Chapitre 1. Des vies en histoires
p. 61-86
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Index géographique : France
Texte intégral
1En réponse à la consigne inaugurale, qui est la première question que pose l’enquêteur en situation d’entretien2, un interlocuteur peut idéalement choisir la structure de son récit et commencer par un élément qui lui semble à la fois répondre à l’attente de l’enquêteur tout en lui permettant de produire des interprétations ainsi qu’une version de son devenir-bretonnant. La consigne était la suivante : « Pouvez-vous me raconter comment vous avez commencé à apprendre la langue bretonne ? ». On pourrait s’attendre à trouver des entretiens qui commenceraient tous plus ou moins de la même façon ou au contraire, on pourrait imaginer avoir des récits ayant des formes très différentes. En fait, le travail d’enquête révèle qu’il existe deux formes de récit, que j’appellerai récit didactique et récit biographique. Si la forme nous intéresse ici, c’est parce qu’elle a une portée heuristique. C’est-à-dire que les récits, tels que les nouveaux locuteurs les construisent, sont source de connaissance. Les deux types de récits mettent en évidence deux façons de devenir bretonnant. Nous remarquons également que devenir bretonnant ne va pas de soi. La narration rend visible des moments importants dans le devenir, les chocs biographiques, ainsi que des étapes.
LE RÉCIT BIOGRAPHIQUE ET LE RÉCIT DIDACTIQUE
2L’interlocuteur peut commencer par raconter l’histoire de son devenir-bretonnant en l’inscrivant dans sa propre histoire et parfois même dans une histoire qu’il n’a pas vécue, qu’il s’agisse de l’histoire de sa famille en retraçant la généalogie de ses ascendants, voire de ses ancêtres ou de l’Histoire de la Bretagne, en justifiant ainsi de son identité culturelle. Il peut d’une autre manière commencer par raconter son apprentissage, c’est-à-dire en indiquant comment il a choisi le cours du soir dans lequel il s’est inscrit, la méthode avec laquelle il travaille, le niveau du groupe, etc., en révélant en fait des informations pratiques sur les modalités d’accès à la langue. J’ai choisi d’opposer ces deux formes en présentant un récit didactique réalisé en français et un récit biographique en breton.
Le récit didactique
3J’utilise ici l’adjectif « didactique » pour définir un type de récit qui nous informe sur l’apprentissage vécu par notre interlocuteur, et qui identifie en cela une ou des modalités concrètes et institutionnalisées (ou en voie d’institutionnalisation) d’accès à la langue. L’interlocuteur peut ainsi aussi inviter, objectivement ou subjectivement, à suivre le même parcours que lui. Le récit didactique est, tel que je l’emploie, un récit qui débute par la description de l’apprentissage dans sa forme, c’est-à-dire en présentant le type d’enseignement, l’enseignant, la méthode utilisée, etc. L’adverbe comment3, que l’on trouve dans la consigne inaugurale, est interprété par l’interlocuteur dans ce type de récit comme une interrogation par rapport à l’aspect pratique de l’apprentissage de la langue et par rapport à la manière (la plus souvent scolaire, en suivant des cours, en travaillant avec des méthodes) dont il a procédé pour devenir bretonnant. Dans un récit didactique, l’interlocuteur délaisse tout d’abord des éléments de sa vie qui pourraient éventuellement lui permettre de s’inscrire immédiatement dans un processus de construction de soi. S’il présente ces éléments de type biographique par la suite, c’est de manière complémentaire et secondaire aux éléments de type didactique.
4Dans ce modèle de récit, l’interrogation proposée par la consigne inaugurale a pour effet de produire une réponse qui se structure en trois périodes : le début de l’apprentissage, un ou plusieurs éléments significatifs de découverte, une justification par rapport à l’usage ou non du breton dans la famille. Les extraits sont ceux d’un entretien réalisé auprès de Serge, qui est ouvrier d’État.
Lecture d’un portrait : l’objet de ces notices biographiques, qui sont chacune d’entre elles une synthèse des données recueillies, est de rendre compte du contenu et du ton de l’entretien en présentant la singularité de chaque récit. Après le prénom, fictif, sont indiqués entre parenthèses l’âge, l’activité professionnelle ou le niveau de qualification de l’interlocuteur et de son conjoint (ou son statut matrimonial), ainsi que le type de récit (B. pour biographique, D. pour didactique).
Serge (38 ans, ouvrier, divorcé, D.) commence son récit en disant « avoir envie depuis longtemps d’apprendre le breton ». En lisant le journal, il trouve l’annonce d’une association qui propose des cours du soir à des horaires lui convenant : « Et comme il y avait deux-trois ans que je cherchais à apprendre le breton. Disons ″je cherchais″ : je me disais qu’il faudrait bien que je m’y mette ». Ce qui l’intéresse avant tout, c’est de retrouver la signification des noms de lieu. Il dit aussi avoir une grand-mère qui a toujours parlé breton et qui s’exprime en français avec difficulté : « en français, on sent qu’il y a un blocage, elle peut pas s’exprimer longtemps en français. On peut parler de choses, de sa jeunesse… mais toujours pendant un temps déterminé, et après on sent que les mots qu’elle emploie ne correspondent pas vraiment à ce qu’elle a vécu ». Quand il était encore enfant, il a vécu chez elle pendant des années, avec sa famille. Serge commence à apprendre l’italien il y a quatre ans, « un peu de la même manière », c’est-à-dire par hasard, après avoir trouvé une méthode chez un bouquiniste et ses sœurs lui ont fait la remarque suivante : « apprendre l’italien alors que tu parles même pas breton ». Aujourd’hui, ce sont ses parents et sa grand-mère qui ne le comprennent pas : « ils se disent que je perds mon temps à apprendre quelque chose que eux, ils ont été battus comme ils disent […] et ma grand-mère ne voulait pas que ses enfants parlent breton, parce que c’était synonyme de sortie de la misère. Les enfants qui parlaient français, ils allaient avoir du travail, ils allaient sortir de leur condition ». Il est heureux d’apprendre cette langue, ça lui permet « d’être moins con », c’est-à-dire de mieux comprendre ce qui nous entoure. Par contre, l’aspect religieux dans la culture bretonne semble l’ennuyer : « dans les livres sur la Bretagne, j’aimerais bien qu’on nous présente autre chose que les calvaires, les églises, les enclos paroissiaux… Je trouve qu’on a du mal dans la culture bretonne à sortir de l’Église ».
1-Le début de l’apprentissage
Q. : Pouvez-vous me raconter comment vous avez appris le breton4 ?
R. : Pourquoi ? Parce que, en fait, j’avais envie depuis longtemps d’apprendre le breton. J’ai trouvé une annonce dans le Ouest France, les horaires correspondant… (Il fait une pause).
[Il détourne le questionnement modal en un questionnement causal et présente comme étant à l’origine de son inscription dans un cours du soir la publicité qui en était faite de ce cours, de même que les modalités d’accès. Le quotidien Ouest-France présente très fréquemment des annonces sur des cours du soir, des cours par correspondance ou des stages. Serge n’a pas vraiment cherché à savoir de quelle manière il pouvait apprendre le breton et ne sait pas s’il existe d’autres structures qui lui permettraient de suivre des cours dans la même ville. A priori, d’après ce qu’il dit ici, il aurait pu faire ce choix à un autre moment de sa vie, s’il avait lu cette annonce plus tôt ou plus tard.]
2-Un ou plusieurs éléments significatifs de découverte
R. : Et pourquoi ? Pour pouvoir retrouver les noms de lieu… (Il marque une deuxième pause).
[Il apprend le breton parce qu’il s’intéresse à la toponymie. Il choisit par conséquent un cours de langue bretonne pour recevoir un enseignement et acquérir une connaissance qu’il ne possède pas.]
3-Une justification par rapport à l’usage ou non du breton dans la famille
R. : J’ai ma grand-mère qui a tout le temps parlé breton – qui parle que le breton pratiquement, elle parle le français, mais pas correctement.
Q. : Mais c’est pas aussi simple que ça : vous avez fait une démarche… [L’enquêteur manifeste maladroitement son insatisfaction.]
R. : Je suis arrivé à ces cours de breton-là par pur hasard. Enfin j’ai lu dans la presse – comme je la lis tous les jours – qu’il y avait ces cours et comme il y avait deux-trois ans que je cherchais à apprendre le breton. « Je cherchais » : je me disais qu’il faudrait que je m’y mette. Du reste j’avais appris – c’est un peu particulier – j’avais appris l’italien il y a quatre ans aussi de la même manière. J’étais tombé sur une méthode chez un bouquiniste et je l’avais achetée.
Q. : Et vous avez poursuivi ensuite ?
R. : Oui.
Q. : Et encore ?
R. : Je l’ai fait pendant quatre ans, là maintenant, j’ai des amis en Italie donc on se voit, c’est plus simple comme ça.
[On apprend ici que le projet est plus ancien qu’on pouvait le croire après le début de son intervention. Il y pensait. Cela ne veut pas dire qu’il cherchait très activement de quelle manière il pourrait apprendre le breton, mais il avait néanmoins en tête cette idée d’apprendre « un jour ou l’autre » le breton. Évoquer l’ancienneté du projet semble le légitimer, en associant le choix et les inclinations durables de la personne – inclinations qui au fond révèlent son identité et différencient un projet d’un « coup de tête ». Ainsi, même dans ce type de récit « peu engagé », où le devenir-bretonnant n’apparaît pas inscrit dans la biographie, l’apprentissage n’est pas pour autant toujours ramené à un événement anodin].
5Plusieurs aspects formels soulignent la particularité de l’entretien didactique. Il y a, comme je viens de le dire, la réponse à la consigne inaugurale qui porte plutôt sur l’enseignement de la langue. Les relances sont généralement très fréquentes et l’interlocuteur répond plutôt brièvement, sans se lancer dans des exemples très longs et en évitant les digressions. La première relance intervient après une réponse succincte composée ici de séquences très courtes comme s’il testait ses réponses – bien que complémentaires, elles n’en sont pas moins très différentes les unes des autres dans leur éventuel développement – afin de voir celles qui me conviendraient. Néanmoins, tout au long de son récit, il mettra l’accent sur l’aspect didactique, ce qui caractérise également tous les autres récits de ce type. Les récits didactiques sont tous des entretiens réalisés en français.
6S’il y a un investissement plus ou moins important pour celle ou celui qui s’inscrit dans un devenir-bretonnant, cela n’entraîne pas forcément un changement d’identité (l’hypothèse selon laquelle il aurait un avant et un après n’est donc pas opératoire pour ce type de récit).
Le récit biographique
7Un récit biographique met l’accent sur l’histoire de l’individu. L’apprentissage est également évoqué, dans ce type de récit, mais est abordé comme n’étant qu’une période de la vie de l’interlocuteur. L’apprentissage s’inscrit dans son histoire (et son histoire personnelle s’inscrit éventuellement dans l’histoire de sa famille). La référence au passé est ici très forte et l’interlocuteur se construit ici davantage comme auteur de son propre discours, en structurant son récit et en enchaînant différents événements les uns par rapport aux autres. La structure « didactique » (composée de 1 + 2 + 3) n’est donc pas adaptable au récit biographique. Pourtant, on y retrouve les mêmes éléments de réponse, mais qui n’apparaissent pas dans le même ordre. La structure biographique se compose des éléments 3 + 2 + 1, c’est-à-dire tout d’abord une justification par rapport à l’usage ou non du breton dans la famille, puis un ou plusieurs éléments significatifs de découverte et ensuite le début de l’apprentissage.
8J’ai choisi d’illustrer ce schéma avec un entretien très significatif, non seulement du point de vue de sa structure, mais encore parce que mon interlocutrice a choisi de me répondre en breton. Jakeza a commencé à militer il y a plus d’un demi-siècle.
Jakeza (90 ans, retraitée [était employée], célibataire, B.) a grandi dans un environnement où l’on parlait encore breton. Sa mère travaille comme journalière dans la ferme de ses parents avant de s’installer à Brest avec son mari qui est ouvrier dans une usine d’armement. Dans la fratrie, Jakeza est la deuxième enfant. C’est en breton que sa mère s’adresse à sa sœur aînée. Celle-ci apprendra à s’exprimer en français à l’école et en jouant avec les enfants du voisinage. Peu à peu, le français devient la langue de la famille et sa mère, son père et sa sœur, qui a six ans de plus que Jakeza, lui parlent dans cette langue. Pour ainsi dire, elle a été « élevée » en français : « mais ce qui est étonnant, c’est que j’ai été ″piquée″ par le breton et… le frère aîné de mon père venait chez nous chaque dimanche pour déjeuner, et il racontait des histoires en breton et moi j’étais folle de ces histoires ! […] Et puis finalement, il racontait toujours les mêmes histoires, c’est comme ça que j’ai pu les mémoriser. Si bien que lorsqu’il oubliait une partie, je le lui disais ». Pendant les vacances, elle se rend régulièrement chez ses grands-parents et là-bas, on parle breton aux enfants, qui comprennent cette langue mais répondent en français. À douze ans, Jakeza tombe malade et comme elle ne peut plus aller à l’école, elle se met à lire beaucoup. C’est ainsi qu’elle découvre la Valentine de Rohan de Paul Féval. Elle se souvient avoir dit à son père : « mais je ne suis pas aveugle pour ne pas voir que je suis bretonne ». Après le brevet élémentaire, elle commence à travailler. Elle a dix-sept ans lorsqu’elle achète un numéro de Breiz Atao : « je n’avais encore jamais lu une ligne de breton et j’ai été attirée. Ça m’a plu et j’ai tout compris d’un bout à l’autre ! Bien sûr, il y avait un tas de mots que je ne connaissais pas, mais je comprenais le sens général ». Quelques années plus tard, elle rencontre des écrivains bretonnants : « on se réunissait de temps en temps. Il y avait une règle entre nous qui était ″pas un mot de français″. Ceux qui ne savaient rien se taisaient. On chantait beaucoup. Par les chants, on apprend beaucoup de choses, des phrases, des expressions. On était tous d’origine différente, il y avait des catholiques, des énarques, des bouquinistes… ». La seule contrainte était d’apprendre le breton et de respecter des règles que nous avions choisies : « pas de français ». C’est ainsi que Jakeza entre dans l’Emsav, mouvement dont elle s’éloignera pendant la Seconde Guerre Mondiale.
1-Une justification par rapport à l’usage ou non du breton dans la famille
« Va mamm a zo deuet da Vrest er bloavezh… e penn kentañ ar c’hantved. Dont da vezañ eus Landerne hag labourat a rae e ti… en atant dalc’het gant he zud. Met, daoust ma oa bet un tammig er skol, ne ouie koulz lavaret ger galleg ebet. Pa lavaran n’anaveze ket, me soñj din, anavezout ur yezh ez eo gallout displegañ tout pep tra a fell deoc’h lavarout en ur yezh, se ’zo anavezout ur yezh ha ne oa ket gouest, sur mat. Va zad a ouie galleg mat hag e oa o labourat en ul labouradeg evit ar brezel aze, er Vilin-Wenn. Setu pa oa aet dimizet gant mamm, deuet int da chom e lec’h tost lec’h ma ’mañ Oceanopolis bremañ. Met d’ar poent-se ne oa diazamant ebet evit mann, peogwir an holl dud tro-dro d’ar pezh a zo Oceanopolis, aze oa labourerien-douar oc’h ober legumaj dreist-holl evit kêr Brest met an holl a gomze brezhoneg aze, a zo stag eus Brest bremañ. Setu, me oa an eil bugel. Va c’hoar ’noa c’hwec’h vloaz muioc’h egedon, sur mat hi n’eus klevet da gentañ brezhoneg gant va vamm, ze ’zo sur. Pa yae d’ar skol eo bet zoubet diouzhtu en ur aergelc’h galleg gant ar skol, gant ar mignonezed gant ar skolaerezed, gant an amezeien, rak deuet e oamp da chom e-kreiz bourk Sant-Mark5.
Evel-just, pa on ganet me, gant ur c’hoar c’hwec’h vloaz koshoc’h egedon, me ’ zo bet zoubet e galleg diouzhtu ganti. Peogwir va zad ha va mamm oa krog da gomz ivez galleg evit ar bugel a oa er skol hag a gleve nemet se. Setu, me ’zo bet zoubet e galleg diouzhtu. Met tra souezhus, me oa piket gant ar brezhoneg hag… ur breur henañ d’am zad a zeue du-mañ pep sul da bredañ evit merenn hag e konte deomp istorioù e brezhoneg ha me oa sot gant an istorioù-se6 !
Ha neuze e-pad ar vakañsoù e vezemp kaset da di an dud-kozh, en Drenevez, hag aze e vezemp soubet neuze en aergelc’h unyezhek brezhoneg hag ze ’zo a-bouez bras evit bugale vihan. C’hwi ’oar ur bugel c’hwec’h vloaz a zesk forzh peseurt yezh hag a dap distagadur neus forzh peseurt yezh, goude c’hwec’h vloaz, hervez ar re o deus studiet mat ar gudenn, evel ma vefe un dra bennak en em glozañ enno, evit an distagadur dreist-holl. Iskis eo! An dra-se ’m’eus merzet meur ar wech7.
Neuze, evel-se betek va daouzek vloaz on aet pep bloaz, un dra a dremene aestre peogwir, ne oan ket gouest da gomz brezhoneg, me a gomze galleg met int a responte e brezhoneg… an dud-se n’int ket cheñch yezh evit… ar bugaligoù, Brestiz yaouank-se, setu pa veze komzet ouzon e veze komzet e brezhoneg hag me a responte e galleg ha mat pell ’zo8 ».
[Son récit commence avec l’histoire de sa famille. On n’est plus dans le présent comme c’est le cas dans un récit didactique. L’apprentissage de la langue a ici « toute une histoire ». Elle commence par parler des origines rurales de sa mère, qui parlait très peu le français. C’est ainsi le début de son devenir, décrivant ce qui la rattache à la langue bretonne, du plus lointain qui soit dans le présent de la situation d’entretien. Bien que construits rétrospectivement comme importants, ces éléments ne déterminent pas en eux-mêmes le devenir de Jakeza, mais permettent de produire une justification par les origines].
2-Un ou plusieurs éléments significatifs de découverte
Q. : Kompren a raec’h memestra ? R. : Ah ya, me ’moa klevet abaoe ma oan ganet mui pe vui un tamm brezhoneg hag abaoe va daou pe dri bloaz marteze on bet… adalek on bet e skol… hag int bet tremenet vakañsoù war ar maez, d’ar mare ma oa an dud, ar Vro, unyezhek. Penoas vefe ket pa’n vefe ket desket9 !
Goude-se on kouezhet klañv da daouzek vloaz, gwall-glañv, n’on ket distroet ken. Met evel ma oa bet e-pad ur mare hir a-walc’h hep gellout mont d’ar skol neuze e lennen kalz. Ha lennet em boa, dre zigouez e oa kouezhet etre va daouarn, levrioù Pol Feval, ma, neuze e lennen levrioù Pol Feval, e veze divizoù etre va zad ha me, ma a lavare « me zo’met n’on ket dall evit gwelet me ’zo Breizhadez », dija, daouzek vloaz… abalamour da Bol Feval. Ha marteze an dra-se oa ennon me ’gav din, rak, ni oa tri bugel, va c’hoar henañ, me hag ur breur yaouankoc’h10.
Me, ken a oa e gwirionez sot gant ar brezhoneg, me a c’houlenne digant va eontr, bep sul istorioù brezhoneg. Ha benn-ar-fin evel just, petra… berr oa niver an istorioù gantañ, setu e ouien dindan eñvor ha pa veze ankounac’haet an disterañ, an disterañ poent gantañ, e lavaren « Tonton Jean, tu as oublié tu sais bien je t’ai dit qu’elle était montée dans l’arbre là quand les voleurs étaient… et tu l’as pas dit ». O, a lavar ar paour-kaezh den, « tu sais ça mieux que moi ! ». « Mais tu dis ça si bien Tonton Jean ». Setu e veze flouret Tonton Jean evit ma krogfe adarre da gontañ istor Yann ha Chanig… Setu, m’eus kendalc’het memestra gant va skol matañ matañ, da bemzek vloaz hanter e tremenon ar brevet élémentaire, hag on bet resevet, boñ. M’eus graet skol, peseurt skol, peseurt skolaerez e oan11 ?
[Elle dit avoir entendu le breton autour d’elle quand elle n’était encore qu’une petite fille. Deux éléments significatifs apparaissent alors dans cette partie de l’entretien. La présence régulière de son oncle qui venait les voir tous les dimanches et sa maladie. Il est possible que les visites de son oncle étaient d’autant plus importantes qu’elle était malade et avait ainsi peu de distractions, ou du moins pas les mêmes distractions que les enfants de son âge. C’est parce qu’elle était malade qu’elle lisait beaucoup. Ces événements sont importants pour elle pour faire le récit de son devenir. Le début de son apprentissage de la langue écrite démarre avec un nouvel événement.]
3-Le début de l’apprentissage
Hag, aze e prenan un niverenn deus Breiz Atao e oa lakaet gant an Ao. Chabiot da werzh en ur stal bennak. Boñ e lennan ur pennad a oa… diwar-benn Gandhi sinet gant ur certain [en français dans l’entretien] Roparz Hemon. N’am boa morse gwelet ur lizherenn skrivet e brezhoneg rak… pad an hañv ne veze ket lennet Buez ar Sent, re a labour oa. Se oa evit ar goañv. E lennan ar pennad diwar-benn Gandhi ha me oa brogarourez touet dija d’ar poent-se, er fin n’anavezen ket Gandhi. Hag on bet sebezet, plijet tre ouzhpenn, ha m’eus kromprenet penn-da-benn. Ar wech kentañ din da welout brezhoneg skrivet. Evel-just e oa ur bern gerioù ne ouien ket met ar ster a gomprenen mat-tre, setu evel-se eo kroget12.
[On ne sait pas dans quelles conditions elle achète ce numéro de Breiz Atao. Elle ne parle pas breton ou très peu, bien qu’elle le comprenne et se mette à lire un breton littéraire sans difficulté d’après ce qu’elle dit. Son apprentissage de la langue écrite, qui la mènera à la pratique de la langue, commence par la lecture. L’aspect pratique de l’apprentissage sera peu développé par Jakeza, elle parlera plutôt des rencontres qu’elle fit, très importantes dans sa carrière de nouvelle locutrice.]
9L’entretien ne nécessite ici qu’une relance, brève, afin d’éclaircir un aspect qui me semblait important pendant la situation d’enquête13. Jakeza produit des réponses de plusieurs minutes avec parfois des éléments qu’elle ne fait qu’évoquer dans un premier temps (comme les visites de l’oncle et les histoires qu’elle écoutait) pour y revenir par la suite en les développant. Le récit biographique est la forme d’entretien que je m’attendais à rencontrer en formulant un questionnement modal. L’analyse du matériau me permit de voir que la forme des récits didactiques n’en était pas moins intéressante, révélant ainsi la diversité des situations d’apprentissage et surtout la variété des interprétations liées à chaque forme de récit.
Tous les récits en breton sont des récits biographiques. Le fait de choisir la langue bretonne n’a pas seulement un sens culturel et politique très fort, c’est aussi un élément qui révèle que le devenir-bretonnant est un processus pouvant conduire à une forme de socialisation secondaire. C’est ce que le récit de Jakeza montre très bien, si on en poursuit la lecture. On peut également souligner que son investissement aboutit à une nouvelle construction de soi, elle le montre notamment en parlant de la bretonnisation de son prénom : « ’zo deuet Jakeza abaoe pell ’zo, Jacqueline on bet ur pennad amzer ha goude-se on deuet da vezañ Jakeza14 ».
10Tous les récits biographiques ne dévoilent pas un processus de devenirbretonnant identique à celui de Jakeza. Si ce récit dévoile un investissement très fort (notamment par la bretonnisation du prénom), des récits qui seraient également biographiques peuvent présenter un investissement plus modéré.
11Ces deux extraits d’entretien, celui de Serge et celui de Jakeza, s’opposent sur plusieurs aspects. Au-delà du développement que propose chaque interlocuteur, les différences ne se limitent pas à l’usage d’une langue ou de l’autre. Les représentations sont parfois antinomiques, du fait probablement de l’engagement différent dans le devenir-bretonnant, mais aussi selon la participation ou non aux activités au mouvement breton (participation qui elle-même nous renseigne déjà sur l’investissement de l’interlocuteur) et peut-être plus loin selon la position sociale, liée ou non au parler breton. Le breton peut être vu comme une part importante de la vie de Jakeza, jusqu’à dire même que « c’est sa vie », tandis que pour Serge, il est fort probable qu’apprendre cette langue est (presque) une activité comme une autre. Lorsque j’aborde avec lui les questions sur la « bretonnisation du nom » ou sur la « définition du militant », il me répond tout simplement « qu’il s’en fout ». Ce ne sont pas des questions qu’il se pose ou auxquelles il souhaite répondre ici. Jakeza, au contraire, reprend le mot « militant » et m’explique précisément ce que cela veut dire pour elle. Cette explication a d’autant plus de sens que je lui proposais le mot breton « stourmer » souvent employé pour « militant » mais qui veut dire également « combattant ».
Des processus différenciés
12Des observations préliminaires ont permis de noter que le projet formulé par les acteurs peut être culturel (danse, chant, langue, folklore…) ou politique (militantisme, revendication, idéologie). La revendication culturelle s’accompagne parfois d’une revendication politique (faible ou forte). On peut aussi apprendre le breton sans être un militant politique et, à l’inverse, il est possible de mener des actions politiques sans parler breton – en invoquant néanmoins une dimension culturelle par un intérêt pour l’histoire de la Bretagne par exemple. Du point de vue adopté ici, ces catégories portent peu de sens. Par contre, l’argumentation qui peut être produite pour fonder l’orientation – par exemple culturelle – d’un projet, définit la manière dont les nouveaux locuteurs se perçoivent et perçoivent leur parcours. Nous atteignons bien ici le sens du devenir-bretonnant pour les nouveaux locuteurs, qu’il nous appartient de formaliser et d’analyser.
13À partir de récurrences repérées dans la présentation du devenir-bretonnant, à l’intérieur d’un même discours, et qui trouvent écho dans d’autres entretiens, trois groupes de processus peuvent être constitués. Ces trois grands processus peuvent se retrouver dans un même parcours. Il est possible par ailleurs que les informateurs les identifient eux-mêmes – au moins pour partie.
- Il s’agit tout d’abord de la continuité-reproduction (« faire revivre »). La perte d’un ascendant (ou d’un proche), qu’il s’agisse d’un décès ou d’une distanciation sociale peut être évoquée (« le retrouver en parlant breton » qu’il ait été bretonnant ou non). Il peut s’agir également d’un retour vers son histoire, son enfance. Le passé, comme la culture des ancêtres est de l’ordre du symbolique.
- Il s’agit ensuite du changement-transformation, qui vise l’intégration d’un nouveau groupe. Ce peut être renégocier les relations au sein de la famille (« se chercher une autre place »), ou bien une « nouvelle vie » (pour soi et pour autrui) dans un groupe auquel on participe ou dans un autre groupe (moyen de se créer son histoire – qui peut être l’histoire d’un peuple – et d’intégrer des valeurs différentes). Il peut y avoir une prise de distance par rapport aux valeurs de la famille (nouvelle vie hors du groupe d’orientation). Ce processus peut être couplé avec le précédent, à des moments distincts de l’histoire du nouveau locuteur (ou bien à des moments distincts de sa réflexion) ou bien dans un même temps, puisque les appartenances sociales sont multiples.
- Enfin l’instrumentalisation : l’apprentissage de la langue est vu comme une activité de loisir (au moment de la retraite, il participe au « devenir inactif »), représente un intérêt linguistique ou prend cadre dans une perspective de recherche d’emploi, de reconnaissance ponctuelle. Ce type de processus peut exister avant ou après les deux autres dans le devenir d’un même locuteur.
14Nous avons vu qu’il est possible de construire deux formes de récit. Quel que soit l’entretien, on peut le classer comme récit biographique ou récit didactique. Quand le récit est didactique, il correspond le plus souvent à un processus d’instrumentalisation ou de changement-transformation. Dans le cas de Serge, il s’agit d’un processus d’instrumentalisation du devenir : il apprend le breton pour acquérir un savoir en faisant un peu de toponymie. Quand le récit est biographique, il s’agit le plus souvent d’un processus de continuité ou de changement/transformation. Dans le cas de Jakeza, il s’agit d’un processus de continuité, qu’elle revendique en racontant ses souvenirs d’enfance, car elle inscrit son devenir dans un héritage et dans une connaissance ancienne de la langue bretonne dans sa famille. Ce processus est couplé, comme le montre partiellement la troisième partie de sa réponse, avec un processus de changement-transformation, qui vise l’intégration d’un nouveau groupe.
15Tous les récits, qu’ils soient didactiques ou biographiques, ont en commun d’être composés d’étapes et de faire apparaître des chocs biographiques.
16Une approche plus objectiviste supposerait qu’il y a un sens instrumental à tout devenir-bretonnant. Dans cette perspective, l’apprentissage de la langue serait alors interprété comme un investissement contraint par un défaut de réalisation – par exemple – de son capital culturel par la certification en français, qui serait orienté vers un autre cadre de « placement » sélectivement rentable selon le volume et la structure du capital (poids du capital culturel et du capital social notamment).
LA MISE EN HISTOIRE DES DEVENIRS
17Lorsqu’un interlocuteur raconte sa vie, il produit un récit qui crée un ordonnancement symbolique des différents événements. Ainsi, ce qui constitue la trame de l’histoire a un sens particulier, produit par les termes et les moments mis en paroles qui constituent l’intrigue du récit. En parlant de la diachronie du récit, je ne cherche pas à minimiser l’importance de la consigne inaugurale qui, au-delà d’une formulation quelque peu naïve, suscite probablement ce type de construction de la part de l’interlocuteur, dont le devenir s’inscrit dans une forme de socialisation secondaire plus ou moins forte. L’interlocuteur semble toujours convaincu de l’interprétation qu’il produit et la met rarement en question, dans la mesure où la description des étapes et des chocs biographiques présente la trame de son processus de devenir.
Le choc biographique
18Russel Banks illustre à merveille la manière dont un individu se découvre un intérêt pour une musique, après avoir vécu un choc biographique : « Je me suis senti comme un bébé qui vient de naître. Les rayons du soleil jaillissaient à l’intérieur par les fenêtres, j’étais au chaud, au sec et j’entendais de la musique, du reggae, cette jolie chanson, si légère et pleine d’élan qui dit Hey mister Yesterday, what are you doing from today15 ? C’était une musique tellement différente de celle que j’avais entendue sur le pont […] que je me suis sur-le-champ totalement converti au reggae. Il m’emplissait l’esprit de lumière, et pour la première fois, aussi loin que je me souvienne, je me suis senti heureux de vivre16 ». Avec la découverte du reggae, Chappie change de nom et devient Bone. Quel lien peut-il y avoir entre le reggae et le breton ? Chez chaque individu, il y a certains aspects de l’identité qui sont appelés plus fréquemment que d’autres à jouer le rôle « d’un pôle organisationnel17 » : c’est l’identité religieuse chez l’un, la conscience de classe chez l’autre, ou encore l’identité nationale… Cela peut-être encore s’investir dans une culture musicale ou bien devenir bretonnant.
Définir le choc biographique
19En répondant à la consigne inaugurale, chaque interlocuteur est amené à présenter des moments importants dans sa carrière de devenir-bretonnant18. C’est ce que j’appelle un choc biographique19, qui pourrait symboliser le cœur d’une période « critique » où un individu est amené à relever un défi qu’il s’est lui-même imposé ou qu’il s’est vu imposé20. Il peut s’agir également – du point de vue de l’interlocuteur – d’envie, d’appel, de désir, de déclics. Quel que soit le nom donné à ce moment critique, l’idée de déclic21 est couramment employée par les interlocuteurs dans le sens « d’élément important » et parfois même dans le sens « d’événement déterminant ». Ce sont des moments qui marquent les étapes de la vie du nouveau locuteur.
20Le choc est un élément de construction de soi qui peut renseigner sur le processus de devenir-bretonnant. Devenir bretonnant ne va pas de soi puisque les nouveaux locuteurs reçoivent comme première langue le français. Un individu naît dans une culture, puis reçoit et participe à une formation sociale qui lui est proposée par ceux qui sont autour de lui, si bien que le monde social auquel il appartient lui apparaît comme étant son monde. Il n’y a aucune raison pour qu’il remette en question la légitimité de cet environnement social, si les présupposés fondamentaux, assurant une permanence et une intériorisation de la vie sociale et qui font sa pensée usuelle, peuvent être maintenus22. Par contre, s’il advient qu’un seul de ces présupposés, parmi ceux que propose Alfred Schütz, s’effondre, une crise peut survenir et aurait pour conséquence de révéler les limites d’application du modèle acquis.
21Le choc biographique ne symbolise pas nécessairement une rupture par rapport au modèle social d’origine. Il s’agit plutôt d’une modification radicale de la tension de notre conscience23 qui serait fondée sur une attente. C’est l’attente d’une vie différente de celle qu’un individu est en train de vivre, composée à partir de celle dont on a hérité. C’est ce que recouvre le terme de « déclic », car il s’agit non seulement d’un moment symbolique, qui pourrait être interprété comme la phase liminaire d’un processus de devenir-bretonnant, mais encore d’une transition d’une « province de signification » à une autre, qui doit permettre au nouveau locuteur d’aboutir à une attente plus ou moins exprimée. Ce choc biographique peut être également décrit comme un « accident fortuit24 » ou un détonateur25 &26. Comme pour le traducteur André Markowicz, qui est venu une première fois en Bretagne en touriste quand il était enfant, « puis il y a une dizaine d’années, à Guingamp, pour aider une étudiante, qui est aujourd’hui ma compagne, à avancer sa thèse. Françoise m’a fait écouter les chants bretons de Yann-Fañch Kemener. Le plus grand choc de ma vie. J’y découvrais non seulement une langue magnifique, énorme, mais un monde d’une noblesse infinie qui s’exprimait dans cette voix27 ». La découverte de la langue est ici associée à celle d’un chanteur mais elle est aussi associée à une rencontre, ainsi qu’à la relation amoureuse avec sa compagne.
Le choc biographique comme expression d’un drame
22Les chocs biographiques peuvent prendre différentes formes. Ils sont souvent associés à des événements dramatiques comme la maladie (c’est le cas de Jakeza), la guerre, la déception sentimentale, la mort d’un parent, la faillite, et plus fréquemment le changement de résidence ; c’est-à-dire plus généralement des événements qui engagent un bouleversement de sociabilité, en tant qu’elle est déterminante pour le développement des interactions qui forment la vie sociale et l’identité. Les rencontres en tant que telles sont ainsi des événements importants dans la carrière d’un nouveau locuteur. Une rencontre amoureuse ou une amitié très forte, que l’on a gardée plus ou moins longtemps, et que l’on n’a pas oubliée, permet aussi de se lancer dans un autre projet de construction de soi. Ces événements constituent des moments déterminants dans la construction d’une vie. Les interlocuteurs parlent souvent des absents, de ceux qui sont morts ou bien de ceux qu’ils ne voient plus, mais auxquels ils continuent de penser28.
23Il y a aussi probablement des secrets de famille qu’un interlocuteur découvre et auxquels il se rattache plus ou moins pour se construire. Les secrets sont plus difficiles à aborder et peuvent créer, dans des situations extrêmes, des drames d’incompréhension, et amener des individus à interpréter des attitudes de leurs proches comme étant déviantes ou anormales. Bernez me demandera d’arrêter mon magnétophone pendant quelques minutes. Il voulait bien me dire ce qui s’était passé, mais malgré l’anonymat de la situation, il ne voulait pas que cela reste sur une bande magnétique. Sa voix se fit plus douce comme s’il craignait qu’on nous entende.
24Raconter sa vie et identifier les chocs qui ont conduit un individu à changer ses représentations, c’est définir une position que l’on a adoptée par rapport à un projet « culturel » (« parler une langue c’est fantastique, une victoire sur tout, une grande satisfaction personnelle ») ou bien que
Christelle (43 ans, au foyer, ingénieur, B.) a commencé à suivre des cours il y a deux ans, en même temps que son fils et sa fille : « On dit à ma fille pour plaisanter que c’est sa langue maternelle. Il nous arrive de parler breton, avec mon fils aussi. Comme mon mari ne comprend pas, ça nous amuse, ça fait une petite complicité ». Elle a commencé à apprendre le breton après le décès de sa mère, c’est « pour la prolonger », pour « retrouver ses racines » bien qu’elle ne fût pas bretonnante : « Je ne sais pas si c’est la langue ou le décès qui fait que j’ai changé. Je me rends compte que les racines, la mémoire, c’est plus ma mère, c’est moi. C’est à moi de reprendre le flambeau ». Elle se souvient avoir entendu sa grand-mère maternelle parler breton ; elle était souvent avec une copine, une voisine avec laquelle elle faisait le Kig ha Fars. De temps en temps, Christelle échange quelques mots de breton dans un commerce ou dans la rue, quand elle rencontre un de ses voisins qui est bretonnant de naissance : « Quand on se rencontre on se dit quelques mots, ″il fait beau″, ″comment ça va″. Et il est content je crois, parce qu’il m’a dit une fois qu’il perdait son breton ». Elle tient à souligner qu’elle se disait Bretonne avant de commencer à apprendre la langue et qu’il y a différentes façons d’être Breton.
25l’on s’est vu imposée par les circonstances (« je trouve ça dommage de renier à ce point-là la part de bretonnitude, c’est une revanche par rapport à l’Histoire ») car le choix n’est que relatif (« en fait, ça me permet de me sentir mieux intégré à la région dans laquelle je vis »). On voit avec le portrait de Christelle, que l’apprentissage pouvait compenser une absence. Si le déclic symbolise un moment fort qui intervient dans la vie d’un individu, le discours de la continuité pourrait être interprété comme étant une idéologie de compensation.
26Les chocs sont, avec les étapes, des éléments qui permettent de structurer le récit. Ils ne présentent pas tous les aspects de la vie de l’interlocuteur, mais seulement ceux qui comportent, du point de vue de l’interlocuteur, un intérêt pour ce récit. Dans un entretien, comme pour les mètres de pellicule sélectionnés pour le montage d’un film, il n’y a pas de minutes inutiles. On passe d’événement en événement, d’une étape significative à une autre. Le récit s’organise et se construit une logique. En relisant une réplique du personnage du réalisateur Ferrand dans La Nuit américaine de François Truffaut, je remarque que les entretiens sont, d’une certaine façon, comme les longs métrages, c’est-à-dire « plus harmonieux que la vie, il n’y a pas de temps mort, les films avancent comme des trains dans la nuit29 ». En donnant une unité à sa vie, l’interlocuteur crée non seulement une unité du récit, en gommant les périodes non pertinentes pour construire le récit, mais également un sentiment d’unité de l’identité. L’identité est en fait négociée ou bien, plus précisément, elle est l’objet d’une transaction avec soi-même et avec autrui (autrui est représenté par l’enquêteur, le lectorat que l’on peut lui supposer, mais aussi et peut-être surtout tous les autruis significatifs, vivants ou morts, présents ou absents, que l’on peut idéalement convoquer à ce moment).
27En s’interrogeant sur la structure de l’histoire qu’un interlocuteur raconte, Anselm Strauss rappelle que l’on peut utiliser certains événements, qui sont des écarts de parcours sur l’ensemble d’une vie, et qui permettent néanmoins, par leur caractère exceptionnel, de donner une continuité et une cohérence au récit. C’est le cas des déclics. À l’opposé, afin de préserver le récit, certains éléments « aberrants30 » peuvent être délaissés soit parce qu’ils appartiennent au passé ou à la jeunesse (et sont d’une certaine manière dépassés), soit parce qu’ils ne servent pas le projet du récit31.
Le drame de Gurvan
28Une simple succession d’événements ne forme pas un tout homogène, bien que cela puisse être un mode narratif. Pour assurer une unité au récit, les événements doivent présenter un enchaînement chronologique et/ou symbolique. Si la construction du récit conduit l’interlocuteur à adopter un mode de structure, les événements sont cependant souvent juxtaposés les uns à côté des autres, constituant une réponse plus ou moins organisée et plus moins courte à la question posée. Le drame est un genre littéraire dont l’action, souvent tragique et/ou pathétique, comporte des éléments réalistes. La vie est un drame dans la mesure où elle n’est pas faite uniquement de plaisirs, d’enchantements ou de moments de tristesse et l’on retrouve cela dans la littérature. Les romans de Craig Lesley, comme les nouvelles de Russel Banks ou celles de Raymond Carver, correspondent très bien à l’idée que j’ai de ce qu’est un drame. C’est à la fois une histoire complète, composée de moments de vies, d’émotions et de tristesses, c’est aussi une histoire incomplète, infinie, qui suit son cours au-delà de la formalisation qui en a été faite. Si les récits des nouveaux locuteurs que j’ai rencontrés sont des drames, ce sont des drames d’un genre particulier. Ce sont des entretiens recueillis dans une situation qui n’est pas celle de la vie courante. Il y a un enquêteur en face du narrateur et le récit est enregistré. Les entretiens, lorsqu’ils conduisent un individu à raconter sa vie, sont des drames narratifs. La narration est le récit plus ou moins fidèle ce qui qu’un individu a vécu. Il y a une différence entre la situation telle qu’elle s’est réellement déroulée et ce que le narrateur en dit ou croit en dire32 (en fonction de ce qu’il veut et/ou de ce qu’il peut dire). Il y a également une différence entre celui qui vit une situation et le narrateur. Quand on raconte, on n’est plus celui qui vit l’action mais celui qui l’a vécue. Ce qui est vrai pour un entretien est vrai pour la littérature et plus largement pour toute forme narrative. La situation narrative peut donc être interprétée comme un dédoublement. C’est ce que remarque l’écrivain Paul Auster : « Il y a une chose qui me fascine : on voit un nom sur la couverture, c’est le nom de l’auteur, mais on ouvre le livre, et la voix qui parle n’est pas celle de l’auteur, c’est celle du narrateur. À qui appartient cette voix ? Si ce n’est pas celle de l’auteur en tant qu’homme, c’est celle de l’écrivain, c’est-à-dire une invention. Il y a donc deux protagonistes33 ».
29Le récit de Gurvan est très intéressant pour présenter et argumenter les étapes d’un processus de devenir. Dans ce récit, elles apparaissent de manière claire et ordonnée. Une étape est une phase ou une période dans un processus de devenir-bretonnant. Découvrir que le breton est une langue qui existe est une étape, de même que découvrir que des gens parlent cette langue, ou encore qu’il est possible de l’apprendre.
Gurvan (26 ans, enseignant, étudiante, B.) sombre très jeune dans ce qu’il appelle un gauchisme infantile. Le rejet des valeurs parentales passe notamment par l’appropriation d’un album d’Alan Stivell que ses parents n’écoutaient plus. Il a toujours vécu dans un environnement bretonnant, il se souvient avoir entendu ses grands-parents parler breton pour ne pas être compris par leurs petits-enfants. C’était en breton également que ses grands-parents se disputaient. Lorsque sa grand-mère est tombée malade, son grand-père est venu vivre chez ses parents, pendant les mois d’hiver. C’est à ce moment-là qu’il achète une méthode de breton et qu’il demande à son grand-père de l’aider. Celui-ci est un peu réticent dans un premier temps car selon lui, apprendre le breton c’est quelque chose qui n’en vaut pas la peine. Les mots l’ont fasciné, c’était exotique par rapport au français. Il enregistrait son grand-père. Bien qu’il n’y eût pas de cours dans son lycée, Gurvan a décidé de s’inscrire à l’épreuve de breton au baccalauréat. Très influencé par certains travaux, Gurvan a appris à se méfier des extrémistes et de la pensée dominante du mouvement breton, « c’est-à-dire toutes les idées reçues et les stéréotypes que peuvent véhiculer des ouvrages qu’on trouve facilement sur le mouvement breton et la littérature bretonne. J’en connaissais ce que voulaient bien en dire les gens qui s’en occupent ». Pour lui, apprendre la langue, c’est autre chose qu’utiliser la langue, c’est s’investir dans une relation. Parler breton lui a permis de connaître son grand-père d’une manière différente : « il m’a dit des choses en breton, qu’il n’a pas dites à mes frères. Parce qu’il pouvait le dire en breton et pas en français, tout simplement parce qu’il n’avait pas le vocabulaire suffisant en français pour le dire. Tout ce qui touchait aux sentiments » ; « pour moi, le breton, c’est mon grand-père ». Il enseigne le breton depuis deux ans.
30À la fin de l’entretien, Gurvan me dit s’être déjà posé plusieurs questions auxquelles je lui demandais de répondre, ce qui est assez significatif également des récits biographiques. Il me présente, étape par étape, les différents moments importants de son devenir, en dévoilant un enchaînement entre les différents événements qui lui apparaissent importants et en donnant un sens général et évolutif à son apprentissage. Gurvan ne fut pas un interlocuteur comme les autres, car chacune de ses réponses débutait par une reformulation de mes questions, et une attention systématique était dévolue à chaque mot que j’employais pour les relances. Gurvan met en pratique l’interrogation réflexive de manière constante, en dénonçant « une idéologie dominante du mouvement breton » et une sous-représentativité, voire une absence dans la plupart des institutions, des locuteurs natifs.
31Les seules interventions de ma part sur la forme du récit sont signalées entre parenthèses pour prévenir le lecteur des légères césures ayant pour seule fonction de préserver l’anonymat de l’interlocuteur. Des intertitres soulignent la structure du récit et rompent artificiellement les propos de l’interlocuteur.
32Consigne inaugurale :
33Peux-tu me raconter comment tu as commencé à apprendre le breton ?
34Gurvan entame un récit biographique dans lequel on retrouve les trois périodes de la réponse à la consigne inaugurale : une justification par rapport à l’usage ou non du breton dans la famille, puis un ou plusieurs éléments significatifs de découverte et enfin le début de l’apprentissage.
Discours en réponse à la consigne inaugurale. Première partie : Justification par rapport à l’usage ou non du breton dans la famille.
1. Comment Gurvan présente l’usage du breton et la présence de la culture bretonne dans sa famille :
R. : Oui, je peux le faire mais ça oblige certainement à expliquer… Je vais raconter ma vie, et puis voilà, ce sera plus simple. Donc, voilà, on va commencer par le commencement, on va commencer par ce qui est le plus évident, et si tu veux pousser, on poussera, donc, lorsque j’étais petit, j’allais chez mes grands-parents, j’ai vécu quand même… disons que mes parents, enfin mon père, bien que comprenant le breton, puisque, élevé dans un milieu bretonnant et paysan […] heu, disons ne m’a pas parlé, de toute façon ça lui est pas venu à l’idée.
Discours en réponse à la consigne inaugurale. Deuxième partie : Éléments significatifs de découverte.
1.1. Les grands-parents
C’était une question qui se posait pas de toute façon. Mais il se trouve que quand j’allais chez mes grands-parents […]. On habitait à Quimper et on passait soit des week-ends, soit des soirées et heu… aussi un mois entier de vacances avec mes grands-parents et qui entre eux parlaient breton. Ils parlaient breton pour pas qu’on comprenne, ça n’a rien d’original, c’est-à-dire qu’ils parlaient breton pour pas qu’on… ils s’engueulaient en breton, je revois… j’ai des images très présentes encore de mes grands-parents s’engueulant ou parlant entre eux en breton pour pas qu’on comprenne. Et donc heu, voilà quoi.
1.2. Un milieu dans lequel on revendique
Parallèlement mes parents, je suis issu d’un milieu syndicaliste. Mon père a été pendant dix ans permanent syndical à la CFDT, CFDT, donc syndicat libertaire et autogestionnaire donc assez ouvert aux… disons internationaliste quoi… dans le sens le plus vaste.
1.3. La première cassette de Gilles Servat
Et donc mes parents écoutaient, avaient un petit magnétophone, un peu plus grand que celui-là, un petit magnétophone sur lequel passait Les Quatre Saisons de Vivaldi, une cassette de Jacques Brel, une cassette des Tri Yann, non les Tri Yann c’était après, une cassette de Gilles Servat, c’était la première cassette de Gilles Servat et une cassette, une compil’d’Alan Stivell. Donc y’avait pas beaucoup de moyens. Mes parents écoutaient ça et j’ai été bercé, c’est peut-être un bien grand mot mais disons que j’ai entendu ça, et ça m’a, disons, suivi. Heu, je suis pas trop loin du sujet ? Parallèlement, sans le savoir, j’ai été baigné, on se posait pas de question, j’ai été baigné dans un milieu bretonnant par mes grands-parents parce que j’y allais très souvent.
1.4. Les vacances en famille
On passait un mois de vacances à Loctudy avec mes grands-parents, dans un champ qu’ils louaient à des paysans du coin et bon y’avait là des relations bretonnantes normales, dont j’étais exclu parce que c’était normal, j’étais petit et puis voilà, j’étais un gamin.
1.5. La crise d’adolescence
Bon, et puis après, j’ai eu la chance de faire ma crise d’adolescence très tôt, j’entends par crise d’adolescence, le rejet des valeurs parentales, donc, j’ai sombré dans l’extrémisme politique – enfin, politique ! – dans un gauchisme infantile très jeune. Disons que j’ai été encore plus loin que mon papa, c’était au collège, c’était très abstrait, mais y’avait un engagement et donc un rejet aussi, notamment de toute la musique apportée par les parents, et donc ma propre construction musicale en écoutant de la musique que les parents n’écoutaient pas. Et heu, en fait, je me rappelle très bien, je sais pas trop, j’étais au collège, je sais pas en quelle classe, mais je me rappelle parce que je suis issu… enfin, j’ai deux frères et une sœur et on dormait… je dormais avec mon frère en fait, on était deux par deux en fait, par chambre, voilà et donc je me rappelle, je dormais encore dans la même chambre que mon frangin… et je me rappelle, sur un magnéto, un peu plus grand que sur celui d’avant, un petit magnéto, de redécouvrir heu… Alan Stivell, une cassette en fait qui avait été mise de côté, parce qu’on l’écoutait plus. Et puis nous, nous affirmant musicalement, les parents… on monopolisait le magnéto et les parents en fait, certainement n’écoutaient plus.
2. Gurvan cherche à en savoir plus
Et en fait, j’ai redécouvert Stivell et en fait ça m’a vachement impressionné. Alors est-ce que c’était la madeleine de Proust, est-ce que ça me rappelait des souvenirs, je sais pas, j’en ai aucune idée, disons que ça m’a bien plu. Et puis j’étais assez fortement intéressé par la musique en fait, tout d’abord, par la musique.
2.1. La découverte de quelque chose de différent
Et puis, j’étais au collège, ça devait être en quatrième ou en troisième, je sais plus l’âge, si tu recherches des âges précis, je peux pas te dire. Donc, j’ai commencé à être fortement intéressé par d’une part, la musique bretonne et donc, étant relativement curieux, lorsque je peux… j’aimais essayer toujours, d’approfondir, pas approfondir mais aller plus, être curieux quoi, j’ai commencé à voir que derrière cette musique, il y avait une culture, ou du moins la construction d’une culture. C’est-à-dire qu’il y avait tout un discours derrière la musique de Stivell, y avait tout un discours… celtique, pseudo celtique, ben que je connaissais pas. Ça m’a donné l’envie d’en savoir plus et obligatoirement, assez rapidement, je me suis retrouvé confronté à la langue.
2.2. Un drame familial
Et bon, il se trouve, je peux pas te dire vraiment ce qui… mais bon, ça fait partie, et c’est à mon avis quelque chose d’assez important, je sais pas à partir de quel moment j’ai voulu commencer à apprendre le breton mais il se trouve que, est-ce que c’est après ou est-ce que c’est avant, c’est peut-être une clé aussi et j’ai peut-être pas envie de m’en rappeler, je sais pas. Il se trouve que ma grand-mère est tombée gravement malade, en fait elle a perdu la tête, et qu’elle a été hospitalisée, elle a été hospitalisée pratiquement du jour au lendemain et mon grand-père en fait, qui était quand même un peu plus âgé qu’elle, s’est retrouvé seul chez lui. C’était la première fois qu’il se retrouvait tout seul, à se faire à manger et à se débrouiller tout seul et donc en fait, il a commencé à venir tous les mois d’hiver chez mes parents. Parce que c’était là où il y avait le plus de place et donc… à l’époque, ils avaient réussi à faire que nous ayons une chambre chacun mais lorsque mon grand-père venait, il dormait dans ma chambre. On lui laissait ma chambre, et mon grand-père vivait avec nous pendant les mois d’hiver et en fait, je sais pas, est-ce que la maladie de ma grand-mère a été un déterminant, est-ce que c’était avant, je sais pas trop mais toujours est-il que c’est dans cette période là que j’ai décidé à apprendre le breton.
Discours en réponse à la consigne inaugurale. Troisième partie : Le début de l’apprentissage.
2.3. L’achat d’une méthode
Mais de façon personnelle, c’était, je sais pas… et donc j’ai acheté l’Assimil de Morvannou… et donc j’ai eu ça, j’ai dévoré ça.
2.4. La relation avec le grand-père
Et parallèlement, j’ai commencé à demander des choses à mon grand-père, qui était présent. Et au départ, il était pas très chaud, parce que c’était, pour lui, c’était quelque chose qui n’en valait pas la peine quoi. Et moi, ça m’a intéressé, j’ai vraiment voulu pouvoir communiquer et là, je devais être en seconde, à partir de la troisième, j’ai dû commencer… C’est en seconde que j’ai dû commencer à dévorer l’Assimil et aux vacances d’été, je me suis inscrit aux cours de Skol Ober, avec le bouquin de Pêr Denez et en deux mois, j’ai fait la méthode Brezhoneg buan hag aes, c’est-à-dire que j’envoyais les devoirs, j’envoyais les devoirs, je faisais que ça tous les jours et au bout de deux mois, je parlais. Donc j’ai… ça a été le déclic, c’était à base d’exercices structuraux, ce qui à mon avis devait manquer beaucoup dans la méthode Assimil. Il y avait plein de choses mais… mais là c’était basé sur la répétition et j’ai commencé à parler. Et conjointement bien sûr, j’ai continué à parler… Au départ, je demandais beaucoup de choses à mon grand père, c’était « comment on dit ça ? », et d’ailleurs quand j’y repense, c’étaient surtout les mots qui m’intéressaient, ça c’est très important. […] C’était aussi l’exotique par rapport au français ! C’est ça qui était le plus facile en fait, les mots différents, je crois. Et après cet été-là, j’étais capable de discuter mais je pense que le grand-père a été aussi très tolérant, parce que j’imagine aussi que mon breton était assez éloigné à cette époque-là de… de ce qu’il parlait lui, et bon j’ai donc, quand il était, l’été, quand il était chez lui tout seul, j’allais le voir, je l’enregistrais, on discutait, je lui demandais comment on disait ça, comment on prononçait ça et l’hiver, il était chez nous.
3. Gurvan devient bretonnant
Et donc vraiment, on a vraiment commencé à discuter… donc moi, j’ai suivi, après Brezhoneg buan hag aes, j’ai voulu commencer le deuxième volume, j’ai commencé mais j’ai vite arrêté parce que j’étais en première et il commençait à y avoir du boulot.
3.1. L’épreuve de breton au bac
J’étais (dans un lycée dans lequel) il n’y avait pas de cours de breton. Donc je me suis inscrit quand même à l’épreuve de breton, donc j’ai passé l’épreuve et j’ai été soutenu par un prof de breton […], j’ai été le voir chez lui et il m’a fait passer des oraux blancs et j’ai passé l’épreuve du bac et ça s’est très bien passé puisque j’ai eu la mention au bac grâce au breton alors, imagine ! Là mon grand-père a commencé à se dire que… et ce qui était marrant, c’est que, à partir… enfin c’est pas à partir de ce moment là, mais il n’y avait plus du tout ce phénomène de réticence au départ, c’était devenu quelque chose de très naturel et donc, il en était même devenu très fier. C’était bien, c’était une grande victoire. Et j’ai continué, si tu veux, à aller le voir très régulièrement, il y avait des repas de famille, l’hiver, il venait chez nous. Et puis heu, après j’ai commencé à la fac un DEUG […].
3.2. La sociabilité bretonnante
Il n’y avait pas de DEUG de breton à l’époque, y’avait option breton. Et j’estimais, fort prétentieux, que j’avais pas besoin des cours d’option, parce que je parlais breton, c’est vrai je parlais… normalement, enfin, je parlais couramment, je pouvais tenir une conversation avec n’importe qui, du moins avec des gens… et les gens que je côtoyais étaient, ce qu’on peut appeler… ouais, des militants, hormis mon grand-père et les sœurs de ma grand-mère. Ma grand-mère étant en fait… complètement, bon, ayant perdu la tête, j’ai pas vraiment pu discuter avec ma grand-mère, hormis pendant quelques moments de lucidité si je puis dire. Mais autrement, c’est vrai que j’étais vraiment avec mon grand-père.
3.3. Entrer dans « l’idéologie dominante »
Mais bon, dans ces années de fac, la fac c’était un univers nouveau et c’est vrai que, c’est pas très violent comme travail. J’étais intéressé par des choses, j’étais très… en fait très influencé par la pensée dominante, l’idéologie dominante du mouvement breton quoi, c’est-à-dire par toutes les idées reçues et les stéréotypes que peuvent véhiculer des ouvrages qu’on trouve facilement sur le mouvement breton et la littérature bretonne. J’en connaissais ce que voulaient bien en dire les gens qui s’en occupent, quoi. […] Je pensais que Gwalarn avait été une véritable révolution culturelle peut-être et que le Barzaz Breiz avait été une révolution, même si je l’avais jamais lu. Mais bon, je savais qu’on disait que le Barzaz Breiz était un monument de la littérature bretonne et que Roparz Hemon était le plus grand écrivain. Je savais qu’on disait ça. Donc, c’était des choses que, quand on faisait du breton étant jeune, ça faisait partie des choses qu’on doit savoir et auxquelles on croit. J’appelle l’idéologie dominante au sein du mouvement breton qui est loin d’être dominant, mais ça c’est un autre problème […].
3.4. Aller au delà de l’idéologie dominante
Et en fait, j’arrive en DEUG, j’arrive en licence et à l’époque, y’avait possibilité de prendre deux modules de n’importe quel autre… module… et donc, moi l’idéologie dominante m’avait dit… ou plutôt les gens qui véhiculaient l’idéologie dominante m’avaient dit, que c’était même pas la peine d’essayer de s’insérer à la fac de Brest parce que c’était pas intéressant. Bon alors, moi j’m’étais dit : « C’est pas la peine quoi, de faire du breton à la fac ». Et surtout pas en option, parce que j’avais pas besoin, voyons (ton ironique). Et néanmoins, j’avais envie… j’avais entendu parler de Morvannou et puis l’Assimil, c’était quand même le premier bouquin que j’ai eu entre les mains. Vraiment, c’est le premier bouquin que j’ai acheté de mes deniers et que j’ai eu quoi. Il y a quand même, l’Assimil, ce serait intéressant à étudier, tout un appareil critique à étudier, qui n’est pas anodin, et donc j’avais été marqué par ça de toute façon. Et donc, j’arrive en licence et je m’inscris en licence et je m’inscris en module de thème version et en module de dialectologie et c’est vrai… que je vais grandir, parce que là ça devient la madeleine de Proust, mais c’est vrai que ça a été vraiment une révélation, il n’y a pas d’autres mots. Le cours de thème-version de Morvannou, là je suis tombé sur le cul, j’ai vraiment découvert, et à partir de ce moment j’ai su ce qu’était, à mon avis, le breton. Et là, j’ai suivi le cours de thème-version […] et le cours de dialectologie […]. Dialectologie, je savais même pas ce que ça voulait dire, et là j’ai découvert ce qu’était le breton. Et j’ai découvert que plutôt que de me plonger dans les livres en fait, que j’achetais, j’achetais beaucoup de livres parce que j’essayais de lire en breton, tout ça, c’était bien mais il fallait aussi que je me plonge aussi dans le breton parlé et que je me borne pas seulement à demander à mon grand-père comment il dit tel ou tel mot, ne pas sombrer dans une maladie terrible au sein du mouvement breton, la maladie des mots. […] Donc je continue à aller voir mon grand-père, je continue à l’enregistrer et là, je lui demande des choses que j’étais obligé d’entendre mais auxquelles je ne prêtais peut-être pas attention […].
3.5. Rêver en breton
C’est qu’à partir de ce moment, mais c’est pas à partir de ce moment-là, parce qu’après, je… j’ai commencé à rêver en breton… Alors je me suis dit « tiens ! », mais c’était des choses qui étaient attachées à mon grand-père. Je rêvais donc en breton. Je parle dans mes rêves, et quand je parle avec un bretonnant, je parlais en breton dans mon rêve parce que je parlais en breton avec ces gens-là et notamment avec mon grand-père. Et donc heu, ça a été, pendant cette année de licence, j’ai découvert, disons que c’est pas très joli à dire, mais je pense que j’ai découvert tout un côté scientifique du breton qui m’échappait complètement et qui m’a été révélé. Enfin, révélé, discours très religieux, mais qui… que j’ai découvert, voilà, on va dire ça. et donc, c’était très intéressant. Et puis après, j’ai pu approfondir ma connaissance du breton. Donc, c’est une étape. Est-ce que j’ai répondu à ta question ?
R. : Oui.
Q. : Donc, c’est le point de départ, c’est compliqué… pas compliqué, mais c’est un enchaînement de plusieurs choses. L’apprentissage, ça a été fin collège, début lycée, parce que je me suis plongé dans l’apprentissage écrit si tu veux. Mais je me rappelle très, et là j’étais très petit, lui avoir demandé « mais qu’est-ce que tu parles » et elle m’avait dit, et je la revois sourire, elle m’avait dit « je parle anglais » en rigolant. Et en fait, quand j’y repense, je me dis qu’en fait, même le mot breton, fallait pas le dire à son petit-fils, il fallait dire « anglais », parce que c’était plus… Et moi quand je suis arrivé en sixième, je me suis rendu compte que c’était pas de l’anglais. Je peux pas dire que j’ai été immergé, parce que c’est le mot à la mode, j’ai pas connu le phénomène d’immersion même si j’ai eu beaucoup de breton dans l’oreille. Voilà.
35Si donner du sens à ce que l’on vit est un comportement habituel, mettre à plat son expérience en proposant un regard rétrospectif critique l’est beaucoup moins. Il est probable que Gurvan le fait ici dans la mesure où il a déjà fait ce travail pour lui-même, avant cet entretien. Son rapport à la langue a évolué et bien qu’ayant participé à « l’idéologie dominante », il dit aujourd’hui s’en être distancié.
36Tous les récits des interlocuteurs sont « didactiques » ou « biographiques » et ces formes confirment l’hypothèse laquelle l’analyse de la forme d’un récit permet d’observer un processus de devenir-bretonnant pouvant être associé plus ou moins à un type de récit dans sa forme. Il apparaît que les récits biographiques présentent plutôt un récit de continuité et que les récits didactiques présentent plutôt un récit d’instrumentalisation. La forme des récits nous renseigne également sur les types de socialisation secondaire, par l’importance des étapes et des chocs biographiques qui apparaissent dans tous les récits biographiques, et de manière plus nuancée dans les récits didactiques. Les étapes et chocs ont une définition plus ou moins précise selon nos interlocuteurs, car ils dépendent de l’importance et du caractère déterminant que chaque interlocuteur leur attribue. Ces moments présentés comme étant importants précèdent ou marquent les étapes symboliques de la construction de l’histoire. Ils montrent également que le devenir-bretonnant n’est pas une mutation sociale qui transformerait un individu d’un jour à l’autre. Un processus de devenir-bretonnant est formé de moments et de périodes plus ou moins longues qui peuvent conduire à une transformation plus ou moins rapide et plus ou moins importante de celui qui s’inscrit dans le processus. Le déclic n’est pas l’élément déclencheur mais la construction, du point de vue de l’interlocuteur, d’un élément significatif comme étant à l’origine de l’investissement. C’est « quelque chose qui a joué ». Un récit biographique contient également une partie sur l’apprentissage, si bien qu’il est possible de remarquer qu’il existe un processus d’instrumentalisation dans un récit biographique, mais qui serait secondaire par rapport à ce qu’exprime l’interlocuteur. On resterait néanmoins dans une forme de socialisation secondaire (faible ou forte) conforme au type du récit biographique.
Notes de bas de page
2 La grille d’entretien est présentée en annexe 2.
3 Produire un travail sociologique sur les nouveaux locuteurs pourrait consister en l’analyse approfondie d’un groupe auquel la société reconnaît un statut social spécifique. Or, il ne s’agit pas d’étudier le devenir-bretonnant comme une situation socialement reconnue. Il ne s’agit pas d’étudier les nouveaux locuteurs comme étant un groupe cohérent (c’est-à-dire une catégorie sociale aux frontières bien délimitées). Ce qui m’intéresse ici, c’est de prendre le devenir-bretonnant comme une forme de construction sociale à laquelle celle ou celui qui a vécu ou est en train de vivre cette situation, donne du sens. Quelle expérience de la langue fait un individu ? C’est-à-dire de quelle manière devient-il bretonnant ? De quelle manière la langue intervient-elle dans l’histoire d’un individu ? Quel que soit le début de l’histoire, le questionnement modal porte l’informateur à raconter sa vie ou plutôt une histoire de ses expériences individuelles. Il s’agit d’étudier la clé sociologique du problème que détiennent l’individu, la famille et son environnement.
4 Tous les entretiens ont été enregistrés et leur durée varie de une à cinq heures. L’entretien est présenté tel que je l’ai retranscrit, sans coupure ni transformation, à l’exception des noms de lieu et de personne. L’extrait présenté correspond aux cinq premières minutes de l’entretien.
5 Ma mère est venue à Brest en… au début du siècle. Elle venait de Landerneau et travaillait chez… dans la ferme que tenaient ses parents. Mais, bien qu’elle ait été un peu à l’école, elle ne savait pour ainsi dire pas un mot de français. Quand je dis qu’elle ne savait pas, selon moi, connaître une langue c’est pouvoir expliquer tout ce qu’on veut dire dans cette langue, c’est ça connaître une langue et elle n’en était pas capable. Mon père savait le français mais il avait travaillé dans une usine d’armement ici, au Moulin blanc. Alors, quand il s’est marié avec maman, ils sont venus près de là où se trouve Océanopolis maintenant. Mais à l’époque, il n’y avait aucune difficulté particulière pour personne, parce que tous les gens autour de ce qui est maintenant Océanopolis étaient des paysans qui produisaient des légumes surtout pour la ville de Brest, mais tous parlaient breton, et c’est près de Brest maintenant. Alors, j’étais la deuxième, ma sœur avait 6 ans de plus que moi, c’est sûr qu’elle a entendu parler breton d’abord avec ma mère, ça c’est sûr. Quand elle est allée à l’école, elle s’est retrouvée plongée dans un environnement francisant avec l’école, avec ses camarades et les institutrices, avec les voisins, car on est venu s’installer dans le bourg de Saint-Marc.
6 Bien entendu, quand je suis née, avec une sœur plus âgée de six années j’ai été plongée dans le français tout de suite avec elle. Mais ce qui est surprenant, c’est que j’ai été piquée par le breton et… un des frères aînés de mon père venait déjeuner, il venait chaque dimanche et il nous racontait des histoires en breton et j’étais folle de ses histoires !
7 Et puis pendant les vacances nous étions envoyés chez nos grands-parents et là-bas nous étions plongés dans un environnement « unilingue breton » et ça, c’est très marquant pour des petits enfants. Vous savez, un enfant de six ans apprend n’importe comment n’importe quelle langue et attrape la prononciation de n’importe quelle langue, après six ans, selon ceux qui ont étudié le problème, c’est comme s’il y avait quelque chose qui se fermait en eux, pour la prononciation surtout. C’est étrange ! J’ai remarqué ça plus d’une fois.
8 Alors, comme ça, jusqu’à mes douze ans, je suis allée chaque année et ça se passait très bien parce que, je n’étais pas capable de parler breton mais je parlais français, et ils me répondaient en breton… ces gens n’allaient pas changer de langue pour… les enfants, ces jeunes Brestois et voilà, quand on s’adressait à moi, c’était en breton et je répondais en français et ça se passait bien.
9 Q. : Vous compreniez tout de même ? R. : Et oui, j’avais entendu, depuis que j’étais née, plus ou moins un peu de breton et depuis mes deux ou trois ans peut-être, je suis allée… depuis je suis allée à l’école… et ils ont passé leur vacances à la campagne, à l’époque où les gens et le pays étaient unilingues. Comment ne pas apprendre ainsi ?
10 Après ça je suis tombée malade à douze ans, très malade, je ne m’en suis jamais remise. Comme ça a duré assez longtemps sans pouvoir aller à l’école alors je lisais beaucoup. Et j’ai lu tout ce qui pouvait tomber entre mes mains, des livres de Paul Féval, alors je lisais des livres de Paul Féval, sur lesquels nous discutions mon père et moi et je disais « Je suis, mais je suis pas aveugle pour voir que je suis bretonne », déjà, douze ans… à cause de Paul Féval. Et peut-être que cette chose était en moi je pense car nous étions trois enfants, ma soeur aînée, moi et un frère plus jeune.
11 Moi, en vérité j’étais folle de breton, je demandais à mon oncle chaque dimanche des histoires bretonnes. Et finalement bien sûr il connaissait un nombre limité d’histoires et moi je les connaissais par coeur et quand il oubliait quelque chose je lui disais « Tonton Jean, tu as oublié tu sais bien je t’ai dit qu’elle était montée dans l’arbre là quand les voleurs étaient… et tu l’as pas dit ». « Oh », me disait le pauvre homme, « tu sais ça mieux que moi ». « Mais tu dis ça si bien tonton Jean ». Alors Tonton Jean se radoucissait et recommençait à raconter l’histoire de Yann ha Chanig… Alors, j’ai continué tout de même avec l’école tant bien que mal et à quinze ans, j’ai passé le brevet élémentaire, et j’ai été reçue, bon. J’ai fait l’école, quelle école, quelle maîtresse d’école j’étais ?
12 Et là j’ai acheté un numéro de Breiz Atao qui était mis en vente par M. Chabiot dans un commerce quelconque. Bon, je lisais un article sur Gandhi signé par un certain Roparz Hemon. Je n’avais jamais vu quelque chose écrit en breton car… en été on ne lisait pas la vie des Saints, il y avait trop de travail. C’était pour l’hiver. Je lisais l’article sur Gandhi et j’étais une patriote enflammée déjà à ce moment-là, et finalement je ne connaissais pas Gandhi. Et j’ai été surprise, très contente même et j’ai tout compris d’un bout à l’autre. C’était la première fois que je voyais du breton écrit. Bien entendu, il y avait beaucoup de mots que je connaissais pas mais je comprenais bien le sens, c’est comme ça que j’ai commencé.
13 Pour un exemple de récit biographique en français, voir en annexe 5 la réponse d’Antoine à la consigne inaugurale.
14 Jakeza est venue il y a longtemps, j’ai été Jacqueline pendant un moment puis je suis devenue Jakeza.
15 « Hé, monsieur Hier, qu’est-ce que tu fais à partir d’aujourd’hui ? ».
16 Extrait de Sous le règne de Bone, Paris, Actes Sud, 1995, p. 249.
17 C’est une notion qu’utilise Isabelle Taboada-Leonetti (« Stratégie identitaires et minorités » dans Stratégies identitaires, Paris, PUF, 1990).
18 On pourrait parler de tournant dans la définition classique de l’autobiographie. Philippe Le Jeune, L’Autobiographie en France, Paris, Armand Colin, 1971.
19 Anselm Strauss parle d’accident biographique, « Une Perspective en termes de monde social », dans La Trame de la négociation. Sociologie qualitative et interactionniste, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 276.
20 Anselm Strauss (idem, p. 101) donne l’exemple des élèves infirmières qui subissent l’épreuve de voir mourir un malade dans leurs bras : « Certaines pensent qu’il s’agit là d’un moment décisif de la construction de soi… ». Bien que le moment fatidique que je cherche à décrire ne soit pas identique à celui que présente Anselm Strauss, je ne pense pas détourner sa réflexion dans la mesure où « l’épreuve une fois surmontée, l’élève a acquis, du moins à ses propres yeux, un nouveau statut ; elle peut maintenant se considérer comme ayant plus de professionnalisme ».
21 Le déclic, dans les formes de devenir-bretonnnant contribue à construire l’idée que le processus peut conduire à un changement ou à une conversion, c’est-à-dire à une nouvelle construction de soi. Je me souviens avoir entendu un interlocuteur me dire ceci : « Avant, j’étais un connard d’éducateur ». D’un anonymat relatif, il est passé à une position stratégique et à une certaine notoriété dans le mouvement breton. Dans sa vie de militant, il y a eu plusieurs moments importants qui lui ont permis de devenir qui il est aujourd’hui.
22 Quatre présupposés sont développés par Alfred Schütz (Le Chercheur et le quotidien, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1987, p. 222-223). Le premier est que la vie sociale continue à être la même qu’elle a été jusque-là. Le deuxième est la possibilité de s’appuyer sur des connaissances transmises par les ascendants, les professeurs… Le troisième est qu’il est suffisant de connaître les types d’événements que nous pouvons rencontrer pour être capables de les gérer. Le quatrième présupposé est que ces schèmes d’interprétation sont acceptés et appliqués par nos semblables.
23 Alfred Schütz, Le Chercheur et le quotidien, ibidem, p. 132.
24 Luc Boltanski et Pascale Maldidier, La Vulgarisation scientifique et son public, Paris, Centre de sociologie européenne, 1977, p. 78-79. Les auteurs (cités par Jean-Claude Kaufmann) remarquent, après avoir analysé les biographies des lecteurs de « Science et vie » qu’à l’origine de l’échec scolaire et de l’entreprise autodidacte, on trouve un accident fortuit, dont ils produisent une liste non exhaustive.
25 « Après une enfance brestoise dans un milieu conformiste, j’avais entrepris en 1919, en arrivant à Versailles, ma ″révolution culturelle″. Le détonateur avait été un vieil ouvrage de Pitre-Chevalier, ″Bretagne et Vendée″, qui dormait dans la bibliothèque du collège. Les premiers chapitres, consacrés à l’histoire de la Bretagne jusqu’à la Révolution, m’avaient révélé mon identité jusque-là insoupçonnée. Aux vacances suivantes, je copiai des pages des ″Quarante leçons″ de Vallée et j’achetai un petit vocabulaire et deux courtes synthèses en breton. Avec ce bagage rudimentaire je commençai à m’initier à notre langue pendant les rares moments de loisir ». Collectif, Roparz Hemon, Lorient, Dalc’homp sonj, 1990, p. 167.
26 Pour décrire ce moment symbolique, les interlocuteurs ont utilisé différents termes comme l’appel (ar galv) : « ur seurt galv a zo da bep hini » ou le virus : « ma mère m’a raconté une anecdote sur un grand oncle que j’ai jamais connu. La première fois qu’il est allé à l’école, le pauvre parlait que… que breton, et on lui a posé la question : ″Comment tu t’appelles ?″ Et il a dit euh à la bretonne, quoi (avec un accent prononcé et en roulant le ″r″) ″Job de Locmarec″. Et là, tout l’monde avait ri dans la classe. Donc, c’est une anecdote qui m’a été rapportée par ma mère. Mais ça a dû les marquer les enfants, ces anecdotes-là, de… de… rires, moqueries. Et puis ça a pas dû aider les enfants à essayer d’attraper le virus, en fait. Et aucun des enfants n’est bretonnant ».
27 Ouest-France du 29 décembre 1997.
28 Ceci nous engage à considérer les « contacts », c’est-à-dire la sociabilité réelle, plus largement que ne le fait par exemple François Héran, en ne considérant que les échanges actuels en face-à-face (« La Sociabilité, une pratique culturelle », Économie et statistiques, 216, 1988).
29 Tout au long de son récit, Jérôme Tonnerre souligne que François Truffaut refusait l’idée de perdre son temps. Toute sa vie se voulait organisée de moments précis où l’incertitude et le désordre seraient aussi calculés, (Le Petit voisin, Paris, Calmann-Lévy, 1999, p. 86).
30 Anselm Strauss, La Trame de la négociation. Sociologie qualitative et interactionniste, Ibid. p. 153.
31 Le projet pouvant être par exemple pour un interlocuteur de montrer qu’il a toujours désiré apprendre la langue bretonne.
32 Avec Jakeza, j’avais conclu « un marché ». Elle avait accepté de me donner un entretien si elle pouvait avoir une copie de l’enregistrement et si elle pouvait lire par la suite de quelle manière j’utilisais son récit. Elle avait été surprise de ce qu’elle m’avait dit, elle avait l’impression de ne pas se reconnaître. Quand je l’ai revue, à peu près deux ans après avoir recueilli l’entretien, elle m’a dit cette phrase admirable : « si j’avais à raconter ma vie moi-même, je la raconterais autrement ».
33 Entretien publié dans le Monde du 26 juillet 1991.
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