères de l’animatrice.
108En janvier 1971, l’ORTF lance une nouvelle station, baptisée FIP, pour France Inter Paris198. Cette chaîne s’adresse aux Parisiens, et en premier lieu aux automobilistes, le but étant de les détendre au volant, tout en leur communiquant des informations utiles. La programmation est simple : une bande de musique variée – jazz, variété, musique classique et parfois pop –, interrompue par des bulletins d’informations générales, mais aussi spécifiques, concernant l’état des routes, la météo, ainsi que l’actualité culturelle de la capitale. La plus grande originalité de cette station réside dans le fait que ses voix sont exclusivement féminines, souhaitées douces et relaxantes, même si elles agacent aussi certains auditeurs. L’une des premières « fipettes » est Kriss199, qui a commencé à France Inter en 1969 dans TSF 69, le programme du weekend de Jean Garretto et Pierre Codou200. Cette station connaît un grand succès, et des versions locales pour les autres grandes villes de France sont créées à partir de 1972.
109Ce ton FIP, basé sur l’humour, des voix féminines, lentes et suaves, influence certainement le reste des stations. Si FIP n’émet pas la nuit, les autres chaînes vont néanmoins s’inspirer de cette tonalité féminine et feutrée201 pour leurs programmes nocturnes.
110Sur RMC, une nouvelle voix féminine rejoint le début de la nuit durant la saison 1972-1973 : il s’agit de Carole Chabrier, pour une longue émission d’accompagnement musical (22 heures-1 heure)202. Sur RTL, après des passages dans différentes radios et à tous les horaires, Sophie Garel remplace Georges Lang à la présentation des Nocturnes durant l’été 1974, entre minuit et 3 heures Un journaliste de Télé 7 jours commente la féminité de cette voix dans la nuit.
« Elle a la voix qui convient aux longues soirées d’été : chaude, grave, douce, un rien coquine. […] Elle est celle qui tient compagnie, trois heures durant, aux auditeurs de la nuit, à ceux qui veulent de la musique douce, savoir ce qui se passe à Paris pendant l’été, et qui aiment l’entendre raconter des petites histoires sur le ton de la confidence. Sophie Garel peut avoir la voix d’une poupée, celle d’une dame de petite vertu, ou celle, au timbre surnaturel, d’un répondeur téléphonique. Mais, à son grand regret, elle n’a jamais pu avoir celle d’une jeune fille de vingt ans203. »
111Cet article souligne la puissance évocatrice et ambiguë de la voix lancée sur les ondes nocturnes. La voix des femmes devient objet de fantasme, filtrée par le prisme des stéréotypes et des attentes masculines. Mais celle qui semble cristalliser le mieux ce tournant érotique pris par la voix féminine est sans doute Madeleine Constant, qui officie la nuit sur France Inter, entre 1972 et 1975.
Madeleine Constant sur France Inter
112À la rentrée 1972, Pierre Wiehn, le programmateur de France Inter fait appel à Madeleine Constant204 pour animer une émission tardive hebdomadaire intitulée La Nuit commence, diffusée le dimanche soir entre 22 heures et 23 heures Désormais, le ton n’est plus le même que celui utilisé par les animatrices de Route de nuit (Denise Alberti et Anne-Marie Duverney, parmi d’autres animateurs hommes). La priorité n’est pas à la diffusion d’informations sur la météo ou l’état des routes mais à la mise en place d’un accompagnement musical agréable et doux, avec des musiques annoncées de manière chuchotée et sensuelle. L’accent est clairement mis sur la séduction.
113Madeleine Constant est interviewée dans le magazine télévisuel Spécial Radio qui présente les nouveautés de la rentrée 1972. Élégante blonde au regard profond, elle tente d’expliquer son rôle dans cette émission de début de nuit, sur fond de musique classique :
« C’est difficile à dire, c’est plutôt une façon d’être, d’être derrière un micro, parfaitement soi-même, et comme il s’agit quand même de la nuit, d’être quand même une femme, à travers la nuit […] et également à travers des chansons… Je crois que c’est… peut-être une façon d’embarquer l’auditeur, dans un monde un peu transparent, peut-être un peu factice mais… je conçois un peu la radio comme un cinéma sonore… Oui, je crois que c’est ça205… »
114Si le contenu de ses propos est assez décousu et peu clair, ce qui prime dans cette interview n’est pas ce que cette animatrice de nuit a à dire, mais plutôt comment elle le dit. Tandis que la radio est par essence le monde de l’invisible, ce reportage donne à voir ce que l’auditeur, en principe, ne peut qu’imaginer : le visage de cette femme, le but étant sans doute d’attirer ainsi un auditoire largement masculin à cette heure, selon les sondages.
115Dans cette présentation, Madeleine Constant met l’accent sur le fait qu’elle est une femme, tandis que l’image zoome progressivement sur son visage, finissant par un gros plan serré sur ses yeux, éclipsant d’autant plus ses paroles. D’ailleurs, à la fin du reportage, qui donnait à voir d’autres animatrices – Ariane Gil206, Annik Beauchamp207 et Anne Gaillard208 –, Jacques Sallebert conclut l’émission ainsi :
« Je pense que ces visages, ces sourires, vous auront convaincu mieux que des discours […]. Et n’oubliez pas que France Inter est la seule chaîne de radio qui émette 24 heures sur 24. »
116Aucune archive de La Nuit commence de Madeleine Constant n’a été conservée, mais l’on dispose de témoignages d’auditeurs, retrouvés sur Internet209.
117 La Nuit commence, diffusée le dimanche soir entre 22 heures et 23 heures, propose un programme composé de musiques variées et de lectures, l’objectif étant vraisemblablement de détendre les auditeurs, de les consoler du « blues du dimanche soir ». Il s’agit donc d’une radio-évasion, sorte de radio-médicament. Guillaume, alors jeune adolescent, se souvient bien de cette émission comme d’un remède à la mélancolie dominicale, de retour dans sa pension après un week-end en famille :
« Madeleine Constant… Je devais avoir 12 ou 13 ans et j’étais en pension. Après le retour du dimanche soir, sinistre, et sans autre perspective que celle de la semaine interminable qui s’annonçait, la seule évasion était ce petit transistor écouté en douce sous les draps une fois les lumières du dortoir éteintes. Et la voix de Madeleine Constant, si particulière210… »
118Cette écoute secrète, réalisée clandestinement, est l’une des caractéristiques de cette radio nocturne, surtout lorsqu’elle est écoutée par des adolescents. À longueur de témoignage, on retrouve souvent des histoires de transistors cachés sous les draps. Même si cette image peut paraître clichée, elle ne correspond pas seulement à un imaginaire répandu parce que séduisant, mais elle recouvre une réalité, représentant une pratique courante chez les jeunes auditeurs. D’ailleurs, cette écoute clandestine donne certainement à l’émission une saveur d’autant plus particulière qu’elle est interdite.
119Un autre auditeur anonyme se souvient avec nostalgie de la voix de Madeleine Constant qu’il qualifie de « tendre, sensuelle et captivante211 », tandis qu’un autre encore, qui parle d’une voix « chaude et sensuelle », indique qu’elle commence son émission avec la phrase : « Ma joue contre ta joue, et ma voix dans ton oreille, comme sur un coussin212. » Ainsi, non seulement cette animatrice tutoie son auditeur, mais elle l’interpelle en plus d’une manière particulièrement familière et sensuelle, jouant une sorte de jeu de séduction radiophonique. Les témoignages retrouvés sur la toile évoquent le trouble provoqué par cette voix et cette sensualité diffusée à travers les ondes, d’autant qu’ils proviennent souvent d’auditeurs qui étaient alors adolescents. Si la majorité des commentaires semblent émaner d’hommes, l’un d’entre eux au moins est signé par une femme213. Ces témoignages nous permettent en tout cas de rassembler des éléments concrets concernant La Nuit commence.
120L’indicatif de l’émission est composé à partir du thème musical du sulfureux film Orange Mécanique214 composé par Wendy Carlos, entrelacé à une interprétation vocale de la chanson de Jacques Brel Ce soir j’attends Madeleine215. Outre des diffusions de disques, Madeleine Constant propose des commentaires personnels et des lectures de nouvelles ou d’extraits de romans. Un auditeur se souvient l’avoir entendue lire la nouvelle Le Piéton, de l’auteur d’anticipation Ray Bradbury, tandis que deux autres évoquent des lectures érotiques, notamment celle de « La Nuit de Tolède » de Raymond Brasillach. La Nuit commence durera deux années le dimanche soir. Durant la saison 1974-1975, Madeleine Constant prend le micro quotidiennement dans une nouvelle émission nocturne plus tardive – Aujourd’hui, c’est déjà demain (1 heure-2 heures)216. Il semblerait qu’à cet horaire, les lectures érotiques soient plus courantes, diffusées durant le dernier quart d’heure de l’émission. Par ailleurs, les musiques proposées ont souvent une tonalité sensuelle, comme en témoigne François, alors adolescent, qui, lorsqu’il ne peut écouter les émissions en direct, les enregistre. Il affirme que Madeleine Constant a « contribué avec délicatesse et volupté à une part de son éducation sentimentale217 ». Outre ces auditeurs adolescents, il ne fait aucun doute que des adultes sont également à l’écoute – l’émission s’adresse de toute façon d’abord et avant tout à eux –, même si nous n’avons pas retrouvé de témoignages de ce genre.
121Ce programme prend vraisemblablement fin à l’été 1975. Lors de sa dernière émission, Madeleine Constant explique à ses auditeurs que son départ n’est pas volontaire, et que ses « dérives sensuelles » lui ont souvent été reprochées, en particulier sa façon de tutoyer l’auditeur et de s’adresser à lui comme s’il était son seul et unique interlocuteur, « son amant, presque218… » Elle ne fera plus jamais de radio en France mais poursuivra, au moins pendant un temps, une carrière sur la radio nationale suisse219.
122Madeleine Constant symbolise bien cette féminisation nouvelle de la radio nocturne, qui passe par une érotisation, un jeu de séduction avec l’auditeur. Les voix féminines ne jouent pas le même rôle la nuit et le jour. Celles qui parlent le matin ou l’après-midi dans le poste s’adressent principalement à des femmes au foyer. Elles ont alors pour mission de leur délivrer des conseils concrets, des informations et de la musique légère. Ici, au contraire, il s’agit de faire rêver un auditoire largement masculin.
123Avec Madeleine Constant, c’est vraisemblablement la première fois que des lectures érotiques sont prononcées sur les ondes radiophoniques. À travers ce type d’émission, la radio nocturne n’est plus seulement une compagnie utile, informative et agréable, elle permet de faire rêver, de fournir des supports de fantasme pour les auditeurs solitaires.
124L’arrêt des émissions de Madeleine Constant marque une sorte de retour en arrière, comme si les dirigeants de la radio prenaient finalement conscience d’être allés un peu trop loin. En tout cas, cela préfigure ce qui se passera dans la décennie suivante, et c’est un moment important dans cette transfiguration de la nuit radiophonique. Ce type de programmes accompagne par ailleurs les mouvements d’émancipation des femmes, de libération sexuelle et d’évolution des mœurs, en même temps qu’ils entretiennent une ambiguïté, puisque c’est aux hommes qu’ils s’adressent en priorité. Par ailleurs, il faut rappeler que les femmes françaises n’ont alors normalement pas le droit de travailler la nuit, ces animatrices de radio faisant donc figure d’exceptions.
Reliques d’une radio nocturne traditionnelle ?
125Si la radio nocturne se transforme, on l’a vu, durant ces années-là, à la fois dans ses formes et dans son contenu, certaines traditions semblent perdurer. Depuis la création de la première radio nocturne sur France Inter en 1955, un lien s’est créé entre le monde de la route et la radio de nuit. Cette relation perdure-t-elle après le milieu des années 1960 ? Qu’en est-il de la radio de création nocturne, dont la forme souvent un peu désuète l’amène à se faire qualifier de « radio de papa » ? Ne semble-t-elle pas vouée à disparaître progressivement ?
La route et la nuit
Route de nuit éternelle sur France Inter ?
126Durant ces années-là, on l’a vu, France Inter « se cherche » d’un point de vue nocturne, mais l’émission pionnière de la nuit – Route de nuit – se poursuit pendant la majeure partie de la période. En 1967, la station fête ses 10 ans d’antenne en continu220, et étonnamment, il semblerait que l’on n’ait jusqu’ici jamais autant parlé de l’émission Route de nuit dans la presse qu’à cette occasion.
127Depuis 1966, France Inter bénéficie d’un hymne musical, composé par Claude Bolling221, à la gloire de la radio 24 heures sur 24, le thème et les paroles étant déclinées pour constituer l’indicatif des différentes émissions de la grille. Les paroles du nouvel indicatif de Route de nuit, interprété par les Parisiennes, indiquent : « 24 heures sur 24, on est tellement mordu, que pour écouter Route de nuit, on ne se couche plus ! »
128Toutefois, ce type d’émission nocturne n’aurait-elle pas fait son temps ? À la rentrée 1968, Route de nuit devient Inter Nuit, et le concept de l’émission change presque du tout au tout. D’après Roland Dhordain, alors directeur de France Inter, les auditeurs sont lassés d’entendre des formules de juke-box et éprouvent le besoin d’écouter la radio et non plus seulement de l’entendre. Soucieux de jouer sur les moments où la concurrence de la télévision n’intervient pas, pas plus que celle des radios périphériques, il conçoit cette grande plage horaire – désormais appelée Inter nuit – comme un « nouveau champ d’action ». Or ce champ est vaste, puisqu’il se déploie entre une heure et cinq heures du matin. Comme l’explique Le Monde222, Pierre Wiehn223 a été nommé responsable de ce programme nocturne. En ôtant le mot « Route » de la dénomination de l’émission, l’idée est de l’élargir à toutes les catégories d’auditeurs pouvant être amenés à écouter la radio la nuit : les travailleurs, mais aussi ceux qui veillent tout simplement, les insomniaques et les lève-tôt – il est d’ailleurs prévu de mener une enquête à l’antenne afin de connaître plus précisément ces différentes catégories.
129La première heure est désormais conçue comme une sorte de prolongement du Pop Club, avec des disques, mais aussi des « échos des cabarets » et de la vie parisienne. La plus grande nouveauté réside dans l’ambitieux projet qu’ont imaginé Pierre Wiehn et Roland Dhordain, celui d’un feuilleton à l’atmosphère nocturne, intime, et même érotique :
« Un feuilleton restituant un climat spécial, intime, celui de deux êtres chers, douillettement installés avec un verre au coin du feu, et s’évadant dans le fantastique, le rêve, relevés d’une pointe d’érotisme. Une certaine complicité devrait naître avec l’auditeur mué en quelque sorte en voyeur224. »
130Ce projet, élaboré à peine quatre mois après Mai 68, est novateur et s’éloigne des informations sur l’état des routes. Il intervient quatre ans avant les premières émissions tardives de Madeleine Constant évoquées dans le passage précédent. Ici, la radio nocturne propose de donner un écho de la nuit sensuelle, intime, amoureuse, et de devenir un support de fantasmes. Si ce projet a vu le jour, il s’agit d’une première incursion nocturne du côté de l’érotisme. Toutefois, les sources consultées ne permettent pas de savoir s’il a pu aboutir, et si oui, sous quelle forme. Outre ce « feuilleton » réservé aux oreilles averties, l’émission prévoit également une rubrique littéraire pour présenter un ouvrage nouvellement paru, « raconté d’une manière personnelle » ; une séquence de reportage intitulée « Le soleil ne se couche jamais », qui entend donner une idée de ce qui se passe simultanément dans d’autres pays du monde ; et enfin, vers 4 heures du matin, des envoyés spéciaux en direct des journaux de Paris et de province donneront les gros titres des quotidiens du matin, tandis que d’autres, depuis les studios d’enregistrement, informeront les auditeurs sur les sorties de disques. Ces temps forts doivent être complétés par des rubriques diverses requérant la participation des auditeurs, comme les « réseaux d’Inter-nuit », conçus comme une sorte de chaîne de dépannage et de solidarité.
131Cette longue plage horaire a été repensée à la lumière des différentes facettes de la nuit, Roland Dhordain et Pierre Wiehn s’imaginant sans doute que le concept de Route de nuit est dépassé. Même s’ils affirment qu’ils conserveront le principe de service public qui caractérisait Route de nuit, ils souhaitent tirer profit de la liberté permise par cet horaire nocturne de diffusion pour tester des choses nouvelles : « dans la mesure où l’horaire suppose une liberté accrue pour l’animateur, il y a là une expérience intéressante à tenter225 ».
132Aucune archive de ce nouveau programme Inter-nuit n’a été conservée et il semblerait que cette tentative de renouvellement soit, au moins en partie, un échec, si tant est qu’elle ait pu être mise en application. Dès le début du mois de décembre 1968, le « retour » de Route de nuit est annoncé dans les programmes sous son titre originel, avec un nouveau service d’information pour les routiers qualifié « d’extrêmement perfectionné226 ». On peut supposer que ce retour en arrière ait été décidé suite à la réception de nombreux courriers de plaintes d’auditeurs, notamment de routiers. Il n’est évidemment pas exclu, toutefois, que certaines rubriques testées dans le cadre d’Inter-nuit aient été conservées. L’absence d’archives à ce sujet nous permet seulement de risquer des hypothèses. En tout cas, la route et la nuit semblent toujours faire bon ménage à la radio, le concept s’exportant ailleurs.
133À la rentrée 1968, Sud Radio, basé en Andorre, lance le programme Carrefour de nuit. Il est animé par un tandem femme-homme, composé de Marie-Ange Roig et d’Éric James227, et diffusé chaque soir (22 heures-1 heure). L’émission consiste à renseigner les conducteurs sur l’état des routes et à diffuser des disques, que les auditeurs peuvent demander par téléphone228. Le programme existera jusqu’en 1975 et Marie-Ange Roig sera accompagnée à partir de 1969 d’un autre animateur masculin, Jean-Louis Valois. En 1969, Sud Radio est d’ailleurs le poste périphérique le plus écouté dans la région Midi-Pyrénées, qui reçoit mal RTL et Europe 1229.
134Un auditeur se souvient avoir écouté Carrefour de nuit dans son enfance, là encore en cachette de ses parents. Plus de quarante ans plus tard, il publie sur Internet un poème en hommage à l’animatrice Marie-Ange Roig, qui a bercé ses nuits d’enfants, et dont la voix l’a profondément marqué :
J’adorais de sa voix, son léger chuintement,
Le ton de ses questions, l’ambiance vaporeuse.
L’intimité des cœurs s’ouvrait tout doucement […]230.
135Ce poème souligne la force de ces écoutes nocturnes, qui impressionnent, dans la mémoire des plus jeunes auditeurs, des souvenirs qui semblent indélébiles.
136En parallèle, Route de nuit est revenue sur France Inter et poursuit sa carrière. Bernard Marçay, qui était déjà présent au moment du lancement de l’émission en 1955, est toujours l’un des animateurs. En 1971, l’émission fait l’objet d’un reportage télévisuel original231, vantant les mérites de cette émission nocturne qui tient compagnie à ceux qui ne dorment pas. L’intérêt de ce reportage est de montrer la diversité des auditeurs de Route de nuit, et d’insister sur le fait que France Inter demeure la seule station française à ne jamais s’arrêter, à proposer du contenu permanent, un lien constant avec les gens de la nuit. Pour l’occasion, les sept animateurs de l’émission rendent visite à des auditeurs réguliers de Route de nuit, leur demandant ce qu’ils pensent de ce programme.
137La diversité des profils est mise en avant, avec des auditeurs rencontrés sur leur lieu de travail – des routiers, des bouchers, une infirmière, un conducteur de taxi, un boulanger –, ou chez eux – des étudiants, une dame âgée souffrant d’insomnie, et même l’écrivain Michel Tournier, lauréat, quelques mois plus tôt, du prix Goncourt232. Chacun des animateurs demande ainsi à ces auditeurs – dont on ignore comment ils ont été choisis – ce qui les pousse à écouter l’émission et ce qu’ils en pensent. Ce reportage est particulièrement intéressant car, bien qu’étant une production de l’ORTF, il permet d’approcher la réception du programme, en même temps que les paroles des personnes interrogées nous renseignent aussi sur son contenu.
138Tous les auditeurs expliquent attendre de cette émission nocturne qu’elle leur tienne compagnie. Pour les travailleurs nocturnes, l’écoute de Route de nuit leur permet de rendre la nuit moins monotone, de « passer un moment agréable alors [qu’ils sont] de veille ». Chaque profession a également des attentes précises : les routiers souhaitent que l’émission les tienne éveillés au volant, tandis que le fait de travailler en musique « donne du courage » aux bouchers interrogés. Une dame âgée explique qu’elle écoute Route de nuit parce qu’elle dort très mal, cette émission constituant pour elle une compagnie qui lui permet de ne pas se sentir seule. Comme l’indique l’un des étudiants interrogés, il y a deux façons d’écouter cette radio nocturne : soit l’auditeur l’écoute vraiment, soit il l’utilise comme « fond sonore » tandis qu’il est concentré sur un travail absorbant, ce qui ne l’empêche pas de monter le volume de temps en temps quand le contenu l’intéresse particulièrement, ou afin de se détendre.
139L’écrivain Michel Tournier, filmé dans l’intimité de son bureau, en robe de chambre, explique qu’il arrive mieux à écrire la nuit, et qu’il passe la plupart de ses nuits à alterner des moments d’écriture et des moments d’écoute de la radio. Il ne recherche pas un simple fond sonore, mais une réelle présence en direct, de l’autre côté du poste, expliquant : « J’ai besoin d’une voix, j’ai besoin de quelqu’un qui soit là, avec moi233. » Il indique ainsi que, selon lui, Route de nuit est l’un des meilleurs programmes nocturnes – à cette heure-là, il est en effet possible d’écouter « le monde entier » –, parce que l’émission ne propose pas, comme ailleurs, un « robinet à musique impersonnel » mais bien une programmation de musique variée avec une réelle présence au micro. Un autre routier partage son point de vue, réclamant notamment des chansons qui « parlent à l’esprit » et qu’il puisse comprendre, tandis que les trois étudiants se plaignent du fait que l’émission ne diffuse pas suffisamment de musique anglo-saxonne. Grâce à Route de nuit, la dame insomniaque a découvert le monde de la nuit, tout un univers dont elle ignorait l’existence et qui la fascine, lui permettant de rompre la souffrance et la solitude de l’insomnie :
« J’aime entendre tout ce qui se passe, cette vie nocturne que j’ignorais en somme. Tous ces gens qui parlent la nuit, qui travaillent, qui sont en communication avec vous, […] j’aime ça234. »
140On comprend que l’émission Route de nuit est particulièrement interactive et ouverte, les auditeurs pouvant appeler pour participer à l’émission, notamment pour prendre part aux jeux. Mais les auditeurs peuvent aussi se rendre dans les studios. Dans le reportage télévisuel, on voit ainsi un boulanger apporter des croissants à l’équipe à la fin de la nuit, tandis que la dame âgée évoque le souvenir ému d’une nuit où un pâtissier était venu à la Maison de l’ORTF très agité, alors que sa femme était sur le point d’accoucher. Parti dans la nuit à la clinique, il avait ensuite téléphoné à l’émission pour annoncer en direct à l’animateur et aux auditeurs la naissance de sa fille.
141Cette émission permet donc de partager des événements et des émotions intimes, contribuant à créer une communauté particulière d’auditeurs. Cette radio nocturne dépasse le cadre strict des émissions traditionnelles, elle est devenue un lieu d’échanges et de partage, une sorte de territoire intime des gens de la nuit.
142Le plus ancien animateur du programme, Bernard Marçay, qui présente l’émission sur le ton « de la connivence nocturne, de la complicité liant ceux qui veillent en petit nombre parmi ceux qui dorment en masse235 », explique qu’il reçoit beaucoup de courrier d’auditeurs, « des lettres charmantes, des poèmes et des confidences », et évoque l’une de ses nuits d’antenne les plus mémorables :
« Il y a des nuits plus ou moins calmes. La plus agitée est sans doute celle où un auditeur nous téléphona : “Que faire, j’habite un hameau perdu, sans médecin et ma femme va accoucher ?” J’ai répondu : “Ne vous affolez pas. Nous allons essayez de joindre un docteur. Tout va bien se passer.” […] Il a eu un beau garçon qui a dix ans maintenant. Nous recevons régulièrement de ses nouvelles236. »
143L’émission peut ainsi constituer un lieu d’appels, de « petites annonces », de « bouteilles à la mer ». Avec ce programme, la nuit est devenue le lieu du lien et de la confidence. Si le reportage télévisuel donne à voir un large éventail de professions nocturnes, ainsi que des étudiants et une personne insomniaque, il omet les potentiels auditeurs noctambules. Quoi qu’il en soit, plusieurs personnes interrogées expliquent écouter l’émission toute la nuit depuis qu’elle existe, soit plus de quinze ans plus tôt. Par ailleurs, Jean-Louis Foulquier, installé dans un relais routier à une trentaine de kilomètres de Paris, interroge plusieurs conducteurs de poids lourds, dont un Allemand, qui affirme fièrement écouter lui aussi l’émission. L’audience nocturne de France Inter est donc clairement internationale. D’ailleurs, en 1965, José Artur expliquait qu’un pilote d’Air France était venu déclarer au Pop Club que, la nuit, quand il survolait l’Alaska, le Tibet ou Calcutta, il entendait Route de nuit237.
144Finalement, en 1973, soit deux ans après la diffusion de ce reportage et près de vingt ans après la création de Route de nuit, France Inter met un terme à cette institution nocturne. La raison de cet arrêt ? L’existence, depuis 1972, d’une émission tardive destinée aux routiers sur RTL, qui attire sur son antenne toute la profession.
Les Routiers sont sympa
• Une nouvelle émission simultanée sur trois stations périphériques
145En mars 1972, une nouvelle émission voit le jour simultanément sur trois stations périphériques : Les Routiers sont sympa, directement inspirée du concept de Route de nuit de France Inter. L’émission est destinée à donner des informations sur la route, le trafic routier et à tenir compagnie aux individus au volant. À l’origine, c’est une simple demi-heure publicitaire achetée par Dunlop sur RTL, RMC et Sud Radio, qui espérait toucher les éventuels acheteurs de pneus. La marque achète cette tranche sur trois stations afin de couvrir l’ensemble de la France, et permettre aux personnes mobiles sur la route de ne pas sortir du rayon d’action d’un des émetteurs238 – France Inter pallie ce problème grâce à une large infrastructure et à l’émetteur central d’Allouis très puissant.
146L’émission Les Routiers sont sympa a lieu chaque soir de la semaine, d’abord de 22 h 30 à 23 heures, et l’animation est assurée par une personne différente sur chaque station : Max Meynier239 sur RTL, Christian Alexandre sur Radio Monte-Carlo et Marie-Ange Roig sur Sud-Radio. Le programme a pour vocation de s’adresser aux 350 000 routiers français, mais aussi à leurs familles, leurs employeurs, et à tous les automobilistes en général. L’idée est de fournir des informations utiles aux professionnels de la route et de les égayer durant leurs longs trajets, avec de la musique, des jeux, des anecdotes, et, ce faisant, de transformer le soir tardif en espace-temps radiophonique économiquement rentable. En dehors de l’horaire de diffusion et de sa raison d’être publicitaire et commerciale, le programme reprend dans les grandes lignes la formule de Route de nuit.
• Une émission culte sur RTL
147Finalement, c’est RTL qui va rester associée à cette émission bientôt culte. Au moment de la sortie française du film Duel de Steven Spielberg240, en 1973, Télérama titre son article « Duel, un routier pas sympa241 ». L’expression-titre de l’émission est déjà presque entrée dans le langage courant.
148À ses débuts, l’émission ne dure donc qu’une demi-heure, programmée de 22 heures à 23 heures, mais le succès se faisant rapidement sentir, le programme s’étend sur la grille. En 1975, l’émission est programmée de 22 heures à minuit et on parle d’une audience de 800 000 auditeurs par soir242.
149Dès la rentrée suivant la création de ce programme, France Inter cesse d’ailleurs Route de nuit. C’est désormais RTL, avec l’émission de Max Meynier, qui est devenue le point de ralliement de toute une profession. Max Meynier ne connaît rien au monde de la route et des routiers lorsqu’il commence. Très vite, pourtant, il devient le symbole de cette grande famille à laquelle il appartient désormais. Dans son émission, les hommes de la profession sont invités à téléphoner depuis les relais routiers pour transmettre à l’antenne des informations concernant la circulation, l’état des routes. Par l’intermédiaire de l’animateur, ce sont tous les chauffeurs routiers de France qui sont reliés les uns aux autres et se tiennent mutuellement compagnie. Rapidement, Max part à la rencontre de ses auditeurs en organisant des émissions en direct de relais routiers. Dès la première, les routiers sont nombreux au rendez-vous :
« Au moins un kilomètre avant d’arriver au relais, je vois […] toute une file ininterrompue de camions garés les uns derrière les autres sur le bas-côté de la route. […] Tous ces routiers qui étaient là, qui étaient venus spécialement pour l’émission, qui m’entendaient chaque soir et qui ne m’avaient jamais vu, me reconnurent immédiatement comme étant des leurs. J’étais leur copain, leur pote, et ils étaient heureux de me faire une fête. Pour eux, je compris tout de suite que je n’étais pas un animateur de radio. J’étais Max, un point c’est tout243. »
150En 1974, Max Meynier et son équipe sont victimes d’une prise d’otages pendant l’émission. Le 8 février aux alentours de 23 h 15, un homme – bientôt identifié comme étant Jacques Robert244 – pénètre dans le studio. Armé d’un pistolet et d’une grenade – qui s’avérera fausse –, cet homme souhaite détourner l’émission pour faire passer à l’antenne un message politique contre le gouvernement et réclame une demi-heure d’antenne sur les trois chaînes de télévision le lendemain. Max Meynier parvient à convaincre le forcené de ne pas « tout faire sauter » comme il l’annonce. Il lit le message de Jacques Robert à l’antenne, un texte « abscons, obscur et long », dans lequel l’individu prend la défense « des gens grugés par l’État245 ».
151La prise d’otage dure plusieurs heures et toute cette nuit est radiodiffusée en direct, intercalée par des morceaux de musique. Max Meynier garde l’antenne après minuit, Les Nocturnes n’ayant exceptionnellement pas lieu cette nuit-là246. Les négociations durent quatre heures, entre Jacques Robert, Max Meynier, Jean Farran, directeur de RTL, Marceau Long, président de l’ORTF, ainsi que Claude Canès, commissaire stagiaire. Jacques Robert obtient la garantie de passer à la télévision le lendemain, libère les otages et sort du studio à plus de trois heures du matin. Il est arrêté247 et ne passera jamais à la télévision, même si la police lui accorde de donner une conférence de presse pour expliquer son geste. Toute l’opération a été enregistrée par des techniciens du centre de modulation de la station, et, bien des années plus tard, Christophe Deleu et François Teste réaliseront un documentaire pour France Culture à partir d’archives sonores inédites de cette nuit et d’un entretien avec Max Meynier248.
152Le récit de Max Meynier est diffusé le lendemain dans le journal télévisé de la première chaîne249, qui retransmet aussi des images de la prise d’otages. La semaine suivante, Max Meynier est invité sur le plateau d’Aujourd’hui Madame pour raconter son expérience, dans le cadre d’une émission intitulée « Et si vous étiez pris en otage250 ». C’est la première fois depuis qu’il présente Les Routiers sont sympa que Max Meynier apparaît à la télévision. D’une certaine façon, cet événement a donc contribué à faire parler de l’émission, constituant une sorte de vitrine. Mais, si Les Routiers sont sympa est déjà une émission célèbre, c’est surtout après le milieu des années 1970 qu’elle deviendra un vrai phénomène de société.
153Le lien traditionnel entre la route et la radio nocturne ne s’est donc pas distendu, bien au contraire.
Les émissions de création et de littérature
154Sur les antennes de radio de la fin des années 1960 et du début des années 1970, l’heure nocturne est essentiellement dévolue à la musique, aux entretiens, au divertissement et aux émissions utiles destinées aux personnes sur la route. Alors que la télévision a volé la vedette à la radio en soirée, les émissions de création et les invitations au voyage onirique ont tendance à perdre du terrain sur les ondes sonores. Pourtant, si certains programmes traditionnels disparaissent, d’autres voient le jour, proposant parfois des initiatives créatrices ambitieuses et novatrices.
Des émissions de littérature, essentiellement tournées vers des lectures
155Les programmes du soir consacrés à la littérature se concentrent quasi exclusivement sur France Culture.
156 Le Livre de chevet est une émission diffusée chaque soir sur France Culture à partir de la rentrée 1965 (23 h 40 – minuit). Dans ce programme, des personnalités, souvent des écrivains, sont invitées à lire des passages de leur (s) livre (s) de chevet. Généralement, une même personnalité lit pendant plusieurs émissions – une semaine, voire deux semaines, ou plus –, cette fréquence créant une continuité en épisodes, l’émission constituant une sorte de feuilleton littéraire, un rituel nocturne avant d’aller dormir.
157Plusieurs personnalités s’adonnent à ces lectures nocturnes, parmi lesquelles Roland Dubillard lisant Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, de Rainer Maria Rilke ; le cinéaste François Truffaut lisant des extraits de deux textes d’André Gide – L’Affaire Redureau et La Séquestrée de Poitiers ; ou encore Philippe Soupault avec les Chants de Maldoror de Lautréamont, qu’il ne dit pas lui-même mais qui sont interprétés par le comédien Jean Negroni. L’émission existe pendant trois saisons, puis disparaît juste après Mai 68.
158Depuis le début de l’année 1968, justement, la station propose une autre émission de lecture tardive : Un livre, des voix. Initialement coordonnée par Pierre Sipriot251, puis par le réalisateur-producteur Claude Mourthé252, ce programme donne à entendre des lectures d’extraits d’ouvrages récemment parus ou encore inédits, tandis que l’auteur répond, en contrepoint, à des questions sur son œuvre. Les lectures sont réalisées par des comédiens, tandis que des illustrations musicales ornent cette émission, diffusée chaque soir de semaine entre 22 h 30 et 23 h 10. Un livre, des voix existera jusqu’à la fin des années 1990.
159Enfin, à partir de 1973, France Culture innove en proposant un nouveau type de lectures nocturnes, dans Invitation à la nuit d’Alain Barroux253. Diffusé chaque soir entre 23 h 40 et 23 h 55 – soit à l’ancien horaire du Livre de chevet – ce programme consiste en des lectures de poèmes érotiques. Pour chaque émission, un couple de comédiens choisit et interprète ces lectures. Plusieurs duos se prêtent au jeu : Judith Magre et Claude Rich ; Marie-José Nat et Jean-Louis Trintignant ; Geneviève Page et Jean Rochefort ; Bulle Ogier et Sami Frey. Entre chaque lecture, les comédiens jouent une sorte de jeu de séduction à l’antenne, comme s’ils communiquaient à l’aide des différents poèmes ou extraits. Un soir, Judith Magre commence l’une des émissions en s’adressant de manière énigmatique et ambiguë à Claude Rich :
Judith Magre : J’ai vu la personne dont je t’ai parlé, pour la chose, tu sais, que je ne veux pas faire, sauf si à la rigueur c’était avec toi et avec cette personne… et est-ce que tu as lu ce truc ?… Tu sais bien, je t’en avais parlé l’autre jour !
Claude Rich : Ce truc dont on avait parlé mais dont on ne peut pas parler…
J. M. : Et suivant qu’on le fait ensemble ou pas ensemble, nous portera bonheur, ou malheur.
C. R. : Ou préjudice, oui… L’embêtant c’est que si on le fait ensemble deux fois, on est morts… de fatigue, évidemment. (Rires). Parce que la fin du monde commence là où commence le début du… Enfin bon, de toute façon, on se comprend254…
160Ces conversations et ces lectures créent une atmosphère et une tension érotique qui tranchent avec la sagesse de l’antenne de France Culture du reste de la journée. Ici, l’invitation à la nuit n’est en tout cas plus tellement une invitation au sommeil, comme dans Prélude aux rêves, mais plutôt à la nuit sensuelle. Si cette émission ne dure qu’un an, s’arrêtant fin décembre 1973, elle fait figure de programme novateur. Faisant écho aux émissions de Madeleine Constant sur France Inter, Invitation à la nuit préfigure aussi des émissions futures.
161Entre 1965 et 1975, des émissions littéraires tardives subsistent bel et bien, essentiellement sur France Culture, mais celles-ci sont désormais moins des programmes d’analyses ou de commentaires d’œuvres que des lectures. L’heure nocturne est dévolue à la détente, à l’écoute d’histoires.
Les émissions dramatiques nocturnes, un genre en voie disparition ?
162Les dramatiques policières disparaissent des postes périphériques, qui se désintéressent de la fiction, mais demeurent présentes sur les chaînes de l’ORTF, quasiment jusqu’au milieu des années 1970. En effet, si Les Maîtres du mystère s’arrêtent en 1965, l’émission est bientôt remplacée par Mystère, mystère, programme toujours produit par Pierre Billard, et diffusé une fois par semaine en soirée sur la chaîne Inter-Variétés, en alternance avec L’Heure du mystère de Germaine Beaumont, jusqu’en 1974255. Pierre Billard tire sa révérence radiophonique au milieu des années 1970, quand la télévision a pris trop d’importance à ses yeux256. Les Maîtres du mystère restera considérée comme son émission majeure, amenée à survivre à l’épreuve du temps. En effet, à la fin des années 1980, l’Ina publiera en cassettes audio soixante épisodes de l’émission257.
163Si les dramatiques policières subsistent durant cette période, des fictions consacrées à l’étrange sont également mises en ondes. À partir de 1965, France Inter propose une fois par semaine une émission de fiction fantastique intitulée Théâtre de l’étrange, d’abord diffusée le dimanche soir à 23 heures258. Le programme, qui existe lui aussi jusqu’en 1974, consiste en des adaptations d’œuvres de la littérature fantastique, d’anticipation ou de science-fiction. Par exemple, en mai 1965, deux épisodes de Dracula sont diffusés, réalisés par Jean Chouquet259, avec les comédiens Daniel Gélin et Jean Rochefort dans les rôles principaux260. Si la plupart des émissions sont des adaptations d’œuvres préexistantes, certaines sont des œuvres originales créées spécialement pour l’émission, comme « L’Ambassadeur de Xonoï » écrit par le journaliste de France Inter Frédéric Christian261, ou « L’Hôte de Bessarion » de l’animateur Gérard Klein262.
164La mise en ondes de cette émission est particulièrement soignée, employant des illustrations musicales élaborées. Chaque numéro commence par les trois coups traditionnels du théâtre, qui semblent être frappés sur une lourde porte en bois et résonnent de manière angoissante, tandis qu’une voix grave, tantôt féminine, tantôt masculine, prononce lentement le titre de l’émission, en séparant bien les syllabes et en s’attardant sur la fin des mots : « Théâtre… de l’étrange ». Cette entrée en matière instaure efficacement un climat étrange en quelques secondes. Ce Théâtre est aussi un lieu d’expérimentations techniques, encouragées par la dimension futuriste de certains sujets. Dans « L’Ambassadeur de Xonoï », par exemple, l’un des rôles est confié à une voix synthétique créée sur ordinateur – ce qui est annoncé comme étant une première mondiale.
165Mais si ces programmes de fiction et de création accompagnent des recherches parfois novatrices sur le son, les émissions de ce type sont désormais considérées comme les héritières d’une radio traditionnelle au ton parfois compassé, « la radio de papa », selon l’expression de Marcelle Michel dans Le Monde en 1966263. Comme l’indique cette journaliste, c’est la chaîne Inter Variétés qui propose le plus de programmes de ce type, qui sont souvent de qualité, mais qui contrastent avec le côté improvisé et « en direct » de nombreuses nouvelles émissions
166Entre 1970 et 1972, cette station diffuse chaque vendredi soir à 23 h 30 une émission intitulée Une voix dans la nuit, produite par l’écrivain de romans policiers Francis Didelot264 et l’auteur dramatique Ange Gilles265. L’originalité de ce programme, qui propose des dramatiques créées à partir de textes originaux, réside dans le fait que nombre de ces émissions sont des pièces monologuées, retranscrivant des voix intérieures, à l’image de la première de la série. Dans « Les Pas266 », écrite par Francis Didelot lui-même, la comédienne Maria Mauban interprète le rôle d’une femme qui, rentrant chez elle la nuit à pied, a l’impression d’être suivie. Les vingt minutes de l’émission retracent le cheminement de ses pensées intérieures, l’escalade de ses angoisses et de ses doutes, ses interrogations. En mettant en scène une seule « voix dans la nuit », l’émission instaure ainsi un climat particulièrement intime, parfois angoissant. Souvent, ces individus dont les pensées sont dites à haute voix se trouvent d’ailleurs eux-mêmes dans un cadre nocturne, ce qui permet sans doute une identification accrue pour les auditeurs, qui écoutent ce programme peu avant minuit. Les tapuscrits de cette émission, dont le dernier numéro est diffusé en 1972, sont conservés à la BnF267.
167Des dramatiques, notamment policières et fantastiques, continuent donc d’être produites et diffusées tardivement sur les chaînes de l’ORTF durant cette période, mais plusieurs émissions s’arrêtent au début ou milieu des années 1970. Nous verrons toutefois que la tradition des dramatiques radiophoniques nocturnes ne cessera pas de sitôt.
La création nocturne
• La fin des émissions de Pizella, dernier producteur d’émissions de création nocturne ?
168Stéphane Pizella, qui n’a produit aucune émission entre 1962 et 1965, vraisemblablement pour des raisons de santé, revient au micro à partir de 1965 avec une nouvelle série des Nuits du bout du monde. Désormais, il ne propose plus que deux émissions par mois et il n’est pas rare que cette dernière génération de Nuits du bout du monde soit construite en plusieurs épisodes268. Avec ces émissions, il revient dans le détail sur certains grands moments de sa vie de voyageur, qu’il a parfois déjà évoqués dans des émissions antérieures.
169En 1967, pour la deuxième et ultime fois de sa carrière, il est invité dans une émission télévisuelle de variétés : Bienvenue, animée par Guy Béart269. Dans ce programme, le dispositif et la disposition des invités, assis au milieu d’un public formant un cercle, évoquent une soirée de veillée. Stéphane Pizella est entouré de jeunes gens, qui ont la possibilité de lui poser des questions.
170Cette fois encore, l’homme de radio se prend au jeu du conteur, racontant des histoires de son passé, des aventures lointaines qu’il transmet au public et aux téléspectateurs qui l’écoutent. À chaque fois qu’il est interviewé, il se met dans la position de celui qui raconte. La rencontre avec les jeunes du public de l’émission montre bien que Pizella, à la fin des années 1960, appartient à une génération antérieure, à une vieille école radiophonique et médiatique, celle qui plaît aux parents, même si ses émissions se poursuivront encore quelques années. Il est, en quelque sorte, l’un des derniers conteurs radiophoniques de son époque.
171À partir de 1968, il produira encore Pour l’inconnue d’un soir, programme court quotidien de dix minutes. Cette émission se présente sous la forme d’une correspondance entre Pizella et une femme inconnue, qu’il prétend découvrir au fur et à mesure des soirs et des lettres lues à l’antenne. Cette inconnue ressemble en fait étrangement à Pizella lui-même.
« Il m’aura fallu recevoir cette troisième lettre, pour apprendre cette chose qui me navre, que vous êtes condamnée, pour peu de temps j’espère, à un isolement forcé, dans cette maison de repos que vous me décrivez, vous ne m’apprenez rien, car j’ai connu ce genre de maison bien avant vous, en me contant par le menu le genre de vie que vous menez. Les cures de silence le matin, les cures de sommeil et de repos l’après-midi, vos nuits sans sommeil, et votre ennui. […] Chaque nuit, à cette heure-ci, ce sera un ami qui viendra vous tenir compagnie, qui vous parlera, et vous contera des histoires […]. »
172En choisissant de prendre le parti de faire comme s’il ne s’adressait qu’à une seule auditrice, dont il dévoile à l’antenne des éléments personnels, Stéphane Pizella contribue à donner une dimension plus intime à ses émissions. Il semble également se dévoiler à ses auditeurs, révélant, à demi-mot, qu’il aurait pu souffrir d’une maladie psychique, puisqu’il a « connu ce genre de maison ».
173De mars 1969 à mars 1970, Pizella propose une troisième et dernière série des Nuits du bout du monde, brutalement interrompue par son décès. Deux jours plus tard, le directeur de la radiodiffusion Roland Dhordain270 prend la parole à 22 heures – à l’horaire de l’émission – pour lui rendre hommage, avant de diffuser la dernière Nuit du bout du monde inédite, que Pizella a enregistrée quelques jours plus tôt :
« Il est 22 heures. Depuis quelques mois déjà, Mesdames et Messieurs, à cette heure-là ce n’est pas la voix du directeur de la radiodiffusion que vous entendez. C’est la voix de son confrère, de son collaborateur, de son ami, Stéphane Pizella. Certes, ce soir vous aurez encore rendez-vous, dans quelques instants, avec Stéphane. Mais ce sera la dernière fois, car Stéphane Pizella nous a quitté pour toujours, il y a quelques heures. Alors son confrère, son ami, se devait de venir ce soir vous dire qui était celui qui a attaché sa voix, son style, sa personnalité, à tant de grandes heures de notre maison. […] Au-delà du journaliste d’information, Pizella était un écrivain, un poète. Il a voulu se raconter, en mêlant l’imagination au réel. Il y a eu un phénomène Pizella, Pizella fut un très grand homme de radio, […] [il] a marqué de nombreuses générations d’auditeurs. […] [Roland Dhordain termine en disant qu’il a été l’un de ses disciples, et raconte quelques anecdotes personnelles sur ses rapports avec le producteur, qu’il qualifie de “sensible”.]271. »
174Le ton est émouvant, et ce touchant hommage a l’air particulièrement sincère. Suite au décès du producteur et à l’arrêt de ses émissions, les lettres d’auditeurs affluent à l’ORTF pour évoquer leurs souvenirs d’auditeurs et dire qu’ils n’oublient pas cette voix qui a bercé leurs nuits. En mai 1970, une émission spéciale est diffusée en hommage à Stéphane Pizella, regroupant quelques-uns des amis du producteur : Arno-Charles Brun272, Jean-Vincent Bréchignac273, Samy Simon274, Jean Thévenot, Suzanne David275, ainsi que son réalisateur René Cambien. Cette émission est composée d’archives radiophoniques de Stéphane Pizella et de témoignages de ses proches276.
175À de nombreuses reprises, Stéphane Pizella sera évoqué lors de programmes consacrés à l’histoire de la radio, plusieurs hommes de micro revendiquant une sorte de filiation avec le producteur nocturne, ou souhaitant simplement lui rendre hommage277, tandis que des auteurs l’évoqueront dans des écrits ultérieurs278. Des émissions de Stéphane Pizella seront régulièrement rediffusées sur les antennes de France Inter et France Culture, notamment à partir du milieu des années 1980, tandis qu’un CD sera édité par l’Ina dans les années 1990. Aujourd’hui, on trouve sur Internet de nombreux témoignages d’auditeurs qui évoquent leur rapport aux émissions de Stéphane Pizella, plus de quarante ans après sa disparition279.
176Un certain type d’émissions nocturnes de création, mêlant la réalité et l’onirisme, prenant la forme de contes mis en ondes et en musique de manière élaborée, semble disparaître avec Stéphane Pizella. Pourtant, la radio de création nocturne et d’évasion ne cesse pas en 1970. Au contraire, un nouveau type de programmes créatifs commence à se dessiner et se faire entendre sur l’antenne de France Culture, qui se développe d’abord et avant tout à des horaires tardifs, parce que ceux-ci permettent une plus grande liberté. Si le personnage du conteur a disparu, d’autres figures émergent et s’élaborent, tandis que le travail sur le son se mue en travail d’orfèvre, et que le son lui-même devient un alphabet, une langue, un support d’écriture.
• De nouvelles formes créatrices sur France Culture
177En 1969, Alain Trutat280 et Jean Tardieu281 créent L’Atelier de Création Radiophonique (ACR), dans la lignée du Club d’Essai. Le but de L’ACR282 est d’expérimenter autour de la matière sonore, de développer de nouvelles écritures radiophoniques permettant de décrire le monde, d’explorer le réel. René Farabet, directeur de l’ACR à partir de 1970, dira : « Mai 68 a fait vaciller les habitudes. Il devenait urgent de sortir des studios283. »
178L’objectif de ce groupe est de créer « une radio divagante et déroutante284 », en invitant des artistes de toutes disciplines à collaborer à ces recherches et à produire des objets radiophoniques. Ces réflexions sur la radiophonie s’élaborent en dehors de toute logique de rentabilité immédiate, le but étant de faire de France Culture un « instrument de création285 ». L’ACR produit un programme hebdomadaire diffusé chaque dimanche entre 20 h 45 et 23 heures, soit à l’orée de la nuit.
179Dans ce contexte, les hommes de radio se spécialisent, aiguisent et précisent leurs compétences en termes de travail sonore : d’un côté ils améliorent la qualité des enregistrements, de l’autre, ils peaufinent leurs techniques de montage et de mixage. Si ces producteurs, réalisateurs et techniciens sortent de plus en plus des studios afin d’enregistrer les sons du réel, ils passent également davantage d’heures dans les cabines de la Maison de l’ORTF afin de retravailler ces sons bruts. Dans cette pépinière de talents, des hommes comme René Jentet286, Yann Paranthoën287 ou encore Jean Couturier produisent des œuvres novatrices – régulièrement, des productions de l’ACR reçoivent le Prix Italia288.
180À partir de novembre 1971, Jean Couturier, l’un de ces expérimentateurs de l’Atelier de création radiophonique, crée sa propre émission sur France Culture, Écriture par le son, diffusée le mercredi soir entre minuit et une heure du matin. Cette émission est le lieu d’une créativité particulièrement novatrice. Jean Couturier joue avec les sons, superpose des extraits de textes lus de manière non conventionnelle – tantôt répétés, tantôt interrompus, parfois même inaudibles parce que plusieurs voix se mélangent et se juxtaposent, selon le principe du « canon » –, tandis que ces lectures et ces voix sont enrobées d’un habillage musical original, souvent à base de musique pop et psychédélique, fait de ruptures et de silences, de plages de calme et d’autres moments d’agressivité.
181Le rythme est décousu et inédit, l’horaire de diffusion nocturne permettant toutes les extravagances. Le but recherché par l’auteur n’est pas de détendre l’auditeur ou de l’endormir en douceur, mais bien au contraire de le garder éveillé, le surprendre, le bousculer, lui donner envie, peut-être, d’aller chercher plus loin. En 1972, Jean Couturier présente sa conception de la radio :
« Je considère mes auditeurs comme des êtres intelligents, qui comprennent. Je n’ai donc pas à penser pour eux. Je leur propose seulement des éléments de réflexion. […] Si l’on veut que les gens écoutent, il ne faut pas les endormir. Or, il y a danger sitôt qu’on leur offre quelque chose de ronronnant. Il faut donc être de plus en plus violent, créer l’irritation, puis la détente. C’est pour cela que mes émissions comportent beaucoup de ruptures agressives pour les oreilles. […] Cela suscite une polémique, des coups de téléphone. […] Je voudrais que les gens aillent plus loin, cherchent, après l’émission, à en connaître davantage289. »
182La forme déstructurée, surprenante, doit mettre l’accent sur le contenu, le message. En remodelant les sons, Jean Couturier espère mieux faire entendre le fond. Une nuit, à la suite d’une émission sur la guerre du Vietnam basée sur un texte de la journaliste Françoise Xenakis, une auditrice lui téléphone, déclarant avoir écouté l’émission jusqu’au bout, bien que l’ayant trouvée insoutenable. Surtout, elle indique à Jean Couturier qu’avec cette émission, elle vient de prendre conscience de « de ce qu’est la guerre dans toute son horreur ». Plusieurs archives d’Écriture par le son ont été conservées. Par exemple, le 10 mai 1972290, Jean Couturier propose une émission dans laquelle sont donnés à entendre des extraits des Chants de Maldoror de Lautréamont et des Vases communicants d’André Breton, avec un habillage musical composé de morceaux des Pink Floyd, John Lennon, et Sylvie Vartan. Les propos tenus sont volontiers subversifs, tandis que la forme est déconcertante.
183Aucun texte d’annonce n’indique le contenu ni le thème en début d’émission, seule une voix féminine donne les noms des auteurs à la fin du programme, ce qui peut être déroutant pour l’auditeur qui ne sait pas, en définitive, ce qu’il entend. Jean Couturier estime en effet que son émission ne doit avoir ni début, ni fin : « L’accueil de l’auditeur doit pouvoir se faire à n’importe quel moment. C’est pour cela que je suis contre les annonces291. »
184Jean Couturier considère la pratique radiophonique comme un art à part entière. Jacques Floran, l’un des responsables des Après-midis de France Culture, parle de lui comme d’un « Picasso de la radio ». S’il trouve la comparaison élogieuse, Jean Couturier la refuse, ne souhaitant pas que les auditeurs se mettent dans une position d’écoute différente à cause de cette comparaison292. Dans la forme comme dans le fond, cette émission est novatrice, et cette liberté est permise par son horaire de diffusion tardive, tandis qu’aux autres heures du jour, France Culture reste une station au ton et au contenu plutôt classiques.
Des émissions musicales traditionnelles
185Si le jazz ne disparaît pas complètement des soirées et débuts de nuit radiophoniques, ce style musical tend à se faire moins présent.
186Sur Europe no 1, l’émission Pour ceux qui aiment le jazz de Frank Ténot et Daniel Filipacchi quitte les soirées quotidiennes de la station en 1966. Les deux animateurs continuent toutefois à produire pendant cinq ans l’émission hebdomadaire Jazz à minuit, diffusée le dimanche soir entre minuit et une heure du matin. En 1971, ce programme quitte définitivement les ondes de la station, seize ans après ses débuts. Sur les stations de l’ORTF, Sim Copans, André Francis et Lucien Malson continuent de produire des émissions consacrées à ce style musical293, mais alors qu’elles étaient auparavant toutes diffusées sur France Inter, elles sont progressivement déplacées sur d’autres antennes – sur France Culture et Inter Variétés. La musique jazz s’éloigne sensiblement des stations généralistes, tout en restant diffusée à des horaires tardifs.
187Désormais, on l’a vu, la musique « pop » ou rock s’est substituée au jazz en investissant largement les émissions tardives de musique spécialisée. D’autres genres sont parfois à l’honneur, par exemple la chanson française, dans La Fine fleur de la chanson française de Luc Bérimont, diffusé une fois par semaine sur France Inter entre 23 heures et minuit, de 1961 à 1973. Il faut aussi rappeler l’importance de l’éclectisme musical et de l’ouverture à la découverte proposée par la radio de ces années-là, avec des émissions comme Le Pop Club de José Artur, ou Campus de Michel Lancelot, diffusant de la pop mais aussi du jazz, du blues, de la chanson française, et, dans le cas de Campus, de la musique classique.
188Enfin, l’émission musicale Interdanse de Jo Dona, qui diffuse des retransmissions de bals de province, se poursuit sur France Inter, toujours diffusée dans la nuit du samedi au dimanche. Elle est devenue une institution symbolisant un certain patrimoine, une mise en valeur de la France rurale ou des petites villes de province. Un reportage de Micros et Caméras de 1970 est consacré à ce programme294, qui semble déjà désuet pour l’époque.
Le Pop Club de José Artur, symbole du renouveau de la nuit radiophonique ?
189Comme on l’a vu au fil de ce chapitre, à partir du milieu des années 1960, la radio nocturne se transforme progressivement, tant sur le fond que sur le plan de la dramaturgie.
190Pour clore l’exploration de la décennie 1965-1975, nous proposons de nous arrêter plus particulièrement sur l’exemple du Pop Club de José Artur, programme qui constitue une sorte de symbole du renouveau et joue un rôle fondateur dans la transfiguration de cette nuit radiophonique. Si José Artur sera présent au micro de nuit de France Inter tous les soirs de la semaine durant quarante ans, entre 1965 et 2005, l’analyse qui suit se focalise sur les dix premières années de l’émission, afin de dégager les éléments fondateurs caractéristiques d’un programme qui influencera le paysage audiovisuel.
191Malheureusement, les archives sonores des vingt premières années du Pop Club ont été très mal conservées. Seules sept émissions sont archivées et renseignées dans les bases de données de l’InaTHÈQUE entre 1965 et 1975, certaines n’étant en réalité pas écoutables, d’autres étant seulement en partie conservées. Ce sont le plus souvent des émissions spéciales, organisées à l’occasion d’événements ou d’invités particuliers, en dehors des studios habituels. Ces quelques sources disponibles permettent tout de même d’analyser ce programme à partir de la matière première sonore. En particulier, l’archive du 15 octobre 1970 servira d’émission-type, car elle est conservée dans son intégralité et semble correspondre au schéma d’un Pop Club classique : elle a lieu dans le studio habituel et ne célèbre pas d’événement particulier.
Un style d’émission décontractée construit autour de la personnalité de José Artur
Une émission en public depuis le « Bar noir » de la Maison de l’ORTF
192 Le Pop Club est diffusé tous les soirs de la semaine, entre 22 heures et une heure du matin, à partir du mois d’octobre 1965. Il s’agit d’une longue émission de trois heures jusqu’en 1973, mais dont les horaires varieront parfois légèrement295. Contrairement aux émissions traditionnelles qui ont lieu dans des studios de radio, Le Pop Club se déroule dans un bar, lieu symbolique de la vie nocturne en général, précisément le Bar noir de la maison de l’ORTF, ou bar du Ranelagh, géré par la compagnie des wagons-lits. À partir de la rentrée 1965, chaque soir de la semaine, des personnalités s’installent sur les banquettes en skaï pour répondre aux questions de l’animateur trublion, dans « un décor de brasserie de gare confortable, impersonnel et froid. Tout de cuivre, de verre et de moleskine noire296 ». Les invités peuvent consommer de l’alcool tout en participant à l’émission. Si rien n’empêche ce type de pratiques ailleurs, y compris à la télévision, le cadre dans lequel se déroule Le Pop Club est relativement inédit. Dans un reportage TV de décembre 1965 présentant l’émission encore récente, José Artur insiste sur la liberté permise par le dispositif : « C’est très agréable parce qu’on peut fumer, on peut boire, on peut parler, on peut dire ce qu’on pense297. »
193Sur les ondes, José Artur se plaît à décrire son studio-club ainsi que les individus qui le peuplent, en enjolivant parfois la réalité, afin d’exciter l’imagination de ses auditeurs. Ainsi prétend-il, par exemple, qu’il y a au Bar noir des « laquais à la française », et des « candélabres en argent298 ». Il a conscience du pouvoir que la radio peut avoir sur l’imaginaire, se plaisant d’ailleurs à dire que « la radio, c’est la télévision perfectionnée », car, à la radio, « on a réussi à supprimer l’image299 ».
194Le Bar Noir devient ainsi un rendez-vous de la vie nocturne parisienne, car Le Pop Club est ouvert au public, auditeurs parisiens ou de passage à Paris, noctambules ou simples curieux. L’affluence est très vite importante300. José Artur apprécie la présence complice de ce public qui change toutes les nuits : « ce public est pour moi le mur intelligent qui fait rebondir la balle301 ». Tous les soirs, en début d’émission, l’animateur ne manque pas de rappeler l’adresse du studio-bar, invitant ainsi les auditeurs à le rejoindre. En fond sonore, les auditeurs qui écoutent Le Pop Club sur les ondes entendent la rumeur sourde d’un bar et des conversations, des éclats de voix, des tintements de verre, ou encore le bruit d’une bouteille de champagne qu’on débouche. La vie nocturne parisienne pénètre ainsi dans l’intimité et le silence des foyers.
195Parfois, le bruit de fond causé par les visiteurs est tel que José Artur doit intervenir pour réclamer le silence du public302. D’un autre côté, il n’est pas rare que José Artur tende son micro à un spectateur, ces anonymes qu’il juge intéressants303. Le Pop Club, ainsi ouvert au public, connaît parfois des incidents. Un soir, un membre du SAC (Service d’action civique)304, présent au Bar noir armé d’un pistolet et d’un poignard, menace de tuer tout le monde305. Une autre fois, deux musiciens provoquent une bagarre générale306.
196Avec cette émission, la Maison de l’ORTF s’ouvre en tout cas au monde de la nuit, celui des travailleurs nocturnes, mais surtout celui des artistes et des noctambules.
Une émission itinérante, qui suit et crée l’événement
197Si Le Pop Club a lieu tous les soirs depuis le Bar noir, il devient un programme itinérant dès 1966, en particulier l’été, s’installant à Cannes ou dans d’autres stations balnéaires307, et voyageant aussi à l’étranger. Dans les années 1960, José Artur anime notamment l’émission depuis le paquebot France duquel il est directeur artistique308. Des émissions ont aussi lieu depuis New York, Montréal, Hong-Kong, Rabat, Londres, Dublin…
198Au début de l’année 1970, José Artur présente un Pop Club en direct de Floride, où il assiste au lancement d’Apollo XIV, puis de Houston, dans le hall qui jouxte la salle de contrôle de la Nasa, avant de se rendre à Dakar puis à Abidjan, afin de diffuser un Pop Club dans chacune des villes du voyage présidentiel de Georges Pompidou en Afrique309. Claude Villers, qui réalise alors Le Pop Club, se souvient de duplex révolutionnaires : « Pour la première fois, on entendait des gens en VO sur les ondes310 ! »
199Lorsque Le Pop Club n’a pas lieu dans le Bar noir, José Artur ne manque pas de décrire l’endroit où il est accueilli de manière détaillée. Ce nomadisme permet de « faire voyager » l’auditeur. À la différence des émissions de Pizella, ce voyage ne passe pas par un récit pré-écrit ou une mise en scène, mais par la retransmission commentée et simultanée des événements, qu’il s’agit de faire vivre en direct aux auditeurs.
Une vitrine de la vie nocturne
200 Le Pop Club devient une vitrine de la vie nocturne et José Artur transmet à travers les ondes les ambiances dans lesquelles il se trouve. En 1969, il anime une émission en direct du Club L’Alcazar311 à l’occasion des 70 ans du chanteur Duke Ellington. Dès sa première intervention au micro, il présente le club et la place qu’il y occupe, il décrit aussi la décoration et les tenues des différents invités312. Grâce à ces descriptions, l’auditeur de province ou de l’étranger peut imaginer l’espace, se figurer ce lieu du Paris nocturne. Exceptionnellement, cette nuit-là, l’émission dure jusqu’à 3 heures du matin. Lorsque José Artur rend l’antenne au milieu de la nuit, à la fin du concert, il fait part de l’atmosphère de fin de fête qui règne dans le cabaret :
« Duke Ellington s’en va, quitte la scène en prenant son Jéroboam de champagne, un Magnum de whisky, une gerbe de roses, des confettis dans les cheveux, des banderoles partout, un cigare… […] La soirée de L’Alcazar se termine, tout le monde se lève, mais tout doucement, c’est-à-dire comme à regret, comme dans les salles de spectacle où il y a eu une très bonne pièce et où on reste assis en applaudissant313. »
201José Artur se souviendra d’ailleurs de cette soirée comme « l’une des plus belles affiches du Pop Club314 », avec aux côtés de Duke Ellington notamment Maurice Chevalier et Salvador Dali, dans une « forme éblouissante315 ».
202José Artur réalise des émissions depuis d’autres lieux nocturnes, par exemple La Taverne de l’Olympia ou le club de jazz Le Bilboquet, à Saint-Germain-des-Prés. Il devient même directeur de ce lieu en 1970. Chaque soir, après le Pop, il poursuit la nuit ici : José Artur est un véritable noctambule.
203 Le Pop Club est une émission festive, et la consommation d’alcool fait partie inhérente de ce monde nocturne. José Artur ne manque pas d’y faire référence, même s’il n’en consomme personnellement que très peu316. En 1971, des journalistes constatent la consommation de l’animateur :
« Une bouteille d’alcool blanc dont il se verse des rasades d’autant plus généreuses qu’il vient du robinet du Bar Noir. Sirotant son eau pure317, […]. »
204Toutefois, José Artur éprouve une forme de fascination pour les personnalités très portées sur la bouteille qu’il reçoit ou qu’il côtoie318, et il n’est pas rare que les invités du Pop Club soient éméchés au micro, vu l’heure de diffusion et le contexte. Les personnalités peuvent boire pendant l’émission, mais elles ont aussi plus de chances de rejoindre le studio en ayant déjà bu. Par exemple, en 1971, Romy Schneider et Claude Sautet arrivent au Pop Club en retard, aux alentours de minuit et demi, après avoir fêté la sortie de Max et les ferrailleurs avec l’équipe du film. Des journalistes présents ce soir-là laissent entendre, à demi-mot, l’état alcoolisé de Romy Schneider (fig. 5) :
« Rien de plus charmant, de moins star et d’aussi “relax” que Romy Schneider en ensemble de pantalon de velours aubergine, venant de fêter sans lésiner, avec Claude Sautet, la sortie de “Max” et promenant sur les hôtes du Bar Noir un immense regard bleu un peu incertain. José Artur en obtient quelques propos cohérents et enthousiastes sur son rôle319… »
Le style original du « Roi Artur » : Improvisation, décontraction, bavardages et impertinence
205José Artur, né en 1927, est comédien de formation. À la radio, il a commencé par s’occuper de la distribution des comédiens pour les dramatiques, avant de jouer lui-même pour les ondes, puis d’animer des émissions. La radio l’intimide moins que les planches320. De fait, José Artur est un animateur bavard, blagueur et impertinent. Quand il commence à animer Le Pop Club, il a 38 ans et n’est donc pas inconnu des auditeurs de France Inter.
Fig. 5. – José Artur, Claude Sautet et Romy Schneider au Pop Club, 1971.

Source : « France Inter 24 heures sur 24. La ronde des ondes », Micros et Caméras, no 41, mars-avril 1971, p. 18.
• Un style naturel, bavard et spontané
206José Artur affirme fièrement que ses émissions ne sont pas calibrées ni écrites à l’avance : l’improvisation y occupe une place centrale. Si des séquences sont plus ou moins prévues, il n’y a pas de conducteur avec un minutage précis à respecter – seuls des disques à diffuser ont été sélectionnés par le programmateur. Contrairement à la majorité de ses collègues de l’époque, Artur n’écrit pas ses textes mais se laisse aller au gré de la conversation et de son ressenti321.
207Il affirme mener ses interviews d’une façon naturelle, suivant les conseils du comédien Louis Jouvet qui lui aurait un jour recommandé de ne jamais essayer de modifier sa voix322. Il ne cherche vraisemblablement pas non plus à transformer son vocabulaire. En réalité, en tant qu’ancien comédien, il semble sans cesse en train de jouer un rôle, modulant le ton de sa voix, incarnant tour à tour des personnages.
208Pour les parties d’interviews, les choses sont assez libres. Quand, en 1970, par exemple, il accueille le musicien et chanteur de blues Memphis Slim, il interpelle à l’antenne son collaborateur Patrice Blanc-Francard en lui demandant : « Qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on lui pose des questions ? Est-ce qu’on le décrit d’abord323 ? » Souvent, il aborde ses invités avec la même première question – « comment vous appelez-vous ? » –, avant d’entamer la discussion. Dans la forme, les interviews qu’il mène s’apparentent à des dialogues de la vie de tous les jours.
209José Artur a l’art de la répartie, répondant du tac-au-tac et n’hésitant pas à couper la parole à ses invités. C’est d’ailleurs un incorrigible bavard, et, même s’il se qualifie de « bavard qui sait écouter324 », il prend souvent beaucoup de place au micro. Par exemple, dans une interview de 18 minutes d’un membre de la rédaction d’un nouveau magazine, l’invité – Dino Graziani – ne parle que pendant 3 minutes 45, soit 15 % du temps seulement, contre 85 % pour José Artur325. José Artur parle donc souvent pour deux, ce qu’il reconnaît : « Le principe de l’émission est très simple : réussir à me couper la parole326. » Il se vante lui-même d’avoir inventé « l’interview monologue », et nombreux sont ceux qui lui reprochent de trop parler. L’explorateur Paul-Émile Victor quitte par exemple l’émission fâché, parce que José Artur ne l’a pas laissé en placer une327. Certains auditeurs reprochent aussi à l’animateur de prendre trop de place, tel Pierre, élève de Terminale et fervent adepte de l’émission, qui écrit à José Artur en 1968 : « José, vous parlez trop, tout le monde vous le dit, faites donc quelque chose328. »
210Mais si Artur est un grand bavard, il sait aussi parfois prendre le temps d’écouter, et de poser les questions qui vont amener son interlocuteur à se confier. Par exemple, en septembre 1972, il fait parler Georges Brassens de son enfance durant quelques instants, ce dont ce dernier ne parle pas souvent329. La nuit du Pop Club peut donc être propice à l’intimité, José Artur jouant le rôle de confident des vedettes, se définissant lui-même comme un « accoucheur », dont le rôle consiste à « faire raconter n’importe quoi à n’importe qui sans que l’interviewé soit gêné ou terrorisé330 ». En 1974, près de dix ans après la création de l’émission, un journaliste de Télérama considère, en effet, que José Artur a un don pour faire parler ses invités :
« José Artur a ce double-don assez rare de savoir, à la fois, bien parler lorsque les interviewés n’ont rien à dire, et bien écouter et faire parler ceux qui ont quelque chose à dire331. »
211Artur semble ainsi s’inscrire dans la tradition des émissions diffusées à des heures tardives durant les années 1950, qui se posaient comme mission de faire se confesser les vedettes – Qui êtes-vous ? et La Parole est à la nuit.
212Mais José Artur a vraiment inventé un style d’interviews, avec un ton personnel, spontané et naturel. S’il se passe quelque chose d’imprévu au cours de l’émission, il n’hésite pas à en faire part à ses auditeurs, il « tient toujours à expliquer ce qu’il se passe332 ». Il rend ainsi les auditeurs complices, leur révélant quelques secrets de fabrication, y compris au sujet d’incidents techniques. Par ailleurs, ses propos semblent toujours un peu décousus, diverses idées et digressions se superposant pour former des phrases à rallonge. José Artur contribue ainsi à créer une atmosphère détendue et décontracté, avec un ton spontané qui contraste, dans les premières années du Pop Club, avec les émissions radiophoniques dont les interventions sont souvent encore très lues et cadrées.
• Impertinences et provocation
213José Artur n’est pas du genre à flatter ses invités, il n’hésite pas à dire ce qu’il pense, à faire preuve d’ironie et d’humour mordant. Il l’affirme :
« Je ne crois pas à la théorie qui consiste à vouloir faire de l’animateur une machine à dire les titres des disques. Il est là pour donner son avis, prendre position, plaire ou déplaire – pour exister avec son auditoire333. »
214Doté d’une forte personnalité, il n’hésite pas à faire part de ses goûts et opinions et ne ménage pas les vedettes à son micro sous prétexte qu’elles sont célèbres. Il affirme préférer dire qu’il n’a pas apprécié telle ou telle œuvre plutôt que d’en faire la promotion à contrecœur, essayant, « dans ce métier où on n’est pas toujours sincère, […] d’être un tout petit peu moins menteur que les autres334 ».
215Si ce style lui vaut une réputation d’impertinent, son attitude n’est ni nouvelle ni révolutionnaire. André Gillois et ses comparses, par exemple, se prêtaient déjà à ce genre de pratiques dans Qui êtes-vous ? De fait, depuis lors, les personnalités étaient peut-être remontées sur un piédestal, mais José Artur s’amuse à les en faire redescendre335. Les invités du Pop Club ont donc plutôt intérêt à jouer le jeu, à mettre leur orgueil de côté et à faire preuve d’autodérision ou de second degré. En 1971, un jeune explorateur inconnu du grand public est invité au Pop Club. Des journalistes présents ce soir-là commentent son attitude ainsi : « Bonne contenance de Le Cellier qui joue le jeu sans chichis336. » Les interviews de José Artur sont un jeu dont les règles sont établies à l’avance, et les invités savent que son émission constitue une sorte d’arène médiatique, puisqu’il a la réputation de n’épargner personne.
216Lorsque José Artur est interviewé par des confrères, il est souvent interpellé sur sa « méchanceté » au micro. Jacques Chancel, qui le reçoit en 1969 dans Radioscopie, lui demande pourquoi il « [se force] sans arrêt à être méchant ». Pour Artur, il ne s’agit pas de méchanceté, mais de la nécessité de bousculer les gens « qui s’endorment toute la journée dans une sorte de confort337 ». José Artur bouleverse les codes, soufflant un vent d’anticonformisme sur les ondes radiophoniques des années 1960, et cultivant son impertinence. Provocateur, il ne fait pas semblant d’aimer tout le monde et il est fier de ne pas être aimé de tous. Il le rappelle régulièrement au cours de l’émission.
217En plus d’être bavard, José Artur est un infatigable plaisantin, adepte de bons mots. Il ne se gêne pas pour faire des blagues provocatrices, tout étant prétexte, à ses yeux, à faire rire l’auditoire. Il n’hésite pas, par exemple, à ironiser sur la corpulence de Beryl Bryden, chanteuse de blues qu’il interviewe338. En 1966, un article de Paris-Jour estime que Le Pop Club est « l’émission la plus osée de l’ORTF339 ». Mais si José Artur revendique un style décontracté, il refuse de tutoyer ses interlocuteurs à l’antenne, même avec ses collaborateurs ou amis proches qu’il reçoit parfois au micro340, sauf si cela paraît vraiment naturel. Par ailleurs, en dépit d’une simplicité de ton, il glisse dans ses propos de multiples références littéraires. Sa culture générale, bien qu’acquise sur le tard341, lui permet de citer de mémoire des vers de théâtre ou de poésie.
• L’équipe du « Roi Artur » et la convivialité
218Si José Artur dispose d’un imposant carnet d’adresses, de réels talents d’intervieweur, d’une vive répartie et d’un franc-parler hors-pair, il n’est pas seul à fabriquer l’émission. Il est entouré de programmateurs musicaux et d’assistants. Cet entourage, il le dira lui-même, lui est indispensable : « Je me compare toujours en riant à Louis XIV, qui ne connaissait rien aux forteresses ni aux jardins, mais qui savait s’entourer342. »
219 Le Pop Club constitue même une sorte d’école de radio, grâce à la grande liberté qu’accorde Artur à ses équipes343, plusieurs de ses collaborateurs deviendront même par la suite directeurs de France Inter, comme Pierre Wiehn, ou Ève Ruggieri. José Artur est également entouré de chroniqueurs qui viennent proposer des critiques à l’antenne, à chaud, à la sortie des spectacles ou des séances de cinéma : Paul-Louis Mignon pour le théâtre, et Monique Berger pour le cinéma. L’ambiance entre les collaborateurs du Pop Club est conviviale, ce qui se ressent à l’antenne.
Un contenu inédit : le rendez-vous nocturne des vedettes, de l’avant-garde musicale et de la liberté
Les invités du Pop Club : un impossible inventaire ?
220Il est impossible d’avoir une liste détaillée des invités de la première période du Pop Club, parce que très peu d’émissions ont été conservées, mais aussi parce que le producteur a fait le choix de ne pas annoncer à l’avance les invités prévus :
« Nous travaillons dans la matière vivante, […] nous ne sommes pas des épiciers, avec des boîtes de conserve, quand nous avons une visite annoncée, je la garde pour moi. Parce qu’il y a des choses très désagréables, c’est de dire, comme quelques confrères […], “ce soir nous avons Machin !”, et boum un bide, Machin vient pas ! Moi je préfère attendre que Machin soit là344. »
221Si José Artur et ses assistants lancent des invitations, ils gardent en tête que tout peut se produire. Passé 22 heures, il est implicitement admis que les choses sont plus floues, moins cadrées. José Artur remercie généralement les invités d’avoir tenu parole et d’être venus, comme si, à cette heure-là, on ne pouvait que donner des promesses, sans s’engager complètement. La nuit appartient en effet au domaine de l’imprévisible et de l’inattendu, et cela, José Artur l’a bien en tête.
222Avec Le Pop Club, Artur laisse libre cours à son imagination et à son envie de supprimer les « cloisons étanches345 » qui, jusqu’ici, compartimentent les programmes radiophoniques et les médias en général. Il est l’un des premiers à le faire, en choisissant de mêler l’intellectuel et le populaire, l’homme de théâtre et le chanteur de variété, le philosophe et l’acteur de cinéma. L’objectif est de « créer un climat, provoquer des rencontres346 ». En 1974, Rock & Folk qualifie Le Pop Club de « fourre-tout de luxe347 ».
223La première du Pop a lieu le 4 octobre 1965. Les invités sont le cinéaste Fritz Lang, le directeur des programmes d’Europe no 1 Lucien Morisse, le sculpteur Ossip Zadkine, ainsi que les chanteurs Françoise Hardy et Johnny Hallyday. Le cinéma, les arts plastiques, la chanson française et le monde des médias se trouvent représentés dans le spectre des invités348. À l’Ina, la première archive conservée du Pop date du 14 mai 1968, en plein cœur des événements de Mai. Il s’agit d’une émission spéciale qui a lieu depuis l’imprimerie Draeger à Montrouge, à l’occasion de la sortie d’un livre sur Dali349. Durant ces trois heures de programmes, entre des disques, dont certaines nouveautés pop, José Artur dialogue successivement au micro avec Charles Draeger, directeur de l’imprimerie, une strip-teaseuse masquée, Salvador Dali, Doris, mannequin qui pose pour des peintres, l’écrivain surréaliste et prix Goncourt André Pieyre de Mandiargue, et le conservateur en chef du château de Versailles. Pour finir, des musiciens espagnols, dont Paco Ibañez, viennent chanter et jouer en direct. Un certain mélange des genres s’impose, même si, au fond, ces personnalités semblent toutes appartenir au monde des artistes ou à celui de l’univers intellectuel parisien.
224Parfois, Le Pop Club donne lieu à des rencontres étonnantes. Un soir, par exemple, Johnny Hallyday, Sylvie Vartan et Léo Ferré sont tous les trois présents. Léo Ferré et Johnny Hallyday se rencontrent pour la première fois. Ce dernier, intimidé, appelle Léo Ferré toute la soirée Ferrat350. D’autres fois, ces rencontres entraînent quelques accrochages en direct au micro, notamment entre le dessinateur Roland Topor et le caricaturiste Jacques Faizant, le premier lançant au second : « Je déteste ce que vous faîtes, […] ça me fait gerber351. » Un autre soir, le cinéaste Roger Vadim s’entretient de manière houleuse avec Marthe Richard au sujet de la loi de fermeture des maisons closes de 1946, qui porte son nom, Vadim lui reprochant vivement d’avoir « fait fermer » ces établissements352.
225Chanteurs, comédiens, écrivains, metteurs en scène, musiciens, hommes de cirque, explorateurs, sportifs… tout le monde, ou presque353, est invité au Pop Club. José Artur, lorsqu’il n’est pas déjà ami avec ceux qu’il reçoit dans son club nocturne – il est notamment un intime du couple Montand-Signoret – sait généralement se faire apprécier des personnalités qui participent à son émission354. En dehors de quelques récalcitrants, comme Mireille Matthieu, ou Luis Mariano, tous deux blessés par son humour, José Artur sait généralement mettre à l’aise ses invités. Il affirme que l’un de ses secrets est de « laisser croire à son interlocuteur qu’il est la personne la plus importante de [son] univers355 ». Contrairement à ce qu’il revendique, José Artur n’est donc pas toujours sincère.
226Le club nocturne de José Artur est devenu un rendez-vous prisé du monde artistique parisien, dans lequel il est bon d’être vu et entendu. Le 10 juin 1970, José Artur fête la « 1212e » du Pop Club, autrement dit les cinq ans de l’émission. Pour l’occasion, le Pop a lieu à bord d’un bateau à quai au Pont de l’Alma à Paris. Pour cette soirée, l’animateur a adressé des invitations sous forme de faux billets de banque à son effigie. José Artur est entouré là encore de Françoise Hardy et Johnny Hallyday, mais aussi de l’animateur Jacques Martin, du producteur de musique Eddie Barclay, des comédiens Darry Cowl et Paul Meurisse, du réalisateur Costa-Gavras, ainsi que de l’homme politique grec en exil Konstantinos Karamanlis356.
227En 1972, tandis que José Artur célèbre sa 2000e émission, un article de France Soir insiste sur le succès du Pop Club : « au début, [les] assistants passaient leurs journées à la quête d’invités ; désormais, leur travail consiste à faire barrage à l’afflux de propositions357 ». Selon Le Parisien, José Artur « tient le tout Paris en laisse358 », son émission étant devenue une sorte de passage obligé du monde des artistes et des oiseaux de nuit.
228José Artur reçoit beaucoup de célébrités mais invite aussi au Pop des personnes inconnues, soit parce qu’elles démarrent une carrière artistique et qu’il souhaite les soutenir, soit parce qu’il estime qu’elles ont des choses à dire359. Il se vante d’ailleurs de ne recevoir que des invités amis ou appréciés. Si cette affirmation est exagérée, surtout le temps passant, il est vrai qu’Artur refuse de recevoir certaines personnes – notamment les chanteurs Mireille Mathieu, Sheila et Luis Mariano360. José Artur entretient une image de snob, qu’il revendique. Par ailleurs il se plaît à dire, de manière amusée, qu’il attire à son micro des individus un peu déséquilibrés, parmi lesquels des poètes, une voyante, des peintres, une exhibitionniste361…
Un Club d’amateurs de musique « pop » au rayonnement international
229Si José Artur reçoit plusieurs personnalités chaque soir à son micro, l’émission est en réalité d’abord et avant tout musicale. Le programme du 15 octobre 1970, qui constitue un modèle type d’émission, le prouve. En effet, sur 155 minutes, 110 sont occupées par la musique, soit 70 % du temps, contre 45 minutes par le reste. Les bavardages de l’animateur avec ses invités occupent à peine plus d’un quart de l’émission totale, même si c’est durant la première heure, entre 22 heures et 23 heures, qu’est diffusé l’essentiel de la musique.
• Les nouveautés des disques pop
230Si l’émission se cherche d’un point de vue musical pendant quelques mois, diffusant essentiellement du jazz362, Pierre Lattès363 donne au Pop Club son identité. Intégrant l’équipe de l’émission en mai 1966, il apporte au programme la musique pop venant d’Angleterre et des États-Unis, en développant des systèmes pour faire venir des disques non importés sur le territoire. Il intervient aussi à l’antenne pour présenter les artistes, les morceaux, et pour interviewer les musiciens. Le jeune Claude Villers réalise l’émission et deux autres spécialistes de musique assistent l’animateur-producteur : Patrice Blanc-Francard, puis Bernard Lenoir364.
231Dans les premiers temps de l’émission, les collaborateurs du Pop Club se rendent régulièrement à Londres, puis, au bout de quelques mois, la renommée internationale de l’émission est telle qu’ils n’ont plus besoin de se déplacer, les disques leur parvenant directement, en grande quantité365.
232José Artur ne s’occupe pas de la programmation musicale, il reconnaît lui-même que ce n’est pas son fort366. Certains le soupçonnent même de ne pas apprécier la musique pop qu’il diffuse367, mais il défend toujours cette particularité de l’émission, tandis que de nombreuses voix s’élèvent régulièrement pour critiquer une programmation jugée trop anglo-saxonne368.
233Si Le Pop Club a des détracteurs, notamment en France, l’émission connaît un succès qui dépasse largement les frontières, du fait même de sa programmation : elle constitue une vitrine de l’avant-garde musicale. Jusqu’à l’arrivée de Campus en 1968 sur Europe no 1, l’émission est la seule du paysage radiophonique français à proposer une telle programmation, mais elle n’a pas non plus d’équivalent en Europe. Elle est à la pointe en termes de nouveautés rock, certains disques programmés ne peuvent être entendus nulle part ailleurs. Régulièrement, l’émission diffuse des titres en avant-première, plusieurs semaines avant la sortie d’un disque. C’est le cas pour le groupe King Crimson en 1969, par exemple, selon la lettre d’un auditeur allemand, mordu de musique et de l’émission :
« La plus grosse sensation de l’émission, en 1969, c’est quand vous avez joué 21 st Century Schizoid Man, de King Crimson. J’ai beaucoup aimé cette chanson et j’ai demandé à un disc-jockey très connu à Berlin son opinion sur King Crimson. Lui et toutes les autres personnes à qui j’ai posé la question n’avaient rien à dire sur ce groupe, parce qu’ils ne le connaissaient pas. Le premier disque du fantastique King Crimson est sorti cinq semaines après la première diffusion de 21st Century Schizoid man dans le Pop Club ! Félicitations ! ! ! […] Si quelqu’un me demande conseil pour écouter une bonne émission de musique à Berlin, je ne peux que répondre… France Inter, Le Pop Club de José Artur369 ! »
234Les amateurs européens de pop et de rock se branchent sur Le Pop Club, comme en témoigne la provenance variée du courrier reçu par José Artur. En 1971, Pierre Lattès indique que le programme est conçu comme une émission d’information musicale, un endroit où les auditeurs doivent pouvoir entendre « tout ce qui se passe dans le domaine du rock, de la pop music, du jazz, et du blues370 ».
235À partir de 1966, l’équipe de l’émission choisit chaque semaine son « disque pop », diffusé au début de chaque heure d’émission371, soit trois fois par soir et quinze fois par semaine, ce qui constitue une très bonne publicité pour le disque en question372.
236À partir du milieu des années 1960, les musiciens pop enregistrent des morceaux de plus en plus de longs, rompant avec le format standard des singles 45 tours, qui ne peuvent contenir que trois minutes par face. Ces longs enregistrements ne sortent pas en single – ils sont seulement pressés sur albums 33 tours373 –, mais l’équipe du Pop Club n’hésite pas à programmer ces titres, au format inhabituel. Par exemple, dans le Pop du 15 octobre 1970, trois morceaux de plus de sept minutes sont diffusés : May Blitz, Smoking the day away ; Rolling Stones, You can’t always get what you want ; et Ten Years after, Love like a man. Par ailleurs, plusieurs disques peuvent s’enchaîner sans commentaire, comme l’explique José Artur en 1973 :
« Programmer vingt minutes de musique ininterrompue passait pour du je-m’enfoutisme ou de l’aberration il y a huit ans. Aujourd’hui, il est courant au Pop de coller quatre disques à la file374. »
237Avant d’être une tribune mondaine de l’actualité culturelle et parisienne, Le Pop Club des premières années est donc avant tout une émission musicale, et les indicatifs de l’émission sont importants. Durant la première année, le générique est d’abord un morceau de Georges Gershwin375, puis, en 1966, un indicatif particulier est composé par Claude Bolling376 et interprété langoureusement par le groupe Les Parisiennes, jeunes femmes à la voix mutine : « 24h sur 24, la vie serait bien dure, si l’on n’avait pas Le Pop Club, avec José Artur… ».
238En 1969, tandis que Le Pop Club est décalé d’une demi-heure, désormais diffusé entre 22 h 30 et 1 h 30, un nouvel indicatif est mis en place : Polytopes, de Iannis Xenakis377. L’année suivante, en 1970, Serge Gainsbourg compose la musique d’un nouveau générique, qu’il interprète avec Jane Birkin, cette dernière ne faisant que prononcer « José Artur » d’une voix langoureuse :
« Serge Gainsbourg : Pour oublier le passé, le futur/Voici le Pop Club de…
Jane Birkin (susurrant) : José Artur
S. G. : Pour celle qui a une déchirure/Au cœur, voici le Pop Club de…
J. B. : José Artur
S. G. : Allonge-toi dans la fourrure/Écoute le Pop Club de…
J. B. : José Artur378… »
• La musique en direct
239En plus des diffusions de disques, des musiciens français et étrangers se succèdent au micro du studio-bar du Pop Club, pour jouer et chanter des titres en direct. Cette musique-là n’est pas nécessairement « pop ». Le 14 mai 1968, par exemple, le guitariste et chanteur espagnol Paco Ibañez379 vient interpréter une chanson, qu’il dédie aux étudiants de Mai380. Il est venu accompagné de deux musiciens catalans – Guillermina Motta et Xavier Ribalta –, inconnus en France. Guillermina Motta interprète une chanson en hommage à Ernesto Che Guevara, qu’elle ne peut pas chanter en Espagne à cause de la censure du régime franquiste381. Certains artistes inconnus font ainsi leur premier passage radio dans Le Pop Club, c’était le cas également pour Paco Ibañez ou Robert Charlebois382.
240D’autres fois, des musiciens bien installés se produisent au Bar noir. En 1970, le chanteur de blues américain Memphis Slim interprète deux morceaux au piano, dont le standard Everyday I have the blues, sous les applaudissements des auditeurs présents. Il arrive également que des artistes choisissent le Pop pour interpréter des morceaux inédits. En 1972, Georges Brassens joue par exemple plusieurs nouvelles chansons en direct du Pop Club383, dans une atmosphère décontractée, José Artur s’improvisant pupitre afin de tenir les paroles d’un texte que Brassens ne maîtrise pas encore384. Les auditeurs du Pop ont ainsi la chance de découvrir avant tout le monde, et dans la nuit, quatre nouvelles chansons d’un des plus célèbres chanteurs français (fig. 6).
241D’autres artistes viennent chanter leurs titres en avant-première au Pop, parmi lesquels Barbara, Serge Reggiani, ou Maxime Le Forestier385, et plusieurs sont de vrais habitués de l’émission, comme Léo Ferré ou Serge Gainsbourg.
242À partir de l’explosion de la musique pop en France, l’émission s’ouvre aussi à de jeunes groupes hexagonaux : elle en reçoit un chaque mardi en 1970386. Par ailleurs, à l’image de Campus, Le Pop Club se déplace dans les festivals pop ou des salles de concert. Par exemple, en 1970, l’émission a lieu en direct du festival de musique pop à Montreux en Suisse387, donnant à entendre les retransmissions des concerts rock de Golden Earring388 et Johnny Winter389. Depuis leur chambre d’adolescent ou leur camion, les auditeurs peuvent ainsi suivre ces événements grâce à la radio, les « vivre » à distance. Toutefois, à partir de 1973, Le Pop Club abandonne le créneau de la musique pop, et ne dure plus que deux heures de temps (23 heures – 1 heure du matin). Si la musique conserve au Pop Club une place de choix, le programme tendra à devenir davantage connu pour ses interviews que pour sa dimension musicale.
Fig. 6. – José Artur servant de pupitre à Georges Brassens, 28 septembre 1972.

Source : José Artur, Au Plaisir des autres, op. cit. Auteur inconnu.
Le Pop Club, haut lieu de la liberté ?
243 Le Pop Club est une tribune de l’anticonformisme, qui semble jouir d’une liberté inédite pour une émission de radio du milieu des années 1960, cette liberté étant permise par son horaire de diffusion tardif. Formellement, on l’a vu, José Artur et ses collaborateurs utilisent un ton rieur et décontracté. Durant les premières années, les équipes de l’émission regorgent d’imagination pour inventer des concepts de programmes originaux. Un soir, par exemple, ils installent des tipis autour de la Maison de l’ORTF, pour faire « la vallée des Peaux Rouges390 ».
244Pendant de nombreuses années, José Artur prétend ne s’imposer aucune barrière, faisant de la liberté un leitmotiv. Il n’hésite pas à s’engager, à défendre des positions, y compris politiques, dans l’émission, et il fait aussi le choix d’aborder des sujets tabous, transgressifs ou controversés, comme la peine de mort et la sexualité, prenant le parti d’en choquer certains. Mais cette liberté, revendiquée et brandie comme une marque de fabrique, se trouvera quelquefois entravée.
• Une émission engagée
245 Le Pop Club des premiers temps est une émission assez engagée, Le Monde le souligne en mars 1968 :
« En dernière heure, Le Pop Club devient une sorte de Permis la nuit391 où l’on aborde assez librement des sujets pas toujours anodins392. »
246Durant l’été 1967, par exemple, alors que le compositeur grec Mikis Theodorakis risque la prison dans son pays, en tant qu’opposant à la dictature des colonels393, le Pop diffuse très largement sa musique afin de faire parler de lui394. La même année, depuis le Paquebot France, José Artur tend son micro à un passager clandestin, apatride d’origine autrichienne, qui tente pour la troisième fois de rejoindre la France, depuis les États-Unis395.
247En mai 1968, il semblerait qu’Artur s’exprime à l’antenne pour prendre position en faveur des étudiants, puisqu’il affirme qu’on lui reprochera plus tard son attitude durant ces événements396, mais aucune archive ne permet d’entendre ces prises de position en question. Dans la seule archive conservée datant de cette époque, celle du 14 mai 1968, José Artur semble en tout cas trop obnubilé par Salvador Dali pour évoquer les événements.
248En 1970, tandis que la Black Panther Angela Davis est emprisonnée aux États-Unis en attente de jugement, accusée d’avoir organisé une prise d’otages meurtrière, mais clamant son innocence, José Artur prend clairement sa défense, avec certains de ses invités. Lors d’une émission avec Simone Signoret et Yves Montand, il laisse ce dernier lire à l’antenne la lettre ouverte qu’il a envoyée au Président Nixon, en soutien à la Black Panther397, qui risque la peine de mort. Par ailleurs, José Artur exprime régulièrement son opposition personnelle à la peine de mort dans son émission398, ce qui lui vaut certains courriers haineux399.
• Sensualité et érotisme au Pop Club
249José Artur n’hésite pas, dès les débuts de son émission, à aborder des sujets considérés comme tabous ou choquants, essentiellement concernant la sensualité, ou l’érotisme.
250Si à la télévision le « carré blanc » a été instauré en 1961 pour protéger les téléspectateurs les plus jeunes et les plus vulnérables400, il n’existe pas, à la radio, de signalétique identique pour prévenir d’un contenu possiblement choquant, notamment parce que le son est en effet moins frontal que les images. José Artur, du fait de la diffusion tardive de son émission et de l’absence d’image, sait qu’il peut prendre quelques libertés, et semble considérer minuit comme une frontière au-delà de laquelle davantage de choses peuvent être dites401.
251Il aime se livrer à des interviews suggestives et ambiguës lorsqu’il s’entretient avec des femmes. Il les interroge régulièrement sur la façon dont elles sont habillées. Parfois, certaines femmes présentes au Pop Club sont justement peu vêtues, et Artur prend plaisir à décrire pour l’auditeur aveugle la situation. Le soir de l’émission consacrée à Dali en 1968, au moins deux mannequins sont présentes, et l’une d’entre elles, masquée, ne montre que son corps. José Artur se livre à une sorte de jeu de séduction radiophonique en direct avec elle :
« J’ai à côté de moi une femme charmante […], vous êtes une fille-fleur, ce qui est très beau […]. Vous enlèverez peut-être votre masque tout à l’heure, mais je peux dire que sur un collant vous avez la signature de Salvador Dali à deux endroits, sur la hanche et sur la cuisse. […] Est-ce que vous êtes jolie ? […] Je crois que vous avez un très joli corps, j’en suis même sûr, mais est-ce que vous avez un beau visage ? […] Vous avez l’air d’avoir de belles dents, à travers de la mousseline je peux déceler de belles dents et de jolies lèvres402… »
252José Artur n’a en effet pas la possibilité de voir le visage de cette femme et se trouve dans une situation un peu similaire à celle de l’auditeur. Il s’amuse de cette analogie et flirte avec elle. Un peu plus tard dans l’émission, cette femme réalise un strip-tease, que l’animateur commente pour les auditeurs, de la malice dans la voix. L’auditeur à l’écoute du Pop Club, bien que privé d’images, a donc le loisir d’imaginer la scène. Le commentaire d’Artur reste sobre, essentiellement suggestif. Un peu plus tard encore, peu avant minuit, une autre mannequin se dévêt à son tour, et le producteur de l’émission décrit la scène :
« Il y a des gens qui ont très chaud. Les gens qui ont très chaud, ils se sont déshabillés […] jusqu’où on peut se déshabiller, mais il n’y a rien d’inconvenant, sans ça, vous me connaissez suffisamment, je ne me permettrais pas, à minuit moins cinq […] de vous dire quelque chose d’inconvenant. Tout est correct, tout est ravissant403 […]. »
253José Artur minimise l’aspect subversif de la situation et insiste avec ironie sur le sérieux de sa personnalité. À la télévision, de telles choses ne pourraient se produire. Ici, parce qu’elles ont lieu à une heure tardive, ne restent qu’imaginaires et ne sont pas décrites de manière crue mais seulement par allusions, ces scènes d’effeuillage peuvent être radiophoniques. En dehors de la présence de femmes mannequins dans l’émission, José Artur aime pratiquer le flirt à l’antenne avec des personnes du sexe opposé, que celles-ci soient des célébrités404 ou des anonymes venues assister à l’enregistrement. En décembre 1965, par exemple, il badine au micro avec une auditrice venue lui apporter un disque d’Elvis Presley405.
254Outre cette pratique d’interviews-séduction, José Artur aime parler de sensualité, jouant à exciter la curiosité et l’imagination des auditeurs avec les mots. En 1970, il reçoit l’équipe de la rédaction d’un nouveau magazine mensuel, Ambre, consacré à la sensualité et aux « choses de l’amour ». Aux côtés de Dino Graziani de la rédaction, José Artur s’amuse à feuilleter le magazine en commentant les photographies406. À cet horaire nocturne, il a la possibilité de dire, sans être censuré, ce que l’on ne peut donner à voir. Chaque auditeur peut alors se faire son cinéma, ses propres images mentales.
255José Artur aime l’idée de choquer une partie de la population. Quand il reçoit Georges Brassens en 1972, l’une des chansons inédites est Fernande. Avant de la jouer, le musicien prévient qu’elle risque d’en choquer certains, ce à quoi José Artur répond : « Tant mieux. Alors, on va essayer de choquer407. » Georges Brassens joue Fernande, dont les paroles osées (« Quand je vois Fernande, je bande, etc. ») déclenchent l’hilarité du public présent au Bar noir ce soir-là, et font répéter plusieurs fois à José Artur, amusé, « moi je trouve pas ça choquant408 ».
• Les suspensions d’antenne
256Si la liberté triomphe généralement au Pop Club, José Artur se fera parfois rappeler à l’ordre par ses différents directeurs. À diverses reprises, il est écarté de l’antenne pendant plusieurs jours. Avant Le Pop Club, il a déjà été renvoyé deux fois pour avoir passé dans son émission un disque inadéquat : d’abord pour avoir dédié La Colombe de Jacques Brel au contingent d’Algérie, puis pour avoir passé le morceau des Frères Jacques Un général à vendre juste après un discours du général de Gaulle409. Plus tard, il est renvoyé pour avoir prononcé une remarque déplacée suite à un discours de Georges Pompidou qui empiétait sur l’horaire du Pop : « C’est très bien, ce qu’il dit, c’est même intelligent et bien dit, mais enfin, entre confrères, il pourrait me prévenir410 ! »
257En 1972, José Artur se trouve écarté du micro pendant six mois. Cette fois-ci, il est accusé d’avoir fait de la publicité clandestine pour une marque de vodka, lors d’une émission réalisée depuis la Russie, précisément dans une usine de vodka411. Cette affaire a lieu justement dans une période où le Sénat et l’Assemblée nationale se penchent sur la question des publicités sur les ondes. José Artur est convoqué au Sénat et écarté de l’antenne pour six mois, tandis que seize collaborateurs de l’ORTF sont sanctionnés412. Selon Artur, cette histoire de publicité clandestine n’est qu’un prétexte pour l’écarter, car sa liberté de ton dérange la direction413. L’affaire alimente en tout cas une importante polémique.
258Le producteur est soutenu par des auditeurs, des confrères, et par une vingtaine d’artistes et d’intellectuels qui adressent une lettre ouverte au PDG de l’ORTF Jean-Jacques de Bresson414. On peut citer, parmi les signataires, les philosophes Régis Debray, Gilles Deleuze et Michel Foucault ; les écrivains Eugène Ionesco et Jorge Semprún ; le metteur en scène Jean-Louis Barrault, le comédien et chanteur Yves Montand ; ou encore l’auteur-compositeur Georges Brassens. Dans cette lettre, les signataires soutiennent Artur au nom de la défense d’une parole libre et nécessaire dans le paysage médiatique :
« Nous pensons [que] c’est à la liberté de pouvoir s’exprimer librement à l’ORTF que José Artur, finalement, faisait de la publicité caractérisée415. »
259L’existence de cette lettre démontre que l’animateur trublion de France Inter bénéficie du soutien d’une partie des intellectuels, son émission n’étant pas qu’un programme de divertissement et de variétés mondaines et nocturnes. En dépit des divers soutiens reçus, la mise à pied de six mois est maintenue.
260Pendant son absence, entre mars et septembre 1972, Le Pop Club demeure, tenu par Pierre Lattès, l’émission devient essentiellement musicale. « Le roi Artur » revient finalement à la radio en septembre 1972, suite à l’arrivée d’Arthur Conte à la présidence générale de l’ORTF416. Il reprend les rênes de son club nocturne, mais aussi d’une émission diffusée en fin d’après-midi, à 18 heures : Qu’il est doux de ne rien faire quand tout s’agite autour de vous417. Après son retour au micro en 1972, l’attitude de José Artur sera un peu moins incisive et provocatrice, et Le Pop deviendra une émission moins encline à braver les interdits. L’écoute des émissions postérieures le prouve, et certains auditeurs le lui reprochent418, mais il le reconnaît lui-même et s’en explique : « le temps qui reste est devenu trop précieux pour le perdre en vacheries419 ». L’émission devient moins anticonformiste. C’est aussi l’époque qui veut cela : Mai 68 est passé par là, Le Pop Club, comme tout ce qui participe d’une certaine avant-garde, ne pouvait pas rester éternellement « révolutionnaire ».
La réception du Pop Club
Le Pop, une publicité pour la radio 24 heures sur 24
261Avec l’apparition du Pop Club, l’importance de la radio nocturne et le caractère unique de la diffusion en continu des programmes de France Inter sont mis en avant. La personnalité de José Artur permet de faire de la publicité pour la radio nocturne.
262Dès novembre 1965, soit un mois après le début du Pop, Artur s’exprime à la télévision au sujet de l’importance de ces programmes de nuit, qui ont un premier avantage de taille : à l’heure à laquelle ils sont diffusés, il n’y a plus d’émissions télévisuelles420.
263En 1966 Claude Bolling compose le nouvel indicatif général de France Inter, 24 heures sur 24, décliné en plusieurs versions pour constituer les génériques des différentes émissions de la journée, dont celui du Pop Club, comme vu précédemment. Les paroles prônent les qualités de cette écoute en continu, à toute heure et en tous lieux, permise notamment par le transistor421 :
24 heures sur 24 : les interviews et les feuilletons, et même la météo.
On est prêtes à se battre, à faire un mauvais sort,
À qui voudrait nous séparer, de notre transistor.
24 heures sur 24, on écoute la radio, on est les premières à savoir ce qu’il y a de nouveau.
24 heures sur 24, nous on est bien d’accord,
Pour ne jamais faire un seul pas sans notre transistor.
[…]
Quelques fois les voisins, vers trois heures du matin,
Tapent au plafond ou sonnent chez nous
On leur répond en cœur, que les mauvais coucheurs
N’ont qu’à dormir ailleurs après tout.
264France Inter est alors la seule radio française qui propose des programmes en continu, et en direct. Si c’est le cas depuis 1957, c’est à partir du milieu des années 1960 que la station de l’ORTF met l’accent là-dessus, en s’en servant comme d’un argument publicitaire, à travers cet indicatif et des logos « 24 h sur 24 » spécialement conçus pour vanter les mérites d’une radio qui ne s’arrête jamais.
265En octobre 1968, Jacqueline Baudrier, adjointe au directeur de la radiodiffusion, est l’invitée d’une émission de Claude Archambault. Elle y évoque fièrement la particularité nocturne propre à France Inter, qui est la « seule radio de langue française » à fonctionner 24 heures sur 24. Elle insiste sur la diversité des auditeurs de nuit422, dont certains écoutent de l’étranger, mais aussi sur l’importance relative de cet auditoire qui équivaut, selon elle, au « tirage d’un grand journal » :
« On voit la puissance de la radio, rien que la nuit. […] Dans les heures dites creuses, les heures de nuit, où on a quand même moins d’auditeurs que pendant les heures de jour, on arrive à obtenir l’attention du tirage d’un grand journal, […] l’attention de plusieurs centaines de milliers de personnes. C’est extrêmement émouvant, quand on y songe423. »
266En 1971, un article de Micros et Caméras propose une plongée de 24 heures à l’intérieur de France Inter et de ses programmes424. Dans cette ronde de 24 heures ininterrompue, Le Pop Club constitue un rendez-vous incontournable, une étape tardive et attendue. Les journalistes chargés de ce reportage semblent prendre un plaisir tout particulier à assister à cette émission, puisque l’un d’entre eux est revenu « juste pour le plaisir425 » s’installer « sous les lumières tamisées ». José Artur constitue une sorte de mascotte de cette radio qui ne s’arrête jamais, l’hôte de charme d’un programme nocturne, symbole de la nuit parisienne.
L’influence du Pop Club
267 Le Pop Club contribue à transformer le paysage audiovisuel et à donner une autre tonalité à la nuit radiophonique, tandis que José Artur acquiert le statut de personnalité médiatique vedette, en dépit de la diffusion tardive de son programme.
• Un modèle d’émission exporté ailleurs dans les médias
268 Le Pop Club fait figure de précurseur dans le paysage audiovisuel, influençant la création de nouveaux programmes, sur les autres stations de radio, mais aussi à la télévision.
269Les radios périphériques, d’abord, s’inspirent de cette émission pour créer des rendez-vous similaires. Les programmes de Christian Barbier sur Europe no 1 ont en effet clairement été imaginés en réponse au succès du Pop Club, calqués sur ce modèle de club nocturne à l’atmosphère feutrée, dans lequel les artistes viennent discuter à la sortie des spectacles. Toutefois, la musique diffusée n’est pas particulièrement pop. Musicalement parlant, en revanche, d’autres programmes pop sont créés – d’abord Campus de Michel Lancelot, lancé en 1968 sur Europe 1, puis Périphérik, toujours sur Europe 1, créé en 1969, et dont l’animateur n’est autre que Pierre Lattès426, jusqu’ici second de José Artur au Pop427. La musique anglo-saxonne arrive aussi sur les ondes périphériques, par l’intermédiaire d’Hubert sur Europe 1, ou de Rosko sur RTL.
270 Le Pop Club a également influencé la création de programmes télévisés. D’une certaine façon, l’émission correspond au premier « talk-show » tardif. En 1967, une nouvelle émission TV est créée, qui ressemble, sous bien des aspects, au programme de José Artur : Permis la nuit, programme d’une demi-heure diffusé le vendredi soir aux alentours de minuit. Dans cette émission, les deux présentateurs Serge Lenz et François Corre reçoivent des invités du monde artistique, dans un décor de bar. Le 24 février 1967, tandis que Catherine Deneuve est invitée pour évoquer la sortie prochaine des Demoiselles de Cherbourg, le réalisateur américain Otto Preminger, un verre à la main, paraît ivre et particulièrement charmée par la comédienne. Dans une autre émission, Salvador Dali, « habitué » du Pop Club, est présent sur le plateau428.
271Comme au Pop Club, le ton de l’émission se veut libre et anticonformiste. Jacques Siclier, journaliste au Monde, salue le premier numéro :
« Permis la nuit […] apportait vendredi, aux approches de minuit, un vent d’originalité et de non-conformisme. Ses libres-propos (sur la mini-jupe, la censure, l’érotisme, les voyages, le cinéma) en direct, sont destinés, dit-on, aux couche-tard429… »
272À peine un mois plus tard, le journaliste regrette un certain assagissement du programme, en affirmant, déçu, que l’audace initiale a disparu, installant l’émission « dans un autre conformisme430 ». Cet assagissement des propos résulte sans doute de rappels à l'ordre de la hiérarchie. La dernière de Permis la nuit a lieu le 12 mai 1967, à peine trois mois après sa création : l’émission ayant fait l’objet de nombreuses protestations est en effet interdite, accusée de pornographie431. La dernière émission, traitant de sexualité et d’érotisme, témoigne d’une liberté d’expression certaine : le comédien Henri Tisot imite le général de Gaulle, le peintre Boris Vancier présente ses toiles représentant des femmes nues, en particulier leur sexe432, et l’ambassadeur de Tunisie s’exprime au sujet du contrôle des naissances et de l’interdiction du port de la minijupe dans son pays.
273 Le Pop Club a également précédé l’arrivée de la musique pop à la télévision, le premier programme pop du petit écran étant Bouton rouge433, lancé à l’automne 1967, et présentée par Pierre Lattès, programmateur musical du Pop434.
• José Artur, personnage public
274Grâce au succès du Pop Club, José Artur devient un personnage public. S’il anime le Pop tous les soirs de la semaine, il a rapidement en charge d’autres émissions, à la fois à la radio et à la télévision, tandis qu’il diversifie ses activités, recommençant notamment à jouer la comédie. Il est de plus en plus présent dans le paysage audiovisuel français, preuve de sa notoriété grandissante, et du rayonnement de son émission nocturne.
275Durant l’été 1967, tout en poursuivant Le Pop Club depuis Cannes, José Artur anime une deuxième émission quotidienne en fin d’après-midi sur France Inter : Flirtissimo. Dans ce programme de deux heures, il s’entretient avec de jeunes femmes inconnues sur la plage, allongé sur un transat. Il leur pose des questions parfois assez intimes et impudiques, et flirte avec elles au micro. L’émission déploie elle aussi une certaine liberté de ton et une audace relativement nouvelle, d’autant que l’heure de diffusion reste « grand public ». Le producteur de télévision Jean-Christophe Averty se réjouit de l’existence d’une telle émission, « un peu érotique sur les bords et légèrement olé olé435 », qui choque « toute la France réactionnaire ». Par ailleurs, il indique qu’un tel programme ne pourrait sans doute pas être diffusé à la télévision.
276En 1969, José Artur reprend, le temps d’une saison, le concept de Flirtissimo pour une émission de TSF 69 de Jean Garretto et Pierre Codou. Dans Flirt, il interviewe dorénavant des vedettes féminines. Installé dans un studio différent de la personnalité interviewée, il a pour mission de l’identifier, par le truchement de ses questions et du flirt, tandis que la voix de la célébrité est modifiée. La saison suivante, en 1970-1971, il anime tous les jours de 19 h 20 à 20 heures Qu’il est doux de ne rien faire quand tout s’agite autour de vous, programme essentiellement musical436. Dans cette émission, José Artur se veut incognito, ne se faisant pas appeler par son vrai nom mais sous l’intitulé « Monsieur Personne ». Pour autant, les auditeurs ne sont pas dupes, comme cette auditrice de Belfast qui lui écrit pour le remercier :
« Cher José Artur. Les plus agréables moments de la journée sont quand Monsieur Personne est à l’antenne entre six et sept. Ici, à cette heure, c’est l’heure du dîner, et de manger avec de si bons vieux disques, […] c’est un délice pour les oreilles437. »
277José Artur est omniprésent à l’antenne de France Inter, certains utilisent même alors l’expression « France Artur » pour qualifier France Inter438.
278En plus des émissions radiophoniques régulières que produit José Artur en parallèle du Pop Club, il participe régulièrement à d’autres émissions, de manière ponctuelle, en tant qu’animateur439, mais aussi en tant que comédien440. Les auditeurs des stations de l’ORTF peuvent donc entendre José Artur à différents horaires du jour et de la nuit, et dans plusieurs registres.
279S’il multiplie ses activités radiophoniques, il devient aussi un animateur-vedette convoité par la télévision, qu’il rejoint rapidement. Il s’occupe de séquences d’interviews dans des programmes de variétés441, puis bientôt de l’animation d’émissions complètes, des interviews feutrées, mais aussi des jeux et des télé-crochets, ou encore des programmes consacrés au théâtre442. En plus de sa présence sur le petit écran, Artur refait plusieurs apparitions au cinéma à partir de la fin des années 1960, plus de vingt ans après ses derniers films. En 1969, il a un petit rôle dans Z, de Costa-Gavras, puis, en 1973, il apparaît dans trois longs métrages : Bel ordure de Jean Marboeuf, La Main à couper d’Étienne Périer, et Un officier de police sans importance de Jean Larriaga. Cette année-là, il présente d’ailleurs la soirée de clôture du festival de Cannes443.
Les auditeurs du Pop Club
280Pour José Artur, officier à la radio la nuit correspond à une « profession de foi444 ». Selon lui, quand on est auditeur de radio, « la nuit, on ne fait pas qu’entendre, on écoute445 », parce qu’on est généralement seul, parfois même au lit. Si les auditeurs sont moins nombreux la nuit, José Artur considère qu’ils sont en revanche choisis, et il affirme fièrement faire le travail d’un « ouvrier du rêve446 ». Il se vante de ne pas être écouté par le « grand public », mais plutôt par « une catégorie spéciale447 » d’auditeurs.
• Combien d’auditeurs ? Approche quantitative
281Dans une interview menée par Jacques Chancel en 1969, José Artur affirme avoir environ 700 000 auditeurs. En 1966, un article de Paris Jour indiquait que Le Pop Club rassemblait 500 000 fidèles dès 1965, puis près d’un million en 1966448, sans que la source ne soit précisée. En fait, il est difficile d’estimer l’audience de cette émission, car les sondages réalisés alors ne vont pas au-delà de 23 h 30. En 1967, selon deux enquêtes menées par l’institut ETMAR, France Inter serait la radio la plus écoutée entre 22 heures et 22 h 30. Si 3,7 % des individus interrogés disent être à l’écoute de la radio à cet horaire-là, soit 1,2 million de personnes, 40 % d’entre eux écoutent France Inter, 35 % Europe 1, et 14 % RTL449. Entre 23 heures et 23 h 30, ils ne seraient plus que 400 000 auditeurs environ à l’écoute d’un poste de radio, dont 41 % branchés sur Europe 1, 33 % sur France Inter, et 8 % sur RTL. Aucune donnée n’a été récoltée entre 23 h 30 et 6 heures du matin.
282 Le Pop Club serait donc l’émission de radio française tardive rassemblant le plus d’auditeurs sur le territoire pendant la première heure, c’est-à-dire celle consacrée presque essentiellement aux nouveautés de la musique pop. Mais les Français ne sont pas seuls à l’écoute de ce programme, et l’écoute globale, au-delà des frontières, est impossible à évaluer. Toutefois, comme l’écrit un journaliste en 1974, « l’émission a un destin moins confidentiel que sa tranche horaire ne devrait lui réserver450 ». Au-delà des chiffres, Le Pop Club bénéficie par ailleurs d’un important succès d’image451, et son animateur reçoit un abondant courrier, qui témoigne de la pluralité des publics à l’écoute, ainsi que du rayonnement international de l’émission.
283Le succès du Pop Club s’inscrit dans un phénomène plus général de redressement de l’audience de France Inter, qui est en tête des audiences à partir de 1967. Si la station bénéficie désormais d’émetteurs particulièrement puissants, la réforme de Roland Dhordain de 1965 a porté ses fruits. Les enquêtes montrent également que le public jeune, qui abandonnait précédemment la station, écoute désormais davantage France Inter.
• Qui sont les auditeurs du Pop Club ? Approche qualitative
284Si les chiffres ne sont pas toujours parlants, on peut aussi approcher la réception de l’émission sous l’angle qualitatif, à travers le courrier des auditeurs, la presse et des témoignages d’auditeurs, trouvés sur Internet ou recueillis dans le cadre de ce travail – l’auteur d’une des lettres a même été retrouvé.
285Un bon moyen d’appréhender cette réception réside dans l’analyse du courrier d’auditeurs, même s’il est évident que ce dernier ne représente qu’une portion congrue et infime d’auditeurs, la majorité d’entre eux n’écrivant jamais. Par ailleurs, ces lettres sont parfois écrites sous le coup d’une impulsion bien particulière – la colère, la joie extrême – et ne représentent pas vraiment l’ordinaire de la réception. S’il convient de les manipuler avec toutes les précautions et le recul nécessaires452, il s’agit malgré tout d’une source précieuse.
286L’essentiel de ce courrier, José Artur l’a conservé, et minutieusement classé : lettres de sympathie voire d’amour, courriers d’insultes, poèmes, dessins, simples cartes postales ou suggestions détaillées pour améliorer l’émission. Nous avons pu consulter une petite partie de ce courrier seulement – entre 200 et 300 lettres. Il est donc impossible de faire une étude fouillée et quantitative à partir de ce corpus de lettres, très incomplet et lapidaire. José Artur classait ses courriers, mais par thèmes plutôt que par ordre chronologique. Il est ainsi difficile d’évaluer le nombre de lettres reçues, et d’observer par exemple si ce nombre a eu tendance à augmenter ou à diminuer au fil du temps. En 1974, au micro d’Yves Mourousi, le producteur du Pop Club estime recevoir chaque année deux mille lettres, réparties entre « cinq cent lettres très injurieuses, cinq cent de compliments qui vous font vraiment rougir, et mille sur une année qui vous suivent avec un intérêt, en vous faisant une critique ou un compliment453 ». Sans remettre en cause sa bonne foi, il est évidemment difficile d’infirmer ou confirmer ces chiffres.
• Le courrier des auditeurs et les témoignages, des sources sur la réception
287L’un des premiers constats que permet de dresser l’analyse du courrier des auditeurs est que la réception du Pop Club est véritablement internationale, ce qui rend d’autant plus limitatifs les sondages menés à l’échelle du pays. Parmi la petite centaine de lettres consultées pour la période qui nous occupe, une quantité non négligeable provient de l’étranger, les pays suivants ayant été répertoriés : Allemagne, Maroc, Algérie, Tchécoslovaquie, Pologne, île de Jersey, Angleterre, Irlande du Nord, Espagne, Belgique, Suède, et même Pakistan. En réalité, l’auditrice du Pakistan écoutait l’émission quand elle vivait en Suisse, mais elle écrit à José Artur en 1970 pour lui dire qu’elle a réussi à capter France Inter à Karachi, la nuit :
« Vous vous imaginez ? Paris – Pakistan (plus de 108 000 kilomètres), c’est formidable ! On ne capte aucune autre station française, seulement France Inter, vous pouvez en être fier454 ! »
288De fait, les émetteurs de France Inter sont les plus puissants du pays, et, la nuit, ils rayonnent sur de grandes distances. Une auditrice française indique dans une lettre avoir rencontré un jeune homme russe qui écoute Le Pop Club depuis la Sibérie455. Le courrier prouve en effet que José Artur est écouté dans les pays de l’Est, notamment en Tchécoslovaquie et en Pologne. Plus encore, certains auditeurs n’entendent pas nécessairement cette émission dans la nuit, puisqu’ils l’écoutent parfois depuis un autre coin du globe, avec un décalage horaire, notamment en Nouvelle-Calédonie, comme Anne-Sophie : « Bonjour à José, qui de sa douce voix me sort, chaque matin ( !) des bras de Morphée456. »
289Contrairement à l’émission Route de nuit, qui fut initialement créée à destination d’une catégorie bien particulière de la population – les routiers et les conducteurs de nuit occasionnels –, Le Pop Club n’a pas vocation à s’adresser à un public précis, mais bien à des publics divers, ou plutôt au public de la nuit en général. L’auditoire du Pop est varié et disparate, mais, pour une large part, il se trouve finalement réuni par cette simple constante temporelle qui les rapproche, mais qui pourtant est essentielle : ce sont des auditeurs nocturnes.
290Dans les premiers temps, l’émission attire sans doute une intelligentsia urbaine et parisienne, mais, rapidement, une base plus populaire et plus jeune, éprise de musique pop, rejoint les rangs du public457. Les courriers reçus émanent souvent de jeunes, d’adolescents, qui affirment écouter l’émission essentiellement pour sa programmation musicale, à l’image de Pierre, qui a 20 ans en 1968458, ou de Christopher, allemand de Neustadt – en RFA –, qui écrit à José Artur pour retrouver la référence d’un disque diffusé459. L’émission, aussi bien dans son ton que dans sa programmation musicale, relève d’un anticonformisme qui se marie bien avec l’adolescence. Nombreux sont les adolescents qui écoutent d’ailleurs l’émission en cachette, à cause de son horaire de diffusion trop tardif, mais sans doute aussi pour la liberté de ses propos, à l’image de Pierre, auditeur du Pop Club entre 1968 et 1972 environ, retrouvé en 2016 grâce à l’un de ses courriers460.
291Martine, elle aussi, écoute Le Pop Club dans son lit en cachette depuis la maison de ses parents en Belgique, au début des années 1970. Son témoignage est intéressant quant à la réception de la radio nocturne chez les jeunes :
« Je devais avoir 12 ou 13 ans lorsque ma mère a cédé à l’un de mes vœux en m’offrant une petite radio. Elle était minuscule : exactement ce que je voulais. Mon but était de peupler mes nuits qui commençaient à me poser problème. Je n’avais […] pas le droit de lire ou d’écouter la radio à partir d’une certaine heure. […] Je faisais semblant de dormir lors du passage de ma mère destiné à contrôler si j’obéissais. […] Puis, vers 21 h 45, j’allumais doucement ma radio, potentiomètre réglé au minimum, et je me branchais avec délice sur les émissions qui me ravissaient. À 22 heures, arrivait l’heure de la Grande Messe : Le Pop Club de José Artur, sur France Inter. Je ne le ratais jamais. […] J’imaginais un bar chic, très enfumé […], le maître de cérémonie à son micro et les invités se succédant à ses côtés461. »
292Ce témoignage montre bien l’aspect clandestin de l’écoute, et combien la jeune fille se crée des images mentales du lieu de l’émission. Pierre se souvient de José Artur comme d’un « personnage unique et attachant, amusant et un vrai moulin à parole462 », faisant les questions et les réponses. Martine, quant à elle, parle d’un animateur « très cultivé, spirituel, parfois mordant, toujours ironique463 ». Si Pierre écoute essentiellement pour la musique, Martine se branche chaque soir pour écouter un monde qui la fascine. Elle prend des notes sous les couvertures, à la lueur de sa lampe de poche, puis, le lendemain, se rend à la bibliothèque pour chercher des livres ou des magazines concernant les personnes ou les événements dont elle a entendu parler durant la nuit. Elle écoute donc l’émission pour apprendre, satisfaire sa curiosité adolescente. Pierre également, même si ses centres d’intérêt sont focalisés sur la musique. S’il écoute Le Pop, c’est pour assouvir sa soif de découverte musicale et en apprendre plus sur sa passion464, qui deviendra d’ailleurs son métier465. Dans son courrier adressé à José Artur en 1968 et particulièrement décoré selon la mode psychédélique, il livre les résultats d’une enquête qu’il a menée auprès des camarades de son lycée :
« Nous trouvons que Le Pop Club est la meilleure émission de radio et la plus attendue. Enfin un moment où nous n’entendons plus à tout bout de champ les horribles Enrico Macias, Sheila, Mireille Mathieu et autres Claude François. Nous regrettons de ne pas habiter Paris afin de venir, nous aussi, à ce fameux bar du Ranelagh466. »
293Pierre et ses camarades approuvent donc la programmation musicale du Pop, qui est leur émission de radio préférée. Ils apprécient toutefois moins lorsqu’il est question de blues après 23 heures – « c’est la partie du Pop qui plaît le moins, c’est trop vieux » –, même si la majorité des jeunes de ce lycée n’écoute de toute façon plus l’émission après 23 heures, le programme débutant trop tard à leurs yeux quand il s’agit de se lever le lendemain matin. Ils reprochent aussi à José Artur d’être trop bavard, lui demandent de donner plus de détails sur les nouveaux groupes qu’il diffuse, et d’annoncer plus distinctement les titres des disques467. En dépit de plusieurs critiques négatives, Pierre insiste sur la qualité de l’émission :
« Cette lettre semble bourrée de reproches. N’en croyez rien, nous vous disons cela pour que vous sachiez que l’émission est excellente et qu’il ne manque pas grand-chose pour qu’elle soit parfaite468. »
294Cette lettre est intéressante car elle montre que les auditeurs, même jeunes, ne se contentent pas de recevoir le programme de manière passive. Ils réfléchissent à son sujet, élaborant même cette réflexion en commun. Si l’écoute est une expérience solitaire, la réception d’une émission passe aussi par le partage d’impressions, la mise en commun des expériences et l’échange. Ces jeunes du lycée technique d’État de Marseille, sous l’impulsion de Pierre, ont réfléchi autour de cet objet qui leur plaît et constitue pour eux une occupation quotidienne. Ce dernier se fait le porte-parole de ses camarades, écrivant aux producteurs afin de leur faire part de leurs suggestions.
295José Artur n’aura de cesse de croiser, au cours de sa vie, des gens qui lui diront l’avoir écouté dans leur jeunesse, pendant leurs études, cette écoute pouvant avoir eu un impact tantôt positif, tantôt négatif sur les études en question469. Mais l’auditoire du Pop Club est loin de se limiter aux jeunes ou aux étudiants. Comme José Artur l’indique, il y a des insomniaques de tous âges, des noctambules, des routiers, mais aussi d’autres travailleurs de nuit, des prisonniers470… Les artistes eux-mêmes écoutent volontiers ce programme471. Quel que soit le profil des auditeurs, il semblerait que ceux-ci se sentent complices de l’émission, du fait de sa dimension nocturne472.
Typologie des courriers reçus
296José Artur reçoit trois types de lettres : des lettres d’amour ; des lettres de compliments ou de témoignages de sympathie ; des lettres d’injures ou de mécontentement. En 1974, il l’écrivait en ces termes :
« Je reçois pas mal de lettres. Certaines me disent que je suis le Voltaire du xxe siècle, d’autres que je suis le Sacha Guitry du pauvre : certaines m’offrent leur lit, d’autres me traitent de pédé, même de “merde séchée”473. »
• Lettres d’amour
297Il reçoit de nombreuses lettres d’amour. L’une de ces admiratrices, par exemple, est polonaise. Elle lui envoie plusieurs lettres en 1970 et 1971. Elle ne laisse ni son nom de famille ni son adresse, mais elle entretient un petit jeu de séduction bien particulier. Elle écrit en français, et dit faire beaucoup de progrès dans la langue grâce à l’émission :
« Je vous écoute, tous les jours […] parce que vous êtes mon très cher et très bel ami. Vous êtes le sourire de mes soirées. Vous êtes [la] belle étoile de mes nuits blanches. […] Vous êtes mon guide dans la musique pop […] et vous êtes mon professeur de Français… […] JE VEUX VOUS CHARMER, JE VEUX VOUS INQUIÉTER. […] Je crois […] que malgré tout c’est un plaisir pour vous d’apprendre qu’on vous écoute ici, c’est quand même assez loin cette Pologne474. »
298Elle insiste sur le charme de sa voix « moelleuse et veloutée », qui la berce le soir avant de s’endormir, « je m’endors éblouie, enivrée475 ». Ici, on retrouve des similitudes avec les témoignages des auditeurs sous le charme de Madeleine Constant. Sans aucun doute, la dimension nocturne de ces émissions et de ces écoutes contribue à renforcer l’impact du timbre vocal de l’animateur sur l’esprit des auditeurs. Même si ce n’est pas le but premier de son programme, José Artur apporte donc une sorte de réconfort aux personnes seules la nuit, et ce réconfort peut parfois prendre une dimension particulière. Les jeux de séduction radiophonique qu’il affectionne peuvent également permettre des processus d’identification, ou de projection, de la part des auditrices ou des auditeurs. En 1970, il se vante d’avoir reçu un courrier d’une auditrice écrivant : « Quand mon pourceau de mari s’endort, je mets le transistor à même mon ventre, entre ma chemise et ma peau, et j’écoute476. »
299La radio nocturne contribue à plonger l’auditeur dans une relation particulièrement intime avec l’animateur ou l’animatrice, un lien presque organique. Certaines de ces lettres d’amour vont très loin, elles sont parfois délirantes, provenant de « nymphomanes dangereuses, de fous477 ». José Artur reproduit dans Micro de nuit un extrait de l’une d’entre elles :
« J’ai bien compris les allusions l’autre soir, je serai là comme convenu mardi prochain. Vous me reconnaîtrez à mon casque. Nous partirons de nuit, le Pape est d’accord. Il ne faut pas en parler à Claude Dufresne. Si vous me reparlez dans le poste ce soir, soyez diffus, mes infirmières sont jalouses. JF. Maison de santé de Clermont478. »
300Sans doute la radio peut-elle avoir un impact particulièrement fort sur les personnalités souffrant de troubles psychiques, et ce, d’autant plus lorsqu’il fait nuit. Cette radio nocturne crée un monde, dans lequel il peut être difficile de démêler le vrai du faux, car la nuit brouille les pistes en transformant les données de l’environnement, accentuant les sensations, exacerbant les ressentis. Nombreuses sont les lettres, en effet, qui évoquent la puissance de la radio nocturne, permise par le cadre spécifique de la nuit, à l’image de Mireille : « Merci de la radio, puissance imaginaire, au milieu de la nuit, pour nouer le cœur et l’âme de cette voix et des échos479. »
• Lettres de remerciements ou de compliments
301José Artur reçoit aussi des courriers de remerciements et de compliments, dans lesquels les auteurs le félicitent pour la qualité de son émission, ou vantent ses talents d’animateur. Voici par exemple l’extrait d’une lettre de janvier 1975 :
« Dans le fond, pourquoi ne pas l’écrire une fois, puisque je l’éprouve tous les jours : deux heures480 de José Artur valent toutes les deux heures de toutes les radios et de toutes les télévisions réunies. Quel régal illimité, toujours renouvelé, un homme qui est intelligent et qui connaît son métier. C’est toujours vif, drôle, varié : quel sens de la répartie vertigineux, quel art de mettre en valeur son interlocuteur, de s’adapter à lui, quel qu’il soit, quel constant souci de qualité481. »
302Dans une autre lettre non datée, intitulée « Hommages à José Artur », l’auteur énumère les talents du producteur482. Ce type de lettres salue généralement l’humour, la vivacité d’esprit, et l’intelligence d’Artur. Certains auditeurs lui envoient des poèmes, et la majorité de ces lettres de compliments semblent être écrites dans le simple souci de témoigner de la sympathie et de le remercier, même si certaines paraissent en revanche un peu intéressées. Par exemple, à la fin d’un courrier particulièrement élogieux et flatteur, un auditeur demande à José Artur de bien vouloir remettre une lettre à Serge Lama de sa part483. Il arrive donc que des auditeurs tentent d’utiliser la position privilégiée d’animateur connaissant le « Tout Paris », dans le but d’approcher les vedettes qu’ils admirent.
303Certains remercient José Artur pour les découvertes qu’ils effectuent grâce à lui484, et d’autres le félicitent pour une émission en particulier. Par exemple, en janvier 1978, un jeune étudiant en première année de médecine, dont on comprend qu’il est homosexuel, félicite José Artur pour la façon dont il a traité le sujet de l’homosexualité à l’antenne, à l’occasion de l’interview des organisateurs du festival du cinéma homosexuel :
« Je vous remercie d’avoir inclus cette “rubrique” aussi simplement dans votre émission, parce que c’est toujours soit horriblement artificiel quand “on” en parle, soit totalement en dehors. Parce qu’on veut en faire un problème intrinsèque485. »
304D’autres auditeurs, enfin, dans des courriers plus courts, écrivent simplement à José Artur pour lui signaler qu’ils font partie du cercle de ses auditeurs nocturnes. Par exemple, Geneviève, étudiante, lui envoie en 1970 trois cartes postales depuis Casablanca, qui comportent toutes le même texte : « Moi, j’écoute Le Pop Club. » Cette phrase revenant dans d’autres courriers, on comprend que l’animateur a dû demander à ses auditeurs de se manifester de cette façon, sans doute pour constater la provenance variée des amateurs de l’émission.
• Critiques et lettres d’injures
305José reçoit également des courriers de critiques négatives ou de reproches. Certains émanent d’auditeurs qui aiment l’émission mais n’ont pas apprécié quelque chose en particulier et souhaitent le faire savoir. Par exemple, en 1969, un auditeur anglais, désormais installé à Madrid, écrit pour se plaindre du nouvel indicatif de Iannis Xenakis, Polytopes, une musique électronique expérimentale486. D’ailleurs, certains auditeurs aiment l’émission mais n’apprécient pas la musique pop ou anglo-saxonne, et écrivent pour s’en plaindre. Tahar, étudiant algérien vivant à Sétif, envoie une lettre allant dans ce sens, également signée par plusieurs de ses camarades, se plaignant des « rythmes barbares, horripilants487 ».
306D’autres lettres proviennent d’auditeurs haineux, qui insultent José Artur ou son émission. Dans un courrier relatif au générique, un homme pointe du doigt sa mégalomanie, écrivant que seul Mao Zedong et lui sont chantés sur des postes nationaux de leur vivant488. José Artur reçoit également des courriers antisémites489, homophobes490 ou incohérents, dont certains proviennent clairement d’auditeurs déséquilibrés.
307Si les lettres de ce corpus ne constituent qu’un aperçu très limité de la totalité des courriers que José Artur a reçus, elles représentent tout de même, semble-t-il, un échantillon plutôt représentatif des différents types de missives envoyées à l’animateur.
308Au total, avec Le Pop Club, la radio nocturne s’éloigne des Nuits du bout du monde susurrées au micro. Ici, l’auditeur est plongé dans l’agitation d’un bar, le monde de la nuit, des artistes et de la fête. L’émission a lieu en public chaque soir, elle est surprenante et inattendue, car les invités, qui ne sont pas annoncés à l’avance, se succèdent au micro parfois de manière improvisée. Pour ceux qui écoutent, parfois isolés dans la nuit, cette émission ouvre une porte sur le monde des célébrités, pouvant donner aux auditeurs la sensation de s’en approcher. D’où qu’ils soient, peu importe leur origine sociale, les auditeurs du Pop Club assistent à cette vie mondaine parisienne, recueillent les confidences des personnalités, et sont même témoins des extravagances nocturnes de certaines d’entre elles. L’émission offre aussi des séquences de musique en direct, des critiques de spectacles, le tout dans une atmosphère joyeuse et détendue.
309 Le Pop Club symbolise le renouveau de la nuit radiophonique qui commence à s’opérer dans la deuxième moitié des années 1960, matérialisé par l’instauration d’un ton détendu et plus libre ; la retransmission des événements en direct, de manière vivante ; l’ouverture aux auditeurs ; le triomphe d’une liberté de parole nouvelle, permettant notamment des incursions du côté de l’érotisme. Cette émission crée à elle-seule l’événement, regroupant une communauté d’auditeurs très divers autour de la figure d’un animateur noctambule.
310Un tel programme ne pourrait avoir lieu à d’autres moments de la journée. Le cadre nocturne en définit les contours – le cadre d’un bar – et le contenu – des conversations à la fois légères et sérieuses, insolites et diversifiées. Le programme a un rayonnement important, qui se déploie à l’échelle internationale, et s’implante comme une émission majeure de la chaîne, un programme à la pointe des nouveautés en termes de musique pop, une vitrine de la radio française et une ambassadrice de la station France Inter émettant 24 heures sur 24. Son animateur José Artur devient un véritable personnage public, une vedette qui rejoint la télévision et présente d’autres émissions radiophoniques dans la journée, acquérant le statut de personnalité médiatique majeure.
Conclusion
311La décennie 1965-1975 voit se dessiner progressivement un nouveau type de nuit radiophonique. Les stations de radios commencent à élargir sensiblement leurs programmes nocturnes. Plus seulement à visée « utile », ces émissions existent désormais en tant que telles, ayant pour fonction de divertir les auditeurs, les faire rêver, rire, voyager « en direct »… D’ailleurs, on commence à admettre que les individus puissent veiller la nuit sans raison valable, l’ensemble des stations prolongeant sensiblement leurs programmes dans la nuit.
312Les auditeurs sont de plus en plus présents dans ces émissions, la nuit constituant une sorte de territoire privilégié pour les personnes à l’écoute. En 1974, deux étudiantes de l’Institut français de presse consacrent leur mémoire à l’influence des horaires de diffusion sur l’auditoire radiophonique de France Inter et Europe no 1491, constatant une spécificité très nette du public de la nuit, selon elles « l’un des publics les plus agréables, les plus francs, les plus loyaux, les plus amicaux disponibles492 ». De fait, une sorte de mythe du monde de la radio nocturne, réel ou fantasmé, commence à s’ériger, qui prendra toute sa force dans la décennie suivante, avec la création de nouvelles communautés nocturnes d’auditeurs.
313La nuit hertzienne, qui reste un espace-temps non concurrencé par la télévision, constitue par ailleurs un terrain de la lutte entre les stations, dans la course à la retransmission ininterrompue d’événements exceptionnels, historiques. Enfin, cette radio nocturne ouvre la voie à des expérimentations – création sonore, érotisme, décontraction, féminisation des voix –, et si de nombreuses nouveautés commencent à être créées ou testées la nuit, ces avancées préfigurent le bouillonnement radiophonique nocturne qui s’instaurera à partir du milieu des années 1970.
Notes de bas de page
1Pascal Ory, L’Aventure culturelle française, op. cit., p. 156.
2Luc Bernard, Europe 1, op. cit., p. 84.
3Les jeunes de la France méridionale, qui ne capte pas Europe 1, doivent se contenter de Spécial Blue-Jeans sur Radio Andorre et Label J. sur Radio Monte-Carlo.
4Anne-Marie Sohn, Âge tendre et tête de bois. Histoire des jeunes des années 1960, Paris, Fayard, 2012, p. 9.
5La Nef – Nouvelle équipe française –, est la première revue à avoir été éditée à Paris en 1944 au lendemain de la Libération, créée par Robert Aron et Lucie Faure.
6Marie-Françoise Lévy, « La Jeunesse », in Jean-Noël Jeanneney (dir.), L’Écho du siècle, op. cit., p. 445-448.
7Anne-Marie Sohn, Âge tendre, op. cit., p. 9.
8Journaux d’actualités diffusés dans les cinémas.
9« Us et coutumes des moins de vingt ans », Actualités françaises, 18 mars 1959, Ina.
10Ibid.
11Denis Maréchal, « La Nuit de la nation », in Jean-Noël Jeanneney, L’Écho du siècle, op. cit., p. 67.
12Pierre Robin, « La Nuit de la nation d’Europe no 1 », Cahiers d’histoire de la radiodiffusion, no 39, décembre 1993-février 1994, p. 44-54.
13Luc Bernard, op. cit., p. 174-175.
14Edgar Morin, « Salut les copains », Le Monde du 6-7 juillet 1963.
15Simon Frith, The Sociology of rock, Londres, Constable, 1978. Voir aussi Hervé Glevarec, La Culture de la chambre, Paris, ministère de la Culture, DEPS, 2010.
16« À quoi rêvent les jeunes filles ? », L’Avenir est à vous, 19 février 1962, Ina.
17Ibid., 2 avril 1962, Ina.
18Fabrice d’Almeida et Christian Delporte, Histoire des médias en France, op. cit., p. 203.
19Ibid., p. 205.
20Jean-François Sirinelli, « Génération », in Dictionnaire d’histoire culturelle, op. cit., p. 354-357.
21« Enquête périodique Radio et Télévision », no 38, du 10 janvier au 15 février 1966, IFOP-ETMAR, AN, versement 880 217, article 79.
22IFOP, Sondages, 4, 1967.
23Hélène Eck, « Radio », in Dictionnaire d’histoire culturelle, op. cit., p. 689. Voir aussi Jean-François Sirinelli, Les Baby-Boomers, Paris, Fayard, 2003.
24Isabelle Veyrat-Masson, « Télévision et consommation de masse », in Christian Delporte (dir.), Dictionnaire d’histoire culturelle, p. 788.
25Télérama, no 714, du 22 au 28 septembre 1963.
26Jean-François Remonté, op. cit., p. 60.
27Évelyne Cohen et Myriam Tsikounas (dir.), 1967 au petit écran. Une semaine ordinaire, Rennes, PUR, 2014, p. 10.
28Ibid., p. 13.
29Anne-Marie Sohn, Âge tendre et tête de bois, op. cit., p. 79.
30Jean Luc est directeur d’antenne de Radio Luxembourg entre 1963 et 1966. Il avait été secrétaire général du Journal parlé de la RDF après la Libération.
31Télérama, no 714, du 22 au 28 septembre 1963.
32Roland Dhordain est journaliste, il a notamment créé Route de nuit et est nommé directeur des programmes de la RTF.
33Le Monde, 20 juillet 1963.
34Christian Brochand, t. II, op. cit., p. 370.
35Loi no 64-621 du 27 juin 1964.
36CAC, Archives nationales, versement 910 460, art. 6, 1965, compte rendu, ORTF.
37Micros et Caméras, no 1, 18 septembre 1965, Ina.
38Micros et caméras, no 1, septembre 1965, p. 4.
39Ibid., p. 9-10.
40José Artur commence à intervenir comme comédien à la radio à 20 ans, en 1947.
41D’où le titre de l’émission, acronyme de leurs trois noms de famille.
42Roland Dhordain, Le Roman de la radio, Paris, La Table ronde, 1983, p. 212-213.
43Les premiers programmes de Radio Caroline ont été diffusés en 1964.
44Michael C. Keith, op. cit., p. 94-96.
45Denis Maréchal, RTL, op. cit., p. 311.
46Christian Barbier, né Christian Espitalier, est entré à Europe 1 en 1963, à 24 ans.
47Télé 7 jours, no 519, du 4 au 10 avril 1970, p. 112.
48Christian Barbier in Denis Olivennes, Franck Ferrand et Bruno Labous, Europe 1. Le dictionnaire amoureux illustré, Paris, Plon, 2015, p. 27.
49Télé magazine, no 793, du 2 au 8 janvier 1971, p. 86.
50Ibid.
51Luc Bernard, op. cit., p. 234.
52Hubert Wayaffe, La Bulle d’Évelyne, mai 2012, [http://evelynnewsweek.blogs.fr/page_7.html], consulté le 7 mai 2019.
53Luc Bernard, op. cit., p. 177.
54Il obtient de la part de Mick Jaeger, quatre mois avant son pressage, le disque souple de Satisfaction Le titre passe en avant-première sur Europe no 1, tout comme Yesterday des Beatles.
55Robert Chapman, « Les radios pirates des années 60 : Radio London et Radio Caroline, analyse comparative », Réseaux, no 52, 1992, vol. 10, p. 57-72.
56Denis Maréchal, RTL, op. cit., p. 177.
57Télérama, no 824, du 31 octobre au 6 novembre 1965.
58Jean Prouvost était jusqu’alors Président de Paris Match
59Jean Farran était rédacteur en chef de Paris Match et producteur de l’émission TV politique Face à Face.
60De son vrai nom Michel Pasternak. Voir Denis Maréchal, RTL, op. cit., p. 311-323.
61Jean Namur, Communication et Langages, no 16, 4e trimestre 1972.
62Dim Dam Dom est une émission produite par Daisy de Galard, en principe destinée à un public féminin. Voir Myriam Tsikounas, « Dim, Dam, Dom », in Agnès Chauveau et Yannick Dehée (dir.), Dictionnaire de la télévision française, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2007, p. 181.
63Dim Dam Dom, 2e chaîne, 1er janvier 1967, Ina.
64Emmanuel Laurentin, « Le transistor : à l’écoute de la rue », in Philippe Artières et Michelle Zancarini-Fournel (dir.), 68, une histoire collective, 1962-1981, Paris, La Découverte, 2008, p. 286.
65Sur France Inter, Gérard Klein occupe la tranche 17 heures-19 heures en semaine.
66Télérama, no 902, du 30 avril au 1er mai 1967.
67Rosko, Emperor Rosko’s dj book, Londres, Everest, 1976.
68Denis Maréchal, RTL, op. cit., p. 339 sq.
69Née à Oran, Sophie Garel a commencé à travailler à la télévision en Algérie en 1960.
70Journaliste de presse écrite, Philippe Bouvard rejoint la radio dans les années 1960.
71Télérama, no 937, du 31 décembre au 6 janvier 1968.
72Télé 7 jours, du 5 au 11 décembre 1970.
73Céline de Kerguiziau de Kersvadoué, « Musique pop et contre-culture sur Europe 1 : Campus », Cahiers d’histoire de la radiodiffusion, no 66, octobre-décembre 2000, p. 64.
74Ibid.
75Il est écarté du micro suite au dérapage à l’antenne d’étudiants socialistes allemands. Il reste toutefois journaliste dans la rédaction d’Europe no 1.
76Même s’il a déjà remplacé de manière épisodique son ami Gérard Klein sur France Inter.
77Michel Lancelot, Je veux regarder Dieu en face : vie et mort des hippies, Paris, Albin Michel, 1968.
78S’il deviendra le chantre de la jeunesse étudiante de gauche à Europe 1, il a auparavant été journaliste à Minute Il est dépeint par ses collaborateurs comme une personne autoritaire, prétentieuse, et intimidante. Voir Céline de Kerguiziau de Kersvasdoué, « Musique pop et contre-culture… », art. cité, p. 70 sq.
79Pop Music Hebdo, 9 avril 1970, p. 16-17.
80Le docteur Bensoussan, très prisé dans le milieu artistique.
81Michel Lancelot, Campus, Paris, Albin Michel, 1971, p. 277.
82« La Radio : de la psychose au dialogue… », Télérama, no 987, du 15 au 21 décembre 1968.
83« La Mémoire courte » ou « La Pointe courte », selon les sources.
84Le Monde, 22 octobre 1971.
85Michel Lancelot, Campus, op. cit., p. 291.
86Télérama, no 987, du 15 au 21 décembre 1968.
87Le Monde, 20 mars 1970 : « Force est de reconnaître que le débat s’est déroulé à un niveau élevé. Il reste que l’ensemble est apparu comme une légitimation, sinon une apologie de l’homosexualité. »
88Cécile de Kerguiziau de Kersvasdoué, art cité, p. 80.
89Télérama, no 978, du 13 au 19 octobre 1968.
90Voir Florence Tamagne, « Les festivals pop et rock en Europe : débats et enjeux », in Anaïs Fléchet et al. (dir.), Une histoire des festivals. xxe-xxie siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2013, p. 89-98.
91La première édition a lieu en août 1968.
92Pink Floyd et Jefferson Air Plane sont notamment programmés.
93Cécile de Kerguiziau de Kersvasdoué, « Musique pop et contre-culture », art. cité, p. 86.
94La marque sponsorise le programme.
95Le Monde, 21 mars 1970.
96Ibid.
97« La Pop-music, de l’interdiction à la récupération », Le Monde, 5 juin 1970.
98Jean Pelletier, « Michel Lancelot, Une voix dans la nuit », blog [http://jmpelletier52.over-blog.com/articlemichel-lancelot-une-voix-dans-la-nuit-121786642.html], consulté le 7 mai 2019.
99Télérama, no 987, du 15 au 21 décembre 1968.
100Ibid.
101Ibid.
102Cécile de Kerguiziau de Kersvasdoué, art. cité, p. 70.
103Le Monde, 13-02-1970.
104Ibid.
105Télé 7 jours, no 538, du 15 au 21 août 1970, p. 84.
106Lancelot ne refera de la radio que dans les années 1980 sur une radio libre, tentant vainement d’y faire renaître l’esprit Campus. Il mourra d’une crise cardiaque en 1984.
107Le Monde, 13 mars 1970.
108Mon fils avait raison, France Inter, 7 mai 1970, Ina.
109Télérama, no 543, du 27 septembre au 3 octobre 1970.
110Télé 7 jours, no 551, du 14 au 20 novembre 1970, p. 107.
111Télérama, no 1109, du 18 au 24 avril 1971.
112Télé 7 jours, no 485, du 9 au 15 août 1969.
113Télé 7 jours, no 710, du 1er au 7 décembre 1973.
114France-Soir, 19 décembre 1973.
115Collaborateur musical de José Artur au Pop Club depuis 1968.
116Collaborateur du Pop Club depuis le début des années 1970.
117Entretien avec Georges Lang, 17 janvier 2012.
118Télé 7 jours, no 487, du 23 au 29 août 1969.
119André Astoux, Ondes de choc. Mai 68 à l’ORTF, Paris, Plon, 1978.
120« La Radio dans la rue », Télérama, no 958 à 961, dimanche 16 juin 1968.
121Christian Delporte et al. (dir.), Images et sons de Mai 68 (1968-2008), Paris, Nouveau Monde Éditions, 2011.
122« La Radio dans la rue », Télérama, no 958 à 961, juin 1968.
123Sur l’histoire de Mai 68, voir notamment Jean-François Sirinelli, Mai 68. L’événement Janus, Paris, Fayard, 2008 ; Philippe Artières et Michèle Zancarini-Fournel (dir.), 68, une histoire collective (1962-1981), Paris, La Découverte, 2008.
124Luc Bernard, op. cit., p. 259.
125Le Monde Radio Télévision, 26 avril 1998.
126Hervé Hamon et Patrick Rotman, Génération, t. I : Les années de rêve, Paris, Seuil, 1987, p. 489, cité par Thierry Lefebvre, La bataille des radios libres, op. cit., p. 22.
127Télérama, no 958, juin 1968, p. 34.
128Ibid.
129Denis Maréchal, RTL, op. cit., p. 325-328.
130Le Monde, 12-13 mai 1968.
131Ludivine Bantigny, « Le temps politisé. Quelques enjeux politiques de la conscience historique en mai-juin 68 », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 117, 1/2013, p. 215-229.
132Rédacteur en chef des journaux d’Europe 1.
133Cahiers d’histoire de la radiodiffusion, no 59, janvier-mars 1999, p. 39-40. Sur le récit de cette nuit à la radio, voir aussi Thierry Lefebvre, La Bataille des radios libres, op. cit., p. 22-26.
134Emmanuel Laurentin, « Le transistor : à l’écoute de la rue », art. cité, p. 288
135Luc Bernard, op. cit., p. 263.
136Plus de 300 blessés seront recensés.
137« Nuit d’émeutes au Quartier Latin entre minuit et 3 h 45 », Édition spéciale, France Inter, 11 mai 1968, Ina.
138Sur l’ORTF durant Mai 68, lire notamment Béatrice Donzelle, « France Inter en mai 1968, trois regards sur les événements », in Christian Delporte et al. (dir.), Images et sons de Mai 68 (1968-2008), Paris, op. cit.
139Denis Maréchal, RTL, op. cit., p. 329.
140Cahiers d’histoire de la radiodiffusion, no 21, décembre 1988, p. 72.
141Hervé Glevarec, « Le reportage radiophonique des “événements” de Mai 68 a-t-il inventé “l’effet de réel” en radio ? », in Christian Delporte et al. (dir.), Images et sons de Mai 68, op. cit., p. 34-54.
142Nuit du mardi 5 au mercredi 6 novembre.
143Le Monde, 5 novembre 1968.
144Combat, 7 novembre 1968.
145Ibid.
146Le Monde, 5 novembre 1968.
147Combat, 7 novembre 1968.
148Groupe de rock français, inspiré par les cow-boys et les États-Unis.
149Télé Poche, no 143, du 9 au 15 novembre 1968.
150Notamment Robert Vivien et Robert Ballanger, président du groupe communiste à l’Assemblée nationale.
151Elsa Martinelli, Mike Marshall, François Dorin…
152Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Enrico Macias, Christophe.
153Roger Peyrefitte et Joseph Kessel notamment.
154Télé Poche, no 143, du 9 au 15 novembre 1968.
155Le Monde, 3 mars 1969.
156Voir par ex. « Les Halles de Paris », Journal de 13 heures, 28 février 1969 ; « Le Point sur le déménagement des Halles », Journal de 20 heures, 28 février 1969.
157« Dernière nuit aux Halles et déménagement », Panorama, 6 mars 1969, Ina.
158Ibid
159Le Monde, 3 mars 1969.
160Max Meynier, Mille et une nuits avec mes routiers sympa, Paris, Éditions de la Table ronde, 1978.
161Télérama, no 1018, du 20 au 26 juillet 1969.
162Journaliste chargé de l’actualité scientifique à France Inter.
163Écouter Deux hommes sur la lune : Apollo 11, ORTF, Ina.
164Radio-Terre : Apollo XI ; 24, Ina.
165On appelle communément Europe no 1 « Europe 1 » à partir de 1969. Dans les statuts, le « no » ne disparaît qu’en 1983.
166Luc Bernard, op. cit., p. 294.
167« 1969 : en direct de la lune », Mystères d’archives, Arte, 20 juillet 2009, Ina.
168Télérama, no 984, du 24 au 30 novembre 1968.
169Cf. infra, chapitre iv.
170Télérama, no 1295, du 9 au 15 novembre 1974.
171Elle a déjà produit des émissions musicales pour France Culture.
172Entretiens imaginaires, France Culture, 5 avril 1972, Ina.
173Entretiens imaginaires, France Culture, 4 octobre 1972, Ina.
174Télérama, no 1244, du 17 au 23 novembre 1973.
175Télérama, no 1295, du 9 au 15 novembre 1974.
176« France Inter. 24 heures pour tous », Spécial micros et caméras, janvier 1971, p. 17.
177Journaliste, romancier, spécialiste de l’histoire de l’opérette, Claude Dufresne collabore à France Inter depuis les années 1950.
178Cf. infra.
179Les animateurs sont Jean-Louis Foulquier, Jean-Michel Brosseau, Michel Touret et Jacques Pradel.
180Comédien de formation.
181Dans les années 1920, l’émission s’intitule Leçon journalière de culture physique
182Arnaud Monnier a commencé comme animateur sur France Inter en 1966.
183Daniel Hamelin était pompier à la Maison de la radio. Il a été repéré par Roland Dhordain.
184« France Inter 24 heures sur 24. La ronde des ondes », Micros et Caméras, no 41, mars-avril 1971, p. 9.
185« En Cinq sept avec Daniel Hamelin », France Inter Magazine, 1re chaîne, 24 mai 1971, Ina.
186Télérama, no 1308, du 8 au 14 février 1975.
187La Voix de l’Évangile est une mission évangélisatrice par la radio qui existe depuis 1958 ([http://www.lavoixdelevangile.fr/], consulté le 7 mai 2019).
188FR3, avec des décrochages régionaux le soir.
189Parfois seulement jusqu’à 23 heures.
190Guy Bernède et Jocelyne Tournet-Lamer, Les Voix féminines à la radio, Cahiers d’histoire de la radiodiffusion, no 123, janvier-mars 2015.
191Station FM basée à New York.
192Michael C. Keith, op. cit., p. 113-122.
193En 1968, les deux animateurs de RTL Chris Baldo et Sophie Garel représentent d’ailleurs le Luxembourg en duo à l’eurovision.
194Marie-Ange Roig. Elle a une formation de comédienne et a vécu plusieurs années en Espagne.
195Publicité Sud Radio, 1968, [http://f5nsl33.free.fr/sudradio/ph05.html], consulté le 7 mai 2019.
196Comédienne entrée à Europe no 1 en 1966 comme meneuse de jeu. Voir Isabelle Cadières, Femmes de radio et mouvements féministes, 1967-1985, mémoire de maîtrise sous la direction de Thierry Lefebvre, 2002, entretien avec Vivianne Blassel, p. 176-178.
197Télérama, no 1087, du 15 au 21 novembre 1970.
198Elle est diffusée en ondes moyennes, sur 514 mètres.
199De son vrai nom Corinne Gorce.
200Jacques Angerie, « Les Fipettes », Cahiers d’histoire de la radiodiffusion, no 123, janvier-mars 2015, p. 139-162.
201Jean Larriaga, Fip et moi, chroniques d’un écouteur, Paris, L’Harmattan, 2014.
202Télérama, no 1286, du 11 au 17 février 1973.
203Télé 7 jours, du 24 au 30 août 1974, p. 89.
204Madeleine Constant a commencé la radio sur Europe no 1, en tant que lectrice de publicités. Elle a notamment participé à Salut les copains
205« La rentrée sur France Inter », Spécial Radio, no 26, 23 octobre 1972, Ina.
206Ariane Gil a rejoint Inter en 1970.
207Annik Beauchamp a participé à Salut les copains sur Europe 1 jusqu’en 1965, avant de rejoindre France Inter où elle devient Madame Inter et anime les après-midi.
208Journaliste de formation, Anne Gaillard débute à la radio. Elle anime Inter femmes, émission de société, chaque jour en fin de matinée.
209Fanch Langoët, « La Nuit se démarque… », Radio Fanch, 2 novembre 2012, [http://radiofanch.blogspot.fr/2012/11/la-nuit-se-demarque.html], consulté le 7 mai 2019.
210Ibid., Radio Fanch, commentaire de Guillaume R., 30 octobre 2013.
211Ibid., commentaire anonyme, 29 novembre 2014.
212Ibid., commentaire de Fanforféo, 27 janvier 2016.
213Ibid., commentaire de Martine S, 3 novembre 2012.
214Orange Mécanique, réalisé par S. Kubrick, est sorti en France un an plus tôt, en 1971.
215Ibid., commentaire de Fanforféo.
216Télérama, no 1309, du 16 au 22 février 1975.
217Commentaire de Fanforféo, 27 janvier 2016, loc. cit.
218Ibid.
219Archives de la RTS, [http://www.rts.ch/archives/radio/varietes/pluie-et-le-beau-temps/4364069-sylvia-kristel.html], consulté le 7 mai 2019.
220Elle émet 24 heures sur 24 depuis 1957.
221Pianiste de jazz, il compose aussi pour le cinéma et la télévision.
222Le Monde, 27 septembre 1968.
223Auparavant, Pierre Wiehn présentait l’émission matinale Faisons bon ménage.
224Le Monde, 27 septembre 1968.
225Ibid.
226Le Monde, 2 décembre 1968.
227Éric James a vingt ans. Il présentait, depuis 1968, une émission destinée aux jeunes.
228Publicité de Sud Radio, rentrée 1968, [http://f5nsl33.free.fr/sudradio/ph05.html], consulté le 7 mai 2019.
229Télé 7 jours, no 461, du 22 au 28 février 1969.
230Poème anonyme, [http://lessudistes.centerblog.net/895-souvenirs-souvenirs], consulté le 7 mai 2019.
231« Route de nuit », France Inter Magazine, 8 février 1971, Ina.
232Michel Tournier, Le Roi des Aulnes, Paris, Gallimard, 1970.
233« Route de nuit », France Inter Magazine, art. cité.
234Ibid.
235« France Inter 24 heures sur 24 », art. cité, 1971, p. 19.
236Ibid.
237Micros et Caméras, 13 novembre 1965, Ina.
238Télérama, no 1155, du 5 au 11 mars 1972, p. 67.
239Max Meynier a 34 ans. Comédien de formation, il a intégré RTL quelques années plus tôt, occupant diverses fonctions – il a notamment réalisé l’émission de Ménie Grégoire.
240Ce film met en scène une course-poursuite en Californie : un employé de commerce est pris en chasse par un mystérieux camion.
241Télérama, no 1213, du 14 au 20 avril 1973, p. 60.
242Mégahertz, France Culture, 10 mars 2010, Ina.
243Max Meynier, Mille et une nuits avec mes routiers sympa, op. cit., p. 34.
244Cet homme est déjà connu de la police. Il avait été arrêté en 1953 pour le meurtre de son père. Quelques années plus tard, il avait enlevé l’humoriste Fernand Raynaud, puis menacé de mort et réclamé une rançon à Louis de Funès. En septembre 1977 après 18 mois en prison, il détournera une Caravelle Air Inter, détenant en otage 94 personnes, dont le député Neuwirth. L’opération se soldera par la mort d’un passager. Entre-temps, Max Meynier interviendra, tentant de négocier avec lui.
245Libération, 21 juin 2005.
246Max Meynier, Mille et une nuits, op. cit., p. 207-221.
247Il sera condamné à 30 mois de prison et en effectuera 18.
248Christophe Deleu, François Teste, « Pirate des ondes », Le Vif du sujet, France Culture, 21 juin 2005, Ina.
249Journal télévisé, 1re chaîne, 9 février 1974, Ina.
250« Et si vous étiez pris en otage ? », Aujourd’hui Madame, 2e chaîne, 15 février 1974, Ina.
251Journaliste culturel sur France Culture.
252Anne-Marie Autissier et Emmanuel Laurentin, op. cit., p. 246.
253Jusqu’ici réalisateur, également poète.
254Invitation à la nuit, 23 mars 1973, France Culture, Ina.
255Jacques Baudou, op. cit., p. 91-108.
256Martine Laval, « Le Maître du mystère », loc. cit., p. 12.
257RFI en diffusera 35 épisodes durant l’été 2014.
258À partir de la saison 1970-1971, Théâtre de l’étrange est diffusé le dimanche à 22 heures puis, à partir de la rentrée 1971, elle passe le lundi soir à 20 h 10.
259Jean Chouquet est entré à la RDF en 1947, au Club d’essai. Devenu producteur et réalisateur, il a conçu de nombreuses fictions, notamment Noëlle aux quatre vents (1965-1969).
260« Dracula », Théâtre de l’étrange, France Inter, 16 et 22 mai 1965, Ina.
261« L’Ambassadeur de Xonoï », Théâtre de l’étrange, France Inter, 2 janvier 1966, Ina.
262« L’Hôte de Bassarion », Théâtre de l’étrange, France Inter, 18 avril 1965, Ina.
263Le Monde, 17 août 1966.
264Francis Didelot a remporté le Prix du Quai des Orfèvres en 1949.
265Lélio ou le Retour à la vie, op. 14 bis, Voir La Harpe éolienne – Souvenirs. Larghetto.
266« Les Pas », Une voix dans la nuit, Inter Variétés, 27 février 1970, Ina.
267BnF, Richelieu, Arts du spectacle, 4-YA RAD-7164, article 1 à 25.
268Par ex. « Lili de Saïgon », quatre épisodes entre avril et mai 1965.
269Bienvenue, 1re chaîne, 9 juin 1967, Ina.
270Il est directeur de la radiodiffusion de l’ORTF depuis 1967.
271« Hommage à Stéphane Pizella », France Inter, 10 mars 1970, Ina.
272Arno-Charles Brun est scénariste, journaliste et réalisateur radio.
273Jean-Vincent Bréchignac est journaliste et écrivain. Il fut responsable du Programme parisien, puis de France II de 1958 à 1964.
274Samy Simon a été producteur d’émissions de radio de la RTF, notamment Ainsi va le monde
275Suzanne David est l’assistante, et vraisemblablement l’épouse, de Stéphane Pizella.
276Arno-Charles Brun, « Stéphane Pizella ou le rêve sans frontière », art. cité, p. 58.
277Jacques Chancel, Michel Touret, Roland Dhordain, ou encore Daniel Mermet évoqueront l’importance de Stéphane Pizella dans l’histoire de la radio et l’influence qu’il aura eue sur leur carrière respective.
278Yves Gomy, « Nuits », Des mots dés, Lyon, Maison Rhodanienne de Poésie, 1986 ; Paul Giannoli, Les Gestes oubliés, Paris, Grasset, 2002.
279Voir notamment les commentaires sur la page de vente du disque des Nuits du bout du monde, [https://www.amazon.fr/Les-nuits-bout-monde-211745/dp/B00004UW1F], consulté le 7 mai 2019.
280Alain Trutat est producteur et réalisateur de radio. Il s’est occupé d’une réforme des programmes culturels du futur France Culture au début des années 1960. Il a également participé au Club d’Essai.
281Jean Tardieu est un poète. Il a créé Le Club d’Essai avec Pierre Schaeffer en 1946.
282Sur l’ACR, voir Lily Cornaert, Le documentaire et l’atelier de création radiophonique (1969-2001), mémoire de master histoire et audiovisuel, sous la direction de Pascale Goetschel, université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, 2019.
283Anne-Marie Autissier et Emmanuel Laurentin, op. cit., p. 246.
284Ibid.
285CAC, AN, 19940737/60, Fonds France Culture, note de présentation pour la presse, non datée.
286René Jantet est réalisateur de fictions et documentaires depuis les années 1950.
287Yann Paranthoën travaille d’abord comme radariste dans la Marine avant d’entrer à la RTF en 1957 comme technicien. Il produit bientôt ses propres œuvres. Yann Paranthoën, Propos d’un tailleur de sons, Paris, Phonurgia Nova, 2002.
288René Jentet obtient le prix Italia 3 fois.
289Télérama, no 1154, du 4 au 10 février 1972.
290Écriture par le son, France Culture, 10 mai 1972.
291Télérama, no 1154, du 4 au 10 février 1972.
292Ibid.
293Jazz en liberté pour Sim Copans, Jazz sur scène pour André Francis, Connaître le jazz pour Lucien Malson.
294« Inter danse », Micros et Caméras, 1re chaîne, 31 octobre 1970, Ina.
295En 1971, l’émission durera même de 22 heures à 2 heures du matin.
296José Artur, Micro de nuit, Paris, Stock, 1974, p. 123.
297Micros et Caméras, 11 décembre 1965, Ina.
298Entretien avec José Artur, 10 mai 2012.
299José Artur, Micro de nuit, op. cit., p. 177.
300Un soir, en raison d’une affluence très importante, les vitres du bar auraient même cassé. Voir Cécile de Kerguiziau de Kervasdoué, « Les premières années du Pop Club », Cahiers d’histoire de la radiodiffusion, no 70, janvier 2010, p. 120.
301José Artur, Micro de nuit, op. cit., p. 175.
302Le Pop Club, 15 octobre 1970, Ina.
303José Artur, Micro de nuit, op. cit., p. 177.
304Association ayant pour but de défendre et faire connaître la pensée et l’action du général de Gaulle.
305Cécile Kerguiziau de Kervasdoué, « Les premières années… », art. cité, p. 123.
306Guy Robert, « Amphytrion de nuit ; José Artur et le Pop Club », Cahiers d’histoire de la radiodiffusion, no 47, décembre 1995, p. 76.
307Micros et Caméras, 1er juillet 1967, Ina.
308José Artur, Micro de nuit, op. cit., p. 157-168.
309Télé magazine, no 798, du 6 au 10 février 1970, p. 80.
310Cécile de Kerguiziau de Kervasdoué, « Les premières années… », art. cité, p. 125.
311L’Alcazar est un cabaret qui a ouvert en 1968, proposant des revues, des spectacles et des concerts.
312« Le Pop Club à L’Alcazar », 20 novembre 1969, France Inter, Ina.
313Ibid.
314José Artur, Micro de nuit, op. cit., p. 210.
315Ibid.
316José Artur, Au plaisir des autres, op. cit., p. 83.
317« France Inter 24 heures sur 24 », art. cité, 1971, p. 18.
318José Artur, Parlons de moi, y a que ça qui m’intéresse, op. cit., p. 175.
319« France Inter 24 heures sur 24 », art. cité, p. 18.
320Télé 7 jours, no 549, du 31 octobre au 6 novembre 1970, p. 56.
321Entretien avec José Artur, 10 mai 2012.
322José Artur, Parlons de moi y a que ça qui m’intéresse, op. cit., p. 171.
323Le Pop Club, 15 octobre 1970, Ina.
324Entretien avec José Artur, 2012.
325Le Pop Club, 15 octobre 1970.
326José Artur, Micro de nuit, op. cit., p. 176.
327Ibid., p. 272.
328Archives privées de J. Artur, courrier d’auditeurs, lettre de Pierre L., 10 avril 1968.
329« Georges Brassens », Le Pop Club, 28 septembre 1972, Ina.
330José Artur, Micro de nuit, op. cit., p. 180.
331Télérama, no 1266, du 20 au 26 avril 1974, p. 11.
332« Dali », Le Pop Club, 14 mai 1968, Ina.
333José Artur, Micro de nuit, op. cit., p. 177.
334« Le Pop Club », Journal télévisé de 13 heures, 11 juin 1970, Ina.
335L’Humanité, 18 avril 1989.
336« France Inter 24 heures sur 24 », art. cité, p. 18.
337Radioscopie, France Inter, 31 janvier 1969, Ina.
338Le Pop Club, 15 octobre 1970. José Artur : « Je lui promets une très grosse carrière en France ! »
339Paris-Jour, 28 novembre 1966.
340José Artur, Micro de nuit, op. cit., p. 206.
341Entretien avec José Artur, 10 mai 2012.
342Ibid.
343Cécile de Kerguiziau de Kervasdoué, « Les premières années », art. cité, p. 129-134.
344José Artur, Le Pop Club, 15 octobre 1970, Ina.
345Entretien avec José Artur.
346José Artur, Micro de nuit, op. cit., p. 208.
347Rock & Folk, no 91, août 1974, p. 31.
348L’invitation audacieuse de Lucien Morisse serait à l’initiative de Claude Villers, José Artur, Au plaisir des autres, op. cit., p. 136-137.
349Max Gérard, Dali De Draeger, Paris, Le Soleil noir, 1968.
350José Artur, Micro de nuit, op. cit., p. 272.
351Ibid., p. 155.
352Ibid., p. 209.
353Les yéyés, hormis F. Hardy et J. Hallyday, en sont en principe exclus.
354Jacques Chancel, « Une soirée à la cour du roi Artur », Paris Jour, 11 et 12 novembre 1967.
355Cécile de Kerguiziau de Kervasdoué, « Les premières années », art. cité, p. 124.
356Journal Télévisé de 13 heures, 11 juin 1970, Ina.
357France Soir, 19 décembre 1973.
358Le Parisien, 23 juillet 1974.
359« José Artur à Biarritz », Journal Télévisé Aquitaine, 3e chaîne, 7 août 1974.
360Radioscopie, France Inter, 31 janvier 1969, Ina.
361José Artur, Micro de nuit, op. cit., p. 193.
362José Artur, La Nuit au poste, France Inter, 5 février 1996, Ina.
363Dès 1967, il apporte aussi la musique pop et rock à la TV, avec Bouton rouge Il animera ensuite Rock en stock, de 1972 et 1974.
364Patrice Blanc-Francard arrive au Pop Club en 1969 ou 1970, et Bernard Lenoir au début des années 1970.
365« France Inter 24 heures sur 24 », art. cité, p. 17.
366Entretien avec José Artur.
367Radioscopie, France Inter, 31 janvier 1969, Ina.
368Voir par ex. la discussion entre J. Artur et H. Salvador, Le Billet de Vacances de Henri Salvador, France Inter, 31 juillet 1970, Ina.
369Archives privées de José Artur, « Lettre de Bodo M. », Berlin, fin 1969 ; lettre en anglais, notre traduction.
370« Le Pop Club de José Artur », Spécial Radio, 5 février 1973, Ina.
371Cécile de Kerguiziau de Kervasdoué, « Les premières années », art. cité, p. 135.
372Brigitte Fontaine est la première artiste française à voir l’un de ses disques sacré « disque pop de la semaine » en 1969.
373Bob Dylan est le pionnier de la chanson longue. Like a Rolling Stone, sortie en 1965, dure 6 min 34.
374José Artur, Micro de nuit, op. cit., p. 206.
375Inter actualités de 19 heures, France Inter, 12 septembre 1975, Ina.
376Musicien de jazz et compositeur pour le cinéma et l’ORTF.
377Le Monde, 17 octobre 1969.
378Enregistré en 1970, le morceau sera édité en vinyle en 1983 avec d’autres indicatifs ultérieurs.
379C’est dans Le Pop Club que Paco Ibañez s’est produit pour la première fois à la radio.
380Le Pop Club, France Inter, 14 mai 1968, Ina.
381Ibid.
382« Lettre ouverte à Jean-Jacques de Bresson », avril 1972.
383« Georges Brassens », Le Pop Club, France Inter, 28 septembre 1972, Ina.
384Ibid. L’archive a été publiée en CD, Le Pop Club. José Artur reçoit Georges Brassens, Ina/Radio France, 2014.
385Télérama, no 1266, du 20 au 26 avril 1974, p. 11.
386Cécile de Kerguiziau de Kervasdoué, « Les premières années », art. cité, p. 136.
387Le Pop Club, France Inter, 24 avril 1970, Ina.
388Groupe pop néerlandais.
389Guitariste et chanteur de blues américain.
390Claude Villers, cité par Félicie Dubois, La Cathédrale des ondes, op. cit., p. 70.
391Permis la nuit est une émission de TV tardive en 1967, cf. infra
392Le Monde, 21 mars 1968.
393Incarcéré pendant deux ans en Grèce, il sera finalement exilé en France en 1970, à la suite de plusieurs campagnes internationales de solidarité.
394« Lettre ouverte à Jean-Jacques de Bresson », avril 1972.
395Croisière de France, France Inter, 29 juillet 1967, Ina.
396José Artur, Au plaisir des autres, op. cit., p. 157.
397Télémagazine, no 792, du 26 décembre au 1er janvier 1971, p. 111.
398José Artur, Micro de nuit, op. cit., p. 272.
399Archives privées de José Artur.
400Bernard Papin, L’Invention du carré blanc : images convenables, images inconvenantes sur le petit écran des années soixante, Paris, L’Harmattan, 2006.
401Le Pop Club, 15 octobre 1970.
402Ibid.
403Ibid.
404Voir aussi ses émissions Flirt et Flirtissimo.
405« Le Pop Club », Micros et Caméras, 11 décembre 1965, Ina.
406Pop Club, 15 octobre 1970.
407« Georges Brassens », Le Pop Club, 28 septembre 1972.
408Ibid.
409Libre échange, Radio bleue, 11 juin 1996, Ina.
410Ibid.
411Cécile de Kerguiziau de Kervasdoué, « Les premières années », art. cité, p. 138-142.
412L’Express, 20 mars 1972, p. 76.
413« José Artur », La Nuit au poste, France Inter, 5 février 1996, Ina.
414« Démarche en faveur du retour de José Artur », Le Monde, 12 avril 1972.
415« L’affaire José Artur », Le Nouvel Observateur, avril 1972.
416La Semaine radio télé, no 37, 9 au 15 septembre 1972, p. 5.
417Télé 7 jours, no 645, du 2 au 8 septembre 1972, p. 91.
418Archives privées de José Artur, « Lettre de Florence et Germain », 24 novembre 1977.
419José Artur, Parlons de moi, y a que ça qui m’intéresse, op. cit., p. 308.
420Micros et Caméras, 13 novembre 1965, Ina.
421Micros et caméras, 6 août 1966, Ina.
422Elle évoque l’existence de 37 catégories socioprofessionnelles concernées par le travail de nuit.
423Jacqueline Baudrier, À cœur ouvert, 22 octobre 1968, Ina.
424« France Inter 24 heures sur 24 », art. cité, p. 9-20.
425Ibid., p. 17.
426Le Monde, 30 mai 1969.
427Après quelques mois à l’antenne de la station de la rue François-Ier, Pierre Lattès reviendra sur France Inter, et au Pop Club.
428Permis la nuit, 1re chaîne, 21 avril 1967, Ina.
429Le Monde, 20 février 1967.
430Le Monde, 13 mars 1967.
431Télé 7 jours, no 370, du 27 mai au 2 juin 1967, p. 96.
432Les journalistes lui posent des questions insidieuses sur les relations qu’il entretient avec ses modèles.
433Pour la journaliste M. Lefebvre, cette émission constitue une belle « revanche sur le rectangle blanc », Télérama, no 953, du 21 au 27 avril 1968.
434Gilles Pidard, « Rock et télévision : un rendez-vous manqué ? », art. cité.
435Jean-Christophe Averty, Rock & Folk, no 11, octobre 1967.
436« France Inter 24 heures sur 24 », art. cité, p. 16.
437Archives de J. Artur, « Lettre d’Annick », Belfast, 11 août 1969, notre traduction.
438José Artur, Micro de nuit, op. cit., p. 147.
439« Vivre sa ville la nuit », Vivre sa ville, France Inter, 15 mai 1971, Ina.
440Série Un Bivouac sur la lune, France Culture, 1973.
441Par ex. Douce France, 29 janvier 1966, Ina.
442Au début des années 1970, il présente Entracte, avec P.-L. Mignon et Max Favalelli. À partir de 1975, il produit avec Pierre Bouteiller Banc Public
443José Artur, Micro de nuit, op. cit., p. 274.
444Entretien avec José Artur.
445Ibid.
446Télé 7 jours, no 549, du 31 octobre au 6 novembre 1970.
447Radioscopie, 31 janvier, 1969.
448Paris-Jour, 28 novembre 1966.
449CAC, 19890447/3, Mesure d’audience de la radio et de la télévision, « Enquête ETMAR 1967 ».
450Télérama, no 1266, du 20 au 26 avril 1974, p. 11.
451Cécile de Kerguiziau de Kervasdoué, « Les premières années », art. cité, p. 136.
452Voir notamment Cécile Dauphin, « Les correspondances comme objet historique : un travail sur les limites », Sociétés et Représentations, no 13, avril 2002, p. 43-50.
453Inter actualités de 13 heures, 27 juin 1974, Ina.
454Archives de José Artur, « Lettre de Sofia M. », 1er juillet 1970, Karachi, Pakistan.
455« Lettre de Lydie Z. », 25 mai 1970, Neuilly-sur-Seine.
456« Lettre d’Anne-Sophie », Nouvelle-Calédonie.
457Cécile de Kerguiziau de Kervasdoué, « Les premières années », art. cité, p. 136.
458Archives de José Artur, « Lettre de Pierre L. », 10 avril 1968, Marseille. Il a 19 ans et est en terminale.
459« Lettre de Christopher F. », 18 décembre 1969, Neustadt, Allemagne.
460Courriels de Pierre L., 24 et 26 janvier 2016.
461Martine Bernier, « José Artur et mes “nuits du bout des ondes” », 25 janvier 2015, billet de blog [http://www.ecriplume.com/2015/01/jose-artur-et-mes-nuits-du-bout-des-ondes/] , consulté le 6 août 2016.
462Courriel de Pierre L., 24 janvier 2016.
463Martine Bernier, art. cité
464Plus tard, il écoutera les émissions de rock de Bernard Lenoir sur France Inter.
465Pierre est en effet devenu constructeur de platines vinyles et de bras de lecture phonographique.
466« Lettre de Pierre L. », 10 avril 1968, Marseille.
467Ibid.
468Ibid.
469Entretien avec José Artur, 10 mai 2012.
470Journal Télévisé de 13 heures, 1re chaîne, 11 juin 1970.
471Memphis Slim, par ex, invité au Pop Club en octobre 1970, avait téléphoné à l’émission quelques jours plus tôt, pour apporter une précision biographique à un commentaire fait par José Artur à propos d’un chanteur de blues.
472Entretien avec José Artur, 10 mai 2012.
473José Artur, Micro de nuit, op. cit., p. 178.
474Archives de José Artur, « Lettre d’Anna », 18 août 1970, Gdansk, Pologne.
475Ibid.
476Le Pop Club, 15 octobre 1970, Ina.
477José Artur, Micro de nuit, op. cit., p. 178.
478Ibid., p. 180.
479Archives de José Artur, « Lettre de Mireille », 25 février 1982.
480Depuis la rentrée 1973, Le Pop Club ne dure plus que deux heures (23 heures-1 heure).
481« Lettre non signée », janvier 1975, Paris.
482« Lettre non signée et non datée, Hommages à José Artur ».
483« Lettre de Paul B. », 11 septembre 1977, île de Jersey.
484« Lettre de Lydie Z. », 25 mai 1970, Neuilly-sur-Seine.
485« Lettre de Marc F. », 20 janvier 1978, à propos de l’émission du 18 janvier.
486« Lettre de David W. », 20 octobre 1969, Madrid, Espagne.
487« Lettre de Tahar Z. », 11 avril 1975, Sétif, Algérie.
488José Artur, Micro de nuit, op. cit., p. 178.
489Certains auditeurs s’imaginent en effet qu’il est juif. Archives de José Artur, « Lettre anonyme », 4 mars 179, Strasbourg, par ex.
490D’autres imaginent aussi qu’il est homosexuel.
491Pascale Gousseland et Isabelle Jocteur Monrosier, L’Influence des horaires de diffusion sur l’auditoire. France Inter. Europe no 1, mémoire de sociologie, Institut français de presse, 1974.
492Ibid., p. 19.

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