Un coup d’épée dans l’eau ?
La création du consulat de Prusse à Trébizonde (1856-1864)
p. 167-182
Texte intégral
1La façade pontique de l’Anatolie connaît un important essor au cours du xixe siècle en raison de l’ouverture progressive de la mer Noire au commerce international : du traité de Küçük Kaynarca, en 1774 à la guerre de la guerre de Crimée (1853-1856), le monopole maritime ottoman est démantelé, les puissances européennes acquérant tout d’abord un droit de navigation sur les eaux pontiques puis un libre accès aux ports anatoliens1. Cette évolution géopolitique, doublée d’une évolution technologique (le passage d’une marine à voile à une marine à vapeur), transforment les voies du commerce international. En retour, les itinéraires caravaniers sont eux aussi modifiés : la voie maritime supplante la voie terrestre et les ports de la mer Noire connaissent de ce fait un regain d’intérêt. La façade pontique de l’Anatolie et le port de Trébizonde en particulier, deviennent ainsi une fenêtre pour le commerce international avec l’Iran et l’Asie centrale. Les grandes puissances de la première moitié du xixe siècle, Russie, Grande-Bretagne, France et Autriche, y ont implanté des consulats arguant des avantages de passer par Trébizonde pour rejoindre l’Orient ; la Russie ouvre ainsi, la première, son consulat en 1805, suivie par la Grande-Bretagne, la France et l’Autriche2.
2La fin de la guerre de Crimée marque l’apparition de nouveaux États dans la compétition économique et politique qui se joue en mer Noire, comme les États-Unis et la Prusse. Cette dernière, en échange de sa neutralité pendant le conflit, est invitée, après quelques tergiversations, à la table des négociations du Traité de Paris en 1856. Pour son représentant, Otto von Manteuffel, alors ministre des Affaires Étrangères, les enjeux sont importants. Six ans après le traité d’Olmütz, signé en novembre 1850, où il avait été contraint de concéder à l’Autriche la direction de la Confédération germanique (Deutsches Bund), une occasion nouvelle s’offrait à lui d’affirmer la puissance de la Prusse sur la scène internationale et de sinon réparer, du moins compenser la « reculade » d’Olmütz. Le choix d’envoyer une mission prussienne en Iran, en 1857, puis d’ouvrir une représentation consulaire à Trébizonde l’année suivante, s’inscrit donc dans ce contexte particulier de rivalités austro-prussiennes sur la scène européenne.
3Mais nommer le jeune diplomate Otto Blau (1828-1879), alors vice-chancelier de la représentation diplomatique de Prusse à Constantinople, consul à Trébizonde le 6 décembre 1858, soit dix jours avant la création de la Compagnie Universelle du Canal Maritime de Suez, et quelques mois avant le début des travaux, n’était-ce pas condamner cette initiative à n’être qu’un coup d’épée dans l’eau ?
4Pour étudier l’origine, la mise en œuvre et les conséquences de cette initiative prussienne à Trébizonde, notre article s’appuiera sur les archives du consul Blau conservées au Politisches Archiv de Berlin3 ainsi que sur des sources publiées à l’époque – notamment les travaux du géographe Carl Ritter qui s’appuyaient, pour certains, directement sur des manuscrits communiqués par Otto Blau4 –, et enfin sur des sources postérieures, en particulier les souvenirs d’un des fils du consul, Paul Blau, qui furent publiés à Leipzig en 19285.
Les promesses de Trébizonde
Un « faubourg de Constantinople »
5Le xixe siècle signe la fin de la mer Noire comme « Mare Nostrum » ottomane. Les ports de la façade pontique avaient acquis, depuis le début du siècle, un rôle de pivot dans les échanges commerciaux entre les puissances étrangères, l’Empire ottoman et l’Iran. L’axe courant de Trébizonde à Tabriz en passant par Erzincan connut notamment un spectaculaire essor à cette époque : cette très ancienne route caravanière avait été relativement délaissée depuis le xve siècle en raison du monopole progressivement institué par l’Empire ottoman sur la mer Noire6. Dès 1812, l’entrepreneur et diplomate britannique, Sir Gore Ouseley, encouragea l’East India Company à utiliser cette piste pour commercer avec l’Iran. La fin des privilèges douaniers, décidée par Nicolas Ier en 1832, qui octroyaient aux importations européennes transitant par le port russe de Sukhumi des avantages substantiels, renforça cette idée. Les diplomates James Brandt – consul britannique à Trébizonde en 1835 et à Erzurum en 1838 – et Henry Suter – vice-consul britannique à Trébizonde à partir de 1838 – intercédèrent ainsi auprès du Foreign Office pour que la Grande-Bretagne ouvrît une liaison maritime directe avec Trébizonde7.
6Dès le milieu des années 1840, Trébizonde fut reliée par vapeur à Constantinople via Sinope et les liaisons ottomanes, britanniques, autrichiennes, françaises et russes se multiplièrent après la guerre de Crimée : ainsi, trois fois par semaine, des vapeurs reliaient Constantinople, Ineboli, Sinope, Samsun, Kerasun et Trébizonde.
7Deux régions économiques se distinguaient à l’époque : à l’ouest de Sinope s’étendait une région riche en minerais. À l’est, de Samsun à Batum, les ressources naturelles de l’arrière-pays se doublaient de flux commerciaux venant d’Iran et d’Asie centrale. Le port de Trébizonde présentait l’avantage d’être, d’une part, relié à l’Iran par une route caravanière et, d’autre part, pour les puissances occidentales, d’être relativement éloigné de la frontière russe. L’essor économique de la façade pontique s’accompagna d’un essor démographique. Selon le rapport d’Otto Blau, publié à Berlin en 1858, la population de Sinope, évaluée à 500 âmes vers 1800 en comptait 6 000 en 1856 et celle de Trébizonde avait été multipliée par deux en cinquante ans.
Fig. 1. – Carte de localisation.

8Trois ans après la fin de la guerre de Crimée, le diplomate français, Eugène Poujade (1813-1885) pouvait ainsi affirmer que Trébizonde était devenu un « faubourg » de Constantinople :
« La navigation à vapeur a pris un très-grand essor à Constantinople et dans l’empire Ottoman en général. Les Français, les Anglais, les Autrichiens, les Russes, les Turcs eux-mêmes sillonnent la Méditerranée et la mer Noire. Candie est mise maintenant en rapport direct avec Constantinople, et les bateaux du Lloyd autrichien touchent à Prévésa dans le golfe d’Arta. Trébizonde, dans la mer Noire, est presque devenue un faubourg de Constantinople par les fréquents voyages que font les bateaux à vapeur anglais, autrichiens, russes et turcs ; aujourd’hui c’est à cause du commerce du transit avec la Perse une place très-importante de l’empire Ottoman8. »
9Pendant la guerre, le port de Trébizonde était resté en dehors de la zone de conflit ; suffisamment éloigné de la frontière russe, il avait permis l’acheminement de munitions pour les troupes alliées. La présence militaire sur le littoral nord de l’Anatolie avait engendré une forte demande en matières premières : la marine s’approvisionnait en bois dans les forêts pontiques et le bétail provenait de toute la péninsule à la fois pour le transport et l’alimentation des troupes. Cette situation et ces besoins incitèrent les États-majors britanniques, autrichiens, français et ottomans à développer ou renforcer les axes de communication avec l’arrière-pays et cet effort se poursuivit après la fin du conflit.
Une fenêtre sur l’Iran
10Comme le soulignait Eugène Poujade en 1859, Trébizonde avait su s’imposer dans la compétition pour capter les flux commerciaux avec l’Iran. La route Trébizonde-Tabriz était plus courte que celle passant par les ports russes et devint, de ce fait, et malgré des conditions de circulations contraignantes, une des voies majeures des échanges entre l’Iran et l’Europe au milieu du xixe siècle. Cet itinéraire avait été confirmé pendant la guerre de Crimée, puisqu’en dépit de l’embargo mis en place par la Russie, la Grande-Bretagne continua de commercer avec les provinces du Sud Caucase en utilisant cet axe, les marchandises étant redistribuées depuis Tabriz vers le Caucase9. Les pistes caravanières de Trébizonde à Erzincan souffraient pourtant d’un long enneigement hivernal et d’un relief très escarpé. Pour pallier ces contraintes, l’État-major ottoman et ses alliés espéraient disposer d’un réseau complet des pistes de la région dont la représentation était très lacunaire – voire inexistante – sur les cartes de l’époque, afin de décider d’un futur tracé pour la route à réaliser. Cela leur permettrait, pensaient-ils, de gagner un temps de transport précieux et de se protéger, dans le même temps, des ambitions russes. La macadamisation de l’axe Trébizonde-Erzurum devait faciliter, entre autres choses, le déplacement de l’artillerie ottomane en cas d’attaque étrangère10. À ce titre, des officiers français, britanniques et prussiens furent envoyés en mission en Anatolie orientale. Le roi Frédéric-Guillaume IV avait ainsi mis des officiers et des sous-officiers prussiens à la disposition de Constantinople afin d’améliorer les performances de l’artillerie ottomane et d’aider le Sultan Abdül-Aziz à renforcer son autorité sur les marges orientales de l’Empire. Deux d’entre eux, Wilhelm Strecker et Julius Bluhm travaillèrent en collaboration étroite avec le consul Blau durant son mandat à Trébizonde11.
11L’essor du commerce entre l’Europe et l’Iran justifiait l’investissement. Si la Grande-Bretagne avait établi des relations diplomatiques depuis le début du siècle avec la dynastie des Qajars, en ouvrant une ambassade à Téhéran dès 1805, l’implication des autres puissances européennes fut plus tardive : la France n’ouvrit ainsi sa première ambassade qu’en 1855 et l’Autriche ne signa avec l’Iran son premier traité « d’amitié, de commerce et de navigation » qu’en 1857, à Paris. Ce traité accordait à l’Autriche le droit d’établir des représentations diplomatiques à Téhéran et à Tabriz ainsi que dans le Golfe persique. En retour, les Iraniens étaient autorisés à ouvrir des représentations diplomatiques à Vienne, Venise et Trieste. Il est important de noter que Vienne avait tenté, en vain, d’inclure d’autres États de la Confédération germanique dans le traité12.
12Rétive à la tutelle autrichienne, la Prusse signa ainsi son propre traité commercial avec Téhéran en 1856-57 et envoya dans la foulée, en 1857, une mission d’observation en Iran. Otto Blau, vice-consul de Prusse à Constantinople, alors âgé de vingt-neuf ans, en prit la tête. Chargé d’étudier la « situation commerciale du pays », il rédigea un rapport publié l’année suivante à Berlin. Dans ce texte, Blau analysait – en suivant l’ordre habituel des comptes rendus savants de l’époque – la « situation géographique du pays, sa population, sa faune et sa flore, les productions du sol et les productions industrielles, les routes et les usages commerciaux, les importations et exportations, les monnaies, les mesures et les poids, les douanes, les impôts, la justice, les représentations consulaires » ainsi que « toutes les informations que peut souhaiter un homme d’affaires sur les perspectives offertes par la Perse13 ». Le caractère encyclopédique de son travail rattachait celui-ci à la tradition des voyages érudits, de type humboldtien, à la différence près que cette mission était entièrement commandée et prise en charge par l’État prussien.
13Le commerce des États allemands et de la Prusse en particulier, ayant pris un essor considérable dans la seconde moitié du xixe siècle, la recherche de nouveaux débouchés, en particulier pour l’industrie textile et métallurgique, ainsi que l’obtention de marchés de matières premières faisaient partie des objectifs premiers de la diplomatie berlinoise. Otto Blau estimait ainsi à 80 000 le nombre de colis de marchandises d’une valeur moyenne de 200 à 250 thalers prussiens, échangés avec la Perse dans le port de Trébizonde au cours de l’année 1856. Si Blau était convaincu de l’importance de l’axe caravanier courant de Trébizonde à Tabriz et militait de ce fait pour l’ouverture d’un consulat de Prusse à Trébizonde, à Berlin, les esprits étaient plus partagés. Il manquait à Trébizonde un port « moderne » où les plus gros navires auraient pu accoster. Le port de Trébizonde avait en effet été relativement déclassé par rapport aux ports voisins de la mer Noire, notamment Sinope, à l’ouest, et surtout les ports russes, à l’est. Il n’était pas d’une grande profondeur et manquait de mouillages et d’entrepôts pour accueillir les plus gros navires et stocker les marchandises. Plus à l’est, le port de Batum semblait aux yeux de Berlin avoir la meilleure situation de la rive sud de la mer Noire, car il était à la fois protégé des vents dominants et profonds, si bien que les plus gros navires à vapeur pouvaient accoster sans encombre. Mais ce dernier était plus exposé à d’éventuelles incursions russes. Ce dernier argument s’imposa et les tergiversations furent de courte durée. Dès le mois d’août 1858, le ministre des affaires étrangères de Berlin, Otto von Manteuffel, annonça la création d’un consulat de Prusse à Trébizonde.
Hisser le drapeau de la Prusse à Trébizonde
L’essor du réseau consulaire prussien
14Le 6 décembre 1858, Otto Blau fut officiellement nommé consul et il se mit en route pour Trébizonde en janvier 185914. L’ouverture du consulat de Prusse à Trébizonde participait d’une volonté générale de Berlin d’étendre et de transformer son réseau consulaire. Les années 1850-1860 furent, sous ces deux aspects, une période charnière. Concernant l’extension du réseau consulaire, tout d’abord, entre le Congrès de Vienne, en 1815, et la création de la Confédération d’Allemagne du Nord, en 1866, le nombre de représentations et de membres du personnel diplomatique augmenta considérablement ; en 1818, la Prusse disposait en tout de 73 consuls généraux, consuls, vice-consuls et agents consulaires, le nombre de personnes aux services de la diplomatie fut multiplié par six dans les années 1860, atteignant le chiffre de 475 agents. Rien qu’entre 1831 et 1834 le nombre de postes de consuls passa de 149 à 179. La politique d’extension des réseaux consulaires touchait à l’époque l’ensemble des États européens mais elle fut bien sûr plus spectaculaire dans les États engagés plus tardivement dans cette compétition. Ainsi, seules les représentations diplomatiques des villes de la Hanse connurent une augmentation plus encore spectaculaire que celle de la Prusse : Brême passa au cours de la période 1815-1866 de 15 à 214 représentations, Hambourg de 16 à 281 et Lübeck de 16 à 29815.
15Dans l’Empire ottoman, la Prusse disposait, depuis le règne de Frédéric II (1740-86), d’une représentation diplomatique permanente à Constantinople et, dans la première moitié du xixe siècle, d’un réseau consulaire principalement centré sur le littoral méditerranéen : des consulats en effet étaient implantés dans les villes d’Alep, Chypre, Alexandrie, Saïda, Beyrouth, Salonique, Santorin, Smyrne, Stanfio et Patmos16. Otto Blau s’intéressait à l’évolution et au devenir de ce réseau consulaire comme le prouvent les documents conservés au Politisches Archiv de Berlin, notamment un croquis, sans titre et sans date qui y est conservé (fig. 2a). Ce dernier couvre uniquement la partie orientale de l’Empire ottoman (Asie Mineure, Syrie et Kurdistan). Des drapeaux mentionnent la présence des consulats prussiens à Smyrne, Amasia et Trébizonde et des traits fins indiquaient la présence de routes qui les relient.
16Ce document est étonnant à plusieurs titres. Tout d’abord, il est rare de trouver une telle production cartographique dans les archives d’un diplomate. La méticulosité du tracé souligne l’importance accordée à ce travail par son auteur. Réaliser des esquisses de cartes était certes, à l’époque, un exercice d’érudition classique mais il ne s’agit pas ici de « localiser » les vestiges de l’Antiquité. Il ressort de ce travail une vision réticulaire du territoire particulièrement intéressante : les consulats étaient ainsi censés chapeauter des réseaux et des territoires maillés par des réseaux routiers. Cette conception « géographique » du territoire ottoman renforce l’hypothèse d’un rôle central joué par la géographie universitaire allemande dans la pénétration allemande en Orient. Otto Blau communiqua d’ailleurs la plupart de ses manuscrits au détenteur de la chaire de Géographie de l’université de Berlin, Carl Ritter, jusqu’à la mort de ce dernier, en 185917.
17Pour autant, la finalité de cette réalisation graphique n’a rien d’évident. S’il s’agissait, comme nous le pensons, pour Otto Blau de réfléchir à l’implantation et à l’extension du réseau consulaire de la Prusse en Orient, il est étonnant, dans le contexte de l’époque, que l’Anatolie orientale ait été représenté comme « déconnectée » du reste du territoire ottoman et au-delà, des pays voisins : il est en particulier tout à fait surprenant qu’Otto Blau n’ait pas prolongé le trait courant de Trébizonde à Beyazit vers l’Iran puisque la mission dont il avait été chargé en 1857 visait justement à développer cet axe qu’il considérait comme vital pour le commerce allemand avec l’Iran et que, suite à cette première mission, la Prusse ouvrit une représentation diplomatique à Téhéran en 186018 (fig. 2b).
Fig. 2a. – Esquisse du réseau consulaire prussien réalisée par Otto Blau.

Source : Nachlass Blau, Politisches Archiv, Berlin (date inconnue).
Fig. 2b. – Le réseau consulaire prussien en Anatolie orientale vu par Otto Blau.

Source : Nachlass Blau, Politisches Archiv, Berlin (date inconnue).
18Jusqu’à l’arrivée d’Otto Blau à Trébizonde, la Prusse était représentée dans cette ville par l’intermédiaire du Consulat impérial d’Autriche. Si la situation de « partage » des représentations diplomatiques était classique jusqu’au milieu du xixe siècle – le consulat autrichien de Trébizonde ayant lui-même été longtemps confondu avec la représentation diplomatique russe –, elle tendit à disparaître après la guerre de Crimée. La fonction consulaire se transformait et le modèle britannique et français de consuls « professionnels » (consules missi) s’imposa progressivement ; jusqu’au milieu du siècle, une grande partie des consuls étaient originaires de l’État par lequel ils étaient accrédités. Il s’agissait le plus souvent, dans le cas de l’Empire ottoman, de notables levantins qui exerçaient leur activité à titre honoraire (consules electi). Sous l’influence des partisans de la Nationalökonomie, Berlin fut encouragé à engager des Allemands formés aux langues orientales dans ses services diplomatiques plutôt que des Levantins qui, souvent, ne maîtrisaient pas l’allemand19. Ces nouveaux consuls étaient en effet considérés comme plus fidèles et plus impliqués dans la défense des intérêts économiques de leur patrie.
19La nomination d’Otto Blau à Trébizonde reflétait cette tendance. Formé aux langues orientales à l’université de Halle de 1848 à 1850 puis de Leipzig de 1851 à 1852, Otto Blau maîtrisait, entre autres, la langue ottomane. Il avait suivi le séminaire du linguiste allemand Emil Rödinger (1801-1874) qui participa à la fondation de la Société orientaliste allemande (Deutsche Morgenländische Gesellschaft) et qui s’intéressait plus particulièrement aux langues kurdes. Les compétences linguistiques d’Otto Blau furent largement sollicitées à Trébizonde : en raison des modestes moyens alloués par Berlin au nouveau consulat, Blau ne disposait pas d’interprète consulaire (drogman). Son secrétaire personnel, qui ne maîtrisait pas l’ottoman, ne lui était que d’une aide limitée dans les diverses tâches administratives qu’il devait accomplir. Blau semblait souffrir d’un certain manque de reconnaissance de la part du ministère des Affaires Étrangères de Berlin comme l’indique en filigrane ce propos que lui adressa à l’époque son collègue et ami, le diplomate Heinrich Louis von Wildenbruch (1803-1874), qui se voulait rassurant sur l’évolution de sa carrière : « Je vous garantis que la reconnaissance de votre valeur, en l’absence complète de forces solides utilisables pour l’Orient [bei dem Mangel aller gediegenen, für den Orient verwendbaren Kräfte], ne peut pas ne pas advenir20. »
20Le drapeau prussien (fig. 3), fut hissé pour la première fois le 21 mai 1859 en présence de la famille Blau, du personnel du consulat et d’invités étrangers. Un feu d’artifice fut tiré le soir. Le bâtiment loué à la Russie pour servir de consulat à la Prusse – la maison dite « de Ghersi », du nom du chevalier de Ghersi, consul de Russie et d’Autriche à Trébizonde dans les années 1820 –, se trouvait à proximité de l’église grecque orthodoxe de Trébizonde, face à la mer Noire. La ville regroupait à cette époque les consulats belge, anglais, français, grec, autrichien, sarde, russe et persan, ainsi que des vice-consulats napolitain, danois, suédois, norvégien et hanséatique.
Fig. 3. – Le consulat de Prusse à Trébizonde en 1862 (auteur inconnu).

Source : Blau P., Erinnerungen an Dr Otto Blau, Leipzig, Sächsische Verlagsgesellschaft, 1928, p. 67.
Avoir foi dans la mission de la Prusse en Anatolie
21Les élites politiques berlinoises étaient conscientes des enjeux de la pénétration économique en Orient : plusieurs écrits, émanant d’hommes d’affaires, de diplomates et d’universitaires, publiés depuis les années 1840, incitaient la Prusse à s’engager dans la compétition européenne visant à capter les ressources ottomanes et à trouver, à l’est de la Méditerranée, de nouveaux débouchés : des publications de géographie économique désignaient ainsi l’Anatolie comme un champ d’activité idéal pour les entrepreneurs allemands. Si l’on connaît le rôle de Berlin dans ces initiatives, le rôle de Leipzig est en revanche plus méconnu. Or, le parcours d’Otto Blau est particulièrement révélateur de l’influence intellectuelle que la Saxe exerça sur ce mouvement de pénétration économique de l’Empire ottoman.
22À Leipzig, pôle éditorial majeur de langue allemande et grande foire européenne très impliquée dans le commerce avec l’Orient21, Otto Blau avait baigné dans une atmosphère intellectuelle particulièrement favorable à l’implication politique et économique des États allemands en Orient. Il avait assurément lu l’ouvrage du géographe Johann Eduard Wappäus, publié dans cette ville, en 1846, sous le titre : « L’émigration allemande et la colonisation22 ». Wappäus, élève du géographe berlinois, Carl Ritter, incitait les États allemands à s’impliquer politiquement en Orient en soutenant l’implantation de colonies23 allemandes : les pages 43-47 de l’ouvrage mentionnaient notamment les possibilités d’implanter des colonies en Asie mineure et sur la côte pontique en particulier.
23Selon les estimations d’Otto Blau, on comptait, en 1857, deux cents étrangers à Trébizonde, chiffre qui incluait les agents consulaires, les commerçants, les médecins, les artisans et leurs familles ainsi que les hommes d’Église (huit Capucins, un missionnaire américain et quelques sœurs). La population étrangère se répartissait ainsi : une quarantaine de Russes, de Français et de Grecs, vingt Anglais, vingt Autrichiens, cinq Prussiens, cinq Napolitains, vingt-cinq étrangers de diverses autres nationalités24. La présence allemande à Trébizonde était bien inférieure à celle des communautés implantées dans les régions de Smyrne ou dans les Balkans25 et ne justifiait pas, loin s’en faut, l’ouverture d’un consulat. Mais l’émigration massive qui touchait depuis le milieu des années 1840 les États allemands entraînait une réaction à l’encontre ce qui était vécu comme une perte des « forces vives » de la Nation, justifiant de ce fait des projets de colonisation.
24Lors de son séjour en Saxe, l’étudiant Blau n’avait ainsi pas pu ignorer les publications de Ludwig Ross, professeur d’archéologie classique à l’université de Halle, qui publia, en 1850 un ouvrage intitulé : « L’Asie mineure et l’Allemagne, lettres de voyage et essais relatifs à la possibilité d’implantations allemandes en Asie mineure26. » Ce texte extrêmement belliciste et virulent incitait à une conquête militaire de l’Asie mineure par une « Allemagne » unifiée et émancipée de l’Autriche. Seule une « guerre » de nature coloniale pouvait permettre, selon lui, d’« apporter à la Nation allemande une position convenable et de lui préparer un grand avenir27 ».
25Si Otto Blau ne manifestait en aucun cas une adhésion à une thèse aussi radicale, il était en revanche clairement animé du souci de donner au Zollverein une « position convenable » en Orient. Ainsi, dans son rapport de 1857, il ne s’adressait pas seulement à la Prusse, mais à l’ensemble des États de l’union douanière : le marché oriental, en plein essor, ne se limitait pas, selon lui, à l’industrie textile largement dominée, à l’époque par la Grande-Bretagne, mais il offrait aussi des débouchés à la « bijouterie » et « l’horlogerie » des villes de « Pforzheim, Hanau, et Berlin », trois villes membres, à l’époque, du Zollverein. Il s’inscrivait ainsi dans le courant de la Nationalökonomie qui encourageait la protection d’un marché intérieur « allemand » et de ses exportations.
L’expérience orientale
26Dans son célèbre ouvrage, L’Orientalisme, Edward Said considérait que l’Orient allemand ne fut pas aussi « réel » qu’il ne le fut pour la France et l’Angleterre avant le dernier tiers du xixe siècle28. L’Orient était, selon lui, pour les États allemands29 l’objet de « rêves » et de « fantasmes » mais ces derniers ne s’appuyaient pas sur une « expérience concrète » de l’Orient. Il est vrai que la Prusse, rompue à l’étude de l’antiquité et de la philologie classiques, avait jusque tardivement ignoré un orientalisme « profane » ; l’Altorientalistik, tournée vers l’exégèse des textes classiques, était encore prédominante dans la formation des savants allemands au milieu du siècle30. Mais la génération d’Otto Blau encouragea la Prusse à se forger une image « contemporaine » de l’Empire ottoman et des pays voisins. Selon lui, les États allemands devaient tout d’abord devenir familier des usages et des mœurs populations étrangères, s’ils voulaient commercer avec elles.
Connaître les goûts, les mœurs et les usages des populations
27Les industries allemandes devaient, selon Blau, prendre en compte les attentes des populations locales pour écouler leurs productions. Le rapport sur la situation commerciale de la Perse, rédigé en 1857, avait mis en lumière une double nécessité : adapter, d’une part, les productions allemandes au marché oriental et distinguer, d’autre part, le marché turc du marché persan. Pour conquérir de nouveaux marchés en Perse et dans l’Empire ottoman, Blau recommandait aux hommes d’affaires prussiens de connaître, au préalable, les réalités des régions concernées. Blau appelait ainsi à être attentif à la spécificité du marché persan qui ne pouvait être assimilé au marché ottoman. En matière de costumes, notamment, les attentes étaient différentes : « La plupart de ce qui est exclusivement consacré au goût des turcs, comme le yaşmak31 et le ferace32 (le costume des femmes de Constantinople jusqu’à Sinope) ne trouve là-bas [en Perse] aucun débouché. Puisque d’après les études menées en ces contrées, le Persan revêt des couleurs vives et d’apparence brillante33. » Une attention particulière devait ainsi être apportée aux couleurs et aux matières des tissus proposés : « Les fabriques de Prusse, de Saxe, de Bohème et de Moravie [doivent] s’adapter au goût, aux coutumes et normes de l’Orient. On y dit que les biens en laine, surtout les draps et les toiles épaisses sont particulièrement appréciées en brun, vert, et plus rarement en noir. Les fabriques de Görlitz (Firme Gevers), Guben, Cottbus livrent des draps larges (format 9/4) pour la Perse. La demande concernant des draps très fins est croissante, ce qui devrait être une incitation pour les fabriques des pays du Rhin. Les échantillons de draps silésiens ont particulièrement plu à Trébizonde au cours de l’année 1856 et sont davantage dignes d’un prix que les draps belges et autrichiens. Leipzig a cette même année envoyé de la foire 150 ballots vers Trébizonde. Pour Trébizonde, les couleurs préférées sont le vert foncé, l’olive foncé, le bleu très foncé, le violet foncé, le marron-rouge clair et foncé ; pour la Perse en revanche, [il faut préférer] des couleurs claires comme le gris, le gris-doré, le gris-bleu, le chamois, l’orange, le rose, etc.34. »
28Observateur attentif des contrées traversées, Otto Blau soulignait le caractère évolutif des goûts et des mœurs et donc des marchés turc et ottoman : « Tandis que jusqu’alors les Anglais dominaient exclusivement le marché de la Perse35 et avaient là-bas leurs voyageurs, les Suisses et les Allemands sont entrés en concurrence avec cette puissance. Les fabricants suisses sont particulièrement habiles dans la rencontre avec le goût turc et dans la création de nouveaux modèles36. » Il soulignait plus encore un mécanisme de transferts de goûts et de procédés : « Les dépôts spécifiques de la foire de Leipzig composés d’étoffes multicolores, de modèles à grosses fleurs, imprimés en rouge et prévu pour le goût persan, trouvèrent de tout temps un débouché très copieux : mais récemment, les négociants persans se sont inspirés du goût européen37. » À ce titre, Trébizonde remplissait une fonction d’espace interstitiel favorisant la porosité des goûts vestimentaires entre l’Europe et l’Empire ottoman, confirmant le rôle joué par les villes portuaires en tant que lieux d’échanges et d’hybridité38.
Une implantation précaire
29Le 15 mars 1861, Otto Blau reçut un télégramme de Constantinople, l’informant qu’il avait été désigné pour faire partie de la commission de paix nouvellement créée en Bosnie. Son retour à Trébizonde étant incertain, il fut décidé que femme et enfants rentreraient à Suhl, en Thuringe, où il les rejoindrait à la fin de sa mission balkanique. Il passa ainsi l’hiver 1861-1862 en Allemagne avant d’être finalement rappelé à Trébizonde où il repartit seul, en avril 1862. Le choix de ne pas repartir en famille montrait son incertitude quant à la durée de sa mission. Il souhaitait éviter à sa femme et à ses enfants la pénibilité des trajets mais aussi du séjour sur place. À son arrivée à Trébizonde, il dut se mettre en quête d’un nouveau bâtiment consulaire, car les moyens dont il disposait n’avaient pas permis de régler les arriérés de loyer dû au propriétaire de la maison Ghersi39. S’il trouva finalement en l’ancienne école arménienne, de culte protestant40, située sur la route d’Erzurum, un bâtiment à louer, il s’empressa de remettre le drapeau sur la côte pour qu’il soit bien visible des navires entrant dans le port.
30Otto Blau mit son second mandat au service d’une importante collecte de données topographiques, philologiques et archéologiques. Aidé de l’officier prussien Wilhelm Strecker, il fit plusieurs voyages dans l’arrière-pays pour reconnaître les pistes les plus fiables et les cartographier41. Il ne se considérait pas en mission « dans une ville » mais voyait en Trébizonde la tête de pont d’un réseau est-anatolien, iranien, arménien et caucasien : « Je travaille ici avant tout », écrivait-il, « sur tout ce qui concerne l’horizon de Trébizonde, lequel comprend la côte de la mer Noire jusqu’au Bosphore, le Caucase, l’Arménie : statistiques, situations politique et religieuse, questions commerciales, construction de routes, événements quotidiens, etc.42 ».
31Ses recherches l’amenèrent ainsi à s’intéresser aux sources administratives ottomanes qui étaient, selon lui, largement ignorées des savants allemands : il critiqua en particulier la mauvaise image dont souffrait l’administration turque et vanta les richesses, en particulier toponymiques, qu’elle recelait43. Blau encouragea les orientalistes allemands à s’intéresser aux registres locaux élaborés pour les impôts et pour la conscription, en langue ottomane, ou, en Anatolie orientale, en arménien. Il accomplissait avec beaucoup de zèle sa mission de veille et d’expertise, voire, plus largement de renseignement44. Son jugement manqua cependant d’anticipation quant au projet d’ouverture d’un canal, par la France, en Égypte : si le percement du canal de Suez ne commença qu’en avril 185945, le projet était déjà en gestation lorsque Blau se rendit en Perse, en 1857. Même si la réussite de ce projet pouvait, dans les années 1850, paraître incertaine, le commerce avec l’Iran était amené, à terme, à s’orienter plus au sud. Ainsi, en dépit des nouveaux accords commerciaux de 1861-1862, qui permettaient de libéraliser encore davantage le commerce entre l’Empire ottoman, les États européens et les États-Unis, le volume des échanges n’atteignit plus jamais les niveaux antérieurs à la guerre de Crimée. La recomposition prévue des voies du commerce international pouvait laissait craindre que l’investissement prussien à Trébizonde ait été trop tardif pour être durable et n’ait été finalement qu’un « coup d’épée dans l’eau ». Mais bien que fragile, l’expérience de Trébizonde ne fut pour autant pas stérile : elle permit à la Prusse d’affirmer, sur les terres ottomanes, une identité nationale affranchie de la tutelle autrichienne, et contribua par ailleurs à affiner la connaissance qu’elle avait de l’Orient. En multipliant de telles entreprises lui permettant d’accumuler un savoir de première main sur l’Orient, la Prusse renforça progressivement son influence dans l’Empire ottoman.
Conclusion
32Si le fait de s’approprier l’espace par la production de savoirs géographiques est une constante de la dynamique impérialiste46, les catégories d’individus considérés comme producteurs de ce savoir – « explorateurs et voyageurs, militaires, ingénieurs et cartographes, médecins, missionnaires47 » – incluent rarement, à tort, les diplomates. L’expérience consulaire de la Prusse à Trébizonde fut largement liée à l’action d’un homme, convaincu de l’importance du marché qui s’ouvrait pour la Prusse, en Orient, après la guerre de Crimée. Son appréciation de l’action consulaire fut, à l’époque, influencée par un modèle britannique tant dans l’élaboration d’un « maillage » consulaire que dans la conception de son rôle de consul. Il contribua à ce titre à l’essor de l’influence allemande en Orient et à l’évolution du corps diplomatique prussien. Ses investigations relatives aux échanges commerciaux de la région, ainsi que ses recherches concernant l’état des communications dans l’arrière-pays permirent à la Prusse de se forger une image « contemporaine » du nord de l’Anatolie tout en précisant celle qui était jusqu’alors véhiculée par les récits des voyageurs européens consacrés principalement aux vestiges des royaumes antiques. Au début de la guerre des Duchés, en 1864, Otto Blau fut nommé consul général en Herzégovine et au Monténégro, poste qu’il occupa jusqu’en 1872. Les promesses de Trébizonde furent alors reléguées au second plan, l’ouverture du canal de Suez, en 1867 et du port iranien de Khorramshahr en 1869, fit perdre de son attrait à la ville, de nouveau déclassée, à la fin du xixe siècle, par des projets de chemins de fer qui s’en écartaient.
Notes de bas de page
1La liberté de navigation dans les eaux de la mer Noire est accordée en 1774 à la Russie, en 1784 à l’Autriche, en 1799 à l’Angleterre et en 1802 à la France. En 1829, l’accord d’Edirne libéralise la navigation et le commerce empruntant les détroits des Dardanelles et du Bosphore. Le traité de Paris de 1856 ouvre l’accès aux ports de la mer Noire. Cf. Mantran Robert (dir.), Histoire de l’Empire ottoman, Paris, Fayard, 1989.
2Keyder Çağlar, Özveren Yaşar Eyüp et Quartaert Donald, Doğu Akdeniz’de Liman Kentleri, Istanbul, Tarih Vakfı, 1994. Cf. aussi Dumper Michael R. T., Stanley Bruce E. et Abu-Lughod Janet L., Cities of the Middle East and North Africa: a historical encyclopedia, Santa Barbara (Ca), ABC-Clio, 2006, p. 360-366.
3« Nachlass Blau, Otto », Berlin, Politisches Archiv.
4Ritter Carl, « Klein-Asien », Die Erdkunde im Verhältniss zur Natur und zur Geschichte des Menschen : oder allgemeine vergleichende Geographie als sichere Grundlage des Studiums und Unterrichts in physikalischen und historischen Wissenschaften, vol. XVIII, Berlin, G. Reimer, 1858.
5Blau Paul, Leben und Wirken eines Auslanddeutschen im vorigen Jahrhundert. Erinnerungen an Dr Otto Blau, Leipzig, Sächsische Verlagsgesellschaft, 1928. Cet article fait suite à une thèse de doctorat, soutenue à l’université Paris 1-Panthéon-Sorbonne le 25 novembre 2011 : Débarre S., Du Méandre à l’Euphrate. L’Anatolie au prisme des savoirs géographiques allemands, thèse de doctorat sous la direction de J.-L. Tissier, université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, 2011 ; Débarre S., Cartographier l’Asie Mineure : l’orientalisme allemand à l’épreuve du terrain, 1835-1895, Paris, Peeters, 2016. Toutes les traductions de l’allemand au français sont les nôtres.
6Issawi Charles, « The Tabriz-Trabzon Trade, 1830-1900: Rise and Decline of a Route », International Journal of Middle East Studies, vol. I, no 1, 1970, p. 18-27. Les commerçants iraniens accompagnaient jusqu’au début du xxe siècle leurs caravanes jusqu’à Smyrne ou Constantinople en passant par Erzurum. Les caravanes venues d’Iran par Doğubayazıt ou d’Arménie par Anit, se réunissaient traditionnellement à Erzurum avant de poursuivre leur chemin vers Konya et Istanbul jusqu’au xve siècle, puis vers Tokat, Bolu et Bursa par la suite. Cf. Pulat Otkan, « Origines de la soie en Turquie », in Françoise Clavairolle F. et Marc-Henri Piault (dir.), Les itinéraires européens de la soie, actes du deuxième colloque européen de Nîmes 25-26-27 octobre 1989, Paris, L’Harmattan, p. 78-83 et Alkan Necmettin, « Avrupalı Seyyahların Tasvirlerinde Gümüshane ve Çevresi », History Studies: International Journal of History, vol. II, no 1, 2010, p. 82-97.
7Keyder Çağlar, Özveren Yaşar Eyüp et Quartaert Donald, loc. cit.
8Poujade Eugène., Dictionnaire universel théorique et pratique du commerce et de la navigation, Paris, Librairie de Guillaumin et Cie, vol. I., 1859, p. 818.
9Keyder Çağlar, Özveren Yaşar Eyüp et Quartaert Donald, loc. cit.
10Kasaba Reşat, « L’Empire ottoman, ses nomades et ses frontières aux xviiie et xixe siècles », Critique internationale, vol. XII, no 3, 2001, p. 111-127.
11Concernant les militaires prussiens détachés dans l’ensemble de l’Empire ottoman, les chiffres varient énormément selon les sources, allant d’une quinzaine d’officiers et d’un nombre équivalent de sous-officiers envoyés entre la guerre de Crimée et 1876 (Alexandre Pierre et Grimm-Hamen Sylvie [dir.], L’Orient dans la culture allemande aux xviiie et xixe siècles, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2007) à une quarantaine de sous-officiers prussiens envoyés pour la seule année 1853 (Le Temps, Paris, 23 juillet 1880).
12Les relations diplomatiques entre l’Autriche et l’Iran s’étaient développées de manière plus ou moins informelles au début des années 1850, autour notamment de la personnalité atypique de Jakob Eduard Polak (1818-1891), médecin viennois qui s’installa à Téhéran en 1851. Une première tentative d’officialisation des relations diplomatique eut lieu en 1855, mais échoua, côté autrichien, au motif que le traité ne contenait pas la clause de la nation la plus favorisée. Cf. Werner Christoph, « Polak Jakob Eduard » et Slaby Helmut, « Austria », Encyclopædia Iranica, [http://www.iranicaonline.org].
13Blau Otto, « Kommerzielle Zustände Persiens, aus den Erfahrungen einer Reise im Sommer 1857 dargestellt », (Situation commerciale de la Perse, d’après les connaissances tirées d’un voyage effectué au cours de l’été 1857), Preußisches Handelsarchiv, eine Wochenschrift für Handel, Gewerbe und Verkehrsanstalten, nach amtlichen Quellen, no 29, 1858.
14Otto von Manteuffel et son cabinet ayant été congédiés en novembre 1858, au début de la Régence de Guillaume Ier – Frédéric-Guillaume IV ayant été déclaré inapte à gouverner –, la nomination d’Otto Blau en décembre 1858 prouve que le futur roi cautionnait l’initiative du ministre des Affaires étrangères de son prédécesseur.
15Grypa Dietmar, Der Diplomatische Dienst des Königreichs Preußen (1815-1866). Institutioneller Aufbau und soziale Zusammensetzung, Leipzig, Duncker & Humblot, 2008.
16Anonyme, « Verzeichnis der im Auslande angestellten Königl. Preußischen Consuln », Regierungs-Blatt für das Königsreich Bayern, no 27, Munich, 24 mai 1834.
17Cf. Débarre Ségolène 2011, op. cit.
18Freiherr von Minutoli, qui fut nommé représentant de Prusse à Téhéran, passa par Trébizonde en mars 1860 accompagné de son drogman, le futur égyptologue Brugsch. Minutoli décéda peu de temps après son arrivée en Iran des suites de fièvres contractées dans le sud du pays.
19Issus pour la plupart de grandes familles levantines, peu d’entre eux parlaient l’allemand et ils n’avaient pas de raison de se dévouer plus que nécessaire aux intérêts d’une patrie qui n’était pas la leur. Certains d’entre eux étaient engagés par deux (ou plusieurs) États en même temps. C’était le cas par exemple de Jasper Chasseaud, en poste depuis 1841 à Jérusalem, qui était à la fois consul de Prusse et des États-Unis. Les représentants de la Prusse à Constantinople, en particulier le comte de Koenigsmark, cherchèrent à faire évoluer cette situation en demandant à Berlin d’envoyer des Allemands formés aux langues orientales aux postes les plus importants de l’Orient. En 1842, les premiers représentants diplomatiques répondant à ces critères furent nommés : il s’agissait du baron Anton Albert Heinrich Louis von Wildenbruch (1803-1874), consul général de Syrie et de Palestine à Beyrouth et du jeune orientaliste Ernst Gustav Schultz (1811-1851) nommé vice-consul à Jérusalem. Le ministère des Affaires étrangères à Berlin chercha par la suite à faire respecter ces exigences. Cf. Gören Haim, Zieht hin und erforscht das Land. Die deutsche Palästinaforschung im 19. Jahrhundert, Göttingen, Wallstein, 2003, p. 179. Jusqu’à la fin du siècle, cependant, une grande partie des consuls reste des consuls « choisis » (consules electi) et seulement une infime partie sont des consuls « professionnels » (consules missi). Cf. Grypa Dietmar, op. cit.
20Heinrich Louis von Wildenbruch cité par Blau Paul, Erinnerungen an Dr Otto Blau, Leipzig, Sächsische Verlagsgesellschaft, 1928, p. 70.
21Les commerçants arméniens, établis à Leipzig contrôlaient notamment les échanges entre Leipzig et Odessa puis les ports du Caucase ou de l’Anatolie. Cf. Kasaba Reşat, Keyder Çağlar et Tabak Faruk, « Eastern Mediterranean Port Cities and Their Bourgeoisies: Merchants, Political Projects, and Nation-States », Review - Fernand Braudel Center, vol. X, No. 1, Anniversary Issue, 1986, p. 121-135.
22Wappäus Johann Eduard (dir.), Deutsche Auswanderung und Colonisation, Leipzig, Verlag der J. G. Hinrichs’schen Buchhandlung, 1846.
23Le terme de « colonies », utilisé par Wappäus, est ici la traduction de « Siedlungen » (« implantations »), c’est-à-dire de communautés plus ou moins autarciques achetant la terre et le droit de la mettre en valeur.
24Blau Otto in Ritter Carl, op. cit., 1858, p. 964.
25Fuhrmann Malte, Der Traum vom deutschen Orient. Zwei deutsche Kolonien im Osmanischen Reich 1851-1918, Francfort-sur-le-Main, Campus, 2006.
26Ross Ludwig, Kleinasien und Deutschland. Reisebriefe und Aufsätze mit Bezugnahme auf die Möglichkeit Deutscher Niederlassungen in Kleinasien, Halle, Pfeffer, 1850.
27Ross Ludwig, op. cit., p. xx-xxi.
28Said Edward, Orientalism, New York, Vintage books, rééd. 2003 (1978), p. 19.
29Said emploie le terme « Allemagne », pour désigner également la période antérieure à 1870.
30Rabault-Feuerhahn Pascale, L’Archive des origines. Sanskrit, philologie, anthropologie dans l’Allemagne du xixe siècle, Paris, Le Cerf, 2008.
31Yaşmak : voile blanc composé de deux pièces de mousseline blanche dont les femmes turques se couvraient la tête et le visage.
32Ferace : manteau long de couleur foncée ; l’« ulema feracesi » est porté à l’extérieur pour certaines cérémonies par les ulémas ; le « kadın feracesi » est un manteau féminin fait de tissu léger pour un usage extérieur. Cf. Scarce Jennifer, « Principles of Ottoman Turkish Costume », Costume, no 28, 1988, p. 24.
33Blau Otto in Ritter Carl, loc. cit.
34Ibid.
35Selon Keyder Çağlar, Özveren Yaşar Eyüp et Quartaert Donald, op. cit., 70 à 80 % des produits à destination de l’Iran provenaient de l’Angleterre : il s’agissait essentiellement de produits textiles et de sucre.
36Blau Otto in Ritter Carl, loc. cit.
37Ibid.
38Inal Onur, « Women’s fashions in transition: Ottoman Borderlands and the Anglo-Ottoman Exchange of Costumes », Journal of World History, vol. XXII, no 2, University of Hawaii Press, 2011, p. 243-272.
39Son fils, Paul Blau, témoigne d’un manque de moyens récurrent, en dépit des courriers adressés à Berlin, en particulier au cours des années 1863-64.
40Otto Blau assurait lui-même le service religieux dans le consulat depuis 1858. Un pasteur allemand fut dépêché depuis Constantinople à l’occasion de la mort du roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV, en 1860. Blau Paul, op. cit., p. 69.
41Blau, Strecker et Bluhm transmirent leurs données au grand cartographe berlinois de l’époque, Heinrich Kiepert, qui les publia sous forme de cartes et de compte rendu dans la Zeitschrift der Gesellschaft für Erkunde et la Zeitschrift für allgemeine Erdkunde. Débarre Ségolène 2011, op. cit.
42Blau Paul, op. cit., p. 67.
43Blau Otto, « Ueber Rechtschreibung und Deutung türkischer Ortsnamen », Petermann’s Mittheilungen, 1862.
44Il rencontra ainsi Ambery Valery (ou Hermann/Armin Vambery, 1832-1913), qui voyageait en Perse sous le pseudonyme de Rechid Effendi, se déguisant en derviche pour parcourir l’Anatolie et rapporter des informations au bénéfice des Britanniques. Blau Paul, op. cit., p. 74-75.
45Les premiers coups de pioche furent donnés sur la rive du futur Port-Saïd le 25 avril 1859.
46Said Edward, Culture and imperialism, New York, Vintage Books, 1994.
47Blais Hélène, Deprest Florence et Singaravélou Pierre (dir.), Territoires impériaux. Une histoire spatiale du fait colonial, Paris, Publications de la Sorbonne, 2011.
Auteur
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne ; CETOBAC ; Institut français d’études anatoliennes.
Ségolène Débarre est maître de conférences. Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Géographie-Cités (UMR 8504). Chercheuse associé au CETOBAC (UMR 8032) et à l’Institut français d’études anatoliennes (IFÉA) (USR 3131), Istanbul (Turquie). [Segolene.Debarre@univ-paris1.fr].

Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008