5. Sous le signe des droits de l’homme et de la démocratie
p. 169-199
Entrées d’index
Index géographique : France
Texte intégral
1L’apparition relativement soudaine du thème des droits de l’homme et de la démocratie parmi les valeurs politiques et la rapidité avec laquelle un certain consensus s’est créé autour de ces mots d’ordre jugés naguère obsolètes marque sans doute un tournant dans l’histoire de l’intelligentsia par la redéfinition des enjeux et des formes d’actions qu’elle suppose. Pourtant, autour de ces principes sont venus se greffer de multiples variations et des manifestations qui en révèlent le caractère composite. La mobilisation massive d’intellectuels en faveur des « boat people vietnamiens » comme la réflexion menée par Esprit, Libre et Le Débat sur une interrogation jugée décisive : « Les droits de l’homme sont-ils une politique ? », en passant par les polémiques engendrées par le génocide cambodgien, délimitent sommairement les frontières mouvantes de cette problématique, en suggèrent l’étonnante polysémie, en manifestent la spectaculaire floraison. Pourtant, sous son aspect fédérateur, cette dernière s’inscrit à l’intersection de trois thèmes : antitotalitarisme, tiers-mondisme, démocratie. A travers elle se met en place toute une pluralité de combats mais se donnent à voir aussi les jalons d’une recomposition qui affecte non seulement l’imaginaire idéologique mais également le champ intellectuel proprement dit. Sous ce mot d’ordre aux contours indécis il convient dès lors de distinguer deux mouvements bien différents. Le premier s’enracine pour une large part sur les expériences vietnamiennes et cambodgiennes. Les événements de la péninsule indochinoise (invasion du Kampuchéa par l’armée vietnamienne, le vagabondage tragique des réfugiés en mer de Chine et le génocide cambodgien) marquent indéniablement la banqueroute idéologique et morale du communisme mais drainent aussi, à partir de 1978, les énergies militantes de l’intelligentsia de gauche. La dénonciation des tyrannies, des dictatures ou des totalitarismes extrême-orientaux fixe les jalons de ce nouvel engagement et en définit les modalités. Sur elle vient se greffer la thématique des droits de l’homme, visée programmatique minimale. Appréhendée dans une acception extensive et généraliste, elle détermine toute une série d’investissements politiques et intellectuels plus ou moins gratifiants. Analysant le sens d’une trajectoire, celle des intellectuels face au tiers-mondisme, Claude Liauzu sera amené à décrypter derrière le glissement significatif des engagements, des grandes causes abstraites au profit d’investissements caritatifs teintés d’humanisme, un déplacement idéologique évident qui scanderait l’imposition de nouveaux pouvoirs intellectuels1. L’abandon des utopies révolutionnaires et tiers-mondistes aurait eu pour conséquence un redéploiement politique marqué par un retour à l’Occident, dépositaire des droits de l’homme. Ce double transfert, de la révolution aux droits de l’homme et du tiers-monde à l’Europe, pourrait aussi se lire à travers les luttes constitutives du milieu intellectuel proprement dit. Dans cette perspective, les changements de cap de la rive gauche ne sauraient être interprétés comme simple passage de l’erreur à la vérité. Pour lui, les autocritiques tapageuses et les parricides de ces figures tutélaires qui guidèrent les intellectuels ne seraient rien d’autres que de simples « tactiques classiques dans des luttes de pouvoir »2. Le second mouvement apparaît au début des années quatre-vingts autour de trois revues, Esprit, Libre et Le Débat, qui, dans la filiation de la réflexion sur le totalitarisme développent une interrogation sur la démocratie et entreprennent de questionner la thématique des droits de l’homme. C’est à partir de ces idées que s’esquisse un mouvement de retour vers ce thème dévalorisé par la domination idéologique – directe ou diffuse – du marxisme au sein de la gauche intellectuelle. Ces différents débats permettent de saisir un vaste redéploiement idéologique. A travers les diverses acceptions que revêtent ces thèmes et leurs utilisations, se dégage une pluralité de trajectoires intellectuelles et d’attitudes politiques qui constituent autant de modalités particulières pour tenter d’accorder les engagements pris avec les interrogations des clercs sur eux-mêmes.
La parabole vietnamienne : du romantisme révolutionnaire à la mobilisation humanitaire
2A partir de 1977, la centralité de la problématique totalitaire va amplifier considérablement la leçon des faits. Pour beaucoup d’intellectuels, la conjonction des événements indochinois et du message soljénitsynien marque définitivement le temps des ruptures. Si Pierre Grémion mentionne à juste titre le caractère hétérogène des expériences et des désillusions chinoises, vietnamiennes et cambodgiennes, soulignant simplement le point focal sur lequel elles convergent, « le totalitarisme comme seule issue à la mise en œuvre du marxisme-léninisme »3, il tend cependant à minorer une autre problématique qui, s’enracinant étroitement sur cette dimension extrême-orientale, ne sera pas sans conséquence sur la redéfinition des attitudes de la cléricature française : celle des droits de l’homme. Car les événements indochinois ont joué un rôle important dans le renversement de perspective et dans les interrogations concernant le tiers-mondisme. Les affrontements militaires entre Etats socialistes (Chine/Vietnam par exemple) ont sans doute surpris, suscité des interrogations, remis en question un certain nombre de valeurs et d’idéaux4. Mais l’impact de ces épisodes guerriers a encore été amplifié par le problème de ce que l’on a appelé les « boat people » vietnamiens. La conjonction explosive de deux éléments (problématique totalitaire et droits de l’homme), orchestrée par des campagnes de presse à haute charge affective, a suscité ce curieux effet de boomerang : auréolé de gloire par un combat héroïque et dès lors prisonnier d’un mythe, le Vietnam s’est révélé incapable de répondre aux attentes qu’il avait engendrées au sein de l’intelligentsia de gauche. La déception fut alors souvent à la hauteur de l’espoir investi et prit le biais de déclarations fracassantes et repentantes, d’opérations humanitaires spectaculaires particulièrement bien orchestrées.
3Véritable mythologie politique, au même titre que la Chine ou Cuba, le Vietnam s’inscrivait parfaitement dans l’imaginaire révolutionnaire et tiers-mondiste d’une intelligentsia progressiste en quête de paradis incarnés. Ces trois pays avaient en effet tenu dans l’idéal de la gauche occidentale une place centrale où l’engagement idéologique se teintait aussi d’un puissant investissement affectif et dramatique. Tout au long de leurs conflits, avec la France d’abord, puis avec les Etats-Unis surtout, les Nord-Viêtnamiens avaient peu à peu capitalisé la sympathie de l’intelligentsia progressiste. Cette attitude pro-vietnamienne trouvait son origine dans un écheveau complexe où l’antiaméricanisme viscéral se mêlait inextricablement à une culpabilité occidentale vis-à-vis des pays du tiers-monde ainsi qu’au sentiment de trouver un modèle, certes imparfait mais prometteur, de société ayant fait table rase du passé et engageant avec succès, malgré de rudes épreuves, la construction d’un Vietnam nouveau à Hanoi. Lieu de projection des espérances et de l’idéalisme utopique, la réalité vietnamienne avait ainsi fait l’objet d’une lecture univoque : le mythe vietnamien élaboré ne restituait que la face positive d’un régime qui, après et mieux que beaucoup d’autres, semblait réussir la synthèse harmonieuse d’un développement économique et social conjuguant communisme avec liberté. Tous les aspects non conformes à cette représentation idéalisée échappaient à l’éclairage mais devaient réapparaître plus tard sous une lumière crue.
4La seconde moitié de la décennie soixante-dix marquera donc pour les intellectuels qui avaient soutenu inconditionnellement le Vietnam dans son combat héroïque une période ambiguë, faite de doutes et de déceptions mêlés. Tiraillés entre un passé exaltant et un présent plus sombre, les clercs sont confrontés à un véritable « dilemme vietnamien »5. Cette formule résume l’attitude nouvelle qui prédomine au sein de cette cléricature jusqu’alors favorablement disposée envers le régime de Hanoi. Les trajectoires de Madeleine Rebérioux et Laurent Schwartz sont exemplaires à cet égard. La première, historienne, a longtemps milité dans les rangs du PCF et fut l’une des animatrices du Comité Vietnam national. Le second a participé, dans le cadre des luttes et des engagements anticolonialistes, aux activités du Tribunal Russell aux côtés de Jean-Paul Sartre. Dans cet article, les deux auteurs s’efforcent de lever le voile sur les fantasmes et les aveuglements qui ont pu accompagner les engagements aux côtés des révolutions du tiers-monde. Ils tentent aussi de faire la part des choses entre les réalités peu démocratiques du Vietnam et le poids d’un passé qui grève lourdement le processus de reconstruction. Guidé par le souci de ne pas succomber à cette « fièvre antivietnamienne » qui sévit en France, tendant à faire du Vietnam tout à la fois le principal bouc-émissaire d’une intelligentsia de gauche désabusée et une arme affûtée dirigée contre le Parti communiste, Madeleine Rébérioux et Laurent Schwartz instruisent le procès d’un régime aux « mœurs peu démocratiques ». Mais ils livrent également un réquisitoire à l’égard de la complaisance occidentale trop longtemps affichée envers certains pays bafouant les droits de l’homme, estimant révolue cette période qui permettait d’absoudre les violations des droits perpétrés par ces pays considérés comme progressistes au nom de la révolution.
5C’est dans ce contexte bien particulier, révélant une sensibilité extrême à la thématique des droits de l’homme, qu’est lancée l’opération « Un bateau pour le Vietnam ». Transpartisane, cette mobilisation fut définie par l’un des ses animateurs, Bernard Kouchner, comme une révolte contre « l’indifférence que nous soufflaient les bienséances de la politique »6. En fait, l’origine de cette initiative revient à Jacques et Claudie Broyelle. Ces derniers tentèrent, en novembre 1978, d’alerter l’opinion publique sur la tragédie des « boat people » en mer de Chine et lancèrent la première grande opération humanitaire, soutenus par Bernard Kouchner, Bernard-Henri Lévy, Alain Geismar mais aussi par Olivier Todd, Michel Foucault et André Glucksmann qui apportèrent leur caution et leur concours. Le but de leur action était de sauver le maximum de personnes qui fuyaient soit la campagne « Nanqiao », visant les Chinois installés au Vietnam, soit le régime imposé au Sud par le Nord. Diverses étapes jalonnèrent cette mobilisation en faveur des Vietnamiens. Un appel publié dans Le Monde du 22 novembre 1978 déclencha le mouvement de soutien aux « boat people » : « Chaque jour des embarcations improvisées affrontent les tempêtes de mer de Chine. Des milliers de Vietnamiens, en s’échappant, tentent de vivre. La moitié se noient, tous sont rançonnés, subissent l’assaut des pirates. Trouvons donc en Europe, en Amérique, en Asie, en Australie, des pays d’accueil. Mais faisons plus : allons chercher ces fugitifs. Un bateau en mer de Chine doit pouvoir en permanence rechercher, repêcher les Vietnamiens qui ont pris le risque de quitter leur pays. Les gouvernements ne sont pas seuls en cause et certains sont actifs. C’est notre affaire d’organiser les premiers secours. L’urgence : un bateau, un équipage, de l’argent. Une bouée, un refuge. Ensuite un pays d’accueil (...) »
6Cette action en faveur des « boat people » vietnamiens épouse les singularités de la « topique du sentiment » analysée par Luc Boltanski dans La souffrance à distance7. Dès les premières lignes du manifeste publié se met en place l’appel des organisateurs et se dévoile la logique qui sous-tend cette opération. Il s’agit d’abord d’une évocation de la situation tragique des milliers de Vietnamiens confrontés à la mort. Les périls rencontrés (noyades, piratages, rançons) permettent de qualifier et d’identifier les malheureux. Les souffrances et les risques éprouvés sont nommés de façon concise et précise. Mais l’ensemble reste suffisamment général pour pouvoir se fondre dans une représentation unifiée. Par ce mélange de souffrance et de « montée en généralité » se met en place un élément indispensable à toute « politique de la pitié », constamment confrontée à une double exigence apparemment inconciliable : en tant que politique, elle doit s’arracher au local et prétendre à une certaine généralisation ; mais en même temps, elle ne peut méconnaître la pitié indissociable des cas singuliers. Plus que de susciter un sentiment d’injustice qui prend l’aspect d’une indignation à l’égard d’un Vietnam désigné à la vindicte et au ressentiment (les persécuteurs ne sont pas identifiés, le regard se focalise exclusivement sur les « boat people » définissant ainsi un chemin qui délaisse la recherche d’un coupable et sa dénonciation) cette pétition entend surtout éveiller une certaine pitié à l’égard des victimes entassées sur les jonques en mer de Chine et engendrer une action collective et bienfaisante à leurs égard.
7Une fois posée la description mobilisatrice, intervient l’exhortation à l’action. A travers la multiplication des formes verbales impératives est lancé l’appel en faveurs des Vietnamiens. La considération de la souffrance est une invitation à agir et elle est redoublée par l’impératif de « l’urgence » qui exige un engagement. En arguant de l’urgence, les organisateurs entendent court-circuiter ou neutraliser toute tentative de mise à distance de la souffrance. L’implication de tous (« c’est notre affaire) est affirmée explicitement. Mais les actions envisagées et les solutions proposées engagent plus qu’une simple prise de parole. Elles font appel à la générosité des donateurs. Le message est dénué d’ambiguïté : « L’urgence : un bateau, un équipage, de l’argent. » Si cette opération réactive un thème majeur, celui de l’engagement, elle se pare également d’un aspect relativement novateur : elle recèle une proposition d’engagement qui ne vise pas seulement les clercs mais l’ensemble des bonnes volontés susceptibles de s’unir et de soutenir une action fondée d’abord et avant tout sur l’émotion. Décisive est en fait cette pétition qui fonctionne sur plusieurs plans différents. Elle est sans doute l’une des toutes premières grandes opérations de type humanitaire qui rompt avec les formes traditionnelles de mobilisation habituellement mises en œuvre au nom de la révolution ou contre les guerres coloniales menées par les impérialismes occidentaux. Elle ne s’inscrit pas dans une grille de lecture explicitement « idéologique », comme celle engendrée par l’adhésion au marxisme8 et prend par là-même ses distances avec le type de dénonciation qui fonctionnait encore au cours de la décennie soixante-dix, tout particulièrement dans les milieux gauchistes9. De manière évidente, cette mobilisation ne s’effectue pas à partir de slogans idéologiquement circonscrits mais se décline sur le mode de l’urgence. La défense des grandes entités (le prolétariat, le communisme) et l’espoir investi sur l’avenir, autant de traits qui caractérisaient le romantisme révolutionnaire, sont éclipsés au profit d’un présent immédiat et de la sauvegarde de persécutés (au nom d’une éthique médicale par exemple) qui ne s’intègrent plus dans un système cohérent et totalisant.
8Analysant « l’enjeu tiers-mondiste », Claude Liauzu a diagnostiqué la concomitance de deux phénomènes : l’investissement massif dans le seul combat qui ne soit pas « douteux », celui qui se tend à se réduire aux « opérations de sauvetage », et l’émergence de nouvelles figures, celle de l’aventurier mais plus encore du médecin, désormais détenteurs de tous les traits du héros positif, qui réalisent l’unanimité et dévaluent complètement celle du militant. Rien de plus exemplaire que la trajectoire de Médecins sans frontières qui, créé discrètement en 1971, « a vécu dans l’indifférence et l’ignorance de l’opinion jusqu’à la déchirure cambodgienne. C’est l’opération “boat people” en 1979, associant Aron et Sartre dans une réaction contre l’aveuglement idéologique, qui est la première campagne de promotion des urgences humanitaires. »10. La valorisation de cette figure nouvelle est évidemment étroitement liée au succès de ces droits de l’homme, le plus souvent appréhendés dans une acception minimale, limités aux interventions ponctuelles. L’effondrement des croyances idéologiques et la multiplication des campagnes néo-caritatives ont engendré cette posture. La disparition des espérances révolutionnaires a signé la fin des partisans et des militants. Il y a ainsi un accord évident entre un contenu (minimum moral et désaffection du politique, réhabilitation du sujet et repli sur l’individu), un style (spectacularisation et sollicitude envers les victimes, pratique de l’exorcisme verbal contre ces grande entités que sont la faim et le terrorisme) et l’opinion publique. Ces aspects, intervention ponctuelle et limitée, apparition d’une nouvelle figure exemplaire, celle du médecin, doivent être corrélés à la « médiatisation » qui accompagne l’opération menée et au brouillage de la configuration idéologique qui prévalait auparavant. Comme le soulignera André Glucksmann, « pour finir de bousculer les clivages les mieux établis de l’intelligence française, il a suffi qu’un petit groupe d’individus lance l’idée d’un bateau pour secourir les réfugiés d’Asie du Sud-Est. »11. L’analyse des signatures recueillies inciterait sans doute à donner raison à cette lecture transpartisane. Les clercs qui ont paraphé ce texte appartiennent en effet à tous les horizons idéologiques et semblent prolonger par là-même le relatif œcuménisme du Comité des Intellectuels pour l’Europe des Libertés. De fait, cette action mobilise les sartriens (Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Jean-Baptiste Pontalis, Jean Pouillon), les fidèles du Nouvel Observateur (François Châtelet, Maurice Clavel, Vladimir Jankélévitch, Roland Barthes, Simone et Jean Lacouture, Michel Foucault, Edgar Morin, Alain Touraine), des artistes (Simone Signoret, Yves Montand, Brigitte Bardot) et enfin de nombreux signataires du CIEL, mêlant libéraux, ex-gauchistes, maoïstes repentis, (Philippe Sollers, Raymond Aron, André Glucksmann, Jean-François Revel, Alain Ravennes, Jean d’Ormesson, Jean-Marie Benoist, Eugène Ionesco). Pourtant, par-delà l’éclectisme de ces signatures se dégage une dominante, que l’on pourrait qualifier de « progressiste ». Celle-ci fut souvent aux avant-postes pour soutenir, souvent sans réserve, la cause vietnamienne contre l’agresseur américain : Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, membres du Tribunal Russell avec Laurent Schwartz et infatigables défenseurs du Vietnam, André Glucksmann et Jacques Broyelle, membre des Comités Vietnam de Base, Olivier Todd, journaliste qui, après avoir longtemps soutenu les combattants vietnamiens dénonça en 1973 les exactions commises par le Viêt-minh et se livra à une autocritique12, Simone et Jean Lacouture, auteurs en 1976 d’un récit de voyage « compréhensif » à l’égard du Vietnam libéré et réunifié, Vietnam. Voyage à travers une victoire13. Quelques années plus tard, une grande partie de ces intellectuels pro-vietnamiens se mobiliseront en faveur des victimes d’un régime qu’ils ont longtemps soutenu et défendu.
9A cette première action vient s’en adjoindre une seconde au cours de l’année 1979. Alors que le navire-hôpital L’Ile de Lumière est ancré à Poulo Bidong, Le Monde publie le 13 avril 1979 un nouvel appel émanant du Comité. Sollicitant la générosité des lecteurs et de l’opinion publique, il entend aussi lutter contre l’oubli et l’indifférence. Cette mobilisation contre l’apathie passe par une diversification des actions entreprises. A côté des formes traditionnelles de mobilisation, activités pétitionnaires et manifestes, les instigateurs du « bateau pour le Vietnam » multiplient les démarches plus spectaculaires afin de sensibiliser l’opinion publique. Un certain nombre de conférences de presse sont organisées. Les grands hôtels parisiens, Sofitel, Plaza Athénée et Lutetia, sont les lieux de ces manifestations successives. Ils fournissent l’occasion des retrouvailles entre Jean-Paul Sartre et Raymond Aron. Quelques jours après leur face à face à la tribune de l’hôtel Lutetia, le 20 juin 1979, les deux clercs se retrouvent à l’Elysée. Accompagnant la délégation composée par Claudie Broyelle, André Glucksmann, Bernard Kouchner et Jean-Claude Sénéchal, ils sont reçus, le 26 juin, par le Président de la République, Valéry Giscard d’Estaing. Rendant compte de cette démarche conjointe, Raymond Aron définira dans ses Mémoires cette rencontre comme « tout à la fois silencieuse et ostentatoire »14. De fait, la mobilisation autour des « boat people » vietnamiens ne fut pas dénuée d’un certain souci de mise en scène. Le recours aux médias, pour pointer l’urgence d’un problème et lever l’indifférence qui l’entoure, apparut aussi relativement novateur. Le « coup » médiatique que représenta la rencontre de Jean-Paul Sartre et de Raymond Aron contribua à la publicité de cette action humanitaire. Il consacra également, pour de nombreux observateurs, l’idée d’un dépérissement de la visibilité des clivages, la fin d’un âge idéologique et l’avènement d’un nouvel ordre intellectuel et politique qui, bannissant l’exacerbation des conflits au profit de la concertation ou de la réconciliation, rendait possible le rassemblement de familles jadis radicalement opposées.
10L’analyse que livrèrent les organisateurs de l’opération « Un bateau pour le Vietnam » s’est explicitement inscrite dans cette logique consensuelle et pacifiée. L’époque des grands affrontements idéologiques sembla bien, sous cet angle particulier, dépassée. La promotion de la vulgate caritative passa aussi par le biais d’un rejet des tensions, par une aspiration à l’apaisement des passions et à la fin des antagonismes qui fonctionnèrent et structurèrent le champ intellectuel français pendant plusieurs décennies. Car c’est incontestablement sur ce plan-là que s’organisa en France la campagne en faveur des « boat people ». Par-delà toutes préoccupations idéologiques apparentes, les instigateurs de cette action brandirent le drapeau de l’engagement humanitaire. Tel fut par exemple le sens de l’explication de la rencontre Sartre/Aron délivrée par Bernard Kouchner dans un entretien avec André Glucksmann accordé au Nouvel Observateur (25/11/79). Pour lui, il ne fit pas de doute que ni Aron ni Sartre n’ont gagné. Ce n’est assurément pas autour d’une analyse du Vietnam qu’ils se sont mis au diapason mais sur l’urgence du secours en mer. Il s’agissait bien, d’abord et avant tout, d’un « assentiment autour d’une ambulance ». Ce commentaire, aussi succinct soit-il, dévoile tout le soubassement idéologique de l’« opération ». Interprétée par Bernard Kouchner, la rencontre Sartre/Aron se pare d’une dimension novatrice : l’absence de vainqueur exprime cette éthique nouvelle. L’heure des polémiques semble bien terminée. La critique politique a perdu sa légitimité ; elle est supplantée par un certain nombre d’impératifs d’ordre « moral ». Au clivage idéologique s’est substitué le binôme indignation/compassion. La noblesse et l’urgence de la cause à défendre rendent définitivement caduques les postures et les engagements naguère adoptés. L’intérêt porté aux grands systèmes doctrinaux qui tendaient à régir l’investissement des clercs et qui consacraient l’idée d’un avenir pensable et enviable est balayé sous l’aiguillon de l’urgence qui limite les interventions aux cas ponctuels et à un présent immédiat. Le refus véhément exprimé par Bernard Kouchner de faire un travail explicitement idéologique, reléguant les interprétations sur le Vietnam au second plan, exprime bien cette nouvelle donne « idéologique » qui opère la dilution des adversaires et la dévaluation des « idéologies dures ». Le glissement qui s’effectue, de la dénonciation de l’oppresseur au soutien aux opprimés, témoigne aussi de ce recentrement sur une certaine forme d’humanisme consubstantiel à cette vulgate des droits de l’homme entendue dans une acception extensive.
11Avec cette évolution, c’est aussi à une transformation de la figure de la victime que l’on assiste. Celle-ci n’est plus le « damnée de la terre », l’exploité, le prolétaire ou l’aliéné et sa misère n’est plus emblématique. La victime se présente désormais sous les traits de celui qui est stigmatisé, torturé, emprisonné. Figure de l’exception ou de l’anomalie, elle souffre fondamentalement d’un « déni de droit »15. Cet ensemble de caractéristiques peut se lire comme autant d’indices attestant l’éclosion d’une « soft idéologie » qui, en bannissant les antagonismes, délivre un message consensuel, imposant le simulacre ou l’illusion de proximité, occultant, mais sans les abolir, les différences et les points de désaccords au profit d’une représentation dépassionnée et désenchantée du monde et qui se trouve mise en œuvre par la frange la plus médiatique de l’intelligentsia. Significativement, la part prise par un certain nombre d’ex-gauchistes qui, au cours des années soixante-dix, ont répudié leurs engagements révolutionnaires (les époux Broyelle, Bernard Kouchner, André Glucksmann par exemple) avant d’occuper les avant-postes sur la scène intellectuelle par quelques ouvrages polémiques, fut décisive dans l’organisation de cette action humanitaire. Leurs trajectoires passées et leurs investissements présents ainsi que les liens noués avec certaines nébuleuses intellectuelles, autour des Temps Modernes ou du Nouvel Observateur, peuvent rendre compte de l’éclectisme des signatures réunies et du succès de la mobilisation. Elles permettent de mesurer aussi l’écart parcouru en l’espace d’une dizaine d’années : du romantisme révolutionnaire à la mobilisation humanitaire, du « Che » ou de Mao aux ONG, du militantisme souterrain des groupuscules maoïstes à l’orchestration médiatique, la parabole de ces clercs épouse assez bien celle de toute une fraction du champ intellectuel qui, par ses thèmes, ses postures et ses engagements, est passé de l’exaltation de la révolution à la dénonciation du marxisme et des messianismes avant de se complaire dans le désenchantement politique, voire dans une certaine attitude mêlant théâtralisation médiatique et indignation quotidienne au nom des droits de l’homme.
Polémiques du génocide cambodgien
12Si la mobilisation pour les « boat people » vietnamiens fut un tournant important dans l’imposition de la thématique des droits de l’homme, la découverte du génocide cambodgien exacerba les débats autour de cette question. Entre le scepticisme et l’incrédulité initiale de certains, la véhémence dénonciatrice des autres, toute une palette d’attitudes accueillit les premiers récits des réfugiés cambodgiens et des témoignages occidentaux. Pourtant, à partir de 1977, le doute ne semblait plus permis. La multiplication et la convergence des témoignages toujours plus accablants pour le régime de Pol Pot ne permettait plus de couvrir et justifier le pouvoir en place à Phnom Penh. Face à cette situation, une polémique étrange se développa pourtant à propos du Cambodge. Elle n’emprunta pas la configuration classique opposant contempteurs et laudateurs du régime, mais prit l’allure d’une querelle méthodologique. Le choc cristallisateur émana du linguiste américain Noam Chomsky. Portant sur la critique des sources documentaires accessibles aux observateurs occidentaux, il ne visait ni à justifier ni à absoudre le régime de Pol Pot des crimes qui lui étaient imputés. Il ne s’agissait d’ailleurs pas pour Noam Chomsky, puis pour son avocat français Serge Thion, d’écrire sur le Cambodge lui-même mais sur ce que les autres en disaient. Pourtant, par-delà les arguments mobilisés, se dessinèrent, en filigrane d’abord, puis de manière beaucoup plus appuyée, deux représentations antagonistes au substrat fortement idéologique. Débutant vers 1977 avec la parution du livre de François Ponchaud, Cambodge. Année zéro16, cette affaire connut une succession de rebondissements. Limitée dans sa première phase à un nombre restreint de protagonistes, elle s’étendit au cours de la seconde phase à un cercle beaucoup plus large puisque certaines revues comme Esprit, Les Temps Modernes, Change, et certains journaux comme Le Matin de Paris ou Le Nouvel Observateur, entrèrent à leur tour en lice17.
13Membre de la Société des Missions Etrangères de Paris, François Ponchaud avait vécu au Cambodge de 1965 à 1975. Responsable d’un foyer d’étudiants khmers, il fut obligé de quitter Phnom Penh le 6 mai 1975. A la suite de ce départ précipité, il commença à recueillir des témoignages de réfugiés cambodgiens. Après ses articles alarmants publiés en 1976 dans Le Monde18, textes accueillis pourtant avec scepticisme19, il systématisa son étude et livra l’année suivant son ouvrage, décisif quant aux prises de consciences qu’il engendra20. Evoquant ses sources – l’écoute régulière de radio Phnom Penh, la voix officielle du Kampuchéa démocratique, mais surtout les témoignages recueillis auprès de quatre-vingt quatorze cambodgiens, dont soixante-dix sept émanant de réfugiés en Thaïlande et dix-sept de réfugiés au Vietnam – l’auteur soulignait deux écueils : d’une part éviter de céder à un engouement pour une révolution espérée, d’autre part succomber à la critique systématique et tomber dans la suspicion généralisée. Affinant et complétant ses analyses publiées précédemment dans Le Monde, François Ponchaud relatait les étapes de la tragédie cambodgienne : exodes forcés et évacuation des villes dans les pires conditions possibles, travail obligatoire pour le peuple nouveau, famine, épuisement, organisation de la délation, exécution des cadres de l’ancien pouvoir et de leur famille d’abord, puis celle de tous les mécontents et réfractaires au régime. Il présentait aussi l’idéologie Khmer rouge, son désir de faire disparaître tout ce qui peut rappeler l’Occident et livrait enfin une hypothèse explicative permettant de comprendre les raisons du génocide perpétré par les nouveaux dirigeants du pays. Pour lui, cette épuration ne saurait être dissocié de toute une vision de l’homme, vision selon laquelle « l’homme vicié » ne pouvant être changé, il devait être « retranché physiquement de la communauté des purs » (p. 72).
14François Ponchaud insistait encore sur les leitmotive de la propagande khmère qui reposait sur trois mots étendards : lutte, maîtrise, victoire. Le régime de Pol Pot affichait son délire de luttes – lutte pour planter des cultures stratégiques, lutte pour labourer et ratisser, lutte pour produire avec courage, lutte pour puiser des alluvions –, et son délire de maîtrise. Ce thème de la « maîtrise » revenait de manière obsessionnelle dans les slogans rapportés par le père Ponchaud. Le but de cette litanie visait à dynamiser le peuple des travailleurs afin d’arriver à maîtriser la terre et l’eau, maîtriser les rizières et les champs, les forêts et toute la végétation, maîtriser son avenir et son destin, maîtriser la révolution enfin. Cette conjonction entre « l’esprit de lutte offensive » et l’obsession de la maîtrise finissait par engendrer, dans le discours officiel khmer, autant de victoires : « victoire sur l’inondation », « victoire sur les éléments », « nouvelle victoire dans la construction du pays ». Cette étude minutieuse des slogans mobilisateurs et triomphalistes s’accompagnait d’une dissection attentive des rouages et des structures administratives, économiques, politiques et militaires mises en place par le régime de Pol Pot. Elle analysait la logique qui présidait aux décisions khmères et menait enfin une critique du mouvement révolutionnaire lui-même, de son ambition de révolution radicale passant non seulement par une suppression des villes mais aussi par la liquidation des anciens cadres, la restructuration complète de la société et de l’économie, la refonte de la culture et l’abolition de toute religion.
15Après Cambodge Année Zéro le temps des « silences sélectifs » (Jean Lacouture) semble en effet bien révolu. C’est, plus ou moins directement d’ailleurs, à partir de ce livre que s’enclenche en fait toute une succession de débats et d’opposition, inextricablement mêlés qui s’entraînent les uns les autres. Ainsi, les logiques partisanes et le jeu d’un engrenage polémique, après avoir porté au premier plan de la scène la tragédie cambodgienne, déplaceront les feux de l’action vers les arrière-plans jusqu’alors plus occultés, inversant en quelque sorte l’ordre des priorités : aux sanglantes réalités du pouvoir Khmer se substitueront les querelles épistémo-politico-idéologiques du microcosme intellectuel. Relégué au second plan, le « génocide cambodgien » devient ainsi la toile de fond sur laquelle s’inscrivent les antagonismes idéologiques et les trajectoires intellectuelles des acteurs. Elucider les grandes lignes de cette confrontation et de ses enjeux suppose de remonter à la source du contentieux, c’est à dire à l’article de Jean Lacouture sur l’ouvrage de François Ponchaud publié d’abord dans Le Nouvel Observateur avant d’être traduit dans une revue américaine, la New York Review of Books (31 mars 1977). Cette traduction, mêlant dénonciation du régime Khmer et mea culpa, connut un certain succès dans la presse d’outre-Atlantique qui consacrera à ce sujet bon nombre d’éditoriaux. Mais le problème vint ensuite d’un lecteur attentif qui compara le livre original avec sa recension et s’aperçut, comme le souligne Serge Thion, « que la plupart des affirmations de Lacouture n’avaient pas de fondement dans l’ouvrage cité »21. Ce lecteur critique, qui était Noam Chomsky, manifesta sa surprise et écrivit à Jean Lacouture. Ce dernier répondit à son détracteur dans la revue américaine et fournit un certain nombre de « corrections ». Dans cet article, « Cambodia : Corrections », le journaliste français faisait amende honorable quant aux inexactitudes dévoilées mais justifiait son action au nom d’un peuple en péril, soumis à un véritable génocide. L’essentiel de sa défense reposait sur l’urgente et impérieuse nécessité de dénoncer et condamner le régime sanguinaire de Pol Pot, fût-ce au prix de quelques erreurs : « Les corrections de Noam Chomsky m’ont profondément affecté. Les graves inexactitudes de citations qu’il signale ne mettent pas seulement en question mon respect des textes et de la vérité mais encore la cause même que je voulais défendre. Je regrette tout particulièrement les erreurs d’attribution que j’ai signalées plus haut et reconnais que j’aurais dû vérifier avec plus d’exactitude le chiffre des victimes, chiffres provenant, en outre, de sources qu’on peut juger discutables. Ma lecture du livre de Ponchaud a été hâtive et m’a bouleversé et j’ai trop vite choisi divers aspects polémiques. Mais s’il me faut plaider coupable en ce qui concerne le traitement des détails dans mon compte rendu, je plaide non-coupable en ce qui concerne son argumentation fondamentale. Confronté à une entreprise aussi monstrueuse que celle du nouveau gouvernement cambodgien, le principal problème est-il de déterminer à qui au juste il convient d’attribuer la paternité de telle déclaration inhumaine et de chercher à savoir si le régime a assassiné des milliers ou des centaines de milliers de misérables ? Il vient un moment quand un grand crime est en train de se commettre, où mieux vaut parler, en n’importe quelle compagnie, que garder le silence. »22 Cette mise au point de Jean Lacouture est riche d’enseignements. Si la mobilisation en faveur des boat people se calquait sur la « topique des sentiments » décrite par Luc Boltanski, la prise de parole du journaliste à propos du Cambodge se fait sur un autre mode qui est fondamentalement celui de la dénonciation23. Alors que dans l’épisode vietnamien l’appel à l’action se portait sur les victimes, dans la tragédie cambodgienne, la cible visée par Jean Lacouture concerne « l’entreprise monstrueuse » d’épuration menée par le nouveau régime cambodgien. Les persécuteurs sont désignés et c’est contre eux que portera l’essentiel de l’offensive. Utilisant le lexique de l’indignation, l’auteur réactive un certain nombre de traits invariants propre au genre pamphlétaire24. C’est par la médiation de la parole, et par une parole violente, que s’exprime d’abord la colère et que s’affirme l’action. Plus que jamais la parole se trouve valorisée. Elle est un acte et porte en elle une dimension agissante ; elle est accusation. Les mots constituent un moyen d’agir en dévoilant. Mais cette parole est aussi une parole risquée, qui implique des sacrifices. Sur ce point encore, la contrition de Jean Lacouture s’inscrit dans cette logique pamphlétaire analysée par Marc Angenot. Bouleversé par le livre de François Ponchaud, l’auteur a négligé certains aspects pour centrer son argumentation sur la thèse soutenue, celle d’un génocide prémédité au Cambodge. Conscient de ses négligences, il les reconnaît mais ne désarme pas : la prise de parole prévaut sur le silence. L’indignation tient lieu de dignité et les risques encourus sont acceptés, car comme l’estime l’auteur, « mieux vaut parler, en n’importe quelle compagnie, que garder le silence ». La défense de la cause n’est donc pas sans risques : elle l’a amené à commettre des erreurs d’attribution ; elle pourrait encore le compromettre. Cette présence de l’énonciateur dans l’énoncé joue un rôle essentiel dans l’affirmation de l’accusation. La confession autobiographique révèle l’implication affective indispensable pour justifier la colère et dénoncer l’imposture afin de vaincre la « conspiration du silence ». La concession des erreurs s’intègre quant à elle dans la logique de la polémique dénonciatrice qui exige, parallèlement à l’investissement émotif, une prise de distance à l’égard des affects ressentis afin d’étayer sur des arguments « objectifs » et pertinents l’acte d’accusation25. Par son mea culpa, Jean Lacouture se place ainsi sur les deux niveaux dégagés : en acceptant les critiques formulées par Noam Chomsky, il fait preuve d’objectivité et tempère son indignation initiale mais il réaffirme avec conviction le caractère personnel de son engagement, justifiant la violence de sa réaction par le dévoilement nécessaire du scandale. Plus que jamais, la prise de parole se veut un mode d’agir : elle est un moyen mais elle est aussi un objet de la lutte puisqu’il s’agit pour le journaliste de reconquérir un droit à la parole que les remarques de Chomsky ont mis en question.
16Après ce premier affrontement, Noam Chomsky, remontant vers le point d’impulsion, se pencha ensuite sur l’ouvrage même de François Ponchaud et formula quelques critiques et remarques concernant notamment les sources utilisées. Sa scrupuleuse lecture de Cambodge Année Zéro l’amena ainsi à souligner l’impossibilité de contrôler tous les témoignages des réfugiés rapportés par l’auteur. La confrontation des deux séries de textes publiés alors par François Ponchaud laissait apparaître un certain nombre de différences entre les deux articles parus dans Le Monde en février 1976 et le livre. Etayée sur ces observations et ces faiblesses méthodologiques, la conclusion de Noam Chomsky, toute en demi-teinte, révélait ses réticences : « Là où une vérification indépendante est possible, le récit de Ponchaud paraît pour le moins négligent, parfois de façon significative. Néanmoins, le livre est un travail sérieux, quelle que soit la façon dont la presse l’a déformé. »26. Entre sérieux et négligence, le critique Noam Chomsky, égratignant au passage la presse, formule une appréciation ambiguë. Sur un ton docte, non dénué d’une précaution toute académique, le linguiste neutralise la portée du livre de François Ponchaud. En se plaçant sur le terrain méthodologique, il sape les assises du témoignage. A la prise de parole quelque peu polémique et fortement affective du père Ponchaud et de Jean Lacouture, il oppose la démarche rigoureuse de l’enquête et délivre tous les signes de l’objectivité. Ne pouvant contester l’authenticité de l’émotion ressentie par les dénonciateurs du génocide cambodgien, Noam Chomsky fait porter l’essentiel de son argumentaire sur la réalité des faits vérifiables, mettant à nu les failles présentes dans l’arsenal de preuves déployées par François Ponchaud. Derrière l’apparente neutralité du propos, qui jamais ne reflète la présence de l’énonciateur, c’est tout le système de la dénonciation qui se trouve contesté.
17Mis en cause par Noam Chomsky, François Ponchaud répondra à son tour, dans la préface à l’édition britannique de son livre, à son détracteur américain : « Avant même que ce livre soit traduit, il a été durement critiqué par MM. Noam Chomsky et Gareth Porter. (...) Ces deux « experts » sur l’Asie prétendent que je commets l’erreur de vouloir convaincre les gens de ce que le Cambodge a été noyé dans une mer de sang après le départ des derniers diplomates américains. Ils disent qu’il n’y a pas eu de massacre, et ils attribuent la responsabilité de la tragédie du peuple khmer aux bombardements américains. Ils m’accusent de ne pas être suffisamment critique dans mon traitement des récits des réfugiés. Pour eux, les réfugiés se sont pas une source valable... »27. Cette première passe d’arme rebondit une fois encore dans l’ouvrage publié en 1978 sous le sceau de l’urgence par Jean Lacouture, Survive le peuple cambodgien. Pour lui, ce livre constitue une réponse, qui se veut définitive et argumentée, aux critiques de Chomsky. De fait, cette intervention clôt, pour quelques temps la polémique. Suspendue provisoirement celle-ci resurgit toutefois avec une vigueur accrue à la fin de l’année 1979.
Le procès des clercs et des médias occidentaux
18Il faut attendre près d’un an pour que le problème cambodgien se retrouve au centre des interrogations et redevienne un nouvel enjeu de débats. C’est au cours des mois de novembre et décembre 1979 que se cimente ce second front qui, à la différence du premier, mobilise davantage de clercs. L’occupation du Cambodge par les troupes vietnamiennes à partir du mois de janvier 1979 a sans doute éclipsé momentanément l’actualité des affrontements épistémologiques franco-américains sur le Cambodge, attirant les regards sur la nature nouvelle d’un Vietnam expansionniste et autoritaire. Non content d’envahir son voisin, il pousse à l’exode des milliers de « boat people ». Centrés sur le Vietnam pendant un temps, les regards convergent à nouveau sur le Cambodge à la fin de l’année 1979. Plusieurs pôles se constituent dans cette ultime affaire. Le premier se forme essentiellement autour du Nouvel Observateur. L’hebdomadaire de Jean Daniel offre en effet une tribune aux arguments de Jean Lacouture, bientôt conforté dans sa position par Claude Roy, puis Bernard Kouchner et André Glucksmann. A cette première strate vient se superposer une seconde composée de Bernard-Henri Lévy et Jacques Attali qui, dans Le Matin de Paris, ripostent aux propos tenus par Noam Chomsky dans ce même quotidien. A l’autre bout du spectre se dessine la constellation chomskyenne. Serge Thion, relais et défenseur du linguiste, rend compte des débats, et les provoque tout à la fois, dans diverses revues comme Esprit ou Les Temps Modernes, sans que ces dernières souscrivent pourtant à ses thèses, Paul Thibaud publiant même une réponse argumentée à l’article de Serge Thion28. La revue Change, dirigée par Jean-Pierre Faye, participe également à cette nébuleuse informelle. Elle organise ainsi une table ronde où Noam Chomsky, Jean-Pierre Faye et Régis Debray réaffirment le nécessaire combat anti-impérialiste et dénoncent au passage l’orchestration médiatique du « génocide cambodgien » ainsi que leurs ardents propagateurs.
19Cette lecture anti-impérialiste n’est évidemment pas l’apanage de la seule mouvance chomskyenne. Elle est également présente au sein des Temps Modernes dont la trajectoire reste largement indissociable de ce combat et de la lutte anticolonialiste. L’interprétation livrée par Claude Courchay des massacres cambodgiens va incontestablement dans le même sens. Tentant de répondre à cette interrogation, « Qui a tué le Cambodge ? », l’auteur identifie les coupables. L’écrasante responsabilité incombe aux Américains. En étendant la guerre du Vietnam sur le territoire cambodgien, en menant une politique systématique de vietnamisation, les Américains ont transformé une poignée de révolutionnaires coupés des masses en hérauts de l’indépendance nationale : « On connaît la suite. Dans tous les cas, les Khmers étaient condamnés à mourir de faim. Mais pour la bonne conscience occidentale, mieux valait qu’ils le fassent sous un régime rouge. Les Khmers rouges recueillirent cet horrible héritage. (...) Que ceux qui s’indignent de la barbarie khmère rouge lisent “Une tragédie sans importance”. Ils verront quels sont les véritables responsables. L’horreur cambodgienne n’est pas tombé du ciel comme la mousson. Elle est tombée avec les bombes lâchées sur les ordres du tandem. Toutes les justifications, hautement rentables, de Kissinger et Nixon, n’enlèvent rien à leurs crimes. »29 Deux mois avant cette mise en accusation des anciens dirigeants américains, en octobre 1979, la revue Change, avait publié deux textes qui allaient attiser les passions sur le Cambodge. Le premier reproduisait le discours prononcé par Noam Chomsky à l’ONU en novembre 1978, à propos des massacres perpétrés au Timor oriental. Ancienne colonie portugaise située entre l’Australie et l’Indonésie, le Timor avait fait l’objet d’une « reconquête » de la part de l’armée indonésienne. Selon Chomsky, près de la moitié des 600 000 habitants de l’île seraient morts ou prisonniers. Le second texte relatait un entretien entre Noam Chomsky et Régis Debray. Sous le titre « Narration et pouvoir : massacres et media » ces derniers disséquaient, à partir de l’exemple cambodgien, les modalités de l’une des plus grandes campagnes publicitaires de l’histoire30. L’accusation visait explicitement les médias occidentaux, coupables d’orchestrer une campagne d’intoxication sur le thème du « génocide organisé » par le régime Khmer rouge au Cambodge. La finalité de cette politique résiderait dans la « reconstruction de l’idéologie impériale ». (p. 107) En concentrant l’attention de l’opinion publique sur le génocide perpétré par le pouvoir de Pol Pot, les médias occidentaux auraient occulté soigneusement certaines atteintes aux droits de l’homme dans le reste du monde, ainsi des massacres de Timor en Indonésie. Entre le Cambodge et l’Indonésie, la situation serait presque identique à une exception près : « Même partie du monde, presque même nombre de tués d’après les estimations ; la seule différence est qu’à Timor, c’est l’Ouest qui est directement responsable du massacre. » (p. 107).
20A travers cet entretien se met en place une critique plus approfondie que celle orchestrée deux ans auparavant. Aux arguments méthodologiques avancés (critique des sources, confrontation des témoignages) Régis Debray et Noam Chomsky ajoutent deux éléments : la critique des médias et la symétrisation. Ces deux facteurs contribuent à amoindrir la position de la dénonciation, la privant de ses défenses. Il ne s’agit plus seulement de jeter le doute sur les témoignages recueillis mais de contester la réalité des faits à propos desquels se manifeste l’indignation et la dénonciation. Cette contestation passe par la thématique de l’information manipulée et par une appréciation sur la situation du Timor. En introduisant un élément de comparaison, Noam Chomksy opère la dilution de l’exceptionnalité cambodgienne et la replace dans la longue cohorte de pays subissant ou ayant subi l’oppression et la domination. La proximité du Cambodge et du Timor n’est pas seulement géographique. La démonstration est aussi appuyée sur l’évocation des victimes : « Presque même nombre de tués d’après les estimations ». Par ce constat se dévoile la symétrie des exactions commises par les Khmers rouges et par les pays impérialistes. Cette logique, qui suggère implicitement l’équité des maux, suspend en définitive toute possibilité de choix. La dénonciation cambodgienne s’en trouve amoindrie. L’existence de victimes au Cambodge et au Timor semble interdire toute lecture sélective Cette apparente symétrie est pourtant démentie par une seconde vague d’arguments. Loin d’être identique, la situation se trouve en fait déséquilibrée par la prise en compte d’un contexte historique et politique radicalement différent. Passant du Cambodge au Timor, Régis Debray et Noam Chomsky déplacent le centre de l’accusation. Aux massacres perpétrés par le nouveau gouvernement khmer, limités dans le temps, s’opposent les pratiques déjà anciennes des pays impérialistes. Les Etats-Unis et la France sont ainsi directement visés par Chomsky. Ce seraient eux en effet les vrais responsables des atrocités commises à Timor du fait de leurs fournitures d’armes au régime indonésien. Ils ne feraient, par là même, que perpétuer leur « politique traditionnelle de massacres et de meurtres » (p. 107). Dans cette perspective, la réorientation de l’indignation vers une cause « indiscutable », le combat anti-impérialiste, relègue au second plan la dénonciation menée par François Ponchaud et Jean Lacouture. Le Cambodge ne serait plus qu’une entreprise de diversion idéologique et médiatique (l’une étant indissociable de l’autre, le « coup publicitaire » consubstantiel à l’entreprise de mythologisation galopante) visant à masquer en dernière instance l’implication occidentale et sa responsabilité majeure dans la répression qui s’abat aux divers points du globe, non seulement en Indonésie mais encore au Nicaragua, au Guatemala, aux Philippines, en Uruguay, en Argentine.
21Régis Debray s’affirme solidaire de cette interprétation des événements31 et fustige lui aussi « l’idéologie impériale » de l’Occident dont l’arme principale reste encore et toujours le monopole de l’information (et de la désinformation) ainsi que la présence financière des multinationales. (p. 110). Il rejoint Noam Chomsky pour dénoncer les manipulations de la presse occidentale sur le Kampuchéa démocratique. La mise à l’index du régime de Pol Pot s’inscrirait dans une opération visant à combattre et disqualifier irrémédiablement toute tentative d’instauration du socialisme dans le monde. Le mal est encore une fois identifié : il s’agit, en brandissant l’épouvantail cambodgien, d’orienter les regards et le ressentiment, afin de sauvegarder les « intérêts occidentaux ». La campagne de diversion idéologique est aussi éminemment médiatique : elle ne vise qu’à occulter la responsabilité des pays impérialistes, persécuteurs impunis qui oppressent à l’échelle planétaire. Dans ses grandes lignes, l’argumentaire développé par ces deux intellectuels obéit fondamentalement à une logique bipolaire. Centrés sur le Cambodge, les clercs occidentaux occulteraient le Timor ; leur indignation morale sur le « génocide cambodgien » ne serait que le versant bruyant d’un oubli qui prendrait la forme d’un assentiment ; le coup publicitaire masquerait le silence ; l’opération de diversion idéologique et médiatique que représenterait le Cambodge permettrait la reconstruction de l’idéologie impériale. Ainsi, le projecteur braqué sur un point déterminé du globe laisserait-il dans l’obscurité les manœuvres souterraines et oppressives des puissances occidentales. La duplicité des clercs favoriserait le maintien de l’impérialisme voire son expansion. Entre l’orchestration de cette thématique du « génocide cambodgien » et la cléricature occidentale existerait donc un rapport évident. C’est la raison pour laquelle Régis Debray lance également une attaque en règle contre les intellectuels, ces « hommes de guerre en temps de paix » qui soutiennent et alimentent ce discours dénonciateur, raillant ces « gens qui suivent le courant comme le bouchon sur l’eau (et) sont persuadés d’être des héros, des rebelles, des dissidents. Tous les généraux de l’information sont des maquisards. Toujours en train de lutter contre le totalitarisme rouge qui les prend à la gorge. » (p. 111).
22La logique mise en œuvre par Noam Chomsky et Régis Debray emprunte donc la médiation d’une double critique. C’est d’abord le discours, sa validité et sa pertinence, qui se trouvent questionnés. La mise à distance de l’émotion, mimant la démarche scientifique, s’effectue par la systématisation d’une enquête visant les sources, livrant les faiblesses du matériau rassemblé, soulignant le poids d’une information manipulée et le rôle prépondérant des médias manipulateurs. Dans un second temps, ce sont les locuteurs eux-mêmes, les intellectuels, qui sont visés. Sur un ton sarcastique, Régis Debray s’en prend aux clercs et ironise sur le simulacre d’action que représente la prise de parole. Solitaire et risquée pour Jean Lacouture, celle-ci se trouve dévaluée par le faible sacrifice qu’elle suppose. Moyen de lutte pour les uns, elle n’est plus qu’un engagement peu coûteux qui valorise celui qui la profère. En pointant sur l’idée d’une « parole verbale », en insistant sur le caractère fluctuant des ces prises de position qui oscillent au gré des modes et en soulignant la propension des intellectuels à « héroïser » leur engagement, Régis Debray stigmatise l’hypocrisie d’une situation et porte la contradiction au cœur même de la question centrale, celle de l’action. Par filiation, c’est en fait l’authenticité même de toute prise de parole sur le Cambodge qui se trouve contestée. La force des énoncés se trouve disqualifiée par l’écart révélé entre l’émotion proclamée et l’investissement consenti. Face au caractère anecdotique des sacrifices effectués par « les généraux de l’information », toute prise de parole est frappée du sceau de l’illégitimité.
23De manière plus générale, Régis Debray et Noam Chomsky tendent à instruire le procès de tous ces clercs qui aident les médias occidentaux à légitimer le nouvel impérialisme capitaliste en discréditant ceux qui ont réussi à s’émanciper de sa domination. Deux exemples sont mobilisés afin de justifier cette représentation du mythe des médias manipulés, le cas du Cambodge et celui du Timor. L’extrême attention, excessive à leurs yeux, accordée au premier permet d’éluder toute interrogation quant au second. Le cas cambodgien est utilisé en définitive pour son exemplarité : à travers son analyse c’est plutôt la posture et l’influence de ces intellectuels, constructeurs, et manipulateurs, de représentations, qui se trouve être au centre de l’interrogation. Cette offensive conjuguée de Régis Debray et de Noam Chomsky est confortée par l’interview accordée par ce dernier au Matin de Paris le 4 décembre 1979. Son intervention ne sera pas sans conséquences. Attaquant une fois encore « la servilité des intellectuels occidentaux », il entreprend une relecture critique de l’histoire proche, estimant que pour surmonter les problèmes causés par la guerre du Vietnam, une « sorte de reconstruction idéologique était nécessaire. Il fallait un effort digne de reconstruire des attitudes, des convictions, des sympathies et des sentiments, de telle manière qu’à l’égard des gens opprimés on ne ressente plus que de la haine et du mépris. Et c’est précisément ce qui est arrivé ! Il y a eu une énorme campagne, surtout en France et aux Etats-Unis, qui a connu un succès prodigieux parce que la propagande occidentale est un instrument d’endoctrinement magnifique (...) de loin le meilleur du monde. (...) On a détourné l’attention des atrocités courantes dont les puissances occidentales étaient responsables. On a complètement récrit l’histoire récente. » Plus que jamais l’interprétation chomskyenne des événements se déploie dans un véritable système d’accusation et obéit à une logique implacable qui est fondamentalement celle de la domination. C’est toute une théorie du pouvoir qui s’esquisse dans laquelle l’incertitude et l’imprévu n’ont plus qu’une place minime. Cette représentation, fondée sur de grandes entités, l’impérialisme, les médias, les intellectuels, fixe le rôle joué par chacun des acteurs et détermine tout un réseau de chaînages dont les différents maillons sont solidaires et se complètent parfaitement. Ils assurent ainsi la stabilité et la reproduction d’un système fondé sur la manipulation et l’endoctrinement.
24Ces propos, ainsi que ceux rapportés dans Change, mettent donc fondamentalement en question le rôle des intellectuels de gauche occidentaux, leur collusion dans ce vaste détournement d’attention dont les ressorts sont profondément idéologiques. L’accusation provoque des ripostes immédiates. Claude Roy, détracteur de la « maolâtrie parisienne » et de tous les « Séquestrés de la croyance », publie une « Lettre ouverte à Noam Chomsky » dans le Nouvel Observateur du 3 décembre 1979 et interpelle le linguiste : « La question fondamentale est elle de savoir si le malheur du Cambodge est un « coup » publicitaire bien joué, ou bien de savoir si cela est vrai, et comment cela fut accompli, et pourquoi, et par qui ? » Dénonçant et reléguant au second plan les « arrière-pensées » tactiques de Chomsky, se refusant à comptabiliser différemment les crimes de « gauche » des crimes de « droite », Claude Roy recentre la polémique autour de la dichotomie vérité/imposture et réaffirme le primat de l’indignation lorsque des atteintes aux droits de l’homme sont commises, estimant qu’il ne saurait être question d’établir de subtiles hiérarchies dans le mal et que seule l’urgence des situations prime en dernière instance32. A ses côtés viennent aussi se joindre Jacques Attali et Bernard-Henri Lévy. Ces derniers prennent explicitement position contre Chomsky lorsqu’ils lui répondent, treize jours plus tard, dans Le Matin de Paris : « Sait-il bien ce qu’il dit et ce que parler veut dire, le linguiste Noam Chomsky quand il oppose ici et ailleurs les “bons” morts du Timor aux “mauvais” du Cambodge ? Que signifie-t-elle cette étrange rumeur qui nous somme de choisir entre affamés “progressistes” et faméliques “réactionnaires” selon la couleur politique du despote qui les accable, ici soviétique et là indonésien ? Pour tous ceux, en tout cas, qui ne sont point tout à fait sourds à la mémoire du siècle, il y a dans ce type de démarche l’écho d’une vieille, d’une très vieille et très odieuse maladie d’une certaine “gauche” : la tragique comptabilité des souffrances qui a nourri les heures les plus sombres de l’histoire du stalinisme. »33
25A travers les éléments de cette polémique se décèlent deux attitudes bien contrastées : une dénonciation acharnée et vigoureuse du régime Khmer rouge au nom d’un impératif moral et politique pour la première ; un refus d’isoler le cas du Cambodge et de centrer sur ce pays l’ensemble des critiques occidentales alors que d’autres populations (en particulier celle d’Indonésie) connaissent un sort similaire pour la seconde. Cet affrontement, répercutée par la presse en France et Outre-Atlantique, tend à définir en fait deux conceptions politiques divergentes et témoignent de la diversité des trajectoires politico-intellectuelles face à la remise en question des thèses tiers-mondistes, révolutionnaires et anti-impérialistes au sein des intelligentsias occidentales. Par extension, elles mettent aussi en jeu, par leur confrontation, deux conceptions différentes de la fonction jouée par les intellectuels occidentaux dans l’élaboration et l’imposition des représentations. Derrière ce conflit se cache une opposition idéologique dont les ramifications mettent, en dernière instance, en cause ce magistère intellectuel revendiqué par les clercs de gauche. En effet, à travers la problématique cambodgienne ce sont deux attitudes idéologiques, un moment fort proches pourtant, qui s’affrontent et qui révèlent l’écart parcouru par des intellectuels longtemps unis dans la défense d’une même cause, la lutte anti-impérialiste et le soutien aux révolutionnaires vietnamiens. La première, incarnée par Jean Lacouture, symbolise une intelligentsia de gauche qui, après avoir longtemps investi ses espoirs sur les pays du tiers-monde, effectue à la fin de la décennie soixante-dix son travail de deuil et confesse ses illusions passées. La seconde, menée par Noam Chomsky, réaffirme au contraire l’actualité et l’urgence de la lutte contre l’oppression occidentale et son impérialisme. Ces deux positions désormais irréconciliables se retrouvent dans les modalités et la nature même des prises de paroles. Aux repentirs et à l’émotion des premiers s’oppose la mise à distance de la souffrance et l’adoption d’une attitude critique ; à la forte implication de l’énonciateur, l’apparent désengagement ; à la dénonciation, sous le sceau de l’urgence, des atteintes aux droits de l’homme, la poursuite d’un combat anti-impérialiste jamais démenti pour une cause jamais oubliée. Mais, par-delà l’opposition idéologique, l’affaire cambodgienne est aussi un moment-clé où se pose avec acuité le problème de l’auto-définition des intellectuels et de la fonction désormais dévolue aux clercs. Indépendamment des rôles respectifs joués sur la scène politico-intellectuelle par chacun des protagonistes envisagés, c’est un questionnement sur la fonction de ces « producteurs de mots », et sur le « pouvoir » dont ils seraient les détenteurs, qui se dessine.
26Par le débat engagé autour de ce thème des droits de l’homme, ce sont trois pôles intellectuels et politiques qui se dégagent. Le premier gravite autour du Nouvel Observateur. Il est composé d’un certain nombre de clercs qui, après avoir longtemps milité en faveur des révolutions tiers-mondistes et contre l’impérialisme américain, manifestent une forme de désenchantement à la fin de la décennie soixante-dix. Au sein de cette nébuleuse il est possible de distinguer différents rameaux qui s’agrègent afin de dénoncer les atteintes aux droits de l’homme, notamment au Cambodge et au Vietnam, et promeuvent, en contrepoint, une action polymorphe en faveur des populations opprimés. Ce pôle mêle ainsi des journalistes comme Jean Lacouture, d’ex-gauchistes (Bernard Kouchner, les époux Broyelle) ayant réussi leur reconversion sur la scène intellectuelle et des Nouveaux Philosophes (Bernard-Henri Lévy), certains cumulant les deux qualités comme André Glucksmann. Ils ont pu ainsi recentrer leur action et leurs discours, au prix d’un aggiornamento radical, autour des droits de l’homme, se trouvant encore une fois propulsés aux avant-postes de la lutte idéologique contre le marxisme et contre la complaisance manifestée par certains envers les dictatures dites « de gauche ». Occupant une place centrale au sein de la cléricature de gauche, ils incarnent à la perfection cette « Haute Intelligentsia » analysée par Régis Debray. Incontestablement médiatiques, ils mettent à profit leur accès aux différents canaux de l’information, journaux et hebdomadaires (en particulier Le Nouvel Observateur), maisons d’édition (Bernard-Henri Lévy chez Grasset, Jean Lacouture au Seuil, Claude Roy chez Gallimard) et télévision, pour dénoncer, sur le mode de l’indignation morale et de l’urgence, le « génocide cambodgien » ou le tragique exode des « boat people ». Cet appel à la mobilisation se double parfois d’une certaine propension à la confession de sympathies passées, mais plus ou moins éphémères, en faveur des combattants vietnamiens ou des dirigeants Khmers rouges et de leurs ambitions initiales. Ainsi, dans un entretien accordé à Valeurs Actuelles (13/11/78), Jean Lacouture se livrera à une autocritique. Il soulignera ses erreurs passées en établissant l’importance, réelle ou illusoire, que purent jouer certains clercs disposant d’une tribune écoutée dans les pays du tiers-monde. Il s’accusera ainsi d’avoir contribué à l’instauration de l’un des « pouvoirs les plus oppressifs que le monde ait connus. (...) Ce n’est pas ma personne qui a pu avoir de l’importance, mais les journaux auxquels je collaborais. Le Nouvel Observateur et surtout Le Monde exercent une influence considérable sur les intellectuels du tiers-monde. En prenant position comme collaborateur du Monde, je ne pense pas avoir poussé beaucoup de paysans cambodgiens à la révolte. Mais j’ai pu lancer des intellectuels khmers sur une piste sanglante. (...) Au Cambodge, j’ai péché par ignorance et par naïveté. Je n’avais aucun moyen de contrôler mes informations. J’avais un peu connu certains dirigeants actuels des Khmers rouges, mais rien ne me permettait de jeter une ombre sur leur avenir et leur programme. Ils se réclamaient du marxisme sans que j’aie pu déceler en eux les racines du totalitarisme. J’avoue que j’ai manqué de pénétration politique. » La prise de parole de ces intellectuels, non plus au nom de la révolution et du tiers-mondisme mais des droits de l’homme et des actions humanitaires, est en adéquation parfaite avec les thématiques porteuses et les modes d’interventions nouveaux du champ intellectuel français. Ce passage d’une idéologie dure à une version beaucoup plus douce remet fondamentalement en question toute la structuration idéologique qui prévalait jusqu’alors mais consacre dans un même mouvement le transfert d’attributs dévolus aux intellectuels : pendant longtemps prophétiques (Sartre) ou spécifiques (Foucault), les clercs qui occupent l’avant-scène apparaissent désormais sous l’appellation d’« intellectuels médiatiques ». La dénonciation du génocide cambodgien ou l’appel en faveurs des exilés vietnamiens sont les symptômes de cette double mutation idéologique et cléricale. L’atomisation du paysage idéologique s’accompagne d’une disparition, celle de l’intellectuel de type sartrien. La mobilisation humanitaire a supplanté le romantisme révolutionnaire. Dominant sur la scène intellectuelle, centré autour d’un hebdomadaire consacré, Le Nouvel Observateur, ce pôle illustre par ailleurs la configuration intellectuelle de la fin de la décennie soixante-dix, marquée par des modalités nouvelles d’intervention des clercs dans l’espace public, mêlant théâtralisation et spectacularisation, et par le poids grandissant que jouent désormais les organes de presse culturels (quotidiens et hebdomadaires) dans la définition des problématiques et la légitimation des représentations.
27Le second pôle, réfractaire à cette focalisation sur la tragédie cambodgienne et sur l’exaltation des droits de l’homme en général, réaffirme son credo anti-impérialiste. Cristallisé autour de Noam Chomsky, il mobilise un certain nombre de clercs qui, tout en dénonçant l’excessif investissement sur le Cambodge, stigmatise par ailleurs la logique médiatique qui sous-tend la démarche des premiers. La pureté idéologique revendiquée va de pair avec le refus et la critique de toute collusion entre intelligentsia et médias. A l’univers mouvant du pôle précédent, de plus en plus caractérisé par des interventions ponctuelles, limitées dans le temps et dans l’espace, aux effets repérables, les clercs de ce pôle opposent la rigueur et la continuité d’un combat fortement idéologisé dont les adversaires sont aisément identifiés. La structuration de cette seconde constellation s’effectue à partir d’un certain nombre de valeurs immuables comme l’anti-impérialisme, la dénonciation des médias manipulateurs, le complot savamment orchestré. Relayé par un certain nombre de revues intellectuelles (Change, Les Temps Modernes) dont l’influence va décroissant, il représente un pôle de plus en plus marginal au sein de la configuration intellectuelle française. Fidèles à leurs valeurs, marquées du sceau de l’anti-impérialisme, ces protagonistes se font les contempteurs acharnés du nouveau « pouvoir intellectuel » qui se met en place, consacrant l’importance des journalistes et hommes des médias. Le procès qu’ils instruisent livre leur attachement à un mode de production intellectuel artisanal et à une posture qui doit plus à l’héritage sartrien qu’au nouveau credo médiatique. Cette fidélité proclamée à l’égard de leurs engagements politiques passés, contre la guerre du Vietnam par exemple pour Noam Chomsky, dans les maquis boliviens auprès de Che Guevara pour Régis Debray, s’oppose radicalement aux autocritiques et aux abjurations qui se multiplient à l’occasion des événements indochinois.
28Le troisième pôle enfin (Esprit), marqué par une habitude déjà ancienne de vigilance tenace à l’égard des pays communistes et par son engagement antitotalitaire, s’investit dans les débats sur le Vietnam, le Cambodge et les droits de l’homme. Sous la plume de son directeur Paul Thibaud, la revue met en question la cléricature progressiste face aux événements vietnamiens et s’aligne, dans l’épisode cambodgien, aux côtés des hérauts du pôle 1 mais ne néglige pas la voix des seconds en accordant à Serge Thion une tribune. Sans prétendre se cantonner dans un juste milieu, la revue se trouve à l’interface des deux autres pôles. Significativement Paul Thibaud, analysant le retour de la référence aux droits de l’homme, prend ses distances à l’égard de ce qu’il nomme la « forme romantique de cette référence : le retrait politique ». Cette forme d’investissement risque en effet de réduire le combat en faveur des droits de l’homme à une simple défense de l’individu. La revue se trouve en fait dans une position médiane. Proche du premier pôle quant à ses prises de position, elle appartient pourtant au milieu des revues intellectuelles. Cette situation originale et atypique pourrait s’expliquer par l’existence d’une éthique intellectuelle qui passe par un certain nombre de refus et d’engagements : refus de célébrer uniformément les vertus de l’intelligentsia médiatique mais aussi refus d’adhérer aux vulgates et aux thématiques prônées par les détracteurs du pôle 2 ; engagement en faveur des droits de l’homme, « noyau d’un universalisme à construire »34 contre le totalitarisme. La logique ultime de cet investissement repose ainsi sur la question liminaire que formulait Paul Thibaud, en septembre 1980 à propos du Cambodge, lorsque, constatant de la faillite du socialisme, il posait sur la nécessité de penser un « avenir au-delà du totalitarisme » sans tomber dans le découragement. La centralité et l’actualité de ce questionnement place la revue dans une situation originale, à distance aussi bien de l’engagement ponctuel des actions caritatives que des combats inlassablement menés au nom d’une doctrine mêlant dénonciation de l’impérialisme occidental et exaltation des opprimés. Mais la permanence de cette réflexion, déjà ancienne au sein d’Esprit, s’inscrit dans une logique bien différente de celle du pôle 1, dominé par un certain nombre de modes intellectuelles. Cette continuité et cette fidélité sont autant d’indices qui rattachent Esprit à l’univers des revues intellectuelles du pôles 2 qui, toujours, se définissent par quelques axes décisifs qui fondent un projet et qui définissent une certaine conception du travail intellectuel. D’ailleurs, après avoir investi ses espoirs sur cette problématique des droits de l’homme, Paul Thibaud en 1983, constatera que ces derniers ne sont plus utilisés que dans « une acception purement individualiste et largement apolitique. Au nom des droits de l’homme on dresse une liste de griefs, les uns fondamentaux, les autres secondaires. Ils fondent les revendications que les modernes citoyens passifs adressent à leur Etat, au lieu d’engendrer une réflexion de la société sur ses institutions et sur ses normes. »35. Contre cette conception, le directeur d’Esprit estimera alors que « penser les droits de l’homme ne peut se faire sans penser le droit dans la société, dans le perpétuel travail théorique et pratique, concret et abstrait de définition de soi, à quoi sont vouées les sociétés démocratiques. » (p. 90) La situation d’Esprit illustre bien, par la dimension hétérogène qui la caractérise, la configuration du milieu intellectuel marquée par un brouillage des positions. Une première lecture inciterait à lire l’épisode des droits de l’homme à travers une grille de lecture bipolaire révélant la sédimentation du champ en deux strates que tout oppose : un pôle culturel-médiatique d’un côté et un pôle intellectuel-traditionnel de l’autre. En fait, par-delà cette représentation duo-polistique et statique, la position médiane d’Esprit suggère l’existence d’une dynamique qui, par chevauchements des différents marchés, opèrerait plutôt une dilution des frontières. La visibilité du pôle médiatique et la confidentialité du pôle intellectuel ne doivent pas masquer ce mouvement de fond et ce processus qui seuls permettent de rendre compte du dépérissement des clans et des chapelles au profit d’une ouverture et d’un désenclavement de la vie intellectuelle. L’intérêt que la revue accorde parallèlement à l’idée démocratique, illustre bien l’ambition de promouvoir une « troisième voie » tant sur le plan politique que sur le plan intellectuel. Le refus de l’alternative : défense des droits de l’homme/réaffirmation du credo anti-impérialiste, s’accompagne du désir de créer des espaces de débats et de faire communiquer des mouvances qui jusqu’alors s’ignoraient.
Les vertus retrouvées de la démocratie
29Un regard sur la scène intellectuelle a la fin de la décennie soixante-dix incite à diagnostiquer l’existence d’une certaine réflexivité de la thématique démocratique sur la configuration intellectuelle. En effet, le regain démocratique qui s’affirme sur le plan des idées politiques apparaît difficilement dissociable de la mutation du milieu intellectuel lui-même qui, traversé par les polémiques concernant le « pouvoir » dont seraient crédités les clercs et marqué par la visibilité de l’intellectuel médiatique, se serait fragmenté36. A l’ombre de la question totalitaire et de l’affirmation démocratique se révélerait un décloisonnement de la vie intellectuelle. Le brouillage idéologique se serait accompagné de « fusions transpartisanes ». L’éclatement des modes de pensées clos et totalisants aurait entraîné aussi une réconciliation ou une jonction de familles intellectuelles jusqu’alors fort éloignées. Traversant les affiliations politiques, les disciplines académiques, les cénacles intellectuels, la question totalitaire aurait amenuisé les distances et suscité de nouveaux rapprochements. De fait, sous le signe de la lutte contre le totalitarisme et pour la démocratie, de multiples convergences se sont dessinées. Cette recomposition des alliances et cette redéfinition des thématiques apparaissent avec acuité à partir de 1978. Parmi les indices épars de cette évolution politico-intellectuelle qui s’opère dans le sillage de l’anathématisation du totalitarisme, il est possible de mentionner le rôle joué par le Comité des Intellectuels pour l’Europe des Libertés, le débat suscité par la fin de l’historiographie révolutionnaire commémorative et la redécouverte des penseurs libéraux, enfin, par la formulation explicite et systématique de la thématique démocratique qui, longtemps dévaluée ou occultée par l’intelligentsia progressiste, se trouve désormais, pour certains intellectuels, au centre de leurs interrogations et de leurs représentations politiques.
30Si l’irruption de la problématique antitotalitaire a entraîné une éradication du fameux couplage impérialisme/révolution, elle a également permis l’émergence d’une autre dyade reposant sur l’antinomie totalitarisme/démocratie. De fait, si la lutte contre le totalitarisme constitue une exigence majeure qui rend possible la jonction de familles intellectuelles hétérogènes et explique la polarisation libérale et la reconnaissance tardive de Raymond Aron, elle doit aussi être complétée par la constitution d’un pôle de réflexion qui investit la thématique démocratique et en fait le foyer central d’une réflexion sur le politique. Avec la nouvelle situation créée par le basculement idéologique, la scène intellectuelle se trouve également touchée dans sa structuration. L’émergence de la thématique démocratique et la répudiation définitive des illusions révolutionnaires suscitent de nouvelles affinités politico-intellectuelles, engendrent une recomposition des alliances. Au moment où s’affirme la question démocratique, se livrent aussi les indices d’un certain décloisonnement de la vie intellectuelle. Il y a sur ce point un certain rapport d’influence entre le contenu des problématiques et leurs répercussions sur les modes de fonctionnement du milieu intellectuel. Significativement, la valorisation de l’idée démocratique trouve son prolongement dans l’ouverture, et dans la jonction, qui s’esquissent entre le milieu antitotalitaire ancré à gauche (Esprit, Libre) et la nébuleuse libérale, ou aronienne. A cet égard, le Comité des Intellectuels pour l’Europe des Libertés symbolise parfaitement la nouvelle donne politico-intellectuelle. Pour de nombreux commentateurs, la spécificité de cet événement réside surtout dans la diversité des signatures qui accompagnent le texte. Paraphé par une centaine de clercs et publié dans Le Monde du 27 janvier 1978, le manifeste du CIEL, dont la tonalité générale est plutôt d’essence « libérale » et aronienne, suscite pourtant l’adhésion d’intellectuels marqués politiquement à gauche. A deux mois des élections législatives et dans le contexte de rupture du programme commun, l’adjonction de signatures appartenant à la gauche intellectuelle détonne mais rend bien compte de la force d’attraction de la problématique antitotalitaire, le Comité des Intellectuels pour l’Europe des Libertés devenant le creuset des ces réinvestissements provoqués par la prise en considération de cette thématique. Pour Jean-François Sirinelli, l’important est précisément dans cette « confluence » décelable entre gauche non marxiste et intellectuels libéraux autour de quelques thèmes fédérateurs comme les « libertés » ou la lutte contre le totalitarisme37. Ce relatif œcuménisme38 marquerait une césure ou un accroc dans le tissu idéologique français. Replacé dans le prisme des grands débats intellectuels, il serait le signe ou l’amorce d’un changement se caractérisant par la manifestation d’une reviviscence d’un courant libéral et de sa faculté d’aimantation. Sous l’étendard de la lutte contre le totalitarisme, des intellectuels jusqu’alors peu sujets à affinités se retrouveraient pour un combat identique.
31Parmi les signataires inattendus il est ainsi possible de mentionner, sans prétendre à l’exhaustivité, la présence de Jean-Marie Domenach, ancien directeur d’Esprit, d’Edgar Morin, co-fondateur de la revue Arguments, et de toute une partie de l’équipe de Tel Quel, Philippe Sollers, Julia Kristeva, Jacques Henric, Jean-Louis Houdebine, Marcelin Pleynet. L’adhésion telquelienne au manifeste du CIEL est l’ultime ralliement de la revue à une position politique néo-libérale. Les sommaires de la revue livrent les jalons de cette nouvelle orientation. L’année de la conversion telquelienne à la dissidence (1977) enregistre les éléments de ce mouvement. C’est aussi dans cette perspective qu’il faut replacer la présence de Jean-François Revel, signataire du manifeste du CIEL, au sein de la revue et l’entretien qu’il accorde à Philippe Sollers. Centré sur la notion de « stalinisme élargi »39, ce dialogue marque l’accord qui se crée entre l’essayiste pamphlétaire et le directeur de Tel Quel. Refusant de rester à l’écart des polémiques qui se multiplient deux mois avant les élections législatives, Tel Quel prend sans ambiguïté, et sans surprise, position contre les communistes, ses ennemis déclarés depuis la rupture de l’année 1971. Mais la revue véhicule aussi des attaques contre la gauche dans son ensemble. Tentant d’expliquer cette nouvelle orientation, Jean-François Fourny fera de l’opposition au pouvoir le principe déterminant qui, par-delà les prises de positions multiples et antagonistes, expliquerait toutes les conversions successives et livrerait la clé de l’itinéraire tourmenté de la revue40. Ce désir de se situer toujours dans l’opposition repose sans doute pour une part sur le goût de la provocation qui anime les membres de la revue et Philippe Sollers en particulier. Par cette propension à se situer là où on ne l’attend pas, le directeur de Tel Quel entretient une attitude iconoclaste et anti-conformiste en adéquation avec l’image subversive et ludique qui caractérise la revue.
32Mais l’originalité du CIEL ne repose pas exclusivement sur ces rapprochements quelque peu inattendus. Par les thèmes abordés, cet événement comporte une part de nouveauté. Si la teneur anti-totalitaire constitue le ciment de ce texte, elle ne doit pas faire oublier l’affirmation finale du manifeste qui proclame en particulier la synonymie de trois mots : Europe, culture, liberté41. Cette attention portée à l’Europe et à la culture européenne semble relativement novatrice, non pas tant d’ailleurs pour la composante libérale qui a intégré cette dimension, que pour cette part de l’intelligentsia issue de la gauche. En effet, s’il est bien un thème qui fut largement étranger à la cléricature de gauche, c’est bien celui de l’Europe. En 1976, André Reszler dressait le bilan de « l’anti-européanisme actuel » et se demandait au passage si Jean-Paul Sartre ou même Claude Lévi-Strauss ne seraient pas « en train de se poser en successeurs, par le biais de l’antithèse, des apôtres désuets de la “mission civilisatrice” de l’Occident »42.
33Par ailleurs, l’Europe qu’évoque le manifeste du CIEL est définie comme « plurielle ». Non limitée à l’Occident, elle excède les limites du mur de Berlin et affirme la nécessaire prise en compte des messages, et des silences, qui émanent des pays de l’Est : « Emmurée, la voix des peuples de l’Europe centrale et orientale nous manque et nous requiert. Le silence qui leur est imposé voudrait les nier, mais les rappelle à nos mémoires de nouveau fraternelles. » Cette sensibilité européenne, largement ouverte sur les pays communistes, est évidemment représentée à travers les dissidents qui ont paraphé le manifeste. Elle permet de rendre compte également de certains ralliements comme celui de Jean-Marie Domenach. Analysant rétrospectivement cette constellation originale, ce dernier identifie en effet trois mouvances intellectuelles qui, toutes, convergeraient au CIEL : la nébuleuse aronienne, le courant des dissidents de l’Est et des intellectuels issus de cette aire idéologique (Eugène Ionesco, K. Pomian, Alexander Smolar, Pavel Tigrid, Dimitru Tzepeneag) et enfin une fraction de la gauche intellectuelle (parmi laquelle des collaborateurs du Nouvel Observateur, Pierre Nora, Emmanuel Le Roy Ladurie). Pour lui, il ne fait pas de doute que son adhésion est étroitement liée à cette composante dissidente qui lui est chère et qui expliquerait ce rapprochement43. L’intérêt que suscite la dissidence, notamment à travers ses écrivains qui trouvent en France un écho élargi, est un facteur permettant d’expliquer l’émergence de cette conscience européenne dans les rangs de la cléricature de gauche. La présence croissante d’artistes venus du centre et de l’est européen est tout à la fois le symptôme et la conséquence de cette sensibilité nouvelle qui s’affirme. Elle peut être aussi interprétée comme une réponse au vide (relatif) de la scène intellectuelle. Sans être complètement désertée par les intellectuels de renom, elle ne subit plus l’emprise indiscutée de maîtres à penser qui, à l’instar de Sartre, mêlaient à leur dénonciation de l’impérialisme américain une disqualification de l’Europe. Tout un ensemble de paramètres se conjuguent pour rendre possible cette ouverture européenne et culturelle : disparition des utopies révolutionnaires et amenuisement de l’anti-américanisme, dégradation de l’image de l’Union Soviétique et centralité de la problématique totalitaire, déclin de l’intellectuel de type prophétique et intérêt porté aux écrivains et aux artistes qui viennent du centre et de l’est-européen. Inauguré avec Alexandre Soljénitsyne, célébré aussi par la majorité des commentateurs pour ses qualités d’écrivain et pour la puissance évocatrice de son témoignage littéraire, ce transfert de l’intellectuel à l’artiste se poursuit au cours de la seconde moitié de la décennie soixante-dix. Il ne repose pas uniquement sur l’éclipse d’une figure et sur la valorisation d’une autre mais implique aussi une différence « qualitative ». S’il est vrai que l’engagement sartrien postulait « en dernière analyse, l’abdication de l’écrivain en tant qu’écrivain »44, affirmant sans équivoque possible le primat du politique, la reconnaissance des artistes, issus d’une aire géographique et idéologique orientale et centrale, se fonde pour une large part sur cette dimension littéraire et culturelle retrouvée et valorisée, et dont le manifeste du CIEL se fait l’écho : « Nous entendons que le “politique d’abord” et la “politique surtout” cèdent au “culture avant tout”. La culture ne saurait constituer un vague décor de la politique, ni être à son image et de quelque façon hiérarchisée. » Cette réévaluation de la culture comme espace de liberté et lieu de résistance à l’oppression et au totalitarisme permet de définir l’axe sur lequel s’organise le combat et les refus de ce Comité des Intellectuels.
34Enfin, le manifeste du CIEL affiche non seulement sa spécificité cléricale mais souligne avec insistance le rôle dévolu aux « intellectuels » qui est « d’exiger et de défendre chacune de ces libertés en veillant à ce qu’elles ne soient pas parodie, dénaturation mais ressaisissement et accomplissement de l’indivisible liberté. (...) Notre démarche est portée par la conviction que, dans la situation présente de l’Europe, la responsabilité des intellectuels est engagée, le sera de plus en plus et pourrait fonder et entraîner le salut. Aux intellectuels de refuser de servir plus longtemps d’animateurs mondains et de porte-drapeaux occasionnels ; de sortir de l’isolement superbe et des hermétismes complices. A eux d’avoir la lucidité et l’aplomb de prendre en main ce qui leur appartient : la vie ou la mort de l’Europe des libertés. » Dans ce contexte, il n’est pas inintéressant de noter la réapparition du substantif « intellectuel » qui se trouve fortement valorisé. Dans le nom même du comité cette composante s’affiche explicitement. Par son mode de diffusion, un manifeste et un appel, par l’omniprésence des clercs et la fonction qu’ils assignent à l’intelligentsia, cet épisode s’inscrit aussi parfaitement dans une tradition hexagonale bien établie. Il réactive par cet ensemble de caractéristiques une certaine mythologie cléricale qui trouve sa geste fondatrice dans l’affaire Dreyfus. L’exaltation de la culture comme « exact antonyme de la barbarie », l’appel à la lucidité et à la liberté, le primat de la personne humaine et de sa libre expression, le refus des affiliations délégitimantes et des silences complices, la réaffirmation d’un devoir d’opposition contre toutes les formes de la « tentation totalitaire », définissent sans équivoque possible une éthique de la responsabilité. Plus qu’un simple jalon dans la polémique qui s’installe avant les élections législatives, le Comité des Intellectuels pour l’Europe des Libertés livre plutôt les indices d’une attitude intellectuelle qui, contrebalançant le prophétisme sartrien, pourrait se définir fondamentalement comme un « retour à Benda ».
Notes de bas de page
1 Claude Liauzu, « Le tiers-mondisme des intellectuels en accusation. Le sens d’une trajectoire », Vingtième siècle. Revue d’Histoire, n° 12, décembre 1986, p. 80.
2 Claude Liauzu, L’enjeu tiers-mondiste. Débats et combats, Paris, L’Harmattan, 1987, p. 35.
3 Pierre Grémion, Paris-Prague, op. cit., p. 301.
4 Yves Lacoste, Contre les anti-tiers-mondistes et contre certains tiers-mondistes, Paris, Ed. de La Découverte, 1985, p. 81.
5 Madeleine Rebérioux et Laurent Schwartz, « Le dilemme vietnamien », Le Monde, 17-18 décembre 1978.
6 Bernard Kouchner, « La preuve par le Cambodge », Le Nouvel Observateur, 25 novembre 1979.
7 Luc Boltanski, La souffrance à distance. Morale humanitaire, médias et politique, Paris, A. M. Métailié, 1993, p. 117-142.
8 « L’un des avantages que présentait une adhésion, même distante au marxisme, consistait bien dans sa capacité à orienter la dénonciation. Il fournissait en effet des repères pour identifier, dans l’immense flot de la misère humaine, les souffrances saillantes et pour surmonter la distance temporelle ou spatiale en connectant les souffrances des personnes humaines, prises ici ou là, à la scène planétaire, peuplée de gros êtres, où se jouait le destin historique de l’humanité. » Ibid., p. 233.
9 Dans L’île de lumière, Bernard Kouchner relate le « lancement » de l’opération sur les boat people et souligne l’écart qui s’est creusé entre les modalités du militantisme gauchiste et celles de l’action humanitaire menée en 1978 : « Bernard-Henri Lévy poursuivit en proposant d’attaquer l’ambassade du Vietnam à Paris. Une manifestation de plus, des heurts avec des policiers français, cela ne nous paraissait plus très convaincant. J’avais tenté d’assaillir de nombreuses ambassades, avec ou sans succès. Je me souvenais de la première agression contre l’ambassade américaine, place de la Concorde, en 1965. Malgré le comique inverse de la situation, je me voyais mal faisant à nouveau le pitre devant une porte close. Les défilés, les pétitions, les meetings, les analyses historiques, nous en avions trop fait. » Bernard Kouchner, L’île de lumière, Paris, Ramsay, 1980, p. 28-29.
10 Claude Liauzu, L’enjeu tiers-mondiste. Débats et combats, op. cit., p. 95.
11 André Glucksmann, « La preuve par le Cambodge », Le Nouvel Observateur, 25 novembre 1979.
12 Olivier Todd, « Comment je me suis laissé trompé par Hanoi », Réalités, n° 322, septembre 1973, p. 36-41. Voir aussi du même auteur, « Vietnam. Aveuglement d’hier et d’aujourd’hui », Est et Ouest, n° 32-33, août 1986.
13 Simone et Jean Lacouture, Vietnam. Voyage à travers une victoire, Paris, Le Seuil, 1976. En 1979, dans L’Ere des ruptures, Jean Daniel reviendra sur cet épisode et évoquera la fascination-adhésion exercée par le combat des révolutionnaires vietnamiens sur les deux journalistes, Olivier Todd et Jean Lacouture, qui « sont devenus pratiquement des militants de la cause vietnamienne. » Jean Daniel, L’Ere des ruptures, op. cit., p. 175.
14 Raymond Aron, Mémoires. Cinquante ans de réflexion politique, Paris, Julliard, 1983, p. 711.
15 François-Bernard Huyghe et Pierre Barbès, La Soft-idéologie, Paris, Robert Laffont, 1987, p. 89.
16 François Ponchaud, Cambodge. Année Zéro, Paris, Julliard, 1977.
17 Serge Thion se fera le chroniqueur de cette polémique : il en rendra compte en 1980 dans un article d’Esprit en septembre 1980, « Le Cambodge, la presse et ses bêtes noires », p. 95-111. Toutefois, refusant de se cantonner dans un rôle de simple arbitre, il affirmera son soutien à Noam Chomsky dont il prolongera l’argumentation contre Jean Lacouture. Cette prise de position partisane suscitera, dans le même numéro d’Esprit une réponse critique de son directeur Paul Thibaud, « Le Cambodge, les droits de l’homme et l’opinion internationale », Esprit, n° 45, septembre 1980, p. 112-123.
18 François Ponchaud, « Le Cambodge neuf mois après. 1. Un travail gigantesque. 2. Un nouveau type d’homme », Le Monde, 17 et 18 février 1976.
19 Pour Jean-Claude Guillebaud, dans une table ronde organisée par Esprit en janvier 1980 sur le thème « Tiers-Monde et information », « ce qui s’est passé à propos de Ponchaud est significatif : Le Monde a publié une série d’articles de lui avant son livre au début de l’année 1976, je crois. La première réaction a été : “C’est un curé réactionnaire”, qui entraînait la méfiance. Mais personne n’est allé faire la contre-enquête. En 1975-1976 il y a eu partout des milliers de réfugiés khmers en Thaïlande que personne n’est allé interviewer, excepté Ponchaud. » Jean-Claude Guillebaud, Esprit, table ronde avec Jacques Bureau, Gérard Chaliand, Jean-Claude Guillebaud, Jacques Julliard, Olivier Mongin, Paul Thibaud, n° 1, janvier 1980, p. 88.
20 Quelques-uns reconnaîtront explicitement d’ailleurs la dette qu’ils lui doivent et insistent sur le rôle de détonateur qu’a pu jouer ce livre : « C’est à partir de la lecture de Cambodge année zéro que beaucoup d’entre nous sont passés de l’anxiété immobile à la colère active, ont su que le pire était là-bas en cours, que ce pays était un sinistré qui, sous quelque forme que se soit, devait être entendu et si possible secouru. » Jean Lacouture, Survive le peuple cambodgien, Paris, Le Seuil, coll. « Interventions », 1978, p. 79.
21 Serge Thion, op. cit., p. 97.
22 Jean Lacouture, « Cambodia : Corrections », « New York Review of Books », 26 Mai 1977, cité par Serge Quadruppani, Catalogue du prêt à penser français depuis 1968, Paris, Balland, 1983. p. 63-64.
23 Sur la « topique de la dénonciation », voir Luc Boltanski, La souffrance à distance, op. cit., p. 91-116.
24 Marc Angenot, La parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes, Paris, Payot, 1982.
25 Le discours de dénonciation, tel que l’analyse Luc Boltanski, suppose la conjonction de deux qualités apparemment antagonistes : il doit être tout à la fois indigné et minutieux, émotionnel et factuel. « Pour soutenir une accusation, il faut quitter le domaine de l’intériorité pour aller vers le monde extérieur et prendre appui, plus précisément sur des objets. C’est dans des objets, c’est à dire dans des êtres objectifs, cette fois au sens ou ils sont réputés impartiaux et démunis d’intérêts propres, que peut s’inscrire durablement la trace du crime qu’il faut dénoncer. (...) La topique de la dénonciation abandonne donc l’indignation pour se déployer dans une enquête. » Luc Boltanski, La souffrance à distance, op. cit., p. 102.
26 Noam Chomsky, The Nation, 25 Juin 1977, cité par Serge Thion, op. cit., p. 98.
27 François Ponchaud, cité par Serge Thion, Esprit, septembre 1980, article cité, p. 315.
28 Paul Thibaud, « Le Cambodge, les droits de l’homme et l’opinion internationale », Esprit, n° 45, septembre 1980, p. 112-123.
29 Claude Courchay, « Qui a tué le Cambodge ? », Les Temps Modernes, n° 401, décembre 1979, p. 1139.
30 Noam Chomsky, « Narration et pouvoir : massacres et média », rencontre de Noam Chomsky et Régis Debray avec Jean-Pierre Faye, Jacques Roubaud, Mitsou Ronat, Change, n° 38, octobre 1979, p. 105.
31 Régis Debray, Change, n° 38, octobre 1979, p. 110.
32 Ibid.
33 Jacques Attali et Bernard-Henri Lévy, « Réponse à Noam Chomsky. Et Timor, et le Cambodge », Le Matin de Paris, 17 décembre 1979.
34 Paul Thibaud, « Le Cambodge, les droits de l’homme et l’opinion internationale », article cité, p. 121.
35 Paul Thibaud, « Droit et société », Esprit, n° 75, mars 1983, p. 90.
36 Georges Ross, « Fragmentation du marché intellectuel et disparition de l’intellectuel de gauche », in Idéologies, partis politiques et groupes sociaux (études réunies par Yves Mény), Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1989, p. 107-121.
37 Jean-François Sirinelli, Intellectuels et passions françaises, op. cit., p. 279.
38 Soutenus par le Syndicat national des chercheurs scientifiques et l’Union des écrivains, environ 70 artistes et intellectuels – parmi lesquels Jacques Bouveresse, Jean-Pierre Faye, Robert Pingaud – contestent la teneur du manifeste du CIEL et attaquent cette affirmation selon laquelle « la crise présente, son aggravation même, demeurent préférable à l’issue dont la tentation apparaît à chaque détour du doute : la certitude totalitaire. » Ils jugent que le manifeste « justifie sa présence en identifiant implicitement l’arrivée de la gauche au pouvoir avec le totalitarisme. » Le Monde, 12-13 mars 1978.
39 Jean-François Revel, « Nouvelle censure et stalinisme élargi », entretien avec Philippe Sollers, Tel Quel, n° 75, printemps 1978, p. 38-55.
40 Jean-François Fourny, « From Tel Quel to L’Infini », Contemporary French Civilization, Spring/Summer 1987, Volume XI, n° 2, p. 198.
41 Manifeste du CIEL, Le Monde, 27 janvier 1978.
42 André Reszler, L’intellectuel contre l’Europe, Paris, PUF, Perspectives critiques, 1976, p. 3.
43 Entretien avec Jean-Marie Domenach.
44 André Reszler, op. cit., p. 139.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La proximité en politique
Usages, rhétoriques, pratiques
Christian Le Bart et Rémi Lefebvre (dir.)
2005
Aux frontières de l'expertise
Dialogues entre savoirs et pouvoirs
Yann Bérard et Renaud Crespin (dir.)
2010
Réinventer la ville
Artistes, minorités ethniques et militants au service des politiques de développement urbain. Une comparaison franco-britannique
Lionel Arnaud
2012
La figure de «l'habitant»
Sociologie politique de la «demande sociale»
Virginie Anquetin et Audrey Freyermuth (dir.)
2009
La fabrique interdisciplinaire
Histoire et science politique
Michel Offerlé et Henry Rousso (dir.)
2008
Le choix rationnel en science politique
Débats critiques
Mathias Delori, Delphine Deschaux-Beaume et Sabine Saurugger (dir.)
2009