Chapitre I. Panser les blessures narcissiques pour rénover la SFIO
p. 31-92
Texte intégral
1Les déchirements du parti depuis les accords de Munich, sa mise en sommeil sans gloire lors de la défaite par le secrétariat général de Paul Faure et Jean-Baptiste Séverac et enfin le vote des pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940 par la plupart des parlementaires SFIO ont découragé, voire dégoûté bon nombre de militants. La reconstitution du parti dans la clandestinité par l’équipe de Daniel Mayer n’a pas suffi à les rasséréner, et certains, dispersés dans les mouvements de Résistance, ne croient plus en son avenir. Il faut donc, en premier lieu, restaurer l’image de soi des socialistes, alors même qu’ils sont confrontés à une campagne de dénigrement, dénoncée dès juin 1944, dans une circulaire aux secrétaires fédéraux :
« Des accusations intéressées affirment que le parti socialiste a adopté une attitude “attentiste” et se tient en dehors de la lutte. Nous sommes engagés dans la bataille de toutes nos forces en tant que parti et en tant qu’individus. Chaque jour des dizaines des nôtres tombent. Quand on dressera la liste des Français victimes de la répression hitléro-vichyssoise, le nombre des socialistes qui y auront leur place surprendra par son importance1. »
2Les communistes ne sont pas nommément désignés car il s’agit de ne pas insulter l’avenir d’une éventuelle unité. Quelles que soient ces mauvaises langues, les membres de la direction clandestine ont bien conscience que leur engagement n’est pas reconnu à la hauteur de leurs sacrifices. Des rapports adressés à la direction des FFI en novembre 1944 attestent cette mauvaise réputation et confirment qu’ils n’exagèrent pas2. Il faut donc également transformer l’image du parti auprès des forces politiques issues de la Résistance et, au-delà, de l’opinion publique. De sorte que la rénovation devient un enjeu identitaire vital pour la nouvelle direction et que la mémoire immédiate de la guerre doit contribuer à l’accréditer dans les esprits, tant des militants que des Français.
3Les socialistes résistants décident toutefois de conserver leur nom – alors que, plusieurs décennies plus tard, chaque refondation ou crise s’accompagnera d’un changement. Daniel Mayer s’en explique dès septembre 1944. À ceux qui voudraient abandonner l’affiliation à une Internationale qui a failli par deux fois en 1914 et 1939, il rétorque que son souvenir est marqué par les figures des Italiens Matteotti, assassiné par les fascistes, de Turati et Trèves, morts en exil, des Autrichiens Koloman Wallisch, fusillé en 1934, d’Otto Bauer, de Rudolf Hilferding, livré par Vichy à la Gestapo en 1941, ou encore de Rudolf Breitscheid, décédé à Buchenwald3. Par patriotisme, ils mettent donc au service de leur pays une sorte d’internationale de la Résistance. S’ajoutent deux autres motifs implicites. D’une part, les exclus de novembre 1944 sont en train de se regrouper autour de Paul Faure dans le « Vieux parti socialiste SFIO » dont ils se prétendent les seuls gardiens et, même si leur procès en délégitimation du parti clandestin semble mal engagé, il ne saurait être question de leur donner raison4. D’autre part et surtout, les socialistes se doivent d’être révolutionnaires s’ils veulent ne pas céder un pouce de terrain au PCF, autoproclamé seul parti ouvrier. Daniel Mayer déclare ainsi aux secrétaires des fédérations reconstituées juste après la victoire :
« Nous avons voulu reprendre le titre de notre ancien parti, non pas pour le ramener à une époque dont nous n’avions pas toujours compris tous les contours, ni pour persister dans je ne sais quelles erreurs, peut-être, du passé ; mais, parce que nous pensons que notre Parti ne peut exister qu’autant qu’il est révolutionnaire et internationaliste. Non seulement nous ne rejetons pas l’étiquette SFIO, mais nous en sommes fiers, nous la revendiquons : nous sommes la Section française de l’internationale ouvrière5. »
4Il ne s’agit donc pas du passé faire table rase, mais d’être capables de reconnaître ses erreurs. L’épuration est jugée indispensable pour restaurer l’estime de soi et l’image des socialistes dans l’opinion, et sa combinaison avec des processus mémoriels particuliers doit permettre de construire cette nouvelle identité. Or les effets de cette thérapie à court et long termes ne sont pas nécessairement ceux qui étaient attendus.
« Un parti épuré, rajeuni, rénové, et surgi de la Résistance » (novembre 1944)
5À l’heure de la communication politique, cette définition proclamée lors du congrès national extraordinaire de Paris, qui prend acte de la résurrection de la SFIO, est moins percutante que celle du « Parti des 75 000 fusillés » inventée par les communistes. Non seulement elle n’a pas la force d’un slogan mais elle énumère quatre caractères acquis qu’il convient de rendre crédibles tant chez les militants que dans l’opinion. Comment la direction issue de la Résistance tente-t-elle alors de construire la mémoire immédiate de la guerre afin de leur donner consistance ?
Voir le 10 juillet 1940 comme le traumatisme originel
6Il convient d’abord de poser le vote des pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940, à Vichy, par quatre-vingt-dix parlementaires socialistes comme le péché originel qui entache la réputation du parti socialiste. « Nous sommes quelques-uns qui, lorsque nous avons commencé à travailler, avons fait le serment de ne jamais nous retrouver dans le même parti que les hommes qui, le 10 juillet 1940, ont trahi la confiance du peuple, la France, le Socialisme et la République », rappelle Daniel Mayer en novembre 19446. Car s’ils ont conféré au régime de Vichy une légitimité qui a pu égarer les Français et qui a compliqué la tâche de de Gaulle à l’étranger, en particulier aux États-Unis7, ils ont surtout déshonoré le parti avec une tache peut-être indélébile.
7Le PCF, qui a été dissous en septembre 1939 après la signature du pacte germano-soviétique du 23 août, a la chance d’avoir été tenu éloigné de Vichy lors de ces tristement célèbres journées de juillet. Outre son discuté « Appel du 10 juillet 1940 », sur lequel nous reviendrons8, cette absence opportune lui permet de retourner régulièrement le couteau dans la plaie. Ainsi, un mois après la Libération, à Paris, où les communistes ont de vieux comptes électoraux à régler avec lui, André Le Troquer est accusé par André Marty, lors d’un meeting, d’avoir contribué au « coup d’État » du 10 juillet ; il était alors en fait sur le Massilia9.
8Aussi, au sortir de sa première réunion publique à Paris, le 27 août 1944, le Comité exécutif lance son premier « appel légal au peuple », où il se réjouit certes que la doctrine socialiste sorte « confirmée par les faits » et qu’elle reçoive « un consentement universel », mais fait surtout acte de contrition. « Certes, une grande partie de l’ancien appareil du Parti l’a trahi : son secrétaire général, une centaine de parlementaires, notamment. Nous avons chassé ces hommes. Ils ont été remplacés par des hommes nouveaux. Mais la masse du parti est restée profondément saine10. » Car tels de mauvais chrétiens, ceux qui ont désespéré du socialisme ne sont plus dignes de demeurer dans la communauté qu’ils risquent de corrompre. En ouvrant le congrès de novembre 1944 à Paris, Édouard Depreux est bien sur ce registre religieux :
« Aux heures les plus sombres nous n’avons jamais désespéré de la France, nous n’avons jamais désespéré de la démocratie, nous n’avons jamais désespéré du Socialisme. Si nous avions cru à la victoire finale d’Hitler, même si nous avions été persuadés que l’atroce parenthèse au cours de laquelle l’histoire de France a été interrompue, avait dû durer pendant un demi-siècle, nous n’aurions jamais songé une minute à collaborer avec l’envahisseur, car la force, même la plus irrésistible n’aurait pu nous contraindre à collaborer. Si nous avions été persuadés que nos enfants, et même nos petits-enfants, auraient nécessairement connu l’esclavage nazi, eh bien dans la clandestinité, dans l’illégalité à laquelle nous étions condamnés, nous aurions au moins lancé un message pour la postérité, nous n’aurions pas laissé prescrire ces valeurs humaines auxquelles nous sommes plus que jamais attachés : l’indépendance nationale, la liberté, le sentiment de la dignité humaine11. »
9Au passage, il justifie le terme de « martyrs » que tout le monde utilise à cette date au point de le galvauder : selon lui, il s’agit bien de croyants qui ont témoigné de leur foi par le sacrifice de leur vie. Peu après, Daniel Mayer stigmatise ceux qui, à l’inverse, « sous prétexte de défendre la paix, en réalité défendaient simplement leur propre peau […] une sorte de peur individuelle12 ». Ils ne se sont donc pas trompés ; ils ont commis une faute impardonnable13. Si le parti socialiste n’est pas une Église, il nourrit, cependant, depuis ses origines, une conception téléologique de l’Histoire en accord avec le matérialisme historique marxiste dont il se réclame. La conséquence, en l’occurrence, est que l’avènement du socialisme, à défaut de la dictature du prolétariat chère aux « Bolcheviks », n’autorise pas le doute. Comme l’affirme plus haut Édouard Depreux, « l’esclavage nazi » ne pouvait être qu’une « parenthèse » pour quelques malheureuses générations. Bracke-Desrousseaux ne dit pas autre chose lorsqu’il relie, « par une ligne historique », la marche sur Rome de Mussolini en 1922, au triomphe d’Hitler en 1933, à l’inéluctable fin du fascisme en 194414. De même, l’historien Ernest Labrousse qualifie le fascisme et l’hitlérisme de « maladies du capitalisme » et de « pestes périodiques de l’économie libérale15 ». Ceux qui ont voté les pleins pouvoirs le 10 juillet ou ceux qui ont pensé que Vichy était la moins mauvaise solution ont douté et donc péché contre l’espérance. Telle est du moins la position de principe que la nouvelle direction voudrait voir adopter par tous.
10Elle entreprend, par conséquent, de communiquer sur le sujet, Paris tout juste libéré et son journal à peine installé dans les locaux du Matin. « Le Parti vous parle. Oui ! Le Parti vous parle » affiche Le Populaire dès le 30 août : la sortie de l’ombre du parti aurait déclenché « la stupeur chez les traîtres ». Ceux qui n’avaient pas compris que le seul parti véritable était celui issu de la Résistance se cacheraient « apeurés », et ceux qui doutaient vaguement de son existence le rejoindraient avec satisfaction. Le lendemain, « les reconstructeurs » – en référence à ceux de Tours en décembre 1920 – rappellent que les « défaillants », les « lâches » et les « traîtres » ont été exclus parce que c’est cette épuration qui « nous permet de nous présenter hautement comme un parti jeune et neuf16 ». Les enjeux en termes d’image et donc d’attractivité sont clairement identifiés dès l’été 1944. André Philip l’explique à nouveau aux délégués venus de toute la France en novembre : si le socialisme « apparait vraiment […] comme un socialisme rajeuni et rénové, il attirera à lui l’immense majorité de la nation française17 ». Il en va donc du recrutement des militants et des résultats aux prochaines élections. À l’exception de quelques repentis qui se sont « rachetés » au péril de leur vie, le congrès vote alors l’exclusion de quatre-vingt-trois de ses anciens parlementaires18. En 1959 encore, Jacques Piette, dit Personne, chef militaire national de l’OCM, considère qu’il en allait de la « réhabilitation » même du parti19.
11La condamnation précoce de ceux qui ont voté « oui », actée par leur exclusion du parti clandestin dès l’automne 1942, interroge puisque la liberté de vote leur avait été accordée le 8 juillet 194020. Aux lendemains de la Libération, les uns et les autres peuvent publier leurs récits des journées de juillet, les uns se justifiant, les autres accusant les précédents. À cette date, leur conviction est faite et leur mémoire de l’événement est déjà fixée. Léon Blum a ainsi entrepris d’écrire ses Mémoires juste après son arrestation, le 15 septembre 1940, à Chazeron puis à Bourrassol. Il précise leurs conditions d’écriture :
« Je n’ai pas tenu de journal dans ma cellule, aucun document sous la main. J’ai écrit avec un recul, de trois mois au plus, en profitant de ce que mes souvenirs avaient encore de précis et de fort. J’ai essayé avec les éléments partiels dont je disposais, de me fixer une image impartiale des événements, et surtout, de me les rendre intelligibles à moi-même21. »
12Il s’agit donc bien de donner du sens à ce qui s’est passé. Comment la Chambre du Front populaire a-t-elle pu abandonner la République ? Le souvenir traumatique que les témoins ont conservé de ces journées de Vichy a été diffusé de proche en proche – quelle que soit leur version d’ailleurs, celle d’un moindre mal inévitable, ou celle d’une trahison de la République. Plusieurs socialistes qui ont refusé les pleins pouvoirs à Pétain, au premier rang desquels Léon Blum, ont certes été internés ou assignés à résidence, mais Dormoy, Auriol, Moch et autres ne sont pas pour autant restés isolés : ils s’écrivent et reçoivent des visites. Léon Blum est ainsi en contact étroit avec Daniel Mayer. Dès février 1941, le texte en anglais et publié à Londres par Louis Lévy montre que des informations ont filtré. Si le nom de tous les votants ne lui sont pas parvenus et s’il ne cite évidemment pas ses sources, il est toutefois en mesure de décrire « le désordre des choses [qui] provoquait le désordre des esprits », en particulier dans « un groupe parlementaire incapable de prendre une décision », et de fustiger « les capitulards22 ». Or tous décrivent les ravages de la peur qui s’empare des élus, ravages auxquels ils ont assisté impuissants. Même Félix Gouin, qui était pourtant paul-fauriste et a priori mieux placé pour convaincre ses camarades, avoue y avoir renoncé23. Louis Gros évoque « une atmosphère de véritable panique, toujours sous la menace du double épouvantail de la dictature militaire et de l’encerclement de l’ennemi24 » ; Vincent Auriol dénonce « la couardise25 » des parlementaires ; Paul Ramadier, plus lucide, la situe dans un contexte plus vaste : « Jamais je n’arracherai de ma mémoire la honte de cette journée, où la lâcheté des individus était noyée dans la lâcheté collective de l’Assemblée et, par-delà les murs du casino de Vichy, dans la lâcheté hébétée de ceux qui voulaient oublier la défaite et la servitude en célébrant l’arrêt de la bataille et le retour de la paix26. » Joseph Paul-Boncour ne dit pas autre chose : « Sous les verrières poussiéreuses de cette salle des pas perdus d’exode, ou sur la terrasse au plein soleil, j’ai vu la peur… » Peur d’être accusés d’être responsables de la défaite par les Français, peur des Allemands qui étaient à Moulins, peur de Weygand qui était à Clermont et susceptible de faire un pronunciamento, peur balayée d’un revers de la main par un « Tout cela était puéril » de l’auteur27. Bien entendu, ce sinistre spectacle fait d’autant mieux ressortir la fermeté des Quatre-Vingts. Comme Paul-Boncour, la plupart d’entre eux affirment avoir retranscrit leurs impressions sur le papier à chaud, ce qui serait une garantie d’objectivité. Toutefois, le récit qui a le plus grand retentissement, parce qu’il est prononcé lors du procès Pétain, que couvre une multitude de journalistes venus du monde entier, est celui de Léon Blum, le 27 juillet 1945 :
« C’est un spectacle qu’il est difficile d’évoquer sans un certain frémissement. J’ai vu là pendant deux jours, des hommes s’altérer, se corrompre, comme à vue d’œil, comme si on les avait plongés dans un bain toxique. Ce qui agissait c’était la peur, la peur des bandes de Doriot dans la rue, la peur des soldats de Weygand à Clermont-Ferrand, la peur des Allemands qui étaient à Moulins. Ce que l’on appelait le Marais dans les assemblées révolutionnaires a connu une peur de ce genre, le 31 mai ou le 9 Thermidor. J’ai compris, je vous assure, pourquoi on avait appelé cela le Marais. C’était vraiment un marécage humain dans lequel, on voyait, je le répète, à vue d’œil se dissoudre, se corroder, disparaître tout ce que l’on avait connu à certains hommes de courage et de droiture28. »
13Dans ses Mémoires écrits en prison et publiés dix ans après le procès Pétain29, Léon Blum parle déjà d’un « spectacle » qu’il qualifie d’affreux et qui lui fait monter la honte au visage et lui serre la gorge d’amertume. Il s’agit bien d’une « scène » traumatisante : « Comme je voudrais que le souvenir pût en être aboli ; comme je voudrais surtout l’avoir oubliée moi-même », s’écrit-il. Il utilise déjà la métaphore du bain pour décrire l’atmosphère du 9 juillet :
« Les hommes que l’on voyait tournoyer dans le hall, se grouper, se séparer, se chercher à nouveau, semblaient plongés dans on ne sait quel affreux mélange, dans un bain corrupteur d’une telle puissance que ce qui le touchait à l’instant en sortait empoisonné. Le venin opérait à vue d’œil, on assistait à sa marche. »
14La différence avec sa déposition postérieure, c’est qu’il rappelle alors « dans quelle disposition courageuse, déterminée, j’avais vu la veille la plupart de mes camarades » et qu’il décrit la « résolution encore plus énergique » de ceux qui arrivaient tout juste. De sorte que la suite n’en est que plus terrible :
« Mais ils étaient maintenant à Vichy. Depuis leur arrivée, ils trempaient, eux aussi, dans le bain vénéneux, et la contagion avait agi. En quelques heures, les pensées, les paroles, les visages même étaient devenus méconnaissables. Il semblait, à la vérité que quelque cinéaste de génie eût voulu peindre dans un “dessin animé” la propagation de la peur. Car le poison qu’on voyait ainsi agir sous ses yeux, c’était la peur, tout bonnement la peur panique. »
15Serait-ce le décor d’opérette du Casino et de la ville d’eau qui a inspiré à Léon Blum cette comparaison avec un dessin animé ? Toujours est-il qu’elle fait ressortir la dimension pitoyable de cette triste farce. Lors du procès Pétain, Léon Blum préfère monter en généralité et ne pas s’appesantir sur le groupe socialiste ; ce qui se comprend aisément. Cette peur, dont tous témoignent à la Libération, ne saurait être une circonstance atténuante – on l’a dit : ceux qui ont failli n’étaient pas d’authentiques socialistes puisque le socialisme ne saurait faillir…
16Ces journées de juillet 1940 constituent, par conséquent, un traumatisme irrémédiable au point de tomber dans le domaine des idées reçues : elles marqueraient le début de la collaboration et de la résistance en déterminant les comportements ultérieurs des parlementaires30. Mais, dans l’immédiat, à quoi servent cette description si haute en couleurs et cette diabolisation des journées de juillet ?
Une épine dans le pied : la contre-mémoire des paul-fauristes et autres exclus
17L’ancien secrétaire général Paul Faure réussit à rassembler autour de lui la plupart des parlementaires exclus par la SFIO en novembre 1944, des syndicalistes proches de René Belin et Georges Dumoulin qui, ayant soutenu la Charte du Travail, n’ont plus leur place à la CGT, et une poignée d’irréductibles guesdistes. Se prétendant les « gardiens de la Vieille Maison », en écho au congrès de Tours où Paul Faure a hérité du secrétariat général, ils finissent par créer un micro parti, le Parti socialiste démocratique (PSD) en août 1945, et se doter d’un journal, Le Socialiste (1945-1948) puis La République libre (1948-1960)31. Sur le terrain politique et plus particulièrement électoral, leur poids semble négligeable, d’autant que la plupart d’entre eux sont inéligibles jusqu’en 1953. Il n’en demeure pas moins qu’ils pèsent sur la conscience des socialistes tel un remords vivant. D’une part, le PSD adhère en octobre 1946 au Rassemblement des gauches républicaines (RGR) ce qui lui permet de jouer les troubles fêtes dans certaines élections ; d’autre part, son journal acquiert une audience certaine auprès des exclus ou évincés, non seulement de la SFIO mais aussi d’autres familles politiques. De sorte que les paul-fauristes trouvent leur place au sein de « l’opposition nationale au système », baptisée ainsi par le journaliste et éditeur d’extrême droite, Henry Coston32. Ils adhèrent à sa vision complotiste qui dénonce la Libération comme un coup de force contre la IIIe République fomenté par des usurpateurs de tout poil, et produisent une contre-mémoire qui ne peut être négligée si l’on veut comprendre cet acharnement de la SFIO à ressasser son passé.
18Le PSD dispose, en effet, de quelques candidats et élus juste assez visibles pour se rappeler au bon souvenir des socialistes. Lors de ces joutes électorales et verbales, la mémoire immédiate est mise à contribution par les deux camps. À Toulouse, Raymond Badiou, ancien chef régional de France au Combat, a été désigné à la tête de la délégation municipale en août 1944, alors qu’il était inconnu dans la ville, à la place de Raymond Naves qui venait d’être déporté. Très à gauche, sa politique municipale est à l’origine du mythe de « la République rouge de Toulouse » à la Libération. Lors des élections de mai-juin 1945, l’ancien maire paul-fauriste, Gabriel Ellen-Prévot, révoqué par Vichy en septembre 1940, constitue une liste dissidente intitulée « liste socialiste SFIO et de légalité républicaine » pour récupérer tous ceux que les mesures de socialisation ont choqués. L’Espoir contre-attaque le 24 avril 1945 en criant à « la trahison » : Ellen Prévot a publié un texte de soutien à Pétain le 9 août 1940, a collaboré avec ses Ferronneries du Midi et, pour faire bonne mesure, aurait dénoncé Raymond Naves ! Le 6 septembre, Badiou, élu maire, fustige « ces personnages qui étaient à plat ventre sous l’Occupation » et qui « ont été exclus du parti où leur retour aurait été un affront aux Résistants33 ». Quelques autres cas peuvent être signalés tels qu’Émile Masquère en Haute-Garonne, réélu conseiller général de Saliès-du-Salat en 1945 et 1951 et candidat au Conseil de la République en 1948 sous étiquette PSD34 ; ou Louis Dubosc dans le Gers, secrétaire fédéral PSD, qui devient vice-président du RGR en 1949. En fait, la seule fédération vraiment menacée est celle de Saône-et-Loire, le bastion de Paul Faure avant-guerre. Au Creusot, le résistant de Libération-Nord, Jean Vailleau, représente le PSD aux élections cantonales et législatives de l’automne 1945. À Chalon-sur-Saône, Julien Satonnet est nommé maire en septembre 1944 par le Comité départemental de libération (CDL), puis réélu sur une liste d’Union républicaine, socialiste et gaulliste en avril 1945. Il a tenté en vain d’éviter l’exclusion des deux députés paul-fauristes, Georges Nouelle et René Burtin, au congrès fédéral d’octobre 1944 et a provoqué la scission de sa fédération. Il est élu conseiller général PSD en octobre 1945 et conseiller de la République RGR en décembre 1946. Il conserve la mairie de Chalon en 1947, de sorte que Georges Nouelle, redevenu éligible, peut la récupérer en 1953, la conserver en 1959, et entrer à son tour au conseil général en 1956. C’est pourquoi, en 1953, dans un courrier au secrétaire général adjoint, le député Pierre Mazuez reconnaît que la fédération est mal en point et que la section de Chalon « est décapitée par la scission paul-fauriste35 ».
19Publiquement, quelle stratégie la SFIO reconstituée doit-elle adopter ? Le mépris et le silence sembleraient de mise mais peuvent être risqués. D’abord, elle rappelle en toute occasion qu’elle « demeure le seul “vieux” Parti, rénové certes, mais fidèle à ses traditions et à sa doctrine », en n’oubliant jamais d’associer Guesde à Jaurès36. Puis à mots couverts, Le Populaire se fait l’écho du malaise. Au lendemain de la scission d’octobre 1944 de la fédération de Saône-et-Loire, Marcel Bidoux reconnaît qu’elle a subi « un choc opératoire » en excluant le député – sans le nommer – « le plus célèbre en France après Léon Blum », mais lui prédit un complet rétablissement37. En janvier 1945, Daniel Mayer lui-même se résout à dénoncer les paul-fauristes – toujours sans les nommer, et n’attire « l’attention sur les agissements de ces gens que pour souligner qu’ils sont décidément incurables ». Une brochure défend, en effet, « l’ancien secrétaire du parti » en minorant sa nomination au conseil national de Vichy et en relativisant le vote du 10 juillet 194038. Ces journées de juillet 1940, toujours présentes dans les esprits, sèment le doute.
20Le principal argument en défense seriné par les exclus est que Léon Blum aurait renoncé à les guider, comme il l’avait toujours fait, y compris lors de la ratification des accords de Munich le 4 octobre 193839. En ne leur donnant aucune consigne, il porterait, en quelque sorte, une part de responsabilité. Jean Castagnez, député du Cher exclu, a conféré un écho à cette accusation avec sa brochure Précisions oubliées, financée par Bernard Ménétrel, le médecin de Pétain qu’il a rencontré à Fresnes en tant qu’avocat40. Distribuée à tous les députés de l’Assemblée nationale constituante de 1945, elle connaît un certain succès auprès des adversaires des socialistes puisqu’il faut la rééditer. Castagnez peut reprendre sa thèse dans Paroles françaises, journal d’extrême droite, fondé par André Mutter, dans une lettre ouverte à André Philip : « Un socialiste d’hier a un socialiste d’aujourd’hui41. » Les anciens parlementaires André Février, en 1946, puis Sabinus Valière et Marcel Vardelle, en 1949, lui emboîtent le pas42. De même, Charles Pivert, ancien garde du corps de Léon Blum et fidèle de Paul Faure, considère que Blum a été « le chef incontesté ; le chef qui entraînait – pour les grands problèmes – le parti là où il voulait ». Et de demander avec rancœur en 1951 :
« Pourquoi, en 1940, à Vichy, a-t-il tout abandonné ? Pourquoi a-t-il fait savoir qu’il démissionnait de la présidence du Groupe parlementaire et de la direction du Populaire ? Alors que les députés socialistes, désespérés, désemparés, ne savaient comment faire ? Pourquoi ce chef a-t-il abandonné ses troupes ? […] Pourquoi a-t-il accablé d’anathèmes ceux qui, à Vichy, n’avaient pas voté comme lui ? Que n’a-t-il usé de cette virulence à Vichy même AVANT le vote ? Il aurait peut-être changé de nombreux votes43… »
21C’est pourquoi tous ceux qui n’ont pas cédé le 10 juillet 1940 insistent tant sur cette peur qui se serait emparée de tous les autres dans leurs récits. Elle permet d’éluder le silence, avéré, de Léon Blum. C’est oublier les déchirements du parti depuis Munich et surtout la haine que suscitait alors l’ancien Président du Conseil, haine teintée d’anti-sémitisme, y compris chez certains socialistes, circonstances qui ne favorisaient guère la prise de parole du vieux tribun44. Lui-même s’en explique affirmant que, se voyant « définitivement séparé » de la plupart de ses camarades et que « l’heureuse illusion » qui l’avait bercé lors de la réunion du groupe le 8 juillet s’étant entièrement dissipée, il n’avait pas voulu « offrir le spectacle public de ce reniement45 ». Il n’y a de pire haine que fratricide. Face à cette contre-mémoire, les socialistes résistants ont tenté de réagir dès 1944. Ainsi, en août à Alger, Pierre Dupradon explique la déficience du parti aux heures cruciales par « une grave crise interne » qu’il fait remonter au pacte franco-italien de 1935, avant même le Front populaire. Selon lui, la SFIO n’avait plus de politique extérieure cohérente par la faute de « l’action dissolvante de Paul Faure et de quelques élus trembleurs ». Pour décharger l’un de toute responsabilité, il diabolise l’autre :
« L’influence personnelle indéniable du secrétaire du Parti freinait considérablement le redressement indispensable. Paul Faure, qui avait par son passé et son ascendant oratoire une grosse influence sur les masses, menait le groupe de ceux qui se révélaient comme des partisans de la paix à tout prix. […] L’autorité personnelle de Léon Blum lui-même ne suffisait plus à rassembler les militants autour d’un programme précis. Paul Faure et quelques-uns de ses amis, ceux que nous retrouvons aujourd’hui autour de Déat, le collaborateur, ou de Frossard, l’attentiste, ont virtuellement brisé l’unité de la SFIO au moment même où elle aurait dû être plus forte que jamais46. »
22La représentation de ce duel varie, par conséquent, en fonction de celui que l’on veut accabler. Au congrès de novembre 1944, Daniel Mayer, en déclarant : « Je plains ceux des socialistes qui ne considéreraient pas comme nous que Léon Blum est le plus grand47 », montre bien à quel point la blessure est profonde.
23En outre, les exclus embrassent la théorie du complot des vaincus de la Libération qui veut que la Résistance et l’épuration ne soient que des prétextes pour s’arroger le pouvoir. Cela leur permet de stigmatiser l’équipe issue de la Résistance, qu’il s’agisse de Daniel Mayer ou ensuite de Guy Mollet, « l’inconnu d’Arras », comme étant « une bande d’usurpateurs ». Robert Lazurick, en délicatesse pour avoir publié L’Aurore dans la clandestinité à partir de 1942 sans l’aval du parti, dénonce « l’esprit de secte » de la SFIO dans son éditorial du 28 septembre 194448. Son journal accueille des articles d’exclus tels Albert Rivière et Fernand Roucayrol. Paul Faure, quant à lui, n’hésite pas à collaborer au mensuel d’extrême droite du pétainiste René Malliavin, Les Écrits de Paris. Dans De Munich à la Ve République en 1948, il justifie son pacifisme intégral depuis Munich « fidèle à l’idéal de Jaurès » et sa politique de présence sous Vichy et, jugeant le régime actuel illégitime, en appelle à une Ve République sous le signe de la réconciliation nationale. Il récidive avec Fondateurs et exploiteurs du système. Histoire d’un faux et de ses conséquences, juste avant la crise du 13 mai 195849.
24Cette contre-mémoire empêche les socialistes, déjà taraudés par le remords, de tourner la page. De sorte que le manichéisme prévaut dans leur mémoire immédiate des comportements des uns et des autres sous l’Occupation, une mémoire où le mauvais et le bon ont chacun droit à un traitement spécifique.
De la damnatio memoriae à la synecdoque
25La contrition conduit à jeter l’anathème50 sur ceux qui ont failli, lequel se traduit, en mode mineur, par l’occultation et, en mode majeur, par une damnatio memoriae. À l’inverse, le parti entend valoriser ceux qui, à ses yeux, ont sauvé l’honneur du parti. Par synecdoque, il les considère comme ses seuls authentiques représentants sous l’Occupation.
26Toute chose étant égale par ailleurs, dans la Rome antique, la damnatio memoriae était une condamnation à l’oubli post-mortem votée par le Sénat. Elle ne consistait pas à supprimer le souvenir d’un personnage historique de la mémoire individuelle des citoyens, mais à le priver des formes publiques – scripturaire, statuaire, monumentale – de la célébration du souvenir51. Ces deux procédés vont d’ailleurs s’avérer récurrents, voire structurels, avec le parti d’Épinay. Paul Faure et ceux qui lui sont restés fidèles, tous les « oui » du 10 juillet 1940 qui ont été exclus, tous ceux qui ont participé à L’Effort ou au Rouge et le Bleu de l’ancien ministre du Front populaire Charles Spinasse, et les collaborationnistes tel Paul Rives sont désormais condamnés à l’oubli52. Le nom de Paul Faure ne sera plus prononcé ni écrit même lorsque l’on parlera de lui. Ainsi, l’ancien secrétaire général déchu n’est désigné par son nom que dix fois lors du congrès de novembre 1944, alors que Daniel Mayer et ses camarades entreprennent de raconter, par le menu, l’histoire du parti depuis 1938 ; ils préfèrent évoquer l’ancien « secrétaire général », ou « le secrétariat général », ou « la CAP » (Commission administrative permanente). À la première occurrence, d’ailleurs, c’est pour décréter que le nom de Paul Faure « incarne la trahison53 ». Au congrès suivant d’août 1945, il n’est énoncé que trois fois : une fois par Daniel Mayer pour craindre que si l’on réintègre un exclu, on finisse par réintégrer Paul Faure, et deux fois par Louis Escande, le secrétaire fédéral de Saône-et-Loire, le département de l’ancien secrétaire général54. Dès lors, le pli est pris et l’analyse lexicologique de tous les congrès jusqu’en 1958 montre que son nom n’est plus prononcé que par inadvertance55. À moins qu’en 1953, Max Lejeune, fidèle d’entre les fidèles paul-fauristes jusqu’à son retour de captivité, ne commette un lapsus56 ? Quant au Populaire, nulle trace de « Paul Faure », même pas dans la publication d’une liste des inéligibles frappés d’indignité nationale par la Haute Cour de justice57. De même, les mésaventures judiciaires de Marcel Déat, Charles Spinasse, Paul Rives ou Adrien Marquet sont brièvement évoquées, à l’instar d’autres collaborationnistes, mais sans un mot sur leur passé socialiste58. Et lorsque le procès de François Chasseigne est couvert, chaque jour, par André Fontain, il prend garde de ne pas mentionner l’un de ses avocats à la différence de la presse généraliste : il s’agit d’un ancien député exclu, Jean Castagnez, demeuré fidèle à Paul Faure59. Ce silence, comment s’en étonner ? Lorsque les ouvriers de Muret et de Toulouse organisent une fête pour le jubilé de Vincent Auriol, Léon Blum raconte longuement la reconstruction de « la vieille maison » au lendemain de Tours sans un mot pour son principal artisan sur le terrain, Paul Faure60.
27Cette damnatio memoriae est certes relayée au niveau local mais pas de manière systématique. Ainsi en 1933, Georges Rougeron, qui faisait partie de la jeune garde de Marx Dormoy, a fait préfacer son Aperçu historique sur le mouvement socialiste dans l’Allier par Paul Faure. Devenu secrétaire fédéral à la Libération, il le réédite en 1946, avec un titre légèrement différent et surtout une nouvelle préface, celle du chef de Libération-Nord, Henri Ribière. Fabien Conord a montré que l’édition indésirable demeurait introuvable dans le fonds Rougeron de la médiathèque municipale de Commentry, laquelle regroupe pourtant toutes ses autres publications61. D’autres fédérations, cependant, ne veulent pas oublier leurs exclus et souhaitent, au contraire, les réintégrer62. La damnatio memoriae n’a alors qu’un temps, et encore est-elle cantonnée au Populaire. Ainsi, lorsque Jean Brigouleix exprime son espoir de voir les socialistes arracher la mairie de Limoges aux communistes dans une série de reportages sur les municipales d’octobre 1947, il ne dit mot de celui qui anime la liste SFIO, le paulfauriste exclu Léon Betoulle. Mais lorsque ce dernier retrouve le siège de maire qu’il a occupé de 1912 à 1941, il n’est plus possible de l’ignorer63. D’autres font preuve d’une discrète fidélité. Ainsi, Max Boyer, membre du parti socialiste clandestin, est devenu le directeur du Maine Libre à la Libération. Cet ancien pacifiste paul-fauriste autorise les imprimeries du journal à sortir De Munich à la Ve République de Paul Faure en 194864.
28Parfois Le Populaire peut se montrer moins sévère et se contenter de l’occultation. Ainsi, lorsque Sylvain Blanchet, député de la Creuse, suspendu de tout mandat SFIO pendant quatre ans pour son vote du 10 juillet, meurt accidentellement en voiture dans la nuit du 2 au 3 août 1947, le quotidien publie le lendemain une nécrologie louant son activité au sein de la commission de l’Agriculture sous le Front populaire, puis son rôle au Conseil économique depuis la Libération. Elliptique sur l’Occupation, l’article jette un voile pudique sur le sujet qui fâche65. Et, lorsqu’en 1946 Augustin Laurent préface une brochure de Raymond Gernez – le seul qui, après avoir voté les pleins pouvoirs le 10 juillet, réussit à se racheter par son activité au service du Comité d’Action socialiste (CAS) – il présente « le jeune et actif député-maire de Cambrai » dans un saisissant raccourci :
« En 1936, je le retrouvais député et n’en fus nullement étonné, car j’avais suivi son développement avec le plus grand intérêt. Je ne fus pas davantage surpris de le savoir à la pointe du combat, je veux dire aux postes les plus périlleux de l’action de résistance que les socialistes groupés dans le CAS entreprirent dès la fin de 1940 en zone occupée66. »
29Un lecteur averti pourrait s’étonner que Laurent ne soit « pas davantage surpris » qu’un député ayant fauté le 10 juillet ait pu basculer si vite dans la Résistance. Mais qui aurait le mauvais goût de s’en souvenir, du moins chez les socialistes ?
30Parallèlement, en mars 1946, Daniel Mayer appelle le peuple de France à « se grouper derrière le Parti dont les hommes ont eu le courage, dans les moments les plus difficiles, d’assumer tous les risques. Nous continuerons sous une autre forme, le même combat pour lequel sont tombés Léo Lagrange et Marx Dormoy, Pierre Brossolette et Suzanne Buisson67 ». En associant dans le même sacrifice le soldat mort au front, l’ancien ministre assassiné, le résistant qui s’est suicidé et la résistante décédée en déportation, il en fait, par synecdoque, les représentants d’un parti idéalisé.
31Les « Trente-Six » socialistes qui ont voté « non » le 10 juillet 1940 sont également mis en avant, quand bien même pour arriver à ce nombre est-il nécessaire de rapatrier certains transfuges de l’Union socialiste républicaine, tels Paul-Boncour et Ramadier. Dès août 1944 à Alger, Pierre Dupradon écrit :
« Ceux-là [les 36] se sont montrés clairvoyants. […] Ceux-là sont restés fidèles à leur mission de représentant du peuple en refusant de souscrire à ce coup d’État qui n’osait même pas s’avouer. Leur geste n’a pas été inutile, puisqu’il a permis à une partie de l’opinion publique, abusée, de se ressaisir et de se regrouper. Le vote de nos 36 camarades socialistes a permis de classer véritablement l’opération que venait d’effectuer Laval68. »
32Comme tous les Quatre-Vingts, ils sont honorés par la nation69. Dès 1945, la République leur décerne une médaille avec l’inscription suivante : « Le X juillet MCMXL Quatre-Vingts républicains par leur vote contre la dictature affirmèrent leur volonté de résistance, leur amour de la liberté et leur foi dans la patrie invaincue. Hoste contempto in tyrannidem surrexerunt70. » Puis en 1946, ils sont exaltés par l’un d’entre eux, le radical Jean Odin. Il publie plusieurs textes de socialistes, de Félix Gouin et Joseph Paul-Boncour en guise de préface, de Paul Ramadier, d’André Le Troquer qui était sur le Massilia et de Jean Pierre-Bloch alors prisonnier de guerre71. Jean Odin compare les « Quatre-Vingts » aux « Trois Cent Soixante-Trois » qui, le 19 juin 1877, s’opposèrent au duc de Broglie et à Mac-Mahon. Non seulement ils figureraient la première forme de résistance, mais par synecdoque, là encore, ils incarneraient la Résistance tout entière, en ignorant ou en oubliant la complexité des parcours ultérieurs des parlementaires du 10 juillet. Loin de tout déterminisme, Olivier Wieviorka a bien montré que tous les « non » n’étaient pas entrés en Résistance, alors que tous les « oui » n’avaient pas dérivé dans la collaboration72. Au nombre de ces derniers, le député du Nord socialiste Raymond Gernez est d’ailleurs cité en exemple en novembre 1944 pour avoir immédiatement compris l’étendue de sa faute et, contrit et repentant, s’être mis au service de son parti dans la clandestinité. Quoi qu’il en soit, être membre des Quatre-Vingts conforte le capital politique de personnalités qui, en d’autres temps, n’en auraient guère eu besoin. Nombre des « Trente-Six » qui ont survécu sont ainsi appelés aux plus hautes fonctions sous la IVe République, au premier rang desquels Vincent Auriol à la Présidence de la République, ou Léon Blum, Félix Gouin et Paul Ramadier à la présidence du Conseil73. En pleine campagne pour les municipales d’octobre 1947, le président du Conseil, Paul Ramadier, ne manque pas de dévoiler en personne une plaque à la mémoire d’Arthur Chaussy à Melun et de le citer en exemple à l’heure où la République est menacée, sous-entendu par le RPF et le PCF74. Quant aux membres des Quatre-Vingts victimes de l’Occupation, ils font l’objet d’un véritable culte, tels Marx Dormoy, ancien ministre de l’Intérieur du Front populaire et sénateur de l’Allier, assassiné par la Cagoule en juillet 1941, et Augustin Malroux, ancien député du Tarn, mort en déportation.
33En contre-point à l’occultation et à la damnatio memoria, la synecdoque doit donc permettre d’identifier la SFIO comme un parti « issu de la Résistance ». En cela, les socialistes font le choix du qualitatif quand les communistes font celui du quantitatif avec leurs « 75 000 fusillés ». À court terme, cette stratégie permet de restaurer l’estime d’eux-mêmes des socialistes, en tant qu’hommes, mais il n’est pas certain qu’ils aient retrouvé leur confiance en l’organisation partisane. De plus, en personnalisant la résistance des socialistes au travers de quelques figures, elle nuit à la représentation de la SFIO comme « parti surgi de la Résistance » et à son inscription en tant que tel dans la mémoire collective nationale à long terme.
34En interne, cette bataille identitaire et mémorielle engagée très tôt par la nouvelle direction lui permet de reconstituer le parti dans toute la France et de tenir son rang au sein du gouvernement tripartite. En revanche, elle ne semble pas enrayer l’érosion de son électorat au fil des législatives, puisqu’il passe de 23,4 % des suffrages exprimés en octobre 1945 à 14,6 % en juin 1951 en dépit des apparentements. Cette mémoire immédiate imposée par en haut n’a pas eu l’effet escompté, alors que le scrutin de liste exigeait d’installer une bonne image du parti lui-même dans l’opinion publique. Localement toutefois, le bilan est moins sévère, puisqu’aux municipales d’octobre 1947 les socialistes regagnent des voix perdues sur leur gauche et, qu’en 1953, ils progressent75. Au-delà des conséquences de la guerre froide et des jeux d’alliances de Troisième Force, leurs pratiques mémorielles contribuent, par conséquent, à cette meilleure perception des socialistes à l’échelon local. L’analyse doit donc intégrer un jeu d’échelles.
Héroïsations et panthéonisations : jeux d’échelles
35L’apologie répétée et scénarisée des résistants est nécessaire pour que la synecdoque, consistant à faire de cette minorité l’incarnation du parti dans son ensemble, ne soit pas qu’une figure rhétorique. Or à la Libération, la Résistance se raconte partout sur le mode épique et le « héros » devient un topos incontournable. Non seulement il occupe la place centrale du récit, mais il a accompli des actions si remarquables qu’il en devient parfois sacré au sens d’un demi-dieu de l’Antiquité. Marc Carriche peut ainsi écrire : « L’Une des plus belles pages de l’héroïsme français, de l’héroïsme humain, s’est écrite avec du sang ces dernières années. Elle doit prendre place dans notre histoire76 », cet héroïsme sacrificiel justifiant un devoir de mémoire avant la lettre77. Or l’héroïsation ne va pas de soi chez les socialistes qui, en théorie, exaltent plutôt les masses, la classe ouvrière et le peuple plutôt que l’individu, même d’exception. Depuis l’unité de 1905, par souci pédagogique ou de propagande, ils évoquent plus volontiers les « figures » ou les « exemples » de leur histoire commune, à l’instar du canonique Figures de jadis de Léon Osmin (1934)78. Mais les héros sont indispensables à la construction d’une mythologie politique, qu’ils soient investis d’une fonction téléologique par la gauche ou providentielle par la droite79. Ils mobilisent le renvoi implicite à des valeurs universelles80, universalité à laquelle aspire le socialisme. Tout l’entre-deux-guerres, les socialistes ont ainsi usé de la figure de Jaurès, mais elle est disputée par les communistes et nationalisée depuis son entrée au Panthéon en 192481. Alors puisque tout un chacun loue les « héros et de martyrs » de la Résistance aux lendemains de la guerre, les socialistes ne peuvent être en reste.
36Quels sont les critères de l’héroïsation et qui les édicte : le parti au niveau national ou les fédérations au niveau local ? On peut se demander si les élus sont tributaires des homologations officielles, telles que l’Ordre de la Libération ou la carte de Combattant volontaire de la Résistance82. L’on sait qu’elles ont suscité autant de débats au Parlement que de revendications insatisfaites de la part des associations d’anciens combattants ou d’internés et de déportés83. Les socialistes héroïsent-ils seulement leurs morts ? Car le martyr permet de cristalliser la mémoire collective laquelle, à la Libération, est d’abord funéraire84. Dès l’automne 1944, les délégations municipales provisoires sont sollicitées pour permettre aux familles de ceux qui ont été exécutés et enterrés dans des fosses communes de récupérer leurs dépouilles et leur offrir de véritables funérailles. Quant aux déportés, les nouvelles tardent et il faut souvent attendre juin 1945 pour connaître leur sort, et bien plus encore pour obtenir le rapatriement – trop rare – de leurs corps. La nécessité pour les vivants de pouvoir accompagner leurs défunts dans ce rite de passage que constituent les obsèques est une donnée anthropologique85, et la Grande Guerre a déjà été l’occasion, pour nombre d’endeuillés européens, d’en être cruellement privés86. Des historiens ont étudié les usages civiques ou politiques des funérailles, soit de « Grands Hommes » dans le cadre national, soit de figures politiques de l’opposition87. Toutefois la singularité de ces obsèques différées aux lendemains de la Libération, conçue comme une difficile « sortie de guerre88 », n’a pas encore focalisé leur attention89. À quoi sert ce rituel de réinhumation chez les socialistes ?
Léon Blum ou la statue du Commandeur
37Héroïsé de son vivant, Léon Blum domine incontestablement90. Il a été admiré et loué dès le procès de Riom (février-avril 1942) pour son vibrant plaidoyer en faveur de la République. Au-delà du simple réflexe patriotique qui exigeait de libérer le territoire de l’occupant, il a donné sens à la Résistance en défendant les principes républicains, y compris contre Vichy. Immédiatement, le CAS en a publié les meilleurs passages91. Et grâce à la presse internationale, le retentissement a été tel que les Allemands ont préféré interrompre ce procès qui se retournait contre ses instigateurs. En mars 1943, à Montréal, Suzanne Blum92 a publié L’Histoire jugera, recueil d’extraits du Populaire et du Journal officiel de 1932 à juin 1940, ainsi que de ses interventions à Riom. Préfacé par William Bullitt, ancien ambassadeur américain en France, le livre a eu une réelle audience aux États-Unis et Le Populaire ne manque pas d’en faire la promotion à l’automne 194493. En 1945, Henri Noguères publie La République accuse – Au procès de Riom aux éditions de la Liberté. Daniel Mayer peut déclarer : « Léon Blum, pour l’histoire, restera plus grand à la suite des persécutions qu’il ne l’était à l’heure de l’apothéose », sous-entendu du Front populaire94. Du Populaire en août aux délégués du congrès en novembre 1944, tous veulent croire à son retour prochain de déportation. Lorsque le vieux chef de soixante-treize ans est enfin rapatrié en mai 1945, il est accueilli avec tous les honneurs. Et Daniel Mayer de se laisser aller, lyrique :
« Il est là ! ça y est. Il est là. On n’ose y croire. Et pourtant c’est vrai. J’ai été du petit cercle de privilégiés qui l’ont vu, approché, embrassé. Le Parti retrouve son chef. La France retrouve un de ses plus grands serviteurs, dont l’exemple, avec quelques rares autres, a contribué à lui rendre l’honneur. L’Europe et le monde, décapités par la mort d’un Roosevelt, retrouvent l’un de leurs guides les plus lucides et les plus clairvoyants, l’un des grands constructeurs de paix que les peuples attendent. […] Pour nous, pour le Parti tout entier frémissant de joie qui le salue, l’auteur de À l’échelle humaine est à l’échelle des dieux95. »
38Au-delà de l’émotion, sincère, ces lignes traduisent la stature morale qui est conférée au personnage qui devient l’emblème du socialisme. Et si sa ligne politique est finalement désavouée par les délégués du congrès d’août 1946 qui adoubent Guy Mollet, Léon Blum n’en demeure pas moins la figure tutélaire dont l’anniversaire est fêté avec dévotion chaque mois d’avril96 et qui suscite la vénération des foules de sympathisants à chacun de ses déplacements. Cette ferveur est d’autant plus forte, qu’il continue de focaliser la haine de ses adversaires, en particulier communistes, qui, prudents tant que dure le tripartisme, se déchaînent à partir de 1947 contre ce « traître », ce « bourgeois » « vendu aux Américains ». Son internement en tant qu’otage à Buchenwald est présenté comme une villégiature97. Puisque Blum est calomnié, il faut donc le défendre98.
39Sa mort, le 30 mars 1950, et ses obsèques nationales sont l’occasion de faire sortir cette image mythifiée du cercle des intimes, militants et sympathisants99. Le vendredi 31 mars, Le Populaire, cintré de noir, annonce son décès et rapporte les hommages nationaux et internationaux venus du monde entier. Le soir même, la radio lui consacre une émission spéciale du Journal parlé avec Guy Mollet, l’écrivain Jean Guéhenno, son adversaire René Coty, le journaliste Émile Buré, son ami Paul Grunebaum-Ballin, ses camarades Maurice Viollette et Bracke-Desrousseaux et le syndicaliste Léon Jouhaux100. Ses proches, mais aussi des politiques, tels le président du Conseil Georges Bidault, les ministres Yvon Delbos, Henri Queuille et Louis Jacquinot, le président de l’Union française Jacques Fourcade, le président du Conseil d’État René Cassin, le président du Conseil économique et social Léon Jouhaux, se retrouvent d’abord à son domicile de Jouy-en-Josas pour s’incliner devant sa dépouille101. Le président de la République Vincent Auriol, fidèle d’entre les fidèles, et sa femme assistent à la levée du corps le samedi après-midi102. Puis, dans la nuit du 1er au 2 avril, le cercueil est exposé dans le hall du Populaire où 50 000 personnes s’écoulent lentement pour rendre un dernier hommage au défunt. Le dimanche 2 avril après-midi, sous une averse intermittente de pluie et de grêle, un cortège constitué de tous les organes du parti se forme au 61 rue Lafayette pour accompagner son chef jusqu’à la Concorde. Il est précédé par « trois cents drapeaux rouges cravatés de deuil » des sections du parti, de musiciens qui jouent L’Internationale en sourdine et d’une centaine de mineurs du Pas-de-Calais en bleu de travail103. Le char mortuaire est précédé de six autres disparaissant sous les fleurs et couronnes et un vaste coussin avec les trois flèches. « Le peuple républicain et travailleur de Paris » est massé le long du parcours. Place de la Concorde, un catafalque est dressé, face à l’obélisque, dans l’axe des Champs-Élysées. Les éloges funèbres de Daniel Mayer et Guy Mollet au nom du parti, Louis de Brouckère de l’Internationale, et Yvon Delbos du gouvernement se succèdent. Puis, en dépit de la tradition protocolaire, le président de la République, son « frère cadet », Vincent Auriol prend la parole, visiblement très ému et insiste sur sa « haute conception des devoirs de l’homme d’État ».
40La cérémonie est décrite par tous les journaux, filmée et diffusée à la télévision104. Dès le 9 avril, Le Populaire Dimanche, publie un numéro hommage distribué à 130 000 exemplaires105 et, en décembre, un épais numéro spécial avec une couverture de Jean Carlier. La Revue socialiste annonce qu’elle va consacrer un numéro spécial à des morceaux choisis de sa plume en ces termes : « Nous avons conscience de remplir ainsi un devoir de piété envers le meilleur d’entre nous, mais aussi de rendre un grand service à son parti en permettant aux militants de reprendre connaissance de ces textes magnifiques106 … » La presse socialiste et démocrate-chrétienne loue « l’humanisme socialiste » du disparu quand les communistes le vilipendent dans L’Humanité107. En juin 1950, une Société des Amis de Léon Blum, sur le modèle de celle des Amis de Jean Jaurès, est fondée afin de perpétuer sa mémoire et de publier l’intégralité de son œuvre « pour élever un monument plus durable que ces commémorations annuelles, plus durable même que le marbre ou le bronze des monuments publics108 ». Présidée par Alexandre Bracke-Desrousseaux, vice-présidée par Guy Mollet et Julien Cain, administrateur de la Bibliothèque nationale, elle édite un bulletin à partir de 1952 et publie L’œuvre de Léon Blum en neuf volumes chez Albin Michel de 1954 à 1972.
41Statufié de son vivant par les socialistes, Léon Blum semble, à son décès, entrer un temps au « Panthéon moral de la collectivité nationale », comme l’écrit Frédéric Monier, qui montre à quel point cette position fluctue par la suite109. Mobilisé en 1981 – nous y reviendrons – il sombre dans une sorte d’oubli à la fin des années 1990, avant de revenir sur le devant de la scène, au milieu des années 2000, pour incarner la lutte contre l’antisémitisme avec l’affaire Dreyfus, et la défense de la République avec le procès de Riom. Cette exemplarité morale, même si elle pâlit à la fin du siècle dernier, s’est forgée sous l’Occupation et aux lendemains de la Libération. Sans faire de l’ombre aux « héros et martyrs », Blum incarne la vertu en politique et le socialisme en République avec une telle exigence que l’héroïsation des autres figures se doit d’être à la hauteur.
Des héros aux martyrs : un « cortège d’ombres »
42Avec l’ancien président du Conseil, les personnalités adoubées de leur vivant par le secrétariat général ou Le Populaire se caractérisent surtout par leur proximité avec la direction clandestine, à la différence des morts qui reflètent mieux la dispersion des socialistes dans la Résistance. En résistant, les socialistes n’ont fait que leur devoir. Les vivants peuvent donc être promus dans des lieux de pouvoir ou dans les instances du parti et leur passé être une ressource politique dont le parti use en fonction de ses besoins, mais leurs faits d’armes ne sont guère honorés. Quand ils décèdent en revanche, ils rejoignent la cohorte des « héros et martyrs » de la Résistance. Quant aux morts, soit ils occupent une place dans la mémoire nationale, et leur identité socialiste a tendance à s’estomper, soit leur mémoire demeure ancrée dans un territoire, et les sections et fédérations sont plus à même de s’en emparer, surtout s’ils sont tombés alors qu’ils étaient membres de mouvements de Résistance.
43La direction du parti reconnaît d’abord les siens. À l’automne 1944, Le Populaire distingue ainsi Pierre Lambert, l’un des fondateurs du CAS le 9 mars 1941, Gaston Defferre, du réseau socialiste Brutus et de France au Combat, responsable du CAS en zone sud, Augustin Laurent, qui a renoncé à représenter le parti au CNR pour se consacrer à sa fédération, Robert Mauger, membre du comité exécutif du parti clandestin, et Raoul Évrard, jeune socialiste du réseau Brutus110. De même, le congrès de novembre consacre en priorité des militants de l’ombre en la personne des frères Ribière, en particulier Henri, François Tanguy Prigent, devenu ministre de l’Agriculture, et Vincent Auriol, président du groupe parlementaire à l’ACP111. Notons qu’une seule femme a droit à cette marque de reconnaissance : Émilienne Moreau, « héroïne des deux guerres », la seule à être saluée en tant que telle ; il faut dire qu’elle siège à l’ACP112. Quant à Daniel Mayer, le secrétaire général clandestin, ou son adjoint, Robert Verdier, nul n’a besoin de leur dresser des couronnes.
44Lorsqu’Adrien Tixier, qui travaillait au Bureau international du Travail et qui a rejoint de Gaulle à Londres avant de devenir ministre du CFLN113, meurt lors d’une opération le 18 février 1946, il a droit un hommage solennel lors de la levée du corps à Paris, par le président du Conseil Félix Gouin et Léon Blum, en présence de membres du gouvernement, de nombreux socialistes et du représentant du BIT. Plus remarquables sont les présences de Maurice Thorez et Marcel Paul pour le PCF, dont l’ancien ministre de l’Intérieur a dissous les milices – mais au lendemain de la démission du général de Gaulle, le tripartisme resserre ses rangs – et de Gaston Palewski, au nom du Général, qui ne veut pas oublier celui qui l’a représenté aux États-Unis. À Limoges, le cercueil est exposé à la préfecture pour que la population locale puisse le saluer avant son enterrement dans le village de Folles. Si la musique de son cortège est celle de La Marche funèbre jouée par le 3e régiment de zouaves – plutôt que L’Internationale – et si l’envoyé spécial ne relève aucun drapeau rouge ou emblème à trois flèches, les socialistes sont tout de même en bonne place pour faire l’éloge funèbre du défunt : André Le Troquer, son successeur à l’Intérieur, Robert Lacoste, pour le groupe parlementaire, René Regaudie, vice-président du conseil général, Gaston Charlet pour les parlementaires limousins, et Jean Le Bail, le secrétaire fédéral de la Haute-Vienne. Républicain, patriote, résistant, gaulliste… et socialiste, le personnage ne rend pas sa réappropriation politique aisée114. Une dizaine d’années plus tard, sous le gouvernement Mollet, les obsèques d’Henri Ribière, secrétaire général de Libération-Nord et membre du comité directeur de 1944 à 1955, décédé le 25 avril 1956, se prêtent mieux à l’exercice. Elles ont lieu aux Invalides, en présence des représentants de l’Office national des anciens-combattants et victimes de guerre (ONACVG) et de Georges Brutelle, son compagnon à Libération-Nord et secrétaire général adjoint du parti, « au nom de la Résistance115 ». La mort permet au héros d’entrer dans la légende, surtout s’ils ont fait le sacrifice de leur vie pour la nation. Ce sont « les martyrs » qui fixent le mieux le souvenir douloureux de la guerre et qui servent le mieux leur parti au-delà de la mort. Soulignons, toutefois, que les socialistes font preuve en la matière d’une discrétion exemplaire comparée à « l’indécence communiste », selon leur expression, à laquelle ils ne veulent pas céder… du moins en principe.
45Le martyr par excellence est le résistant qui a préféré se suicider plutôt que de céder à ses tortionnaires en mars 1944 : il s’agit incontestablement de Pierre Brossolette. Son épouse, Gilberte, membre de l’ACP de Paris, s’est fait un devoir de préserver sa mémoire et elle-même adhère à la SFIO pour les législatives d’octobre 1945116. Toutefois, la renommée de Brossolette est telle qu’il échappe au parti, d’autant que lui-même ne s’en réclamait déjà plus lorsqu’il a rejoint le général de Gaulle117. Pudeur ou maladresse, les tentatives pour le conserver dans le giron des socialistes semblent au premier abord bien discrètes118. Le 30 septembre 1944, Le Populaire lui rend hommage dans sa rubrique « Nos héros, nos martyrs ». Sous le titre « Militant socialiste, chroniqueur, soldat, agent secret », Roger Guillien fait surtout revivre le parcours du héros dans la clandestinité sur un mode épique et son sacrifice sur un mode tragique119. Le 22 mars 1945, la Sorbonne organise une cérémonie pour l’anniversaire de sa mort ; et en novembre, son ancien lycée, Jeanson de Sailly, inaugure une plaque dans sa cour d’honneur baptisée de son nom. Si la famille – Gilberte, ses enfants et les Ozouf – est bien entendu associée, les socialistes ne sont pas à la manœuvre120. L’année suivante, Le Populaire consacre son éditorial à son ancien rédacteur et constate implicitement que les socialistes n’ont plus l’exclusivité : « Son nom appartient à la légende. […] Il fut le résistant sans peur et sans reproche. Pour nous, du Populaire, il reste le camarade et l’ami121. » Pour son anniversaire, la Radiodiffusion française organise une cérémonie à laquelle participent son directeur général, Wladimir Porché, des journalistes de diverses sensibilités, tels le communiste Pierre Hervé, le progressiste Pascal Copeau, le gaulliste Maurice Schumann, et le surréaliste Philippe Soupault, ainsi que Christian Pinault au nom du parti socialiste et du ministre de l’Information, Gaston Defferre, alors à Prague. Léon Blum, avant de partir à Washington, a enregistré une allocution qui ouvre l’émission « Tribune de Paris ». L’ancien rédacteur en chef vante les qualités exceptionnelles de l’homme de plume et de radio, en particulier lors de la crise de Munich, avant de conclure : « au nom de mon ami Pierre Brossolette, s’attache la gloire impérissable du héros et du martyr122 ». Même si Porché, nommé par Defferre, avait programmé cette émission pour être agréable aux socialistes, ceux-ci sont dans la retenue. Tous les ans, ils rendent ainsi hommage à leur ancien camarade en lui consacrant un article dans Le Populaire ou Le Populaire Dimanche et en organisant des cérémonies mais sans se mettre ostensiblement en avant. En mars 1947, c’est la Fédération nationale des déportés et internés de la Résistance (FNDIR) qui appose une plaque en hommage à toutes les victimes de la Gestapo dans la cour de la Sûreté nationale qui porte désormais le nom de « Pierre Brossolette » ; les ministres socialistes de l’Intérieur, Édouard Depreux, et des Anciens-Combattants, Jean Biondi, en profitent pour prononcer « une brève allocution123 ». Rappelons que la FNDIR est la rivale de la Fédération nationale des déportés et internés résistants patriotes (FNDIRP) d’obédience communiste et que l’un de ses fondateurs est le socialiste Eugène Thomas. L’année suivante, une plaque est apposée sur la maison natale de Brossolette, 77 rue Michel-Ange : où l’on peut simplement lire, comme partout, qu’il est « un héros et martyr de la Résistance, mort pour la France et la liberté ». Le président de la République, son ministre des Anciens-Combattants, François Mitterrand et « toutes les organisations de Résistance » sont présents. Si Christian Pineau prend la parole, c’est en tant que Compagnon de la Libération124. En 1957, Eugène Thomas est secrétaire d’État aux Postes lorsqu’est lancée la première série de timbres « Héros de la Résistance » de cinq noms, parmi lesquels figure Pierre Brossolette. Sa présence au côté de Jean Moulin semble naturelle et le portrait en officier de la France libre n’évoque en rien le socialiste. De sorte que face à la nationalisation de la mémoire de Brossolette, la stratégie de communication du parti n’est certes pas inexistante, mais peut être qualifiée de réservée.
46Il existe, en revanche, des « martyrs » dont le parti peut se réclamer sans réserve et qui, à une échelle surtout locale, peuvent encore servir sa cause. Plusieurs d’entre eux sont réinhumés, ce qui permet de mobiliser les officiels et notables lors de leurs funérailles. Il convient aussi d’inscrire leur mémoire dans la toponymie ou la pierre, même si l’usage commande de ne faire apparaître aucune étiquette politique, laquelle est de toute façon de notoriété publique à la Libération. La fédération de la Loire-inférieure a été particulièrement décimée. Le trésorier fédéral, Alexandre Fourny, maire-adjoint de Nantes et chef régional d’un réseau de renseignement d’anciens-combattants, est au nombre des « 50 otages » fusillés à Nantes le 22 octobre 1941125. Avec ses camarades, son corps a été enterré dans le cimetière de Haute-Goulaine. Il est exhumé le 3 juin 1945, exposé dans une chapelle ardente au musée des Beaux-Arts, puis réinhumé au cimetière de la Miséricorde, où un monument est érigé par ses amis. Comme il est d’usage, ce dernier n’évoque pas le socialiste, mais l’avocat, l’élu et, surtout, son patriotisme (« En protégeant sa patrie, il a remporté la victoire », fig. 1). Le président socialiste de la délégation provisoire, Clovis Constant, a cédé la place aux communistes aux municipales de mai 1945 et, alors que ces derniers tentent de monopoliser la mémoire des otages à Châteaubriant126, l’hommage à Fourny est une pierre dans leur jardin. De même, Marcel Hatet, conseiller municipal de Nantes, agent radio du réseau Buckmaster, torturé à mort le 6 août 1943 et enterré sous le faux nom qu’il a donné à ses tortionnaires à la Gaudinière, n’est identifié que le 17 janvier 1945 et réinhumé peu après127. Le secrétaire fédéral, Albert Vinçon, membre du même réseau que Fourny, a été fusillé au Mont-Valérien le 27 novembre 1942. Son corps est rapatrié à Saint-Nazaire en octobre 1947, où la municipalité socialiste peut lui rendre hommage128. En Charente-inférieure, le conseiller général de La Rochelle, responsable départemental du réseau CND-Castille, membre du CAS et de Libération-Nord, Edmond Grasset, a été abattu par deux miliciens à Paris, le 8 mai 1944. En mai 1946, le parti et Libération-Nord s’associent pour apposer une plaque en sa mémoire et celle de Marcel Bonnet, arrêté le même jour et déporté sans retour, au siège du parti clandestin à Paris, 9 rue Thénard129. Enterré à Thiais, Grasset est réinhumé à La Rochelle le 7 juillet 1946 ce qui permet à la municipalité socialiste de lui organiser des funérailles, avec un cortège le long du Mail puis une cérémonie officielle devant le monument aux morts, où son catafalque demeure exposé toute la journée130. Dans les Basses-Alpes, le conseiller général Louis Martin-Bret, chef départemental de Combat, puis des MUR et enfin du MLN, a été fusillé avec vingt-huit autres camarades au bois de Signes le 18 juillet 1944 et sommairement enterré. Après les obsèques nationales célébrées pour l’ensemble des martyrs de Signes à Marseille, le 21 septembre 1944, il est réinhumé à Manosque le 22. Honoré dès le congrès de novembre 1944 comme « martyr », il permet à sa veuve d’être élue conseillère municipale SFIO de Manosque en avril 1945. Citons, enfin, un cas ne relevant plus d’un territoire mais d’une profession, celle des « hussards noirs de la République » où figurent bon nombre de socialistes. Georges Lapierre, instituteur, dirigeant du SNI et fondateur de L’École libératrice, et Stéphane Piobetta, normalien et agrégé de philosophie, sont sélectionnés pour représenter les enseignants résistants131. Membre de Libération-Nord, Lapierre a été déporté à Dachau, où il est mort du typhus le 4 février 1945 ; et Piobetta a été tué au combat en Italie, à la tête du 22e BMNA, le 14 mai 1944. Leurs dépouilles sont transférées avec celles de huit autres collègues, le 11 novembre 1947, dans la crypte de la Sorbonne où est inauguré le monument aux résistants de l’Éducation nationale par le président Auriol.
Fig. 1. – Monument funéraire à Alexandre Fourny (Nantes).

47D’autres, déportés, ont totalement disparu. Outre l’insupportable incertitude, l’absence définitive de leurs corps rend nécessaires l’érection d’un monument, l’apposition d’une plaque ou la dénomination d’une rue, mais constitue aussi une opportunité politique sur le terrain local. La mort du secrétaire fédéral du Pas-de-Calais, André Pantigny132, à Gross-Rosen le 4 décembre 1944 n’est connue qu’après l’armistice, alors qu’il vient d’être élu conseiller municipal de sa ville, Oignies, en mai 1945. Nord-Matin fait l’éloge funèbre le 18 mai de ce membre de La Voix du Nord, Libération-Nord et du PS clandestin. Le dimanche suivant, « 20 000 socialistes » lui rendent hommage dans sa commune natale, en présence de tous les édiles et parlementaires SFIO de la région, Augustin Laurent, Guy Mollet, Henri Henneguelle, Denis Cordonnier, Just Évrard et Émilienne Moreau, Paul Phalempin et Anselme Beuvry133 : c’est une véritable manifestation de force aux lendemains du succès SFIO aux municipales de mai. Le 4 juin, Pantigny est à nouveau honoré à Oignies, avec toutes les victimes de guerre de sa ville, dont celles du massacre du 28 mai 1940, lors d’une cérémonie présidée par un ministre socialiste, le Lillois Augustin Laurent. Le 23 septembre 1951, enfin, Guy Mollet, Augustin Laurent et Camille Delabre, un temps détenu avec lui en Allemagne, inaugurent un monument en son honneur au cimetière d’Oignies134. C’est l’occasion de porter haut la mémoire de la résistance socialiste dans une région où les communistes ne cessent de revendiquer et de commémorer la grève des mineurs de mai-juin 1941, particulièrement en ce dixième anniversaire135. Or si le mineur communiste Auguste Lecoeur a décrété la grève générale depuis Lens avant l’entrée en guerre de l’URSS, le PCF lui-même n’en réclame la paternité que depuis la Libération, alors qu’elle doit son succès au large soutien des socialistes, des démocrates-chrétiens et des gaullistes. Pantigny, fils de porion, élève méritant devenu instituteur, syndicaliste et militant connu de tous, est lui « un résistant de la première heure », qui n’a pas parlé sous la torture et mort en déportation. Moins connue qu’Oradour, Ascq, ou Tulle, que les communistes enrôlent dans toutes leurs manifestations contre le réarmement allemand cette année-là, sa ville d’Oignies n’en est pas moins « la première cité martyre de la campagne de France », comme l’a rappelé le président Auriol lors de l’inauguration de son mausolée le 13 juillet 1947. Pantigny et Oignies permettent de damer le pion aux communistes.
48Le député du Tarn, Augustin Malroux, l’un des Trente-Six, a été membre du CAS, du réseau CND-Castille, et de l’OCM. Déporté à Bergen-Belsen, il y est mort le 10 avril 1945136. Alors que l’on espère son retour, il est désigné par le préfet du Tarn à la tête de la délégation provisoire de Carmaux le 22 août 1944, puis élu maire le 17 mai 1945. Lorsque la nouvelle de son décès est diffusée à la radio le 28 avril 1945137, la municipalité donne son nom au boulevard de la Gare le 13 juin 1945138. Le 7 avril 1946, en présence du président du Conseil municipal de Paris, André Le Troquer, la section du 15e arrondissement appose une plaque sur l’ancien logis du député. Puis un monument à sa mémoire est inauguré le 11 avril 1948 à Albi, en présence de Michèle Auriol qui représente son mari, de Guy Mollet et Georges Brutelle pour la direction du parti, d’Andrée Marty-Capgras et Jean Biondi, camarades de la lutte clandestine et de nombreux parlementaires et ministres SFIO139. Le compagnon de détention de Malroux, l’abbé Pihan, ayant fait l’éloge funèbre de l’instituteur laïque, Daniel Mayer peut déclarer :
« Cette alliance du prêtre que vous êtes, et à qui personne ne demandera jamais de renier la robe qu’il porte, et du laïque que je suis et que je demeurerai, c’est peut-être cela la Troisième Force qui n’est pas une alliance électorale, ni un décompte de voix, ni une majorité parlementaire, mais constitue l’alliance des hommes et des femmes qui veulent sauver la civilisation. »
49Dans la foulée, Guy Mollet n’hésite pas à dénoncer les fascistes qui s’ignorent : les bolcheviks et les membres du RPF140. Ce jour-là, la réserve socialiste ne semble pas de mise. Dans ces deux cas, le deuil, telle une onde, se propage sur la longue durée et offre au parti plusieurs occasions d’enrôler « le martyr ».
50Au-delà de ces enjeux conjoncturels à différentes échelles, le « martyr » permet, enfin, de conforter les socialistes dans leurs convictions – certains n’hésitent pas à parler de foi – parce qu’en mourant pour ses idées, il a conféré à celles-ci un caractère sacré. C’est ce qu’exprime Pierre Vauthier en hommage à son compagnon de camp, Amédée Dunois, historien et rédacteur du Populaire, en juin 1949 :
« Quelle que soit la répugnance que nous inspire une inflation verbale de certains mots qui, depuis la Libération, […] nous gêne dans l’emploi qu’elle a discrédités, quelque pudeur que l’on ressente maintenant que lorsque que l’on doit parler de “martyrs” et de “héros”, dans la mesure même où la sainteté implique, plus qu’un surpassement, ce détachement suprême de tout ce qui n’est pas la foi, l’aptitude à refuser en soi et dans les autres tout ce qui n’est pas cette foi, dans la mesure aussi où elle s’accompagne d’un rayonnement qui permet à d’autres âmes d’entrevoir certaines hauteurs, je pense qu’il faut reconnaître en Dunois une espèce de sainteté, et voir vraiment en lui […] “un saint laïque”, “un saint socialiste”141. »
51Dans la bouche de cet ancien élève de l’École normale de Varzy, formé à « la laïque », et devenu professeur d’histoire-géographie, les mots sont pesés et la métaphore religieuse n’est pas figure de style. Arrêté en mars 1944, torturé, déporté en juin à Neuengamme puis à Sachsenhausen, revenu invalide, il est autorisé à user de ce registre pour qualifier la dignité, l’humanité et l’espérance jamais prises en défaut de son aîné142.
52Ces « héros et martyrs », par conséquent, se caractérisent autant par leur engagement résistant que par leur engagement socialiste. Ils doivent restaurer l’estime de soi du parti, traumatisé par la trahison d’un certain nombre de ses membres. Et grâce à eux, l’opinion publique doit associer le socialisme à la Résistance, à défaut d’y associer le parti.
Le triomphe post mortem de trois anciens ministres du Front populaire143
53Parmi les martyrs se distinguent les trois anciens ministres du Front populaire qu’ont été Léo Lagrange aux Loisirs et aux Sports, Marx Dormoy à l’Intérieur et Jean Lebas au Travail144. Leur deuil dépasse largement la sphère privée, au point qu’ils ont droit à un hommage officiel de leurs concitoyens auquel s’associe le gouvernement. Et leurs funérailles, différées, sont l’occasion pour les socialistes d’accomplir leur devoir de mémoire tout en faisant un usage politique opportun de ces cérémonies publiques, et ce à différentes échelles. Le plus populaire des ministres du Front populaire, Léo Lagrange, est mort sur le front de l’Aisne le 9 juin 1940, mais son corps, inhumé dans les Ardennes, n’est rapatrié qu’en juillet 1947. Le régime de Vichy a refusé que le corps de Marx Dormoy, assassiné par des cagoulards dans la nuit du 25 au 26 juillet 1941 à Montélimar, soit enterré dans sa ville de Montluçon. Quant à celui de Jean Lebas, déporté en 1942 et décédé au bagne de Sonnenburg en mars 1944, il n’est rapatrié de Pologne qu’en août 1951. Leurs funérailles officielles sont donc différées de plusieurs années : Dormoy est enterré à Montluçon le 9 décembre 1945 ; Lagrange est au nombre des huit « morts de la guerre » honorés au Mont-Valérien le 27 juillet 1947 ; et Lebas est inhumé à Roubaix le 2 septembre 1951. Ces obsèques suscitent une émotion particulière, comme accrue par l’attente, avec un message politique plus ciblé, comme si le recul, là encore, permettait de mieux évaluer l’ampleur de l’héritage et de la perte. Toute proportion gardée, ce décalage temporel les apparente à des funérailles nationales, comme celles de Léon Blum évoquées précédemment, et aux panthéonisations, au premier rang desquelles celle de Jean Moulin en 1964.
54Tout d’abord, les étapes des trois séquences funèbres, de la tombe à la plaque et au monument, ou vice-versa, ont une portée pédagogique et civique au service du socialisme et de la République. Tous trois sont morts en héros de la guerre ou assassinés. Leur faire-part de décès ne revêt donc pas la forme ordinaire de la rubrique nécrologique et contribue à la dramaturgie du programme funèbre.
55Le sous-lieutenant d’artillerie Lagrange meurt d’un éclat d’obus à Évergnicourt, alors qu’il s’était porté volontaire pour une mission sous d’intenses bombardements et est porté disparu le 9 juin 1940 au soir. Son corps est d’abord inhumé sur place par un officier allemand, puis transféré à Avaux dans les Ardennes, mais la nouvelle de sa mort n’est connue en France qu’en février 1941. Pendant plusieurs mois, sa femme Madeleine est laissée dans l’incertitude et les rumeurs courent : il serait prisonnier ; il serait parti à Londres… Identifié, il est alors cité à l’ordre de l’armée145. Au procès de Riom, Léon Blum convoque même sa mémoire devant ses juges en mars 1942.
56Dormoy, qui a voté contre les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940, est interné à Pellevoisin le 25 septembre, puis transféré à Vals-les-Bains. Le 20 mars 1941, il est « confiné » sur le modèle italien à Montélimar. Dans la nuit du 25 au 26 juillet, une bombe cachée dans son matelas explose. Sa sœur, Jeanne, alerte immédiatement ses amis qui accourent146. La nouvelle de son décès est censurée. Vichy interdit à ses proches de rapatrier le corps et de l’accompagner dans le cimetière où il est enterré au petit matin. Par défaut, à Montluçon, les habitants se recueillent sur la tombe de son père, l’ancien maire Jean Dormoy, et la couvrent de fleurs. C’est en prison qu’Auriol et Blum apprennent, sidérés, l’assassinat de leur ami. Alors que les ultras de la collaboration ne cachent pas leur satisfaction147 et que le gouvernement de Vichy, embarrassé, ouvre une enquête, à Londres, les journaux de la France libre et les socialistes étrangers en exil accusent la Cagoule148. Même censurée, la nouvelle de sa fin tragique est donc diffusée, mais le crime reste impuni et il est enterré à la sauvette loin de chez lui.
57Député maire de Roubaix, Lebas n’a pu se rendre à Vichy en juillet 1940. Lui qui, maire lors de la guerre précédente, a déjà été interné en Allemagne pour avoir tenu tête aux occupants, organise à nouveau la résistance depuis sa mairie : il fonde L’Homme libre et participe à la création du CAS en zone Nord. Le 21 mai 1941, il est arrêté avec son fils, Raymond, et sa nièce, Laure. Interné à Looz-les-Lille puis à Hambourg, le 21 avril 1942, un conseil de guerre à Berlin le condamne à trois ans et demi de travaux forcés au bagne de Sonnenburg sur l’Oder : il a 63 ans. Il y meurt de privations et de mauvais traitements le 10 mars 1944 – son fils meurt le 10 mai. Mais aucune annonce n’est faite. Comme d’autres résistants déportés dont on espère le retour, Lebas est donc triomphalement réélu maire de Roubaix en avril-mai 1945 et remplacé par Victor Provo à qui il avait confié la mairie. Ce n’est que le 3 juin que la nouvelle est connue : Nord-Matin titre : « Jean Lebas n’est plus ! » L’émotion dans sa ville et dans tout le département est considérable, mais l’on ignore si le corps sera rapatrié. Faute de mieux, le 6 juin, Nord-Matin annonce un « grand prix Jean Lebas » destiné aux coureurs cyclistes149.
58Ainsi, soit le corps n’est pas là où il le devrait (Lagrange et Dormoy), soit il est inaccessible (Lebas). Des funérailles sans corps seraient absurdes mais un premier hommage est du moins rendu aux défunts : rassemblement spontané (Dormoy), citation à l’ordre de l’armée (Lagrange), et manifestation populaire (Lebas).
Fig. 2. – La statue de Marx Dormoy vue par Le Centre républicain (22 juillet 1948).

59Une fois le décès connu, la communauté doit imaginer soit un rite de réparation, comme dans le cas de Dormoy dont le corps a été affreusement mutilé, soit un rite de substitution, lorsque le corps de Lagrange est inhumé loin des siens, ou que l’on ignore si l’on pourra retrouver celui de Lebas. Avant même que le corps de leur ancien édile ne soit rapatrié, la délégation municipale de Montluçon décide de débaptiser l’avenue « Maréchal Pétain », anciennement « Wilson », et de l’attribuer à « Marx Dormoy » le 15 octobre 1945150, geste qui constitue une première réparation posthume151. Après ses funérailles officielles du 9 décembre 1945, la municipalité SFIO lance une souscription publique pour lui ériger un monument, et Jeanne Dormoy et ses amis s’interrogent sur la représentation à adopter152. « Fallait-il camper, debout sur son socle, un Marx Dormoy tel que ses familiers se souviennent de lui ? Fallait-il, au contraire, par une orchestration de ligne, de plans, d’ombres et de lumières, symboliser ensemble la vie et la mort153 ? » Léon Blum trouve la solution en proposant au sculpteur Hubert Yencesse, qu’il a lui-même recommandé, de représenter ses derniers instants, juste avant l’explosion qui l’a déchiqueté et de faire de sa statue un gisant. Inauguré le 25 juillet 1948, l’artiste « a saisi l’intervalle suprême de vie et de conscience où, tiré soudain de son sommeil, notre malheureux ami allait disparaître dans la mort », commente Blum devant l’œuvre, où Dormoy, le corps massif, allongé sous ses draps, pieds et torse nus, offre un visage apaisé (fig. 2). Rite de réparation s’il en est que l’érection au cœur de la ville de ce monument : « Telle est la signification de cette œuvre et là réside sa vérité profonde, poursuit Blum, car la mort de Marx Dormoy est ce qui le rend immortel154. »
60Dans les cas de Lagrange et Lebas, la communauté doit inventer des rites de substitution aux impossibles funérailles. Le 9 juin 1945, un hommage solennel est rendu à l’ancien ministre des Sports salle Pleyel, à Paris, sous la présidence de Blum et en présence des ministres gaullistes Alexandre Parodi et René Capitant. Se succèdent à la tribune Augustin Laurent, député du Nord, Maître Samuel Spanien, son collègue et ami, Pierre Ollier de Marichard des Auberges de Jeunesse, Daniel Mayer représentant la SFIO, Maurice Schumann, au nom de la France combattante, André Malraux, vieil ami du couple Lagrange155 et alors membre du comité directeur du MLN, et le communiste Raymond Bossus, conseiller municipal de Paris. Blum dresse le portrait de l’ami et du socialiste, mais surtout l’érige en « l’un des chefs posthumes de cette génération » à qui est remis l’avenir de la France156. Quant à Lebas, le 14 octobre 1945, Blum dévoile une plaque sur sa maison natale à Roubaix lors d’un dimanche consacré à sa mémoire, devant 50 000 travailleurs d’après la presse157. Et comme pour Dormoy, la municipalité SFIO lance une souscription publique. Elle permet d’ériger un imposant monument d’Albert Jaeger158, qui honore tout à la fois le ministre du Travail, le président du Conseil général du Nord, le maire de Roubaix, ses réformes sociales et le résistant-déporté (fig. 3). L’œuvre est inaugurée en centre-ville le 23 octobre 1949, et les photographies attestent là encore d’une assistance qui dépasse le cadre local159. Ces rituels montrent la capacité de la SFIO à inscrire des héros socialistes identifiés comme tels – à la différence de Brossolette – dans la mythologie nationale et à jouer des « deux corps » du Grand Homme.
Fig. 3. – Monument à Jean Lebas (emplacement actuel, boulevard Gambetta à Roubaix).

61Ces trois « héros et martyrs », en effet, sont à la fois des individus pleurés par leurs proches et leur parti et des figures regrettées par leurs concitoyens, de sorte qu’en les frappant c’est le corps social tout entier qui a été blessé. Le coup est d’autant plus vif que leur mort a été violente. L’émotion collective doit donc trouver à s’exprimer, mais il faut la canaliser. Comme Kantorowicz l’a théorisé pour le roi160, les trois personnages ont « deux corps », l’un physique et mortel, en l’absence duquel l’autre corps, symbolique et immortel, a le temps de s’affirmer (quatre ans et demi pour Dormoy, sept ans pour Lagrange et six ans et demi pour Lebas). Ce corps symbolique sert d’exutoire à ce deuil qui n’en finit pas. Il peut même avoir un rôle politique. À Riom, Blum fait reconnaître au président que s’il ne l’accuse plus d’avoir encouragé « l’esprit de jouissance et de facilité » comme au début de l’instruction, c’est à cause de la découverte de la mort héroïque de son sous-secrétaire d’État aux Sports et aux Loisirs et de sa citation posthume. « Je savais tout cela, lui répond le président. C’est une des raisons pour lesquelles je ne vous en aurais jamais parlé. » Et Blum de lui rétorquer :
« Cet homme dont vous savez la valeur héroïque, que vous avez connu et qui débordait d’enthousiasme, de jeunesse et de foi, prouve que l’on a pu donner pendant de longs mois toute sa foi et toute son énergie à une œuvre comme celle de l’organisation des loisirs et des sports et avoir tout de même en soi quelques vertus héroïques161. »
62Toutefois ce n’est que lorsque la dépouille mortelle est de retour que la cérémonie d’intégration rassemblant toute la communauté derrière son « héros et martyr » peut enfin avoir lieu. Le mort fait ainsi l’objet d’une réinhumation lors de funérailles officielles, voire nationales pour Lagrange162. Le 9 décembre 1945, pour Dormoy, se déplacent ainsi à Montluçon le président de l’Assemblée Félix Gouin, Vincent Auriol ministre d’État, le préfet honoraire Lambert qui représente son ministre, Adrien Tixier, et le préfet de l’Allier163. Le 27 juillet 1947, au Mont-Valérien, le président Auriol en personne exprime l’hommage de la nation tout entière aux huit premiers morts de la guerre rapatriés : parmi eux se trouve Léo Lagrange164. Le 2 septembre 1951 à Roubaix, le président du Conseil lui-même, René Pleven, vient se recueillir devant le cercueil de Lebas. Le temps de latence entre la première inhumation des trois anciens ministres et la seconde a conduit à la décomposition de leur cadavre mais leurs « restes » y acquièrent une plus forte valeur spirituelle et une plus grande charge symbolique165. La communauté, déchirée, peut donc communier dans le deuil au-delà de toute appartenance politique, et les socialistes peuvent se poser en rassembleurs dans ce contexte de difficile sortie de guerre.
63Le rite funéraire doit, par conséquent, redonner du sens et conjurer le chaos après la défaite et l’Occupation : il fait ici office de rituel de réconciliation166. Il est l’occasion pour la communauté de se raconter son histoire des années sombres, mais une histoire acceptable par tous en dépit d’une gamme complexe de comportements passés, allant de la résistance à la collaboration. De cette zone grise, le rite conçu comme une narration doit faire émerger une adhésion unanime à la République, voire au socialisme167. C’est particulièrement le cas de Lagrange avec les sept autres tués à l’ennemi au Mont-Valérien en 1947 et, dans une moindre mesure, de Lebas qui est enterré avec son fils et six autres compagnons déportés de toutes tendances politiques en 1951. Dormoy, quant à lui, incarne d’abord le socialisme et le Front populaire.
64D’abord a lieu la séparation d’avec les vivants. Quelles qu’aient été les opinions politiques et convictions religieuses du défunt, ces funérailles officielles prennent la forme traditionnelle et ostentatoire d’un « enterrement de première classe » et pratiquent un syncrétisme entre christianisme et laïcité républicaine. Dans le cas présent, la référence est sans doute la panthéonisation de Jean Jaurès en 1924168. On en retrouve tous les symboles et passages obligés, y compris à l’échelle provinciale de Montluçon et Roubaix. Les défunts ont fait preuve d’un ars moriendi d’autant plus exemplaire qu’ils ont gardé jusqu’au bout intacte leur foi envers les valeurs républicaines. Les témoignages abondent pour rappeler leur fermeté et leur courage face à l’ennemi : Lagrange qui s’est porté volontaire alors qu’il n’était plus mobilisable et dont les lettres à sa femme montrent la force d’âme ; Dormoy lors de ses derniers entretiens ou lettres169 ; Lebas, qui fait des conférences à ses camarades au bagne… Les articles et les discours qui précèdent leurs funérailles exaltent la gloire de leur sacrifice à la Patrie et à la République. Ce martyre assure la réconciliation de la nation et des héros socialistes qui y ont participé au premier rang. « Il fallait que la communauté roubaisienne ait des noms pour cristalliser sa piété patriotique », écrit ainsi La Voix du Nord le 4 septembre 1951. Comme il s’agit d’une réinhumation, le défunt appartient déjà à la sphère publique, et les familles ne peuvent se recueillir à leur domicile comme il est d’usage. Cette séparation, Vichy ou les nazis s’en sont déjà chargés. Leur corps est donc exposé, dans un cercueil fermé sur un catafalque dans « leur » Hôtel de Ville pour Dormoy et Lebas (fig. 4 et 5). Dans le cas de Léo Lagrange, sa famille et ses amis socialistes ne peuvent intervenir avant la fin de la cérémonie au Mont-Valérien. Mais ils l’accueillent ensuite, avant son départ pour son village natal de Bourg-sur-Gironde où il doit être enterré, dans le hall du Populaire où pendant plusieurs heures militants et sympathisants défilent170. La présence de membres du PSE et de l’UGT rappelle que, lors de la guerre civile espagnole, au gouvernement avec Pierre Cot, il avait favorisé une aide discrète aux Républicains. Les lieux sont décorés comme l’auraient été leurs maisons : tendus de noir et parfois de rouge, avec leurs initiales brodées en fil d’argent171, les lustres voilés de crêpe, de lourdes chaînes, de grands candélabres et des fleurs à profusion. Les drapeaux tricolores sont en berne. Une chapelle ardente est dressée où se déroule la veillée et où officiels et anonymes viennent défiler172. À l’examen des sources iconographiques et des descriptions, le décorum est quelque peu baroque, comme de coutume, afin d’inspirer une ferveur sacrée. Rien de surprenant, cependant, même pour des socialistes, car leur famille politique avait déjà adopté ses codes ostentatoires dans l’entre-deux-guerres. En province, les officiels sont reçus par le maire et le député, René Ribière et son frère Henri à Montluçon, Victor Provo et Augustin Laurent à Roubaix. Le passé ministériel des défunts est incarné par Blum en personne pour Dormoy. En septembre 1951, seul Jules Moch représente le Front populaire à Roubaix. Après la veillée funèbre, le défilé des officiels et de la population devant le catafalque, puis la levée du corps, le cercueil est à nouveau exposé sur le perron. Lebas n’est jamais séparé de son fils et de ses six autres camarades, et ce sont donc huit cercueils qui sont alignés. Ce rite de séparation dans les règles répare en quelque sorte l’insupportable attente dans laquelle la communauté a été plongée. Revenu parmi les siens et honoré par la République, le Grand Homme peut jouer le rôle de fédérateur.
Fig. 4. – Les obsèques de Marx Dormoy (Le Centre républicain, 27 juillet 1948).

65La République, et les socialistes en son sein, se donnent à voir et le cortège doit être la métaphore de la nation réconciliée. Les familles, qui ont eu le temps de s’y préparer, y participent. Jeanne Dormoy, l’épouse et la fille de Lebas accompagnent le corbillard et les chars chargés de couronnes. Lagrange est emmené avec ses compagnons d’Aubervilliers au Mont-Valérien, sur des chenillettes d’artillerie, par la rue Lafayette, le boulevard Haussmann et l’avenue Friedland, et fait une station devant la tombe du soldat inconnu. La foule, quel que soit le climat (froid glacial à Montluçon et pluie battante à Roubaix), est considérable et nécessaire à l’accomplissement du rituel. Lebas, l’agnostique, accompagne ses camarades catholiques à l’église où l’orgue joue La Marseillaise173. Dormoy, l’athée, après l’exposition sur le perron de l’Hôtel de Ville et les discours, va directement au cimetière Saint-Paul. Au-delà des personnalités et des porteurs de cordon174, la composition du cortège obéit à un strict protocole, annoncé par voie de presse afin que chacun y trouve sa place. Il emprunte non seulement au défilé militaire, avec des hussards, gardes républicains et gendarmes, leurs étendards, fanfares ou harmonies, mais aussi à la procession175. Par un jeu d’emboîtements, les officiels, corps constitués, organisations et associations diverses représentent la communauté endeuillée, et au-delà, la nation. La SFIO, y compris son groupe parlementaire, est omniprésente auprès de Dormoy et Lebas. Au Mont-Valérien, au côté de Vincent Auriol, se trouvent le président du Conseil de la République Gaston Monnerville, le garde des Sceaux André Marie, le ministre des Anciens-Combattants François Mitterrand, et les ministres socialistes Édouard Depreux et André Philip. La SFIO ne peut être représentée en tant que telle.
66Ces cérémonies sont également l’occasion pour la Résistance de montrer, si possible, son unité. En décembre 1945, la FNDIRP, d’obédience communiste, défile sous sa bannière à Montluçon au côté des autres organisations ; mais ensuite, les journaux ne mentionnent plus les organisations issues de la Résistance, seulement les associations d’anciens-combattants, aussi bien en juillet 1947 à Paris qu’en septembre 1951 à Roubaix. Cette unité symbolique, de la Résistance et plus particulièrement de la gauche, ne résiste pas à la guerre froide. Si le PCF était représenté en juin 1945 à la cérémonie d’hommage à celui qui a mis en œuvre les congés payés, il ne l’est plus au Populaire en juillet 1947. L’unité de la nation, en revanche, est réactivée comme le prouve la foule. C’est parce que Dormoy était « au-dessus des rivalités politiques et des querelles de partis » que « l’unanimité autour de son cercueil fut si totale, l’émotion si sincère et si profonde », explique le Centre républicain le 11 décembre 1945. « Dans la foule, immobile et respectueuse sous la pluie, se côtoyaient ouvriers et bourgeois : nous avons vu cela », s’émeut La Voix du Nord à l’enterrement de Lebas le 4 septembre 1951.
67Enfin, la réinhumation acte le passage à la postérité. Les éloges funèbres sont diffusés soit du perron de l’Hôtel de ville à Montluçon (la presse), soit d’une tribune dans la cour du fort du Mont-Valérien (les Actualités françaises), soit du cimetière de Roubaix (la radiodiffusion). Les orateurs se succèdent pour révéler le passage à la postérité du Grand Homme. En décembre 1945, Félix Gouin consacre Dormoy en ces termes : « Son énergie et sa froide résolution, vertus magnifiques devant lesquelles chacun doit s’incliner avec respect, car ce sont elles qui accompagneront dans l’histoire, où il est entré désormais, le nom de ce mort immortel176… » Dans son allocution, Mitterrand souligne que l’un des huit tués à l’ennemi, Lagrange, est un ami du chef de l’État177. Les honneurs militaires lui sont rendus, à lui et ses compagnons, avec le lever des couleurs, la Marseillaise et la sonnerie aux morts, le tout clôturé par un défilé de troupes. Pleven souligne alors la postérité de Lebas : « Il fut enfin, dans un moment décisif de notre évolution nationale, le réalisateur de réformes sociales, autour desquelles s’est faite avec le temps l’unanimité des esprits raisonnables et des cœurs généreux178. »
Fig. 5. – Les funérailles de Jean Lebas, 2 septembre 1951 (Jean Piat, Jean Lebas, Paris, Librairie des Municipalités, 1964).

68À l’analyse, l’audience de ces manifestations dépend sans doute plus du contexte commémoratif et politique que de la notoriété intrinsèque de chacun des défunts à cette période. Les obsèques de Dormoy ont lieu plus d’un an après la Libération et plus de six mois après le retour des déportés ou l’annonce de leurs décès. Le rythme des commémorations, conjugué à celui des échéances électorales, a été intense et les observateurs notent une certaine lassitude179. De sorte que si la cité de Montluçon et le département de l’Allier se mobilisent, l’événement est surtout couvert localement, par Le Centre républicain, socialiste, et La Montagne ; à l’échelle nationale, si Le Populaire, organe de la SFIO, s’y attarde, Le Monde n’y consacre que deux entrefilets, et France-Soir n’en dit mot180. En outre, la toponymie s’est déjà emparée de son « corps symbolique » jusque dans la capitale : le 19 octobre 1945, le Conseil de Paris donne son nom à la rue de La Chapelle et, le 11 mai 1946, à la station de métro Torcy181. Le retour de Léo Lagrange s’inscrit dans un contexte d’attente très vive de l’opinion publique qui a réclamé à l’État le rapatriement de 150 000 corps. La cérémonie du Mont-Valérien, sous les auspices du Président de la République et qui est filmée, a donc une audience nationale. Pour autant, à lire ses comptes rendus où le nom de Léo Lagrange est toujours cité, sa notoriété a précédé la cérémonie qui ne fait que l’entériner. À partir de 1949, le dimanche le plus proche du 9 juin, les JS de Pierre Mauroy, honorent sa mémoire à Évergnicourt où une stèle en sa mémoire est érigée en 1950. En 1951, les JS créent la fédération Léo Lagrange, « à caractère éducatif, sportif et touristique ». Pour une raison plus conjoncturelle, Lebas obtient une bonne couverture médiatique en septembre 1951 : son journal, Nord-Matin, y consacre plusieurs pages, de même que La Voix du Nord, démocrate-chrétien ; Le Monde et France-Soir publient plusieurs articles182. Il faut dire que le président du Conseil nommé en août, Pleven, y fait sa première sortie officielle. Et alors que les funérailles nationales de Blum en avril 1950 sont encore dans les mémoires, en septembre 1951, la presse évoque avec intérêt « l’embellie » du Front populaire qu’incarne bien l’ancien ministre du Travail.
69Ainsi, comme toute fête civique, ces funérailles officielles sont, certes, l’occasion pour la République de se mettre en scène, mais surtout pour les socialistes d’y apparaître comme des acteurs majeurs.
70Les socialistes mobilisent, en effet, la mémoire du Front populaire et de leur résistance comme un rempart contre toute forme de dictature. Le maréchal Pétain a fait porter la responsabilité de la défaite sur la IIIe République et, plus particulièrement, le Front populaire. À Riom en 1942, Blum les a ardemment défendus – on l’a vu – et cette défense et illustration du Front populaire se poursuivent et s’étendent à la Résistance, dans un contexte d’échéances électorales à répétition, où communistes et gaullistes captent l’essentiel du mythe résistancialiste.
71Ces funérailles n’échappent pas aux usages politiques. Mais de 1945 à 1951, les enjeux partisans évoluent du Tripartisme à la Troisième Force. La première « manifestation du souvenir » pour Lebas a lieu le 14 octobre 1945 à Roubaix, à une semaine des élections à la première Assemblée nationale constituante et du référendum sur la constitution. « Jean Lebas est mort pour la démocratie et le socialisme, pour la liberté des peuples » déclare la SFIO dans son appel. Retransmise par Radio PTT-Nord183, elle rassemblerait 50 000 personnes, qui défilent devant sa maison natale et qui font un triomphe à Blum, venu présider la journée, aux cris de « Vive Blum ! », « Blum au pouvoir ! ». Sur la Grande Place, le maire, Victor Provo, tisse la trame de l’histoire : « Le fascisme ne nous a pas épargnés. Nos trois ministres du Nord du Front populaire en ont été victimes. La mort de Roger Salengro, de Léo Lagrange et de Jean Lebas fixe dans le temps le côté implacable de la lutte engagée par le fascisme international contre la démocratie et la part que le socialisme y a prise ». Puis le secrétaire général de la fédération du Nord, Augustin Laurent, et Blum défendent le projet constitutionnel et appellent à voter socialiste184. On le sait, le PCF devient la première force politique de France, le MRP la seconde, talonné par la SFIO. Le 9 décembre 1945, à Montluçon, l’assassinat de Dormoy est à nouveau l’occasion pour Henri Ribière et Félix Gouin de rappeler que le combat antifasciste des socialistes est ancien et qu’il s’est prolongé dans la Résistance. Grâce à son souvenir, conclut Blum, « le socialisme est plus vivant que jamais185 ». Le retour du corps de Léo Lagrange a un double intérêt à l’été 1947. Alors que de Gaulle vient de fonder le RPF en avril, Auriol et le président du Conseil, Ramadier, ont la satisfaction de pouvoir organiser cette cérémonie dans « ce haut-lieu du martyre » que le Général aurait voulu confisquer à son seul usage. L’année précédente, il a imposé d’y être seul avec ses compagnons de l’Ordre de la Libération pour clore la commémoration du 18 juin186. Il s’agit en quelque sorte d’une revanche sur le camouflet qu’il a infligé au gouvernement tripartite. Par ailleurs, Léo Lagrange permet aux socialistes de s’affirmer comme de fervents patriotes quand les communistes se font désormais traiter de « moscoutaires » et Thorez de « déserteur ». Lors du congrès de la fédération de la Seine quelques jours après, son portrait orne la tribune, flanqué de ceux de Blum et de Jaurès187.
72La récupération politique s’accentue avec la guerre froide, cette fois-ci au service de la Troisième Force. En juillet 1948, à Montluçon, Yvon Amiot, député MRP de l’Allier, rend un hommage remarqué à Dormoy188. En juin 1951, MRP, SFIO, radicaux, UDSR et modérés n’ont dû leur victoire sur le PCF et le RPF qu’aux apparentements. Si la presse généraliste, tels Le Monde ou France-Soir, couvre les funérailles de Lebas le 4 septembre, c’est parce que le président du Conseil en a fait son premier déplacement officiel, accompagné par le secrétaire général SFIO Guy Mollet189. Et Pleven de souligner son hommage au « département du Nord qui, par son travail, son élan de progrès social, son amour de la patrie, ses réalisations économiques puissantes et fécondes, est un exemple pour le pays tout entier190 ». Il ne faut pas céder la région aux communistes renforcés dans la classe ouvrière par les grèves de l’automne 1947. Aussi, les trois Grands Hommes servent-ils à réanimer l’amour de la République.
73En héros au sens plein du terme, ils permettent non seulement d’exalter les valeurs républicaines mais aussi de conjurer les périls. À travers eux, ce sont la nation et la République qui ont été frappées. « Comment les assassins pouvaient-ils ignorer qu’ils frustraient d’avance leur pays des cerveaux les plus sûrs, des intelligences les plus dévouées au bien public ? », accuse Blum à propos de Dormoy, l’associant à Jean Zay et Georges Mandel191. Leurs obsèques sont donc l’opportunité de désigner leurs bourreaux, ennemis de la République, de mettre en garde contre leur retour et de désigner le remède. En octobre 1945, Provo déclare : « Jean Lebas, socialiste, républicain, patriote, exemple et martyr, restera vivant parmi nous », en établissant une équivalence entre le socialisme, la République et la Patrie192. Le 23 juillet 1947, au Ministère de l’Intérieur, devant d’éminentes personnalités, est apposée une plaque ainsi rédigée : « À Marx Dormoy, ancien ministre de l’Intérieur de 1936 à 1937, qui lutta avec un courage et une ténacité indomptables contre les ennemis de la République et de la Patrie et mourut le 26 juillet 1941, victime de leur vengeance ».193 En 1948, devant son monument à Montluçon, Blum met ainsi en garde : « Il n’y a guère de période de l’histoire républicaine où la République n’ait besoin d’être protégée et défendue. » Or la figure de Dormoy est un rempart : « Si la présence de la sentinelle invisible n’est pas suffisante, elle est nécessaire. On ne défend pas la République sans le peuple républicain, sans le peuple des travailleurs de l’usine et de la terre194. » L’héroïsation du martyr permet ainsi d’exalter les valeurs républicaines et socialistes qu’il faut défendre. En pleine guerre froide, en septembre 1951, à l’enterrement de Lebas, Pleven lance cet appel aux Français : « N’attendez pas pour vous unir l’heure des périls et des catastrophes195 ! » Provo va même plus loin en prévenant l’ennemi :
« [les morts pour la Patrie] sont suffisamment nombreux pour attester devant l’histoire que ce n’est pas la peur qui anime notre pacifisme. Ils sont trop nombreux pour que devant l’envahisseur quel qu’il soit, nous soyons un jour tentés d’abdiquer une indépendance à nouveau si chèrement acquise196 ».
74La mémoire des anciens ministres a une triple fonction : elle permet aux socialistes d’amalgamer le Front populaire et la Résistance ; elle légitime leur exercice du pouvoir sous le nouveau régime ; elle leur offre l’opportunité de mettre en garde les Français contre les adversaires de la République, qu’ils soient tentés par une « dictature personnelle » ou celle du prolétariat.
75À l’analyse, le panthéon socialiste est d’abord occupé par des personnalités emblématiques à la fois du Front populaire et de la Résistance : non seulement Léon Blum, Léo Lagrange, Marx Dormoy et Jean Lebas incarnent une lutte continue contre le fascisme, mais ils sont aussi la preuve que le socialisme est bien l’accomplissement de la République, comme Jaurès l’avait démontré en son temps. À leur échelle, les fédérations ou municipalités socialistes savent également s’approprier ces figures tutélaires qui participent à leur identité locale, ne serait-ce que par la toponymie. Que seraient aujourd’hui le Nord, Lille et Roubaix sans les rues, places, gares, squares et jardins Jean-Lebas ? Car l’enfant du pays, même si sa renommée n’est pas toujours nationale, fixe durablement le souvenir douloureux de la communauté. Si l’engagement dans la Résistance peut constituer une ressource politique pour les survivants, le principal critère de l’héroïsation reste la bonne mort qui parachève une vie exemplaire et surtout le martyre. Le fusillé, parce qu’il a été tué sur le territoire national et que les nazis ont bien souvent scénarisé son exécution, laisse une blessure plus nette dans la mémoire collective que celui ou celle qui ne revient pas des camps. Le plus souvent, tout un chacun sait où a été exécuté le fusillé et où est enterré son corps, même s’il a été jeté dans une fosse commune : le théâtre du drame ou sa tombe peuvent constituer des lieux de mémoire. C’est pourquoi, si les fusillés communistes n’ont pas été au nombre de « 75 000 », ils ont indéniablement conféré un avantage en termes mémoriels au PCF sur la SFIO qui compte relativement plus de déportés. En revanche, les socialistes n’ont pas manqué de s’approprier le rite singulier et propre à cette sortie de guerre qu’est la réinhumation. Outre qu’ils rendent un sincère hommage à leurs morts, ils récupèrent à leur profit la portée cathartique, civique et républicaine, amplifiée par l’incertitude et l’attente, de ces funérailles qui sortent de l’ordinaire.
Les socialistes ont-ils « la mémoire courte197 » ?
76Lors de leur congrès de novembre 1944, les socialistes ont fait de leur capacité à ne pas oublier, la pierre angulaire de leur reconstitution. De fait, en matière d’épuration – nous y reviendrons – le parti fait preuve d’une rancune tenace. En dépit de cette injonction à se souvenir, en pratique, leur mémoire collective se révèle néanmoins immédiatement sélective et semble laisser au bord de la route de l’héroïsation et de la victimisation les femmes, les déportés et, surtout, les déportés dits « raciaux ». Ils ne font certes pas preuve d’originalité en la matière, et Halbwachs l’a montré dès 1925198. Cette discrimination risque toutefois d’avoir des conséquences non négligeables pour la SFIO à plus ou moins long terme. Pour saisir si cette amnésie est volontaire ou non, il faut la replacer dans le contexte des représentations de l’époque, pour l’évaluer à l’aulne de la culture politique socialiste.
77Sans tomber dans des idées reçues que Laurent Douzou nous invite à corriger199, si les femmes ne sont pas absentes des premiers récits sur la Résistance, l’écho donné à leur action reste faible, au point que Rita Thalmann constate encore « l’oubli des femmes dans l’historiographie de la Résistance » en 1995200. Est-ce à dire que les socialistes en la matière sont ni plus ni moins oublieux que les autres forces politiques à la même époque ? Sous le Front populaire, Léon Blum, qui s’est toujours montré favorable à l’égalité des droits, a certes nommé Cécile Brunschvicg, Suzanne Lacore et Irène Joliot-Curie sous-secrétaires d’État, mais leurs figures servent surtout d’alibi à un parti en réalité phallocrate, plus proche de Proudhon que de Fourier. En mai 1945, Daniel Mayer en fait le constat au lendemain des municipales : « Je sais bien qu’il y avait encore, à la veille des élections, dans le Parti lui-même, un certain nombre de camarades qui avaient peur du vote des femmes201. » Accorder aux femmes une place comparable à celle des hommes dans leur mémoire de guerre leur demande, par conséquent, un effort presque anthropologique, du moins culturel, qu’il convient d’analyser.
78Le cas des déportés et, parmi eux, des déportés « raciaux », est plus complexe. On sait que, dès leur retour, le gouvernement souhaite que les Français ne séparent pas les déportés, politiques, « raciaux » ou du travail, et fait campagne en ce sens avec une affiche demeurée célèbre (fig. 6). Or les socialistes, très actifs dans les mouvements associatifs d’anciens-combattants, déportés, internés et autres, ont une conception élitiste de la déportation qui valorise les déportés de la Résistance, et ce pour des motifs et avec des conséquences identitaires qu’il conviendra d’examiner. Participent-ils déjà à l’imprégnation progressive de ce qui n’est pas encore littéralement le « génocide » dans la société française, eux qui deviendront des porteurs militants de sa mémoire à partir des années soixante-dix202 ? Et comment expliquer l’affaire Rassinier, l’un des leurs, qui, avec Le mensonge d’Ulysse, publié en 1950, devient l’un des fondateurs du « négationnisme » avant la lettre ?
Fig. 6. – « Ils sont unis, ne les divisez pas ! », affiche gouvernementale de 1945.

Une mémoire genrée
79Il semble facile aujourd’hui, avec les acquis de l’histoire des femmes et du genre, de qualifier la mémoire de guerre des socialistes à cette époque de genrée – et même leur mémoire tout court. L’angle d’analyse n’en demeure pas moins éclairant pour comprendre un milieu politique tiraillé entre son idéal humaniste et une culture patriarcale séculaire largement partagée203. Il permet en outre de nuancer le propos car toutes les résistantes n’ont pas droit au même traitement, et certaines ne sombrent pas dans l’oubli.
80À la Libération, pour effacer l’humiliation de la défaite et de l’Occupation, la France se veut « virile » comme l’a montré Fabrice Virgili204 et le discours politique est au diapason de cette aspiration, peut-être plus encore qu’à l’ordinaire. André Philip déclare ainsi en novembre 1944, devant des délégués majoritairement masculins : « C’est ce langage mâle et courageux que nous Socialistes devons parler au peuple de France et à la classe ouvrière, en lui disant de consentir les sacrifices, de faire cet énorme effort rendu nécessaire par les événements205. » Le sacrifice et l’effort sont l’apanage de l’homme et le courage est nécessairement associé à la virilité. On serait aujourd’hui en droit de se demander si les quelques femmes présentes dans la salle se sont senties invisibles. Peut-être. En mai 1945, un plaidoyer pour qu’un rôle plus conséquent soit désormais accordé aux militantes est tenu par la seule femme secrétaire fédérale à cette date : Thérèse Espinadel. Celle qui est également membre de la Commission féminine nationale, dénonce les préjugés de ses camarades masculins avec ironie :
« Nous ne serons pas assurément de grandes oratrices, nous serons souvent de bonnes ménagères, sensées et raisonnables, qui auront leurs relations personnelles, qui par leur conscience, par l’estime qui les entoure, peuvent avoir un rayonnement que d’autres, plus qualifiés peut-être à d’autres points de vue, peuvent ne pas avoir206. »
81En Dordogne, cette institutrice a été à l’origine de la reconstitution clandestine de l’Union fédérale des syndicats et a participé aux activités du parti socialiste clandestin. Les responsables de sa fédération ayant été arrêtés les uns après les autres, elle a été désignée pour leur succéder en 1943. Arrêtée le 4 mai 1944, elle a été torturée par la Gestapo et n’a été délivrée qu’en août. À la tribune, elle ne met en avant ni sa formation, qui lui permet de manier le verbe, ni son courage, qui l’autoriserait à se poser en « héroïne », puisque ce serait contraire à sa nature féminine qui veut que la modestie siée à « la » femme. Elle se contente de suggérer que cette différence naturelle, conçue comme une infériorité par les hommes, pourrait les rendre complémentaires et donc utiles. Il n’est pas certain que l’assistance ait saisi tout le sel de ses propos… Quoi qu’il en soit, les municipales d’avril-mai 1945, au cours desquelles les femmes exercent pour la première fois leur droit de vote, sonnent comme un signal d’alarme. Bon nombre de délégués masculins, à la tribune, tel Georges Rougeron de l’Allier, déplorent que les électrices aient voté communiste, non par adhésion idéologique, mais à cause du succès de l’Union des Femmes Françaises que le PCF a eu l’habileté de créer207. Thérèse Espinadel a alors beau jeu de se moquer :
« Plusieurs camarades ont parlé du rôle qu’avaient joué les femmes dans ces élections. Tout à coup, nous nous apercevons que les camarades socialistes qui, autrefois, “supportaient” les interventions de nos camarades femmes, s’intéressent, aujourd’hui qu’elles sont électrices, à tout ce qui peut émaner du milieu qu’elles constituent208. »
82La majorité des militants partagent, en effet, le point de vue l’historien Ernest Labrousse qui considère les femmes « plus émotives, et notamment plus “suggestibles” que les hommes », et craignent qu’elles ne soient à la merci des démagogues209. La révolution culturelle n’a donc pas lieu, comme le révèle la propagande en images sur la résistance socialiste diffusée à la Libération. Si un effort pour valoriser les femmes est fait, c’est sans doute pour ne pas négliger leurs suffrages, mais il reste superficiel et ne tranche guère avec les stéréotypes de genre. Le tract « Hier, sous l’Occupation allemande… » (fig. 7), représente bien une femme au côté de deux hommes sur une barricade : l’un est blessé, l’autre pointe son fusil, alors qu’elle agite un cocktail Molotov. Mais de la Révolution française à la Commune, en passant par les Trois Glorieuses et juin 1848, la présence de femmes – et d’enfants – a toujours contribué à la représentation du peuple en armes. Aussi la présence d’une femme sur une barricade à la Libération n’a rien d’extraordinaire. Plus innovant est peut-être le carnet à souche de billets de propagande qui représente « les héros et martyrs » de la SFIO en y intégrant deux femmes : une héroïne, Émilienne Moreau (fig. 8), et une martyre, Suzanne Buisson. La première est l’une des six femmes membres de l’Ordre de la Libération qui compte 1 038 Compagnons210, la seconde, membre du bureau du parti clandestin, a été déportée « Nuit et brouillard » en juillet 1943 et n’est jamais revenue. Cette féminisation de la résistance socialiste dans l’iconographie semble timide, mais il faut rappeler que les autres partis, y compris le PCF, ne font guère mieux. Et si on la compare aux clichés de genre véhiculés par les caricatures de la presse socialiste, il y a tout de même une amélioration du rôle et des qualités attribués aux femmes211. Cependant, la persistance de ces clichés montre que cette iconographie sur la Résistance n’a guère fait évoluer les représentations genrées des socialistes.
Fig. 7. – « Hier sous l’occupation allemande », tract du PS-SFIO, 1944.

83Sans doute l’image du résistant en arme est-elle valorisée par la propagande politique, la littérature, le cinéma et la presse enfantine. Mais les socialistes insistent beaucoup sur leurs activités politiques dans la clandestinité. Or, qu’ont fait d’autre, au péril de leur vie, les Renée Blum, Cletta Mayer, Michèle Auriol, Gilberte Brossolette, Simone Spanien (Clermont-Ferrand), Lucienne Bonnet (Seine), Irène Ottelard (Seine), Madeleine Blin (Oise), France-Marie Maistre (Loir-et-Cher), Renée Rollo (Morbihan), Marie Oyon (Sarthe), Thérèse Espinadel (Dordogne), Henriette Achiary (Toulouse), Irène Laure (Bouches-du-Rhône), Yvonne Baron (Var) pour n’en citer que quelques-unes212 ? … D’ailleurs, une Marthe Toutain, dans le Gard, a même été membre de l’Armée secrète. Ces femmes ont pris les mêmes risques que leurs compagnons et bon nombre d’entre elles ont été arrêtées, voire déportées.
Fig. 8. – Émilienne Moreau, carnet à souche de billets de propagande, 1945.

84Or, une seule d’entre elles mobilise durablement la mémoire des socialistes et encore s’agit-il d’un cercle assez restreint : Suzanne Buisson213. Cette jeune veuve de la Grande Guerre, militante avant 1905, s’est remariée avec un socialiste, responsable de la CGT, Georges Buisson, en 1926. Membre suppléante à plusieurs reprises de la CAP, elle a animé le comité national des Femmes socialistes et l’École socialiste. C’est donc une figure connue et appréciée des militants avant la guerre. Mais en 1938, elle se distingue par son refus des accords de Munich qu’elle exprime publiquement dans Le Populaire, le 13 novembre. Ayant retrouvé Daniel et Cletta Mayer en zone Sud en juillet 1940, elle participe à la création du CAS à Nîmes le 30 mars 1941. Membre de la direction du parti, elle fait de son appartement lyonnais un carrefour de la lutte clandestine. Le 29 mars 1944, elle est arrêtée pour avoir voulu prévenir Lucien Hussel, en retard, d’un guet-apens, puis est déportée. À la Libération, on désespère de son retour mais son mari veut y croire de toutes ses forces, de sorte que Le Populaire attend la mort de Georges pour honorer Suzanne en février 1946214. Léon Blum y fait son éloge avec ferveur :
« Chez cette femme exacte, laborieuse, méthodique, modeste jusqu’au scrupule, une véritable héroïne s’est levée soudain. Parmi les noms qu’aucun socialiste de France n’aura le droit d’oublier jamais, car ils sont liés à la résurrection de notre parti en même temps qu’à la libération de la patrie, celui de Suzanne Buisson figure au premier rang. Dans la vie normale du Parti, elle n’avait hésité devant aucune tâche ; dans la lutte clandestine, elle n’a reculé devant aucun danger. Le dévouement s’est haussé jusqu’à la plus téméraire intrépidité ; le désintéressement jusqu’au plus pur sacrifice. »
85Son nom est inscrit sur une plaque, avec ceux de vingt-cinq autres qui ont logé chez elle, au 31 rue Villeroy à Lyon, tous « morts pour la France », tels André Pantigny (Pas-de-Calais), Émile Gabriel, Raymond Naves (Toulouse), André Moch et Jean Ribière… En mars 1947, le congrès des Femmes socialistes lui rend hommage avant d’ouvrir ses travaux en présence de sa fille, puis Georges Bourgin évoque son œuvre dans un article consacré à l’École socialiste215. En juin, les élus du 18e arrondissement et Henri Vergnolles, le président du Conseil municipal de Paris, lui dédient un square à Montmartre en apposant une plaque à la sobre inscription : « Square Suzanne-Buisson, héroïne et martyre de la Résistance ». Par la suite, Daniel Mayer et ses amis de la 18e section continuent de célébrer sa mémoire216, mais dans une sorte d’intimité qui fait dire à Marthe Louis-Lévy, amère :
« Si elle avait été communiste, son nom serait répandu dans le monde entier comme celui d’une héroïne : il y aurait des rues, des places, des groupes Suzanne Buisson ; et ses œuvres seraient déjà publiées. Nous, socialistes, exagérons un peu trop la discrétion : et c’est ainsi que l’on n’a pas assez rendu justice à nos morts, à nos héros217… »
86De fait, ce sont ses amis qui maintiennent la flamme par affection, et le parti ne lui confère pas la stature d’une Danielle Casanova ou d’une Maï Politzer. Par « discrétion » ? Ou bien parce que n’étant pas une élue, elle n’est connue que des militants et n’est donc guère utile en dehors de ce cercle ?
87Une autre militante, agent de transmission qui a survécu aux tortures de la Gestapo et à la déportation, Marie-Louise Payen218, est membre du bureau de l’Association nationale des anciennes Déportées et Internées de la Résistance (ADIR). Sa présence à ce poste répond à la stratégie du parti d’irriguer le milieu associatif de la Résistance non-communiste – sur laquelle nous reviendrons. Mais à la différence des autres associations justement, telles que la FNDIR ou le Comité d’Action de la Résistance (CAR), la presse du parti ne donne aucun écho aux activités et manifestations ni de l’ADIR, ni de Marie-Louise Payen, sa déléguée invalide et multi-décorée au Comité du souvenir et aux manifestations nationales. Pourquoi le parti ne s’est-il pas emparé de cette figure héroïque comme il l’a fait d’Émilienne Moreau ? Serait-ce parce que Marie-Louise Payen était une résistante socialiste et pas une socialiste résistante comme Moreau ? Ou bien serait-ce parce qu’elle n’a pas été décorée par le général de Gaulle en personne et désignée à l’ACP d’Alger219 ?
88En mars 1946, après les cantonales de septembre et les législatives d’octobre, le Congrès national, conscient de l’avance prise par le PCF en la matière, lance un appel pour améliorer la place des femmes sur ses listes afin qu’elles soient en position éligible, appel repris par le secrétaire général, Daniel Mayer, dans Le Populaire du 11 avril qui dénonce les femmes-alibis. Pour relativiser l’attitude des socialistes, rappelons que seules trente-cinq députées, toutes étiquettes confondues, siègent à la première Assemblée nationale constituante. Et l’on est en droit de se demander si le résultat n’aurait pas été pire avec un scrutin uninominal. Sur le terrain, non seulement les militants rechignent à leur céder la place, mais lorsqu’ils le font, ils oublient qu’il y a parmi elles d’authentiques résistantes. La plupart des candidates sont identifiées comme des épouses, des « femmes de » sans prénom et, le plus souvent, des « veuves de » martyrs. Ainsi Paule Malroux, veuve d’Augustin évoqué précédemment, et mère de deux fillettes, n’est pas qualifiée de résistante, même si elle soutenait son mari et si, en refusant de faire chanter « Maréchal nous voilà » à ses élèves, elle s’est attiré les foudres du Cri du Peuple en 9 juillet 1941220. C’est donc au titre de « veuve du député d’Albi » qu’elle se lance en politique en 1945 et que, après avoir été aux cabinets de Biondi puis de Ramadier, elle devient conseillère à l’assemblée de l’Union française en 1947 où, par sa compétence, elle se fait un prénom. Cependant, même lorsque ces femmes ont été homologuées comme résistantes par l’État, elles demeurent cantonnées au statut d’épouses du grand homme. « Mme Oyon » ou « Mme Alexandre Oyon » peut-on lire sur le matériel de campagne pour les législatives d’octobre 1945 dans la Sarthe : Marie, mal placée en troisième position derrière Christian Pineau et le président du CDL, Henri Ledru, est d’ailleurs élue contre toute attente… Déportée en 1943 avec son mari, adjoint au maire du Mans et responsable départemental de l’AS, elle a survécu à Ravensbrück, alors qu’il n’est pas revenu de Mauthausen. Elle est donc une élue par défaut et par hasard221. Et l’on pourrait multiplier les exemples. Gilberte Brossolette a bien un prénom dès le congrès de novembre 1944 car elle est membre de l’ACP de Paris. Mais elle est y saluée comme la femme du martyr et non pour son parcours personnel dans la Résistance222. Et il en est ainsi à chaque fois que la presse socialiste parle d’elle, même après son accession à la vice-présidence du Conseil de la République en 1946223.
89Non seulement cette mémoire trop masculine ne contribue guère à susciter l’adhésion et le suffrage des femmes, mais des résistantes qui auraient pu devenir des cadres finissent, déçues, par quitter le parti. Citons Thérèse Espinadel, évoquée précédemment, qui disparaît des sources à partir de 1946, ou Irène Laure, dont le cas, mieux documenté, est révélateur de cette désaffection féminine envers la SFIO. Militante dès 1914 à l’âge de 16 ans, mariée à un socialiste, Victor Laure, cette infirmière est membre du MLN dans les Bouches-du-Rhône. Elle se distingue en organisant une marche de la faim d’Aubagne à la préfecture de Marseille en mai 1944 et en tenant tête aux autorités. C’est donc pour elle-même qu’elle est placée, en troisième position, derrière Gaston Defferre et Francis Leenhardt lors des élections d’octobre 1945 dans la 3e circonscription de Marseille. Élue, elle aussi, contre toute attente, elle n’est pas réélue lorsque les suffrages socialistes s’érodent en 1946. Elle est secrétaire des Femmes socialistes et siège même au comité directeur en 1946-1947. Mais de congrès en congrès, avec d’autres déléguées, elle déplore le peu d’attention, pour ne pas dire pire, qui leur est accordé par l’assistance masculine ; or toutes considèrent cette muflerie comme révélatrice de leur marginalisation dans le parti224. Très déçue, Irène Laure s’engage progressivement au côté de l’organisation internationale pacifiste du Réarmement moral et en devient l’une des principales ambassadrices dans le monde jusque dans les années 1980225.
90Socialistes résistantes ou résistantes socialistes, les femmes ne cristallisent guère la mémoire immédiate du parti : ni les hommages rendus à Suzanne Buisson, ni la promotion de quelques veuves de « héros et martyrs » ne suffisent à faire illusion. La toponymie des municipalités socialistes de l’époque atteste de cet oubli. Elles sont sous-représentées dans sa propagande et sous-utilisées dans ses campagnes électorales. Or cette négligence n’est pas sans conséquences. Dès 1952, Pierre Rimbert tire la sonnette d’alarme en pointant la sclérose sociologique du parti et donc, outre son vieillissement, son insuffisante féminisation226. Sans doute, l’incapacité des socialistes à ouvrir leur organisation aux femmes est-elle à l’image d’une société encore patriarcale et d’un milieu politique très phallocrate. Mais ils auraient pu tenter d’occuper le terrain mémoriel comme l’a fait le PCF avec ses « héroïnes et martyres ».
Déportés et déportés « raciaux » : élitisme ou refoulement ?
91La place des 160 000 déportés et, parmi eux, des 76 000 déportés dits « raciaux » dans la mémoire socialiste relève de facteurs, non seulement culturels, mais aussi politiques. La sidération, entraînée par le retour des déportés, quelle que soit leur nature puisque les médias les confondent, est connue. Henry Rousso fait ainsi de 1954, qui voit l’instauration tardive de la journée nationale de la Déportation, la première scansion de sa périodisation du « syndrome de Vichy227 ». Les Français croyaient que l’expérience vécue par les déportés dans les camps et leur état à leur retour seraient semblables à ceux des prisonniers de guerre : le choc est terrible et tous aspirent à un retour à la normale228. Serait-ce le cas d’une organisation politique comme la SFIO et de ses militants pourtant profondément meurtris par la répression ? Pour expliquer leur appréhension de la déportation qui les distingue de celle des communistes aux lendemains de la guerre et qui contraste avec leur attitude dans les années quatre-vingt229, il convient de démêler un écheveau de facteurs.
92Comme leurs confrères, les journaux socialistes se font l’écho du traumatisme ressenti au printemps 1945 lorsque les premiers reportages sur les camps sont diffusés dans la presse et aux Actualités françaises. Le désarroi s’intensifie lorsque les premiers survivants reviennent, alors que d’autres ne reviennent pas. On a déjà vu que plusieurs déportés dont on espérait le retour sont élus lors des municipales d’avril-mai 1945 : Jean Lebas à Roubaix, André Pantigny à Oignies, Augustin Malroux à Carmaux, auxquels on pourrait ajouter Henri Lefeuvre au Mans, Jean Biondi à Creil, Lucien Breitman à Mennetou… Ce geste conjuratoire ne concerne évidemment pas que les socialistes, mais il révèle qu’ils sont mal préparés à supporter l’ampleur de leurs pertes. À leurs fusillés, il leur faut désormais ajouter leurs disparus dans les camps. Parmi ceux qui rentrent, quelques-uns témoignent à chaud de ce qu’ils ont vécu et la presse fédérale leur ouvre ses colonnes : Eugène Thomas, délivré le 11 avril 1945, raconte sa déportation à Buchenwald dans Nord-Matin en mai-juin ; Gaston Charlet, libéré début mai, à Mauthausen puis à Karawanken dans Le Populaire du Centre en juin-juillet, et Henri Lestrade, à Buchenwald, dans le même journal en novembre ; et Paul Rassinier – cas particulier sur lequel nous reviendrons, en 1947230. Cependant, Léon Boutbien se contente de préfacer une publication pour la patrimonialisation du camp de Natzwiller-Struthof en 1955231. Christian Pineau ne publie La simple vérité, où il décrit très sobrement son internement à Buchenwald, qu’en 1960, et Lucien Breitman attend encore plus longtemps, 1981, pour publier ses poèmes de Compiègne à Falkensee232. Albert Aubry, Michel Boucher et Jean-Maurice Hermann (Neuengamme), Jean Biondi et Marcel Champeix (Mauthausen), Georges Brutelle (Buchenwald), Camille Delabre (Gross-Rosen), ou Pierre Segelle (Dachau et Dora), pour ne citer que des militants ou élus toujours actifs, ne publieront jamais rien sur le sujet, ni Irène Ottelard, Marie Oyon, Madeleine Blin (Ravensbrück), même si la première témoigne au premier procès de Ravensbrück en 1947. Les survivants, par conséquent, permettent au parti et à ses militants de disposer d’informations de première main sur les différents camps de la mort, mais il est évident qu’ils ne participent pas à la littérature concentrationnaire de l’après-guerre233. L’explication se trouve peut-être dans cet avertissement désabusé d’Eugène Thomas :
« Je n’ai nullement l’intention d’écrire mes mémoires sur Buchenwald. À chacun son métier. L’honorable corporation des gens de lettres avait, au cours de ces dernières années, envoyé un certain nombre de ses représentants dans les bagnes hitlériens. […] Je veux croire qu’au cours de leur existence intra-barbelés, ils auront recueilli une documentation particulièrement complète et vivante. Et je m’imagine qu’on va connaître prochainement de gros succès de librairie… Du moins pour les auteurs perspicaces qui déposeront rapidement leurs œuvres… Car, pas d’illusion, “l’affaire Buchenwald” sera commercialisée. […] Actuellement, l’atmosphère, l’opinion sont magnifiquement “buchenwaldiennes”. Trop. Mais dans quelques mois, quand les boîtes de nuit auront rouvert leurs portes, que la France dansera […], il sera d’un goût détestable de faire bailler les braves gens avec des histoires de crématoires ou de blocks de cobayes humains234. »
93Eugène Thomas, né en 1903, n’a pas fait la Grande Guerre, mais il semble nourrir la même amertume que les Poilus rentrés de l’enfer à l’égard de l’arrière. Au passage, il confirme que le camp emblématique de l’époque est Buchenwald, un camp de concentration, et non le centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau qui le supplantera bien plus tard dans la mémoire collective. Si les déportés socialistes ne sont guère présents dans l’édition, ils le sont, en revanche, dans le milieu associatif des anciens résistants. Ils ont, en effet, commencé leur action de solidarité et d’entraide à l’intérieur même des camps, Dachau, Mauthausen, et surtout Buchenwald, et veulent prolonger leur action, en mémoire de leurs compagnons qui ne rentreront jamais235. Ils tentent également de mobiliser le parti sur ce front.
94Dès leur retour de Buchenwald fin avril 1945, Eugène Thomas et Georges Brutelle s’engagent pour aider et défendre les droits des déportés en créant, avec leur compagnon radical Albert Forcinal, la Fédération nationale des Déportés de la Résistance (FNDR), laquelle devient la FNDIR en s’élargissant aux internés le 4 juillet236. Ils n’ont pas voulu prolonger l’alliance scellée dans le camp au printemps 1944 avec les communistes, Frédéric-Henri Manhès, Marcel Paul et André Leroy, dans le Comité des intérêts français237. Alors que Manhès et Paul se consacrent à la Fédération nationale des centres d’entraide et de déportés politiques (FNCEAIDP), constituée en novembre 1944 avec le soutien du ministre Henri Frenay, ces socialistes font bande à part. Pourtant, afin de capitaliser sur son engagement dans la Résistance, le PCF s’est déclaré favorable au rassemblement de toutes les forces qui en sont issues, et certains socialistes, nostalgiques d’un avant congrès de Tours, rêvent d’une nouvelle unité organique. Un comité d’entente a été créé le 4 décembre 1944 afin d’y travailler238. Mais les difficultés s’accumulent et bon nombre de socialistes demeurent très méfiants. À son retour en avril 1945, Eugène Thomas, issu de la fédération du Nord peu portée à cette alliance, est de ceux-là. Mais qu’est-ce qu’un déporté239 ? Deux conceptions de la déportation s’opposent : celle très ouverte des communistes et de la FNDIRP et celle, plus sélective de la FNDIR et des socialistes.
95Dès avril 1945, le parti socialiste se dote d’une Commission des Prisonniers et des Déportés qui, dotée de listes fournies par les fédérations, accueillent les prisonniers à la gare d’Orsay et les déportés au Lutetia pour les secourir. Elle recherche aussi des informations sur ceux qui sont en cours de rapatriement ou qui sont toujours portés disparus240. Quelques semaines plus tard, la Commission est sommée par des déportés de clarifier sa définition de « la déportation » – en vain, car elle est soupçonnée de souscrire à celle du ministère qui place tous les Français susceptibles de revenir d’Allemagne sur un même pied241. Ce ne sont pas les déportés « raciaux » qui sont visés – à cette date, il n’est pas certain que tous aient bien saisi l’existence d’un génocide – que les « déportés du travail » avec lesquels les résistants ne supportent pas d’être amalgamés.
96En août 1945, la Commission se félicite d’avoir pu distribuer 700 000 francs de dons « aux familles des prisonniers et déportés signalées par les fédérations242 ». La question est à nouveau posée : « Quelle est la catégorie dont s’occupe la Commission ou, en d’autres termes, qu’entend-on par le mot “déporté” ? Quelle est la catégorie d’individus pour lesquels vous intervenez et que vous comprenez sous le titre de “déportés”243 ? », demande un délégué. Car d’anciens FFI sont considérés comme sans affectation leur temps de déportation ; des étudiants, qui n’ont pas pu passer leur concours, ne bénéficient d’aucun aménagement d’études… Et ils ne semblent pas prioritaires. Cette fois-ci, la réponse d’Andrée Marty-Capgras au nom de la Commission est claire :
« Pour nous, il ne peut s’agir, quand nous parlons de déportés, que de déportés politiques. Notre commission s’est donnée pour tâche d’aider dans la mesure du possible les déportés victimes de la répression pour faits politiques au service du Parti socialiste. Nous ne pouvons aller plus loin dans cette définition. Je ne dis pas que, si nous est signalé le cas d’un déporté du travail ayant laissé une famille dans une situation difficile, nous n’examinerons pas la question avec le désir d’être utile, mais, en principe, les déportés pour nous sont les déportés politiques qui ont été déportés au service du Parti socialiste244. »
97Si on la prend au mot, cette définition serait très restrictive puisqu’elle exclut non seulement les « déportés du travail », comme le réclament la majorité des militants, mais aussi les résistants socialistes qui n’auraient pas rejoint le parti dans la clandestinité. Finalement, le parti demande que « le titre de “déporté” soit réservé aux anciens internés politiques de camps de concentration allemands, l’appellation “STO” étant réservée pour la désignation des “travailleurs en Allemagne” et qu’une enquête ait lieu pour homologuer les véritables déportés politiques et leur attribuer une carte analogue à celle des combattants245 ». Quant à la FNDIR, dont Eugène Thomas est l’un des fondateurs et Georges Brutelle le secrétaire général de 1945 à 1947, elle réserve, dans ses statuts, le titre de « déporté » à ceux qui ont été déportés pour faits de résistance, comme l’explique l’un de ses membres au congrès246. Plus ou moins sélective, la définition de la déportation par les socialistes évince de facto les déportés « raciaux » auxquels ils ne songent même pas. Quant à celle des internés, ils adoptent celles de la FNDIR qui écarte les communistes internés en tant que tels et les otages, ce qui revient souvent au même. Certains mettent en garde contre une telle fermeture, tel Étienne Gagnaire qui regrette que le parti néglige ceux qui ont été réellement contraints au STO247. Cofondateur du Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés (MNPGD) dès 1942, mouvement présidé par François Mitterrand, Gagnaire a une appréhension plus subtile des comportements sous l’Occupation, mais il n’est pas entendu. Lorsque sur injonction du CNR, qui préconise fortement le regroupement de toutes les associations dans une seule et même fédération, le comité national de la FNCEAIDP invite la FNDIR à la rejoindre en juin 1945, les deux conceptions s’affrontent. Alors que le président de la FNCEAIDP, Maxime Blocq-Masquart, souhaite que la future fédération accueille tous ceux qui ont subi « les mêmes souffrances », Albert Forcinal maintient la version élitiste de la FNDIR248. La Fédération nationale des déportés et internés patriotes (FNDIP) est donc constituée en octobre 1945 sans que le malentendu soit éclairci. De sorte qu’à son congrès de décembre 1945, la FNDIR préfère reprendre sa liberté en réaffirmant sa différence avec, dans ses rangs, la plupart des déportés socialistes249, qui y côtoient des démocrates-chrétiens tel Edmond Michelet et des gaullistes tel Léon Mazeaud. Dès lors, les deux organisations sont à couteaux tirés et le premier numéro du Patriote résistant de la FNDIRP (« R » comme résistants et « P » comme patriotes), de janvier 1946, ouvre explicitement les hostilités qui vont s’aggraver avec la guerre froide. C’est la FNDIR qui est à l’origine du statut du 8 août 1948 sur « les déportés et internés de la Résistance » qui exige, pour être attribué, un acte de « résistance à l’ennemi » : les communistes déportés pour leur seul engagement politique et les juifs en sont donc exclus250. Une analyse systématique des comptes rendus des congrès, conférences des secrétaires fédéraux et conseils nationaux montre que les socialistes, tout en chargeant leurs parlementaires de défendre « les anciens combattants et victimes de guerre », ne reviendront plus sur cette position restrictive251.
98Cette conception puriste et élitiste de la déportation défendue à la FNDIR par les socialistes, qui établissent in fine une hiérarchie de la souffrance, ne favorise pas une mémoire englobante. De sorte que, sur le terrain mémoriel, ils laissent le champ libre aux communistes et à l’activisme de la FNDIRP, plus ouverte, et ne saisissent pas l’irréductible singularité de la déportation des juifs.
99Les différentes instances dirigeantes et la Commission des Prisonniers et Déportés ne parlent guère des déportés « raciaux » ou « juifs » – au sens littéral, comme le montre l’analyse systématique de leurs comptes rendus et de leurs rapports. En cela, ils ne se distinguent guère des autres forces politiques qui privilégient le combat antifasciste. Le retour des 2 500 survivants sur les 75 000 juifs déportés est confondu avec celui de tous les autres et « Buchenwald recouvre Auschwitz252 ». Cette attitude circonspecte à l’égard de la déportation des juifs s’explique aussi par l’absence de consensus chez les socialistes. Si leur organe de presse, dirigé par Léon Blum jusqu’à sa mort, fait preuve d’une lucidité et d’un niveau d’information raisonnables vu le contexte, il en va de la masse des militants comme de la majorité des Français.
100Aux lendemains de la Libération, alors qu’il tire à 240 000 exemplaires et dispose donc d’une audience non négligeable, Le Populaire dénonce, régulièrement et de manière documentée, l’antisémitisme du régime de Vichy, la spoliation des Juifs, et surtout les retards inadmissibles dans la restauration de leurs droits253. Avec peut-être, à ce moment-là, quelques arrière-pensées politiques… Les juifs ont été « les victimes les plus persécutées », écrit-il dès le 29 août 1944, pour conclure par un appel « à se grouper sous le drapeau socialiste ». En octobre, il vilipende le port de l’étoile jaune, mais c’est pour dénoncer la complicité et la complaisance du Matin dont il occupe les locaux254. Les socialistes participent à la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv présidée par Louis Saillant, au Parc des Princes, en juillet 1945255. En novembre 1946, Le Populaire salue l’ouverture du procès de Je suis partout, qu’il qualifie de « répugnant, […] l’un des plus frénétiquement nazis et antisémites journaux de la collaboration256 ». À l’international, comme ses confrères, il couvre la libération des camps en Allemagne, grâce à son correspondant Claude Roldes, qui les met tous sur le même plan257. Il en est de même de la caricature de Roger E. Desjouis dit Kb2, dénonçant le négationnisme des Japonais qui assimilent « Pearl Harbour » à de la propagande, comme « Dachau et Buchenwald » (fig. 9). Le journal rend compte aussi, succinctement faute de moyens, du procès de Nuremberg. En revanche, Berthe Kanter, à l’occasion du drame de l’Exodus au printemps-été 1947, signe une série d’articles sur la ghettoïsation, la déportation et les camps de la mort sous le titre « “L’Europe est pour nous un cimetière”, disent les juifs errants de l’Exodus et ils préfèrent rester dans les bateaux-cages258 ». « Envoyée spéciale » à Hambourg en septembre, elle décrit les conditions dans lesquelles sont débarqués les émigrants refoulés de Palestine de L’Océan-Vigour, de l’Empire-Rival et du Runnymede Park259 : elle dénonce « une atmosphère concentrationnaire », « un cauchemar » lorsque les juifs résistent et sont réprimés par les soldats anglais, et surtout s’interroge en une : « De quel crime sont-ils coupables ? » À la même époque, le journaliste et historien Jean Rabaud fait un compte rendu très laudatif du De Drancy à Auschwitz de son collègue Georges Wellers (1946), le futur rédacteur en chef du Monde juif, la revue du CDJC260. Et Jean Texcier vomit l’antisémitisme de Céline dans sa critique des Beaux draps261.
Fig. 9. – Caricature contre le négationnisme, Le Populaire (7 septembre 1945).

101Les socialistes sont bien placés pour ne rien ignorer de l’antisémitisme et des dérives auxquelles il peut conduire, Léon Blum ayant fait l’objet des pires attaques dans l’entre-deux-guerres. Or ce racisme n’a pas disparu d’un coup à la Libération262. André Weil-Curiel conseille ainsi, dans Règles de savoir-vivre à un jeune Juif de mes amis, en 1945 : « Ne fais pas étalage de tes droits : c’est un abus ; n’arbore pas tes décorations, c’est un défi263. » En dépit de la répression sous l’Occupation, la SFIO compte encore de nombreux juifs dits « assimilés », tels que Jules Moch, Daniel Mayer, ou Charles Lussy, pour ne citer qu’eux, qui sont des cibles pour les antisémites. Moch est traité de « despote juif » par Aspects de la France le 6 juillet 1951, Mayer « de marchand de tapis » au « comportement talmudique » par Rivarol (12 avril et 2 août 1951) ; la détention de Blum est assimilée à de la débauche : « Vous eûtes maison, nourriture choisie, bon chauffage et le reste. […] L’on vous expédia la fiancée élue, fille de votre race, jeune et belle, dit-on », débagoule encore Aspects de la France (13 janvier 1949)264. Si Blum a suscité et suscite encore la haine raciste de l’extrême droite, il la déclenche aussi chez les communistes265. Les accords Blum-Byrnes déchaînent les foudres de ces derniers qui le traitent de « domestique qui vend sa patrie aux trusts et aux banques de Wall-Street266 ».
102Dans ce contexte délétère qu’ils ne peuvent ignorer, les socialistes sont-ils pour autant immunisés contre l’antisémitisme ? Dès novembre 1944, Daniel Mayer doit défendre la présence de Charles Lussy, auquel il est reproché de s’être abstenu le 10 juillet 1940, à la rédaction du Populaire. Sa réaction est éclairante sur l’antisémitisme larvé qui persiste à la SFIO :
« Je dis à ce congrès, et spécialement à certains camarades, que ce n’est pas parce que je pourrais avoir avec Charles Lussy je ne sais quelle solidarité raciale que je parle comme je le fais, et ceux qui ont propagé une telle pensée restent peut-être encore, bien malgré eux, empreints d’une certaine propagande hitlérienne267. »
103Mayer se montre ici à la fois cinglant et charitable : cinglant quand il laisse entendre que certains ont un discernement et des convictions si faibles qu’ils pourraient être contaminés – sans s’en rendre compte – par la propagande nazie ; charitable, car l’antisémitisme au sein de la SFIO est chose ancienne. D’abord discret après la scission néo-socialiste de 1933, puis de plus en plus net à partir de la guerre d’Espagne, l’antisémitisme s’est nourri de la radicalisation du pacifisme et s’exprime de manière crue à partir de Munich268. Marcel Régis n’aurait-il pas répondu à Louis Noguères qui s’inquiétait de Blum le 5 juillet, à Vichy : « Quand ce juif sera à la morgue, il sera au seul logis qui lui convienne269 … » ? Daniel Mayer le sait fort bien, lui qui a adhéré au parti en 1927 et qui travaillait au Populaire depuis 1933 : il a assisté à toutes les crises. Il fait donc mine de croire qu’il s’agit d’un dommage collatéral de l’Occupation, plutôt que d’une survivance de l’antisémitisme, certes minoritaire, mais ancien du mouvement ouvrier. Lorsqu’au retour de Blum au printemps 1945, il hésite à démissionner de son poste de secrétaire général, Édouard Depreux le dissuade de céder à « l’antisémitisme larvé » qui suggère que « deux Juifs, à la tête du parti, c’était vraiment trop270 ». S’agit-il alors d’un antisémitisme « résiduel », comme le qualifie Michel Dreyfus271 ? Daniel Ligou, dès 1953, le considère « un peu comme un tabou », en analysant l’affaire Finaly272. Quoi qu’il en soit, le déni du génocide se nourrit aussi de l’argument traditionnel à l’extrême gauche pacifiste des « juifs fauteurs de guerre », ainsi que de la confusion ambiante qui n’explicite pas l’indicible.
104Aux lendemains de la Libération, un vieux fond pacifiste et internationaliste perdure chez des socialistes qui espèrent désormais voir l’Allemagne – l’un des bastions du mouvement ouvrier mondial – intégrer l’Internationale socialiste dès qu’elle sera reconstituée273. Ceux-ci préfèrent, par conséquent, fermer les yeux sur la réalité du génocide qui alourdirait la responsabilité du peuple allemand – d’autant que le procès de Nuremberg n’a pas encore fait son œuvre de nomination. Au congrès d’août 1945, lors du débat sur l’Internationale, Gilbert Nowina, ancien combattant de 14-18 et ultra-pacifiste repenti, tient un discours très germanophobe, qu’il justifie en provoquant manifestement de violentes réactions :
« Car, au-dessus même de nos sentiments internationalistes, il y a la vérité que je vais essayer de vous rappeler. […] Il y a eu toutes les horreurs des camps allemands, trop mal connues encore. Savez-vous que l’on évalue à 14 millions le nombre de malheureux de tous les pays d’Europe qui ont été massacrés, assassinés, empoisonnés dans les chambres à gaz allemandes. Savez-vous qu’à Auschwitz seulement, on a compté plus de 5 millions de malheureux dont des dizaines de milliers de Français, qui ont été passés dans les chambres à gaz, dès leur débarquement, en particulier tous les enfants jusqu’à l’âge de quinze ans. Camarades, vous représentez-vous cela ? Vous représentez-vous ces malheureux, arrivant après cinq ou six jours de voyage, effectués dans les conditions que vous savez, hommes, femmes, enfants entassés, obligés de se déshabiller sur place, nus, tous ensemble, attendant l’heure de passer à la chambre à gaz ? Savez-vous que plus de 500 000 enfants n’ont pas été retrouvés, parce qu’ils ont été exterminés ? (Bruits et mouvements divers). Si ce que je dis peine ou irrite certains camarades, qu’ils sachent que ceux qui n’ont pas pu revenir leur réclament justice ! (Applaudissements)274. »
105Ceux qui s’émeuvent de ses propos, soit considèrent qu’il exagère – voire affabule – soit n’apprécient pas que l’argument soit utilisé à charge contre le retour des socialistes allemands dans l’Internationale. C’est le temps de Buchenwald, pas celui d’Auschwitz et Le Populaire n’évoque ce dernier qu’à la Toussaint 1947275. Les réactions des délégués sont révélatrices d’une tendance qui va au-delà du simple cercle des dirigeants. Cependant le discours de Nowina interpelle à un autre titre. Ses chiffres – approximatifs et excessifs au regard des spécialistes actuels – ne doivent pas surprendre dans l’immédiat après-guerre. À la différence de nombre de commentateurs de l’époque, Nowina ne confond pas les fours crématoires – que l’on peut trouver dans des camps dits de concentration – avec les chambres à gaz et il perçoit la volonté d’extermination. Cependant – et le non-dit serait incroyable aujourd’hui – « les juifs » ne sont pas explicitement désignés par l’orateur. Les motivations des nazis, par conséquent, restent floues dans son discours : s’agit-il d’un massacre de masse de plus, lequel ne doit pas surprendre de la part de « barbares », ou d’un génocide ? Faut-il s’étonner de ces approximations ? Max Lejeune et Jean Biondi de retour l’un de captivité, l’autre de déportation, jugent tous deux que le « congrès est mal informé » et tentent de lui ouvrir les yeux :
« Nous, nous savons que des millions de juifs ont été massacrés. Nous qui avons été des combattants, qui sommes partis en 1939, à l’appel de la patrie en danger, pour la défense de la liberté, nous n’avons jamais frappé des femmes, des enfants, des vieillards, ni même frappé un homme désarmé sous prétexte qu’il était juif276 ! »
106À ce congrès d’août 1945, ils semblent donc les seuls, avec le représentant des socialistes hollandais, Marinus van der Goes van Naters, à avoir saisi la nature génocidaire de la déportation des juifs et surtout à la dénoncer publiquement277. Ce seront les plus engagés dans la cause sioniste, à la faveur de la reconstitution de l’Internationale socialiste, qui acclimateront peu à peu le génocide des Juifs d’Europe dans le discours des socialistes français278.
107Lors de leur conférence à Londres, du 3 au 5 mars 1945, les partis socialistes européens – à l’exception des Allemands et des Autrichiens qui ne sont pas invités – proclament leur attachement à l’égalité des droits sans distinction de religion et leur opposition à l’antisémitisme. Ils réclament aussi que « l’existence de la Palestine » soit reconnue comme un fait et que soit garanti au « peuple juif la pleine opportunité pour la réalisation de son foyer national279 ». En août 1947, sans que le terme de « génocide » ne soit prononcé, la conscience d’un dommage qui doit être réparé apparaît dans cette résolution :
« Conscients des souffrances indicibles et des pertes de vies humaines, qui se comptent par millions, infligées aux populations juives par les criminels nazis et fascistes, le Congrès proclame qu’il est du devoir des démocraties victorieuses de les aider activement à refaire leur vie dans la liberté et il estime que les pays démocratiques doivent ouvrir leurs portes aux personnes déracinées280. »
108Mais ce dommage semble plutôt constitué par le flot de réfugiés, c’est-à-dire par les conséquences du génocide, plutôt que par sa dimension intrinsèque de crime contre l’humanité. Quoi qu’il en soit, la SFIO veut y puiser une légitimité au service de son orientation sioniste. En juillet 1946, un an avant l’affaire de l’Exodus, Léon Blum s’interroge : « Comment admettre que les survivants de Lublin et du ghetto de Varsovie, que les enfants orphelins des gazés d’Auschwitz se voient refuser l’accès vers les terres où ils veulent chercher une nouvelle patrie281 ? » De même, au lendemain de la proclamation de l’État d’Israël, Le Populaire du 15 mai 1948 écrit : « Le monde a trop à se faire pardonner à leur égard pour disputer aux juifs le droit de se grouper et de vivre selon leurs traditions et la possibilité de ne plus se sentir une minorité chez les autres282. » Et Léon Boutbien ne dit encore pas autre chose aux délégués du parti au nom de la Commission internationale : « Cette cause, camarades, n’a-t-elle pas été sanctifiée par le sang de six millions de Juifs morts dans les fours crématoires d’Auschwitz283 ? »
109S’ils ne peuvent plus se réfugier dans le déni, les socialistes sont encore loin d’éprouver la nécessité d’un devoir de mémoire spécifique. Des représentants du Bund – Raphaël Riba en 1947 et 1948 et Emanuel Scherer en 1955 jugent ainsi utile de leur rafraîchir la mémoire :
« Les crimes innombrables des nazis allemands ont conduit à l’extermination d’un tiers du peuple juif : six millions d’hommes, de femmes et d’enfants. Aujourd’hui, alors que tant de gens semblent oublier ces crimes terribles, je dois vous dire franchement que, nous, du Bund, ne pourrons jamais les oublier284. »
110L’inauguration du mémorial aux Juifs de Paris dans la synagogue de la rue de la Victoire, le 27 février 1949, par le président Auriol, inscrit la mort des Juifs dans l’ensemble des morts françaises. En revanche, le mémorial du martyr juif inconnu, rue Geoffroy-l’Asnier, inauguré le 17 mai 1953, évoque le génocide des Juifs d’Europe285. Mais ni l’un, ni l’autre ne suscitent l’intérêt des organes de presse ou des responsables de la SFIO. À Grenoble, la municipalité socialiste de Léon Martin (1945-1947/1949-1959) n’accorde pas plus d’attention au Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) d’Isaac Schneersohn, un industriel qui a réuni clandestinement, le 28 avril 1943, dans son appartement grenoblois, une quarantaine de responsables de la communauté juive pour décider de la création d’un fonds d’archives286. Par ailleurs, les socialistes soutiennent, voire animent l’Union nationale des associations de déportés internés et familles (UNADIF) et le Réseau du Souvenir, deux nouvelles organisations nées après l’affaire David Rousset287. Lorsqu’elles se mobilisent pour créer une journée nationale de la déportation, ils activent leurs réseaux, puis votent avec tous les parlementaires la loi du 15 avril 1954 qui l’instaure le dernier dimanche d’avril288. La mémoire juive est toujours diluée dans celle, plus globale, de la déportation et, sur le terrain, les initiatives restent modestes. À Orléans, à proximité des camps de Pithiviers, Beaune-la-Rollande et Jargeau, le maire SFIO Pierre Segelle organise, à la Toussaint 1954, une cérémonie où « une urne contenant de la terre et des cendres de déportés des camps d’extermination nazis » est scellée sur une stèle au Grand Cimetière289. C’est son lointain successeur PS, Jean-Pierre Sueur, qui en soutenant la fondation du CERCIL en 1992, permet que l’anamnèse ait lieu dans la région Centre290. Lorsqu’en avril 1957, le mémorial au martyr juif inconnu est intégré au programme de la journée nationale de la déportation, le représentant du gouvernement Mollet, Jean Le Coutaller, sous-secrétaire d’État des Anciens Combattants, ne préside que la cérémonie au Mont-Valérien291. Le mémorial est encore considéré par le gouvernement socialiste comme un lieu communautaire.
111Alors que la SFIO, publiquement, dénonce l’antisémitisme et défend la cause sioniste, le génocide est un trou noir dans la conscience des socialistes. S’ils ne se distinguent guère de la plupart des Français à l’époque, ils manquent de clairvoyance lorsque l’affaire Rassinier, qui aurait dû les alarmer, éclate sous leurs yeux.
Une occasion manquée : l’affaire Rassinier
112Le « négationnisme » est un néologisme inventé par Henry Rousso en 1987, afin de le distinguer du terme impropre de « révisionnisme » dont se targuent ceux qui nient l’existence du génocide des Juifs d’Europe par les nazis. Par ce moyen, les négationnistes veulent s’inscrire comme les héritiers des courants éponymes apparus au lendemain de la guerre de 14-18 aux États-Unis, puis en Europe, pour contester certaines thèses officielles sur les origines du conflit292. Aux lendemains de la Libération, ce terme même de « révisionnistes » n’est pas encore passé dans le langage courant. Cette brève mise en contexte du concept permet de mieux comprendre pourquoi les socialistes se sont montrés démunis face à l’affaire Rassinier. Le premier intellectuel qui relativise les crimes nazis est le néo-fasciste et beau-frère de Robert Brasillach, Maurice Bardèche, qui dénonce « la justice des vainqueurs » dans Nuremberg ou la terre promise en 1948293. Mais c’est en 1950 que les véritables bases du négationnisme sont jetées par le résistant socialiste, déporté à Buchenwald puis Dora, député SFIO de Belfort dans la seconde Assemblée nationale constituante, Paul Rassinier. Dans Le mensonge d’Ulysse, il affirme que de nombreux déportés ont menti et s’interroge, entre autres, sur l’existence des chambres à gaz que lui n’a jamais vues. Florent Brayard puis Nadine Fresco ont bien montré les ressorts à la fois personnels, intellectuels et politiques qui ont animé Rassinier294. Mais ce qui interroge, en l’occurrence, c’est l’incapacité des socialistes à saisir ce que le doute et le complotisme de Rassinier ont déjà de suspects et donc à les dénoncer publiquement.
113Lorsque Rassinier rentre de ses quatorze mois de déportation, en juin 1945 à Belfort, il est très gravement malade – la gestapo lui a entre autres éclaté un rein – et il doit renoncer pour toujours à reprendre son poste d’instituteur alors qu’il n’a pas 40 ans. Il échoue à se faire élire en octobre 1945 et c’est René Naegelen, élu député en juin 1946, qui se démet alors de son mandat en sa faveur. Anarchiste, ancien communiste repenti, Rassinier a rejoint la SFIO en 1930 où il est l’un des anticommunistes et des pacifistes intégraux les plus convaincus. À ce titre, il a même collaboré au Rouge et le Bleu de Charles Spinasse en mars 1942, mais rejoint Libération-Nord en 1943. Aux yeux de ses camarades, il apparaît donc comme un résistant socialiste, déporté et martyr de surcroît mais, à Belfort, il n’est guère populaire. Dès novembre 1946, il est battu par son éternel rival, le radical Pierre Dreyfus-Schmidt qui a noué une alliance avec les communistes. Il quitte alors le Territoire de Belfort pour Mâcon, en Saône-et-Loire, et se consacre à ses mémoires. Peu de socialistes – on le répète – décrivent à chaud leur expérience concentrationnaire et il est le seul – sous réserve d’inventaire – à y consacrer tout un livre dès cette époque. Dans Le passage de la ligne, publié aux éditions Bressanes, il veut témoigner pour faire éclater la vérité comme tous les anciens déportés ; mais ce qui le distingue, c’est que lui prétend « corriger » une vérité déjà compromise par leurs récits et qu’il leur fait la leçon. Or en juin 1949, le Bulletin intérieur du Parti socialiste puis, en juillet 1949, Le Populaire dimanche annoncent sa prochaine publication ainsi : « Un autre son de cloche. Pour paraître prochainement. Paul Rassinier, Passage de la ligne, ou ce qui n’a pas été dit sur les camps de concentration295. » Une souscription est ouverte, relayée par le journal, pour une édition spéciale filigranée ; le livre est mis en vente à la Librairie populaire. L’annonce reproduit l’avertissement de l’auteur où il raille « l’imagination du romancier, les accès de lyrisme du poète, la partialité intéressée du politicien ou les relents de haine de la victime » qui « servent tour à tour ou de conserve de toile de fond aux récits jusqu’ici publiés » et où il affirme vouloir « rétablir la vérité à l’intention des historiens et des sociologues de l’avenir ». Devant de telles déclarations d’intention, un lecteur averti d’aujourd’hui saisirait d’emblée le postulat conspirationniste de son auteur, mais ni le comité directeur, ni l’équipe du Populaire Dimanche, avec son rédacteur en chef Oreste Rosenfeld, son chroniqueur régulier Jean Texcier et son administrateur René Naegelen, ne le perçoivent. Il est possible que la loyauté de René Naegelen à l’égard de son ancien camarade belfortain, si abîmé par la guerre, ait joué. Toutefois, le commentaire, qui présente la thèse de Rassinier, révèle d’autres motifs tout à fait politiques :
« Jusqu’à ce jour, les communistes, les crypto et les réactionnaires ont eu le monopole de la littérature sur les camps de concentration. […] Il [Rassinier] s’est attaché à démontrer : 1. Que les camps sont un moyen de gouvernement et que ce moyen n’est pas propre à l’Allemagne hitlérienne ; 2. Que c’est seulement la guerre qui lui a donné un caractère un peu particulier dans ladite Allemagne, 3. Que les horreurs dont ils ont été le théâtre sont autant le fait des communistes que des SS […]296. »
114L’anticommunisme est donc la principale raison pour laquelle la direction du parti promeut cet ouvrage : en mettant le régime stalinien sur le même plan que le régime nazi, elle ne fait qu’anticiper, somme toute, l’usage du concept de totalitarisme d’Hannah Arendt comme une arme de guerre froide par de nombreux penseurs. Or Pierre Vidal-Naquet l’a montré : pour que l’analogie soit parfaite entre l’Allemagne nazie et l’URSS stalinienne et stigmatiser cette dernière, il faut gommer la singularité de la Shoah et donc la nier297. Ni Rassinier, et encore moins le comité directeur et Le Populaire Dimanche ne franchissent le pas : le système concentrationnaire nazi est encore « un peu particulier ». Mais c’est à cause de la guerre, ce qui sous-entend que l’Allemagne, engagée dans une guerre à mort contre un régime soviétique mortifère, jouait sa survie298. L’anti-stalinisme brouille, par conséquent, leur lucidité ; et leur commentaire de conclure :
« Il [l’ouvrage] mérite d’être connu et discuté. Ainsi nous invitons tous les camarades socialistes à lire l’œuvre d’un militant socialiste dont l’expérience est bien connue et le dévouement à la cause du socialisme n’est plus à démontrer. »
115Pierre Vidal-Naquet leur aurait dit que l’on ne « discute » pas avec des falsificateurs mais, à cette date, ils n’ont guère les moyens d’apprécier la part d’affabulation pathologique de l’auteur bien analysée depuis par ses deux biographes. Son livre est perçu comme une arme politique de la part d’un militant « dévoué à la cause299 ».
116Le second acte de l’affaire ne tarde pas puisqu’un an plus tard, Rassinier fait paraître Le mensonge d’Ulysse, où il doute de la véracité des faits rapportés par d’autres déportés, dont Eugène Kogon et David Rousset, voire de leur bonne foi. Et il le fait préfacer par Albert Paraz, lequel a édité les discours d’Hitler en 1941, Les Décombres de Lucien Rebatet en 1942, et qui est bien connu pour être l’éditeur des pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline. Le propos de Paraz est haineux et ordurier : Rassinier aurait établi « de manière irréfutable, que les responsables des camps, cette élite de déportés qui nous a fourni nos gouvernants, nos censeurs, nos patriotes et nos juges, constitue la plus prodigieuse collection de fripouilles de l’Histoire300 ». Et il calomnie nominalement Edmond Michelet, ancien résistant déporté à Dachau, alors président du groupe parlementaire gaulliste. Or, l’affaire trouve un écho inattendu au Parlement. Fin octobre, le débat sur une seconde amnistie s’est ouvert à l’initiative du gouvernement. Le 2 novembre, le député MRP Maurice Guérin y intervient pour défendre le projet de loi qui émane de son propre parti301. Il en approuve le dessein mais veut protester contre la campagne en cours qui tente de « rabaisser la Résistance » pour « glorifier la collaboration » et, à titre d’exemple, cite Le nouveau Prométhée qui promeut Le mensonge d’Ulysse. Il lit des extraits d’échanges épistolaires entre Paraz et Rassinier (dont il écorche d’ailleurs le nom à plusieurs reprises) et conclut : « Il paraît, mes chers collègues, qu’il n’y a jamais eu de chambres à gaz dans les camps de concentration ! » Le destin de Rassinier est scellé302. La République libre de Paul Faure, suivie de Juvénal, ont alors beau jeu de railler le groupe socialiste « fort gêné », et de prêter cette saillie à Pierre Dreyfus-Schmidt – qui a battu Rassinier à Belfort : « Pour ne faire aucune peine à leurs amis du MRP, ils n’osent même plus défendre leurs militants303. » De fait, le 7 novembre, Daniel Mayer fait clairement allusion aux propos de Guérin, développe même en détail la liste de tous ceux qu’il appelle les néo-collaborateurs, mais ne prononce pas le nom de Rassinier. Et alors que Guérin a évoqué l’Union des engagés volontaires anciens combattants juifs et la mémoire des « hommes, femmes et enfants, morts ou brûlés dans les fours crématoires », Mayer conclut en appelant les députés à « ne pas oublier » les déportés de la Résistance304. Consciemment ou non, lui-même régulièrement la cible des antisémites, il craint sans doute de disqualifier son plaidoyer s’il mentionne les juifs, de sorte que les socialistes restent muets et manquent l’occasion d’être les premiers à dénoncer le négationnisme. Mais au-delà de leur embarras, bien compréhensible, à compter un tel excité dans leurs rangs, ont-ils les moyens de saisir les enjeux ?
117Peu après, la FNDIR, à laquelle appartient Michelet, l’UNADIF et l’Association des familles de résistants et d’otages morts pour la France intentent un procès à l’auteur, au préfacier et à l’éditeur305. C’est donc bien la préface qui est d’abord visée avant le contenu même du livre. Parallèlement à la procédure judiciaire, un militant socialiste, Edmond Debeaumarché, dépose une demande de contrôle contre Rassinier auprès de la Commission nationale des conflits (CNC) du parti. Résistant, déporté à Buchenwald, Dora puis Elrich, il a succédé à Georges Brutelle au secrétariat général de la FNDIR, puis est passé à celui de l’UNADIF. C’est l’un des Compagnons de la Libération du parti et un proche d’Eugène Thomas ; autant dire que sa parole a du poids. Rassinier est donc exclu le 19 avril 1951 à la suite d’une longue procédure306. C’est à nouveau la seule préface de Paraz qui est mise en cause et parce qu’elle contient « des appréciations inadmissibles à l’égard d’un certain nombre de résistants dont le public connaît les attaches avec le Parti socialiste », selon les considérants de la CNC publiés dans le Bulletin intérieur307. La demande de réintégration de Rassinier, qu’il dépose immédiatement, est examinée lors du conseil national de décembre 1951, où il est défendu par le délégué de sa section d’accueil, Mâcon. Avec Paraz et l’éditeur Bressemane, il vient d’être condamné en appel à une lourde amende308. Le président de la CNC, Rémy Sicard, après avoir précisé que la Commission avait lu attentivement ouvrage et préface, lit avec dégoût les passages les plus choquants de Paraz aux délégués, ne dit pas un mot du contenu du livre lui-même, et conclut ainsi :
« Mon Dieu, nous n’avons pas à lui reprocher sa façon d’écrire, sa façon de critiquer ; nous ne sommes pas, je vous le disais, un jury littéraire qui décerne les prix, mais tout de même nous devons examiner dans les conditions de l’article 54 du règlement si l’action de Rassinier, en tant qu’écrivain, n’a pas été de nature à nuire au parti. La CNC a pensé que cet ouvrage ainsi préfacé nuisait considérablement au parti, non seulement en Saône-et-Loire, où les camarades pourront apprécier eux-mêmes, mais sur le plan national quand on sait que Rassinier a été d’abord membre du parti, d’autre part ancien député309. »
118En proie à une émotion inhabituelle310, Sicard ne voit que l’injure aux déportés résistants qu’il juge inadmissible et nuisible à l’image du parti. Il confond la forme et le fond et n’anticipe pas les dérives de ce criticisme, qu’il prend pour une figure de style. Quant à l’allusion à la Saône-et-Loire, il s’agit du seul bastion paul-fauriste qui donne du fil à retordre aux socialistes, et leur journal, La République libre, fait grand cas des œuvres de Rassinier311. Son défenseur mâconnais, Jacques Muglioni, va plus loin que Sicard en considérant que les propos du Mensonge d’Ulysse relèvent non pas de la qualité littéraire mais de la liberté d’expression : « Dans ce que Rassinier a écrit, je crois bien que rien ne peut lui être reproché au point de vue socialiste. Je dis bien : dans ce qu’il a écrit seul. […] Rassinier donne une interprétation de son expérience ; d’autres, nombreux, ont donné d’autres interprétations, nous n’avons pas à en juger. » Et après avoir reconnu avoir lu le manuscrit avant sa publication par amitié pour Rassinier, il répète qu’il ne peut juger son « interprétation », car « pour juger un fait, il faut l’avoir vu312 ». Dans sa jeunesse, Muglioni a été anarchiste et il n’a pas rompu avec ce milieu d’extrême gauche : serait-ce cette proximité intellectuelle de l’agrégé de philosophie avec Rassinier qui explique son amitié pour lui313 ? Le secrétaire fédéral du Territoire de Belfort, Jean-Noël Bailly, prend également sa défense mais avec des arguments plus inattendus : il juge qu’il a fait « une œuvre de coupeur de cheveux en quatre », que « ce n’est pas une œuvre littéraire, ce n’est pas une œuvre d’historien », mais que « dans son œuvre, qui est une œuvre de minus, il n’y a aucune attaque pour le parti ». Et il conclut que « si on peut condamner la préface, on ne peut condamner le livre » et s’indigne de la sanction imposée par « une justice bourgeoise » à Lyon314. S’il a bien mis le doigt sur les ressorts du complotisme de Rassinier, il n’en saisit absolument pas la portée. Seul Daniel Mayer écarte la préface de Paraz pour souligner le véritable sens du titre du livre. Pour autant, il n’évoque nullement le génocide et sa possible négation, mais les dommages que la réintégration de Rassinier ferait subir aux socialistes dans les associations de résistants, ce que corrobore l’ancien secrétaire général de la FNDIR, Georges Brutelle, qui vient d’assister au congrès de l’UNADIF dont il est membre. Et de conclure que c’est « l’autorité » du parti qui est en jeu et que ce n’est pas l’homme à qui l’on conserve son amitié qui doit compter mais « le prestige du parti315 ». Il fait la même réponse dans un courrier à Muglioni qui revient à la charge en 1955316.
119Exclu, Paul Rassinier renoue officiellement avec les paul-fauristes dont il faisait partie avant-guerre. Il participe régulièrement aux souscriptions de soutien à La République libre, laquelle, en échange, fait de la publicité pour financer sa réédition du Mensonge d’Ulysse317. À la SFIO, nul mea culpa pour avoir recommandé la lecture du Passage de la ligne en 1949 n’est publié dans Le Populaire ou Le Populaire Dimanche. Les intellectuels de La Revue socialiste qui, sous la houlette d’Ernest Labrousse, consacrent pourtant de nombreuses recensions critiques à des ouvrages sur l’Allemagne nazie ou l’univers concentrationnaire ne s’intéressent pas non plus à une littérature qu’ils doivent juger marginale. Néanmoins, en octobre 1955, alors que Rassinier vient de rééditer Le mensonge d’Ulysse augmenté d’un avant-propos inédit318, Jacques Muglioni, qui l’avait tant défendu devant le conseil national, y publie un article « L’histoire et la vérité319 ». Sans faire la moindre allusion à ceux qui doutent de « l’existence des chambres à gaz », n’écrit-il pas : « Méditer sur l’histoire, c’est être inquiet du présent » ? Il est clair que, pour les socialistes à cette époque, la mémoire juive n’est pas un enjeu suffisamment présent pour mobiliser leur esprit critique et leur action politique.
120Le propre de la mémoire est d’être sélective et les socialistes, y compris localement, n’échappent donc pas au processus aux lendemains de la Libération. L’inconvénient pour le parti, c’est qu’à court et moyen termes, cette discrimination mémorielle enraye le renouvellement de ses militants et de ses électeurs, fait le jeu de son frère ennemi communiste et, au-delà, sape cette rénovation tant revendiquée. Ainsi, alors qu’il y a eu incontestablement des femmes socialistes dans la Résistance, la SFIO n’a pas su en profiter pour se féminiser, en dépit d’une prise de conscience à la Libération320. La mémoire de la Résistance proposée par le parti, qui instrumentalise les veuves et exalte la virilité, ne valorise guère les militantes. Elle ne contribue donc ni à conserver celles qui ont lutté dans la clandestinité, ni à attirer des femmes qui auraient pu être séduites par un nouveau regard sur leur rôle. De même, leur conception élitiste de la déportation permet certes aux socialistes d’être très présents dans des organisations telles que la FNDIR ou l’UNADIF et d’y côtoyer des gaullistes et des démocrates-chrétiens, mais pour autant elle les empêche de s’ouvrir à des recrues exogènes, « déportés du travail » ou déportés dits « raciaux », comme réussit à le faire le PCF. Enfin, alors qu’ils ne cessent de se réclamer du dreyfusisme de Jaurès et Blum, ils ne sont pas totalement débarrassés de quelques prurits antisémites, lesquels contribuent à ce que les socialistes juifs, qui ne souhaitent pas souligner leur judéité, s’autocensurent sur le génocide. Ils manquent même l’occasion d’être à la pointe de la lutte contre le négationnisme, alors que l’un de ses fondateurs est issu de leurs propres rangs.
Conclusion : Des remèdes pires que le mal
121Entre « le parti des 75 000 fusillés » et le rassemblement gaulliste, entre le parti de masse et celui de l’homme providentiel, l’image que la SFIO veut donner d’elle-même est celle d’un parti attaché à ses principes et ses valeurs et fidèle à son idéal. Si « le socialisme est maître de l’heure » selon l’expression célèbre de Blum en août 1945, l’objectif peut sembler à sa portée. Mais les choix vichystes ou collaborationnistes d’un certain nombre d’anciens socialistes, en particulier de cadres tel Paul Faure, ont traumatisé ses militants et les ont conduits à une très sévère épuration. Pour retrouver l’estime d’eux-mêmes et – pensent-ils – celle des Français, leur mémoire immédiate doit contribuer à les doter d’une nouvelle identité. Après la contrition et la repentance, viennent l’occultation, la damnatio memoriae, la synecdoque, autant de procédés mémoriels qui doivent faire d’eux des patriotes, des républicains, des défenseurs des droits de l’homme, et donc des résistants.
122En l’occurrence, aux lendemains de la Libération, un parti a plus besoin de réputation que d’homologation pour affronter les élections, les brevets de résistance ne faisant d’ailleurs pas défaut aux socialistes. En dépit de leur tradition marxiste et collectiviste, ils exaltent des individus exemplaires en pratiquant héroïsations et panthéonisations à différentes échelles. Léon Blum est statufié de son vivant, mais le critère irréfutable est la mort pour la patrie, de sorte que le martyr est toujours un héros. Blum déclare ainsi à propos de Marx Dormoy : « Ses assassins avaient fait de lui une victime. Nous en faisons l’un de nos héros, héros de la démocratie et du socialisme, héros de la France et de la République321. » Leur mémoire est d’autant plus funéraire que l’absence prolongée des corps de déportés et autres découvertes macabres induisent des rites de réinhumation qui prolongent le deuil322. Si ces cérémonies funèbres doivent refermer les plaies de la Collaboration et réconcilier la nation, elles montrent que, tout en érigeant leur panthéon personnel pour redorer leur image, les socialistes en font de véritables manifestations civiques et républicaines.
123Cependant, le parti n’est pas la somme de ses « héros et martyrs ». À court terme, le bilan de cette mémoire par en haut et la stratégie de communication qui l’accompagne est mitigé. Qu’elles ressassent les fautes de quelques-uns, ou qu’elles glorifient le sacrifice de quelques autres, elles composent une image pointilliste du parti quand les communistes n’hésitent pas à forcer le trait. À l’échelle nationale, elles ne permettent pas d’enrayer le déclin aux législatives avec un scrutin de liste qui met justement les partis en avant. Cet échec montre que c’est l’image de la SFIO elle-même qui n’est pas suffisamment restaurée, alors qu’aux municipales, les socialistes bénéficient individuellement d’une meilleure reconnaissance, regagnant même des voix en 1953. Des décennies plus tard, l’érosion du temps aura effacé l’identité socialiste de leurs héros et martyrs pour ne laisser que les traîtres dans la mémoire nationale.
124À long terme, enfin, leur mémoire est sélective et ne favorise ni leur ouverture, ni le renouvellement de leurs militants. Elle est tributaire à la fois d’une culture patriarcale et d’une reconstitution élitiste du parti dans la clandestinité. La mémoire de la Résistance élaborée par la direction clandestine prolonge l’entre-soi des années sombres et privilégie les socialistes résistants. Les femmes sont ainsi les grandes oubliées de leur panégyrique : alors que nombre d’entre elles se sont engagées à l’égal des hommes, elles font figures d’alibi dans leur propagande. Même si Daniel Mayer souhaite une véritable féminisation, cette mémoire masculine de la Résistance ne concourt pas à attirer de nouvelles militantes. De même, seuls les déportés politiques trouvent grâce aux yeux des socialistes, et leur activisme au sein de la FNDIR et de l’UNADIF se fait au détriment des « déportés du travail » et des « déportés raciaux ». Sur ce front du recrutement, ils sont donc débordés par les communistes qui, avec l’UFF et la FNDIRP, rassemblent bien plus largement qu’eux autour du devoir de mémoire. Quant au génocide des Juifs d’Europe, ce qui ne se conçoit pas bien, ne s’énonce pas clairement. Informés, ils sont capables de s’y référer pour un usage extérieur, le sionisme, mais ne dénoncent pas publiquement le relativisme complotiste de Rassinier qui conduit au négationnisme. C’est là une occasion manquée qui, après le congrès d’Épinay, contribuera au dégoût des nouvelles générations envers la vieille SFIO.
Notes de bas de page
1Cette déclaration est reproduite pour l’édification des militants dans 37e Congrès national des 11-15 août 1945 de Paris – Rapports, Paris, Librairie du Parti, 1945, p. 33.
2Rapports des 17 et 23 novembre 1944 à la Direction des FFI, 2e bureau, ministère de la Guerre, AN, 72AJ/54, AIV. 4 et AIV. 5.
3Mayer Daniel, « SFIO », Le Populaire, 23 septembre 1944.
4Paul Faure, qui avait reconstruit « la vieille maison » après la scission de Tours avec Léon Blum et qui en a été le secrétaire général pendant vingt ans, a choisi l’adjectif « vieux » à dessein.
5Sténographie de la Conférence des secrétaires fédéraux du 20 mai 1945, Archives de l’OURS, p. 5.
6Sténographie du Congrès national extraordinaire des cadres des fédérations socialistes reconstituées dans la Résistance 9-12 novembre 1944 à Paris, Archives de l’OURS, p. 18. Dès le 15 juin 1942, Le Populaire clandestin publiait un manifeste actant l’exclusion des « oui » du 10 juillet 1940 et de tous ceux qui avaient pactisé avec « le césarisme » du 10 juillet 1940. Cette exclusion était réaffirmée dans le numéro de décembre 1943. Cf. 37e Congrès national des 11-15 août 1945…, op. cit., p. 27-28.
7André Philip le dit très explicitement en novembre 1944, lui qui a été chargé par de Gaulle d’une mission auprès de Roosevelt pour obtenir la reconnaissance officielle de la France libre par les États-Unis en 1942, en vain. Ibid., p. 183.
8Voir infra, chap. iii : « Occuper le terrain mémoriel ».
9Le Populaire, 3 octobre 1944.
10« Le Comité exécutif du Parti socialiste appelle le peuple à l’ultime combat », Le Populaire, 28 août 1944. Dans son rapport moral au congrès d’août 1945, Daniel Mayer parle de même d’un parti « purifié », 37e Congrès national des 11-15 août 1945, op. cit., p. 1.
11Sténographie du Congrès national… 1944, arch. cit., p. 7.
12Ibid., p. 14.
13Voir, par exemple, les propos et le vocabulaire de Vincent Auriol dans Hier Demain, Paris, éd. Charlot, 1945, avant-propos.
14Bracke-Desrousseaux, « 22-33-44 », Le Populaire, 28 août 1944.
15Labrousse Ernest, « Fascisme et hitlérisme maladies du capitalisme », Le Populaire, 31 août 1944.
16« Le Parti vous parle », Le Populaire, 30 et 31 août 1944.
17Sténographie du Congrès national extraordinaire… 9-12 novembre 1944, arch. cit., p. 183.
18La liste complète des maintiens, suspensions et exclusions est reproduite dans les rapports du 37e Congrès national des 11-15 août 1945…, op. cit., p. 55.
19Sténographie du 51e Congrès national 9-12 juillet 1959 de Puteaux, Archives de l’OURS, p. 126.
20Sur les journées de juillet 1940 du groupe parlementaire socialiste, voir Castagnez Noëlline, op. cit., p. 27-32.
21Blum Léon, « L’Année funeste. Mémoires rédigés par Léon Blum dans les prisons de Chazeron et Bourassol » (sic), Le Populaire, 11 septembre 1945.
22Levy Louis, The Truth about France, Harmondsworth, Middlesex, England, 1941, Vérités sur la France, Londres, Éd. du Pingouin, avril 1941, p. 174-175. Bilingue, Lévy travaille à Londres pour le Populaire avant l’armistice. Ensuite, il y anime « le groupe Jean Jaurès » et entre au comité directeur après la Libération.
23Gouin Félix, Un certain goût de cendres, BnF, manuscrit resté inédit, s. d., NAF, 16404-16407, p. 54.
24Gros Louis, République toujours, Avignon, Édouard Aubanel, 1945, p. 61. Dans sa préface, il explique qu’il n’avait nullement l’intention de publier ses souvenirs d’exil, mais qu’il a cédé à d’amicales pressions.
25Auriol Vincent, Hier Demain, op. cit., p. 21.
26Ramadier Paul, Lettre à l’auteur, dans Odin Jean, Les Quatre-Vingts, Paris, Tallandier, 1946, p. 239.
27Paul-Boncour Joseph, Entre deux guerres. Souvenirs de la IIIe République, t. 3 : Sur les chemins de la défaite 1935-1940, Paris, Plon, 1946, p. 284-285. En italiques dans le texte. Écrit en octobre 1942, l’auteur affirme l’avoir publié tel quel à la Libération, p. 327.
285e audience, du 27 juillet 1945, voir Haute-cour de justice, Compte rendu in extenso des audiences transmis par le Secrétariat général de la Haute-cour de justice. Procès du maréchal Pétain, Paris, Imprimerie des JO, 1945, p. 75-80, p. 77-78 pour la citation.
29L’œuvre de Léon Blum, Paris, A. Michel, 1955, t. 1, p. 83. Dans l’introduction, son fils Robert explique que son père n’avait pas voulu publier ses Mémoires en dehors des extraits parus dans Le Populaire sans « une révision et une vérification préalables » qu’il n’eut pas le temps de réaliser avant sa mort en 1950. Ses proches prirent alors la décision de ne pas reproduire les passages dont il n’avait pas été un témoin direct.
30En 2001, Olivier Wieviorka a démonté ce mythe mais il persiste encore. Wieviorka Olivier, Les orphelins de la République. Destinées des députés et sénateurs français (1940-1945), Paris, Le Seuil, 2001.
31Le Socialiste, bimensuel (juillet 1945-novembre 1948), archives de l’OURS et La République libre, hebdomadaire (novembre 1948-novembre 1960). Voir Castagnez Noëlline, « Le Parti socialiste démocratique », dans Duhamel Éric, « Matériaux pour l’histoire du RGR », Recherches contemporaines, no 5, 1988-1989, université de Paris X-Nanterre, p. 316-321.
32Coston Henry (dir.), Partis, journaux et hommes politiques d’hier et aujourd’hui, no spécial de Lectures françaises, décembre 1960. Voir La République libre, p. 189-190 et le PSD p. 345. Sur Henry Coston, voir Dard Olivier, « Permanences et mutations de l’antisémitisme costonien », Archives juives, Les Belles lettres, no 49, 2016/2, p. 115-127.
33Badiou Raymond, L’Espoir, 6 septembre 1945.
34Émile Masquère, ancien secrétaire fédéral, est exclu par sa fédération pour n’avoir eu aucun engagement résistant. Il signe alors l’appel du « Vieux parti socialiste SFIO » en décembre 1944 et dirige la fédération du PSD. Dès 1951, il siège au conseil général aux côtés des socialistes. En 1962, il est réintégré à la SFIO.
35Lettres de Pierre Mazuez à Georges Brutelle, Correspondance fédéral de Saône-et-Loire, 30 mai et 18 juin 1953, OURS.
36Mayer Daniel, « Amitiés aux Anciens ! », Le Populaire, 15-16 avril 1945, sous les portraits de Jaurès, Vaillant et Guesde.
37Bidoux Marcel, « La Saône-et-Loire fidèle au socialisme », Le Populaire, 26-27 novembre 1944.
38Mayer Daniel, « Les incurables ! », Le Populaire, 23 janvier 1945.
39Cet épisode de la ratification des accords de Munich est raconté, entre autres, par Moch Jules, Rencontres avec… Léon Blum, Paris, Plon, 1970, p. 250-252 et Pierre-Bloch Jean, Jusqu’au dernier jour. Mémoires, Paris, A. Michel, 1983, p. 93. Le fait est que seul Jean Bouhey a réussi à se soustraire à la discipline du groupe et a voté contre.
40Castagnez Jean, Précisions oubliées. Vichy, 9 et 10 juillet 1940, à compte d’auteur, s. l., 1945, 31p. Voir Vergez-Chaignon Bénédicte, Le Docteur Ménétrel. Éminence grise et confident du maréchal Pétain, Paris, Perrin, 2001 et Vichy en prison. Les Épurés à Fresnes après la Libération, Paris, Gallimard, 2006. Cette brochure est considérée comme une circonstance aggravante par la Haute Cour de Justice qui ne relève donc pas Castagnez de son inéligibilité en dépit de son non consentement au régime de Vichy par la suite. Je remercie vivement Olivier Wieviorka de m’avoir transmis cette information.
41Castagnez Jean, « Un socialiste d’hier à un socialiste d’aujourd’hui. Lettre à M. André Philip par M. Jean Castagnez », Paroles françaises, no 149, 15 octobre 1948. André Mutter, ancien membre des Croix de Feu, militant du PSF entré en Résistance, est député PRL de l’Aube après la Libération.
42Fevrier André, Expliquons-nous, A. Wast et Cie, 1946, 56 p. et Valiere Sabinus et Vardelle Marcel, N’oubliez pas trop !, Limoges, imprimerie nouvelle, 1949, 20 p.
43Pivert Charles, Le parti socialisme et ses hommes – souvenirs d’un militant, Paris, France-éditions, 1951, p. 35. À cette date, le frère de Marceau Pivert a rejoint le RPF depuis 1947.
44Voir infra, dans ce chapitre, « Les socialistes ont-ils “la mémoire courte” ? ».
45Blum Léon, Mémoires, op. cit., p. 89.
46Dupradon Pierre, Le parti socialiste dans la Résistance, Alger, Éd. de la Fraternité, s. d. (1944), p. 2-3.
47Souligné par nous. Sténographie du Congrès national extraordinaire… 9-12 novembre 1944, arch. cit., p. 6.
48Robert Lazurick, député du Cher, était sur le Massilia mais a cependant été exclu par le comité exécutif clandestin à cause de L’Aurore. Il est réintégré par sa fédération puis par le parti en 1945, mais il préfère démissionner en février 1946 et se consacrer à son quotidien.
49Faure Paul, « La crise du socialisme », Les Écrits de Paris, mars 1947, et « Tous à la fosse commune », idem, no 47, 1948 ; De Munich à la Ve République, Le Mans, Éditions de l’Élan, 1948 ; et Fondateurs et exploiteurs du système. Histoire d’un faux et de ses conséquences, avant-propos de Jean Castagnez, Paris, imprimerie de la Renaissance, s. d., 36 p.
50Sur l’anathème, voir Rousso Henry, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Le Seuil, 1987, p. 81
51Sur la damnatio memoriae dans l’Antiquité, voir Loraux Nicole, La cité divisée. L’oubli dans la mémoire d’Athènes, Paris Payot, 1997 ; Baroin, Catherine, Se souvenir à Rome. Formes, représentations et pratiques de la mémoire, Paris, Belin, 2010 ; et enfin Assman Jean, La mémoire culturelle. Écriture, souvenir et imaginaire politique dans les civilisations antiques, Paris, Aubier, 2010 (1re éd. 2002).
52Ancien ministre du Front populaire, Charles Spinasse a dirigé deux journaux vichystes ; Le Rouge et le Bleu puis L’Effort. Ancien député de l’Allier, Paul Rives a été membre du Rassemblement national populaire (RNP) de Déat. Tous deux ont accordé les pleins pouvoirs à Pétain.
53Sténographie du Congrès national… 1944, arch. cit., p. 19.
54Sténographie du 37e Congrès national des 11-15 août 1945 de Paris, Archives de l’OURS, p. 16 et p. 24.
55L’analyse lexicologique montre que le nom de Paul Faure est encore prononcé deux fois en août 1946 (Sténographie du 38e Congrès national des 29 août-1er septembre 1946 à Paris, Archives de l’OURS, p. 50 et 55), une fois en août 1947, à nouveau par le délégué de Saône-et-Loire (Sténographie du 39e Congrès national des 14-17 août 1947 à Lyon, Archives de l’OURS, p. 131), deux fois en juillet 1948 (Sténographie du 40e Congrès national des 1er-4 juillet 1948 à Paris, Archives de l’OURS, partie 1, p. 29 et p. 153).
56Sténographie du 45e Congrès national des 2-5 juillet 1953 à Asnières, Archives de l’OURS, p. 388. Sur les liens entre Max Lejeune et Paul Faure, voir Castagnez Noëlline, « Max Lejeune de la défaite de 1940 à la guerre d’Algérie : une certaine idée de la guerre juste », dans Bellamy David (dir.), Max Lejeune 1909-1995. Carrière politique d’un Picard, Amiens, Encrage, 2017, p. 127-140.
57Cette liste reprise du JO est incomplète : « Les inéligibles », Le Populaire, 29 décembre 1945.
58Le Populaire, 19 juin 1945 (Déat), 30 octobre 1945 (Spinasse et Rives), 16 novembre 1945 (Rives) et 16-17 novembre 1947 (Marquet).
59Jean Castagnez, député SFIO du Cher de 1932 à 1940, était docteur en Droit. Ayant démissionné de l’inspection des impôts au lendemain du 10 juillet, il est recruté par son ami paul-fauriste Maurice Paz dans son cabinet d’avocats pour les procès de l’épuration. Voir Le Populaire, 9, 10, 11 et 16 juin 1948 et « Tribunaux », Le Monde, 18 juin 1948.
60« Les ouvriers de Muret et de Toulouse fêtent dans l’enthousiasme le jubilé de Vincent Auriol », Le Populaire, 17 septembre 1946.
61Conord Fabien, « L’encre, la pierre et la parole. Les socialistes de l’Allier et leur histoire 1944-2001 », Le Mouvement social, 2003/4, no 205, p. 43-60. Rougeron Georges, Aperçu historique sur le mouvement socialiste dans l’Allier, Nevers, Éd. de la Tribune du Centre, préface de Paul Faure, 1933, 48 p. ; Le mouvement socialiste en Bourbonnais (1875-1944), préface d’Henri Ribière, Moulins, Les Éd. du Beffroi, 1946, 83 p. La version indésirable est toutefois consultable à l’OURS et aux AD de l’Allier.
62Voir infra, chap. ii : « Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ».
63Brigouleix Jean, « Après trois ans d’expérience communiste, Limoges a la nostalgie de trente années de gestion socialiste », Le Populaire, 9 octobre 1947. Léon Betoulle est réélu maire en 1953 et meurt en 1956. Sur sa réintégration en 1950, voir infra, chap. ii, « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ».
64Faure Paul, De Munich à la Ve République, Le Mans, imprimeries du Maine Libre ; Éd. de l’Élan, 1948. Les Éditions de l’Élan publient, à la même époque, Claude Jamet, Sacha Guitry, le chanoine Desgranges…
65Sylvain Blanchet a animé la résistance paysanne dans la Creuse, d’où cette peine modérée de suspension adoptée lors du congrès de novembre 1944.
66Laurent Augustin, Préface à Gernez Raymond, Les responsables de la défaite, Cambrai, éd. de L’Espoir de Cambrai, 1946.
67Sténographie du Congrès national extraordinaire des 29-31 mars 1946, Archives de l’OURS, p. 154.
68Dupradon Pierre, Le parti socialiste dans la Résistance, Alger, Éd. de la Fraternité, s. d. (6 août 1944), p. 5, § « Les premiers résistants ».
69Sur l’histoire et la mémoire des Quatre-Vingts, voir Sagnes Jean, « Le refus républicain : les quatre-vingts parlementaires qui dirent « non » à Vichy le 10 juillet 1940 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. 38, no 4, octobre-décembre 1991, p. 555-589.
70« Au mépris de l’ennemi, ils se sont dressés contre la Tyrannie ». Photographie de la médaille recto-verso, Dossier Augustin Malroux remis par Anny Malroux à l’OURS.
71Odin Jean, Les Quatre-Vingts, op. cit. Jean Odin a été député (1928-1932) puis sénateur (1933-1942) de la Gironde. À noter, en 2010, la publication par l’Assemblée nationale et le Sénat du Le vote des Quatre-Vingts le 10 juillet 1940 à Vichy avec des textes de Jean Sagnes et Jean Marielle (Paris, éd. Talaia) et la page qui lui est consacrée sur le site de l’Assemblée [http://www.assemblee-nationale.fr/13/evenements/Ceremonie_quatre-vingts/index_2010.asp].
72Wieviorka Olivier, Les orphelins de la République, op. cit.
73Plusieurs sont appelés au gouvernement : Jean Biondi, Jules Moch, André Philip, François Tanguy Prigent et Eugène Thomas. Alors que Félix Gouin vient d’être nommé président du Conseil en janvier 1946 pour succéder au général de Gaulle, les éditions de la Liberté publient Félix Gouin. Le militant, le résistant, le chef (Paris, Éd. de la Liberté, 1946, 59 p.).
74Né en 1880, Arthur Chaussy était décédé le 28 décembre 1945. Le Populaire, 28 et 29 septembre 1947 et 30 septembre 1947.
75Le PCF emporte 30,7 % des sièges en 1947 pour 15,4 % pour la SFIO. En 1953, le PCF baisse à 28,8 % des sièges contre la SFIO qui monte à 17,7 %. En 1953, le PCF conserve la majeure partie de ses positions dans les villes à population ouvrière, mais la SFIO progresse dans le Nord, à Marseille, dans la Seine et le Centre. Voir L’Année politique 1953, Paris, PUF, 1954, p. 34-35.
76Carriche Marc (pseudonyme de Marc Ringenbach, beau-frère de Daniel et Cletta Mayer), « Après les années de sang et de travail clandestin : le retour à la lumière », Le Populaire, 6 septembre 1944.
77La formule apparaît et se stabilise seulement au cours des années 1990. Voir Ledoux Sébastien, Le devoir de mémoire. Une formule et son histoire, Paris, CNRS Éditions, 2016.
78Osmin Léon, Figures de jadis. Les pionniers obscurs du socialisme, Paris, Nouveau Prométhée, 1934.
79Voir Amalvi Christian, De l’art et la manière d’accommoder les héros de l’histoire de France. De Vercingétorix à la Révolution, Paris, Albin Michel, 1988.
80Voir Fabre Daniel, « L’atelier des héros », dans Centilivres Pierre et al. (dir.), La fabrique des héros, Paris, éd. de la MSH, Ethnologie de la France 12, 1999, p. 233-318.
81Lors du débat parlementaire sur l’entrée au Panthéon, Léon Blum avait déjà dit : « Tout en le gardant pour nous, nous le remettons à la nation et à l’histoire » cité par Fontaine Marion, « Usages politiques de Jaurès », Cahiers Jaurès, no 200, 2011/2, p. 23.
82Loi du 15 mai 1946 relative au statut et droits des combattants volontaires de la Résistance.
83Voir Barcellini Serge, « Les résistants dans l’œil de l’administration ou l’histoire du statut de combattant volontaire de la Résistance », Guerres mondiales et conflits contemporains – revue d’histoire, no 178, 1995, p. 141-165 ; « La Résistance française à travers le prisme de la carte de CVR », dans Douzou Laurent et al. (dir.), La Résistance et les Français : Villes, centres et logiques de décision, actes du colloque international de Cachan 16-18 novembre 1995, suppl. au Bulletin de l’IHTP, no 61, p. 151-181 ; Wieviorka Olivier, « Les avatars du statut de résistant en France (1945-1992) », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 50, avril-juin 1996, p. 55-66 ; et Piketty Guillaume, « Économie morale de la reconnaissance. L’ordre de la Libération au péril de la sortie de la Seconde Guerre mondiale », Histoire@Politique, 2007/3.
84Kaspi André, La libération de la France juin 1944-janvier 1946, Paris, Perrin, 1995, p. 498.
85Pour une définition générale, voir Moore Sally et Myerhoff Barbara (dir.), Secular Ritual, Assen, Van Gorcum, 1977, p. 7-8.
86Ainsi, l’identification, grâce à son ADN, de Claude Fournier, poilu de Saône-et-Loire et porté disparu à Verdun, lui a permis d’être rendu à sa famille et d’être inhumé le 21 février 2018. Voir, entre autres, [https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/siecle-apres-etre-tombe-verdun-poilu-identifie-rendu-sa-famille-1363961.html], (consulté le 11 novembre 2017).
87Voir, entre autres, Abeles Marc, Anthropologie de l’État, Paris, Colin, 1990 ; Ben Amos Avner, Le vif saisit le mort. Funérailles, politique et mémoire en France (1789-1996), Paris, Éd. de l’EHESS, 2013 (1re éd. Oxford University Press, 2000) ; Fureix Emmanuel, La France des larmes. Deuils politiques à l’âge romantique (1814-1840), Seyssel, Champ Vallon, 2009 ; et Verdery Katherine, The Political Lives of Dead Bodies : Reburial and Postsocialist Change, New York, Colombia University Press, 1999.
88Conçue comme une démobilisation de la culture de guerre par l’École de Péronne et illustrée par Cabanes Bruno, La victoire endeuillée. La sortie de guerre des soldats français 1918-1920, Paris, Le Seuil, 2004.
89Nous suivons ici la définition d’Avner Ben Amos : « Le rite présente la réalité sociale à la façon d’une lentille […] bien sûr déformante qui met en avant certains éléments de l’histoire ou de la hiérarchie sociale de la communauté et en néglige d’autres. » Voir « Draper le petit écran de noir. Les funérailles nationales à la télévision française 1945-1974 », dans Cohen Évelyne et Levy Marie-Françoise (dir.), La télévision des Trente Glorieuses. Culture et politique, Paris, CNRS Éditions, 2007, p. 199.
90Voir d’Almeida Fabrice, « Léon Blum héros socialiste », Recherche socialiste, Paris, OURS, no 10, mars 2000, p. 83-93. Sur la place fluctuante de Léon Blum dans la mémoire collective, voir Monier Frédéric, Léon Blum. La morale et le pouvoir, Paris, A. Colin, 2016, Introduction.
91Léon Blum devant la cour suprême, Riom, février-mars 1942, Comité d’Action socialiste, 1942, 32 p.
92Sœur d’André Blumel et épouse de Paul Weil, amie intime de Léon Blum, exilée aux États-Unis sous l’Occupation.
93Blum Léon, L’Histoire jugera, Montréal, Éd. L’Arbre, 1943, avec une préface de William C. Bullitt et une introduction de Suzanne Blum (mars 1943). Voir aussi « L’Histoire jugera », Le Populaire, 19 octobre 1944.
94Sténographie du Congrès national extraordinaire… 1944, arch. cit., p. 6.
95Mayer Daniel, « Il est là ! », Le Populaire, 15 mai 1945.
96Voir Le Populaire, le 9 avril 1946, les 9 et 15 avril 1947…
97Voir Vigreux Jean, « Léon Blum au regard des communistes 1919-2000 », Recherche socialiste, Paris, OURS, no 10, mars 2000, p. 57-72. Il prolonge l’étude sous le Front populaire de Kriegel Annie, « Léon Blum vu par les communistes », dans Léon Blum chef de gouvernement, colloque des 26 et 27 mars 1965 à Paris, Presses de la FNSP, (1re éd. 1967) 1981, p. 125 sq.
98Dans Le Populaire, dès le 25 mai 1945, Blum s’explique longuement sur ses conditions de détention. En août 1946, le maire de Roubaix, Victor Provo, retire leur délégation municipale à trois adjoints communistes qui ont distribué des tracts calomniant Blum. Voir Le Populaire, 10 août 1946. Jusqu’en mai 1947, les attaques restent ponctuelles.
99Par la loi du 4 janvier 1951, l’État prend à sa charge les frais occasionnés par les obsèques du président du Conseil. Nous nuancerions, par conséquent, l’analyse de Jean-Pierre Rioux qui y voit le point de départ de cette construction mythique, alors que nous la daterions plutôt du procès de Riom en 1942. Voir Rioux Jean-Pierre, Tombeaux pour la gauche, Paris, Presses de la FNSP, 1996, p. 37 sq.
100Marc Henri, « La radio rend hommage à Léon Blum », Le Populaire Dimanche, 9 avril 1950, p. 12.
101« À Jouy-en-Josas », Le Populaire, 1er et 2 avril 1950. Une liste de ses proches et amis y figure : Daniel Mayer, Jules Moch, René Naegelen, Robert Verdier, Paul Ramadier, Félix Gouin, Christian Pineau etc. Voir aussi Monier Frédéric, op. cit., p. 221-222.
102Photographie de la levée du corps le samedi 1er avril à 16 h à Jouy-en-Josas, Le Populaire, 3 avril 1950.
103« Ordre du cortège », Le Populaire, 1er et 2 avril 1950 et « Du Populaire à la Concorde. Le peuple de Paris a accompagné Léon Blum », idem, 3 avril 1950 ; et « Pour que vous soyez un peu avec ceux qui l’ont accompagné », Le Populaire Dimanche, 9 avril 1950.
104France Illustration. Le monde illustré en fait sa une le 9 avril 1950. Et ces funérailles sont même les premières à être retransmises à la télévision dans le programme quotidien d’information créé en 1949. Voir Ben Amos Avner, art. cité, p. 208. Ce film est coté – à tort – « Premier anniversaire de la mort de Léon Blum », JT, 1951, INA, [http://www.ina.fr/video/CAF94084497/premier-anniversaire-de-la-mort-de-leon-blum-video.htm].
105Voir encart publicitaire, Le Populaire, 6 avril 1950.
106La Revue socialiste, no 36, avril 1950. C’est chose faite avec les nos 38-39, 1950.
107Voir Vigreux Jean, art. cité, p. 70.
108« Soyez des “Amis de Léon Blum” », Le Populaire Dimanche, 18 février 1951, p. 5.
109Monier Frédéric, op. cit., p. 4 sq.
110Par ordre d’apparition dans Le Populaire : Gaston « Deffert » (sic) le 11 septembre 1944 ; Augustin Laurent le 19 septembre, Pierre Lambert le 6 octobre, Roger Mauger le 2 novembre et Raoul Évrard le 11 novembre.
111Les frères Ribière (p. 4) et à nouveau Henri (p. 21), François Tanguy Prigent (p. 28) et Vincent Auriol (p. 32) tous deux membres des Trente-Six « non » du 10 juillet. Voir Sténographie du Congrès national… 1944, arch. cit. Sur Tanguy Prigent, voir Bougeard Christian, Tanguy Prigent, paysan ministre, Rennes, PUR, 2002.
112À cette date, Émilienne Moreau-Évrard est déjà décorée de la Croix de Guerre 1914-1918 avec palme, mais pas encore de l’Ordre de la Libération qu’elle reçoit des mains du général de Gaulle le 11 août 1945 à Béthune. Sténographie du Congrès national… 1944, arch. cit., p. 105.
113Adrien Tixier fait l’objet d’un portrait dans Le Populaire le 21 septembre 1944 et est salué lors de l’ouverture du congrès de novembre 1944 (Sténographie du Congrès national… 1944, arch. cit., p. 28).
114Voir Le Populaire les 19, 20, 21 et 22 février 1946. Sur Tixier, plus républicain que socialiste, voir Morin Gilles et Plas Stéphane (dir.), Adrien Tixier 1893-1946. L’Héritage méconnu d’un reconstructeur de l’État en France, La Geneytouse, Lucien Souny, 2012.
115Sténographie du 48e Congrès national des 28 juin-1er juillet 1956, Archives de l’OURS, p. 1.
116Sur Gilberte Brossolette, « gardienne du temple Pierre Brossolette », voir Bililaere Emmanuelle, Elle s’appelait Gilberte Brossolette, master 2 Études politiques à Paris II – Panthéon Assas, 2016, p. 59-64 ; et Brossolette Gilberte, Il s’appelait Pierre Brossolette, Paris, A. Michel, 1976.
117Voir Piketty Guillaume, Pierre Brossolette. Un héros de la Résistance, Paris, O. Jacob, 1998 et Roussel Olivier, Pierre Brossolette, Paris, Fayard, 2011.
118L’on se souvient que lors de sa panthéonisation le 27 mai 2015 par le président Hollande, certains journalistes semblaient découvrir qu’il avait appartenu au parti socialiste. Le site que lui consacrent depuis 2017 ses descendants le qualifie d’ailleurs de « Journaliste, homme politique et héros de la Résistance française », [http://www.pierrebrossolette.com/], (consulté le 6 février 2018).
119Le Populaire, 30 septembre 1944.
120Le Populaire, 22 mars et 10 novembre 1945.
121« Il y a deux ans, Pierre Brossolette se tuait », Le Populaire, 22 mars 1946.
122Le Populaire, 23 mars 1946.
123« Les cérémonies à la mémoire de Pierre Brossolette », Le Populaire, 22 mars 1947. La veille, Marcel Roëls y a publié « Deux journalistes du Populaire, deux exemples : Pierre Brossolette et Jacques Grumbach ».
124« À la mémoire de Brossolette », Le Populaire, 21-22 mars 1948.
125Notice de Claude Geslin et Gilles Morin, DBMOF.
126Voir infra, chap. iii : « Occuper le terrain mémoriel ».
127Notice de Claude Geslin, DBMOF.
128Notice de Claude Geslin, DBMOF.
129« La Résistance socialiste. La rue Thénard », Le Populaire, 16 mai 1946 et « Les socialistes honorent les martyrs de la rue Thénard », Le Populaire, 19 et 20 mai 1946.
130« À La Rochelle, Édouard Depreux a rendu hommage à Edmond Grasset », Le Populaire, 9 juillet 1946.
131Notices de Jacques Girault et d’Alain Dalançon, DBMOF.
132Voir notice d’Yves Le Maner, DBMOF.
133« André Pantigny est mort », Nord-Matin, 18 mai 1945 et « Dimanche, à Oignies, 20 000 socialistes ont rendu hommage à la mémoire d’André Pantigny héros de la Résistance », Nord-Matin, 27 mai 1945.
134Delignies Jules, Nord-Matin, 19 et 25 septembre 1951.
135La grève a concerné 100 000 mineurs entre le 27 mai et le 10 juin 1941. Comme elle a rapidement pris un ton patriotique, elle a été durement réprimée avec 450 emprisonnés et 244 déportés. Sur son usage politique par le PCF à partir de 1944, voir Campo Silvina, Le PCF et les usages du passé résistant (1944-1974), thèse de doctorat sous la direction d’Olivier Wieviorka, Paris I-Panthéon Sorbonne, 2014, p. 284-288.
136Notice de Gilles Morin, DBMOF.
137Malroux Anny, Avec mon père Augustin Malroux, avec une préface de Lionel Jospin, Albi, Rives du temps, 1991, p. 273.
138Extraits des délibérations du Conseil municipal de Carmaux, Dossier Augustin Malroux, 112 APO, OURS.
139Grosjean Martial, « Aujourd’hui, à Albi. Hommage à Augustin Malroux », Le Populaire, 11-12 avril 1948.
140Le Populaire, 13 avril 1948.
141Vauthier Pierre, « Liberté, espoir de la Résistance. Hommage à Amédée Dunois. Discours prononcé à Clamecy le 19 juin 1949 », La Revue socialiste, no 32, décembre 1949, p. 488-496.
142Sur Pierre Vauthier, notice de Jean-Yves Boursier, DBMOF Sur Amédée Dunois, voir la biographie écrite par son petit-fils, Catonne Jean-Marie, Amédée Dunois. De Clamecy à Bergen-Belsen, Nancy, Éd. Arbre bleu, 2016. Dunois, né en 1878, a 66 ans quand il est déporté, alors que Vauthier en a 43.
143Nous reprenons ici, en partie, notre article « Les panthéonisations provinciales des trois anciens ministres du Front populaire victimes de l’Occupation », dans Chaubet François, Jansen Sabine et Martin Laurent (dir.), Générations du xxe siècle. La France et les Français au miroir du monde. Mélanges en l’honneur de Jean-François Sirinelli, Paris, CNRS Éditions, 2019, p. 265-283, et remplaçons Jean Zay par Léo Lagrange.
144Rappelons que Lagrange est député du Nord de 1942 à 1940, et secrétaire d’État aux Loisirs et aux Sports dans les cabinets Blum (juin 1936-juin 1937), Chautemps (juin 1947-janvier 1938) et à nouveau Blum (mars-avril 1938). Dormoy, député puis sénateur SFIO de l’Allier de 1938 à 1940, est ministre de l’Intérieur de novembre 1936 à janvier 1938 dans les cabinets Blum puis Chautemps, et de mars à avril 1938 dans le second cabinet Blum. Et Lebas, député SFIO du Nord de 1919 à 1928 et de 1932 à 1940, est ministre du Travail de juin 1936 à juin 1937, puis des PTT en mars-avril 1938.
145Voir Mauroy Pierre, Léo Lagrange, Paris, Denoël, 1997, p. 186-188.
146Outre Henri et René Ribière, et Michèle Auriol, plusieurs collègues députés : Isidore Thivrier (Commentry), Albert Rivière (la Creuse), Félix Gouin (Bouches-du-Rhône), Édouard Froment (Ardèche) et Lucien Hussel (Isère). Voir Touret André, Marx Dormoy, Nonette, Éd. Créer, 1998, p. 219.
147Robert Brasillach se réjouit de la disparition du « satyre barbu » dans Je suis partout, le 6 septembre 1941.
148France, publié à Londres, 28 et 30 juillet 1941.
149Nord-Matin, 6 juin 1945.
150Conord Fabien, art. cité, p. 51.
151Dormoy est ensuite cité à l’ordre de la Nation en 1946 et décoré de la Médaille de la Résistance en 1947 ; et Lebas reçoit la Médaille de la Résistance (17 avril 1946), la Croix de Guerre avec Palmes (21 juin 1946) et le grade d’Officier de la Légion d’honneur (2 janvier 1947).
152Nous en avons retrouvé la trace dans les délibérations municipales d’une ville telle que Grenoble (Séance du 7 juin 1946, p. 226).
153Gautier Maximilien, « Œuvre du jeune sculpteur Hubert Yencesse, le monument à la mémoire de Marx Dormoy », Le Populaire, 22 juillet 1948. Yencesse est un élève d’Aristide Maillol et est déjà en vogue à l’époque.
154Le Centre républicain, 27 juillet 1948.
155Madeleine consacre quelques pages aux Malraux. Leo-Lagrange Madeleine, Le présent indéfini. Mémoires d’une vie, Luisant, éditions du Corsaire, 1998, p. 213-219.
156Le Populaire, 10-11 juin 1945. Léon Blum, alité, donne son hommage à lire.
157« Dimanche à Roubaix, 50 000 travailleurs ont communié avec Léon Blum dans le souvenir de Jean Lebas », Nord-Matin, 15-16 octobre 1945.
158Nous en avons retrouvé la trace dans les délibérations municipales de villes telles que Nantes (Séance du 21 décembre 1945) ou Grenoble (Séance du 21 janvier 1946).
159Nord-Matin, 22 octobre et 24-25 octobre 1949.
160Kantorowicz Ernst, Les deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen-Âge, Paris, Gallimard, 1989, 1re éd. 1957.
161L’œuvre de Léon Blum, t. 1, Paris, A. Michel, audience du 11 mars 1942, p. 288.
162Le Parlement vote alors une loi pour budgéter ces funérailles voulues et organisées par l’État. Dans le cas de l’ancien ministre, il s’agit des premiers des 150 000 morts de la guerre (campagne de 1939-1940, aux oflags, stalags, camps de la mort, ou STO, campagne de 1944-1945) réclamés par leurs familles et rapatriés par l’État. Voir « Retour des cendres des martyrs morts en Allemagne », Le Populaire, 25 juillet 1947 et « M. Auriol a salué au Mont-Valérien… », Le Monde, 29 juillet 1947.
163Le Centre républicain, 8, 9-10, et 11 décembre 1945.
164Voir les Actualités françaises du 27 juillet 1947, INA, [http://www.ina.fr/video/AFE85002631].
165Voir Ben Amos Avner, Le vif …, op. cit., p. 285.
166Corbin Alain, Gerome Noëlle et Tartakowsky Danielle, Les usages politiques des fêtes aux xixe et xxe siècles, Paris, Presses universitaires de la Sorbonne, 1994, préface, p. 10.
167À ne pas confondre avec la SFIO. C’est « le socialisme » qui « est maître de l’heure », pour reprendre l’expression bien connue de Léon Blum, pas le parti.
168Ben Amos Avner, « La “panthéonisation” de Jean Jaurès. Rituel et politique sous la IIIe République. », Terrain, 15 octobre 1990, p. 49-64.
169Jeanne en lit des extraits lors d’une cérémonie au ministère de l’Intérieur en juillet 1947. « Marx Dormoy accepta la prison comme un honneur : celui de servir encore la République et le socialisme », Le Populaire, 24 juillet 1947.
170Le Populaire du 25 juillet 1947 invite à venir se recueillir et le compte rendu de la cérémonie est publié le 30 juillet 1947.
171Initiales barrées par les trois flèches de la SFIO pour Dormoy, trois flèches que l’on retrouve sur les coussins de fleurs. Le Populaire Dimanche du 2 septembre 1951 propose une pleine page de photographies des funérailles de Lebas.
172Du samedi 9 décembre 14H au dimanche 10 à 12H pour Dormoy (Le Centre Républicain, 9-10 décembre 1945) ; du dimanche après-midi au lundi matin pour Lagrange (Le Populaire, 30 juillet 1947) ; du vendredi midi au dimanche midi pour Lebas (La Voix du Nord, 4 septembre 1951).
173La Voix du Nord, 4 septembre 1951. Parmi ses six camarades, il y a un catholique et un prêtre.
174Pour Dormoy, il s’agit de Vincent Auriol, André Blumel, Suzanne Blum-Weill et André Constant (Le Centre républicain, art. cité).
175« Le cercueil joue le même rôle que la statue du saint dans une procession » rappelle Ben Amos dans Le vif…, op. cit., p. 338.
176Le Centre républicain, 11 décembre 1945.
177Le 27 juillet 1947, Vincent Auriol note dans son journal que la cérémonie est « très émouvante » et qu’il y a « parmi les cercueils, celui de mon très cher et héroïque ami Léo Lagrange », Journal du Septennat, éd. établie par Pierre Nora et Jacques Ozouf, Paris, Taillandier, 2004.
178France-Soir, 4 septembre 1951.
179Voir l’exemple d’Orléans et le graphique « Fièvre électorale et mémorielle en 1945 et 1946 », dans Castagnez Noëlline, « La mémoire de la Seconde Guerre mondiale dans la vie politique orléanaise après la Libération », dans Allorant Pierre et al. (dir.), Mémoires des guerres. Le Centre-Val-de-Loire de Jeanne d’Arc à Jean Zay, Rennes, PUR, 2015, p. 274.
180« Nouvelles du jour », Le Monde, 8 et 11 décembre 1945.
181Le Monde, 17 et 20 octobre 1945 et 2 mai 1946.
182Nord-Matin et Voix du Nord art. cité ; Le Monde, 3 et 4 septembre 1951. Il avait déjà annoncé le rapatriement de Lebas le 7 août. France-Soir, 2 et 3 septembre et 4 septembre 1951.
183Le socialiste Eugène Thomas est alors ministre des Postes et Télécommunications.
184Nord-Matin, 13 et 14 octobre 1945.
185Le Centre républicain, 9 décembre 1945.
186Sur la confiscation du Mont-Valérien par de Gaulle, voir Namer Gérard, La commémoration en France de 1945 à nos jours, Paris, L’Harmattan, 1987, p. 170-171.
187Photographie dans Le Populaire, 3-4 août 1947.
188Le Populaire, 27 juillet 1948.
189France-Soir, 4 septembre 1951.
190La Voix du Nord, 4 septembre 1951.
191Le Populaire, 16-17 mai 1948.
192Nord Matin, 14 octobre 1945.
193« Marx Dormoy accepta… », art. cité.
194Centre républicain, 27 juillet 1948.
195France-Soir, 4 septembre 1951.
196La Voix du Nord, 4 septembre 1951.
197Formule empruntée à Cassou Jean (La mémoire courte, Paris, Éditions de Minuit, 1953), lequel prend le contrepied du discours de Pétain du 27 juin 1941.
198Halbwachs Maurice, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris, A. Michel, 1925.
199Douzou Laurent, La Résistance française : une histoire périlleuse, Paris, Le Seuil, 2005, p. 122.
200Thalmann Rita, « L’oubli des femmes dans l’historiographie de la Résistance », Clio. Histoire, Femmes, et sociétés, no 1, 1995. À noter qu’il s’agit du premier numéro de la revue, intitulée Clio. Femmes, genre, Histoire depuis 2013.
201Sténographie de la Conférence des secrétaires fédéraux du 20 mai 1945, Archives de l’OURS, p. 10.
202Depuis Wieviorka Annette (Déportation et Génocide. Entre la mémoire et l’oubli, Paris, Hachette, 1992), Epelbaum Didier (Pas un mot, pas une ligne ? 1940-1994, des camps de la mort au génocide rwandais, Paris, Stock, 2005) puis Poznanski Renée (Propagandes et persécutions. La Résistance et le “problème juif” 1940-1944, Paris, Fayard, 2008) ont montré que, si les survivants témoignent dès la Libération, c’est la presse issue de la Résistance qui ne s’empressent guère à relayer leurs récits. Azouvi François (Le mythe du grand silence. Auschwitz, les Français, la mémoire, Paris, Folio-Gallimard, 1re éd. 2010, 2015) souligne que certaines élites dans les milieux chrétiens, des Lettres et du cinéma, pourtant, dénoncent l’extermination des juifs dès la fin de la guerre.
203Le Populaire, à partir de 1946, a ainsi une rubrique « De la femme. Joies et soucis de la femme » que l’on peut qualifier aujourd’hui d’essentialiste et d’infantilisante.
204Virgili Fabrice, La France virile. Des femmes tondues à la Libération, Paris, Payot, 2000.
205Sténographie du Congrès national extraordinaire… 1944, arch. cit., p. 180.
206Sténographie de la Conférence des secrétaires fédéraux du 20 mai 1945, arch. cit., p. 54. Notice de Gilles Morin, DBMOF.
207Sténographie de la Conférence des secrétaires fédéraux du 20 mai 1945, arch. cit., Georges Rougeron (Allier) p. 30, Gaston Defferre (Bouches-du-Rhône) p. 35, le délégué de l’Hérault p. 44 etc.
208Sténographie de la Conférence des secrétaires fédéraux du 20 mai 1945, arch. cit., p. 51.
209Labrousse Ernest, « Que seront les élections ? », La Revue socialiste, no 1, mai 1946, p. 18.
210Voir le site du musée de l’Ordre de la Libération, https://www.ordredelaliberation.fr/fr/][compagnons/1038-compagnons], (consulté le 26 août 2017).
211Voir par exemple les clichés de genre véhiculés par Le Populaire dans ses numéros des 9-10 juin et 17-18 novembre 1946.
212Je remercie vivement ici Gilles Morin d’avoir fait tourner sa base de données pour extraire ces résistantes socialistes de l’oubli. Leurs notices intègrent progressivement le DBMOF.
213Voir Dossin Chantal, Elles étaient juives et résistantes. Convoi 76, Tours, éd. Sutton, 2018, p. 62-78 ; et Catonne Jean-Marie, « Suzanne Buisson, socialiste, féministe et résistante 1883-1944 », Recherche socialiste, nos 80-81, juillet-décembre 2017, p. 171-193.
214« Nous avons volontairement différé l’hommage de notre affection et de notre peine plutôt que de reconnaître le fait accompli. C’est d’aujourd’hui seulement que nous nous sentons le droit de la compter parmi nos martyrs et nous les perdons tous les deux ensemble », explique Léon Blum dans Le Populaire le 2 septembre 1946.
215« Au Palais de la Mutualité, devant un auditoire féminin… », Le Populaire, 17 mars 1947 et Bourgin Georges, « L’École socialiste », Le Populaire, 27 mars 1947.
216Mayer Daniel, « Une héroïne socialiste. Notre Suzanne Buisson », Évidences, décembre 1950 repris dans Le Vétéran socialiste, no 5, avril 1951.
217Louis-Levy Marthe, ancienne secrétaire des Femmes socialistes et amie de Suzanne Buisson, Le Vétéran socialiste, no 11, mai 1954, pour les dix-ans de sa mort.
218Agent de transmission du réseau Alliance, elle a installé, chez elle, au 120 rue de la Pompe, un poste émetteur. Arrêtée le 6 juillet 1944, torturée par la Gestapo, elle est incarcérée à Fresnes jusqu’au 15 août et sera ensuite reconnue invalide à 75 %. Déportée, elle est rapatriée le 7 juin 1945. Officier des Forces françaises combattantes, décorée de la Croix de Guerre, avec étoile de vermeil, de la médaille de la Résistance, de la croix du combattant 1939-1945 et de la médaille du déporté. Elle est candidate en seconde position derrière Daniel Mayer dans la 2e circonscription de Paris en 1951. Informations fournies par Gilles Morin que je remercie.
219Sans doute, une femme a-t-elle besoin de plus de titres et d’honneurs qu’un homme pour rentrer au Panthéon au sens figuré, et de beaucoup plus de temps au sens propre. Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillion entrent au Panthéon, sous le quinquennat Hollande, le 27 mai 2015.
220« Madame l’institutrice exagère, et aussi son mari, Monsieur l’ex-député : premier avertissement », Le Cri du peuple, organe du Parti populaire français de Doriot, 29 juillet 1941, Dossier Augustin Malroux remis par Anny Malroux à l’OURS.
221Il existe, cependant, aujourd’hui un boulevard Marie et Alexandre Oyon au Mans.
222Intervention de Daniel Mayer, Sténographie du Congrès national… 1944, arch. cit., p. 13. Il y a une faute sur le pdf : lire « Gilberte » et non « Germaine ».
223Gilberte Brossolette est membre de l’ACP de Paris, de la première ANC (Seine), puis membre du Conseil de la République de 1946 à 1958, dont elle est la vice-présidente de 1946 à 1954.
224Au congrès d’août 1947, Madeleine Laissac tance l’assistance : « Tout au long du jour vous affirmez qu’il faut s’intéresser au recrutement féminin, tout au long du jour vous dites qu’il faut attirer les femmes et lorsqu’à la tribune du congrès on traite de ces questions-là, vous écoutez d’une oreille plutôt distraite et ne faîtes aucune attention à ce que l’on dit. » Sténographie du 39e Congrès national 14-17 août 1947, 1re partie, Archives de l’OURS, p. 79.
225Fondé par le pasteur américain Frank Buchman, sur le modèle de Gandhi, en 1938, ce mouvement évangéliste a renoncé à tout prosélytisme religieux, mais affiche clairement un anticommunisme et un européisme que partage Irène Laure. Piguet Jacqueline, Pour l’amour de demain, Le Mont sur Lausanne, Éditions de Caux, 1985.
226Rimbert Pierre, « L’Avenir du PS I. Son évolution de 1920 à 1950 » et « L’avenir du PS II. Âges et composition sociale », La Revue socialiste, no 2 et no 3, 1952. Il reprend cette étude pour « Le Parti socialiste SFIO », dans Duverger Maurice (dir.), Partis politiques et classes sociales en France, Paris, A. Colin, 1955, p. 195-207.
227Rousso Henry, Le syndrome…, op. cit., chap. i : « Le deuil inachevé 1944 et 1954 » et plus particulièrement les p. 40-41.
228Voir Cochet François, Les exclus de la victoire. Histoire des prisonniers, déportés et STO 1945-1948, Paris, SPM, 1992.
229Sans vouloir « écrire l’histoire à l’envers », selon l’expression de François Azouvi (Français, on ne vous a rien caché, Paris Gallimard, 2020, p. 18), le contraste avec le parti d’Épinay est tel qu’il interroge, non seulement sur les causes d’un tel tumulte après juin 1971 (voir chap. v et vi), mais aussi sur celles de cette mise en sourdine aux lendemains de la guerre.
230Thomas Eugène, « Rescapé de Buchenwald… Propos d’un revenant », Nord-Matin du 25 mai au 9 juin 1945, mais il n’évoque le camp que dans les deux premiers numéros. « De retour des bagnes nazis. Interview de Gaston Charlet », Populaire du Centre du 19 juin au 24 juillet 1945, Charlet Gaston, De retour des bagnes nazis Interview de Gaston Charlet, Limoges, Éd. ouvrières et socialistes du Centre, 1945, 32 p. et Karawanken, le bagne dans la neige, Limoges, Rougerie, 1955.
231Comité national pour l’érection et la conservation d’un mémorial de la déportation au Struthof, avec la collaboration du CH2GM, Natzwiller-Struthof, Préface du Dr Léon Boutbien, Paris, Imprimerie municipale, 1955.
232Pineau Christian, La simple vérité, Paris, Julliard, 1960 et Breitman Lucien, À la margelle du puits : Compiègne 1941-Falkensee 1945, Paris, Baudinière, 1981.
233D’après Annette Wieviorka, pas moins d’une centaine d’ouvrages et de brochures sont publiés en France, entre 1945 et 1947, sur les camps de concentration. Wieviorka Annette, Déportation et génocide. Entre la mémoire et l’oubli, Paris, Hachette, 1995, p. 68.
234Thomas Eugène, Nord-Matin, 25 mai 1945.
235Lalieu Olivier, La zone grise ? La Résistance française à Buchenwald, Paris, Tallandier, 2005.
236Maurel Stéphane, Aux origines de la FNDIRP (1944-1946), Paris, FNDIRP, 1993, p. 52. Il faut faire attention aux erreurs sur les noms propres.
237Wolikow Serge et Vigreux Jean, Les combats de la mémoire. La FNDIRP de 1945 à nos jours, Paris, Le Cherche midi, 2006, p. 35-37.
238Vigreux Jean, « Le comité d’entente socialiste-communiste », dans Berstein Serge et al. (dir.), Le parti socialiste entre Résistance et République, Paris, Publications de la Sorbonne, 2000, p. 181-203.
239Bruttmann Tal, Joly Laurent et Wieviorka Annette (dir.), Qu’est-ce qu’un déporté ? Histoires et mémoires des déportations de la Seconde Guerre mondiale, Paris, CNRS Éditions, 2009.
240Sténographie de la Conférence des secrétaires fédéraux du 20 mai 1945, arch. cit., p. 7.
241Voir, entre autres, l’intervention assez véhémente du secrétaire fédéral des Basses-Pyrénées (Sténographie de la Conférence des secrétaires fédéraux du 20 mai 1945, arch. cit., p. 28).
242Intervention de la rapporteuse de la Commission, Andrée Marty-Capgras, Sténographie du 37e Congrès national des 11-15 août 1945, arch. cit., p. 46.
243Intervention du secrétaire fédéral des Basses-Pyrénées, idem, p. 48.
244Intervention d’Andrée Marty-Capgras, idem, p. 54.
245Résolution présentée par le déporté Jean Biondi et adoptée à l’unanimité, idem, p. 399-340.
246Intervention du délégué de la Somme, idem, p. 54.
247Intervention d’Étienne Gagnaire, idem, p. 53.
248Comité national de la FNCEAIDP, réunion du 30 juin 1945, cité par Wolikow Serge et Vigreux Jean, op. cit., p. 55.
249« Chez les prisonniers et déportés », Le Monde, 18 décembre 1945. Michel Boucher est l’un des rares socialistes à militer à la FNDIRP dont il devint même vice-président. Ce responsable hétérodoxe quitte la SFIO pour le PSA en septembre 1958. Notice de Gilles Morin, DBMOF.
250Les débats sont analysés dans Wieviorka Annette, Déportation…, op. cit., p. 143-156. Pour une analyse sur la longue durée voir Lalieu Olivier, « Le statut juridique du déporté et les enjeux de mémoire de 1948 à nos jours », dans Bruttmann Tal et al. (dir.), op. cit., p. 333-350.
251En 1949, Albert Aubry, ancien déporté et député d’Ille-et-Vilaine, montre que le sujet n’est plus considéré comme un enjeu : « Camarades, il est évident que j’ai trouvé – mais ça c’est l’habitude – qu’on avait encore une fois négligé la question des anciens combattants et victimes de la guerre… », Sténographie du Conseil national du 27 février 1949, Archives de l’OURS, p. 102.
252Wieviorka Annette, « Shoah : les étapes de la mémoire en France », dans Blanchard Pascal et Veyrat-Masson Isabelle (dir.), Les guerres de mémoires. La France et son histoire, Paris, La Découverte (2008), 2010, p. 109. Pour autant, comme l’a montré François Azouvi, le sort des déportés « raciaux » n’est ni nié, ni minoré par l’État et les parlementaires. Azouvi François, op. cit., p. 84-88.
253Voir par exemple la série « Incroyable mais vrai ! », Le Populaire, 18 et 19 octobre 1944 ; « Ce scandale va-t-il se prolonger ? », 5 décembre 1944,
254« Matin = 5e colonne, 5e colonne = antisémitisme », Le Populaire, 15-16 octobre 1944.
255« 16 juillet 1942. La grande rafle… et ce fut la déportation », Le Populaire, 21 juillet 1945.
256Le Populaire, dimanche 17-18 novembre 1946.
257Le Populaire, 17 avril 1945.
258Kanter Berthe, Le Populaire, 13, 16, 17, 19, 20 et 21 août 1947.
259Kanter Berthe, Le Populaire, 9, 10 et 11 septembre 1947.
260Rabaud Jean, « Le problème juif », Le Populaire, 24 septembre 1947. Sur Georges Wellers (1905-1991), voir Klarsfeld Serge, « Georges Wellers est mort », Revue d’histoire de la Shoah, no 185, 2/2006.
261Texcier Jean, Le Populaire Dimanche, 4 septembre 1949.
262Grynberg Anne, « Des signes de résurgence d’antisémitisme dans la France de l’après-guerre (1945-1953) ? », Les Cahiers de la Shoah, 1/2001, p. 171-223.
263Weil-Curiel André, Règles de savoir-vivre à un jeune Juif de mes amis, Paris, Éd. du Myrte, 1945, cité par Grynberg Anne, art. cité, p. 175.
264Cité par Grynberg Anne, art. cité, p. 187-188.
265Annie Kriegel montre qu’un « écheveau embrouillé d’attitudes anciennes, de traditions incertaines et de principes mal dégrossis » explique cette méfiance pour ne pas dire plus à l’égard de Blum « l’intellectuel juif ». En outre, il reste « l’homme du discours de Tours ». Kreigel Annie, art. cité, p. 132.
266Clarté, 11 mars 1948.
267Sténographie du Congrès national… 1944, arch. cit., p. 270.
268Sur ce sujet, voir chap. iii : « D’une guerre à l’autre » et « Que faire du “Plus jamais ça” de l’entre-deux-guerres ? ».
269Nogueres Louis, Vichy, Juillet 1940, Paris, Fayard, 2000, p. 23.
270Lettre d’Édouard Depreux à Daniel Mayer du 8 juin 1945, citée par Martine Pradoux dans sa notice du DBMOF. Voir aussi Pradoux Martine, Daniel Mayer, un socialiste dans le Résistance, Éd. de l’Atelier, 2002, p. 238.
271Dreyfus Michel, L’antisémitisme à gauche. Histoire d’un paradoxe de 1830 à nos jours, Paris, La Découverte, 2009, p. 200.
272Ligou Daniel, « L’affaire Finaly », La Revue socialiste, no 67, mai 1953, p. 474. L’affaire Finaly (1945-1953), du nom de deux enfants juifs confiés à une institution catholique pendant la guerre et que celle-ci refuse de rendre à sa famille après la Libération.
273Devin Guillaume, L’Internationale socialiste. Histoire et sociologie du socialisme international (1945-1990), Paris, Presses de la FNSP, 1993.
274Sténographie du 37e Congrès national des 11-15 août 1945, arch. cit., p. 352.
275« 1er novembre », Le Populaire, 2-3 novembre 1947.
276Max Lejeune, qui parle aussi au nom de Biondi, idem, p. 387 et 389.
277Marinus van der Goes van Naters, idem, p. 163.
278Voir Moine Philippe, Les socialistes français devant le mouvement sioniste et la création de l’État d’Israël : 1945-1949, Mémoire de DEA, IEP Paris, 1993, 110 p.
279« Déclaration sur le problème juif », PS-SFIO, 37e Congrès national, 11-15 août 1945 – Paris – Rapports, Paris, Librairie du Parti, 1945, p. 115.
280Sténographie du 39e congrès national des 14-17 août 1947, 2e partie, Archives de l’OURS, p. 250.
281Blum Léon, « L’affaire de Palestine », Le Populaire, 6 juillet 1947. Dans la biographie qu’il lui a consacrée, Pierre Birnbaum revient sur ce « fou de la République » en soulignant qu’il n’a jamais renié sa judéité et qu’il est sioniste dès l’origine. Voir Birnbaum Pierre, Léon Blum un portrait, Paris, Le Seuil, 2016.
282Carriche Marc, « L’État juif est proclamé », Le Populaire, 15 mai 1948.
283Léon Boutbien, Sténographie du 40e Congrès national des 1er-4 juillet 1948, Archives de l’OURS, p. 188.
284Emanuel Scherer, Sténographie du 47e Congrès national du 30 juin-3 juillet 1955, Archives de l’OURS, p 309. Rappelons que le Bund est, quant à lui, opposé à la création d’un État israélien.
285Wieviorka Annette, « 1992 : réflexions sur une commémoration », Annales ESC, no 48, 3/1993, p. 704-709 ; et « La représentation de la Shoah en France : mémoriaux et monuments », dans Boursier Jean-Yves, Musées de guerre et mémoriaux, Paris, Éd. de la MSH, 2005, p. 49-57.
286Barriere Philippe, Formes et suages du passé : Grenoble en ses après-guerres (1944-1964), thèse de doctorat sous la direction d’Yves Lequin, université Lyon II, 2000, p. 607.
287Le 12 novembre 1949 dans Le Figaro littéraire, l’ancien déporté David Rousset invite ses camarades de déportation à enquêter sur le système concentrationnaire soviétique. La FDNIR et la SFIO souscrivent à cette proposition, pendant que les non-communistes de la FNDIRP font scission et créent l’UNADIF. En tant que membre fondateur de la FNDIR, Eugène Thomas participe à la création de l’UNADIF, lors d’un congrès commun à Compiègne (voir Le Monde, 6 juin 1950). Le Réseau du souvenir est créé par Annette Christian-Lazard et Paul Arrighi.
288Barcellini Serge, « Deux journées nationales commémorant la déportation et les persécutions des “années noires” », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 45, janvier-mars 1995, p. 76-98.
289M. Perrard, adjoint au maire SFIO, Délibérations du conseil municipal, le 10 décembre 1954, AM d’Orléans, p. 942.
290Olivier Lalieu, « La lente émergence de la mémoire de l’internement et de la déportation juive : le CERCIL », Allorant Pierre et al. (dir.), Mémoires des guerres. Le Centre-Val-de-Loire de Jeanne d’Arc à Jean Zay, Rennes, PUR, 2015, p. 31-42.
291« La journée nationale de la déportation », Le Monde, 30 avril 1957.
292Rousso Henry, op. cit., p. 176 ; et « Les racines du négationnisme en France », Cités, 2008/4, no 36, p. 51-62.
293Bardeche Maurice, Nuremberg ou la terre promise, Paris, les Sept couleurs, 1948. Bardèche a été inculpé et son ouvrage saisi.
294Brayard Florent, Comment l’idée vint à M. Rassinier, préface de Pierre Vidal-Naquet, Paris, Fayard, 1996 et Fresco Nadine, Fabrication d’un antisémite, Paris, Le Seuil, 1999. Dans le mensonge d’Ulysse, Rassinier ne nie pas, mais émet un doute : lui, le déporté, n’a pas vu de chambres à gaz. Florent Brayard montre comment, de raccourci en raccourci, on lui a attribué la négation pure et simple du génocide ; or c’est un peu plus compliqué (p. 158-162).
295Bulletin intérieur du Parti socialiste SFIO, no 43, juin 1949, OURS et Le Populaire Dimanche, 31 juillet 1949, p. 3.
296Souligné par nous. Précisons que cet article n’est pas signé et qu’il est donc assumé par l’ensemble de la rédaction.
297Vidal-Naquet Pierre, Les assassins de la mémoire. Un Eichmann de papier (1980) et autres essais sur le révisionnisme, Paris, La Découverte, 2005.
298Cet argument est repris bien plus tard, dans les années quatre-vingt, par Ernst Nolte, provoquant ainsi la fameuse querelle des historiens allemands.
299Le 27 novembre 1949, Le Populaire Dimanche (p. 3) récidive dans son erreur avec une recension élogieuse et non signée de Passage de la ligne : « lucide, intransigeant, terriblement honnête », « un livre bâti sur du vrai ».
300Cité par Fresco Nadine, op. cit., p. 533.
301Maurice Guérin (MRP – Lyon), séance du 2 novembre 1950, AN, JO, p. 7387-7388.
302Brayard Florent, op. cit., p. 159.
303La République libre du 10 novembre 1950 et Juvénal du 18 novembre 1950, cité par Brayard Florent, op. cit., p. 166-167.
304Daniel Mayer (SFIO – Seine), séance du 7 novembre 1950, AN, JO, p. 7507-7511.
305« Le procès des associations de déportés contre M. Rassinier… », Le Monde, 25 avril 1951.
306Fresco Nadine, op. cit. p. 536-539.
307Bulletin intérieur du Parti socialiste SFIO, no 57, juillet 1951, OURS.
308Une amende de 100 000 francs et quinze jours de prison avec sursis d’après Le Monde, 5 novembre 1951.
309Rémy Sicard, sténographie du Conseil national des 1er et 2 décembre 1951, Archives de l’OURS, p. 96.
310Avocat, Rémy Sicard préside la CNC de 1944 à 1965 et, pour qui a lu tous ses rapports, le « mon Dieu » qu’il répète à plusieurs reprises ne lui est pas coutumier.
311La République libre, no 88, 6 octobre 1950.
312Sténographie du Conseil national des 1er et 2 décembre 1951, arch. cit., p. 96-97.
313Jacques Muglioni devient inspecteur général de philosophie en 1963 et doyen de l’IG en 1971, postes qu’il occupe respectivement jusqu’en 1985 et 1983…
314Jean-Noël Bailly, professeur d’anglais, sténographie du Conseil national des 1er et 2 décembre 1951, arch. cit., p. 99.
315Daniel Mayer, idem, p. 102 et de Georges Brutelle, idem, p. 104. Nous ne reviendrons pas ici sur le plaidoyer de Marceau Pivert et la solidarité victimaire et quelque peu paranoïaque dont il fait preuve à l’égard de Rassinier car, en cela, Pivert est peu représentatif et ceci nous éloignerait de notre propos. Voir Fresco Nadine, op. cit., p. 541-545.
316Échange de lettres, Archives de l’OURS, cité par Fresco Nadine, idem, p. 538-539.
317La République libre, no 267, 23 juillet 1954.
318Rassinier Paul, Le mensonge d’Ulysse, 2e éd., Mâcon, à compte d’auteur, 1955.
319Muglioni Jacques, « L’histoire et la vérité », La Revue socialiste, no 90, octobre 1955, p. 312-321.
320Voir Gueraiche William, Les femmes et la République, Paris, Éd. de l’Atelier, 1999, parties I et II, et Castagnez Noëlline, Socialistes en République. Les parlementaires SFIO de la IVe République, Rennes, PUR, 2004, p. 42-48.
321Le Populaire, 27 juillet 1948.
322Citons, par exemple, le charnier de Signes, découvert le 16 septembre 1944, grâce au récit d’un jeune bûcheron de Cuges qui a assisté aux exécutions du 18 juillet, et où figurent plusieurs socialistes : Marcel André, Louis Martin-Bret et Jean Piquemal. Voir exposition virtuelle Mencherini Robert (dir.), « La Résistance en Provence – Alpes Côte d’Azur. Le vallon des fusillés à Signes », musée de la Résistance en ligne, [http://museedelaresistanceenligne.org/expo.php?expo=95&theme=203&stheme=422#media7927]. La découverte inattendue du charnier du Polygone à Grenoble le 26 août 1944 est aussi un véritable traumatisme. Voir Barriere Philippe, op. cit., p. 351.

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