Au spectacle des sœurs
Les villes des religieuses à l’époque de la Réforme (xvie siècle)
p. 123-135
Texte intégral
1Un dossier daté de 1616, dans les archives départementales de l’Hérault, contient la plainte de la prieure Blanche de Castillon adressée au gouverneur de Montpellier :
« La suppliante dans sondit monastere, sur les six heures apres midy, auroit entendu ung grand bruit a la rue au devant dud monastere et estant dessendu sur la porte dicelluy auroit veu Lamouroux jeune habitant de ceste ville luy reniait par blasphemes le nom de dieu, ce qu’ayant reytere par plusieurs fois, luy aiant, la suppliante, […] remonstrer quil parloit mal, lexorte de ny retourner plus, voire de sen aller loing dud monastere avoir sa querelle ailheurs1. »
2L’agresseur fait fi de ces remontrances et soufflette la religieuse. Cette anecdote théâtrale nous permet de rencontrer la prieure de Saint-Guilhem, qui passe le seuil du couvent pour s’engager dans l’espace public de la rue et reprendre verbalement le blasphémateur. Le tumulte de la rue est audible depuis le couvent, car les cris qui s’élèvent de la voie longeant le couvent poussent la prieure à entrer dans l’action et prendre en charge une position d’autorité publique et religieuse. Au premier regard, par cette interaction, elle devient visible au monde et actrice du siècle : des passants agissent et viennent à son secours. Puis, par ce processus de poursuites judiciaires, l’agression est prise en compte, pendant les mois qui suivent, par les institutions de la ville de Montpellier : l’événement acquiert donc une forme de publicité2. Enfin, grâce à cette démarche de plainte, la confrontation, riche d’informations sur les relations concrètes entre le monastère et son tissu urbain d’accueil, nous devient accessible.
3Afin de comprendre comment s’insèrent les nonnes et leurs couvents dans l’ensemble des représentations sur l’espace urbain formées par ses différents acteurs, les procédures judiciaires sont une source inestimable : le conflit, pour reprendre un concept de la géographie urbaine, manifeste des interrelations spatialisées3. Or, à ce sujet, la Réforme est un moment archivistique fort pour révéler la place que tiennent les couvents dans leurs rues : les épisodes conflictuels, à plusieurs échelles, s’étalent de la basse intensité des injures, des critiques voilées, jusqu’au paroxysme de l’expulsion, et créent, du fait de l’exceptionnalité des mesures prises contre les institutions monastiques à ce moment, les conditions nécessaires de leur conservation par écrit. Ainsi, une histoire sociale de la visibilité des couvents féminins dans leurs espaces urbains serait possible.
4Pour analyser dans le détail, et au prisme d’une histoire par le bas, comment la Réforme transforme la visibilité même des cloîtres dans la ville, deux épisodes sont révélateurs : le premier met en scène le couvent des dominicaines de Saint-Guilhem à Montpellier mais, contrairement à notre cas d’ouverture, avant la Réforme. Ce nouveau récit judiciaire révèle, par une focale étroite, les modalités de l’insertion d’un couvent dans l’horizon quotidien de la population qui l’entoure. Le second cas est plus connu, il s’agit de la sortie des religieuses de Genève et de montrer comment la ville endosse un rôle et un sens métaphorique sous la plume de la religieuse Jeanne de Jussie qui relate l’événement.
5À partir de ces cas d’étude, un cheminement en trois temps permet d’interroger dans quelle mesure la Réforme bouleverse la relation d’intimité et de voisinage pourtant ancienne entre l’espace urbain et ses couvents féminins. La relation entre monastères féminins et ville s’inscrit en effet sur le temps long. Plusieurs travaux ont montré que les couvents de femmes sont rapatriés dans l’enceinte des villes entre le xiiie et le xive siècle4. Ces écrits manifestent un tournant historiographique dans l’analyse des couvents féminins modernes à la fin des années 1990 et au début des années 2000, par lequel l’espace urbain devient une composante fondamentale à analyser dans la compréhension du monastère féminin. Que ce soit par l’histoire des femmes – et, dans cette optique, Gabriella Zarri est l’une des premières à avoir insisté sur une « connotation citadine des monastères de femmes5 » –, ou par l’histoire de l’architecture avec Helen Hills, qui explique que les couvents féminins italiens de la réforme catholique s’appuient sur l’ostentation architecturale pour montrer à la ville la nécessaire invisibilité des religieuses au moment où la clôture devient, dans l’imaginaire social, la condition sine qua non de la virginité6, l’histoire sociale des monastères passe aussi par l’étude de leur substrat urbain.
6Au même moment, la question des rapports entre le cloître et la société urbaine qui l’environne a été posée à plusieurs espaces, dans des monographies qui remettent toutes en question la clôture comme frontière imperméable ; dès lors, au sein de cette histoire, les relations entre nonnes et citadins se font quotidiennes, consensuelles et conflictuelles, intéressées, monétarisées, et pas uniquement spirituelles. Des études sur des villes sont construites par l’angle généralement d’un couvent de femmes ou d’un ordre (Philippe Annaert dans la France du Nord et les Pays-Bas méridionaux, Sophie Collette à Amiens, Gaël Rideau à Orléans7…).
7Dernière évolution de cet intérêt pour l’étude croisée d’histoire urbaine et d’histoire conventuelle, l’apport incontestable d’une histoire matérielle ou des objets, qui rend visibles les interrelations et les échanges entre les cloîtres et leur substrat urbain, avec, par exemple, les travaux de Nicolas Guyard au sujet de l’arrivée de reliques dans des couvents de villes8. Enfin, cette dynamique historiographique, si elle s’intéresse d’abord à la réforme catholique et à la clôture pré-tridentine, ne laisse pas complètement de côté le xvie siècle des réformes : l’analyse historique des liens entre ville et communauté religieuse est abordée dans des monographies traitant de villes qui passent à la Réforme, au sein d’un chapitre dédié aux maisons religieuses. Ces études recouvrent un large spectre spatial et croisent, ponctuellement, une histoire sociale des espaces urbains avec une histoire des femmes cloîtrées : Anne-Marie Heinz-Müller à Strasbourg9, Lyndal Roper à Augsbourg10, ou encore Susan Brigden à Londres11.
8Ainsi, sans poser les questions déjà abordées par l’historiographie d’une osmose économique entre les monastères et leur tissu urbain12, ni celle des liens apparents dans le recrutement des couvents entre les familles de la ville et les monastères13, ni encore celle de l’emprise foncière des institutions monastiques14, il s’agira d’avancer quelques pistes sur la manière dont le couvent est vu et perçu par les habitants, et comment, en miroir, les religieuses, en tant qu’individus et communauté, livrent une vision de leur ville d’accueil, au moment où la présence même du couvent est questionnée par les nouvelles idées réformées. Chronologiquement, les cas présentés se situent donc dans l’empan chronologique entre les débuts de la Réforme et ceux du concile de Trente : en effet, la clôture, pré-tridentine et prise dans des conflits multiples, se révèle suffisamment poreuse pour laisser passer les regards. Il s’agira de faire sortir ce chapitre d’histoire des religieuses de son statut d’anecdote de la Réforme urbaine.
« C’estoit ung peu apres midi, il qui parle se print a cheminer le long de la rue du Corrau » : la place du couvent dans « l’affaire Pastier »
L’affaire du cordier au prisme de l’espace
9À Montpellier, une dizaine de personnes témoignent sur les événements d’une journée de fin mai 1541 et contribuent à notre compréhension de la manière dont le couvent est perçu par ses voisins directs. Venons-en aux faits : alors que le père d’une des résidentes du couvent, Sandro Guichard, fait chercher au couvent sa fillette malade et que les religieuses raccompagnent l’enfant devant la porte, un homme, François Pastier, commence à les invectiver, en particulier la prieure. Il se met à les insulter, hurlant pour qu’elles l’entendent derrière leurs murs : « putains, ribauldes, meschantes, villaines15 ». La supérieure serait aussi la « paillarde » du prieur du couvent, M. Pons. L’affaire ne se limite pas à ce moment de sauvagerie (comme le nomme la source) mais s’étend dans le temps : l’homme, malgré les reproches des passant · e · s, continue de crier « a haulte voix » et finit par rentrer dans sa boutique. Le prieur du couvent y vient l’admonester mais le cordier poursuit ses injures. Il contraint le prieur à l’abandon et entame une course poursuite :
« touteteffoys led Pastier sortit hors delad boutique le suyvit apres jusques au devant la maison des heritiers de feu Jullian Boysson criant tousjours a haulte voix et se couroussant aud […] Pons et un autre prebstre qualloit aussi, luy leur disant quil nestoient que des palhards et de meschants ».
10Ce document présente donc un événement individuel de rébellion contre le clergé. Le coupable, cordier, tient boutique rue du Courreau, longeant le couvent des dominicaines. L’hypothèse d’un crypto-protestantisme qui s’exprimerait est plausible (les premiers étudiants montpelliérains jugés pour des idées luthériennes le sont en 1528-152916). On retrouve dans ces propos les critiques classiques d’un anticléricalisme manié notamment par les réformés. Par exemple, lorsque Guillaume Farel évoque les religieuses de Sainte-Claire à Genève, qu’il est chargé de convertir, il affirme : « ce n’estoient que toute pallardise et hypocrisie17 », et les mêmes accusations de relations sexuelles avec les membres du clergé masculin en charge de leur monastère sont soulevées. Mais dans le procès montpelliérain, rien ne vient confirmer une attaque protestante.
11Ce document peut néanmoins être analysé par un autre biais, celui de l’insertion du couvent dans le microcosme de la rue et constituer une loupe grossissante sur ces interrelations. En un mot, c’est donc davantage une querelle de voisinage qu’un affrontement judiciaire lié à des questions religieuses.
Relation(s) de voisinage
12Quelles sont alors ces relations de voisinage, à la fois récit des événements et verbalisation des contacts entre les habitant e s et leurs voisines consacrées ? Les témoins évoquent leur situation spatiale au moment de l’événement, qui place le couvent, situé dans le faubourg Saint-Guilhem, au centre de leur quotidien, de leurs univers auditif et visuel de ce jour de mai. Par ailleurs, ces données permettent de saisir des routines citadines, si peu accessibles par les sources18. Par exemple, Maistre Jean Bonhomme,
« dict que cestoit environ lheur de vespres dud jour estant luy qui parle a ung jardin hors la claustre dudt monastaire ouyt, il qui parle, et entendu quelque bruict au devant le treles dud monastaires acause de quoy, il qui parle, y alla et illec avoit trouver illec au devant dud treles francoys pastier, cordier demeurant a la rue de curau, lequel se curoussoit contre les religieuses dud monastaire ».
13On insiste donc sur la relation de voisinage de l’agresseur avec les religieuses. Ce que confirme Jeanne Bissone, qui est chez elle, prête à manger et qui décrit minutieusement la situation d’énonciation de son témoignage au moment où elle entend un bruit : « acause de quoy elle qui parle […] sen alla ala fenestre de lad maison resgardant a lad grand rue de coral et au devant la boutique dud pastier vist une troupe de gens ».
14Le bruit de la rue est tel que tous les témoins le rapportent et l’identifient comme l’élément perturbateur de leur quotidien19. Le procès devient, en quelque sorte, une réunion de commères : toutes les personnes interrompent leur activité pour identifier la cause du tumulte. Le cadre spatio-temporel de l’événement est posé ; et s’il y a des incertitudes quant à l’heure exacte (les témoignages échelonnent le moment-clé entre midi et l’heure des vêpres), l’agression du cordier fait entrer le couvent dans le discours des témoins et dans leur perception immédiate, eux qui constituent le voisinage direct du couvent.
15Dans chaque témoignage, le premier paragraphe est une louange stéréotypée de la prieure et des religieuses. Les mots repris sont les mêmes et c’est sans doute la personne qui enregistre les témoignages qui, à partir d’un questionnaire visant à remettre en cause les propos injurieux de Pastier, reformule ces éloges. Notons l’insistance sur deux éléments. D’abord, la notoriété publique de la prieure, puisque la manière dont la communauté urbaine la perçoit est soulignée :
« a veu et congneu lad seur Lyonne de Montcausson estre bonne religieuse vivant bien honnestement de bonne vie, honneste conversation et sans reproche et pour telle tenue publicquement et repputee ».
16L’aval de la communauté urbaine est une justification importante qu’on répète ainsi systématiquement. En outre, les évolutions de la vie conventuelle interne sont connues du public puisque tous les voisins du monastère, de manière plus ou moins précise, se rappellent du moment où Lionne de Montcausson arrive dans l’abbaye et explicitent une distinction fine entre la date de son entrée au couvent et celle de son accès à l’abbatiat. Les changements hiérarchiques internes au couvent sont donc discutés en ville.
17Le couvent étant un haut lieu de la rue20, son éloge (et celui de ses habitantes) est pris en charge par les passants, « plusieurs gens de bien », qui s’investissent d’une mission de défense de l’institution, comme le rappelle, par exemple, la doyenne des témoins : « les gens de lad rue le reprirent disant quil faisoit mal dainsi oultraiger lesds religieuses ». Ainsi, des pièces que le procès a conservées, une unanimité positive sur ce monastère semble émerger : les passants s’interposent, nombreux, à l’attaque. Le conflit, qui donne toute sa visibilité au couvent, est une occasion de commenter le monastère et de livrer les connaissances que les habitant · e · s ont à son propos, trahissant peut-être un attachement aux murs quotidiennement sous leurs yeux. Un des témoins
« dict que cestoit entre cinq et six heures apres midi dudit jour estant luy qui parle a table en sa maison et soupant ouyt il qui parle ung gran bruyt et audevant la maison de luy qui parle a cause de quoy il qui parle sen fust a la fenestre et vist a la rue Maistre francois pastier et plusieurs aultres ».
18La grande affluence devant le couvent au moment de l’agression, donc sa grande visibilité, contribue à la punition que François Pastier reçoit : il doit publiquement faire amende honorable, devant les portes du couvent21.
19Par les discours des témoins, ce cas illustre donc l’idée d’une proximité, presqu’une interconnaissance entre voisinage laïc du couvent et religieuses. Toutes et tous vivent non seulement à côté, mais aussi ensemble, comme en témoigne l’accueil probable de jeunes filles (la fille de Sandro) par les nonnes. Mais, dans cette querelle de voisinage mettant au centre le couvent, les religieuses sont particulièrement absentes puisqu’elles se retirent immédiatement derrière leur porte et c’est leur syndic et les passants qui sont les relais de leur défense.
20En contrepoint, la Réforme et l’attaque structurelle des établissements monastiques contraignent les religieuses à répondre directement et à s’engager publiquement dans la ville. En un mot, si ce conflit autour d’un couvent implique la réaction de la communauté religieuse comme institution, la Réforme bouleverse ces réponses graduées et médiatisées au conflit (par l’intermédiaire de syndics, de juges), et rend visibles les réactions personnelles des habitantes du couvent. Un changement de paradigme s’effectuerait dans ce type de conflit : on passe de la visibilité du couvent comme institution normale de la Cité, à un coup de projecteur mis sur les religieuses et sur les murs du couvent. Et, à première vue, paradoxalement, de cette mise en avant des religieuses par la Réforme naît leur invisibilisation.
« Les nonnains […] étaient demeurées paisibles aux faubourgs de la ville, sous espérance que peu à peu elles goûteraient la religion » : les étapes réformées de l’invisibilisation conventuelle
La porte
21Dans les attaques réformées contre les monastères de femmes, la porte constitue un espace particulier : seuil entre le monde et le cloître, entre le siècle et la clôture, elle incarne ce que les protestants veulent détruire car elle est la matérialisation architecturale, donc revendiquée et affichée, du maintien physique de la virginité des religieuses enfermées. Pour reprendre Helen Hills, la porte non seulement permet matériellement de séparer les religieuses du siècle, mais plus encore attire l’attention sur cette séparation, or c’est bien cette « étrangeté radicale et réciproque du cloître et du monde22 » que les réformés réfutent. Pour Helen Hills, elle constitue une « fabuleuse » mise en publicité du confinement monastique23.
22Parmi les étapes successives qui jalonnent la destruction des monastères au sein des espaces réformés, les attaques contre les portes sont presque une constante. Les réformés veulent détruire le seuil, le lieu de passage à l’état monastique, et aussi, c’est mon hypothèse, le seul espace contrôlé par les religieuses visible depuis la rue. Ces politiques liées à la porte sont visibles à Strasbourg, par exemple. La volonté des autorités urbaines de jouer sur une dialectique visibilité et surveillance prend corps dans la gestion de ces seuils du couvent : les conseils de villes réformées veulent supprimer les portes pour que la population puisse observer le respect par les sœurs des nouveaux règlements24. Le récit de Caritas Pirckheimer, entre 1524 et 1528, décrit bien l’objectif recherché par plusieurs de faire coïncider transparence et contrôle :
« Certaines personnes suggérèrent impudemment que les portes de la chapelle soient mises à bas et une grille installée à leur place afin que ne dussions nous asseoir publiquement devant tout un chacun pendant le sermon25. »
23Il ne faut plus uniquement entendre, il faut aussi voir et il faut que les religieuses soient vues et qu’elles voient au-dehors, puisqu’assister au culte réformé est présenté comme un premier pas dans une conversion par l’exemple qui passe par la vue. Plusieurs raisons peuvent expliquer l’obsession de voir ce qui se passe derrière les murs du couvent. Outre l’idée défendue par Lyndal Roper dans The Holy Household26 d’une dimension quasiment anthropologique à l’obsession que les garants de l’autorité développent à propos des religieuses, femmes au statut sexuel flou (épouses du christ, sœurs des hommes, vierges) qui deviennent donc objets de fantasmes et de peur, on peut aussi se référer plus largement à une grille de lecture foucaldienne. Par le regard et par la surveillance et la création d’espaces dégagés où l’on peut tout voir, donc contrôler (que toutes les religieuses sont bien là, qu’elles n’ont pas les oreilles pleines de laine ou de cire), les autorités réformées des cités nouvellement passées à la Réforme voudraient passer des couvents, cités dans la cité, hiérarchie invisible et structurante de la ville, à des panopticon, des « établissements panoptiques27 », lieux disponibles à la vue de toutes et de tous, donc contraints par le contrôle social à être en adéquation avec la nouvelle voie de Dieu. Percer la porte revient à créer, pour reprendre les termes du philosophe, « des percées de surveillance continue28 ». Les autorités protestantes de Strasbourg sont emblématiques de la volonté d’établir par leurs mesures, « une machinerie de contrôle qui fonctionne comme un microscope de la conduite29 », comme on peut le voir dans les menaces proférées à l’encontre des religieuses que Caritas rapporte :
« Ils nous menacèrent de laisser entrer des gens s’ils apprenaient que nous n’avions pas écouté le sermon, des gens qui s’assiéraient avec nous pendant le sermon et nous surveilleraient pour vérifier que nous fussions toutes présentes, pour voir comment nous nous comportions et si, oui ou non, nous avions fourré nos oreilles de laine30. »
24Les sœurs sont scrutées dans leurs comportements les plus individuels (se boucher les oreilles, écouter le sermon) et dans leur manière d’être communautaire (contrôle de la présence de la communauté). Le regard disciplinaire des autorités protestantes s’appuie de plus sur des relais qui continuent sa surveillance : chaque individu réformé de la ville devient, idéalement, un acteur de cette surveillance des religieuses31.
Le paradoxe réformé : rendre visible pour effacer
25D’autres étapes peuvent être identifiées dans cette invisibilisation croissante des monastères féminins. L’obligation de porter des habits laïcs en est une : à Montpellier, une chronique rapporte qu’on « força les religieuses à quitter leurs habits et à assister au prêche32 ». Dans les Mémoires de Ponthus Payen, la description, tragique, de la prise de la ville d’Anvers par les protestants, insiste aussi sur la renonciation imposée aux religieuses de tous signes distinctifs : « vous eussiez veu povres nonains sortir de leurs monastères en habits déguiser, et les aulcunes à demie couvertes se sauver es maisons de leurs parens et amys33 ». C’est la même chose à Montauban, dont un des couvents passe par différents seuils d’invisibilisation selon le récit d’un historien catholique :
« on […] arracha les Vierges consacrées à Dieu, & on les exposa demy-nuës à la risée & aux opprobres de la populace : Apres quoy et lors qu’on crût que cela les pouvoit avoir intimidées, on leur proposa de se marier & voyant l’horreur que leur firent ces propositions, on les enferma chez des particuliers, d’où on les menoit porter la hotte aux fortifications sous de miserables habits & sans qu’on leur donnast qu’un peu de pain & d’eau : […] & enfin leur constante ayant lassé leurs boureaus, on les chassa de la ville34 ».
26Ainsi, dans un récapitulatif qui confinerait à un idéal-type de ces dissolutions monastiques, on pourrait proposer quatre faits de destruction : d’abord, une suppression matérielle, puis un premier acte du spectacle des sœurs avec une démonstration publique provoquant « la risée » de la population, ensuite une attaque contre le statut religieux articulée autour d’une proposition de mariage, dissolvante des vœux et donc, en d’autres termes, une tentative d’invisibilisation sociale, enfin, l’expulsion met fin à la présence des religieuses, signe du maintien sur le territoire jusqu’alors de l’ancienne foi.
27La destruction des couvents féminins se structure ainsi autour de deux logiques entrelacées, le dévoilement et la dissimulation. Ce ne sont pas seulement les couvents, comme lieux visibles de la persistance catholique, qui sont détruits, c’est l’appartenance manifeste des individus aux anciens ordres qui doit aussi être oubliée. L’éventail des pratiques d’invisibilisation s’étend de la suppression visuelle des cloîtres à la dispersion des religieuses dans des maisons séculières et sans leurs habits.
28Plus largement, c’est au moment où les religieuses sortent de la ville nouvellement réformée que celle-ci pourrait enfin s’affirmer comme protestante. C’est ainsi qu’en lisant l’Histoire ecclésiastique, on voit que Théodore de Bèze fait coïncider la disparition des religieuses de la ville avec la conversion effective de Castres :
« [ils] allèrent quérir les nonnains, appelées les minorettes, […], et, […] les logèrent en trois maisons bourgeoises, desquelles puis après leurs parens les retirèrent. Par ainsi cessa comme de soi-même l’exercice de la religion romaine en cette ville de Castres35 ».
29La disparition des religieuses est graduelle, définitive et est marquée par plusieurs moments : la sortie du couvent, l’installation dans un lieu laïc, le départ pour la maison familiale. C’est ce dernier départ qui fait passer la ville à la Réforme car tout se passe comme si la présence visible des couvents et des religieuses rattachait la ville à l’ancienne foi. À Orbe, le couvent de Sainte-Claire, seule institution monastique de la ville, est supprimé au terme d’un long affrontement avec les nouvelles autorités réformées. Le chroniqueur d’Orbe insiste principalement sur le « département des sœurs » par rapport à celui des autres membres du clergé :
« les dittes religieuses partirent, ainsi que dessus, de leur dit convent, au grand regret des bons catholiques et gens de bien habitans de la ville d’Orbe, et, au contraire, au grand resjouissement des adversaires, assavoir des Lutheriens du dit lieu. Tous les Prestres de la Clergé de la ditte ville se retirerent à Fribourg36 ».
30Le départ des religieuses prend une coloration particulière, en comparaison à ceux de leurs homologues masculins : sœurs et tantes du chroniqueur, catholiques, gardiennes de reliques, voisines estimées, femmes fragiles ; les clarisses se retrouvent sur les routes de l’exil, après un départ annoncé depuis plusieurs mois. La précarité de leur existence à Orbe, martelée par le Banneret, expliquerait l’investissement symbolique important de ce départ du couvent comme personnification de l’exil imposé à l’ancienne foi.
31C’est d’ailleurs ce qui se passe à Genève et le chroniqueur d’Orbe utilise les mêmes termes en décrivant la sortie de la ville par les religieuses genevoises, qui « sortirent […], au grand resjouissement des predicans et leurs adherens, et au contraire au grand regret de la pluspart de la ville37 ».
La sortie de Genève, dernière procession des clarisses ?
Le couvent, polarisation visible de la fracture urbaine confessionnelle
32À lire la Petite Chronique, le monastère devient, dans les yeux de ses opposants, le dernier bastion du catholicisme à supprimer. Le processus de destruction du couvent est un enjeu de planification urbaine réformée dont le but est une uniformisation religieuse de la ville : on lit que les autorités de la ville « disoient qu’elles [les nonnes] mettoient division à la ville, qu’elles les gardoient de convertir le peuple : car elles se mocquoient de tout ce qu’ils faisoient, et que iamais la ville ne seroit unie de foy qu’elles ne fussent dehors38 ». Ainsi, la présence visible des religieuses encouragerait le maintien de l’ancienne foi, chez la population.
33Le départ s’effectue en plusieurs étapes. Le harcèlement des jeunes de la ville en est une des premières :
« Les mauvais garçons se tenoient sur les galleries de la ville droit du iardin des Sœurs. […] les Sœurs ne pouvoient entrer en leur iardin, qui les vissent, et leur crioient de grosses paroles deshonestes ou iniurieuses, et pource n’y osoient entrer qu’elles ne fussent plusieurs ensemble, et la face bouchee39. »
34Ils cherchent à voir les religieuses, à matérialiser (par des insultes en réaction à l’apparition des religieuses) des intrusions visuelles dans le cloître. Ils sont campés sur des galeries surplombant le couvent, ce qui leur donne un point de vue sur le jardin monastique. La rupture symbolique de la clôture, par la vue, conduit les religieuses genevoises à renoncer à se rendre au jardin. Étape suivante, la clôture est brisée réellement, cette fois aussi par la destruction de la porte. Après la destruction de la porte de la chapelle, les syndics proposent la solution suivante :
« la ville vous permettra bien de demeurer en vostre maison, moyennant que ne soyez plus prisonnieres, et que chacune aye liberté d’entrer et sortir à son plaisir, mais vous changerez d’habit40 ».
35Les religieuses, pour faire partie de la Genève réformée, doivent embrasser une liberté visible de mouvement, qui entre en contradiction avec la liberté spirituelle dont elles se réclament, comme on peut le voir dans l’explication que la Mère Vicaire donne aux syndics : « et parce que chacun a sa liberté, gardez la vostre, et nous laissez la nostre : car de toutes les choses que nous faisons ne sommes point contraintes41 ».
36Cette ville qui « permet » des actions aux religieuses devient donc dans le discours des syndics une actrice à part entière du conflit, une entité qui a force de proposition et dont ils ne sont que les relais. C’est au nom de la communauté civique et de la manière dont la ville même se représente les couvents qu’elle abrite que les syndics s’expriment. Le couvent, dans les représentations qu’a la ville, est une prison, et cette allocation symbolique et représentationnelle de l’espace (le couvent comme prison) motive une volonté de libération des religieuses, donc, en d’autres termes, leur assimilation dans la communauté civique (disparition de l’habit).
Le spectacle de la sortie des sœurs
37Les religieuses doivent partir. La description de la sortie de Genève par les religieuses prend la forme d’une ultime procession, une dernière représentation des nonnes dans la cité. La mère vicaire organise l’agencement du convoi selon une « belle ordonnance42 ». Au moment-sortie, elles sont « deux et deux par la main, bien boche toute la face, et bien religieusement ordonnez et composer et en silence43 ».
38La sortie est réglée selon un agenda très précis : une cérémonie a lieu avant le départ, mais la peur d’une insurrection dans la ville hâte le convoi, car le bruit du départ des sœurs se répand vite :
« le crys fut incontinent par la ville, et s’assemblerent tant de monde par les rues, ou elles depvoient passees, et par devant le convent, que jamais n’en fut tan veu ensemble pour une foys, et fouloient l’un l’aultre, grands et petis, bons et maulvais, hommes et femmes ».
39Dans l’organisation chronométrée de ce départ, les autorités publiques n’ont pas le monopole du jeu politique sur la visibilité : les sœurs choisissent de sortir par la porte du couvent, et pas par celle, détruite, de leur église. La volonté de passer par un seuil inviolé, intact malgré les entreprises de dissolution du couvent, ne peut être minimisée. On a ici l’inscription politique d’un choix des religieuses, qui donnent à voir à la ville leur fidélité à l’ancienne foi et la préservation maintenue de leur clôture spirituelle.
40Le seuil passé, et alors que la population urbaine se rassemble pour voir passer les sœurs, la description du passage dans la ville s’attarde sur des phénomènes de « conversions ponctuelles » :
« Car à cette heure furent tellement changées, illuminées et esmeus de pitie les maulvais, quils plus desiroient la perdiction des seurs, furent leurs loyales conducteurs, et qui les gardoient des aultres enememys heretiques44. »
41Preuve incontestable que les religieuses sont dans le vrai, les hérétiques sont émus par la vision angélique des femmes qui sortent du couvent : leur déambulation transfigure un moment la ville protestante, qui se rappelle sa bonne foi initiale. Mais la sécurité est éphémère car les religieuses sont victimes d’un guet-apens organisé par les « maulvais enfans de ville », qui « s’embucherent en la rue de sainct anthoine, par ou les seurs passoient45 ». Le parcours urbain du couvent est donc connu à l’avance et prédit par les réformés : comme pour une procession, qui emprunte toujours les mêmes rues. Mais là, le convoi est attendu et mis en embuscade.
42Enfin les religieuses arrivent au pont d’Arve, qui « finoit les franchise [sic] de la ville ». La frontière avec la Savoie est matérialisée par le pont et les sœurs sont menées au milieu : c’est ici que la séparation avec Genève a lieu. La ville accompagne la troupe religieuse jusqu’à ses propres limites, donnant à la frontière tout son sens politique : le pont passé, elles sont seules. L’événement matérialise la présence de cette frontière non seulement politique et administrative (on parle de franchise), mais surtout, et seulement à partir du moment où les religieuses le passent, confessionnelle.
L’apostrophe à la Ville : « hellas Genesve, qui te garderat ? »
43La cité de Genève prend un sens particulier, sous la plume de Jeanne de Jussie, et confine à la personnification. C’est Genève qui perd sa lumière au départ des sœurs, c’est Genève qui les force à partir. Les lamentations de la population sont rappelées plusieurs fois, et on entend résonner ces cris : « hellas, Genesve, qui te garderat ? tu perd ta lumiere !46 », propos répété avec des variations : « Ha genesve, à ceste heure, tu perd ton bien et ta lumiere ! » L’apostrophe catastrophée à la ville, mettant la responsabilité de ce départ sur la cité, qui en devient donc un acteur muet, illustre la manière dont la fuite des religieuses est perçue par la population : en partant, les religieuses laissent la ville aux réformés. Leur départ confère ainsi concrètement et symboliquement à la Cité son unification religieuse.
Conclusion
44En somme, la Réforme réorganise bien la géographie urbaine, du point de vue des représentations portées sur les couvents féminins. On voit avec le cas de Montpellier l’attachement pré-réformé au couvent et la défense populaire de ces lieux qui sont aussi en fait, en quelque sorte, les habitations de voisines, garantes de la bonne moralité du lieu.
45En contrepoint, la suppression réformée des cloîtres prend le sens d’une destruction visible et mise en scène, par étapes, de ces lieux-symboles de l’ancienne foi : les religieuses voient se désagréger petit à petit leur cloître, dont les portes finissent par représenter le dernier bastion de résistance aux nouvelles idées. Ouvrir les portes reviendrait donc à ouvrir les esprits récalcitrants à la Parole de Dieu. Les réformés pensent qu’en supprimant la clôture visible, celle matérialisée dans la ville par des murs et un tour, ils peuvent mettre à bas le vœu de clôture, comme naturellement. Mais cette politique est un échec à Genève : les religieuses préfèrent l’exil au renoncement à leurs vœux.
46Les liens entre le couvent et son espace urbain deviennent ainsi visibles par les conflits : c’est en lisant les procès et affaires judiciaires au prisme de l’espace qu’on peut saisir, par la marge, la manière dont les habitants urbains voient le couvent, et la manière dont la rue est présente aux sœurs, visuellement, auditivement, mais aussi comme espace d’interactions. En choisissant l’exil, les nonnes de la Réforme quittent non seulement la ville, mais surtout leur ville, renonçant pour leur foi à plusieurs centenaires de relations économiques, sociales, familiales, administratives entre leur cloître et leurs voisins citadins. La frontière entre le monde et le cloître devient, face aux agressions du siècle, un espace-pivot où se rencontrent et échangent les femmes cloîtrées et la ville. Moment éphémère de discussion entre religieuses et communautés urbaines, les affrontements religieux contraignent ces « cités invisibles » qu’étaient les cloîtres et leurs citoyennes, à prendre parti pour leur voie de Dieu par leur engagement dans la voie publique.
Notes de bas de page
1Archives départementales de l’Hérault (désormais ADH), 62H47, sous-dossier : « plainte de l’abesse Blanche de Castillon contre LAMOUROUX jeune pour injures, menaces et coups à l’égard de la plaignante », 1616.
2Dans le cadre du regain des tensions interconfessionnelles au sein de cette « ville de sûreté protestante » qu’est Montpellier, identifié par Valérie Lafage entre 1610 et 1622, avant le siège de la ville par les armées de Louis XIII, il n’est pas impossible que l’épisode soit lié à l’expression d’un huguenot radical (les « Caterinots » commençant leurs actions en 1617). Voir Leclerc Lafage Valérie, « Montpellier, ville de sûreté protestante (1598-1629) », Bibliothèque de l’École des chartes, vol. 160, no 2, 2002, p. 575-590. En outre, la prieure Blanche de Castillon est très engagée, dans les suites du siège de la ville, pour récupérer des habitations et des biens, perdus en 1622, comme dans ces « lettres de représailles », ADH, 62H3.
3Voir l’introduction générale à la géographie des conflits, in Retaillé Denis, « Introduction à une géographie des conflits », L’Information géographique, vol. 75, no 3, 29 septembre 2011, p. 16, le conflit donne à voir les normes et les acteurs qui régissent l’espace affecté par la dynamique conflictuelle.
4Trexler Richard et Klapisch Christiane, « Le célibat à la fin du Moyen Âge : les religieuses de Florence », Annales, vol. 27, no 6, 1972, p. 1329-1350 ; Duval Sylvie, « Les religieuses, le cloître et la ville (xiiie-xve siècles). Exemple des moniales dominicaines (Aix-en-Provence, Montpellier) », Moines et religieux dans la ville, xiie-xve siècles. Actes du 44e colloque de Fanjeaux, 2009, p. 495-516. R. Trexler montre que ce rapatriement en ville a lieu en Italie pour des raisons économiques, de protection, mais aussi car l’implantation des couvents aux endroits « problématiques des villes » (portes et murs) serait privilégiée afin de faire bénéficier ces « points chauds » d’une protection. S. Duval rappelle que « le site des moniales dominicaines de Montpellier est déplacé dans les années 1380 contre les murailles et à l’abri de la palissade ».
5Zarri Gabriella, « Monasteri femminili e città (secoli xvi-xviii) », in Storia d’Italia. Annali 9 : La Chiesa e il potere politico dal Medioevo all’étà contemporanea, Turin, Einaudi, 1986, p. 377-398, référence citée, in Duval Sylvie, « Les religieuses, le cloître et la ville (xiiie-xve siècles). Exemple des moniales dominicaines (Aix-en-Provence, Montpellier) », op. cit.
6Hills Helen, Invisible City : The Architecture of Devotion in Seventeenth-Century Neapolitan Convents, Oxford, Oxford University Press, 2004.
7Annaert Philippe, « Monde clos des cloîtres et société urbaine à l’époque moderne : les monastères d’ursulines dans les Pays-Bas méridionaux et la France du Nord », Histoire, économie & société, vol. 24. La femme dans la ville : clôtures choisies, clôtures imposées, no 3, 2005, p. 329-341 ; Rideau Gaël, « Vie régulière et ouverture au monde aux xviie et xviiie siècles : la Visitation Sainte-Marie d’Orléans », Revue d’histoire moderne & contemporaine, vol. 52, no 4, 2005, p. 24-49 ; Collette Sophie, « Les religieuses de la Visitation Sainte-Marie de la ville d’Amiens aux xviie et xviiie siècles », Revue du Nord, no 341, 2001, p. 519-540.
8Guyard Nicolas, « Sanctifier le cloître », Archives de sciences sociales des religions, no 177, 2017, p. 293-312.
9Heitz-Müller Anne-Marie, Femmes et Réformation à Strasbourg : 1521-1549, Paris, PUF, 2009.
10Roper Lyndal, The Holy Household : Women and Morals in Reformation Augsburg, Oxford, Clarendon Press, 1989.
11Brigden Susan, London and the Reformation, Oxford, Clarendon Press, 1989.
12Par le biais d’une histoire matérielle, Silvia Evangelisti souligne l’engagement économique des couvents italiens dans leurs cités, en prêtant attention aux biens « mondains » qui pénètrent le cloître. Evangelisti Silvia, « Monastic Poverty and Material Culture in Early Modern Italian Convents », The Historical Journal, vol. 47, no 1, 2004, p. 1-20.
13M. E. Wiesner-Hanks souligne la proximité maintenue entre les religieuses et leurs familles, notamment car les habitantes du monastère sont souvent regroupées par famille. Wiesner-Hanks Merry E., « “Liebe Schwester…” : Siblings, Convents and the Reformation », in Naomi J. Miller et Naomi Yavneh (dir.), Sibling Relations and Gender in the Early Modern World : Sisters, Brothers and Others, Aldershot, Ashgate, 2006, p. 53-63.
14Par exemple, l’étude des cas extrêmes d’Italie met en avant cette interaction foncière entre ville et cloître : l’emprise foncière des couvents napolitains au xviie siècle devient un problème urbanistique avec la constitution de quartiers monastiques, ce que l’historienne appelle des « citadelles sacrées » : Hills Helen, « Cities and Virgins : Female Aristocratic Convents in Early Modern Naples and Palermo », Oxford Art Journal, vol. 22, no 1, 1999, p. 31-54, p. 39. Gaël Rideau montre aussi que l’imbrication de toutes ces dimensions (économiques, religieuses, sociales) par le couvent est à l’origine de son rayonnement dans la ville : Rideau Gaël, « Vie régulière et ouverture au monde aux xviie et xviiie siècles », op. cit.
15ADH, 62H47, sous-dossier : « 1541 – Procédure contre François Pastier, cordier, pour paroles injurieuses à l’égard de la prieure et des religieuses ».
16Guiraud Louise, Études sur la réforme à Montpellier, Montpellier, Louis Valat, 1918, vol. 1, p. 40-42.
17Jussie Jeanne de, Le levain du calvinisme ou Commencement de l’hérésie de Genève, Genève, J.-G. Fick, 1853, p. 110.
18Sur le lien entre monastères et routine, voir par exemple Raison du Cleuziou Yann, « Le couvent comme dispositif d’imposition de la vérité religieuse », Sociétés contemporaines, no 88, 2012, p. 73-98.
19Je remercie Jérémy Foa de m’avoir indiqué la récurrence de ce schéma dans les témoignages modernes : un bruit de l’extérieur alerte les occupant · e · s d’habitations, qui se précipitent vers la fenêtre et deviennent donc témoins d’une scène, ce qui mène à leur témoignage, dans le cas de sources judiciaires. En effet, on retrouve ce positionnement dans plusieurs récits : Arlette Farge recense le cas d’une femme qui entend crier, alors qu’elle soupait, et se met à la fenêtre (Farge Arlette, Vivre dans la rue à Paris au xviiie siècle, Paris, Gallimard, 2014). Ou encore Jean du Crozet, dans sa pastorale, décrit une situation semblable : « elles [deux femmes] ouyrent, au mesme moment qu’il prononçoit ces parolles, quelque bruit de chevaux en la rüe, & mettant la teste à la festre, elles virent… », in Du Crozet Jean, La Philocalie du Sieur Du Croset, Foresien, Rouen, Raphael du Petit Val, 1600, p. 302. On pourrait attribuer ce comportement à la nécessité, pour les témoins, de rappeler aux juges leur code d’honneur, qui consisterait à ne pas espionner ses voisin · e · s. Peter Burke, par exemple, dans ses analyses d’anthropologie historique, note qu’en Italie à l’époque moderne, les témoignages affirment que le comportement de regarder derrière les façades est mal perçu… mais ces propos sont davantage une précaution oratoire. Burke Peter, The Historical Anthropology of Early Modern Italy : Essays on Perception and Communication, Cambridge, Cambridge University Press (1987), 2005, p. 14.
20Le couvent prenant, dans les mots des habitants, la dimension d’un lieu de l’exemplarité, dédié à l’exemple, et ici, un lieu investi d’une symbolique de la perfection morale. Nous comprenons donc le haut lieu comme le définit le sociologue André Micoud, inMicoud André (dir.), Des hauts-lieux : la construction sociale de l’exemplarité, Paris, CNRS, 1991, voir particulièrement son introduction, p. 7-15.
21Foucault montre l’importance de la visibilité du châtiment, du fait qu’il déploie le rituel politique de punition en public : d’abord, le coupable devient « le héraut de sa propre condamnation » car c’est lui qui l’explique au monde. Le châtiment est d’autant plus visible qu’il est lisible par le fait d’« épingler le supplice sur le crime lui-même ». Ici, pas de supplice, mais le crime est bien puni à l’endroit où il a eu lieu, ce qui renforce l’intelligibilité du crime et de son châtiment par ses observateurs. Foucault Michel, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 47, 53.
22Rideau Gaël, « Vie régulière et ouverture au monde aux xviie et xviiie siècles », op. cit., p. 25.
23Hills Helen, « Cities and Virgins », op. cit., p. 34, « this is not an architecture of modest enclosure, but of fabulously advertised confinement ».
24La Chronique d’Orbe rapporte exactement les mêmes logiques, concernant les portes du chœur de Sainte-Claire : « suyvamment, les dits lutheriens, voyans que, quand on preschoit en la religion des sœurs de Saincte-Claire, que l’on ne pouvoit entrer au chœur à cause que les portes estoyent ferméez, lors ils prindrent une grosse piece de bois et heurterent en telle sorte qu’ils briserent les dittes portes ». L’impossibilité de suivre ce qui se passe derrière les portes du chœur est ce qui est identifié par le chroniqueur catholique comme cause de l’infraction. Pierrefleur Guillaume, Mémoires de Pierrefleur, grand banderet d’Orbe, où sont contenus les commencemens de la Réforme dans la ville d’Orbe et au pays de Vaud (1530-1561), Lausanne, D. Martignier, 1856, p. 75.
25Pirckheimer Caritas et Mackenzie Paul A., Caritas Pirckheimer : A Journal of the Reformation Years, 1524-1528, Cambridge, D. S. Brewer, 2006, p. 62, ma traduction.
26Roper Lyndal, The Holy Household, op. cit.
27Foucault Michel, Surveiller et punir. Naissance de la prison, op. cit., p. 206.
28Ibid., p. 175
29Ibid.
30Pirckheimer Caritas et Mackenzie Paul A., Caritas Pirckheimer, op. cit., p. 62, ma traduction.
31Voir les pages de Foucault sur les relais nécessaires du « regard disciplinaire », Foucault Michel, Surveiller et punir. Naissance de la prison, op. cit., p. 176.
32Historien calviniste anonyme cité par Vic Claude de, Vaissette Joseph et Mège A. du, Histoire générale de Languedoc, composée par deux religieux bénédictins de la congrégation de S. Maur, Toulouse, J.-B. Baya, 1844, vol. 8, p. 352.
33Payen Pontus, Mémoires de Pontus Payen, éd. Alexandre Henne, Bruxelles, Société de l’histoire de Belgique, 1860, p. 178.
34Le Bret Henry, Histoire de la ville de Montauban, Montauban, S. Dubois, 1668, p. 49.
35Bèze Théodore de, Histoire ecclésiastique des Églises réformées au royaume de France, éd. Théophile Marzial, Lille, Imprimerie de Leleux (1580), 1841, vol. 1, p. 550.
36Pierrefleur Guillaume, Mémoires de Pierrefleur, grand banderet d’Orbe, où sont contenus les commencemens de la Réforme dans la ville d’Orbe et au pays de Vaud (1530-1561), op. cit., p. 331.
37Ibid., p. 113.
38Jussie Jeanne de, Le levain du calvinisme ou Commencement de l’hérésie de Genève, op. cit., p. 111.
39Ibid.
40Ibid., p. 153.
41Ibid., p. 163.
42Ibid., p. 190.
43Jussie Jeanne de, Petite chronique. Einleitung, Edition, Kommentar, éd. Helmut Feld, Mayence, P. von Zabern, 1996, p. 273.
44Ibid., p. 274.
45Ibid., p. 275.
46Ibid., p. 276.

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