Experts, fous, escrocs
Comprendre la politique au temps de Louis XIV
p. 201-214
Texte intégral
1Les recherches et les discussions dont le présent volume rend compte montrent que réfléchir sur l’expertise politique à l’époque moderne – offerte, acceptée, reconnue ou non ; jamais nommée – revient à s’efforcer de saisir en acte ce que c’était alors que la politique, ce qui constituait une politique, de quoi était faite la politique. On verra plus précisément ici que la démarche conduit aussi, assez vite, à se demander avec les acteurs du temps si telle loi était vraiment une loi, tel ordre vraiment un ordre, telle décision vraiment l’acte transformateur qu’elle prétendait être, autrement dit à interroger les mots mêmes employés dans les analyses historiques pour désigner les éléments constitutifs des politiques du passé – ces mots qui servent aussi bien, du reste, lorsqu’il est question du présent. Les lois, les ordres, les décisions du passé sont, ne sont plus que des documents écrits. Regarder les hommes qui s’en sont servis pour élaborer leur expertise comprendre ces documents implique ainsi d’interroger ce que ceux-ci documentent.
2Ces questionnements s’enchaîneront dans l’examen de deux figures d’experts politiques qu’on peut qualifier ainsi parce qu’ils ont en commun d’apparaître dans les sources issues de plusieurs territoires de l’action du pouvoir politique à l’époque du règne de Louis XIV. Je reformule, pour être plus exacte. Ces hommes apparaissent à plusieurs endroits dans la documentation laissée par des décisions diverses ; leur présence dans ces différents endroits, dans ces sources différentes montre que ces décisions venaient former quelque chose qui était la politique du pouvoir politique, parce qu’une telle présence tient précisément au fait qu’ils ont passé leur vie à interpréter cette politique, au sens théâtral ou musical, aussi bien qu’au sens intellectuel du terme. Ni Gabriel de Calloet Kerbrat ni Nicolas de Blégny, en effet, n’avaient qualité pour mener même une partie de la politique du pouvoir politique. Ils n’avaient ni statut, ni position institutionnelle, et pourtant on les voit dans les sources lire, comprendre, et finalement constituer des décisions du pouvoir politique en politique – jusqu’au moment où ils n’ont plus pu le faire, parce qu’ils étaient emprisonnés ou éloignés par force de Paris. Un autre de leurs points communs est en effet d’avoir mené leur activité dans une marginalité qui a les conduits en prison ou à l’exil.
3Le propos de cet article est donc double. Il s’agit d’observer l’émergence de pratiques d’expertise que rien ne légitimait, qui n’étaient adossées à aucune position, qui ne sont donc rien d’autre que des pratiques. Pures pratiques, pour ainsi dire, elles sont également sans théorie ; mais elles n’excluent nullement, on le verra, la capacité à théoriser. Mon second objectif est de montrer que se concentrer sur la question de l’expertise favorise la prise en compte d’une réalité basique, fondamentale : la politique se fait.
L’avocat général des pauvres du royaume : Gabriel de Calloet Kerbrat
4Calloet Kerbrat a fait l’objet de travaux d’histoire ; c’est un nom un peu connu, principalement du côté de l’histoire des pratiques agronomiques, mais aussi du côté de celle de l’activisme dévot. Né au début du xviie siècle, il a grandi à Lannion, dans une famille de noblesse moyenne investie dans le commerce puis dans les offices1. Lui-même, après des études chez les jésuites à la Flèche, puis en droit à Paris, apparemment, est avocat général à la chambre des comptes de Nantes, du début des années 1640 à 1650. Il n’a, à ce moment-là, rien d’un marginal, est allié à beaucoup de gens dans l’institution, et lié à eux par des arrangements financiers2. Lorsqu’il quitte sa charge, on peut dire qu’il la quitte pour faire de la politique.
5En 1666, il publie un ensemble de brochures que l’histoire de l’agronomie a repérées pour leur caractère novateur3. Elles portent principalement sur l’amélioration des espèces animales domestiques, en particulier par les croisements, mais aussi par des changements dans leur alimentation, ou encore par la clôture des pâturages, qui devraient selon lui être cultivés de manière rationalisée, de manière à nourrir les vaches d’abord, puis les ovins. Tout ce qu’il propose a été, affirme-t-il, expérimenté sur ses propriétés. On peut repérer une disposition dans ces brochures. Écrire vise pour Calloet Kerbrat à rendre utiles des choses qui ne le sont pas – il a conçu une machine à broyer les ajoncs pour en faire du fourrage – et à travailler à des rapprochements non encore ou insuffisamment explorés, en l’occurrence entre agriculture et élevage ; écrire, c’est-à-dire trouver les moyens de faire voir ce travail d’organisation sociale, trouver les moyens, au fond, d’en faire une politique. On sait que Colbert possédait plusieurs des brochures de Calloet Kerbrat, imprimées sur vélin : le titre de l’une promet des procédés pour élever de meilleurs chevaux (des procédés, donc, susceptibles de servir des projets de prospérité comme des projets guerriers), l’autre, dédiée au ministre, s’appelle Moyen pour augmenter les revenus du Royaume de plusieurs millions. Cela ne prouve pas, bien évidemment, que Colbert les avait effectivement lues, ni a fortiori qu’il s’en serait inspiré ; cela signifie que ces écrits avaient réussi à être là, chez le ministre4. C’est là un fait, qui relève de l’expertise politique.
6La fortune d’autres brochures de Calloet Kerbrat m’autorise cette description et cette qualification, parce qu’elle confirme sa capacité à faire cheminer ses écrits et recevoir ses propositions d’interprétation de la politique du temps. Ces brochures sont pour l’essentiel consacrées à la charité, et en particulier à un vaste projet de perfectionnement de la formule de l’hôpital général.
7Membre actif de la Compagnie du Saint Sacrement, Calloet fait imprimer en 1675 ce qu’il appelle les « Mémoires de feu Mr. de Morangis », l’un des acteurs principaux de la Compagnie, « mort l’an 1672 », qui les aurait « adressés en forme de Lettre, par lui écrite, 3 mois avant son décès, à un sien ami, qui a été Avocat Général, pour le convier à continuer ses soins, pour l’établissement de ces Hôpitaux Généraux dans toutes les Villes du Royaume, suivant l’Édit vérifié de 1662 » (p. 1). Le lieu d’édition n’est pas donné et nulle autorisation n’apparaît. Issue d’une activité clandestine, cette grosse brochure de quatre-vingt-dix pages, illustrée de deux gravures (une allégorie de la charité et une scène évangélique5) et qui se désigne également comme un « Placet au Roi », détourne la réglementation de la publication imprimée en jouant sur les formats qui échappaient à l’obligation d’obtenir un privilège (annonces, mémoires d’avocats). Précédé d’un sommaire et d’une table des matières très détaillée, ainsi que d’une liste des « Offres de l’ami de Mr. de Morangis pour contribuer à l’établissement de ces Hôpitaux Généraux6 », le texte explique notamment qu’un des arguments disponibles dans « les mémoires de Mr de Morangis » en faveur des nouveaux hôpitaux généraux touche à la fois à la gestion par le pouvoir politique des conséquences de ses propres décisions, donc à sa politique, et à sa communication à l’échelle internationale. Les « ennemis de la France », en effet, « publient que [les] malades [des écrouelles] touchés par le Roi ne guérissent plus » ; mais il y a quelque chose à faire de cette « médisance ». Elle permet de comprendre, de faire comprendre – d’écrire – que beaucoup de ces malades venus en grand nombre pour être touchés par le roi meurent sur le chemin du retour vers leurs provinces ou leurs pays « depuis l’établissement de l’Hôpital Général de Paris, qui les empêche de s’y reposer, & s’y rafraîchir en mendiant ; comme ils faisaient autrefois : ils craignent d’y être enfermés ». Fonder de nouveaux et meilleurs hôpitaux, donc, « peut fermer la bouche à la médisance » en même temps que « soulager ces pauvres malades7 », aider à ajuster le gouvernement de la misère et le contrôle de l’image du roi. L’offre experte est patente. Qu’en est-il de sa réception ?
8« L’ami de Mr. de Morangis » a aussi rédigé et fait imprimer, dans les mêmes années, quantité d’autres écrits en qualité d’« avocat général des pauvres du royaume », titre de fantaisie qui venait associer, en quelque sorte, le passé de Calloet, sa légitimité d’officier du roi, à un projet porté par la Compagnie du Saint-Sacrement, mais plus ancien qu’elle : l’institution d’une assistance judiciaire gracieuse, qui ne serait plus laissée à la discrétion, à la conscience professionnelle et chrétienne des avocats. Un édit créant des avocats et procureurs des pauvres avait été enregistré en 1610 et laissé sans suite. Les pratiques d’arbitrage mises en place par les activistes dévots – en tout cas décrites dans un ouvrage imprimé en 1668 et présenté en 1670 à l’Assemblée du clergé, L’Arbitre charitable – reprenaient à leur compte, et selon leurs méthodes, l’idée et l’effort pour la mettre en œuvre. En 1761, c’est à nouveau un projet de loi appuyé sur l’édit de 1610 qui sera publié8. Mais « l’avocat général des pauvres », qui peut s’intituler aussi « secrétaire de l’Assemblée charitable de Paris », ne s’occupe pas que d’assistance judiciaire. Il pense la charité de manière globale : comme une politique. Le soin de la santé des population n’est pas oublié dans son tableau. En 1680, les brochures agronomiques de Calloet Kerbrat sont réimprimées, prétendument sous privilège (mentionné au titre, il n’apparaît nulle part), et dans le cas de celle sur les chevaux, en tant qu’ayant été « présenté [e] au roi », ce qui on l’a vu n’est pas un mensonge. D’autres offres y sont faites, dès la page de titre de ce qui ressemble aussi à un prospectus de charlatan :
« Beaux chevaux
1o Qu’on peut avoir en France, d’aussi beaux, qu’en Espagne, Angleterre, Danemark, & c. […]
2o Que cependant, on peut tirer un tiers, plus de profit qu’on ne fait, de la nourriture de ceux de France
3o Le moyen de le faire.
4o Remède universel, pour guérir promptement, toutes les maladies curables des animaux, des oiseaux, & des hommes9. »
9Le « remède universel » proposé ici et dans d’autres productions de « l’avocat général des pauvres du royaume », sous de multiples titres, était dans la même période distribué, notamment, par l’écrivain Paul Pellisson, mais lui au nom du roi10 ; Calloet Kerbrat ne manque pas de le dire, comme si c’était ce que lui aussi faisait. Il recommande surtout des formes d’organisation, décrit des procédures à observer pour être plus efficacement charitable. Il conseille ainsi, par exemple, de tenir un journal des cures obtenues grâce au remède universel et de lire ce journal en chaire. Selon lui, du reste, les prédicateurs devraient aussi lire publiquement les édits et les ordres du roi (des rois) consacrés à la charité. Il conseille en particulier de donner à entendre dans les églises une lettre de cachet envoyée à tous les évêques de France depuis le théâtre des opérations de la guerre de Hollande, en 1676, pour leur ordonner – mais qu’est-ce que cela voulait dire ? – de participer à la création d’hôpitaux généraux dans leurs diocèses respectifs, c’est-à-dire à l’application de l’édit de 1662 dont c’était l’objet et dont une copie était envoyée avec cette lettre circulaire11. Pour le dire autrement, Calloet Kerbrat suggère que la chaire devienne un lieu de réflexion experte sur les intentions du pouvoir en matière de charité, en s’appuyant sur sa lecture d’un acte royal dont la fonction est précisément de montrer la continuité de la politique de la monarchie en la matière. De telles lectures en chaire ont effectivement eu lieu au cours des missions en Bretagne d’un autre activiste, le P. Chaurand – si l’on en croit, du moins, les extraits de lettres de ce jésuite que Calloet a publiés dans des brochures en forme de gazette. Une lettre écrite « de Guingamp, le 26 mars 1678 », raconte ainsi :
« Et pour preuve des bonnes intentions de sa Majesté, je leur lus en chaire comme j’ai fait dans les autres Villes, la Lettre circulaire de sadite Majesté à MM. les Evêques, Gouverneurs, Parlements, & Intendants avec les anciens Edits qui ordonnent des taxes forcées pour la nourriture des pauvres. Et j’ai fait voir que le Roi au lieu de se servir de ces taxes forcées, qui serait la voie la plus courte, il a voulu se servir premièrement de la voie de la douceur. Cette lettre de sa Majesté, est si tendre, si touchante, & si pressante, qu’elle persuada tout le monde12. »
10La prédication se donne à voir ici, de manière frappante, comme expertise sur le lien entre les questions de charité et l’intérêt du pouvoir politique pour les ressources financières des communautés.
11J’ai posé la question de la réception ; j’y reviens. Première remarque : on trouve des exemplaires des brochures des années 1670-1680, notamment, dans la vaste collection de pièces du temps rassemblée par le commissaire Delamare, le théoricien de la police13. C’est là une réception, comme la présence de celles de 1666 chez Colbert. Seconde remarque : Calloet Kerbrat propose de manière répétée à ceux qui s’engageront dans la création d’hôpitaux, en réponse aux intentions du pouvoir, ses services pour procurer les lettres patentes qui en permettront l’établissement14. On pourrait ne guère croire à un tel entregent chez un graphomane exalté. En 1688, l’activiste sera exilé de Paris par lettre de cachet pour avoir, est-il précisé dans cette lettre, « exagéré la pauvreté15 », parce que précisément c’est un agitateur qui n’a aucun mandat pour agir comme il le fait. Mais dans la série H des archives de la Haute-Loire, on trouve un ensemble de documents qui montre que les offres de Calloet Kerbrat n’étaient pas de la fanfaronnade. Une lettre adressée le 31 janvier 1679 à l’évêque du Puy (Armand de Béthune) pour offrir son concours au projet de fonder un hôpital général dans cette ville a été conservée avec un projet de lettres patentes portant création d’un tel hôpital, les lettres patentes authentiques ayant effectivement servi à fonder l’hôpital général du Puy, en 1694, et aussi une lettre du P. Chaurand annonçant aux (futurs) administrateurs de l’hôpital général, en 1687, l’envoi prochain d’un projet de lettres patentes – celui qui se trouve dans le dossier (H 2 A1), donc, avec la version définitive de l’acte qu’il a aidé à rédiger.
12Il serait dommageable de considérer Calloet Kerbrat comme un auteur chez lequel il serait possible de trouver une expression de la pensée ou du discours dévot sur les pauvres à l’époque de Louis XIV16. C’est un homme qu’on peut bel et bien voir dans des sources diverses agir comme un expert de l’interprétation de la politique royale en matière de charité pour les acteurs qui l’entouraient, à une échelle supra-locale : on l’y voit, effectivement, faire la politique du pouvoir politique, la réaliser.
13Cet expert est bien pourtant un marginal, quelqu’un qui agit dans l’ombre, avec d’autres marginaux du même tonneau. Qu’est-ce que ce fait-là dit de la politique à l’époque moderne ? Bien sûr, parmi les dévots, et tout près de Calloet Kerbrat, il y avait des puissants – l’intendant du Languedoc Daguesseau, par exemple, l’un des hommes à l’initiative de la création de l’hôpital général du Puy, présent dans les brochures de « l’avocat général des pauvres du royaume ». Ces puissants agissaient avec des activistes cachés et marginaux, abritaient sans doute leur travail. Mais l’intérêt de l’action de Calloet Kerbrat tient à ce qu’elle n’est pas seulement celle d’un dévot : c’est celle de quelqu’un qui n’a cessé de tenter de tisser des fils divers (expérimentation agronomique, sociale, économique, avec la question de l’utilité des pauvres en son centre ; harmonisation et évaluation des décisions du pouvoir, de ses moyens ; intérêt pour les procédures, pour la communication) pour faire apparaître quelque chose comme une ligne politique pour son temps.
Le commandeur général de l’Ordre hospitalier du Saint-Esprit : Nicolas de Blégny
14Nicolas de Blégny peut être regardé comme un inventeur, un précurseur, comme un charlatan ; un livre a été écrit sur cet « aventurier médical17 ». C’est un homme, en tout cas, qui est lui aussi très présent dans tout un ensemble de sources dont le parcours fait voir la politique en acte et qui a, lui aussi, énormément écrit et publié. Il a en effet bâti toute son activité sur sa capacité à décrypter ce qui était en train de se passer, à produire des documents en rapport avec ce qui était en train de se passer et ainsi à s’insérer dans ce qui était en train de se passer.
15Certains de ses écrits sont très connus, parce que ce sont, à plusieurs reprises, les premiers dans leur genre. Blégny a publié le premier livre des adresses de Paris, très consulté par des historiens de tout type. On se sert généralement de la seconde année de ce guide (parue en 1691 pour 1692) parce qu’elle a été reproduite, mais l’apparition de l’objet date de 1690, pour 1691 : Les Adresses de la ville de Paris, avec le Trésor des almanachs. Livre commode en tous lieux, en tous temps & en toutes conditions par « Abraham Du Pradel, astrologue lyonnais18 ». Notons le pseudonyme, qui semble signaler l’aventurier en effet ; Gilles Chabaud a aussi remarqué que le livre donne l’adresse de Blégny en le qualifiant notamment de « chirurgien des pauvres19 ». Le rapprochement avec Théophraste Renaudot est plus tentant encore que dans le cas de Calloet Kerbrat, surtout si l’on pense à une autre invention de Blégny, celle du premier journal de médecine, rapidement diffusé en Europe grâce à une traduction en latin due au médecin suisse Théophile Bonnet20. Il paraît entre 1679 et 1681 sous trois titres successifs, qui tous trois promettent au lecteur de l’information sur les « nouvelles découvertes ». En 1679, Les Nouvelles découvertes sur toutes les parties de la médecine sont dites « recueillies » par « N. D. B., chirurgien du Roy, maître et juré à Paris21 ». Mais ce n’est pas seulement ce genre de titre publicitaire qui donne envie de regarder Blégny comme un moderne, un représentant de la révolution scientifique en médecine, comme le fait par exemple Géraldine Caps qui le range parmi les « médecins cartésiens » qu’elle étudie22. Il a énormément écrit en faveur de l’expérimentation médicale et médicinale, participé notamment à la diffusion du quinquina23, pratiqué la dissection, et constamment raillé l’obscurantisme des facultés de médecine, particulièrement celle de Paris. À un moment de sa vie, il a donné des cours publics de chirurgie (et sans doute de plus que de chirurgie), dans le cadre de ce qu’il appelait une « académie », et il a créé rue Popincourt une maison de santé payante, mais aussi ouverte aux pauvres, qui existait encore au milieu du xviiie siècle. Il a eu un laboratoire et vendu, notamment, le « remède universel » dont il a été question plus haut. Tout cela lui a valu des procès, des séjours en prison assez nombreux et une réputation durable – c’est-à-dire écrite de son temps, et donc souvent reprise par la suite – d’affairiste, voire d’escroc, plus encore que de charlatan.
16L’intérêt de l’histoire de Blégny, celle en effet d’une activité médicale pas très légale – ne serait-ce que parce qu’il pratiquait à la fois la médecine, la chirurgie et la vente de remèdes – et d’entreprises hardies, notamment d’inventions éditoriales, semble se trouver du côté de l’histoire intellectuelle. Entrepreneur plus ou moins louche, suivant les points de vue, utilisateur averti des possibilités de l’imprimé et du livre, il ancre de manière éclatante l’histoire de l’innovation scientifique dans l’histoire matérielle et sociale24. Ses publications, sans exception, font d’abord la publicité de ses propres pratiques – ainsi que de celles de sa femme, sage-femme, de son fils, apothicaire, et de son frère Étienne, maître écrivain et auteur, notamment de méthodes pour apprendre l’orthographe – et de ses propres ouvrages, la publicité de son activité de publication. La sentence rendue contre lui au Châtelet, le 21 août 1682, a trouvé son chemin dans les compilations réglementaires concernant la librairie, par exemple le Code de la librairie rédigé par Saugrain, l’Histoire de l’imprimerie et de la librairie de Jean de La Caille ou encore, avant eux, la Déclaration du Roi, portant règlement pour les Libraires & Imprimeurs de la Ville de Lyon, Registrée en parlement le 7 février 1696, « Avec la Conférence des anciennes Ordonnances, Statuts, Arrêts & Règlements25 » : Blégny est condamné, les livres trouvés chez lui confisqués, parce qu’il « se mêlait d’avoir Boutique de Librairie ».
17Mais on peut aussi regarder Nicolas de Blégny comme quelqu’un qui a fait de la politique, à partir de sa présence, pour ainsi dire, dans les décisions de la monarchie louisquatorzienne, c’est-à-dire très largement les décisions des premiers médecins du roi successifs, en matière de professions médicales26. Un bon nombre de ces décisions, quelquefois contredites par d’autres, inspirées par d’autres acteurs, tendaient à autoriser l’exercice de la médecine dans la capitale par d’autres que les docteurs de la faculté de médecine de Paris27. Les sources laissées par une création institutionnelle dans laquelle ce souci s’est un moment incarné, la chambre royale des médecins étrangers – c’est-à-dire étrangers à la faculté parisienne, diplômés d’autres facultés – mentionnent à plusieurs reprises Blégny, qui n’était diplômé d’aucune faculté et n’était donc pas médecin, s’il était bien membre de la maison médicale de la famille royale et à ce titre autorisé à exercer son métier de chirurgien en ville28. C’était donc bien de la politique qu’il faisait. Blégny a aussi publié, en 1684, ce qu’on peut considérer comme le premier traité de médecine légale, intitulé Doctrine des rapports de chirurgie fondée sur les maximes d’usage et sur la disposition des nouvelles ordonnances29. Le livre est constitué de rapports d’expertises le plus souvent effectuées par Blégny lui-même, mais contient aussi une interprétation de la loi, un travail de lecture et de réflexion. C’étaient les premiers médecins du roi qui avaient la responsabilité de la médecine légale, dont ils ont fait un autre moyen de contourner ou d’affaiblir l’autorité de la faculté. Le plus actif d’entre eux, Antoine Daquin, nommé en 1672, brutalement disgracié en 169330, s’est aussi beaucoup employé à faire le succès de nouveaux remèdes, sur lesquels, on l’a vu, Blégny a également investi et écrit. Il l’a quelquefois fait en se prévalant de la protection de Daquin. C’est le cas, par exemple, dans un livre de 1688-1689 intitulé Secrets concernant la beauté et la santé, recueillis et publiés par ordre de M. Daquin, conseiller du Roy en ses conseils et premier médecin de Sa Majesté, et avant cela, en 1682, d’un autre livre, Le remède anglais pour la guérison des fièvres, publié par ordre du Roy. Avec les Observations de Monsieur le premier médecin de Sa Majesté sur la composition, les vertus et l’usage de ce remède31. Le « remède anglais », c’est le quinquina. Blégny a aussi été à plusieurs reprises le syndic ou, plus officieusement, le porte-parole de groupes de travailleurs de la médecine qui pouvaient penser à bénéficier de la protection royale contre le risque de poursuite par la faculté. On pourrait presque aller jusqu’à le regarder comme une sorte de syndicaliste professionnel, suggérant aux sages-femmes, par exemple, de s’assembler sous prétexte de confrérie, puis parlant pour le collectif ainsi formé, sans jamais lâcher. Suivre Blégny dans toutes les traces qu’il a laissées, en tout cas, c’est voir quelqu’un essayer de repérer la politique du pouvoir politique, pour mener la sienne, en menant la sienne.
18Considérons à nouveau ses livres. On ne trouve que des exemplaires d’une « 2e édition » datée de 1677 de son premier ouvrage, L’Art de guérir les maladies. Mais il en existe une traduction anglaise datée de 1676, qui contient la traduction des nombreuses et remarquables approbations reçues par le livre, toutes datées de 1674. Beaucoup de ces approbations signées par divers membres de la maison médicale du roi – ils étaient donc a priori bien placés pour savoir ce qu’il était – qualifient Blégny de chirurgien ou de chirurgien ordinaire de la reine. Il n’a jamais cessé, dans la suite, d’imprimer dans ses livres les preuves des fonctions qu’il affirmait occuper : les privilèges et brevets qu’il avait effectivement obtenus, certes, mais des sortes de preuves, aussi, de fonctions qu’il n’avait pas obtenues, voire qui n’existaient pas. Pour le dire autrement, le livre a été pour lui un moyen d’agir grâce à l’appareil des pièces juridiques comme les privilèges, ou quasi juridiques, comme les approbations, qui devaient ou pouvaient y apparaître32, et auprès desquelles il en fabriquait d’autres. Il y a là, de manière patente, une expertise. Le deuxième ouvrage de Blégny est daté de 1676 : c’est L’Art de guérir les hernies33. La plupart des nombreuses approbations qui s’y trouvent imprimées, toutes datées de 1676, continuent à le qualifier de chirurgien de la reine. Pourtant ce n’est pas cette qualité – qu’il avait effectivement, semble-t-il, comme celle de chirurgien de Monsieur qui apparaît ailleurs, on va le voir – qu’il prend sur la page de titre. Il s’y qualifie, comme en 1679 dans ses Nouvelles découvertes, de « chirurgien du Roi, Maître et Juré à Paris », ce qui est y aller un peu fort.
19En 1682, Le Remède anglais pour la guérison des fièvres, publié par ordre du Roy dit Blégny « chirurgien ordinaire du corps de Monsieur » et « directeur de l’académie des nouvelles découvertes de médecine34 ». Cette dernière prétention est développée dans le livre, où il se présente comme ayant été pourvu, par privilège, de la fonction de vérifier, de contrôler, de faire l’analyse chimique des produits vendus par les médecins empiriques, les charlatans. Le vendeur de remèdes serait donc devenu l’expert des vendeurs de remèdes. La fonction, cependant, n’existait pas : elle n’est qu’une extension, une interprétation d’un privilège que Blégny avait effectivement obtenu, mais qui n’était qu’un privilège de librairie, le privilège, dont comme on a vu il usait beaucoup, de publier les « nouvelles découvertes en médecine ». Ou du moins est-ce là le résultat obtenu par la faculté de médecine, qui a fait imprimer l’arrêt du conseil du 24 mars 1682 – une année difficile pour Blégny, également ciblé pour ses activités de vente de livre, et à la suite de l’arrestation d’un chirurgien qui pratiquait la dissection chez lui – ordonnant « que les Lettres portant permission d’imprimer les nouvelles découvertes en Médecine, accordées audit Blégny le 2 février 1679 seront rapportées ». Le Discours fait à monseigneur Le Tellier, chancelier de France, par maître Nicolas Lienard, conseiller médecin ordinaire du Roy, docteur & doyen de la faculté de médecine de Paris, à la tête de la compagnie, contre le nommé Blegny, soi disant directeur de l’Académie des nouvelles découvertes de médecine, & préposé, comme il dit, par privilège du Roy à leur recherche à la fin duquel on trouve cet arrêt35 martèle que Blégny n’a aucun titre, aucun diplôme, aucune connaissance, pas même celle du latin ; au total, qu’il est encore pire que Théophraste Renaudot, de funeste mémoire. La démarche et sa publication répondaient aussi à une multitude de factums et libelles de Blégny contre l’institution médicale et ses membres ; il ne cessera pas d’en faire paraître dans les années qui suivent. C’est également après cette dénonciation qu’il publie la Doctrine des rapports de chirurgie, c’est-à-dire son activité d’expert médico-légal, tout à fait autorisée par l’homme en droit de l’autoriser, Daquin.
20Blégny a donc eu une pratique constante de l’interprétation des privilèges et des fonctions, une pratique constante de l’interprétation de la politique royale par l’interprétation et la reprise des pièces, des actes, des décisions, des écrits dans lesquels cette politique s’exprimait. Les brevets, les privilèges, les autorisations sont pour lui des choses écrites qu’on peut imprimer ; et aussi écrire soi-même avant de les imprimer.
21Mais s’il a perdu des procès, s’il a fait un peu de prison à plusieurs reprises, notamment en 1682, ce n’est pas son exercice plus ou moins légal de la médecine, de la librairie ou de la pharmacie qui a causé sa perte. En 1693, après la chute de Daquin, il est incarcéré par lettre de cachet au For l’Évêque, puis au Château d’Angers en 1695, comme « visionnaire rempli de plusieurs extravagances36 ». L’affaire est, là, directement politique. Blégny s’était fait, à la fin des années 1680 et au début des années 1690, le défenseur et le porte-parole de l’Ordre hospitalier du Saint-Esprit. Cet ordre ancien, qui existait plus ou moins mais possédait des biens, avait été présenté comme militaire et incorporé en 1672 à l’Ordre de Saint-Lazare ; en 1693, il en est disjoint parce qu’il s’était avéré que ces biens n’étaient pas aisément saisissables. Divers aventuriers, au cours du xviie siècle, avaient investi, pour ainsi dire, l’opération de militarisation de l’Ordre du Saint-Esprit37. À son tour, Blégny était venu se déclarer « commandeur et administrateur général », ainsi que médecin du Saint-Esprit, « sous le bon plaisir de Sa Majesté » et s’était engagé dans toute une série d’actions, notamment en justice. Il a continué à le faire depuis sa prison, où il a beaucoup écrit. Il publie des livres sur l’histoire de l’ordre et l’histoire générale de la chevalerie, théorise l’hospitalité et, de là, la charité comme politique publique ; et il ne manque pas d’insérer les préambules des édits relatifs à cette politique dans ses ouvrages38. Il signe des contrats pour établir un hôpital qui serait régi par cet ordre hospitalier à Cayenne, en prétendant être titulaire de la commanderie de l’ordre du Saint-Esprit d’Angers, dont dépendra cet hôpital ; et il écrit à ce sujet des lettres qu’il date « du château d’Angers ».
22Finalement libéré, après dix ans d’emprisonnement, il obtient en 1699 une autorisation de s’installer à Avignon, où il meurt, apparemment en 1722, non sans avoir fait imprimer différentes choses sur ses talents médicaux et sa vocation à la charité. La bibliothèque de l’Arsenal conserve un prospectus de treize pages, intitulé Motif des voyages du Chevalier de Blégny Médecin ordinaire du Roi & de Monsieur frère unique de sa Majesté qui doit séjourner environ… mois en cette ville – s. l. n. d., le chiffre « 3 » a été ajouté à la main sur l’exemplaire conservé – où il déclare qu’il dispense ses soins charitables, désormais, en chevalier itinérant, après avoir dû fuir Angers.
23Nicolas de Blégny était-il devenu fou ? Il se trouve que les raisonnements qu’il tient, les documents qu’il produit dans un de ses imprimés autour de la médecine des chevaliers, Titres et autorités pour la Milice Hospitalière de l’Ordre ancien du Saint Esprit, sont réutilisés, réemployés, réécrits dans les sources laissées par la politique royale concernant les ordres de chevalerie au xviiie siècle39. Son expertise a fini par outiller la politique royale sur ce terrain.
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24On ne peut que constater, chez les deux hommes dont j’ai essayé de présenter l’activité, chez ces deux marginaux, ces deux visionnaires, ces deux experts politiques dont la réussite n’a pas fait la légitimité, une espèce d’avidité pour la communication politique, pour la communication de la politique, pour la communication de l’intention du roi. Cette communication leur est utile ; c’est leur carburant, leur matériau, leur ressource. Calloet Kerbrat et Blégny lisent très attentivement tout ce qu’ils peuvent trouver pour leur permettre d’écrire l’intention du pouvoir. Et avec cela, d’une certaine manière, ils font la politique : en s’y insérant, ils la rendent visible comme politique, comme série finalement cohérente de décisions, même quand, à y regarder de près, ces décisions n’étaient pas forcément si cohérentes que cela en elles-mêmes. C’est là le genre de choses qu’on lit, aussi bien, dans les préambules d’édits, de déclarations, d’ordonnances qui passent très fréquemment sous silence des édits, des déclarations, des décisions précédentes qui avaient pourtant bel et bien été prises, et qui allaient dans d’autres sens. L’expertise des rédacteurs de la législation royale, des agents de l’État, des ministres, n’était pas différente de celle de nos deux marginaux activistes. L’une et l’autre reposaient sur la capacité à rassembler des pièces qui pouvaient être diverses, à les apprécier, à dessiner une histoire dans laquelle elles prendraient sens.
Notes de bas de page
1Bruzulier Jean-Luc, « Saint Yves, modèle pour les dévots bretons du xviie siècle ? L’exemple de Gabriel Calloët Kerbrat, “avocat général des pauvres” », in Jean-Christophe Cassard et Georges Provost (dir.), Saint Yves et les Bretons. Culte, images, mémoire 1303-3003. Actes du colloque de Tréguier (18-20 septembre 2003), Rennes, PUR, 2004, p. 241-253.
2Jarnoux Philippe, « Autour d’Yves Morice de Coetquelfen. Réflexion sur la notion de réseau dans le monde des officiers au xviie siècle », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. CVIII, no 4, 2001, p. 195-226. Philippe Jarnoux a trouvé la trace d’un accord financier entre l’homme qui acquiert en 1650 l’un des deux offices semestriels d’avocat général que Calloet avait détenus et celui-ci. L’autre office semestriel avait été résigné en 1646 au profit de quelqu’un d’autre.
3Dessaux Nicolas, « Penser l’amélioration animale au xviie siècle : les brochures de Gabriel Calloet-Kerbrat », Anthropozoologica, 2004, 39 (1), p. 123-132 ; voir également Bourde André-Jean, Agronomie et agronomes en France au xviiie siècle, Paris, SEVPEN, 1967, t. I, p. 122-127.
4La Bnf possède un exemplaire de l’Avis sur les moyens d’élever en France des chevaux aussi beaux, aussi grands et aussi bons qu’en Allemagne et royaumes voisins également sur vélin et relié aux armes de Louis XIV (auquel l’ouvrage est dédié). L’exemplaire appartenant à Colbert avait été vendu en 1728 (cf. le catalogue dressé pour la vente de sa bibliothèque et de celle de son fils Seignelay, Bibliotheca Colbertina : seu catalogus librorum bibliothecae, quae fuit primum J. B. Colbert regni administri, 1728, t. II, no 9856). Dessaux Nicolas, « Penser l’amélioration animale au xviie siècle », art. cité, p. 126, transcrit un billet de février 1666 conservé dans les Mélanges Colbert, dans lequel Calloet déclare que c’est le duc de Mazarin (Armand-Charles de La Porte, réputé bigot) qui lui a « demandé des mémoires » sur les chevaux, brebis, vaches et qu’il dit les avoir donnés au ministre.
5La première est signée Landry : Pierre Landry (1630-1701) était un graveur et marchand d’estampes parisien (voir Jimeno Frédéric, « Les tailles-douces en tableau de Pierre Landry et de ses héritiers (1679-1720) », Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français, année 2008, 2009, p. 81-107).
6Parmi elles : « Il fait offre, […] ainsi que le faisait Mr. de Morangis, de faire imprimer à ses frais, tous ces Edits, Arrêts, Déclarations, & Règlements nécessaires, pour l’établissement de ces Hôpitaux, & en envoyer gratuitement, à tous les Evêques, Gouverneurs, Intendants, Villes, & Communautés, & en donner à tous ceux qui en demanderont pour leur instruction » (p. 3 des listes et sommaires précédant les « Mémoires » proprement dits), autrement dit de contribuer de son chef à la publication des actes royaux.
7« Mémoires de feu Mr. de Morangis », p. 1.
8Gutton Jean-Pierre, « L’assistance judiciaire dans la France de l’Ancien Régime », in Paul Delsalle, François Lassus, Corinne Marchal et François Vion-Delphin (dir.), Mélanges offerts au professeur Maurice Gresset, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2007, p. 101-112 et Leuwers Hervé, « Les avocats et la défense du “pauvre”. L’aide judiciaire dans la France du xviiie siècle », in Philippe Guignet (dir.), Le peuple des villes dans l’Europe du Nord-Ouest (fin du Moyen Âge-1945), Villeneuve-d’Ascq, CRHEN-O, 2003, t. II, p. 33-50. Jean-Pierre Gutton (voir du même auteur « Aux origines d’un ministère de l’Assistance et de la Santé dans la France de l’Ancien Régime », in Jean-Louis Harouel [dir.], Histoire du droit social. Mélanges en hommage à Jean Imbert, Paris, PUF, 1989, p. 286-293) pense que le titre pris par Calloet Kerbrat (en alternance avec celui de « procureur général concernant les pauvres dans toute la France ») était un véritable titre officiel, « donné par la monarchie du xviie siècle à des personnages chargés de gérer la question du paupérisme » (p. 101), comme Théophraste Renaudot, qui se qualifiait de « commissaire général des pauvres du royaume » avant lui. Cela me semble tout à fait douteux.
9Vendu 20 sous, est-il encore précisé, quai des Augustins, Au bon Pasteur, et chez l’auteur qui habitait alors près du Luxembourg, chez un menuisier, l’écrit sur les chevaux renvoie à d’autres : « Il se vend encore, dans ces deux lieux, des livres qui enseignent le moyen de tirer plus de profit qu’on ne fait de la nourriture des Brebis, & des Vaches, & tirer grand profit des Mouches à miel, quand on n’aurait qu’un Jardin, dans une ville ; il y en a dans Paris qui réussissent » (page de titre).
10Sur ces distributions, voir Gutton Jean-Pierre, La Société et les pauvres. L’exemple de la généralité de Lyon, 1534-1789, Paris, Les Belles-Lettres, 1971, p. 394-395 et Nougaret Christine, « La lutte contre les épidémies dans le diocèse de Rennes au xviiie siècle », Bibliothèque de l’école des chartes, 1982, t. CXL, livraison 2, p. 215-233, en particulier p. 216. Plusieurs brochures de Calloet Kerbrat renvoient à Pellisson, notamment un texte anonyme intitulé Remède universel pour les pauvres gens, pour leurs Bestiaux, & leurs Volailles, 10e édition augmentée de divers secrets de l’illustre, et charitable Madame Fouquet, Paris, Veuve Denis Langlois, 1683, qui intègre, p. 38-40, des « Relations envoyées à Monsieur Pellisson, Maître des Requêtes ; Qui distribue les remèdes de la part du Roi par Monsieur le Premier Président du Parlement de Pau », datées du 14 novembre 1679 et du 26 août 1680. « Ces relations contiennent diverses cures extraordinaires, faites par ledit Seigneur Premier Président, qui en distribue lui-même ; par M. Amade, Conseiller & Chanoine, Fondateur de l’Hôpital de Lescar », et par d’autres, dans d’autres régions (p. 38).
11Cette lettre de cachet a été imprimée par l’évêque de Lescar, dans le Béarn (voir note précédente) : Lettre de cachet du Roi avec la Lettre pastorale de Monseigneur l’Evêque de Lascar [sic] pour établir des Hôpitaux Généraux dans les Villes de son Diocèse, à Paris, Jouxte la copie imprimée à Pau, 1677. Jean du Haut de Salies a alors 82 ans, ce qui aide, me semble-t-il, à voir dans l’opération plus qu’un acte d’auto-promotion : la publication d’un modèle, fortement politique, d’action pastorale.
12Brochure anonyme et s. l. n. d. qui commence par : « LE SUJET DE CETTE RELATION/1. C’est pour voir, qu’il y a un moyen aisé & facile, prouvé par expérience dont il sera parlé ci-après, pour faire cesser la mendicité dans le Royaume à moins d’un an, suivant les ordres du Roi » (p. 5). La Méthode facile pour abolir la mendicité (s. l. n. d., mais des actes royaux datant de 1700 y sont mentionnés), peut-être due, au moins partiellement puisqu’il est mort en 1697, au Père Chaurand, évoque la lettre de cachet de 1676.
13Dans le volume Ms. fr. 21802, consacré aux pauvres ; rubrique « avocat général des pauvres », fo 332 et suivants ; Nicolas Dessaux signale que Calloet était en correspondance avec Delamare sur la question de la surveillance des « nouveaux catholiques ».
14Cette proposition se trouve notamment dans la liste des « Offres de l’ami de M. de Morangis », avec celle de publier les actes royaux sur la question, ou encore celle « de tenir » gratuitement « les livres & Registres […] où seront insérés par extrait, les procès-verbaux d’établissement desdits Hôpitaux, & l’état de leurs affaires à Paris, expéditions, manufactures, & c. », et de « faire imprimer ce livre » à ses frais (« Mémoires de feu Mrde Morangis », p. 3 première pagination).
15Voir Bruzulier Jean-Luc, « Saint Yves, modèle pour les dévots bretons du xviie siècle ? », art. cité. La brochure anonyme, sans date ni lieu d’édition, qui s’intitule Histoire horrible Que le Secrétaire charitable de Paris vient d’apprendre ce mois de Mai 1678 qui fait voir combien les Hôpitaux généraux, & Confréries de la Charité empêcheraient de maux […], s’il y en avait partout donne une idée de ce que signifie exagérer la pauvreté : « 1. Cette année la disette est grande : Un pauvre paysan veuf, au Diocèse du Mans, malade de misère a resté deux jours sans pain. Il avait trois petits enfants qui pleuraient & gémissaient sans cesse, il les a égorgés, & s’est pendu ensuite, désespéré d’avoir été refusé par son frère à l’instigation de sa femme de quelques boisseaux de blé payables à la récolte. 2. Ce frère ayant vu cet horrible spectacle, a étranglé sa femme, & s’est voulu pendre aussi. Ses voisins ont enfoncé la porte, & l’en ont empêché. Il est prisonnier. 3. Ceux du village ont voulu assommer le Curé, disant qu’il est cause de tous ces meurtres, pour n’avoir pas voulu établir une Confrérie de la Charité, dans sa Paroisse » (p. 1).
16Sur ce point, je me permets de renvoyer à Ribard Dinah, « Dramatique de la charité. Quelques réflexions sur l’histoire des histoires déjà écrites », Zeitsprünge. Forschungen zur Frühen Neuzeit, Band 17, Heft 4, 2013, p. 452-468.
17Tellier Jean, Un aventurier médical au xviie siècle : Nicolas de Blégny, Paris, Louis Arnette, 1932. On ne sait ni où ni quand Blégny est né ; parmi les dates proposées, il paraît raisonnable d’accepter celle de 1642.
18Paris, Veuve de Denis Nion, achevé d’imprimer le 26 octobre 1690.
19Chabaud Gilles, « Images de la ville et pratiques du livre : le genre des guides de Paris (xviie-xviiie siècles) », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, no 2, t. XLV, avril-juin 1998, p. 323-345, p. 342 sur Blégny.
20Kronick David A., “Devant le déluge” and other essays on early modern scientific communication, Lanham (Md.), Scarecrow Press, 2004, p. 1-11.
21Paris, Laurent d’Houry, qui imprime ensuite Le Temple d’Esculape, ou le Dépositaire des nouvelles découvertes qui se font journellement dans toutes les parties de la médecine (1680), puis le Journal des nouvelles découvertes concernant les sciences et les arts qui font parties de la médecine (1681) ; il existe aussi une version in-4o (Nouveautés journalières concernant les sciences et les arts, qui font parties de la médecine), parue en 1680-1681 chez d’Houry et Claude Blageart. En 1684, un Mercure savant qui prend la suite de ce Journal commence à paraître à Amsterdam, chez Henry Desbordes.
22Caps Géraldine, Les Médecins cartésiens. Héritage et diffusion de la représentation mécaniste du corps humain (1646-1696), Hildesheim, Georg Olms, 2010.
23Bouvet Maurice, « Quelques plaidoyers historiques en faveur du remède secret », Bulletin de la Société d’histoire de la pharmacie, 14e année, no 51, 1926, p. 273-279.
24Voir Onelli Corinna, « Manipuler l’érudition : Francesco Redi et ses Expériences sur la génération des insectes (1668) », in Reconnaître l’érudition, Paris, La Taupe Médite, 2019, p. 35-56. Je me permets aussi de renvoyer à Ribard Dinah et Schapira Nicolas (dir.), « L’Histoire par le livre, xvie-xxe siècle », Revue de synthèse, t. CXXVIII, 6e série, 2007/1-2.
25Imprimée à Paris chez Christophe Ballard par Ordre exprès de Monseigneur le Chancelier, 1696 ; la sentence contre Blégny se trouve p. 222.
26Ces décisions ont fait l’objet du travail d’un historien du droit : Lunel Alexandre (La Maison médicale du roi xvie-xviiie siècles. Le pouvoir royal et les professions de santé, médecins, chirurgiens, apothicaires, Seyssel, Champ Vallon, 2008), qui a souvent rencontré Blégny dans la période concernée. Ce livre détaille et analyse, dans sa propre perspective, les sources sur lesquelles je m’appuie dans ce paragraphe ; une différence tient au fait que je porte le même regard sur les livres de Blégny.
27Pour une discussion de l’idée traditionnelle d’une opposition entre les premiers médecins du roi et la faculté parisienne tout au long de l’Ancien Régime, alors que la description convient principalement à l’époque de Louis XIV, et de Blégny, voir Mandressi Rafael, « Chaires d’Ancien Régime et ancien régime des chaires : la médecine au Collège royal (xvie-xviie siècles) », in La Politique des chaires au Collège de France [en ligne], Paris, Les Belles Lettres, 2017 (généré le 20 octobre 2019), [http://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lesbelleslettres/139].
28Sur la curieuse histoire de cette institution créée et supprimée la même année 1673, et qui pourtant persiste « officieusement » à exister et à agir jusqu’en 1694, voir Lunel Alexandre, La Maison médicale du roi, op. cit., p. 131-141. Voir aussi Lebrun François, « Médecins et empiriques à la cour de Louis XIV », Histoire, économie et société, no 4, 3e année, 1984, p. 557-566.
29Lyon, T. Amaulry.
30Voir Peumery Jean-Jacques, « La disgrâce d’Antoine Daquin, Premier médecin de Louis XIV (1693) », Vesalius, II, 2, 1996, p. 79-85.
31Respectivement Paris, Laurent d’Houry et la Veuve de feu D. Nion, 1688-1689 et Paris, l’auteur et la Veuve d’A. Padeloup, 1682.
32Les approbations des docteurs en médecine n’étaient pas des pièces juridiques équivalentes à l’approbation des docteurs en théologie pour les livres de religion, indispensable pour obtenir l’autorisation d’imprimer ; elles lui empruntent quelque chose de sa force.
33Paris, l’auteur.
34Bouvet Maurice, « Le “Laboratoire royal” au Collège des 4 Nations », Revue d’histoire de la pharmacie, no 114, 32e année, 1944, p. 9-12.
35La décision du conseil est lisible p. 8.
36AN O1 39, fo 186, 21 septembre 1695.
37Voir le chapitre sur les « pseudo-chevaliers et l’ordre en France au xviie siècle » de l’Histoire de l’ordre hospitalier du Saint-Esprit par l’abbé Brune (Paul, Lons-le-Saunier, C. Martin, 1892), p. 291 et suivantes. Sur les débats autour du caractère militaire ou régulier de l’ordre, voir Durand-Dol Françoise, « Controverses historiographiques autour de l’ordre hospitalier du Saint-Esprit. Dom Vaissète et Gui de Montpellier », Historiens modernes et Moyen Âge méridional, Cahiers de Fanjeaux, no 49, 2014, p. 139-172.
38Citons par exemple le Fragment d’un projet d’histoire concernant la chevalerie chrétienne, au sujet des remèdes exquis et des panacées charitables envoyez à Cayenne l’an 1697 par les Hospitaliers du Saint-Esprit pour subvenir domestiquement, facilement & sans aucun autre secours à presque toutes les maladies curables, des riches habitants & des pauvres engagés de cette île, & des autres habitations de la France occidentale, « Imprimé à Angers par la veuve O. Avril, & se vend à Paris, chez L’aurrent [sic] d’Hourry […] et Jean Nion », 1697, « Avec privilège du Roy ».
39AN M//45 : la pièce 31 est l’imprimé de Blégny (s. l., la BnF le catalogue parmi les factums), dont les arguments sont repris dans un mémoire « pour la réunion de l’ordre du St Esprit de Montpellier à celui de St Lazare » (pièce 9) signé Terrasson (soit l’avocat Matthieu Terrasson, soit son fils Antoine Terrasson, professeur de droit canon au collège royal).
Auteur
EHESS/CRH – Grihl

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