Introduction
p. 7-20
Texte intégral
1Le Trompe l’œil1 du peintre flamand Cornelius Gijsbrechts2, qui illustre la couverture de ce volume, figure nombre des enjeux de cette enquête collective consacrée à l’expert et l’expertise politiques. L’enchevêtrement d’objets et de papiers évoque immédiatement un professionnel de l’écrit aux multiples tâches et fonctions. Si les plumes, l’encrier, la cire et les documents non cachetés suggèrent un travail de rédaction, les imprimés et les lettres ouvertes signalent quant à eux une entreprise de collecte et d’archivage. Ces deux activités impliquent une mise en circulation d’informations et de documents dont l’intensité est représentée par la diversité des supports présents sur l’image : correspondances manuscrites plus ou moins privées, imprimés à l’audience variée, gravure, partition ; il n’est pas jusqu’à la presse qui ne soit ici évoquée par le biais d’une gazette londonienne. Ce professionnel de l’écrit est ainsi également un professionnel de la communication comme le souligne le « porte-lettres » qui structure le tableau par ses rubans rouges. Néanmoins, ces activités paraissent marquées par le secret et la dissimulation, prêtes à se dérober à chaque instant derrière le rideau de velours vert foncé dont le cordon est trop accessible pour ne pas être significatif. D’ailleurs, si le tableau pointe vers un dehors du cabinet, il attire aussi le regard vers ce qui se trouve derrière la fragile cloison, là où l’on imagine sans peine le cabinet du prince abritant les arcana imperii. Un prince qui apparaît néanmoins, très discrètement, sous la figure du protecteur du peintre, Frédéric III de Danemark, à peine visible dans l’incrustation du large sceau de cire rouge suspendu au rangement.
2Trompe l’œil qui rend visible pour mieux dissimuler l’essentiel, ce quodlibet peut aussi être interprété comme une vanité du travail de l’expert, une représentation de l’atelier d’un expert à l’identité fuyante mais néanmoins construite et revendiquée, dont l’action placée à la lisière de la dissimulation et de la publicité est à la fois marquée par la profusion, l’éphémère et la permanence, pour son propre compte et au service des puissants.
3Ce volume souhaite interroger la présence à l’époque moderne de pratiques et de comportements qui pourraient relever de ce que nous appelons aujourd’hui « expertise ». Il articule statut d’expert et actions d’expertise et examine la nature et la légitimité de cette figure polymorphe. Ces questions se posent avec acuité à une époque et dans un contexte où les compétences proprement politiques des acteurs de gouvernement sont floues et où l’usage de ce qui pourrait être qualifié d’expertise est une ressource importante pour des groupes sociaux et professionnels en concurrence au sein des arcana imperii. L’origine de ce projet peut être trouvée dans un étonnement face à l’usage actuel du terme d’« expert », usage souvent incontrôlé et hâtif, marqué par l’enthousiasme ou au contraire la défiance, tout d’abord dans les médias, puis par capillarité dans la recherche, notamment en histoire. S’il n’est plus besoin de démontrer l’ancienneté de pratiques de conseil mises en œuvre en vertu d’une aptitude désignée comme remarquable, la pertinence heuristique et l’adéquation des termes d’« expert » et d’« expertise » pour qualifier certaines actions et postures singulières dans le champ politique entre les xvie et xviiie siècles méritent qu’on y regarde de plus près.
4L’étymologie apporte quelques lumières quant aux pratiques désignées par le terme3. Tandis que l’expertus latin est celui « qui a fait ses preuves, qui a de l’expérience », le terme « expertise » est attesté en français dès le xive siècle. Néanmoins, son sens évolue de la simple « habileté, adresse ou expérience » à la pratique qui consiste à faire intervenir un intermédiaire spécialisé au sein d’une situation de litige ou d’incertitude. Si bien que dans le Dictionnaire de l’Académie française de 1798, le mot apparaît, relevant désormais de la jurisprudence, pour désigner les opérations effectuées par des experts et leurs rapports. Selon Guillaume Calafat, au xviiie siècle, l’expertise est ainsi devenue « une compétence technique ou scientifique mise au service d’une juridiction4 ».
5Au xviie siècle, le sens porté par le seul terme d’« expert » était donc plus malléable et plus ouvert. Selon Furetière, l’adjectif signifie « qui est habile en son art », tandis que le substantif qualifie « un homme habile et connoissant en quelque chose, qu’on nomme pour visiter et en faire le rapport5 ». Les exemples qui complètent cette définition sont intéressants, dans le sens où ils insistent sur trois dimensions qui à nous ont semblé centrales la réflexion :
« Les réparations seront visitées par Experts et gens à ce connoissans. Les parties conviendront d’Experts, autrement il en sera nommé d’office. On paye les fruits du rachat au dire des Experts. »
6L’expertise s’impose ainsi comme une action qui doit être analysée en tant que telle ; elle met en jeu et repose sur des paroles et sur des écrits qu’il convient d’articuler ; enfin, elle résulte d’un processus de reconnaissance d’une aptitude dont l’aboutissement peut être une nomination. Cette aptitude articule à la fois connaissances et habileté selon Furetière, savoir et expérience si l’on reprend une terminologie plus contemporaine6. Pour le Dictionnaire de l’Académie de 1694, cette dernière notion était encore prédominante, l’expert étant « fort versé, fort expérimenté en quelque art qui s’apprend par expérience ».
7L’action de l’expert, et même son existence en tant que tel, repose donc à la fois sur une capacité, sur une fonction – attribuée ou revendiquée –, et sur leur reconnaissance par lui-même, ses pairs et/ou ses employeurs. C’est pourquoi, il nous a semblé indispensable d’analyser l’expert politique en termes de constructions sociales d’une figure. En préambule de ce travail collectif, pour clarifier notre réflexion future, nous pouvons donc proposer la définition (provisoire et synthétique) suivante : l’expert est celui ou celle qui donne des moyens d’action au gouvernement et qui est considéré comme tel par lui-même ou une autorité, grâce à des connaissances et une intelligence du politique, empiriques et théoriques.
8Nous ne nous situons évidemment pas sur un terrain vierge et notre enquête peut bénéficier de l’éclairage d’un important corpus en sciences sociales et, plus tardivement, en histoire, traitant de l’expertise dans sa généralité, sans la réduire donc à un domaine d’application7. C’est la dimension polymorphe de l’expertise qui ressort d’une première plongée dans cette littérature, même si les études s’accordent en général autour de quelques éléments : un conglomérat d’expériences, de savoirs et de compétences résultant d’un processus d’incorporation de connaissances et de pratiques supposé permettre leur permanente applicabilité, en vertu de ce qu’on nomme parfois « habileté » (ingenium)8 ; un ensemble de savoirs opératoires qui supportent l’action, mais capables de généralisations et d’abstractions qui peuvent aboutir à l’édiction de règles ou de normes9 ; des savoirs qui supposent un rapport au monde et au temps, marqué par le triomphe de l’opacité, de l’imprévisibilité et d’une certaine technicité10 ; une dynamique transactionnelle (prenant parfois une forme conflictuelle) qui fait surgir autour de l’expert une pluralité d’acteurs dont l’agencement dynamique doit être décrit11. Procédant par cas articulant en général l’analyse des hommes, des procédures et des savoirs, ouvrages collectifs et revues ont favorisé la transpériodicité et joué le jeu d’un comparatisme chamarré dont la singularité des situations et des contextes faisait le prix. Il semblerait que ce soit alors la valeur heuristique et transdisciplinaire qui ait intéressé, tout comme la possibilité d’explorer des contextes sociaux12. Mais en contrepartie, ce foisonnement heuristiquement stimulant pour l’historien, nourrit un sentiment d’éparpillement d’autant plus fort que l’expertise se situe à la confluence de plusieurs champs et s’inscrit dans des lieux, des « scènes » pourrait-on dire, qui constituent autant de dispositifs à historiciser et qui font à leur tour intervenir d’autres champs.
9Une histoire des experts et de l’expertise croise ainsi une certaine histoire des sciences et des techniques, qui, à rebours d’une conception positiviste des savoirs, insiste sur leur construction sociale et leurs dispositifs de validation13 ; une histoire des professions marquée par la pensée d’Andrew Abbott et son concept de juridiction, entendu comme domination établie sur un domaine professionnel face à des professions rivales, qui met bien en évidence que toute recomposition des savoirs entraîne une recomposition sociale14 ; une histoire des pouvoirs où l’expert se situe quelque part entre le savant et le politique et où l’agencement cognitif renvoie à un certain agencement social15.
10Par ailleurs, en tant que procédure et système d’interaction, l’expertise se déploie, dans ses différents domaines, sur des scènes spécifiques. Il peut s’agir du tribunal où le marchand, le maître d’écriture, le notaire, le médecin ou l’historien côtoient les hommes de loi16. Mais cela vaut aussi pour les capitales culturelles, les divers lieux de sociabilité et leur prolongation en réseaux17. Il peut s’agir enfin des institutions, notamment dans le cadre de la bureaucratisation des appareillages politiques perceptible dès les débuts l’époque moderne18, analysées au prisme d’une sociologie pragmatique19. En cela l’analyse de l’expertise et des experts peut rencontrer une histoire urbaine, une histoire de la justice et de la preuve, une histoire de l’État, une histoire de l’espace public, une histoire de l’art ou encore une histoire environnementale, pour ne donner que quelques exemples.
11Ce kaléidoscope ne doit nullement décourager. Il a le mérite de nous garder de la tentation d’appauvrir un objet ductile qui se laisse difficilement enfermer dans un discours parce qu’il oscille entre « contrôle et confiance, entre savoirs et pouvoirs, entre témoignage et jugement, entre décision et gestion, entre impartialité et défense des intérêts », comme l’a justement souligné Frédéric Graber20. Garder en mémoire cette dimension relationnelle de l’expertise, à la fois intrinsèque et épistémologique, permet en outre de mieux se repérer et de fournir des jalons pour s’appuyer sur une kyrielle d’études qui ne traitent pas frontalement de la question de l’expertise et de l’expert et/ou qui n’emploient pas le mot, mais qui apportent des éléments importants.
12Si l’on s’intéresse maintenant plus spécifiquement au politique à l’époque moderne, on constate que la figure de l’expert a principalement surgi à la faveur d’une réflexion sur la genèse de l’État, de sa complexification et son éventuelle rationalisation et modernisation. L’expertise articule alors « savoirs » et « pouvoirs » en regardant du côté du pouvoir en exercice et de l’opérativité des actions gouvernementales ou administratives21. L’attention prêtée aux procédures et aux discours d’expertise, qui dévoilent au moins en partie les modalités d’élaboration et d’accréditation d’un « savoir utile » à partir d’une matière empirique ou d’une pensée par cas, s’inscrit dans une histoire pragmatique, matérielle et relationnelle du pouvoir où les agents savent activer des réseaux et créer des ponts avec la société civile, sans que l’on puisse établir de délimitation stricte entre espace public et espace privé22.
13Sans s’assimiler complètement au « professionnel » ni se réduire à la figure du « spécialiste » ou du « virtuose », l’expert apparaît comme celui qui octroie une capacité d’action à ses commanditaires en intervenant dans le processus de décision politique, en soutenant l’extension et la consolidation des territoires et en contribuant à la maîtrise des populations et des ressources23. L’amplification des domaines d’action publique voit l’intégration progressive de l’expertise dans les politiques gouvernementales (par exemple par la délivrance de privilèges) et explique à terme l’essor d’une technocratie24. Au xviiie siècle, l’expertise devient résolument collective et veut répondre au critère de l’utilité publique.
14L’attention portée à l’épanouissement des sciences camérales, au triomphe d’une « raison statistique » et de ses avatars, et à l’avènement du « biopolitique » a ainsi fait des Lumières la période privilégiée des études25. Le mathématicien, l’ingénieur, le financier, le réformateur, l’informateur, l’économiste, les faiseurs de projet de tout crin et bien d’autres encore, sont les nouveaux héros de cette histoire26. Au sein de celle-ci, le concept de gouvernementalité foucaldien, abolissant la différence entre gouvernement et administration, a exercé une influence notable, souvent diffuse, parce qu’il noue effort de rationalisation, systèmes de connaissance et enfin techniques et formes d’instrumentation de gouvernement qui induisent des rapports politiques27. Arnault Stornicki appréhende ainsi la « science économique » comme une forme de gouvernementalité (la rationalité du marché libre et concurrentiel) et présente l’expertise économique de Gournay comme la montée en généralité de savoirs et savoir-faire négociants ajustée aux exigences de l’action publique28. L’omniprésence actuelle de l’expertise, l’imbrication qu’elle matérialise entre science, technique et pouvoir et les nombreuses controverses sociotechniques qui ont marqué les dernières décennies ont progressivement amené à questionner la légitimité des experts et à dénoncer le caractère idéologique de l’expertise et ses conséquences sur le jeu démocratique29. Dans ce contexte, les travaux des sociologues et des philosophes ont pu faire l’objet de mises en perspective historiques dont le prisme foucaldien est l’une des manifestations.
15Sciences de l’État et arts de gouvernement, prudence du prince et raison d’État, savoirs administratifs ou bureaucratiques, technologies de pouvoir et rationalité étatique : ces termes, non interchangeables et historiquement situés, ont donc partie liée, selon des modalités qu’il reste à déterminer, avec la figure de l’expert30. Car s’il y a un lien indéniable entre la bureaucratisation des monarchies, le développement des écritures grises, l’autonomisation des administrateurs et le développement des sciences de l’État, il nous est apparu que la période moderne – depuis au moins l’émergence de ce qu’on nomme par convention « raison d’État » ou « raison politique » – pouvait fournir matière à l’analyse de savoirs politiques et de gouvernement et à l’étude des hommes qui les élaborent ou qui s’en revendiquent.
16En effet, la mise en évidence dans certains discours d’un principe d’action spécifiquement politique attaché à une forme de savoir et de savoir-faire, dont certains prétendaient posséder les clés voire se faisaient les théoriciens, rompt avec une conception éthico-religieuse du gouvernement. Ce geste inédit dans sa réflexivité, contraint les détenteurs de savoirs consolidés gravitant dans l’orbite du prince (juristes et théologiens au premier chef), ainsi placés en situation de rivalité, à se repositionner31. Il peut s’agir alors pour eux de nier la pertinence ou le statut cognitif de cet espace encore indéfini de savoir pratique réservé au prince. De fait, l’idée d’une transcendance religieuse où tout pouvoir émane de Dieu reste durablement ancrée32. Il peut s’agir encore de réintroduire une part d’hétéronomie aux effets délégitimants ou subordonnants (en parlant de Raison d’État chrétienne ou de raison d’Enfer par exemple), de faire assaut d’utilité ou d’autorité, voire d’adopter des stratégies de dissimulation33. Le jeu intellectuel et social ainsi introduit à la cour, dans les conseils et au sein de la machine bureaucratique pour revendiquer, démontrer ou confirmer une capacité à fournir des outils de gouvernement, d’administration et de légitimation opératoires, génère un ensemble hétéroclite d’écrits (du traité à l’allégation, en passant par le libelle, le rapport, la somme jurisprudentielle et plus largement la littérature grise) porteurs d’actions et de postures susceptibles d’infléchir les trajectoires sociales les plus variées34.
17Dans ces conditions, l’expertise est toujours un processus inscrit dans la durée, qui implique des procédures et une multiplicité d’acteurs aux statuts sociopolitiques variés, depuis celui qui la revendique jusqu’à celui qui rend opératoire ou discrédite la prétention qui y est associée, sans négliger ceux qui légitiment ou infirment les compétences mobilisées. Chaque expert est ainsi le produit d’une configuration spécifique née de dispositifs sociaux, politiques et discursifs. De cette nébuleuse d’acteurs, aux degrés et aux temporalités d’implication variés, surgissent des conflits entre prétendants « experts » aux profils et aux intérêts politico-sociaux divergents.
18Trois caractéristiques de l’époque moderne dessinent un cadre propice à l’étude de la figure de l’expert politique comme construction sociale et à l’analyse des processus de légitimation qui l’assoient. D’une part, l’absence d’un champ de savoir politique consolidé et unanimement reconnu comme tel, contrebalancée par l’amplification et la diversification des domaines d’action publique, la sophistication de l’appareil bureaucratique et le besoin croissant d’informations qui créent une forte demande de savoirs utiles35. De l’autre, la place fluctuante qu’occupent les compétences et les savoirs dans l’attribution des charges institutionnelles – et plus généralement dans la répartition des fonctions dans l’entourage du prince ou des puissants où la grâce, les jeux de clientèle et le rang restent les leviers les plus efficients36. La reconnaissance sociale et institutionnelle liée à un savoir « politique » qui ne renvoie à aucun grade universitaire est incertaine. Enfin, la nature même de l’État moderne marquée par une indistinction entre appareil politique et société civile ainsi que par la régulation de l’action gouvernementale par d’« autres raisons de la politique », telles l’amitié, la charité, la religion, l’administration domestique ou la réciprocité des grâces, que notre regard contemporain a tendance à exclure a priori du politique37. Loin de s’assimiler à des objets inertes ou statiques, les institutions apparaissent comme des lieux d’interaction des différents pouvoirs, cristallisant un partage de l’autorité en permanente actualisation. Les agents de l’État, eux-mêmes impliqués dans des jeux sociaux à géométrie variable et à diverses échelles qui créent solidarités ou inimitiés, investissent ces interfaces pour y servir – selon diverses combinaisons et hiérarchies – le souverain, la monarchie ou la respublica, tout en se mouvant en fonction de différentes sphères normatives éminemment structurantes (logiques corporatistes, poids de la parentèle, jeux clientélaires, éthos nobiliaire, etc.)38. Les institutions modernes apparaissent donc poreuses car innervées par des réseaux d’une grande diversité qu’elles articulent, qui les dépassent, mais auxquels elles impriment leur marque en retour, générant parfois un « esprit de corps » voire un « éthos bureaucratique » forgé au gré des multiples gestes et pratiques sous-tendant l’administration quotidienne du pouvoir. Si l’on ajoute à cela l’hétérogénéité des principes d’action, l’indétermination des savoirs et la relative indépendance à l’égard de la liberté (et donc de l’arbitraire) du prince que certains de ces savoirs ménagent, on admettra sans peine que la période moderne offre un riche terrain pour appréhender la figure de l’expert39.
19Au-delà de ces éléments structurels, il existe des contextes particulièrement propices à l’expertise. La contingence, l’incertitude et la nouveauté constituent en effet des éléments déclencheurs d’expertises en ce qu’elles créent des interstices dans le fonctionnement ordinaire du politique, interstices dans lesquels des acteurs sociaux au statut mouvant peuvent déployer les procédures à même de les faire reconnaître en tant qu’expert. Ces facteurs contextuels peuvent être amplifiés par certaines structures, notamment les montages politiques impériaux, complexes par définition, et nécessitant de gouverner à distance sans que l’on puisse se déprendre d’une certaine opacité. L’exemple ibérique est à ce titre paradigmatique, comme l’ont notamment montré les travaux d’Arndt Brendecke. La quête de données empiriques nécessaires à l’administration et au gouvernement d’une monarchie planétaire suppose la circulation et l’adaptation de modèles bureaucratiques et de techniques qui s’inventent dans l’interaction et le tâtonnement, notamment grâce à la mobilité des agents du roi. Mais au-delà, elle nécessite l’établissement de procédures et de dispositifs d’objectivation et d’autorisation d’informations exponentielles et difficilement vérifiables. L’Empire est ainsi une gigantesque machine communicationnelle dont les experts sont les indispensables maillons. Ces intermédiaires se distinguent par leur capacité à intégrer des savoirs localisés acquis et construits par des relations de confiance et l’établissement de communauté d’intérêts. Indépendamment de leur véracité, ces informations seront validées parce qu’elles répondent à des procédures cognitives associées à la figure de l’expert et qu’elles font consensus, fondant ainsi les conditions de possibilité de l’exercice stabilisé d’un pouvoir ubiquiste40.
20Si l’on parle d’interstices, c’est que l’expert n’est ni complètement dans les institutions, ni complètement en dehors. Ou du moins, la position de « l’expert » dans les institutions ne suffit pas à expliquer qu’il prétende à ce qualificatif et soit considéré comme tel (que le mot soit employé ou non). Ministres, conseillers et experts ne sont pas synonymes, indépendamment des savoirs qu’ils peuvent posséder. S’agissant, redisons-le, d’une qualité relationnelle et par conséquent extrinsèque mais répondant à une certaine configuration, il convient, d’un point de vue méthodologique, de situer l’expert ou le dispositif d’expertise dans un rapport dynamique aux institutions auxquelles ils sont reliés d’une façon ou d’une autre, parfois de façon lâche ou conjoncturelle. Tenir ensemble experts et expertises nous semble en effet apporter un réel gain heuristique en se donnant les moyens, dans une perspective d’histoire sociale, d’explorer les mécanismes de construction, de légitimation et de reconnaissance de cette figure fuyante sans réduire le questionnaire à une histoire de la genèse de l’État et de ses transformations dont les dispositifs d’expertise et la constitution de corps d’experts seraient un moteur, rouvrant par là le grand récit de la modernité. C’est dire que nous ne recherchons pas « l’expertise avant l’expertise », le repérage d’actions identifiables a posteriori bien que non désignées comme telles. De même, nous ne souhaitons pas nous limiter au seul moment de la décision politique. Nous proposons plutôt un pas de côté puisque, en identifiant des configurations d’expertise, il devient possible de localiser le politique aussi en dehors des institutions.
21Le présent ouvrage s’ouvre sur un prologue qui nous a semblé un préliminaire indispensable pour la suite de la réflexion, en ce qu’il place au cœur de l’analyse un impensé des pratiques et un absent des sources mobilisées par l’historien pour analyser les actions d’expertise : l’apparence, la voix et le corps, dont Saúl Martínez Bermejo analyse le rôle central dans le processus d’incarnation de l’autorité de l’expert à l’âge moderne. La progression de ce volume a ensuite été pensée en trois parties au sein desquelles chaque contribution entend déployer une configuration mettant en jeu le couple « expert/expertise » dans une perspective d’histoire sociale du fait politique. Ce découpage résulte bien entendu d’arbitrages qui forcent les apports prédominants de chaque article alors même que la plupart enrichissent chacune des étapes de cette entreprise collective.
22Consacrée aux défis de la désignation, de la définition et de la catégorisation, la première partie contribue à problématiser l’origine de la reconnaissance et de la légitimité de l’expert et de l’expertise politiques. Dans un premier temps, Frédéric Graber propose une réflexion sur les écueils et l’intérêt de mobiliser la catégorie pour l’époque moderne en revenant sur deux problématiques centrales de la période : la culture politique du consensus et la fascination inquiète face aux nouveautés et aux faiseurs de projets qui les promeuvent. Nicolas Schapira interroge, quant à lui, la possibilité de revendiquer une expertise au xviie siècle lorsque l’on n’est pas déjà dans la confiance du prince, soit depuis une position d’extériorité au pouvoir, en revisitant le célèbre article de Marcel Gauchet consacré à la raison d’État. Sylvain André questionne ensuite les corrélations entre mutations des pratiques de gouvernement et formes d’expertise, à partir de la trajectoire de Juan de Ibarra, secrétaire du Conseil des Indes et de plusieurs Juntas de gouvernement dans les années 1590. Déplaçant le regard vers un domaine du savoir politique à la fois technique et stratégique, Maxime Martignon interroge les conditions requises et les négociations sociopolitiques nécessaires pour être reconnu comme un expert en matière d’information maritime, tant par les producteurs que par les destinataires des nouvelles. Enfin, à partir des figures du maçon, de l’architecte et de l’entrepreneur, Robert Carvais interprète la dimension politique de la constitution d’une profession au xviiie siècle, par l’étude des compétences requises dans l’expertise des bâtiments et l’autorité qui en découle.
23Intitulée « Stratégies : légitimités et habileté sociales de l’expert », la deuxième partie de cet ouvrage souhaite approfondir la composante sociale de cette figure. Grâce à l’étude des trajectoires de trois individus de rang, de fonction et de statut hétérogènes, les contributions placent au cœur de la réflexion la question des compétences, de leur rapport au savoir, de leur efficacité et de leur valeur sociales. En étudiant le nœud que représentent dans la trajectoire du diplomate Diego de Saavedra Fajardo les deux éditions des Empresas políticas (1640 et 1642), Marie-Laure Acquier interroge l’autonomie de l’expert et de l’expertise vis-à-vis du pouvoir et de ses divers représentants, en mettant en évidence les réajustements suscités par une confrontation entre l’expérience et sa théorisation au gré de l’évolution du contexte politique. À partir du cas de Gerlach Adolph von Münchhausen, figure incontournable du ministre éclairé du xviiie siècle, Anne Saada et Sébastien Schick examinent quant à eux quelle est l’expertise d’un ministre et comment il peut user d’experts, au service de son prince mais aussi de sa propre carrière. Enfin, pour analyser les conditions d’un marché de l’expertise entre Grande-Bretagne et France, Jean-François Dunyach observe les diverses étapes du patronage intellectuel, technique et administratif à la fin de l’Ancien Régime en suivant les traces de William Playfair venu présenter à Paris son invention originale, l’arithmétique linéaire.
24La dernière partie de cet ouvrage est consacrée au gain heuristique de la notion d’expertise pour comprendre et construire le politique aux xvie-xviiie siècles. Dans une contribution liminaire et à travers ce qu’elle construit comme un cas à la fois limite et paradigmatique, Dinah Ribard analyse de quelle manière, au temps de Louis XIV, deux « experts fous » ont pu mener et ainsi construire la politique du pouvoir alors même qu’ils n’en avaient pas la qualité. Elle interroge à nouveau frais les limites de la politique pour mieux la définir. En examinant les contours et les contenus d’un savoir de gouvernement et d’un savoir politique, les deux contributions suivantes réfléchissent, quant à elles, à l’existence d’une « bonne » expertise au service d’un « bon gouvernement ». À partir de l’analyse minutieuse des écrits et des écritures du polygraphe Guillaume de La Perrière, pensés dans leur interdépendance et leur complémentarité, Olivier Christin montre comment l’humanisme juridique de la première moitié du xvie siècle se représente l’expertise savante, le conseil du Prince et le travail du pouvoir. Resserrant la focale, Renaud Malavialle étudie pour sa part la réflexion des humanistes espagnols sur la prudencia et les moyens de l’acquérir, afin qu’elle serve l’expertise et la décision politiques. Enfin, dans un dernier temps, ce sont les reconfigurations des structures de pouvoir suscitées par de nouvelles pratiques d’expertise que les autrices examinent. Revenant sur la problématique modernité/sécularité, Nicole Reinhardt discute le rôle de l’expertise en théologie morale des confesseurs royaux dans l’émergence progressive de la notion moderne du politique au xviie siècle. Poursuivant la réflexion amorcée dans les deux parties précédentes, Anne Dubet et Marie-Laure Legay reviennent, quant à elles, sur les savoirs politiques techniques et sur les ajustements induits par l’expertise entre gouvernement ministériel et décision du prince. La première montre comment, dans l’Espagne du xviiie siècle, la valorisation de l’« intelligence des finances » et les controverses qu’elle suscite conduisent à des reconfigurations dans l’exercice du pouvoir, au point d’ouvrir un débat public dans les dernières décennies de l’Ancien Régime. Inscrite dans la même chronologie mais cette fois de l’autre côté des Pyrénées, la contribution de Marie-Laure Legay explore comment les corps constitués se sont adaptés au « despotisme ministériel » du xviiie siècle en ayant recours à des agents d’affaires accrédités, de manière à pouvoir participer à la gouvernance du royaume.
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25Avant de clore cette introduction, nous souhaitons remercier les institutions sans l’aide desquelles cet ouvrage n’aurait pu voir le jour : l’Institut universitaire de France (IUF), l’université Côte d’Azur et le Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine (CMMC), l’université d’Orléans et le laboratoire POuvoirs, LEttres, Normes (POLEN). Nous tenons également à remercier les auteurs de ce volume pour leur implication sans faille dans ce projet collectif et pour l’enthousiasme avec lequel ils ont soumis leurs objets à notre questionnaire.
Notes de bas de page
1« Trompe l’œil. Board Partition with Letter Rack and Music Book », 1668, Statens Museum for Kunst, Copenhague. Image issue du site Europea Collection : [https://www.europeana.eu/portal/fr/record/2020903/KMS3059.html], consulté le 13 avril 2020.
2Koester Olaf, Painted illusions. The art of Cornelius Gijsbrechts, Exposition à la National gallery à Londres, Londres, National Gallery, 2000 ; Grillo Eduardo, Il compromesso dello sguardo. Cornelis Gijsbrechts e le ossessioni barocche, Pérouse, Morlacchi Editore, 2016.
3Voir Rey Alain (dir.), Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française, Paris, 2000.
4Calafat Guillaume, « Expertise et compétences. Procédures, contextes et situations de légitimation », Hypothèses, 2011/1 (14), p. 95-107.
5Furetière Antoine (dir.), Dictionnaire universel, contenant generalement tous les mots françois tant vieux que modernes […], La Haye, Leers, 1690, t. I.
6Pour une étude étymologique dans d’autres langues que le français, voir l’introduction de Rabier Christelle (dir.), Fields of Expertise : A Comparative History of Expert Procedures in Paris and London, 1600 to present, Cambridge, Cambridge Scholars Publishing, 2007, p. 1-2.
7Il ne s’agit pas ici de dresser un bilan exhaustif, mais de signaler quelques jalons qui nous ont aidées à nous orienter dans la perspective de notre réflexion collective.
8Voir, parmi d’autres, et dans des registres différents : Vérin Hélène, La gloire des ingénieurs. L’intelligence technique du xvie au xviiie siècle, Paris, Albin Michel, 1993 ; Jeanneson Stanislas, Jesné Fabrice et Schnakenbourg Éric (dir.), Experts et expertises en diplomatie. La mobilisation des compétences dans les relations internationales, Rennes, PUR, 2018 ; Calafat Guillaume (coord.), « Expertise et compétences », Hypothèses, no 14, 2011 et en particulier l’éclairante introduction citée précédemment ; Moatti Claudia, « Experts, mémoire et pouvoir à Rome, à la fin de la République », Revue Historique, no 626, 2003, p. 303-325.
9La question de la « mise en arts » est ainsi essentielle : Dubourg-Glatigny Pascal et Vérin Hélène (dir.), Réduire en art. La technologie de la Renaissance aux Lumières, Paris, MSH, 2008.
10Callon Michel, Lascoumes Pierre et Barthe Yannick, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Le Seuil, 2001 ; Graber Frédéric, « Figures historiques de l’expertise », Tracé, no 16, 2009, p. 167-175, [http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/traces/2633], consulté le 2 juillet 2019. Dans le monde contemporain, l’incertitude au prisme de l’expertise recouvre bien souvent la notion de risque : Chevassus-au-Louis Bernard, L’analyse des risques. L’expert, le décideur et le citoyen, Versailles, Éditions Quæ, 2006.
11Trépos Jean-Yves, La sociologie de l’expertise, Paris, PUF, 1996 ; Dumoulin Laurence, La Branch Stéphane, Robert Cécile et Warin Philippe (dir.), Le Recours aux experts. Raisons et usages politiques, Presses universitaires de Grenoble, 2005.
12Plusieurs numéros de la revue Genèse répondent ainsi à un tel traitement de l’expertise : « Expertise », Genèses, 65-4, 2006 ; « Devenir expert », Genèses, 70-1, 2008 ; « Savoir-faire », Genèses, 73-4, 2008.
13Pestre Dominique, « Pour une histoire sociale et culturelle des sciences. Nouvelles définitions, nouveaux objets, nouvelles pratiques », Annales, Histoire Sciences Sociales, 1995-3, p. 487-522 ; Pestre Dominique (dir.), Une histoire des sciences et des savoirs, Paris, Le Seuil, 2015. Voir en particulier le premier tome (De la Renaissance aux Lumières) sous la direction de Stéphane Van Damme.
14Abbott Andrew, The System of Professions. An Essay of the Division of Expert Labour, Chicago, University of Chicago Press, 1988. L’ouvrage dirigé par Christelle Rabier offre une belle illustration des apports de la pensée d’Abbot à une réflexion historienne sur l’expertise : Rabier Christelle (dir.), Fields of expertise, op. cit
15Ash Eric, Power, Knowledge, and Expertise in Elizabethan England, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2004 ; Bérard Yann et Crespin Renaud (dir.), Aux frontières de l’expertise. Dialogues entre savoirs et pouvoirs, Rennes, PUR, 2010 ; Macleod Roy (éd.), Government and Expertise Specialists, Administrators and Professionals, Cambridge, Cambridge University Press, 2003 (1988) ; Shapin Stephen et Schaffer Simon, Léviathan et la pompe à air. Hobbes et Boyle entre science et politique, Paris, La Découverte, 1993 ; « Savoir, c’est pouvoir : expertise et politique », Mouvements, no 7, 2000.
16Voir respectivement : Calafat Guillaume, « Expertise et tribunaux de commerce. Procédures et réputation à Livourne au xviie siècle », Hypothèses, no 14, 2011, p. 141-154 ; Béroujon Anne, « Comment la science vient aux experts. L’expertise d’écriture au xviie siècle à Lyon », Genèse, no 70, 2008, p. 4-25 ; Chauvaud Frédéric, Les experts du crime. La médecine légale en France au xixe siècle, Paris, Aubier, 2000 ; Dumoulin Laurence, L’expert dans la justice. De la genèse d’une figure à ses usages, Paris, 2007.
17Montègre Gilles, « L’expertise scientifique entre science et politique. Échanges et controverse autour des marbres antiques entre Rome et Paris (1773-1818) », Genèse, no 65, 2006, p. 27-48 ; Guichard Charlotte, « Connoisseurship and artistic expertise London and Paris », in Christelle Rabier (dir.), Fields of expertise, op. cit., p. 173-191 ; Van Damme Stéphane, Paris, capitale philosophique de la Fronde à la Révolution, Paris, Odile Jacob, 2005.
18Sur l’idée d’État bureaucratique et du passage du modèle d’un État dynastique à un État bureaucratique : Bourdieu Pierre, « De la maison du roi à la raison d’État. Un modèle de la genèse du champ bureaucratique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 118, 1997, p. 55-68. Pour une étude de cas de dispositifs d’expertise saisie dans leur rapport au gouvernement et à la bureaucratie, voir André, Sylvain, « Les Juntes de Philippe II : expertise, bureaucratie, gouvernement », Cahiers d’études romanes, no 30, 2015, p. 327-351.
19Corcuff Philippe, Les nouvelles sociologies. Entre le collectif et l’individuel, Paris, Armand Colin, 2007 ; Lepetit Bernard (dir.), Les formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995.
20Graber Frédéric, « Figures historiques de l’expertise », Tracé, no 16, 2009, p. 167-175.
21Pour un panorama entre État et sciences requises à son service au sein de configurations spécifiques articulant savoir et pouvoir en France : Lamy Jérôme, « L’État et la science. Histoire du régime régulatoire (France xvie-xxe siècles) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no 134, 2017, p. 87-111. Voir aussi pour le domaine économique : Stanziani Antoine (dir.), Dictionnaire historique de l’économie-droit (xviiie-xxe siècles), Paris, LGDJ, 2007.
22Ash Eric, Power, Knowledge, and Expertise, op. cit. ; Graber Frédéric, Paris a besoin d’eau. Projet, dispute et délibération technique dans la France napoléonienne, Paris, CNRS, 2009 ; Macleod Christine, Inventing the Industrial Revolution. The English Patent System (1660-1800), Cambridge, Cambridge University Press, 1988.
23Ash Eric, « Expertise : Practical Knowledge and the Early Modern State », Osiris, vol. 25, no 1, 2010 et en particulier la stimulante introduction (p. 1-24) ; Mcclellan James et Regourd François, The Colonial Machine : French Science and Overseas Expansions in the Old Regime, Turnhout, Brepols, 2011 ; Minard Philippe, La fortune du colbertisme. État et industrie dans la France des Lumières, Paris, Fayard, 1998.
24Hilaire-Perez Liliane, « État, science et entreprise dans l’Europe moderne », in Stéphane Van Damme (dir.), Histoire des sciences et des savoirs, op. cit, p. 411-429 ; Laboulais Isabelle, La maison des mines. Genèse d’un corps d’ingénieurs civils (1794-1814), Rennes, PUR, 2012 ; Ruellet Aurélien, La maison de Salomon. Histoire du patronage scientifique et technique en France et en Angleterre au xviie siècle, Rennes, PUR, 2016.
25Respectivement (et parmi une abondante bibliographie) : Desrosières Alain, La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, 2000 (1993) ; Audren Frédéric, Laborier Pascale, Napoli Paolo et Vogel Jakob (dir.), Les sciences camérales. Activités pratiques et histoire des dispositifs publics, Paris, PUF, 2011 ; Foucault Michel, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France (1978-1979), Paris, Gallimard/Le Seuil, 2004.
26Brian Éric, La mesure de l’État. Administrateurs et géomètres au siècle, Paris, 2004 ; Virol Michèle, Vauban. De la gloire du roi au service de l’État, Seyssel, Champ Vallon, 2003 ; Blais Hélène, Fredj Claire et Surun Isabelle (dir.), Histoire d’espaces. Autour de Daniel Nordman, Rennes, PUR, 2015 ; Guerre Stéphane, Nicolas Desmaretz (1648-1721). Le Colbert oublié du Roi Soleil, Seyssel, Champ Vallon, 2019.
27La gouvernementalité désigne un changement de rationalité politique marquant un glissement dans l’exercice du pouvoir appliqué désormais à la société pensée comme population et ensemble de ressources à faire fructifier. Il s’agit désormais d’organiser la production et d’encadrer la société en « conduisant les conduites » : Lacousme Pierre, « La gouvernementalité : de la critique de l’État aux technologies de pouvoir », Le Portique, no 13-14. [https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/leportique/625#bodyftn26], consulté le 8 juillet 2019.
28Stornicki Arnault, L’économiste, la cour et la patrie, Paris, CNRS, 2011.
29Haskell Thomas, « Introduction », in id (dir.), The Authority of Experts. Studies in History and Theory, Indiana, Indiana University Press, 1984 ; Theys Jacques et Kalaora Bernard (dir.), La terre outragée. Les experts sont formels, Paris, Autrement, 1992 ; Turner Stephen, « What is the problem with experts », SSS, no 31-1, 2001, p. 123-149.
30Voir respectivement Bourdieu Pierre, Christin Olivier et Will Pierre-Étienne, « Science de l’État », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 133, 2000, p. 3-11 ; Senellart Michel, Les arts de gouverner Du regimen médiéval au concept de gouvernement, Paris, Le Seuil, 1995 ; Halévi Ran (dir.), Le savoir du prince du Moyen Âge aux Lumières, Paris, Fayard, 2020 ; « Miroirs de la Raison d’État », Cahiers du Centre de recherches historiques, no 20, 1998 ; Fossier Arnaud, Petitjean Johann et Revest Clémence (dir.), Écritures grises. Les instruments de travail des administrations (xiie-xviie siècle), Paris, École nationale des chartes, 2019 ; Laboulais Isabelle, « La fabrication des savoirs administratifs », in Stéphane Van Damme (dir.), Histoire des sciences et des savoirs, op. cit, p. 447-463 ; Lebeau Christine, « Circulations internationales et savoirs d’État au xviiie siècle », in Pierre-Yves Beaurepaire et Pierrick Pourchasse (dir.), Les circulations internationales en Europe (années 1680-années 1780), Rennes, PUR, 2010, p. 169-179 ; Foucault Michel, Sécurité, territoire, population Cours au Collège de France (1977-1978), Paris, Gallimard/Le Seuil, 2004.
31Catteeuw Laurie, Censures et raisons d’État. Une histoire de la modernité politique (xvie-xviie siècle), Paris, Albin Michel, 2013 ; Senellart Michel, Machiavélisme et raison d’État. xiie-xviiie siècle, Paris, PUF, 1989 ; Zarka Charles-Yves, Théoriciens et théories de la raison d’État aux xvie et xviie siècles, Paris, PUF, 1994.
32Sur la matrice catholique et la conception pastorale du gouvernement dans la monarchie espagnole : Fernandez Albadalejo Pablo, « El pensamiento político. Perfil de una “política propia” », in José Alcala-zamora et Ernest Berenguer (coord.), Calderón y la España del Barroco, Madrid, Centro de Estudios Constitucionales, 2003, vol. 1, p. 82-104 ; Iñuritegui José Maria, La gracia y la república : el lenguaje de la teología católica y el “Príncipe cristiano” de Pedro de Ribadaneyra, Madrid, UNED, 1998.
33Fernandez Albadalejo Pablo, « Entre la Razón Católica y la Razón de Estado : senderos de la Razón Política en la monarquía Española », Transitions. Journal of Franco-Iberian Studies, no 5, 2009, p. 97-116 ; Merle Alexandra et Oïffer-Bomsel Alicia (dir.), Tacite et le Tacitisme en Europe à l’époque moderne, Paris, Honoré Champion, 2017 ; Skinner Quentin, Les Fondements de la pensée politique moderne, tr. fr. Jérome Grossman et Jean-Yves Pouilloux, Paris, Albin Michel, 2001 (1980) ; Soll Jacob, Publishing the Prince. History, Reading and the Birth of Political Criticism, Ann Arbor, 2005.
34Brétéché Marion, Les Compagnons de Mercure. Journalisme et politique dans l’Europe de Louis XIV, Seyssel, Champ Vallon, 2015.
35Il convient d’inclure dans l’analyse des domaines aujourd’hui rejetés hors du « champ politique » (et pour certains hors du domaine des savoirs) mais considérés alors comme légitimes ou susceptibles de l’être, sans que leurs praticiens ne cherchent nécessairement à se positionner sur la question de la « raison d’État ». C’est par exemple le cas de l’astrologie : Hayton Darin, « Expertise ex stellis : Comets, Horoscopes and Politics in Renaissance Hungary », Osiris, vol. 25, 2010, p. 27-46. Sur une histoire de l’État prenant en compte la sociologie des acteurs des institutions et une étude socioculturelle des institutions : Schaub Jean-Frédéric (dir.), Recherche sur l’histoire de l’État moderne dans le monde ibérique, Paris, Presses de l’ENS, 1993.
36Sur la figure de l’administrateur et la société politique, voir Descimon Robert, Schaub Jean-Frédéric et Vincent Bernard (dir.), La figure de l’Administrateur. Institutions, réseaux et pouvoirs en Espagne, en France et au Portugal, xvie-xixe siècle, Paris, Éditions de l’EHESS, 1997.
37Hespanha Antonio Manuel, « Les autres raisons de la politique. L’économie de la grâce », in Jean-Frédéric Schaub (dir.), Recherche sur l’histoire de l’État, op. cit., p. 67-86. L’indistinction entre société politique et civile (qui ne se recouvrent pas totalement), la capacité d’action d’un large spectre d’acteurs au-delà des agents du pouvoir et la prise en compte des valeurs et grandeurs autres qu’une « raison politique » invitent à envisager le déploiement des montages politiques en termes d’institutionnalisation des sociétés : Hermant Héloïse (dir.), Le pouvoir contourné. Infléchir et subvertir l’autorité à l’âge moderne, Paris, Classiques Garnier, 2016.
38L’histoire institutionnelle actuelle se réclame ainsi de l’histoire sociale et veut articuler les acquis d’une étude catégorielle avec les études de réseaux et des ressources que les individus en tirent, tout en prenant en compte les normes élaborées par les institutions et les contextes variés qui constituent le cadre de l’action. Voir Castellano Juan Luis et Dedieu Jean-Pierre (dir.), Réseaux, familles et pouvoirs dans le monde ibérique à la fin de l’Ancien Régime, Paris, Éditions du CNRS, 1998 ; Reinhard Wolfang (dir.), Les Élites de pouvoir et la construction de l’État en Europe, Paris, PUF, 1996 ; Descimon Robert, « Réseaux de famille, réseaux de pouvoir ? Les quarteniers de la ville de Paris et le contrôle du corps municipal dans le deuxième quart du xvie siècle », in François-Joseph Ruggiu et Vincent Gourdon (dir.), Liens sociaux et actes notariés dans le monde urbain en France et en Europe, Paris, PUPS, 2004, p. 153-186 ; Cosandey Fanny (éd.), Dire et vivre l’ordre social, Paris, Éditions de l’EHESS, 2005 ; Saupin Guy (dir.), Histoire sociale du politique. Les villes de l’Ouest atlantique français à l’époque moderne (xvi-xviiie siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010 ; Fossier Arnaud et Monnet Éric, « Les institutions, mode d’emploi », Tracés. Revue de sciences humaines, no 17, 2009, p. 7-28. Et plus généralement, la totalité du numéro.
39Ainsi, le corpus juridique ne constitue-t-il pas une ressource malléable aux mains du prince qui ne peut contrevenir au droit. En Espagne notamment, certains jurisconsultes conçoivent l’exercice du pouvoir du « roi-juge » comme une activité juridictionnelle et la royauté comme une magistrature. Une relation d’intimité et de délégation du pouvoir les unit au roi et les habilite à « disserter sur les mystères de l’État et du droit ». Sur ces points, voir Schaub Jean-Frédéric, « Identification du jurisconsulte. Composition et conflits d’autorité dans les sociétés ibériques au xviie siècle », in Juan Carlos Garavaglia et Jean-Frédéric Schaub (dir.), Lois, justice, coutume. Amérique et Europe latines (xvie-xixe siècle), Paris, Éditions de l’EHESS, 2005, p. 29-55.
40Brendecke Arndt, Imperio e información. Funciones del saber en el dominio colonial español, Madrid, francfort-sur-le-Main, Iberoamericana/Valvuert, 2016 [2009].
Auteurs
Université d’Orléans, POLEN
Université Côte d’Azur, CMMC/IUF

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