Le marquis, l’abbé et l’Anglais ou William serviteur de plusieurs maîtres
Expertise, patronage et échanges transmanche à la fin de l’Ancien Régime
p. 179-197
Texte intégral
1La saynète est presque digne de la commedia dell’arte. Nous sommes à Paris, le mercredi 20 juin 1787, Maison neuve des Feuillants, impressionnante demeure sise rue Saint-Honoré où un jeune homme, fraîchement arrivé de Londres, sonne à la porte d’une sommité de la République des Lettres. Après une longue attente, la porte s’ouvre sur un acariâtre sexagénaire couvrant d’injures une malheureuse servante arrivée trop tard pour recevoir le visiteur. La scène dure plusieurs longues minutes avant que le barbon, livide de rage, ne pousse le jeune homme interloqué dans sa bibliothèque. L’humeur du vieillard ne s’arrange guère dans un premier temps à l’écoute du baragouin de son visiteur qui ne parle quasiment pas le français, avant qu’une lettre de recommandation d’un considérable personnage, enfin produite, ne le ramène à de meilleures dispositions. La conversation tourne court cependant, faute d’une évidente bonne volonté mutuelle et, malgré une invitation à revenir s’entretenir avec le géronte, notre jeune homme se promet bien – et il tiendra parole – de ne plus jamais s’adresser à celui qu’il désignera dans ses mémoires comme un « philosophe colérique et un maître sévère1. »
2Qui sont donc nos personnages ?
3Le vieillard acrimonieux, expert en retournements d’attitudes, est l’abbé André Morellet (1727-1819), académicien, encyclopédiste et influent conseiller de la Caisse de Commerce2. L’auteur de la lettre n’est autre que le marquis de Lansdowne (1737-1805), ancien Premier ministre de Grande-Bretagne, correspondant, ami et puissant protecteur de l’irascible vieillard comme du jeune visiteur3. Ce dernier, enfin, William Playfair (1759-1823), ingénieur, entrepreneur, théoricien des finances publiques, a publié l’année précédente, sous le patronage de Lansdowne, un Political and Commercial Atlas dont le succès d’estime obtenu outre-Manche repose sur l’invention des premières formes graphiques de la statistique : le figuré linéaire et l’histogramme4.
4L’incident, finalement assez banal, un cas d’introduction ratée dans la république des lettres, pourrait sembler anecdotique5. Cependant, l’échec apparaît singulièrement paradoxal étant donné la qualité des personnages impliqués : un protecteur de première catégorie, un intermédiaire au cœur des sociabilités mondaines et de l’économie du patronage de la fin de l’Ancien Régime en France, enfin un solliciteur de choix, détenteur de compétences remarquables et authentique inventeur. Exemple intéressant donc, qui nous place, à travers le cas du jeune William Playfair et de l’introduction manquée des graphiques statistiques en France en 1787, au cœur des processus de la définition étatique et sociale de la science et de l’expertise sous l’Ancien Régime. Plus encore, il contribue à dévoiler les critères, les formes et les procès de la reconnaissance de l’expertise dans ces réseaux des Lumières dont les cadres, moins contraignants que ceux de la « sociabilité patentée » (celle des princes ou de l’Église), transposent néanmoins le régime traditionnel de la protection dans un ordre régi par des statuts, selon l’expression de Pierre-Yves Beaurepaire, « mûris, rédigés, adoptés de l’intérieur », notamment fondés sur la constante, réflexive et réciproque évaluation de l’impétrant comme des agents de sa promotion6. Au cœur des procédés « gris » de l’action de l’État, c’est donc à un transactionnel exercice de légitimation que nous sommes conviés.
La fabrique de l’expert
Milieu, formation, réseaux : un expert écossais
5L’apparente rebuffade subie par Playfair lors de son entrevue avec Morellet ne laisse d’intriguer, tant l’Écossais semblait pourtant cumuler capital symbolique et titres d’expertise particulièrement prometteurs. Orphelin d’un pasteur de la Kirk of Scotland, il avait été élevé très tôt sous la supervision de son frère aîné John Playfair (1748-1819), mathématicien, lui-même membre de la Kirk et survivancier de leur père. John était, depuis 1774, titulaire de la chaire de mathématiques à l’université d’Édimbourg et avait contribué à la fondation de la Royal Society of Edinburgh en 1783 avec les plus éminentes figures des literati écossais, dont son grand ami et protecteur, véritable patron des carrières académiques en Écosse, l’historien William Robertson (1721-1793) qui cumulait alors les charges de Principal de l’université d’Édimbourg (1762), de Moderator (président) de la General Assembly de la Church of Scotland (1763) et d’historiographe royal pour l’Écosse (1764). Au-delà encore, se profilait la figure tutélaire du « patron » de l’Écosse, le Lord Advocate Henry Dundas (1742-1811) auquel les Playfair étaient liés par des relations clientélaires7. Ce premier cercle, comme les suivants, s’il ne constituera pas à proprement parler le « milieu » d’un personnage devenu progressivement infréquentable pour la bonne société britannique de la fin du xviiie siècle, n’en fournira pas moins à l’occasion, comme on le verra plus tard avec l’économiste Dugald Stewart (1753-1828) très lié à John Playfair, un fonds de potentielles recommandations qui doivent rappeler qu’au-delà des accidents biographiques, le jeune William avait été correctement doté d’une solide éducation et de créances sociales8.
6Caractéristique d’une génération d’ingénieurs écossais, à l’image de John Rennie (1761-1821) ou de William Murdoch (1754-1839), Playfair est tôt placé en apprentissage. Son premier mentor sera Andrew Meikle (1719-1811), inventeur de la lieuse, avant qu’il ne rejoigne James Watt (1736-1819) à Birmingham, devenant l’un de ses assistants de 1777 à 17819. Dessins techniques de machines à vapeur, de moulins à sucre et de scies mécaniques, installateur de pompes, comptable, garant du brevet de la fameuse machine à copier : la formation initiale du jeune Écossais fut particulièrement complète. La fréquentation du cénacle de scientifiques, inventeurs et entrepreneurs réunis autour de James Watt et de son associé Matthew Boulton (1728-1809), jusqu’à certains membres de la fameuse Lunar Society, constituera ainsi une autre strate de relations et de soutiens, qui l’accompagneront tout au long de son tumultueux parcours10. Bien trop secondaire pour figurer dans la prestigieuse société, Playfair illustre cependant les enjeux de l’apparition d’une nouvelle sociabilité technicienne et scientifique en Grande-Bretagne dans cette seconde moitié du xviiie siècle. Si Roy Porter a pu, dans une perspective culturaliste « centralisée », « diffusionniste » et hiérarchique, voir dans ces sociétés savantes provinciales la transposition de la sociabilité des Lumières de la capitale vers les provinces « reculées » de la Grande-Bretagne, Robert Schofield (premier biographe de la Lunar Society) y décèle davantage l’apparition d’une nouvelle forme de sociabilité. Cette dernière, techno-scientifique et pragmatique, fondée autour des laboratoires et des ateliers de la révolution industrielle, contribue au délitement des formes longtemps jugées fondamentales des identités, particulièrement religieuses et tout particulièrement dissidentes, qu’a déjà souligné John Money à propos des savants-techniciens et entrepreneurs des West Midlands11.
7Si le séjour à Birmingham s’acheva, au prix d’une rupture avec son prestigieux patron, par une infructueuse tentative de lancement d’une manufacture d’objets métalliques à Londres, Playfair n’en garda pas moins la réputation d’un « ingénieur anglais » formé à l’école de Birmingham, qui ne pouvait manquer d’intéresser une administration française avide de transferts techniques depuis la Grande-Bretagne12. À ce titre, l’Écossais participait pleinement de l’essor de l’identité sociale de l’ingénieur à la fin du xviiie siècle qu’ont pu décrire Hélène Vérin pour la France, ou Peter Jones pour la Grande-Bretagne13.
Entrer dans le cercle : le réseau Shelburne-Lansdowne
8Du cercle des Lumières écossaises à celui des « savants fabricants » autour de James Watt, William Playfair allait passer à une troisième sphère de compétences mobilisant à nouveau les figures convenues des intermédiaires et du protecteur14. L’un des premiers fut le chimiste Joseph Priestley (1733-1804), figure éminente de la Lunar Society arrivé à Birmingham en 1780 après huit années passées comme bibliothécaire du comte de Shelburne (devenu marquis de Lansdowne en 1784) sur le domaine de Bowood (Wiltshire), bénéficiant notamment des facilités d’un laboratoire où il avait réalisé ses plus remarquables découvertes comme la découverte de l’oxygène en 177515. Shelburne avait en effet constitué autour de lui, depuis le milieu des années 1770, un large cercle d’hommes de lettres, d’artistes, de scientifiques et d’essayistes, dont il promouvait les carrières en leur faisant bénéficier de son appui et de ses relations dans l’administration16. Ce cercle, organisé selon une évidente hiérarchie d’ordres et de rangs selon la proximité au mécène, constituait une source importante d’information pour ce dernier, de plus en plus retiré des affaires, sur des sujets politiques et de société comme l’Église, l’économie politique ou les finances. Parmi ses protégés, on pouvait distinguer d’authentiques proches, commensaux et membres de la maison dans la tradition nobiliaire, à l’image du politicien whig Issac Barré (1726-1802), de Joseph Priestley et de théoriciens politiques réformateurs tels Richard Price (1723-1791), Samuel Romilly (1757-1818) et Jeremy Bentham (1748-1832). Parmi eux, également, le secrétaire du comte, Benjamin Vaughan (1751-1835), fils du planteur de la Jamaïque et activiste radical Samuel Vaughan (1720-1802)17. Ce premier cercle apparaissait crucial dans la délivrance des autorisations d’accès à la personne et au patronage de Shelburne-Lansdowne, à l’image du processus d’adlection, en 1785, de William Playfair, qui nous est connu par une lettre adressée à Benjamin Vaughan par le philosophe écossais Dugald Stewart (1753-1828) :
« Monsieur Playfair, au sujet duquel vous vous enquérez dans votre dernier courrier, était originellement destiné à la profession d’ingénieur civil. […] De ses principes et dispositions, j’ai une opinion extrêmement favorable, et je sais qu’il possède une quantité considérable d’informations dans les domaines des mathématiques et de la mécanique. Récemment, il a tourné son attention vers l’étude de la politique commerciale, et à ce que je peux en juger, il est de taille pour de telles spéculations et possède de fortes dispositions naturelles et a acquis une grande quantité d’informations et de faits tirés de livres et de sa propre observation18. »
9Cette correspondance dévoile les processus à l’œuvre dans la reconnaissance de l’expertise autour de Lansdowne : Vaughan, tenant lieu de « chasseur de têtes » pour son maître, s’adressait directement à une autorité de connaissance sur le thème soumis par l’impétrant Playfair sur le chapitre de l’économie politique qui allait donner, outre le Commercial and Political Atlas (1786), les essais Increase of Manufactures, Commerce and Finance (1785) et l’Essay on the National Debt (1787). Le secrétaire de Lansdowne avait en effet rencontré Dugald Stewart pendant ses études de médecine à Édimbourg quelques années auparavant, et ce dernier était très lié à John Playfair comme on peut en juger à partir d’une autre anecdote, académique et écossaise celle-là.
10Quelques semaines auparavant, en janvier 1785, le célèbre philosophe et historien Adam Ferguson (1723-1816), titulaire de la chaire de Philosophie morale à l’université d’Édimbourg, dont la santé déclinait, avait sollicité son jeune collègue Dugald Stewart alors assistant (et enseignant effectif) à la chaire de mathématiques de son propre père, Matthew (1717-1785), qui venait de décéder. Le décès de Matthew Stuart fut l’occasion d’un tour de passe-passe caractéristique du clientélisme académique écossais décrit par Roger L. Emerson19. Ferguson proposa et obtint de Dugald Stewart d’échanger leurs chaires : à lui, la « sinécure » de mathématiques (il s’agissait d’une simple affectation nominale destinée à lui assurer des revenus), au jeune Stewart la titularisation sur la prestigieuse chaire de philosophie morale. Restait à trouver un assistant en mathématiques pour se charger de l’enseignement : Stewart, Ferguson et William Robertson n’eurent aucun mal à trouver en leur ami John Playfair le candidat idéal20 … Présidaient en effet aux destinées académiques des uns et des autres, le « modéré » (conservateur) de la Church of Scotland et patron de l’université William Robertson, ainsi qu’Henry Dundas qui n’hésitera pas à affirmer en 1801 que « chaque professeur des universités de Saint Andrews et d’Édimbourg nommé depuis les vingt dernières années l’a été par moi ou par ma recommandation21 ».
11Dugald Stewart et John Playfair furent officiellement appointés à l’université par le Conseil de la ville d’Édimbourg le 18 mai 1785, veille de la lettre du premier à Benjamin Vaughan recommandant le frère de son ami et désormais collègue22. William entra donc dans le cercle de Lansdowne.
Rester dans le cercle
12Jeu croisé d’échange de créances, de circulations et de solidarités dans des cercles de sociabilités gigognes, le processus d’adlection se combinait également à un constant travail d’évaluation pour le maintien dans le cénacle des experts dignes de la confiance et du soutien de Lansdowne. L’économie de la faveur autour du comte était, en effet, un travail de tous les instants. Playfair décrira ainsi les conditions du soutien du marquis à ses premiers essais en économie politique, à l’image de son Essay on the National Debt qu’il devait lui dédier23. Son manuscrit en cours d’achèvement, Playfair avait obtenu les honneurs d’un séjour à Bowood sous la houlette du comte et de son proche ami le colonel Barré, expert en affaires financières. À l’économie intellectuelle de la reconnaissance de l’expertise s’ajoutait donc également le mécénat du gîte et du couvert évoqué par Nicolas Schapira24. La perspective d’une dédicace au comte explique également le soin supplémentaire apporté à la préparation de l’ouvrage, qu’illustre la demande adressée par Lansdowne à un autre expert en affaires financières, Richard Price :
« J’ai pris la liberté de donner à Mr Playfair une lettre pour vous. Il est l’auteur de quelques tables commerciales que vous avez peut-être vues […] il va publier […] un traité qu’il veut me dédier, mais souhaite auparavant vous communiquer ses opinions. […] Je vous saurai gré de me dire ce que vous pensez de lui et de son ouvrage. C’est un Écossais25. »
13Si la formule finale pourrait faire écho à une réputation d’« expertise » écossaise en matière de finances répandue en Grande-Bretagne, à l’image de John Law en France, on saisit également combien la demande de validation formulée par Shelburne à Price était un portrait moral comme intellectuel de Playfair26. Price, tout comme Playfair, bénéficiait du soutien de Shelburne pour l’accès aux données chiffrées de l’administration britannique et était lié à des figures importantes parmi les literati écossais tels William Robertson, Adam Smith ou Dugald Stewart27. Le rapport de Price à Lansdowne fut positif et, en conséquence, l’Essay on the National Debt put paraître avec sa dédicace28. Tout comme pour le Commercial and Political Atlas, le premier volume présentant des séries graphiques linéaires et les premiers histogrammes de l’histoire, le succès pour Playfair ne fut que d’estime. Pourtant, là encore, le cercle de Lansdowne-Shelburne avait rempli ses missions, malgré un relatif insuccès : l’influence de Priestley sur Playfair s’y lisait par exemple à travers les représentations chrono-graphiques du premier dans A Chart of Biography (1765) et A Chart of History (1769), données comme les sources directes des inventions du second dans le domaine des graphiques statistiques29. En outre, Shelburne n’avait pas mesuré son soutien, adressant plusieurs volumes de l’Atlas à ses relations, dont deux exemplaires adressés en 1786 au ministre des Affaires étrangère français, le comte de Vergennes, co-négociateur avec lui des traités de paix de 1783. Ce dernier, aux dires de Playfair, en avait offert un au roi de France Louis XVI qui aurait manifesté son enthousiasme30. La perspective d’un succès outre-Manche semble donc avoir suscité chez l’Écossais le projet d’une tentative parisienne dont il convient à présent de reprendre la dramaturgie en juin 1787.
Retour sur la scène du crime : lèse-société, lèse-expertise, lèse-patronage ?
Lèse-société ?
14En dotant Playfair de plusieurs lettres de recommandation, dont une à Morellet, Shelburne assumait parfaitement son rôle de protecteur. L’académicien français était en effet une pièce maîtresse du dispositif parisien de patronage du comte, position sanctionnée par une longue amitié, l’octroi de pensions et plusieurs visites mutuelles. Le Français était alors au faîte d’une « carrière littéraire exemplaire », cumulant les soutiens glanés au cours de trente années de carrière dans les salons parisiens et autres lieux de pouvoir31. Condisciple des contrôleurs généraux Loménie de Brienne (1727-1794) et Turgot (1727-1781) à la Sorbonne, protégé de la puissante famille Trudaine et de Mme Geoffrin (1699-1777), fréquentant les salons de Mmes Helvétius, d’Holbach, Boufflers et Necker, l’encyclopédiste pouvait s’enorgueillir de plus de 30 000 livres de revenus annuels. Sa récente élection à l’Académie (1785) avait parachevé un édifice de relations, de réseaux et de soutiens patiemment construit autour de figures telles Marmontel (1723-1799), Suard (1732-1817), La Harpe (1739-1803) ou Chastellux (1734-1788). Politique avisé, Morellet n’avait pas hésité à attribuer son succès à son ami et protecteur, le comte de Shelburne. Les deux hommes s’étaient rencontrés en 1771 dans le salon de Trudaine de Montigny (1733-1777), alors que Shelburne explorait la France et l’Italie en compagnie de son indéfectible ami Isaac Barré32. Morellet avait répondu à l’invitation de Shelburne en Angleterre l’année suivante à l’occasion d’un voyage financé par la Caisse de Commerce, passant six mois en visites et rencontres, jusqu’à Birmingham où Matthew Boulton (1728-1809), l’associé de James Watt, lui avait réservé fort bon accueil sur le site de la fameuse manufacture devenue un objet de curiosité internationale33. L’abondante correspondance échangée entre les deux hommes, pas moins de 150 lettres entre 1772 et 1803, dévoile un intense échange d’informations, d’avis littéraires et de mutuelles marques d’attention34. Morellet exerçait le rôle d’agent et d’intermédiaire pour Shelburne-Lansdowne à Paris, où il excella lors des négociations de paix de 1782-1783, contribuant notamment à insuffler quelques-unes de ses idées libérales sur le commerce à son protecteur d’Angleterre35. Morellet, enfin, avait joué et jouait encore le rôle de mentor et d’introducteur auprès de la bonne société française pour lord Wycombe (1765-1809), le propre fils de Lansdowne, que ce dernier lui avait déjà adressé en 1784 et qui était de retour à Paris, précisément en ce printemps de 1787, au moment de l’arrivée de Playfair.
15Morellet jouait ainsi un rôle central dans le conseil et l’orientation des protégés de Lansdowne à Paris, en qualité d’autorité et d’intermédiaire délivrant expertises et suggestions de cursus à suivre pour « faire son chemin » (une expression amplement usitée par l’académicien) dans le dédale des réseaux et des institutions du savoir et du pouvoir de la France d’Ancien Régime36. Son expertise reposait d’abord sur celle, reconnue, de l’intermédiaire français. Elle s’inscrivait transitivement dans la chaîne des êtres et des rangs, depuis la qualité du patron et des intermédiaires délivrant brevet, jusqu’à celle de l’impétrant. La moindre rupture dans la chaîne mettait instantanément à mal l’ensemble du processus de patronage, comme on le verra avec notre Écossais.
16On trouve une illustration frappante du rôle de Morellet à travers un cas offrant plus d’une similitude avec Playfair, quelques jours seulement avant l’arrivée de ce dernier en France. Ainsi, de l’écrivain économiste et diplomate Thomas Mortimer (1730-1810), auteur des Elements of Commerce, Politics, and Finance (1772) et d’une traduction en 1785 de l’essai de Necker, De l’Administration des finances de la France (1784), dont la troisième édition (1787) était dédiée, avec sa permission (comme pour l’Essay on the National Debt de Playfair paru la même année), à Lansdowne. S’étant d’abord rapproché des autorités françaises à Londres, notamment du comte d’Adhémar, ambassadeur de France, qui en avait fait rapport au ministre Montmorin, Mortimer franchissait la Manche au printemps 1787 pour tenter sa chance comme traducteur et expert en finances britanniques, muni d’une lettre de recommandation de Lansdowne à Morellet37.
17Quoique plus anciennement et notoirement installé dans la république des lettres que son suivant Playfair, quoique plus recommandé encore, jusqu’aux autorités françaises, Mortimer allait connaître, au cours du mois de mai 1787, un cuisant échec que relatera Morellet à son protecteur. Mortimer, rapportera l’académicien, s’était épuisé à porter les multiples lettres de Lansdowne aux connaissances parisiennes de ce dernier sans parvenir à faire valoir une expertise financière jugée trop confidentielle38. Prévenu de trop insister par l’académicien, Mortimer devait faire une rapide et piteuse retraite en Angleterre dès le mois de juin, chargé cette fois de lettres de Morellet pour l’Angleterre39. Le mot de la fin appartint à un Shelburne fort peu compatissant : « Je n’ai jamais imaginé que ce pauvre diable de Mortimer pourrait faire son chemin à Paris. Entre nous, votre ambassadeur a eu tort de l’y encourager40. »
18La relation que donnera Playfair de sa propre expérience avec Morellet quelques semaines après l’échec de Mortimer, expose pour sa part un réquisitoire en règle du patronage d’Ancien Régime et de l’éthique de la recommandation :
« Quand je vins en France, je disposais de très peu de lettres d’introduction et celles-ci ne se révélèrent d’aucune d’utilité. […]
Quand un ami vous donne sa recommandation, ça n’est pas tant parce que la personne à laquelle il l’adresse est susceptible d’être de quelque utilité, que parce qu’il ne peut offrir d’introduction qu’auprès des personnes de sa connaissance. Elle est le produit de l’amitié ou de la politesse et une invitation à dîner et quelques civilités sont les seuls fruits de telles accointances. Pas une fois sur dix les deux personnes mises en présence ne se trouvent suffisamment d’inclination pour maintenir leur relation. […] Si je puis avancer cette comparaison, la recommandation formelle entre étrangers par une tierce personne est semblable à un mariage arrangé par les proches de deux jeunes gens qui ne se connaissent en rien et où les chances d’affinité en la matière sont de dix contre un …
Ceci explique la bien plus grande proportion d’unions malheureuses parmi les classes supérieures où les amis arrangent souvent l’affaire, que dans les ordres industrieux et inférieurs où ce sont les parties elles-mêmes qui en conviennent entre elles41. »
19Cette défense des affinités électives contre la pratique nobiliaire de la recommandation, tout comme l’évidente ironie du propos, pourraient tout d’abord être mises sur le compte de la plume rétrospective d’un Playfair écrivant ses mémoires en 1822, alors que la « circulation inflationniste » des lettres de recommandation avait largement contribué à discréditer ces formes traditionnelles du mécénat comme des pratiques résolument « Ancien Régime42 ». La dénonciation de l’hypocrisie de l’institution et des formes sociales de la protection, en des termes qui rappellent la critique de la « stratégie de condescendance », marque ici un étonnant retournement où l’impétrant Playfair dénie rétrospectivement à l’intermédiaire Morellet sa qualité d’autorité validante au nom d’une économie morale et affinitaire récusant le régime formel et cérémoniel de la reconnaissance de l’expertise43.
20De même, le rôle central et traditionnel de l’intermédiaire, tel qu’il a été notamment défini par Sharon Kettering, et pourtant parfaitement incarné par Morellet avec ses réseaux et son influence étendus, apparaît ici totalement récusé par Playfair44. À la perspective quasiment phatique de l’échange régulier de correspondance, de services et de bons procédés, une autre, également structurelle pourrait être envisagée : Playfair passant apparemment définitivement en France, peut-être s’agissait-il là d’un transfert (en l’occurrence manqué) de patronage transmanche de Shelburne à l’académicien. L’enjeu crucial dans l’affaire n’était peut-être pas tant l’expertise d’un obligé de second rang que la mise en pratique récurrente par le miroir de l’intercession de la relation Shelburne-Morellet, comme le sort ultérieur réservé à Playfair à l’issue de la saynète semble l’illustrer.
21Perdu entre la sphère de l’« action intéressée » et celle des « relations privées et affectives », l’échec subi par l’Écossais illustre enfin toute la subtilité des distinctions soulevées par Antoine Lilti entre bienfaisance, protection et mécénat, comme la pratique des interactions de la déférence, détaillée par Erving Goffman, ou la notion de mesure dans l’ordre de la civilité soulignée par Jacques Revel45. Derrière l’évidente dénonciation du mépris de l’académicien par Playfair, faudrait-il pour autant voir dans l’anecdote une totale contradiction des principes affirmés par Morellet lui-même dans son essai De la conversation (1812), où l’inattention était fustigée comme un « crime de lèse-société46 ». S’agissait-il seulement d’inattention ?
Lèse-expertise ?
22Répondant à son prestigieux ami, Morellet formula son propre verdict sur l’entrevue :
« J’ai vu hier M. Playfair dont vous avez eu la bonté de m’envoyer l’ouvrage ci-devant. Sa méthode est ingénieuse mais ce me semble tout à fait inutile. On ne peut exprimer les choses qu’aux yeux de cette méthode, mais dès qu’il faut les communiquer ou en discourir on est bien forcé d’employer et les chiffres et les nombres, et alors toute la carte de M. Playfair devient inutile. Un but plus utile est celui qu’il se propose de nous vendre des boucles et des boutons bon marché. Comme il ne parle pas un mot de français je lui ai proposé de m’apporter par écrit ses projets [;] je les traduirai et il pourra make his way. Je l’aiderai de mes connaissances et de celles de mes amis47. »
23Avec cette froide réception réservée à la « carte » de Playfair (traduction de l’anglais chart, « graphique »), Morellet s’inscrivait parfaitement dans la mission dévolue par Lansdowne, celle de la validation de l’expertise. L’analyse, en l’occurrence, roulait sur l’argument déjà formulé par certains premiers critiques des formes graphiques, celui de l’opposition entre signe et réalité, représentation et communication immédiate, approximation imagée et « donnée » chiffrée48. Plus fondamentale encore que l’argument de l’imprécision, la réserve de Morellet était pédagogique et portait sur la supériorité de l’explication sur la monstration : l’académicien récusait le graphique et sa « géographie » au nom de l’information factuelle ou jugée telle, exprimant là un état intellectuel, éditorial et administratif de la France, où la forme-table de données chiffrées était largement admise comme la seule, à l’image de l’Aperçu de la balance du commerce de la France, tableaux de séries chiffrées produites en 1787 et 1789 par le Bureau de la balance du commerce, l’institution alors en charge de l’information statistique49.
24À cette première série de réserves, pouvaient également s’en adjoindre d’autres, plus conjoncturelles mais tout aussi scientifiques et relevant de l’expertise. Féru d’économie, Morellet ne pouvait manquer de connaître le remarquable essor de l’actuariat en France, sous l’impulsion de certaines figures telles le mathématicien et statisticien suisse Emmanuel Étienne Duvillard de Durand (1755-1832), un temps employé dans l’administration sous le contrôle général de Turgot et auteur de Recherches sur les rentes, les emprunts et les remboursements (1787) qui lui avait valu de passer sous l’administration Calonne jusqu’à la disgrâce de ce dernier en avril 178750. Bientôt employé par Étienne Clavière (1735-1793) pour la compagnie d’assurance Royale-Vie, ce mathématicien accompli était un grand lecteur des actuaires britanniques, particulièrement Richard Price dont les Observations on Reversionary Payments (1771) l’avaient inspiré pour ses propres Recherches51. Si Playfair pouvait se prévaloir de l’assentiment de Price pour son Essay on the National Debt à un moment où la question faisait rage en France, Duvillard, parmi d’autres, faisait figure d’expert en mathématique des amortissements, avant de devenir l’un des chefs de file des « algébristes » contre les « topographes » dans les débats entre statisticiens français au tournant du siècle suivant52. Ayant pétitionné auprès de Necker pour demander la création d’un cours d’« arithmétique politique » en France destiné à instruire public et gens de finances de cette « science » née en Angleterre, Duvillard pouvait enfin compter sur des accointances et des soutiens haut placés, depuis la banque avec Étienne Delessert (1735-1816) et Étienne Clavière jusqu’à l’Académie avec Condorcet53. Playfair, on le voit, arrivait un peu tard pour se prévaloir d’une expertise originale, et son manque de compétences linguistiques en français ne pouvait manquer de diminuer encore sa position, au moins temporairement. Comme pour Mortimer quelques semaines auparavant, sa spécialité semblait promise à une confidentialité synonyme d’échec.
25On est en revanche frappé de la bonne volonté affichée par l’abbé au sujet des autres compétences, techniques celles-ci, de Playfair. Ainsi de ce projet de production et de vente d’objets métalliques élaborés, boucles et boutons en métal, pour lequel la formation d’ingénieur et d’assistant chez Watt & Boulton, la qualité de dépositaire d’un brevet pour de tels objets et encore un récent passé d’entrepreneur londonien dans le domaine ne pouvaient manquer d’attirer l’attention de l’abbé comme compétence de secours susceptible de permettre à l’Écossais de « tracer sa route ». À l’arithméticien politique, Morellet préférait à l’évidence l’ingénieur et entrepreneur susceptible de fournir un gouvernement et un marché français avides de transferts de technologie et de « quincaillerie anglaise » : l’avantage comparatif de Playfair dans ce potentiel échange transmanche de compétences était là évident et l’abbé ne s’y trompait pas54. Alors que le traité de commerce franco-anglais venait d’entrer en vigueur, provoquant de profondes inquiétudes de part et d’autre de la Manche, l’arrivée d’un « ingénieur anglais » formé à la meilleure école, celle de Birmingham, ne pouvait que susciter un fort intérêt qu’illustrait ici Morellet. L’offre, rapportée à Shelburne, de s’entremettre pour traduire ses projets et les pousser auprès des autorités françaises, un exercice dans lequel excellait l’abbé, sonnait comme un authentique sauvetage de la carrière ultérieure de Playfair en France. Avec Morellet, s’ouvraient à l’Écossais les portes du tout nouveau principal ministre de Louis XVI et intime de Morellet, Loménie de Brienne ainsi que celles de la Caisse de commerce. Conseillé de délaisser les chimères d’une carrière « littéraire » et intellectuelle au profit d’une autre plus sûre, industrielle et commerciale celle-là, Playfair bénéficiait là des conseils de choix d’un vieux briscard des salons parisiens et homme d’influence. En cela, Morellet prévenait l’Écossais de l’admonestation voltairienne des Questions sur l’Encyclopédie (1770) : « On méprise communément un auteur qui n’est qu’un auteur », que ne pouvait manquer de connaître Morellet, ancien protégé du sage de Ferney55. L’infortune de sombrer parmi les « moines mendiants » et « la malheureuse espèce qui écrit pour vivre » (selon les propres mots de Voltaire) du demi-monde littéraire parisien lui était ainsi évitée. Après tout, les trouvailles graphiques de Playfair n’avaient pas réussi à faire vivre leur créateur à Londres, pourquoi Paris les aurait-il accueillies à bras ouverts ? Le scepticisme outre-Manche vis-à-vis de ces dernières pouvait d’ailleurs être partagé au plus haut du monde de l’expertise : James Watt lui-même, l’un des anciens maîtres de Playfair, n’avait-il pas qualifié l’Atlas commercial de « vulgaire verbiage56 » ?
26Outre l’arbitrage entre ses compétences, l’aiguillage et le patronage de cette nouvelle voie lui étaient donc fournis par l’académicien qui jouait là parfaitement son rôle de go-between et de sponsor par délégation : ainsi, Morellet délivrait une authentique expertise sociale et économique par le choix d’une seule compétence viable pour le touche-à-tout écossais. On trouve là, par ce choix résolument assumé d’une carrière professionnelle pour Playfair, une illustration frappante de la construction sociale de l’état professionnel, en particulier l’ingénieur, et de la spécialisation dans les sociétés européennes de la fin de l’Ancien Régime français57.
Lèse-patronage ?
27Comment alors expliquer l’échec du lancement de William Playfair qui récusera ultérieurement Morellet comme mentor (on n’ose dire coach) de sa carrière parisienne ? On pourrait certes souscrire à l’apparente absence d’affinités, l’incompatibilité d’humeurs, avancée par l’Écossais mémorialiste de ce ratage. Mais une autre explication semble poindre à la lecture du troisième rapport de la saynète, celui du marquis de Lansdowne lui-même, qui fait office de morale de la fable :
« Je ne connais pas grand-chose de Mr Playfair, et rien de ses projets commerciaux. J’ai toujours eu la même opinion que celle que vous exprimez au sujet de ses tables58. »
28La réponse ne laisse de surprendre quand on pense aux efforts jusqu’alors consentis par le comte au cours de deux années de réel soutien, depuis l’approbation par son secrétaire personnel (Benjamin Vaughan), jusqu’à l’évaluation par un expert écossais en économie politique (Dugald Stewart), puis un affidé lui-même expert en finances (Richard Price), par l’acceptation d’une dédicace d’ouvrage et l’envoi de multiples exemplaires d’un autre opus à des proches éminents tels Vergennes ou Morellet. Ce lâchage en règle depuis Bowood doit plutôt se lire comme une dénonciation de l’outrepassement du ressort de la protection accordée à Playfair et que Morellet avait, bien malgré lui, exposée. Faisant rapport de l’évaluation des compétences de l’Écossais, l’abbé avait levé, aux yeux de Lansdowne, un authentique lièvre : non content de promouvoir ses inventions mathématiques, Playfair avait débarqué en France avec d’autres projets, commerciaux et industriels ceux-là, pour lesquels il avait tenté de tirer parti de la recommandation du comte. Ainsi, la condamnation par ce dernier relevait de la dénonciation de la contrebande de ses faveurs : entendu comme un mandat impératif (relatif aux seuls graphiques), l’emploi de son patronage à d’autres fins, plus basses, que les œuvres d’arithmétique politique de Playfair ne pouvait que s’attirer le reniement du protégé indélicat. En somme, le comte avait recommandé l’auteur des graphiques statistiques, pas l’entrepreneur londonien en quincaillerie, failli de surcroît. Rappelons la demande antérieure, formulée à Price, d’un portrait intellectuel et moral de l’impétrant Playfair. Il semble fort que la demande ait été toujours valable pour la tentative parisienne de ce dernier en 1787. L’exposition de cette rupture dans l’ethos de la recommandation semble être ici le motif de l’apparent retournement. En outre, la réfutation par l’abbé des perspectives intellectuelles et éditoriales de l’Atlas retirait de facto le seul article de soutien accordé par Lansdowne et les efforts prodigués à la préparation de son succès outre-Manche : une fois ce dernier invalidé, l’ensemble du processus de patronage s’éteignait.
29La morale de la fable illustre également, outre la définition du ressort impératif de la compétence et du soutien accordé par le comte, trois points cruciaux de l’économie morale et nobiliaire du patronage. Elle montre tout d’abord combien Shelburne, n’ayant jamais consenti à accorder dédicace ou appui sans l’avis d’un expert dédié, pouvait ici compter sur l’expertise de Morellet pour lui rendre compte des chances de succès de l’invention de Playfair : après Stewart et Price, il s’agissait ici d’évaluer non pas tant la valeur de l’invention en tant que telle que ses perspectives dans un contexte différent, ici français et parisien. À conditions différentes, expertise renouvelée. Ce dernier test, on le voit, Playfair ne le passa pas.
30Le récit de Lansdowne montre également l’intense appareil de croisement de l’information dans les soutiens accordés aux protégés par le système des lettres de recommandation : la société de l’information des Lumières, particulièrement pour ses grands mécènes, pouvait compter sur les retours de correspondance et d’évaluation issus de cercles multiples d’estimation des recommandés qui, parfois, tempéraient voire invalidaient les missions initialement dévolues aux lettres59. L’expertise devait désormais découler de plusieurs sources.
31Enfin, il est remarquable de voir dans cet exemple de croisement de l’information, combien Lansdowne se rangea, malgré le soutien déjà évoqué, aux arguments de Morellet sur les graphiques : comme nous l’avons signalé, dans la dimension phatique d’entretien de la relation Morellet-Lansdowne, notamment autour de l’orientation des protégés du second, l’important était d’abord la relation elle-même entre les deux hommes. La faute dévoilée, et l’invention dévaluée par le Français, il était évident que le comte ne pouvait alors que se ranger aux arguments scientifiques sur la seconde et sanctionner la première par un retrait de patronage que Morellet n’allait de toute évidence jamais enfreindre si d’aventure Playfair était revenu se présenter Maison neuve des Feuillants. Il était inconcevable de défier le maître de Bowood par le soutien accordé à un déchu. Lèse-patronage, il y avait donc eu. Cette fin de non-recevoir explique peut-être également, in fine, le dédain rétrospectivement affiché par Playfair pour Morellet.
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32À travers ce chassé-croisé de récits du même micro-événement, l’introduction temporairement ratée de William Playfair dans le cercle des experts officiels de la France d’Ancien Régime sous la houlette du marquis de Lansdowne et de l’abbé Morellet, se dévoilent quelques aspects d’une construction sociale de l’expertise à travers l’économie morale de la recommandation. Entre hiérarchie des protecteurs, experts validant et stratégies des recommandés, on saisit tout d’abord une architecture de l’expertise particulièrement fine, à la mesure de l’importance sociale des acteurs, notamment les mécènes, impliqués. Vertu de l’échec : que chaque intervenant de l’épisode joue sur une dimension particulière du processus pour expliquer le ratage n’en confirme que son extrême finesse (dimension psychologique des rapports entre recommandant, intermédiaires et protégés pour Playfair, pertinence de l’expertise et orientation des protégés chez Morellet, enfin gardien de l’économie morale et sociale de la protection pour Lansdowne).
33En l’espèce, le cas Playfair s’étoffe également d’une dimension transmanche qui illustre une étonnante cohérence dans les processus de délivrance de l’expertise entre Londres et Paris, faisant, au moins de la Grande-Bretagne et de la France, un espace de circulations relativement transparent, caractéristique d’une remarquable économie de l’information et de la connaissance, pour reprendre l’expression de Joel Mokyr60. On y retrouve également les enjeux, emboîtés et transposés, des individus jusqu’aux États, des formes sociales de l’imitation et de leur rôle dans la constitution de l’innovation comme fait social total61. Cette étude de cas, par l’échec, doit cependant nous rappeler la double illusion, téléologique, qui ne verrait dans l’« émergence » des États qu’un processus ininterrompu de modernisation, et néolibérale, qui ne verrait dans l’État qu’un « agrégat instable » de stratégies individuelles et d’intérêts particuliers62. Outre la formulation d’un espace bureaucratique des valeurs et de l’expertise, exprimé autant par les processus d’adlection que d’invalidation, on saisit également la formulation des fictions politiques au cœur des représentations administratives d’un certain ordre de la société63. Entre « technologie politique des individus » et représentations administratives, on surprend ainsi, sur le fait, les élites d’Ancien Régime dans leur travail de constitution d’une « correspondance grise » dédiée à l’établissement procédural, contradictoire et réciproque, de l’expertise au service de l’État64. À côté de l’administration étatique de la preuve scientifique alors incarnée par les académies, on saisit ainsi une partie de l’architectonique de la validation sociale de l’expertise et du rôle finalement central de ces agents de transferts et intermédiaires, de ces go-betweens passeurs et délivreurs d’expertise dont Edmund Burke soulignait déjà à l’époque l’importance : « The world is governed by go-betweens65. »
Notes de bas de page
1Playfair William, Mémoires, manuscrit inédit en mains privées, Port Hope (Ontario), Canada, fo 1, traduction J.-F. Dunyach.
2Kafker Frank A. et Kafker Serena L., « André Morellet », The Encyclopedists as individuals : A Biographical Dictionary of the Authors of the Encyclopédie, « Studies on Voltaire and the Eighteenth Century », no 257, Oxford, The Voltaire Foundation, 1988, p. 272-278.
3Cannon John, « Petty [formerly Fitzmaurice], William, second earl of Shelburne and first marquess of Lansdowne (1737-1805) », Oxford Dictionary of National Biography [désormais ODNB], Oxford, Oxford University Press, 2004, [https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1093/ref:odnb/22070], consulté le 23 avril 2020 ; Aston Nigel et CampbellOrr Clarissa (dir.), An Enlightenment Statesman in Whig Britain, Lord Shelburne in Context, 1737-1805, Woodbrige, Boydell & Brewer, 2011.
4Spence Ian, « Playfair, William (1759-1823) », ODNB, [https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1093/ref:odnb/22370], consulté le 23 avril 2020 ; id. et Wainer Howard, « Introduction », in William Playfair, The Commercial and Political Atlas and Statistical Breviary, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, p. 1-35 ; Dunyach Jean-François, « William Playfair (1759-1823), Scottish Enlightenment from Below ? », in Allan I. Macinnes et Douglas J. Hamilton (dir.), Jacobitism, Enlightenment and Empire, 1680-1820, Londres, Pickering & Chatto, 2014, p. 159-172. Dans son Statistical Breviary (1801), Playfair inventera également le diagramme circulaire ou « camembert » (pie-chart).
5Nora Olivier, « La visite au grand écrivain », in Pierre Nora (dir.), Les lieux de Mémoire, Paris, Gallimard, 1997 [1986], vol. 2, p. 2131-2155.
6Beaurepaire Pierre-Yves, « La “fabrique” de la sociabilité », Dix-huitième siècle, 2014/1 (no 46), p. 85-105, [https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-dix-huitieme-siecle-2014-1-page-85.htm], consulté le 24 avril 2020.
7Fry Michael, « Dundas, Henry, first Viscount Melville (1742-1811) », ODNB, [https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1093/ref:odnb/8250], consulté le 23 avril 2020. Indice des liens entretenus avec les Playfair, Dundas confiera la restauration de son château de Melville à nul autre que l’architecte James Playfair (1755-1794), frère de John et de William.
8Dunyach Jean-François, « Les réseaux d’un excentrique : vies et parcours de William Playfair (1759-1823) », in Ann Thomson, Simon Burrows et Edmond Dziembowski (dir.), Cultural Transfers : France and Britain in the Long Eighteenth Century, Oxford, Oxford University Press, Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 2010/04, p. 115-127.
9Spence Ian, « Playfair, William (1759-1823) », art. cité.
10Schofield Robert E., The Lunar Society of Birmingham : a social history of provincial science and industry in eighteenth-century England, Oxford, Clarendon Press, 1963 ; Uglow Jenny, The Lunar Men : The Friends Who Made the Future, Londres, Faber & Faber, 2002.
11Jones Peter M., Industrial Enlightenment : Science, Technology and Culture in Birmingham and the West Midlands, 1760-1820, Manchester, Manchester University Press, 2009 ; Porter Roy, Enlightenment : Britain and the Creation of the Modern World, Londres/New York, Allen Lane & Norton, 2000 ; Schofield Robert E., The Lunar Society of Birmingham, op. cit ; Money John, Experience and Identity : Birmingham and the West Midlands, 1760-1800, Manchester, Manchester University Press, 1977.
12Harris, John R., Industrial Espionnage and Technology transfer, Britain and France in the Eighteenth Century, Aldershot, Ashgate, 1998 ; Payen Jacques, Capital et machine à vapeur au xviiie siècle. Les frères Perier et l’introduction en France de la machine à vapeur de Watt, Paris, Mouton, 1969 ; Mokyr Joel, The Gifts of Athena, Princeton/Oxford, Princeton University Press, 2002 ; Hilaire-Pérez Liliane, L’invention technique au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel, 2000.
13Vérin Hélène, La Gloire des ingénieurs. L’intelligence technique, du xvie au xviiie siècle, Paris, Albin Michel, 1993 ; Vérin Hélène et Gouzevitch Irina, « The rise of the engineering profession in eighteenth-century Europe : an introductory overview », Engineering Studies, no 3-3, 2011 : « Becoming an Engineer in Eighteenth-Century Europe : the Construction of a Professional identity », p. 153-169 ; Jones Peter M., « Becoming an Engineer in industrialising Great-Britain circa 1760-1820 », Engineering Studies, no 3-3, 2011, op. cit., p. 215-232.
14Sur la notion de « savant fabricant », voir Jones Peter M., Industrial Enlightenment : Science, Technology and Culture in Birmingham and the West Midlands, 1760-1820, Manchester, Manchester University Press, 2009, p. 116-129, et id., « Matthew Boulton et ses réseaux, à partir des Archives de Soho à Birmingham », Documents pour l’histoire des techniques (2009), [http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dht/466], consulté le 23 avril 2020.
15Schofield Robert E., « Priestley, Joseph (1733-1804) », ODNB, [https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1093/ref:odnb/22788], consulté le 23 avril 2020 ; id, The Enlightenment of Joseph Priestley : A Study of His Life and Works from 1733 to 1773, & The Enlightened Joseph Priestley : A Study of His Life and Work from 1773 to 1804, University Park (PA), Penn State University Press, 1997 et 2004.
16Aston Nigel et Campbell Orr Clarissa (dir.), An Enlightenment Statesman in Whig Britain, op. cit.
17Davis Michael T., « Vaughan, Benjamin (1751-1835) », ODNB, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1093/ref:odnb/28123], consulté le 23 avril 2020.
18National Library of Scotland Mss., MSS 2521, lettre de Dugald Stewart à Benjamin Vaughan, 19 mai 1785, fo 171 (trad. J.-F. Dunyach). Voir Dunyach Jean-François, « Les réseaux d’un excentrique », art. cité.
19Emerson Roger L., Academic Patronage in the Scottish Enlightenment, Glasgow/Édimbourg, Edinburgh and Saint Andrews Universities/Edinburgh University Press, 2008.
20Fagg Jane, « Biographical introduction », in Vincenzo Merrolle (dir.), The Correspondence of Adam Ferguson, Londres, Pickering & Chatto, 1995, vol. 1, p. lxxiii-lxxiv ; Emerson Roger L., Academic Patronage in the Scottish Enlightenment, op. cit., p. 328-329.
21British Library, Pelham Papers, Add MSS 33108, fo 450, cité dans Fry Michael, Dundas Despotism, op. cit., p. 184.
22Mcintyre Gordon, Dugald Stewart, the Pride and Ornament of Scotland, Brighton (Sussex), Academic Press, 2003, p. 46 et p. 52-53. Stewart entretiendra également une longue amitié avec Samuel Romilly (1758-1818), l’un des proches de Shelburne. Ce dernier enverra son propre fils, le futur troisième marquis de Lansdowne (1780-1863), suivre les cours de Stewart à l’université d’Édimbourg entre 1796 et 1798.
23Playfair William, France as it is, Not Lady Morgan’s France, Londres, Mc Dowall, 1819-1820, vol. 2, p. 314-315.
24Schapira Nicolas, Un professionnel des lettres au xviie siècle. Valentin Conrart. Une histoire sociale, Seyssel, Champ Vallon, 2003, p. 290. Le titre original de l’ouvrage de Playfair était A Plan for uniting the advantages of annuities and perpetual loans.
25Lettre de Shelburne à Richard Price, 22 novembre 1786, Peach William Bernard (éd.), The Correspondence of Richard Price, Durham, Duke University Press, 1994, vol. 3, p. 86. Price avait publié en 1771 ses Observations on reversionary payments assorties de plusieurs essais sur la dette nationale, le sinking fund (fonds d’amortissement de la dette) et l’actuariat : l’ouvrage lui avait valu l’amitié de Shelburne (auquel il dédiera la 3e édition en 1773) et aurait influencé le projet de réforme du sinking fund de William Pitt lancé en 1786 : ce dernier donna lieu à un véritable débat national auquel Playfair contribua avec son Essay on the National Debt.
26Orain Arnaud, La politique du merveilleux : une autre histoire du Système de Law (1695-1795), Paris, Fayard, 2018. Sur le tournant moraliste en Grande-Bretagne voir Wilson Ben, Decency and Disorder, The Age of Cant 1789-1837, Londres, Faber & Faber, 2007.
27Laboucheix Henri, Richard Price, théoricien de la révolution américaine, le philosophe et le sociologue, le pamphlétaire et l’orateur, Paris, Didier, 1970, p. 26 ; Cone Carl B., Torchbearer of Freedom, The Influence of Richard Price on Eighteenth Century Thought, Lexington, University of Kentucky Press, 1952, p. 51, p. 61-62, p. 156-160 ; Thomas David O., The Thought and Work of Richard Price, Oxford, Clarendon Press, 1977, p. 235-239 et p. 249-259.
28The Correspondence of Richard Price, op. cit., R. Price à Shelburne, 25 novembre 1786, vol. 3, p. 106-108.
29Rosenberg Daniel, « Joseph Priestley and the Graphic Invention of Modern Time », Studies in Eighteenth Century Culture, 36 (1), 2007, p. 55-103.
30Spence Ian et Wainer Howard, « Introduction », op. cit., p. 6-7. L’anecdote est relatée par Playfair dans l’introduction à la troisième édition de son Atlas (Londres, 1801), p. ix.
31Darnton Robert, « An Exemplary Literary Career », in Jeffrey Merrick et Dorothy Medlin (dir.), André Morellet (1727-1819) in the Republic of Letters and the French Revolution, New York, Peter Lang, 1995, p. 5-26 ; Kafker Frank A. et Serena L., « André Morellet », op. cit.
32Morellet André, Mémoires de l’abbé Morellet, Paris, Mercure de France, 1988 et 2000, p. 201 ; Eagles Robin, « Opening the Door to Truth and Liberty’ : Bowood’s French Connection », An Enlightenment Statesman in Whig Britain, op. cit., p. 202-203.
33Morellet André, Mémoires, op. cit., p. 201-218 ; Jones Peter M., « Matthew Boulton et ses réseaux, à partir des Archives de Soho à Birmingham », Documents pour l’histoire des techniques, 1er semestre 2009, [http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dht/466], consulté le 23 avril 2020.
34Lee J. Patrick, « Enlightened Exchange : The Correspondence of André Morellet and Lord Shelburne », in Dorothy Medlin et Arlene P. Shy (dir.), British-French Exchanges on the Eighteenth Century, Newcastle, Cambridge Scholars Publishing, 2007, p. 34-82.
35Lee Joseph Patrick « Enlightened Exchange », op. cit., p. 42-45 ; voir également la lettre de Shelburne à Morellet du 23 mars 1783, in Dorothy Medlin, Jean-Claude David et Paul Leclerc (éd.), Lettres d’André Morellet, Oxford, The Voltaire Foundation, 1991, vol. 2, p. 484.
36Eagles Robin, « “Opening the Door to Truth and Liberty” : Bowood’s French Connection », in An Enlightenment Statesman, op. cit., p. 197-214.
37Shelburne/Lansdowne à Morellet, 27 avril 1787, Lettres d’André Morellet, op. cit., vol. 2, p. 61. En 1787, les compétences linguistiques de Mortimer pouvaient être mises à contribution par Shelburne et Morellet dans leurs divers projets de traductions d’ouvrages d’économie.
38Morellet à Shelburne/Lansdowne, 24 mai 1787, Lettres d’André Morellet, op. cit., vol. 2, p. 58.
39Morellet à Shelburne/Lansdowne, 21 (27) juin 1787, Lettres d’André Morellet, op. cit., vol. 2, p. 65. Dans cette même lettre, Morellet évoque son entrevue avec Playfair.
40Lansdowne à Morellet, 27 juin 1787, Lettres d’André Morellet, op. cit., vol. 2, p. 68, note 24.
41Playfair William, Mémoires, op. cit., fo 1. L’auteur a lui-même souligné le terme suitability que nous traduisons, dans le contexte, par « affinité ».
42Chapron Emmanuelle, « “Avec bénéfice d’inventaire” ? Les lettres de recommandation aux voyageurs dans l’Europe du xviiie siècle », Mélanges de l’École française de Rome – Italie et Méditerranée modernes et contemporaines, no 122-2, 2010, p. 431-453 ; [http://mefrim.revues.org/582], consulté le 23 avril 2020.
43Bourdieu Pierre, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit, 1979, p. 285, p. 444, p. 551.
44Kettering Sharon, « The Historical Development of Political Clientelism », The Journal of Interdisciplinary History, vol. 18, no 3, hiver 1988, p. 419-447 ; id., Patrons, Brokers, and Clients in Seventeenth-Century France, New York, Oxford University Press, 1986.
45Lilti Antoine, Le monde des salons, Sociabilité et mondanité à Paris au xviiie siècle, Paris, Fayard, 2005, p. 170-186 ; Goffman Erving, « The nature of deference and demeanor », Interaction Ritual, Essays on face-to-face behaviour, New York, Pantheon Books, 1967, p. 56-57 ; Revel Jacques « Les usages de la civilité », in Philippe Ariès et Georges Duby (dir.), Histoire de la vie privée, Paris, Le Seuil, 1999 [1985], vol 3 (Chartier Roger [dir.], De la Renaissance aux Lumières), p. 168-208.
46Morellet André, De la conversation, in Éloges de Madame Geoffrin, op. cit, Paris, 1812, p. 170 ; voir également, sur la conversation, Fumaroli Marc, « La conversation », in Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1997 [1986], vol. 3, p. 3617-3675.
47Morellet à Shelburne/Lansdowne, 21 (27) juin 1787, Lettres d’André Morellet, op. cit, vol. 2, p. 65.
48Spence Ian, « William Playfair and the Psychology of Graphs », Proceedings of the American Statistical Association, 2006, p. 2426-2436 ; id et Sachs Jonathan, « 1786/1801 : William Playfair, Statistical Graphics, and the Meaning of an Event », [http://www.branchcollective.org/?ps_articles=jonathansachs-17861801-william-playfair-statistical-graphics-and-the-meaning-of-an-event], consulté le 23 avril 2020.
49Perrot Michel, Une histoire intellectuelle de l’économie politique xviie-xviiie siècle, Paris, EHESS, 1992, p. 172-176 ; Daudin Guillaume, Commerce et prospérité : la France au xviiie siècle, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, (2005) 2011, p. 173-175 ; id. et Charles Loïc, « Le bureau de la balance du commerce au xviiie siècle », 2009/5, avril 2009, [http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/dtravail/WP2009-05.pdf], consulté le 23 avril 2020 ; id., « La collecte du chiffre au xviiie siècle : le Bureau de la balance du commerce et la production des données sur le commerce extérieur de la France », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1/2011 (no 58-1), p. 128-155.
50Thuillier Guy, « La carrière d’Emmanuel-Étienne Duvillard », Le premier actuaire de France : Duvillard (1755-1832), Paris, Comité d’histoire de la Sécurité sociale, 1997, p. 1-24.
51Bellhouse David R., Leases for Lives : Life Contingent Contracts and the Emergence of Actuarial Science in Eighteenth-Century England, Cambridge, Cambridge University Press, 2017 ; Daston Lorraine, Classical Probability in the Enlightenment, Princeton (NJ), Princeton University Press, 1988, p. 177-179.
52Perrot Jean-Claude, « L’âge d’or de la statistique régionale (an IV-1804) », Annales historiques de la Révolution française, no 224, 1976. p. 215-276.
53Thiveaud Jean-Marie, « Naissance de l’assurance-vie en France », Revue d’Économie financière, 1989, vol. 11, no 3, p. 318-333 ; id., « Aux origines de la notion d’épargne en France ou du Peuple-prévoyance à l’État-providence (1750-1850) », Revue d’économie financière, no 42, 1997, p. 179-213 ; id., « Condorcet : prévoyance, finance et probabilités, entre raison et utopie », Revue d’économie financière, no 49, 1998, p. 51-77.
54Ashworth William J., « Quality and the Roots of Manufacturing “Expertise” in Eighteenth-Century Britain », Osiris, vol. 25, no 1 : « Expertise and the Early Modern State », 2010, p. 231-254 ; Hilaire-Pérez Liliane, « Les échanges techniques dans la métallurgie légère entre la France et l’Angleterre au xviiie siècle », in Jean-Philippe Genet et François-Joseph Ruggiu (dir.), Les idées passent-elles la Manche ?, Paris, Presses de l’université Paris Sorbonne, 2007, p. 161-183 ; id., « Steel and Toy Trade between England and France : the Huntsmans’ Correspondence with the Blakeys (Sheffield-Paris, 1765-1769) », Historical Metallurgy, vol. 42-2, 2008, p. 127-147 ; id., « Technique, économie et politique entre la France et l’Angleterre (xviie-xixe siècles) », Documents pour l’histoire des techniques, no 19, 2010, [http://dht.revues.org/1245], consulté le 23 avril 2020 ; Riello Giorgio, A Foot in the Past : Consumers, Producers and Footwear in the Long Eighteenth Century, Oxford, Pasold Research Fund Oxford University Press, 2006, p. 80-82 ; Berg Maxine, Luxury and Pleasure in Eightenth-Century Britain, Oxford, Oxford University Press, 2007 [2005], p. 154-182.
55Voltaire, Questions sur l’Encyclopédie, cité par Lilti Antoine, Le monde des salons, op. cit., p. 187.
56Birmingham Central Library, James Watt Papers, lettre de James Watt à sa femme Ann, 25 septembre 1785, MS 3219/4/123, fo 146.
57Abbott Andrew, The System of Professions, An Essay on the Division of Expert Labor, Chicago, University of Chicago Press, 1988 ; Rabier Christelle, « Le Système des professions, entre sociologie et histoire : retour sur une recherche », in Didier Demazière et Morgan Jouvenet, Andrew Abbott et l’héritage de l’école de Chicago, vol. 2, Paris, Éditions de l’EHESS, 2016, [https://halshs.archivesouvertes.fr/halshs-00790494], consulté le 23 avril 2020 ; Vérin Hélène, La Gloire des ingénieurs, op. cit. ; Hilaire-Pérez Liliane, La Pièce et le geste : artisans, marchands et savoir technique à Londres au xviiie siècle, Paris, Albin Michel, 2014.
58Lansdowne à Morellet, 27 juin 1787, Lettres d’André Morellet, op. cit., vol. 2, p. 68, note 26.
59Lilti Antoine, Le monde des salons, op. cit., p. 105.
60Mokyr Joel, The Gifts of Athena, op. cit. ; Berg Maxine, « The Genesis of Useful Knowledge », History of Science, 2007, 45 (2), no 148 : « Reflections on Joel Mokyr’s The Gifts of Athena », p. 123-133 ; Roberts Lissa, « The Circulation of Knowledge in Early-Modern Europe : Embodiment, Mobility, Learning and Knowing », History of Technology, 31, 2012, p. 47-68 ; Lebeau Christine, « Circulations internationales et savoirs d’État au xviiie siècle », in Pierre-Yves Beaurepaire et Pierrick Pourchasse (dir.), Les circulations internationales en Europe (années 1680-années 1780), Rennes, PUR, 2010, p. 169-179.
61Tarde Gabriel, Les lois de l’imitation (1890), Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 1990 ; id., « L’invention, moteur de l’évolution sociale », Revue internationale de sociologie, vol. 10, no 7, p. 562-574. Voir également Latour Bruno et Lépinay Vincent-Antonin, L’économie, science des intérêts passionnés : introduction à l’anthropologie économique de Gabriel Tarde, Paris, La Découverte, 2008 ; Djellal Faridah et Gallouj Faïz, « Les lois de l’imitation et de l’invention : Gabriel Tarde et l’économie évolutionniste de l’innovation », 11e colloque international de l’ACGEPE (Association Charles Gide pour l’étude de la pensée économique), Y a-t-il des lois en économies ?, septembre 2005 [https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01114114], consulté le 25 avril 2020.
62Bourdieu Pierre, Christin Olivier et Will Pierre-Étienne, « Sur la science de l’État », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 133, juin 2000, « Science de l’État », p. 3-11.
63Ibid. ; Laboulais Isabelle, « La fabrication des savoirs administratifs », in Stéphane Van Damme (dir.), Histoire des sciences et des savoirs, Paris, Le Seuil, 2015, p. 447-463.
64Foucault Michel, « La technologie politique des individus », Dits et écrits (1954-1988), t. IV ; 1980-1988, Paris, Gallimard, 1994, p. 813-828 ; Ash Eric H., « Introduction : Expertise and the Early Modern State », Osiris, vol. 25, no 1, op. cit., p. 1-24.
65Burke Edmund, An Appeal from the Old to the New Whigs, Londres, 1791, p. 96. Voir Schaffer Simon, Roberts Lissa, Raj Kapil et Delbourgo James (dir.), The Brokered World, Go-Betweens and Global Intelligence 1770-1820, Sagamore Beach (MA), Science History Publications – Watson Publishing International LLC, 2009 ; Berger Peter et Luckmann Thomas, The Social Construction of Reality, New York, Anchor Books, 1966, trad. fr. : La construction sociale de la réalité, Paris, Armand Colin, 2012 ; Koppl Roger, « The Social Construction of Expertise », Society, no 47 (3), 2010, p. 220 – 226, [https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1007/s12115-010-9313-7].
Auteur
Sorbonne université, Centre Roland Mousnier – UMR CNRS 8596

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