Chapitre IV. Les politiques scientifiques de la FIFDU : financements et bourses
p. 121-156
Texte intégral
« Le second et le plus grand besoin des femmes universitaires et professionnelles du monde en ce moment est qu’elles – ou du moins un grand nombre d’entre elles – parviennent à réaliser des travaux de qualité absolument excellente, de distinction ; des travaux pour lesquels aucune excuse ou explication n’est nécessaire, des travaux dont le monde puisse dire – non pas : “Que c’est excellent pour une femme”, mais tout simplement : “Que c’est excellent !”. »
Virginia Gildersleeve, 19261.
1Alors que les university women sont rassemblées à Amsterdam, à l’occasion du quatrième congrès international de la FIFDU en 1926, pour débattre des problèmes pratiques concernant les femmes diplômées des universités, Virginia Gildersleeve souligne le besoin pressant de prouver la légitimité des femmes en science. Remarquant que souvent les femmes voient leurs qualités scientifiques réduites à leur sexe, l’Américaine, alors présidente de la FIFDU, préconise de produire « tellement d’ouvrages savants d’une qualité supérieure que personne ne puisse envisager plus longtemps de débattre de la question de savoir si les femmes sont capables d’occuper des postes de professeurs d’université. Et ainsi dans les autres domaines2 ». L’une des principales stratégies déployées par les dirigeantes de la FIFDU pour promouvoir les femmes en science et dans le monde universitaire est la mise en place d’un programme de bourses exclusivement pensé par et pour ces femmes3. Inauguré en 1924 lors du troisième congrès, à Oslo, ce programme constitue, aux yeux des dirigeantes, le travail le plus « urgent et vital4 » que l’organisation doit mener à bien. Si certaines des branches affiliées à la FIFDU offrent, de manière régulière ou ponctuelle, des bourses à caractère national, c’est-à-dire destinées à attirer les chercheuses étrangères dans leur pays, ce chapitre se concentre sur les bourses internationales, ouvertes à toutes et ayant pour condition principale d’étudier dans un pays étranger.
2L’importance accordée à la mise en place de ce programme de bourse constitue une réponse aux déséquilibres genrés en science, notamment en matière d’accès aux ressources financières et scientifiques. En effet, au cours de la première moitié du xxe siècle, le développement de programmes de bourses internationaux financés par des organisations philanthropiques non gouvernementales reconfigure le monde scientifique et universitaire, contribuant à accélérer l’internationalisation de la science et à favoriser la mobilité des chercheurs et la circulation des connaissances : mais trop peu de femmes en bénéficient. Étudiant les programmes de bourses et de prix exclusivement féminins qui voient le jour aux États-Unis dans les années 1920 et 1930, Margaret Rossiter nuance leur influence pour la promotion des femmes, en soulignant qu’ils constituent au mieux un « palliatif léger » à la structure sexiste du monde scientifique et de la société américaine de l’époque5. L’approche privilégiée ici consiste cependant moins à évaluer la réussite du programme de bourses internationales de la FIFDU que son influence sur la définition même d’une identité scientifique féminine.
3Envisageant la question à l’aune du concept de persona, des historiens des sciences ont entrepris de mettre en avant l’importance des « pressions extérieures », tel le système de récompenses scientifiques, dans la promotion de certains types ou habitus scientifiques6. Le grantsmanship, terme anglais que l’on peut traduire par la capacité à obtenir des subventions scientifiques, devient ainsi dans la période de l’entre-deux-guerres l’une des caractéristiques déterminantes de la persona scientifique moderne, fonctionnant comme une preuve de qualité, de légitimité et d’autorité scientifiques7. Dans quelle mesure, dès lors, les organismes de financement de la recherche telle la FIFDU contribuent-ils à définir, à travers l’établissement de critères de sélection, un idéal-type du scientifique ? Quelles normes (implicites ou explicites) sont instituées par les procédures d’évaluation et de sélection menées par les comités d’attribution des bourses ? Alors que le programme financé par la FIFDU est exclusivement réservé aux femmes, de quelle manière les membres du comité d’attribution abordent-elles les questions de sexe et de genre ? Dans quelle mesure, enfin, la minimisation consciente de la catégorie de genre par les évaluatrices de la FIFDU a-t-elle pu constituer une stratégie pour légitimer la crédibilité, l’autorité et la place des femmes dans les sciences ?
4En se concentrant sur ce programme exclusivement féminin, l’objectif est d’interroger la fabrique d’idéaux scientifiques au prisme du genre, en comparant notamment les pratiques des responsables du programme de la FIFDU avec celles déployées dans d’autres organisations, mixtes ou réservées aux hommes. Après avoir évoqué le système de récompenses et de subventions en science, en interrogeant ses évolutions, son influence complexe en matière d’identité scientifique et ses implications notamment en termes de genre, nous nous pencherons plus précisément sur le programme de la FIFDU. Le dernier temps de ce chapitre sera consacré à une étude de la procédure d’attribution des bourses, de manière à tenter d’approcher le type d’idéal scientifique – au féminin – façonné et promu par la FIFDU.
Prix, bourses et personae : regards croisés sur le système de financement en science
5Alors que le système de financement de la recherche et de prix fait toujours aujourd’hui partie intégrante de la vie scientifique, servant de jalons aux carrières des chercheurs et universitaires, il est important d’envisager la question sur le long terme, de manière à mieux comprendre les évolutions du système de prix et sa répercussion sur le monde scientifique tout en mobilisant des outils conceptualisés par les chercheurs en sciences sociales et plus récemment en histoire des sciences. Le passage d’un système de prix, héritage des académies européennes du xviie siècle, aux allocations de recherche marque le passage à une science moderne qui se professionnalise. La période allant de la fin du xixe siècle à la première moitié du xxe siècle voit le développement d’ambitieux programmes de bourses, destinés à encourager la recherche, la circulation des savoirs et la mobilité des scientifiques. Après avoir succinctement retracé ces évolutions, il nous faudra interroger l’impact des politiques de financement de la science en termes de persona scientifique. En effet, à l’aune de l’internationalisation de la science, les séjours à l’étranger, les périodes de travail dans des laboratoires ou universités renommés, la rencontre de scientifiques du monde entier, constituent autant de marqueurs d’autorité et de réussite scientifiques, mais ces pratiques portent les stigmates du genre. La nature complexe de la relation entre sponsors et bénéficiaires – les boursiers et boursières –, ou entre sélectionneurs et sélectionnés mérite toute l’attention, en particulier pour comprendre la manière dont elle affecte l’identité scientifique même.
L’évolution du système de prix en science : une perspective sur le long terme (xviie-xxe siècles)
6Les historiens s’accordent à souligner le rôle important que jouent les académies européennes dans l’émergence de la science moderne. Au cours de la seconde moitié du xviie siècle, on assiste en Europe à l’émergence de sociétés savantes dans différents contextes nationaux : la Royal Society de Londres voit le jour en 1660, suivie six ans plus tard en France de l’Académie des sciences. Ces académies servent de modèle au développement de sociétés en province, dont le nombre se multiplie à la fin du xviie siècle8. Comme l’écrivait déjà l’historienne autrichienne Martha Ornstein dans son ouvrage The Role of the Scientific Societies in the Seventeenth Century, paru en 1913 :
« Les sociétés ont rassemblé des groupes de scientifiques en un seul endroit, mené des expérimentations et des recherches impossibles à réaliser individuellement, encouragé les scientifiques à titre individuel, leur procurant à la fois des opportunités et du temps libre, souvent par le biais d’un soutien financier, pour se consacrer au travail scientifique9. »
7C’est ce dernier aspect du travail des académies et sociétés qui nous intéresse ici : le soutien financier qu’elles apportent aux scientifiques.
8Fondées par les savants avec l’aide du patronage royal, ces sociétés insufflent en effet une nouvelle dimension aux récompenses scientifiques. Grâce aux donations de leurs membres, elles ont les moyens de peser directement sur les pratiques, en accordant, par exemple, une visibilité importante à un savant et à ses recherches. C’est dans ce but que la Royal Society met en place un système de médailles à partir de 1736. Avec l’introduction de la pratique des concours, l’influence des Académies se traduit autrement, avec l’ambition d’orienter les recherches scientifiques. Il s’agit, par le biais de récompenses d’ordre financier, d’encourager les savants à trouver des solutions à des problèmes spécifiques10. Alors que cette pratique devient de plus en plus courante sur le continent, les concours académiques s’internationalisent rapidement : ceux que l’Académie des sciences propose en philosophie naturelle dans la première moitié du xviiie siècle attirent de nombreux savants parisiens, provinciaux mais aussi étrangers11. Peu à peu, les concours s’imposent à la fois comme un outil essentiel pour le rayonnement et la réputation des Académies et un moyen de faire progresser la science, ce qui s’inscrit au cœur de la logique et de l’idéal des Lumières.
9Vers le milieu du xixe siècle, la fonction des récompenses en science évolue : d’un système de prix, on passe à un système de subventions à la recherche. Les prix ne sont plus seulement considérés « comme le moyen de couronner des œuvres déjà achevées » mais visent à procurer « des ressources pour des travaux projetés ou déjà en cours12 ». Ce changement d’attitude est lié aux évolutions qui marquent alors le domaine scientifique : la priorité donnée à la science expérimentale, par exemple, requiert d’avoir les moyens d’équiper les laboratoires, tout comme la volonté d’observer les phénomènes demande d’avoir les équipements nécessaires et la possibilité de voyager. Face à l’augmentation des besoins financiers de l’entreprise scientifique, les prix deviennent des compléments cruciaux pour permettre aux savants d’entreprendre et de poursuivre des recherches.
10Dans les années 1880, ce changement s’accélère, entraînant de profondes transformations du système des prix. En se désolidarisant peu à peu de la pratique des concours, les prix deviennent « une composante importante de la professionnalisation de la recherche scientifique13 », encourageant les recherches dans des domaines de plus en plus spécifiques. Cette mutation du système des récompenses au tournant du xxe siècle est en partie liée au processus général d’industrialisation, qui permet à une nouvelle catégorie de mécènes, composée notamment d’industriels ou de patrons fortunés, d’intervenir dans le paysage d’une philanthropie tournée vers la science. Alors que certains d’entre eux cherchent à financer des projets permettant le développement de l’industrie, la majorité des dons versés par ces nouveaux mécènes relève plus, en effet, de la philanthropie : il s’agit pour ces nouveaux venus « de fournir une preuve tangible de leur foi en la science tout en s’associant eux-mêmes à une activité sociale prestigieuse14 ». Cette forme de philanthropie s’implante à différente vitesse en fonction des contextes nationaux. En Angleterre, la Royal Society continue à privilégier la remise de médailles et à conforter l’idéal du savant désintéressé, travaillant pour le simple amour des sciences tandis qu’en France, l’Académie des sciences reçoit des donations importantes en provenance de fondations privées15. Une des figures les plus connues de ce nouveau type de patronage est sans aucun doute le Suédois Alfred Nobel, qui s’inspire du modèle français : tout comme les prix décernés par l’Académie des sciences, les prix Nobel recouvrent à la fois une valeur symbolique, « conférant honneur et prestige à leurs récipiendaires16 », et une valeur matérielle permettant aux savants d’avoir les moyens de poursuivre leur recherche.
11L’institutionnalisation, au cours du long xixe siècle, d’un soutien financier aux scientifiques, provenant de sources extérieures au cadre universitaire, s’accompagne de la création de programmes de bourses de voyage qui entendent permettre à ces chercheurs de séjourner dans des centres étrangers. Ces programmes sont d’abord subventionnés par les États, répondant à des logiques nationales, parfois impérialistes. La mobilité des élites intellectuelles, les découvertes scientifiques et leurs possibles retombées économiques, deviennent ainsi un « instrument de politique étrangère » destiné à renforcer le prestige et la place d’un pays dans les relations internationales, ou encore les liens entre les métropoles et leurs empires17. Le programme britannique Rhodes s’inscrit dans cette logique : fondé dans les années 1860, il encourage les échanges entre les universités britanniques et les universités des dominions, cherchant à attirer leurs élites sur le sol britannique.
12Une large partie des échanges scientifiques s’établissent de fait dans un climat de compétition entre nations, chaque pays cherchant à attirer les flux d’étudiants et de chercheurs. La domination du système universitaire allemand au tournant du siècle se traduit par un nombre important d’étudiants étrangers, européens mais aussi nord-américains, qui souhaitent bénéficier de la qualité d’enseignement et du prestige dont jouissent les universités allemandes à l’échelle internationale. De nombreux historiens ont mis en avant l’influence du système allemand sur la modernisation et la transformation des universités américaines en pôles de recherche, à l’instar de l’université John Hopkins et de sa faculté de médecine réputée pour être la première université dédiée à la recherche aux États-Unis18. Une partie importante de la littérature portant sur ce sujet questionne l’influence allemande sur l’éducation supérieure américaine en s’intéressant essentiellement aux étudiants, et trop rarement aux étudiantes américaines parties étudier en Allemagne19. L’influence négative du modèle allemand sur l’éducation supérieure des femmes américaines a par ailleurs été souligné, les universités allemandes étant, à la fin du xixe siècle, encore largement fermées aux étudiantes20. L’éclatement de la Première Guerre mondiale bouleverse cet équilibre, entraînant une réorientation des flux d’étudiants et de chercheurs vers les pays anglo-saxons, et notamment vers les États-Unis qui s’imposent peu à peu comme un acteur majeur sur le marché académique et scientifique.
13À partir des années 1910, les programmes de bourses ne sont plus perçus seulement comme des instruments de politique nationale, mais comme des vecteurs de premier plan pour l’encouragement de la coopération internationale et la promotion d’un « esprit international », cher à l’époque21. De telles initiatives internationalistes naissent de chaque côté de l’Atlantique. Dès 1898, le banquier français Albert Kahn crée le programme des Bourses Autour du Monde afin de permettre aux peuples de mieux se connaître22. Sa conviction profonde, comme chez de nombreux autres internationalistes, est que les conflits armés naissent d’une mauvaise connaissance et d’un manque de communication des nations entre elles, ce que les circulations des hommes et des femmes peuvent permettre de corriger. Le programme des Bourses Autour du Monde encourage ainsi les jeunes agrégés et, à partir de 1905, des agrégées, qui représentent l’élite intellectuelle française, à se rendre dans divers pays pour y observer la culture, mesurer la place de la France dans le monde, et promouvoir la paix.
14Cette visée internationaliste est reprise par de nombreux industriels et philanthropes américains qui s’imposent, au cours des deux premières décennies du xxe siècle, comme des acteurs de premier rang sur la scène (scientifique) internationale. En 1910, Andrew Carnegie fonde la Dotation Carnegie pour la paix internationale (Carnegie Endowment for International Peace), dans le but de développer une expertise intellectuelle sur les questions de droit international et de promouvoir la paix. Quelques années plus tard, en 1913, la Fondation Rockefeller voit le jour, sous l’initiative de la famille Rockefeller, dont John D. Rockefeller, le fondateur de la Standard Oil. Tout en s’inscrivant dans la même tendance internationaliste que la Dotation Carnegie, la Fondation Rockefeller vise tout particulièrement à élaborer « une science totale de l’homme permettant de gérer les comportements individuels et collectifs » afin de mettre en place une « société rationnelle gouvernée par la science », pour reprendre les mots de Ludovic Tournès23.
15Les ambitions de ces organisations philanthropiques se réalisent en partie par la fondation de programmes internationaux de bourses. Tout en s’inscrivant dans la vision internationaliste des années 1920, de tels programmes répondent à un problème structurel souvent dénoncé par la communauté scientifique et universitaire américaine dans les premières années du xxe siècle. Margaret Rossiter cite à ce titre un rapport paru dans le Bulletin de l’Association américaine des professeurs des universités, dans lequel il est regretté que les young academic men soient surmenés par les charges de cours et sous-payés, et n’aient pas le temps ni les moyens de se consacrer entièrement à la recherche scientifique24. L’inadéquation des carrières universitaires traditionnelles avec les « ambitions d’après-guerre » est une rhétorique récurrente dans les années 1920. Alors que dans un premier temps les organisations philanthropiques américaines finançaient de grands projets pouvant avoir des retombées économiques, en lien avec l’industrie, ou octroyaient des fonds importants à des institutions reconnues, leurs pratiques se modifient aux lendemains de la Première Guerre mondiale. L’apparition du terme de fellowship illustre l’orientation éminemment scientifique de ces programmes de financement25. À la différence des scholarships accordés à des fins éducatives et destinés aux étudiants de premier cycle, les fellowships sont orientés vers la recherche et la promotion de l’excellence scientifique. Ils sont accordés aux jeunes chercheurs (en doctorat ou postdoctorat) ainsi qu’aux chercheurs plus expérimentés.
16Malgré l’importance que ces programmes de bourses revêtent pour la circulation des hommes et des idées, ce n’est que depuis quelques années qu’ils sont envisagés comme des objets historiques en tant que tels. En lien avec le développement de l’histoire transnationale, on assiste à un intérêt nouveau des historiens pour les programmes de bourses et d’échanges26. En 2018, un ouvrage collectif codirigé par Ludovic Tournès et Giles Scott-Smith a été consacré à ce sujet. Les auteurs y préconisent de sortir d’une histoire institutionnelle pour replacer au cœur de l’analyse la dimension humaine, à travers l’étude des administrateurs comme des participants, afin de mieux comprendre la complexité des échanges, transferts et circulations autorisés par les programmes concernés. Le concept de persona, appliqué à l’étude des programmes de bourses, permet également d’envisager l’influence des organismes de financement de la recherche dans la définition d’un idéal-type du ou de la scientifique.
Les financements de la recherche au prisme de la persona et du genre
17Comme l’ont montré les chercheurs en sciences sociales, l’univers scientifique, malgré son apparence pure et désintéressée visant à la production de vérités scientifiques, est un champ social comme les autres. Pour Pierre Bourdieu, le champ scientifique se caractérise par « ses rapports de forces et ses monopoles, ses luttes et ses stratégies, ses intérêts et ses profits ». C’est le lieu :
« d’une lutte de concurrence qui a pour enjeu spécifique le monopole de l’autorité scientifique inséparablement définie comme capacité technique et comme pouvoir social, ou si l’on préfère, le monopole de la compétence scientifique, entendue au sens de capacité de parler et d’agir légitimement (c’est-à-dire de manière autorisée et avec autorité) en matière de science27 ».
18En mettant en avant le fait que les acteurs scientifiques sont jugés par leurs pairs, avec lesquels ils sont en concurrence directe, Bourdieu s’intéresse à l’influence de cette concurrence intrinsèque entre acteurs et juges dans la production des connaissances scientifiques et dans la définition même de la science (définition des problèmes scientifiques, acceptation de théories, méthode et ainsi de suite). L’étude des conditions d’entrée ou d’élimination des nouveaux entrants au sein de la communauté scientifique permet au sociologue de mettre en lumière une série d’éléments ou, pour reprendre ses mots, de « signes spécifiques de consécration que le groupe pairs-concurrents accorde à chacun de ses membres28 » et qui constituent le capital scientifique d’un individu. Si le champ scientifique est le lieu de luttes, ces luttes sont plus ou moins inégales, l’attribution du capital scientifique (prestige, autorité, reconnaissance) dépendant des dominants, c’est-à-dire des acteurs placés en haut de la hiérarchie29.
19L’allocation de bourses ou l’attribution de prix par la communauté à un individu s’inscrit dans ce réseau d’interactions complexes. Les distinctions scientifiques permettent à la fois de valider un certain profil et de renforcer la position de l’individu qui en est dépositaire au sein de la communauté scientifique. Comme l’écrit Robert Kohler, dans son ouvrage portant sur le lien entre les chercheurs scientifiques et leurs sponsors au xxe siècle :
« Les idées sont souvent concrétisées par le processus de sécurisation des ressources. La capacité à obtenir des financements est devenue, pour le meilleur ou pour le pire, un élément important du système en accordant une grande crédibilité aux chercheurs et à leurs travaux30. »
20Les carrières scientifiques modernes, liées au processus de professionnalisation de la science à la fin du xixe siècle, sont ponctuées par une « série de jalons honorifiques », subventions à la recherche et prix, qui « permettent d’identifier les candidats les plus méritants et de les propulser vers le haut31 ». A contrario, les individus qui n’obtiennent pas de distinctions se retrouvent progressivement marginalisés dans le champ scientifique, voire relégués au rang d’amateurs32.
21S’intéressant à la situation des femmes américaines dans les années 1920 et 1930, Margaret Rossiter a mis en lumière la manière dont le fonctionnement du monde scientifique, particulièrement le système de prix et de récompenses, se traduit par la marginalisation des certains groupes, dont celui des femmes. En effet, alors que les femmes sont de plus en plus nombreuses à intégrer le monde scientifique, rares sont celles qui obtiennent des distinctions scientifiques ou qui siègent au sein des associations professionnelles33. Pour l’historienne, l’importance croissante que prend le système de prix et de récompenses en science au tournant du xxe siècle contribue à renforcer la masculinisation du champ scientifique, marginalisant les femmes de manière à la fois verticale, en les privant d’accès aux postes les plus élevés, et horizontale, en les circonscrivant dans des domaines dits « féminins » ou considérés comme moins prestigieux par la communauté scientifique.
22Des chercheurs en histoire et philosophie des sciences se sont intéressés à l’influence du système de prix et récompenses en termes de construction ou de promotion d’idéaux-types de scientifiques, mobilisant le concept de persona scientifique. En déterminant les critères de sélection, les qualités et capacités requises, les organismes de financement, qu’ils dépendent d’universités ou d’institutions scientifiques externes, contribuent à construire et promouvoir certains modèles ou répertoires scientifiques. Herman Paul, par exemple, souligne la manière dont le fait d’obtenir de ses pairs des financements est un élément important de l’identité scientifique34. En mettant en place des modèles d’excellence auxquels les candidats doivent se conformer, les organismes de financement exercent une influence certaine sur l’identité scientifique. C’est ce que démontrent notamment Kaat Wils et Pieter Huistra dans leurs travaux portant sur le programme de bourses de la Belgian American Educational Foundation. Les deux auteurs s’intéressent non seulement à la façon dont les organismes de financement « ont activement et délibérément façonné des idéaux-types de scientifiques35 » mais aussi à la manière dont les scientifiques, cherchant des financements, se sont conformés à ces attentes. La capacité à obtenir des financements, mais aussi les séjours de recherche à l’étranger, et notamment aux États-Unis, sont deux aspects essentiels à la réussite scientifique dans la première moitié du xxe siècle.
23Bien qu’il existe, dans la première moitié du xxe siècle, des programmes de bourses mixtes, l’étude statistique des procédures d’allocation de bourse à cette période montre un réel déséquilibre selon le sexe parmi les lauréats. Margaret Rossiter compare le nombre d’hommes et de femmes ayant soutenu une thèse de doctorat dans une université américaine à celui des lauréats et lauréates du programme de bourses de recherche du National Research Council, financé par la Fondation Rockefeller, entre 1920 et 1938. Alors que les femmes représentent 13 % de la population des diplômées et diplômés américains, le ratio n’est plus que de 5,4 % lorsque l’on considère les boursiers et boursières du NRC, à l’exception du champ de l’anthropologie où, en obtenant 10 des 26 bourses attribuées, les femmes représentent 38,5 % des bénéficiaires36. De manière similaire, mais dans le contexte universitaire et scientifique belge de l’entre-deux-guerres, Pieter Huistra et Kaat Wils remarquent que seuls 50 des 471 boursiers de la Belgian American Educational Foundation sont des femmes, soit moins de 11 %, alors que les étudiantes représentent 17 % de la population diplômée belge à cette période. Ce déséquilibre est en partie lié au fait que la définition de l’idéal-type des boursiers repose sur des caractéristiques genrées. Dans le cas de la Fondation Rockefeller, Rossiter note que les candidates ne doivent pas seulement affronter les autres candidats, mais aussi les préjugés même des membres du comité de sélection qui les considèrent plus faibles, moins méritantes ou n’ayant pas de débouchés. La fondation américaine cherche en effet à sélectionner les leaders de demain, des « jeunes hommes brillants » : autant de termes qui renvoient directement à une acception masculine de la figure idéale du boursier.
24L’usage d’un vocabulaire qui renvoie explicitement aux hommes introduit un biais important, et rend les candidatures de femmes plus difficiles. Dans le cas du programme de bourses de Rhodes, les termes mêmes employés dans le testament de Cecil Rhodes empêchent les femmes de se porter candidates : l’image du « leader » que Rhodes cherche à promouvoir prend les traits d’une élite d’hommes blancs anglo-américains, en lien avec la vision impérialiste du programme37. Le programme demeure de fait strictement limité aux hommes et ce n’est qu’à la fin des années 1970 qu’il s’ouvre progressivement aux femmes38. S’intéressant au système de financement et de sélection de la Fondation Rockefeller, ici dans le contexte scientifique suédois, Kirsti Niskanen remarque que cet idéal de scientifique repose sur la notion de génie ou d’excellence, mais aussi sur des pratiques de recherche (disponibilité, mobilité) culturellement plus largement associées aux hommes qu’aux femmes39. Ne pas être marié, par exemple, constitue un critère important pour pouvoir se consacrer au travail scientifique. En outre, la différenciation des sexes ne s’opère pas seulement à l’étape de la candidature. Lorsque les femmes obtiennent de tels prix ou financements, elles sont soumises à un régime différent de celui des hommes. Au début du xxe siècle, il apparaît impensable qu’une femme voyage seule, sans « chaperon ». Les lauréates des Bourses Autour du Monde doivent ainsi voyager à deux, pour une durée plus courte que celle accordée aux hommes (six mois au lieu d’un an) et ne peuvent se rendre que dans certains pays40. Si une large majorité des programmes de bourses mixtes poursuit des logiques différentialistes en fonction du sexe des candidats, notons toutefois qu’il existe des exceptions, à l’instar du programme de bourses David-Weill. En choisissant de ne marquer aucune différences entre candidates et candidats, tout du moins dans les documents officiels, les auteurs mettent en avant la « volonté d’universalisme » affichée par la commission d’allocation des bourses41.
25On comprend mieux, face à une telle situation générale, que le programme de bourses de la FIFDU ait été pensé non seulement comme une réaction à la marginalisation des femmes scientifiques induite en partie par le fonctionnement même du système de financement et de prix, mais aussi qu’un tel programme, exclusivement féminin, ait joué un rôle, qu’il s’agit de mesurer, dans le façonnement d’une persona scientifique à laquelle les femmes puissent s’identifier et être identifiées.
Un programme de bourses par et pour les femmes scientifiques
26Dès le premier congrès international de la FIFDU, organisé à Londres en 1920, la nécessité de la fondation d’un programme de bourses internationales est évoquée, notamment par les membres américaines qui s’appuient sur leur propre expérience dans leur pays. Des bourses exclusivement réservées aux femmes sont en effet décernées depuis les années 1880 par l’Association of Collegiate Alumnae qui devient en 1920 l’American Association of University Women. L’heure était venue, en cet immédiat après-guerre, d’oser imaginer, au sein de la FIFDU, un programme exclusivement pensé par et pour les femmes scientifiques. Cette partie s’intéresse à la justification d’un tel programme par les university women, ainsi qu’à son financement et fonctionnement.
Un projet international
27S’adressant aux university women rassemblées à Londres, Martha Carey Thomas, présidente de la branche américaine, défend l’idée d’un système de prix et de reconnaissance parallèle et international, qui serait pensé et géré par des femmes en vue de soutenir d’autres femmes. Comparant l’ambition de la FIFDU à celle des Académies, elle déclare :
« Aux États-Unis, nous avons une Académie, une institution des Arts et des Sciences. Ce n’est pas une Académie d’hommes, c’est une Académie générale, et aucune femme n’y figure. Notre Association américaine de femmes diplômées de l’université a adressé une requête formelle à cette Académie et demandé à ce que des noms de femmes soient inscrits sur la liste. Il est décourageant, pour des femmes éminentes, de ne pas y figurer, et je ne suis pas certaine du tout qu’une part du travail de cette Fédération ne puisse pas être une Académie féminine des Arts, des Lettres et des Sciences, au sein de laquelle nous nous rendrons mutuellement honneur et éloge, car l’éloge est une chose très importante pour le succès42. »
28Cette justification d’une forme d’entre-soi féminin ne s’accompagne pas pour autant d’une critique frontale des systèmes de bourses existants et de leur rôle dans le processus de marginalisation des femmes scientifiques. Si Virginia Gildersleeve fait remarquer, par exemple, que lorsqu’il s’agit de donner une opportunité à un professeur ou à un étudiant de séjourner dans une université étrangère, ce sont majoritairement des hommes qui en bénéficient, elle ajoute ce commentaire plus désabusé que vindicatif : « Même les hommes qui ont la plus grande sympathie pour le travail et les aspirations de notre sexe oublient parfois que nous sommes là, si survient la question d’un échange de professeurs ou d’un envoi d’étudiants à l’étranger. » Pourquoi ? « Ce n’est pas parce qu’ils ne s’intéressent pas aux femmes mais simplement parce qu’ils n’arrivent pas à penser à nous43. »
29Le système de financement de la recherche, parallèle et unisexe, tel qu’il est pensé et développé par les membres de la FIFDU n’est donc jamais présenté comme une attaque du système existant. Dans la citation placée en tête de ce chapitre, Virginia Gildersleeve synthétise bien les ambitions du programme : il est de la responsabilité des femmes de prouver leur capacité à produire des travaux scientifiques de qualité, de manière à faire progressivement disparaitre la question du sexe comme marqueur ou gage de qualité scientifique (ou de moindre qualité et de moindre attente). On retrouve ici la stratégie d’un féminisme non transgressif mais « pragmatique », que prône et pratique la doyenne du Barnard College. En opposition avec le mouvement féministe militant, non dans ses ambitions mais dans ses moyens d’action, Gildersleeve et plus généralement les university women prônent un féminisme d’infiltration, permettant aux femmes de travailler de l’intérieur et d’éviter les antagonismes avec leurs collègues de sexe masculin. La doyenne évoque cette « technique » à plusieurs reprises dans ses mémoires44. La mise en avant de la dimension internationaliste des bourses dans le discours des dirigeantes, plutôt que d’afficher des prétentions féministes, s’insère dans cette stratégie d’infiltration. L’ambition de la FIFDU à travers son programme de bourses, peut-on lire en 1924, est « d’encourager le savoir et promouvoir le statut des femmes diplômées des universités, pour répandre les connaissances, améliorer les méthodes et les idéaux éducatifs, et faire progresser activement l’amitié et la sympathie entre les nations à travers des représentantes choisies45 ».
30La plupart des fondatrices et dirigeantes sont conscientes du faible nombre d’opportunités existantes pour permettre aux femmes d’étudier ou de mener des recherches à l’étranger, alors qu’elles-mêmes ont pu éprouver l’importance de tels séjours dans la construction de leur propre carrière scientifique. Leurs efforts pour rassembler les fonds nécessaires pour offrir des bourses à des femmes scientifiques s’inscrivent dans une logique de transmission de stratégies et d’un savoir-faire. Il s’agit pour elles de tirer la leçon de leurs réussites personnelles mais aussi des difficultés qu’elles ont pu rencontrer en tant que femmes dans un monde universitaire et scientifique masculin. Ainsi fait Ellen Gleditsch dans un discours intitulé « La nécessité et la valeur des bourses de recherche internationale » :
« Si nous voulons que les femmes participent pleinement aux travaux universitaires, qu’elles contribuent au progrès de la science et du savoir, elles ne doivent pas se limiter à l’enseignement, mais doivent également entreprendre des travaux de recherche. Jusqu’à présent, les femmes ont fait très peu en matière de recherche. Ce n’est pas étonnant. Très peu ont eu la possibilité de s’y préparer. La recherche exige des sacrifices, économiques et personnels. Si nous voulons que les femmes fassent de la recherche, nous devons donner aux jeunes femmes la possibilité de poursuivre des études supérieures dans leur propre pays et dans d’autres pays. En fait, la recherche en sciences demandera presque toujours, et la recherche en sciences humaines très souvent, des années d’études dans des universités étrangères. Je n’ai pas besoin de m’attarder sur ce point ; il est connu et reconnu par nous toutes46. »
31Alors qu’elle s’adresse aux university women rassemblées en congrès à Amsterdam en 1926, la Norvégienne, tout juste élue présidente de la FIFDU, met en avant le rôle que doit jouer ici la FIFDU. « Que pouvons-nous faire, nous les membres de la Fédération internationale, pour aider les femmes qui sont capables, volontaires et désireuses d’entreprendre des travaux de recherche ? », demande-t-elle. « Pouvons-nous organiser leur vie pour qu’elles créent l’atmosphère nécessaire ? Certainement pas – pas pour toute une vie. Mais […] nous pouvons leur mettre le pied à l’étrier47. » Ce coup de pouce prend la forme de subventions internationales qui vont permettre aux lauréates de se consacrer un an durant à la continuation ou à l’achèvement de leurs recherches.
L’argent de la différence
32C’est en 1924, à l’occasion du congrès d’Oslo, que le programme de bourses internationales de la FIFDU est officiellement lancé, avec la création de deux comités, l’un chargé de l’organisation et de la promotion de la collecte de fonds destinée à financer le programme, l’autre appelé à sélectionner et nominer les titulaires des bourses48. Le fonctionnement du programme est défini et la collecte de fonds commence à s’organiser au cours de cette décennie cruciale.
33Contrairement aux organisations philanthropiques, qui bénéficient d’un capital financier important grâce à leurs fondateurs, la FIFDU rencontre plus de difficultés à rassembler des fonds lui permettant de financer son programme de bourses. Signalons, à titre de comparaison, que la fondation Carnegie jouit d’une dotation initiale de près de 125 millions de dollars, la somme s’élevant à 182 millions pour la Fondation Rockefeller49. Une partie de ces fortunes sont consacrées au financement de fellowships, d’une valeur, pour la Fondation Rockefeller, de 1 800 dollars (soit l’équivalent d’environ 23 000 euros) par bourse et par année. Bien que les dirigeantes de la FIFDU aient pour projet de collecter un million de dollars, de manière à financer 30 bourses par an, le manque de ressources disponibles les oblige à revoir leurs ambitions à la baisse. Leur nouvel objectif est de rassembler 6 000 livres sterling, afin de pouvoir attribuer la première bourse en 1928, d’une valeur de 300 livres (soit un peu plus de 7 000 euros aujourd’hui).
34Différentes méthodes sont envisagées pour alimenter le fonds du programme de bourses. En 1924, le Fund Appeal Committee invite les associations nationales à lancer un appel aux dons auprès des « hommes et femmes universitaires et d’autres individus et organisations publiques intéressés dans l’éducation et les amitiés internationales50 » de leur pays. L’exemple est donné par un groupe d’anciens étudiants de l’université d’Oslo, qui versent à la FIFDU la somme de 2 000 couronnes norvégiennes, originellement destinée à une aide à la recherche pour une femme norvégienne51. Cette donation permet de voir un engagement concret des hommes pour l’égalité et la promotion des femmes dans la sphère intellectuelle. « Que des hommes donnent cet argent pour l’éducation supérieure des femmes, » écrit Lilli Skonhoft, l’une des organisatrices norvégiennes du congrès de 1924, « n’a pas seulement déclenché des vivats mais aussi un émoi tout aussi grand que justifié52 ». En l’honneur de ce geste, les membres américaines présentes au congrès d’Oslo dédient la somme de mille dollars au financement d’une bourse « scandinave » l’année suivante53.
35On peut donner d’autres exemples de tels soutiens masculins : à l’occasion de la réunion du conseil de la FIFDU à Prague en 1930, le président tchèque Tomáš Garrigue Masaryk, fait un don d’un montant de 1 000 livres, versé au fonds des bourses internationales. Son intérêt pour les femmes diplômées peut s’expliquer par l’influence de sa femme, Charlotte Garrigue (dont il ajouté le nom au sien), une économiste américaine, fondatrice d’une école pour assistantes sociales et proche du cercle de l’American Association of University Women54.
Fig. 15. – « President Masaryk gives his donation for the Fellowship Fund to Professor Winifred Cullis. »

Source : Archives IFUW – inv. no 75.
36Ces appels aux dons produisent toutefois un résultat limité et, alors que les membres du comité espéraient initialement pouvoir attribuer quatre bourses par an, il apparaît rapidement que seul l’octroi d’une bourse par année est envisageable.
37Chaque branche adopte différentes manières de récolter des fonds, sur la base d’un jour de salaire reversé par membre ou d’un pourcentage des souscriptions annuelles, la méthode déjà pratiquée par la branche américaine pour financer son programme de bourses nationales. Au cours de l’entre-deux-guerres, on observe de fortes différences dans la participation financière des branches nationales. L’AAUW, en adoptant un système de souscription par membre, se démarque des pays européens, qui continuent à collecter des fonds par le biais de conférences et autres bazars et ventes. Aucune obligation n’est fixée en Europe, de manière à ne pas décourager les pays qui ont le plus souffert de la Première Guerre mondiale. Le nombre de femmes actives dans les domaines scientifiques et universitaires, ou l’état même de la culture philanthropique, peuvent également permettre de comprendre les divergences entre pays. Par ailleurs, le financement du programme de bourses est compliqué par le fait qu’il entre en concurrence directe avec celui de foyers internationaux ou clubhouses à Washington, Londres (Crosby Hall) ou Rome – le projet italien n’aboutira finalement pas55.
38Comme le remarque Christine von Oertzen, certaines branches nationales financent de temps à autre leurs propres bourses, de durée plus limitée. L’historienne donne en exemple l’une des bourses françaises attribuée à la neurologiste autrichienne Martha Brünner-Ornstein, projetant d’étudier à la Sorbonne une nouvelle technique de mesure neurologique, invention française que les membres de l’Association française des femmes diplômées des universités espèrent diffuser dans le monde académique germanique56. Si ces prix nationaux permettent d’analyser les interactions entre politiques nationales et science, ce sont les bourses internationales qui constituent l’objet du présent chapitre.
39Il existe, dans l’entre-deux-guerres, trois types de bourses internationales attribuées par la FIFDU. En 1928, Anne-Marie Dubois, biologiste suisse, devient la première lauréate de la bourse junior ou doctorale, réservée aux candidates de moins de 30 ans, sous réserve qu’elles soient « engagées activement dans des travaux de recherche depuis au moins un an » et qu’elles aient « l’intention de produire des travaux scientifiques indépendants57 ». Les candidates déjà titulaires d’un diplôme de doctorat peuvent postuler aux bourses senior qui correspondent à une bourse postdoctorale, sous condition d’avoir publié les « résultats d’un travail de recherche indépendant réalisé au cours des cinq dernières années ». La limite d’âge de ce second type de bourse, fixée dans un premier temps à 45 ans, est rapidement remise en question, notamment par les membres de la branche suisse qui y voient une mesure arbitraire risquant « d’empêcher la candidature de diplômées hautement qualifiées, handicapées par la nécessité de gagner leur vie58 ». Le développement de bourses senior constitue également un investissement plus sûr, les candidates ayant déjà fait leurs preuves en termes de recherche. L’introduction de bourses similaires réservées aux chercheurs déjà expérimentés par la Belgian American Educational Foundation, par exemple, relève de la volonté des responsables du programme de renforcer la qualité des candidats sélectionnés59. En outre, accorder une reconnaissance à des femmes scientifiques importantes mais par ailleurs marginalisées dans la communauté scientifique et universitaire, permet à la FIFDU de mettre en avant des exemples de réussites scientifiques féminines qui peuvent servir de modèle ou d’inspiration aux nouvelles générations.
40À ces deux bourses, décernées de manière alternative tous les deux ans, viennent s’ajouter les bourses internationales postdoctorales financées par des branches nationales, telle la AAUW Crusade. Bien que financées par des organisations nationales ou des groupes locaux, leur attribution dépend entièrement du comité ad hoc de la FIFDU, les responsables étant soucieuses d’assurer au processus une certaine homogénéité. Les mêmes conditions s’appliquent pour ces bourses en termes d’ouverture à toutes les nationalités et vers toutes destinations. Cependant, contrairement à celles de la FIFDU, ces bourses ne sont limitées ni en termes d’âge ni en termes de disciplines scientifiques. L’unique condition est d’avoir obtenu un doctorat et d’avoir publié les résultats de ses recherches dans des revues scientifiques.
41Bien que ces bourses soient réservées aux membres de la FIFDU, leur publicité est étendue au-delà de l’organisation. Kristine Bonnevie est ainsi chargée en 1924 de promouvoir le programme de bourses auprès de la Société des Nations, étant pour sa part l’une des représentantes de la Norvège à la Commission internationale de coopération intellectuelle. À l’échelle nationale, ce sont les branches qui sont chargées de diffuser la liste de bourses disponibles auprès des institutions universitaires de leur pays. Si ces bourses sont annoncées dans la presse, il reste difficile de mesurer leur impact auprès du public ou de la communauté scientifique internationale. Alors que les noms des lauréats d’autres bourses sont donnés dans Nature, par exemple, il ne semble pas que cela ait été le cas pour les lauréates de la FIFDU. Quelques articles sur le programme de bourses de la FIFDU et des noms de lauréates apparaissent de manière occasionnelle dans la presse nationale lorsque la boursière est issue du pays. En 1930, ainsi, un article du journal australien The Age, dans sa « Page for Women », annonce les bourses offertes par la FIFDU et rappelle le nom de la lauréate australienne ayant obtenu cette année-là une bourse, Ethan McLennan60. Les bourses pour femmes semblent bien, dans le cas présent, relever de la seule rubrique féminine : les articles concernant la FIFDU et d’autres organisations féminines telles que le Conseil international des femmes voisinent avec les conseils de modes et de cuisine.
42De manière générale, le programme de bourses de la FIFDU n’a pas connu l’ampleur de ceux d’autres organismes de financement de la recherche, le nombre de bourses étant limité par les capacités financières de l’organisation. À titre de comparaison, pour la période de l’entre-deux-guerres, la Fondation Rockefeller a distribué près de 6 000 bourses, alors que la FIFDU n’en finance qu’une cinquantaine61. Toutefois, ces chiffres ne permettent pas de se prononcer de manière tranchée en termes d’influence, compte tenu du faible nombre de femmes ayant obtenu une bourse dans les programmes officiellement ouverts aux hommes et aux femmes. Il est fortement probable que pour les femmes scientifiques, les bourses de la FIFDU aient constitué une opportunité importante, voire décisive, au moment de continuer leurs recherches puis de tenter de se faire une place dans la communauté scientifique – ce qui souligne toute l’importance des procédures d’évaluation et de sélection mises en place par la FIFDU.
Un comité d’expertes
43La procédure de sélection des boursières de la FIFDU s’opère en trois temps : les dossiers des candidates sont d’abord examinés par les branches nationales, chacune étant responsable de la qualité des candidates présentées devant le comité international. Les méthodes de sélection à cette étape sont laissées à la décision de chaque branche, même s’il est recommandé de faire appel à des « juges compétents » et de conduire des entretiens avec chacune des candidates62. Trois candidatures au maximum peuvent être présentées, par bourse et par année, par une organisation nationale ; elles doivent être classées par ordre de mérite. Les rapports des branches, ainsi que les dossiers des candidates, sont ensuite envoyés au comité international d’attribution des bourses pour que débute la seconde phase d’évaluation.
44Les modalités d’évaluation s’adaptent en fonction des types de bourses. Comme le signale la directrice du comité de sélection, Ida Smedley Maclean, il importe de distinguer entre les bourses pour les sciences et celles pour les arts (les sciences humaines et la littérature, dirions-nous), tant diffèrent les deux domaines de recherche. Les membres du jury rencontrent en effet de nombreuses difficultés pour juger les candidatures aux bourses internationales américaines, qui sont ouvertes à tous les champs disciplinaires. En 1935, le comité d’attribution des bourses souligne la complexité qu’induit l’évaluation de candidates travaillant dans des champs scientifiques si distincts les uns des autres :
« Les qualités requises pour la recherche dans le domaine scientifique et celles requises pour la recherche dans le domaine des arts semblaient si fondamentalement différentes au comité qu’il a estimé qu’une comparaison directe entre les candidates dans les deux domaines était presque impossible. Il est probable que les scientifiques qui choisissent le titulaire d’une bourse de recherche dans les sciences seraient enclins à décerner le prix sur des bases tout à fait différentes de celles que tiennent pour essentielles les experts en Arts, et vice-versa63. »
45Cependant, et malgré les critiques répétées du Comité, les bourses internationales financées par l’American Association of University Women ont continué à être indéterminées, poursuivant la logique du programme de bourses nationales.
46Pour l’attribution des bourses junior, le comité dépend en grande partie des rapports – confidentiels – reçus par les fédérations nationales, synthétisant le travail et les compétences des candidates. Celles qui souhaitent bénéficier d’une bourse senior sont en revanche évaluées sur la base de leurs travaux publiés. En fonction de leur spécialisation scientifique, leur candidature est soumise à l’analyse de deux experts, chargés de rédiger des rapports détaillés. Chacun des dossiers, comprenant le rapport d’expertise, est alors transmis aux membres du comité, lesquelles sont chargées, après examen comparatif des dossiers, de rendre la décision finale. Afin de simplifier le processus et d’éviter des complications et des frais engendrés par la circulation de toutes les candidatures auprès des membres du comité, il est décidé, à partir de 1927, que la présidente et la secrétaire procéderont à une première sélection des candidates. Seuls les dossiers retenant leur attention sont dupliqués et transmis aux jurés. En comparaison avec la fondation Rockefeller, dont les officiers et conseillers sont chargés de repérer les scientifiques prometteurs et de leur offrir un financement, les candidatures standardisées que promeut la FIFDU amènent à diminuer l’importance des contacts personnels et des réseaux d’influence dans le processus de récompense64. Une attention toute particulière est portée à cette standardisation des formulaires, de manière à faciliter leur évaluation, alors que les candidatures proviennent de contextes universitaires parfois très divers.
47Durant les quinze premières années de fonctionnement du programme de bourse, c’est la biochimiste anglaise Ida Smedley-Maclean qui préside à la fois le comité d’organisation de la collecte de fonds et le comité d’attribution des bourses. Sa nomination par le Conseil peut s’expliquer à la fois par sa réputation scientifique et la reconnaissance dont elle jouit mais aussi par son rôle dans la fondation de la British Federation of University Women en 1907, puis de la FIFDU. Aux côtés de Caroline Spurgeon et Winifred Cullis, elle a pris part à la promotion du projet lors de la tournée de 1919 aux États-Unis. Pendant la période de l’entre-deux-guerres, la Britannique s’investit dans le programme de bourses de la FIFDU, ayant personnellement fait l’expérience des opportunités qu’offrent de telles récompenses scientifiques. En 1910, elle est devenue en effet la première femme à obtenir l’une des bourses de recherche du programme Beit Memorial Fellowships for Medical Research, grâce à laquelle elle intègre le Lister Institute of Preventive Medecine de Londres, où elle a entrepris ses recherches sur les graisses et les acides gras65. La Britannique s’est alors émancipée du domaine de la chimie organique conventionnelle pour le champ en développement de la biochimie, ses travaux faisant d’elle l’une des pionnières dans cette discipline66. En 1913, elle a obtenu le prix Ellen Richards décerné par l’American Association of University Women, preuve de l’écho international que son œuvre a trouvé. Passée d’un environnement universitaire traditionnel, où l’enseignement prévaut sur la recherche, à un institut de recherche financé par le secteur privé – le Lister Institute –, Ida Smedley Maclean est à même de comprendre l’importance d’un système de bourses pour la recherche financé par des organismes privés, tels que le Beit Memorial Fellowship ou la FIFDU. C’est ce qu’elle souligne dans un discours à l’occasion du quatrième congrès de la FIFDU, à Amsterdam :
« Il y a de nombreuses années, j’ai reçu un prix de recherche américain, et cela m’a procuré un moment d’encouragement et de stimulation des plus exaltants. Le travail de recherche offre des moments où la joie que l’on ressent est comparable à celle des artistes, mais les moments sont rares et espacés. Il est merveilleusement stimulant de recevoir une marque d’appréciation et nous espérons pouvoir bientôt annoncer l’attribution de nos bourses67. »
48Le comité compte également d’autres femmes remarquables, à la fois pour leur carrière et leur expertise scientifiques et pour leur rôle au sein de la FIFDU. On retrouve des personnalités déjà évoquées dans les chapitres précédents, chacune représentant différents domaines de la recherche scientifique (dans l’acception large du terme), telles que la radiochimiste Ellen Gleditsch, la botaniste Johanna Westerdijk, la chimiste suisse Jeanne Eder, Winifred Cullis, professeure de physiologie, ou encore l’économiste allemande (et professeure) Elisabeth Altmann-Gottheiner68. En raison de la nature spécialisée et experte des travaux du comité, ses membres ne sont pas nommés par le conseil, mais choisis et invités par les membres du comité déjà installés à rejoindre leurs rangs.
49De manière similaire aux autres organismes de financement, une attention spéciale est accordée à la sélection des évaluatrices. Comme dans le cas de la Belgian American Educational Foundation, de la Fondation Rockefeller ou des Bourses Autour du Monde, les anciennes boursières sont invitées à mettre au service de la FIFDU leur expérience et leur expertise, en siégeant au comité d’attribution des bourses. Dès 1930, ainsi, l’archéologue suédoise Hanna Rydh, lauréate d’une bourse internationale offerte par la branche britannique en 1922 et grâce à laquelle elle poursuit ses recherches en France, devient membre du comité. La constitution des jurys chargés d’évaluer les candidatures pour les bourses senior est également strictement contrôlée : les branches nationales sont chargées de proposer les noms de « femmes de première classe […] devant être considérées comme étant du rang de professeur et devant avoir elles-mêmes entrepris des recherches » ou, pour reprendre les mots d’Ellen Gleditsch, des « expertes […] dont les capacités intellectuelles sont incontestables69 ». Le fait que le professorat ne constitue pas un facteur déterminant en soi pour la nomination des évaluatrices et expertes, rend compte de la situation des femmes dans le monde universitaire de l’époque. Dans de nombreux pays, elles n’ont pas encore accès aux postes de professeurs, bien qu’étant reconnues dans la communauté scientifique. Rappelons ainsi qu’Ellen Gleditsch, qui siège au comité depuis 1924, n’est élue professeure à l’université d’Oslo que cinq ans plus tard. Le caractère exclusivement féminin des membres du comité et des jurys participe à part entière de la promotion des femmes en tant qu’expertes, une expertise qui repose sur les compétences scientifiques plutôt que sur la position occupée dans le milieu universitaire. Dans le seul cas, toutefois, où aucune femme ne serait à même d’évaluer une candidature, l’avis d’un homme peut être requis. De fait, si l’expertise des femmes a la priorité, le recours à des experts hommes semble être régulier. La candidature de l’historienne de l’art allemande Adelheid Heimann à une bourse internationale en 1938, par exemple, est évaluée par le paléographe et historien de l’art britannique Francis Wormald, conservateur adjoint du département des manuscrits du British Museum.
50Accorder une bourse à un individu représente un réel investissement : financier, comme nous l’avons vu ; scientifique, en promouvant des individus prometteurs sur la base de leurs capacités intellectuelles et de leur projet de recherche ; mais aussi stratégique. La réputation et la légitimité de l’organisme de financement dépendent en effet grandement des résultats obtenus par les chercheurs. La mise en place de procédures d’évaluation, de sélection et de décision représente ainsi une étape indispensable pour assurer le bon fonctionnement d’un programme de financement, ainsi qu’un retour sur investissement. Par leur entreprise de définition de normes d’excellence, les responsables du programme de bourses de la FIFDU façonnent et promeuvent par ailleurs une identité scientifique, qu’il reste à aborder.
Façonner un idéal scientifique au féminin : analyse du processus d’allocation des bourses
51Dans le dernier temps de ce chapitre, il s’agit non seulement d’évaluer l’influence des organismes de financement sur l’activité scientifique, mais aussi d’interroger la manière dont se façonne, à travers l’établissement de critères et de normes et la sélection des meilleurs candidats, une figure idéale du (de la) scientifique. Bien que de nombreux programmes de bourses ne définissent pas le sexe comme un critère effectif de sélection, on a vu précédemment que cette question est loin d’être négligeable dans des programmes tels que celui de la Fondation Rockefeller. Quels sont les critères qui prévalent à la sélection des boursières de la FIFDU et quelle place occupent les catégories de sexe et de genre dans un programme exclusivement féminin ? Après être revenues sur la définition de l’idéal des boursières de la FIFDU à travers l’analyse du discours officiel, nous nous intéresserons au processus de sélection et de décision, en prêtant attention au vocabulaire utilisé, afin de tenter d’appréhender les normes et attentes, parfois implicites, en jeu. Dans un dernier temps, il s’agira d’interpréter le type de persona scientifique promu par la FIFDU au vu de l’objectif affiché par l’organisation : participer à la reconnaissance des femmes scientifiques.
The right sort of woman : définition de la boursière idéale
52Lors du lancement du programme de bourses en 1924, Virginia Gildersleeve insiste sur l’importance du choix du « type de femmes adéquates » auxquelles attribuer les bourses, « celles dont la promesse scientifique nécessit[e] la possibilité de poursuivre leurs études et dont les qualités personnelles fer[ont] les parfaites ambassadrices de la compréhension et de l’amitié internationales70 ». La détermination du profil idéal du boursier ou, ici, de la boursière, occupe une grande place dans les débats et discours des organismes de financement, surtout dans la période de fondation. Bien que cette figure idéale soit une construction de prime abord théorique, les critères et qualités discutés et établis permettent de mieux comprendre la vision du (de la) scientifique que les responsables façonnent et projettent, vision qui sert de base aux procédures pratiques d’évaluation, de sélection et d’allocation des bourses. Dans le cas de la FIFDU cette détermination est un enjeu d’autant plus crucial qu’il s’agit de fournir la preuve irréfutable que les femmes peuvent faire aussi bien que les hommes en matière de science. Les boursières de la FIFDU doivent par-là assumer une dimension supplémentaire spécifique : celle d’ambassadrices des femmes dans les communautés scientifiques et universitaires, tout en devenant des modèles à même d’inciter d’autres femmes à poursuivre une carrière dans les sciences.
53Selon Virginia Gildersleeve, les boursières doivent se démarquer en premier lieu par leurs compétences scientifiques. Dans leurs discussions, les responsables du programme de bourses de la FIFDU font référence à des bourses déjà existantes, qui servent d’inspiration ou au contraire de contre-exemples. Si les responsables peuvent s’appuyer sur leurs propres expériences, elles bénéficient de nombreuses informations concernant d’autres programmes de financement grâce à la collecte de renseignements mise en place au sein des branches nationales dès 1920. Il a été alors demandé à chacun des comités chargés des relations internationales de dresser l’inventaire des bourses nationales auxquelles les femmes peuvent postuler. Ces comités ont été également chargés de faire circuler auprès de candidates potentielles la liste des bourses offertes par des institutions étrangères. Si la question du financement de bourses propres à la FIFDU n’était pas encore envisagée, les comités nationaux ont été invités à lever des fonds, de manière à pouvoir couvrir « les frais de voyage des lauréates de bourses étrangères ou pour assister les étudiantes étrangères en cas d’urgence71 ».
54Dans l’une de ses allocutions lors du congrès d’Amsterdam en 1926, Ida Smedley Maclean compare différents programmes en fonction de leur figure idéale des boursiers selon leurs critères de sélection. Pour la directrice britannique, les bourses Rhodes (pour jeunes hommes venant d’Amérique ou des Dominions à Oxford) ou celles du Commonwealth (pour jeunes hommes et femmes britanniques gagnant les États-Unis) ne peuvent constituer un exemple pour la FIFDU, les qualités personnelles des candidats, « spécialement leur capacité à établir des contacts aisés et plaisants72 », occupant une place prépondérante par rapport à leurs qualités scientifiques. Les historiens Tamson Pietsch et Meng-Hsuan Chou soulignent bien que pour Cecil Rhodes, le fondateur du programme qui porte son nom, il s’agissait de sélectionner non pas des « rats de bibliothèque », expression que l’on retrouve dans les archives de l’organisation, mais des « dirigeants compétents », des leaders notamment caractérisés par leurs « qualités physiques et charismatiques73 ».
55En revanche, des programmes de bourses tels que ceux de la fondation Rockefeller ou du Beit Memorial Fellowships for Medical Research représentent, aux yeux d’Ida Smedley-Maclean, un exemple à suivre, les bourses étant, signale-t-elle, « attribuées presque entièrement sur la base des résultats scientifiques » des candidats74. De fait, et bien que la dimension internationaliste soit très présente dans la communication officielle de la fondation Rockefeller, à l’image de sa devise : « Promouvoir le bien-être de l’humanité à travers le monde75 », dans les échanges moins officiels au sein de la Fondation et avec les membres externes, les arguments scientifiques occupent une place prédominante. Le but principal de ces bourses était de promouvoir les scientifiques les plus prometteurs et de permettre aux jeunes chercheurs de poursuivre leurs travaux en les déchargeant de leurs tâches d’enseignement. L’ambition des responsables du programme de la FIFDU est bien de déterminer des critères de sélection aussi strictement scientifiques, de manière à pouvoir placer les hommes et les femmes sur un pied d’égalité. En faisant leurs des normes similaires à celles des programmes de type Rockefeller, et en l’affichant publiquement, elles cherchent dans le même temps à assurer la légitimité et la scientificité des bourses de la FIFDU et la reconnaissance scientifique des boursières, au-delà du cercle relativement limité de la FIFDU.
56Si le terme n’est jamais directement utilisé dans les Bulletins de la FIFDU ou les procès-verbaux des réunions du comité d’allocation des bourses, il semble bien que l’enjeu entourant la sélection des « meilleures » candidates possibles soit de distinguer les « vraies » scientifiques de celles qui relèveraient de la catégorie des « amateurs ». Alors que la professionnalisation de la science s’accompagne d’une disqualification des pratiques amateuristes au tournant du xxe siècle, c’est-à-dire d’une science pratiquée dans un cadre autre qu’universitaire, les femmes ont souvent fait l’expérience de ce que l’historienne Marilyn Bailey Ogilvie qualifie « d’amateurisme forcé » (obligatory amateurism76). N’ayant pas le droit ou l’opportunité d’accéder à des postes universitaires ou se trouvant limitées, en tant que chercheuses, à des positions subordonnées (au sein d’institutions scientifiques, en tant qu’épouse de scientifique ou se spécialisant dans des champs « féminins » et de fait moins reconnus), il a pu être plus difficile pour les femmes de se faire reconnaître comme des scientifiques professionnelles à part entière77. Les responsables du programme de bourses de la FIFDU affichent donc leur volonté d’évaluer les candidates sur de seuls critères scientifiques ou objectifs, dans une stratégie de distinction des femmes scientifiques d’avec l’univers des « amateurs ».
57Dans ce contexte, la place à accorder aux qualités sociales ou à la personnalité des candidates est sujette à débat, ce qui renvoie probablement à la crainte, chez les responsables du programme, de voir les lauréates réduites à des considérations non scientifiques. L’une des déléguées américaines, la professeure Agnes Low Rogers, déclare lors du congrès de 1926 que si « la sociabilité et le charme sont des qualités délicieuses », elles doivent demeurer « secondes » dans la procédure de sélection78. Dans le règlement officiel du programme de bourses, ce sont bien les qualités scientifiques qui priment. La sélection se fonde sur les critères suivants, dans l’ordre : « 1. Originalité et esprit d’initiative », « 2. puissance d’exposition », « 3. capacité de la candidate à faire de la recherche », et enfin « 4. qualification personnelle79 ». Bien qu’arrivant en dernier rang, cette « qualification personnelle » mérite l’attention. Il s’agit moins, au vu des explications des responsables du programme, de la personnalité des candidates que de leur dimension internationaliste. « Les boursières doivent être choisies non seulement pour leurs résultats universitaires, » peut-on lire dans les procès-verbaux du comité, « mais aussi pour leurs qualités personnelles qui leur permettent d’agir en tant qu’interprètes de la culture et de l’esprit de leur nation auprès d’autres pays […]80 ». Les lauréates du programme doivent être « qualifiées personnellement aussi bien qu’intellectuellement pour promouvoir les idéaux de la Fédération81 », d’une part, la promotion d’un esprit international et d’une amitié entre les femmes de différentes nations, de l’autre, la démonstration des capacités intellectuelles des femmes.
58L’attention aux qualités internationalistes des candidats est caractéristique des politiques de financement et de recrutement des scientifiques dans l’entre-deux-guerres. Comme le démontrent Pieter Huistra et Kaat Wils, les organismes de financement de la recherche tels que la Belgian American Education Foundation, construisent et diffusent un idéal du scientifique-ambassadeur, servant d’intermédiaire et de gage d’amitié entre le pays d’origine et le pays d’accueil. Le comité de sélection de l’organisation belgo-américaine prête ainsi une attention particulière aux traits de caractère des candidats, ces derniers devant être de bons représentants de leur pays et pouvoir s’adapter aux us et coutumes du pays d’accueil82. Cette vision du boursier comme ambassadeur s’inscrit par ailleurs dans une longue tradition, remontant au Grand Tour, qui, si elle essouffle quelque peu au cours du xviiie siècle « sous l’effet de la nationalisation et de la diversification des langues d’enseignement », reprend vigueur dans la seconde moitié xixe siècle, sous l’influence des États-nations qui perçoivent à nouveau « le rôle que pouvait jouer la mobilité étudiante dans la diplomatie culturelle83 ». La figure idéale du boursier, et de la boursière, correspond à celle d’un passeur entre les cultures, dans l’acception large du terme :
« L’un des principaux objectifs de la Fédération internationale des femmes universitaires était de promouvoir l’amitié et la compréhension entre les nations du monde, et l’une des méthodes implicites adoptées à cette fin était de choisir une femme très distinguée et de l’envoyer travailler dans un autre pays. Après un certain temps, on espérait que les habitants du pays visité seraient amenés à penser : “Comme cette personne est agréable et donc comme les gens de son pays doivent être agréables ! Comme nous dans tous les domaines qui comptent !”84. »
59Caroline Spurgeon déclarait déjà en 1924 : « Lors du choix d’une boursière, on veillera à choisir quelqu’un qui ait une bonne personnalité, un bon cerveau et une bonne formation nationale, afin qu’elle représente de manière très séduisante les qualités de sa propre nation85. »
60L’importance accordée à la dimension internationaliste diffère cependant selon que l’on aborde le discours officiel tel que l’affichent les Bulletins de l’organisation, ou bien les discussions rapportées dans les comptes rendus du comité d’allocation des bourses. Lors de la réunion de ce comité à Paris en 1929, des membres de l’Association française des femmes diplômées des universités proposent de modifier le règlement d’attribution des bourses afin de « veiller à ce que les bourses remplissent plus pleinement l’une de leurs fonctions, celle du développement de l’esprit international ». Pour ce faire, il est souhaité que les boursières « soient tenues d’écrire un rapport sur certains aspects de la vie sociale, intellectuelle ou artistique du pays dans lequel elles ont séjourné dans le cadre de la bourse », de manière à prouver qu’elles se sont vraiment efforcées de « connaître et comprendre » ce pays86. Cette proposition n’est pas sans rappeler les exigences de la Belgian American Educational Foundation ou encore les critères statutaires du programme de Bourses Autour du Monde d’Albert Kahn, qui encouragent les boursiers à comparer, dans leurs rapports, « les mœurs et institutions politiques, religieuses, sociales et économiques » de la France et des pays visités87. La branche française connaît bien ces Bourses Autour du Monde, alors réputées : l’une de ses fondatrices, Anne Amieux, en a été la bénéficiaire en 1905. La proposition n’est cependant pas retenue par le comité de la FIFDU, qui se refuse à rendre un tel rapport obligatoire et réaffirme la primauté des critères scientifiques dans les procédures de sélection. On aperçoit bien ici la tension entre deux logiques à l’œuvre au sein de l’organisation, l’une que l’on pourrait qualifier de plutôt « Société des Nations », l’autre qui poursuit clairement la visée d’un féminisme scientifique tout en affichant son internationalisme.
61Ces considérations sur ce que doit être une boursière de la FIFDU et sur les critères d’évaluation et de sélection des candidates restent toutefois théoriques. Qu’est-ce qui fait, aux yeux des examinatrices, qu’un sujet de recherche est meilleur qu’un autre, ou qu’une candidate est perçue comme plus à même de servir d’ambassadrice entre deux pays ? C’est ce que peuvent nous apprendre les archives du comité d’attribution des bourses, plus confidentielles et donc plus instructives que les considérations publiées dans les Bulletins.
Analyse des procédures d’évaluation, de sélection et d’attribution des bourses
62La responsabilité de l’attribution des bourses revient au comité ad hoc, qui se réunit une fois par an afin d’évaluer les candidates sélectionnées par les branches nationales sur la base des rapports fournis par divers experts. Les procès-verbaux du comité ont été conservés dans les archives centrales de l’organisation et constituent la source principale, les rapports des branches nationales et des experts n’ayant pas été conservés88. Ces documents se présentent sous une forme standardisée : lieu et date de la réunion, noms des présents. Le compte-rendu de la réunion de l’année précédente est signé, les questions et débats relatifs au programme de bourses, tel le mode de financement, les informations concernant les carrières des anciennes lauréates ou encore les changements de critères, sont retranscrits. L’essentiel est consacré à l’évaluation des candidatures. Pour chaque type de bourse décernée par la FIFDU – ou par l’une de ses branches à la condition que cette bourse soit ouverte à toutes –, on trouve les listes de candidates présélectionnées au niveau national, avec leurs nom, prénom, nationalité, titre universitaire, discipline scientifique de spécialisation. À côté de chaque nom figure un résumé de l’évaluation de la candidature rédigé par un ou plusieurs membres du comité international d’attribution et/ou un expert. Si ces résumés sont nécessairement moins détaillés que les rapports – qui n’ont pas été conservés –, ils introduisent des éléments de comparaison entre les candidates, ce qui permet de procéder à une première élimination. Les candidatures restantes sont à nouveau mises en concurrence, avant que ne soit choisie la lauréate.
63Bien que ces rapports soient de nature confidentielle, dans le sens où ils ne sont pas rendus publics, ils conservent un aspect très formel, ce qui peut donner à penser que les membres du comité étaient conscientes d’être en train « d’écrire l’histoire » et ont pris un soin particulier à mobiliser des termes pesés et réfléchis. Les archives d’autres organismes de financement, comme celles de la Belgian American Educational Foundation, sont parfois de nature moins formelle et peuvent paraître plus subjectives que celle de la FIFDU, mais cela reflète très probablement l’ambition des membres du comité de la FIFDU de paraître totalement objectives. En effet, comme le note Élisabeth Crawford dans le cas de l’attribution des prix Nobels, la mise en scène de la procédure de sélection permet de justifier rétroactivement le bien-fondé d’un choix nécessaire, puisqu’il y a plus de candidats et candidates que de postes à pourvoir ou, pour reprendre ses mots, « de produire une justification du choix final » ou une « validation après coup du “bon choix”89 ». En l’absence d’opposition nette ou de conflit entre membres dans le processus de décision, c’est une forme de consensus qui est projetée, permettant de souligner l’aspect rationnel, objectif et incontestable de la décision.
64Tout en gardant ces considérations à l’esprit, on peut attendre de ces comptes rendus une approche plus fine des pratiques et modes de sélection mobilisés par le comité d’attribution des bourses. Pour ce faire, nous avons retranscrit dans une base de données les informations sur les 350 candidates entre 1924 et 1939, ainsi que les résumés des rapports d’évaluation contenus dans les archives du comité, et en précisant, lorsqu’ils sont indiqués, les noms de la ou des rapporteuses. À partir de cette base de données, nous avons procédé à une analyse quantitative et qualitative, en prêtant attention au choix, à la fréquence et aux occurrences du vocabulaire utilisé par les évaluatrices et les membres du comité. Grâce à cette forme de statistique textuelle, nous avons cherché à mieux comprendre les normes et les critères, parfois implicites ou absents des textes officiels, afin d’approcher au plus près le type de persona(e) scientifique et d’habitus promus à travers les procédures de sélection. Afin de déterminer ce qui est considéré comme des composantes importantes du capital scientifique, pour reprendre le concept de Pierre Bourdieu, nous avons réparti les mots et expressions en trois catégories. Une première se concentre sur la production scientifique (recherche déjà produite et nouveau projet de recherche), les deux autres sur le profil de la candidate, en distinguant les qualités intellectuelles et scientifiques d’une part, et celles relevant de la personnalité, de l’autre. Le tableau ci-dessous résume les résultats de l’enquête ; il montre clairement que les considérations d’ordre scientifique et intellectuel (53 % des occurrences) revêtent une importance majeure dans les procédures d’évaluation et de sélection des candidates, même si la qualité de la recherche (43 % des occurrences) est évidemment prise en considération.
65Alors que depuis la fin du xixe siècle, l’idée de la science comme processus ou effort collectif commence à s’imposer, l’identité individuelle des scientifiques est au cœur des procédures d’évaluation et de sélection de la FIFDU. Du reste, les divers programmes de bourses mettent tous l’accent sur les individus plutôt que sur l’impact de la recherche pour le « progrès » scientifique. Kirsti Niskanen note ainsi que l’ambition principale du programme de la Fondation Rockefeller est de développer une élite scientifique, la priorité étant donnée au développement personnel des chercheurs90. Si le projet de recherche compte, à l’évidence, on vise surtout à assurer des possibilités de carrière à la personne qui le présente. Ce système moderne de bourses se distingue ainsi de celui des prix scientifiques : les comités de sélection pour un prix Nobel, par exemple, fondent leur choix en fonction du mérite scientifique des candidats mais se prononcent également, en accord avec les critères définis dans le testament d’Alfred Nobel, à la condition que l’œuvre, la découverte ou l’invention du candidat aient « rendu les plus grands services à l’humanité91 ».
Tableau 1. – Occurrences des expressions utilisées par le comité d’attribution des bourses lors de l’évaluation finale des candidates (1924-1939).

66La récurrence d’adjectifs tels que « excellente », « brillante », « éminente » ou encore « experte », pour décrire les candidates – qu’ils soient employés de manière positive ou négative – met en avant une forme d’élitisme assumé. Alors qu’à de nombreuses reprises le comité de sélection souligne le nombre important de femmes jugées de « premier rang » du point de vue intellectuel, il regrette de devoir rejeter autant de candidatures remarquables, de par le manque de ressources financières92. En un peu plus de dix ans, le comité a reçu près de 350 candidatures, qui ont déjà fait l’objet d’une évaluation au niveau national, pour une cinquantaine de bourses offertes, soit un taux de réussite de 14 %93. En 1929, il se propose de rédiger un texte dans lequel il rappellerait « l’excellente qualité des travaux présentés par les nombreuses candidates dont les candidatures ont été examinées et rejetées à regret à cause du manque de fonds94 ». Si cette constatation s’appuie sur des chiffres réels, elle vise également à faire affluer des fonds supplémentaires et à souligner le nombre de femmes scientifiques compétentes qui restent, de ce fait, en attente d’une reconnaissance. À l’inverse, il est arrivé, dans de rares cas, qu’aucune des candidates n’ait été jugée au niveau des attentes et des critères d’excellence, et que la bourse n’ait donc pas été attribuée. En 1927, par exemple, l’octroi de la bourse internationale offerte par la branche australienne à une candidate non-britannique est reporté, le comité d’attribution des bourses de la FIFDU ne jugeant pas les candidates à la hauteur « des standards » scientifiques de l’organisation ; l’une d’entre elles a même été éliminée d’office, pour ne compter aucune publication à son actif95.
67La question des publications scientifiques occupe en effet une place cruciale dans la procédure d’évaluation, dont elle constitue l’un des critères de référence, comme on peut le voir dans le tableau ci-dessus. Non seulement les candidates dépourvues de telles publications étaient directement éliminées, mais la réputation de la revue concernée, la langue ou le style d’écriture étaient pris en compte par les évaluatrices. Lors de la réunion du comité en 1932, une candidate est ainsi éliminée, parce qu’elle n’a « auparavant publié qu’une seule lettre dans Nature », tandis que la physicienne autrichienne Marietta Blau se voit attribuer la bourse, en raison de ses « nombreuses publications apportant la preuve de sa capacité à poursuivre de manière indépendante des travaux de recherches96 ».
68L’attention accordée aux publications des candidates n’est pas surprenante. L’un des traits caractéristiques de la persona scientifique depuis la période moderne correspond à la notion anglaise d’authorship, que l’on peut rendre en français par le terme à la forte connotation genrée de paternité de l’œuvre ou propriété intellectuelle. Signer un article de son nom permet de revendiquer la paternité d’un travail scientifique et de le faire de manière publique, de manière à être reconnu par la communauté scientifique, de « se faire un nom » comme le montrait déjà Bourdieu97. L’enjeu est d’autant plus fort pour des femmes longtemps restées à l’écart de la possibilité de publier98. Au tournant du xxe siècle, la réputation et la reconnaissance scientifique d’un scientifique deviennent de plus en plus dépendantes de ses publications et les procédures de sélection au sein des sociétés savantes ou pour un poste universitaire s’opèrent sur la base des publications ainsi que de la réputation du journal qui les accueille99. La professionnalisation de la science entraînant une intensification de la concurrence, l’authorship scientifique est alors établie comme norme d’évaluation incontournable et l’une des marques principales de la persona scientifique moderne, toujours en vigueur aujourd’hui. La qualité des publications, les revues dans lesquelles elles sont effectuées, mais aussi le style d’écriture s’imposent comme des critères de scientificité permettant de différencier les scientifiques professionnels des amateurs – un enjeu dont les membres du comité d’attribution des bourses sont bien conscientes, on l’a vu100. En 1935, par exemple, le comité de sélection rejette une candidature sur la base du style de la postulante : il est jugé « d’un ton journalistique et ne pouva[n]t être considéré comme vraiment scientifique » tandis qu’en 1937, les publications d’une autre candidate sont jugées d’un type « féministe et journalistique » et « pas à la hauteur des exigences scientifiques101 ».
69Si la littérature portant sur l’édition et les journaux scientifiques ne traite pas vraiment des questions de genre, on peut se demander dans quelle mesure les modalités de publication d’articles scientifiques dans les revues spécialisées n’étaient pas tout aussi biaisées que celles relatives à l’attribution des bourses ou aux nominations à des postes universitaires. En effet, le système de peer review ou comité de lecture dans les journaux scientifiques, destiné à sélectionner les articles pour une publication, ne comprenait souvent à l’époque aucune clause d’anonymisation des auteurs, ce qui laissait la porte ouverte à de possibles pratiques discriminatoires relatives au genre102. Remarquant que, de manière quasi systématique, les noms des femmes auteures ont été omis ou relégués en note de bas de page dans les articles scientifiques, Emilia Huerta-Sanchez et Rori Rohlfs soutiennent en outre que ce critère d’authorship a joué un rôle très important dans le manque de reconnaissance, voire l’invisibilité des femmes en science au cours de l’histoire103.
70De manière générale, la subordination des femmes scientifiques, considérées comme amatrices ou assistantes, a contribué à réduire les possibilités pour les femmes de se faire un nom en science et d’être visibles au sein de la communauté scientifique et universitaire. C’est peut-être pour cela que les membres du comité d’attribution des bourses évoquent à de nombreuses reprises la capacité des candidates à travailler de manière indépendante ou à faire preuve d’indépendance intellectuelle et d’initiative. En 1934, trois candidates à la bourse internationale américaine Crusade sont éliminées, deux pour absence de travaux indépendants, la troisième parce que les experts estiment qu’elle « ne possède pas assez d’initiative pour mener des recherches indépendantes104 ». Il serait intéressant de voir si ce critère d’indépendance était utilisé par d’autres organismes de financement, notamment à propos de candidats de sexe masculin. Il reste évident que pour les membres de la FIFDU cette question est importante. L’une des membres du comité, Lise Meitner, en fait personnellement la douloureuse expérience quelques années plus tard : son collègue Otto Hahn est le seul à être récompensé d’un prix Nobel en 1944 pour leurs travaux conjoints sur la fission nucléaire ; et alors même qu’elle est professeure d’université, Hahn la désigne comme étant sa Mitarbeiter, c’est-à-dire sa subordonnée105.
71Comme avancé plus haut, les comités de la FIFDU ne prennent quasiment jamais en compte la personnalité ou le caractère des candidates. Dans un rapport confidentiel, Ellis Fermor, membre du comité de sélection des bourses de la British Federation of University Women, écrit à propos de la candidature d’une certaine Laura Madeline Budden à la bourse internationale américaine AAUW Crusade : « C’est apparemment une bonne personne et un cas méritant mais je pense que nous avons raison de demander un minimum indiscutable de qualification universitaire, et cela, elle ne l’a pas106. » Dans les rares cas où la personnalité est mentionnée dans les comptes rendus officiels, c’est en dernier recours, afin de départager deux candidates qui démontrent des qualités et compétences scientifiques de niveau équivalent. C’est alors du point de vue du caractère ou de l’attitude internationaliste que se fait la sélection finale. En 1930, par exemple, le comité choisit d’attribuer la bourse à Margaretha Mes face à Berta Karlik, justifiant son choix par le fait que la première, une Sud-Africaine, « semblait admirablement adaptée d’un point de vue personnel pour séjourner dans un pays étranger107 ». Karlik est cependant recommandée pour une bourse Crosby Hall Residential, attribuée par la British Federation of University Women à des chercheuses souhaitant venir étudier en Angleterre ; elle gagne Londres et y suit des cours de cristallographie du professeur Sir William Bragg ; après un passage à Paris où elle rencontre Marie Curie, elle rentre à Vienne en 1931 et travaille pour l’institut du Radium, avant de devenir, en 1956, la première femme professeure de l’université de Vienne108. De manière similaire, l’Allemande Gertrud Kornfeld échoue en 1934 face à sa compatriote Emmy Klieneberger – toutes deux, par ailleurs, sont juives –, car bien qu’elle ait présenté « un excellent travail scientifique », les évaluatrices ont estimé qu’elle était « personnellement moins apte à promouvoir la compréhension internationale que le Dr Klieneberger109 ». Il demeure néanmoins difficile, à partir des documents du comité d’attribution des bourses, de cerner les éléments qui, aux yeux de ses membres, ont pu rendre une candidate plus internationale ou internationaliste qu’une autre.
Une persona scientifique désincarnée ?
72Alors que pour certains historiens, dont Herman Paul, le concept de persona scientifique renvoie à des « ensembles de vertus et de compétences » définissant « ce qu’il faut pour être un chercheur110 », d’autres mettent en avant la dimension performative de la persona. Mineke Bosch insiste sur l’importance de l’embodiment (que l’on peut traduire par incarnation) de l’identité scientifique, et invite, dans les réflexions sur la formation de personae scientifiques, à prendre en compte des « aspects plus larges de l’identité sociale111 » de l’individu concerné. L’historienne s’inspire notamment des travaux de Steven Shapin qui étudie, dans son ouvrage A Social History of Truth, « les relations entre l’identité des individus et la crédibilité de leurs affirmations112 » et, à travers l’exemple du physicien Robert Boyle (1627-1691), analyse la manière dont une identité est incarnée par un individu. La crédibilité et l’autorité scientifiques, selon Shapin, ne dépendent pas seulement de critères renvoyant à des qualités intellectuelles ou scientifiques, mais relèvent aussi d’éléments extérieurs et a priori non directement scientifiques, tels « la classe, le sexe, l’âge, la race, la religion, la nationalité » de l’individu, la réputation de ses amis ou celle de « la plateforme à partir de laquelle il s’exprime113 » (journaux scientifiques, sociétés savantes, etc.). Si les personae scientifiques sont toujours des identités incarnées, il est intéressant de noter l’absence de telles considérations dans les comptes rendus d’évaluations du comité d’attribution de bourses de la FIFDU. Pourtant, le sexe (féminin) des candidates, et pour cause, est la première des conditions d’éligibilité au programme de financement de la FIFDU.
73Comme on l’a vu dans les chapitres précédents, les questions concernant le lien entre science et féminité sont largement débattues au cours des congrès internationaux, les membres de la FIFDU se positionnant clairement pour une conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Si la situation personnelle, maritale ou familiale des candidates n’est jamais mentionnée dans les comptes rendus d’évaluation, ces catégories font pourtant partie du formulaire de candidature à remplir. Après le nom, l’adresse, l’année et le lieu de naissance et la nationalité, figure la question « Are you married? », ce qui suffit à dire combien le statut marital des candidates a son importance. Cette préoccupation n’est du reste pas propre à la FIFDU et se retrouve dans les procédures d’autres organismes d’attribution de bourses. La Fondation Rockefeller insiste ainsi sur le développement personnel et l’aptitude à diriger (leadership), mais aussi sur l’idée que les boursiers doivent se dévouer complètement à la recherche, sans rien qui puisse les en distraire114. Cette dernière dimension se retrouve dans la politique familiale soutenue par l’organisation américaine, qui tend à favoriser les jeunes scientifiques non mariés. Dans le cas d’un lauréat marié, il lui est fortement conseillé de laisser sa famille dans son pays et de partir seul à l’étranger, le temps de la bourse. S’il existe une aide de 200 dollars par année pour un boursier emmenant sa famille avec lui, la présence de l’épouse, en particulier de la femme au foyer qui ne maîtriserait pas la langue anglaise, est perçue par la Fondation Rockefeller comme un frein à l’intégration et à la socialisation au sein de la société américaine. L’épouse ayant un bagage académique, en revanche, est vue comme un atout, puisqu’elle peut assister son mari dans sa recherche.
74Alors qu’il est culturellement plus facile pour les hommes de se détacher de leur conjointe et de leur famille le temps de la bourse – qui requiert un séjour à l’étranger –, cela constitue un nouvel obstacle pour les femmes et leur accès à ces bourses. De manière remarquable, la plupart des membres du comité de sélection de la FIFDU, à l’exception d’Ida Smedley Maclean, qui est mariée et a deux enfants, sont célibataires. Dans le Bulletin publié à la suite du congrès de 1926, Ellen Gleditsch, alors présidente, conseille à demi-mot le célibat pour des femmes voulant se consacrer à la recherche scientifique ; et elle reprend l’idée culturellement établie de la séparation des sphères :
« Une femme qui souhaite faire de la recherche doit d’abord concilier son travail professionnel, qui est son moyen de subsistance, avec son travail de recherche, puis elle doit les coordonner avec ses intérêts féminins. La recherche exige d’abord et avant tout une atmosphère tranquille, l’opportunité de réfléchir en paix et sérénité et de pouvoir se concentrer sur un problème particulier. Les soucis matériels, les préoccupations à propos d’un mari et des enfants laissés à la maison sans aide ou soins adéquats, tueront toutes les chances de produire un travail de premier plan115. »
75Alors que le voyage féminin aux xviiie et xixe siècles était largement encadré, notamment par la présence d’un accompagnant, qu’il s’agisse de « maris, pères, guides ou chaperons116 », les programmes de bourses ouverts aux femmes leur offrent la possibilité de voyager seules. Cette dimension n’est pas anodine, notamment pour une organisation féminine telle que la FIFDU : cela permet d’assurer l’indépendance, intellectuelle, des boursières, à une époque où nombre de femmes en science, on l’a vu, voient leurs recherches attribués à des hommes, qu’ils soient leur mari ou leurs collègues. Être célibataire, en tant que boursière, représente ainsi aux yeux du comité d’allocation des bourses une réelle opportunité, pour mener à bien ses recherches mais aussi pour être reconnue comme une scientifique à part entière.
76Il demeure difficile de comprendre dans quelle mesure la situation maritale des candidates a eu une influence dans le choix final des évaluatrices, la grande majorité des dossiers, notamment de celles qui ont échoué, n’ayant pas été conservés. L’étude prosopographique des boursières présentée dans le chapitre suivant tend à montrer que la majorité de celles pour lesquelles les données sont accessibles étaient célibataires lors de l’attribution de la bourse. Il ne semble pas que les femmes mariées aient fait l’objet de discriminations en tant que telles, mais contrairement aux politiques de la fondation Rockefeller, il n’existe à la FIFDU aucune disposition visant à les aider. De même, la situation sociale personnelle des candidates n’est pas prise en compte par le comité, ou du moins cela n’est pas mentionné dans les comptes-rendus de ses délibérations. Lors de la réunion de 1935, après avoir reçu deux lettres de proches de candidates mettant en avant leur situation personnelle, dans l’espoir de renforcer leurs chances, les membres du comité s’accordent à marquer que « la bourse doit être accordée uniquement en fonction du mérite universitaire et sans tenir compte des circonstances économiques ou d’autres circonstances personnelles des candidates117 ».
77Il reste à aborder une tout autre question : celle des apparences. On sait que Marie Curie et d’autres avec elle, privilégiaient le port de la blouse de laboratoire, au titre d’une sorte d’uniforme scientifique qui permettait de « neutraliser » les corps. Comme on l’a vu dans notre étude des congrès de la FIFDU, les university women sont bien averties de l’importance des apparences, à l’instar de la plupart des responsables d’organismes de subventions scientifiques. Le comité de sélection de la Belgian American Educational Foundation, par exemple, n’hésite pas à mentionner le « charme » ou la « personnalité agréable » des candidates118. L’absence de remarques de ce genre, dans les dossiers du comité de la FIFDU, peut être vue comme une volonté délibérée d’écarter cet aspect afin de déconstruire les préjugés (et discriminations) liés au genre des scientifiques. Il semble bien que le comité ait tenu à se mouvoir dans des cadres très rigoureux, de manière à assurer la crédibilité de ses lauréates.
78Lors des entretiens avec les candidates en amont de la sélection officielle, il semble cependant que ces caractéristiques n’aient pas été absentes. Le résumé de l’entretien mené par un chercheur du département de biochimie de l’université de Chicago auprès de Birgit Vennesland, candidate à une bourse AAUW Crusade en 1939, est reproduit ci-dessous :
Fig. 16. – Notes prises lors de l’entretien avec Birgit Vennesland, candidate à la bourse AAUW Crusade (1939).

Source : Archives AAUW.
79Comme on peut le voir, la première catégorie rend compte de l’apparence et de l’impression donnée par la candidate. Si « alerte » et « intelligente » renvoient aux aptitudes intellectuelles, son apparence physique et vestimentaire est également commentée, sans que cela ait un rapport direct avec les conditions d’éligibilité à la bourse. La partie la plus développée porte toutefois sur les qualités proprement intellectuelles de Birgit Vennesland, qui est décrite comme une chercheuse de premier rang et dont la promesse tient à son « originalité », son « esprit critique » et l’« extraordinaire maîtrise de son champ d’étude ». La catégorie de genre n’est pas absente : l’évaluateur insiste sur le fait qu’elle s’est imposée dans un domaine presque exclusivement masculin (la biochimie).
80L’analyse de lettres de recommandation jointes aux dossiers de candidature confirme l’attention réservée aux considérations touchant à la personnalité et à l’apparence des candidates. Émanant de professeurs d’université et d’autorités reconnues dans le domaine de spécialisation de la postulante, souvent des hommes, ces lettres donnent à voir le déploiement d’un langage fortement genré. Ainsi le professeur Felix Kaufmann conclut-il au moment de soutenir la candidature de l’une de ses anciennes étudiantes, Herta Leng (1903-1997), candidate à une bourse de la FIFDU en 1940, en mettant en avant des qualités extra-universitaires :
« Mlle Leng est l’une des femmes les plus admirables que j’aie jamais rencontrée dans ma vie. Sa gentillesse et sa bonté d’âme qui trouvent une expression vivante dans tout son comportement lui donnent un charme spirituel qui lui permet de se faire aimer partout119. »
81Un autre professeur de Vienne, Hans Schiller, souligne également les « talents exceptionnels en physique » d’Herta Leng, ainsi que « sa diligence et sa conscience professionnelle », avant d’ajouter que son extrême valeur ne se limite pas au plan scientifique. « En raison de sa gentillesse, de sa modestie et de son empressement à aider, elle était l’une des membres les plus populaires du département, » écrit Schiller, qui recommande Leng « à tous les égards, en raison de ses compétences scientifiques aussi bien que de son caractère droit120. » Les adjectifs mis en avant pour décrire la personnalité des candidates sont ainsi loin d’être neutres. En faisant mention de leurs bonnes manières ou de leur attitude charmante, de leur diligence ou encore de leur modestie comme dans le cas d’Herta Leng, les auteurs des lettres de recommandation projettent une image et un idéal fortement genrés des femmes scientifiques. Dans leur étude sur la Belgian American Educational Foundation, Pieter Huistra et Kaat Wils s’attachent à montrer, à partir de l’analyse attentive des lettres de recommandation, que différents éléments sont mis en valeur en fonction du sexe du candidat. Si, pour les hommes, l’accent est mis sur des qualités « masculines », telles que la persévérance et la volonté, pour les femmes il s’agit du sérieux et des résultats obtenus comme si ces éléments étaient « évidents » dans le cas des candidatures masculines121.
82Les responsables ne sont pas seulement attentives à contrer la marginalisation « hiérarchique » ou verticale des femmes, mais aussi le second type de discrimination identifié par Rossiter, « territoriale » ou horizontale, correspondant à la « faible visibilité accordée au “travail des femmes” dans les sciences et le peu de prestige conféré aux domaines dans lesquels les femmes étaient en nombre prédominant122 ». Le type de science ainsi que les champs de recherche favorisés par la FIFDU s’inscrivent dans cette démarche. Le comité d’attribution de bourses favorise par exemple la « recherche pure », en opposition à la science appliquée, dans une stratégie visant à permettre aux femmes d’être reconnues comme de véritables scientifiques. Lors de la réunion du comité en 1938, il est convenu que les bourses de la FIFDU :
« devraient être décernées de manière à contribuer le plus possible au développement des femmes chercheurs et au développement de leurs domaines d’études respectifs, et que le Comité devrait toujours examiner attentivement, non seulement quelle différence l’allocation ferait dans la vie d’une candidate, mais aussi quelle différence la reconnaissance présente et le travail futur d’une candidate pourraient produire dans la situation des femmes scientifiques et dans l’avancement des études en général dans son pays123 ».
83Cette année-là, la bourse est attribuée à l’Indienne Kamala Bhagvat, les membres du comité la jugeant comme « la meilleure des candidates restantes à la lumière des sujets choisis pour la recherche et de l’importance des contributions que les candidates étaient susceptibles d’apporter dans l’avenir au développement scientifique de leur propre pays124 ».
84Notons toutefois que les membres du comité semblent être conscientes du fait que l’élitisme assumé des procédures d’allocation des bourses puissent désavantager les candidates originaires de pays où les femmes ne bénéficient pas des mêmes opportunités en termes d’éducation ou de recherche que leurs consœurs. En 1938, en réponse aux demandes des fédérations de l’Inde et du Brésil, une bourse « spéciale » est mise en place, de manière à permettre aux pays n’ayant jamais eu de candidates retenues pour l’une des bourses de bénéficier d’une aide de la FIFDU. Comme on peut le lire dans le compte rendu du Comité, « la bourse spéciale a été conçue pour aider les femmes des pays les plus pauvres, où elles avaient peu de chances de réussir leurs études125 ». La biochimiste bulgare Vera Paroskova devient la première lauréate de cette bourse spéciale, les évaluatrices estimant qu’une « période d’études à l’étranger pourrait lui permettre d’assumer un leadership dans son propre pays dans un domaine scientifique qui y a connu un développement limité126 ».
⁂
85Alors que l’idéal-type scientifique construit dans les discours de l’organisation s’inscrit dans une démarche à la fois scientifique et internationaliste, la persona façonnée au cours de la procédure d’évaluation et de sélection des boursières de la FIFDU repose sur des considérations de nature quasi exclusivement scientifiques. En sélectionnant les boursières de la manière la plus rigoureuse possible, sur la seule base de leurs capacités intellectuelles et de leurs recherches, les responsables mettent en avant la dimension à la fois élitiste et méritocratique du système de bourses de la FIFDU. Il s’agit pour elles de placer les lauréates sur un pied d’égalité avec les boursiers et boursières d’autres organismes de subventions reconnus dans le champ scientifique. En occultant de manière consciente des considérations d’une autre nature, tels que les traits de personnalité, la situation personnelle ou encore l’apparence des candidates, les responsables du programme espèrent dépasser les préjugés qui entravent la reconnaissance des femmes scientifiques. Si elles reprennent les critères supposément employés par les organismes de financement les plus prestigieux, telle la Fondation Rockefeller, elles contribuent à en promouvoir une version presque désincarnée, sans marqueurs de sexes ou de genre, un type de persona universel visant à permettre aux femmes de s’approprier les traits de la persona scientifique dominante de l’époque. Ce faisant, du reste, les university women ne contestent nullement le système existant et les inégalités qu’il produit, mais cherchent seulement à éradiquer les effets pervers produits par les catégories de genre et de sexe dans la définition de l’élite scientifique. Et l’on peut dès lors se demander dans quelle mesure la dimension méritocratique de la sélection mise en œuvre par les comités de la FIFDU ne reproduit pas d’autres privilèges existants. Comme l’a montré Bourdieu, bien des éléments entrent dans la constitution du capital scientifique, tels que la réputation de l’université dans laquelle un chercheur mène ses études et ses recherches, celle des professeurs qui le recommandent ou encore du journal dans lequel ses articles sont publiés127. Cette accumulation d’avantages est généralement liée, de surcroît, à des paramètres de nature socio-économique et culturelle. L’étude prosopographique des lauréates devrait permettre d’aborder ces questions.
Notes de bas de page
1Archive IFUW, inv. no 71 : Bulletins (Bluebooks), 4th Conference, Amsterdam, Pays-Bas, 1926, p. 28-29 : Virginia Gildersleeve, « The second and the greatest need of the university and professional women of the world at this moment is that they – or at least many of them – should achieve work of absolutely first rate quality, of distinction; work for which no apologies or explanations are necessary, work of which the world may say – not: “How excellent for a woman”, but merely : “How excellent !”. »
2Ibid., p. 29 : « Let us produce so much scholarly work of real distinction that no one will any longer dream of discussing whether women should occupy university professorships. And similarly in other fields. »
3Cabanel Anna, « “How Excellent… for a Woman?” The Fellowship Programme of the International Federation of University Women in the Interwar Period », Persona Studies, no 1, 2018/4, p. 88-102.
4Ibid., p. 29 : « our vital and urgent need at the moment ».
5Rossiter Margaret, Women Scientists in America, op. cit., p. 315-316.
6Voir notamment Paul Herman, « Sources of the Self: Scholarly Personae as Repertoires of Scholarly Selfhood », BMGN – Low Countries Historical Review, no 4, 2016/131, p. 135-154 ; Huistra Pieter et Wils Kaat, « “Fit to Travel”: The Exchange Programme of the Belgian American Educational Foundation: An Institutional Perspective on Scientific Persona Formation (1920-1940) », BMGN – Low Countries Historical Review, no 4, 2016/131, p. 114.
7Paul Herman, « Introduction: Repertoires and Performances », art. cité, p. 4.
8Roche Daniel, Le siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1680-1789, Paris/La Haye, Mouton, 1978.
9Ornstein Martha, The Role of the Scientific Societies in the Seventeenth Century, Chicago, University of Chicago Press, 1913, p. 301. Citée par Carolino Luís Miguel, « Science, Patronage and Academies in Early Seventeenth-Century Portugal: The Scientific Academy of the Nobleman and University Professor André de Almada », History of Science, no 2, 2016/54, p. 108 : « The societies concentrated groups of scientists at one place, performed experiments and investigations impossible to individual effort, encouraged individual scientists and gave them both opportunity and leisure, often through financial support, for scientific work. »
10Dans son ouvrage, Daniel Roche mène une enquête sur l’influence des prix et concours académiques en partant de la perspective des lauréats, et en éclairant la manière dont leur vie et leur carrière changeaient après avoir remporté un concours : Roche Daniel, Le siècle des Lumières en province, op. cit., p. 325. Sur la question des concours académiques, voir notamment Caradonna L. Jeremy, The Enlightenment in Practice: Academic Prize Contexts and Intellectual Culture in France, 1670-1794, Ithaca (NY), Cornell University Press, 2012 et id., « Prendre part au siècle des Lumières. Le concours académique et la culture intellectuelle au xviiie siècle », Annales. Histoire, sciences sociales, no 3, 2009/64, p. 633-662.
11Caradonna L. Jeremy, « Prendre part au siècle des Lumières », art. cité, p. 636.
12Crawford Elisabeth, La fondation des prix Nobel scientifiques 1901-1915, Paris, Belin, 1988, p. 8.
13Rasmussen Anne, L’internationale scientifique, op. cit., p. 48.
14Crawford Elisabeth, La fondation des prix Nobel, op. cit., p. 29.
15En 1736, la vision soutenue par la Royal Society de Londres par le biais des médailles est ainsi définie : « A medal or other honorary prize should be bestowed on the person whose experiment should be best approved, by which means […] a laudable emulation might be excited among men of genius to try their investigation, who, in all probability may never be moved for the sake of lucre. » Cité par Lange F. Erwin et Buyers F. Ray, « Medals of the Royal Society of London », The Scientific Monthly, no 2, 1955/81, p. 85.
16Crawford Elisabeth, La fondation des prix Nobel, op. cit., p. 25.
17Tournès Ludovic et Scott-Smith Giles (dir.), Global Exchanges. Scholarships and Transnational Circulations in the Modern World, New York, Berghahn, 2018, p. 10-11.
18Sur la question, voir notamment Clark William, Academic Charisma and the Origins of the Research University, Chicago, University of Chicago Press, 2008.
19Singer Sandra L., Adventures Abroad, North American Women at German-Speaking Universities, 1868-1915, Westport (CT)/Londres, Praeger, 2003.
20Rossiter Margaret, Women Scientists in America, op. cit., p. 29.
21Tournès Ludovic et Scott-Smith Giles (dir.), Global Exchanges, op. cit., p. 13.
22Sur le programme des Bourses Autour du Monde, voir Beausoleil Jeanne et Ory Pascal (dir.), Albert Kahn (1860-1940). Réalité d’une utopie, Boulogne-Billancourt, musée Albert Kahn, 1995 ; Tronchet Guillaume, « Les bourses de voyage “Autour du Monde” de la Fondation Albert Kahn (1898-1930) : les débuts de l’internationalisation universitaire », in Christophe Charle et Laurent Jeanpierre (dir.), La vie intellectuelle en France des lendemains de la Révolution à 1914, Paris, Le Seuil, 2016, p. 618-620. Pour une étude de ce programme de bourses au prisme du genre, voir Walton Whitney, « Des enseignantes en voyage : les rapports des boursières Albert Kahn sur la France et les États-Unis, 1898-1930 », in Nicolas Bourguinat (dir.), Le voyage au féminin. Perspectives historiques et littéraires (xviiie-xxe siècles), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2008, p. 131-149.
23Tournès Ludovic, L’argent de l’influence. Les fondations américaines et leurs réseaux européens, Paris, Autrement, 2010, p. 4.
24Rossiter Margaret, Women Scientists in America, op. cit., p. 269.
25Fleck Christian, A Transatlantic History of the Social Sciences. Robber Barons, the Third Reich and the Invention of Empirical Social Research, Londres/New York, Bloomsbury Academic, 2011, p. 39.
26Le programme de bourses de la Fondation Rockefeller et ses boursiers et boursières sont bien connus notamment grâce aux travaux de Christian Fleck (cité note précédente) et Ludovic Tournès, Voir Tournès Ludovic, « Le réseau des boursiers Rockefeller et la recomposition des savoirs biomédicaux en France (1920-1970) », French Historical Studies, no 1, 2006/19, p. 77-107. On peut également citer la parution récente, en 2020, d’un ouvrage consacré à l’étude des boursières du programme fondé par David Weil : Durand Antonin (dir.), Les voyages forment la jeunesse. Les boursières scientifiques David-Weill à la découverte du monde (1910-1939), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2020.
27Bourdieu Pierre, « Le champ scientifique », Actes de la recherche en sciences sociales, nos 2-3, 1976/2, p. 89.
28Ibid., p. 93.
29Ibid., p. 96.
30Kohler Robert, Partners in Science. Foundations and Natural Scientists, 1900-1945, Chicago, University of Chicago Press, 1991, p. 2.
31Rossiter Margaret, Women Scientists in America, op. cit., p. 267.
32Guillemain Hervé et Richard Nathalie, « Towards a Contemporary Historiography of Amateurs in Science », in id. (dir.), Gesnerus – Swiss Journal of the History of Medicine and Sciences, no 2 : « The Frontiers of Amateur Science (18th-20th Century) », 2016/73, p. 201-237.
33Rossiter Margaret, loc. cit.
34Paul Herman, « Sources of the Self », art. cité.
35Huistra Pieter et Wils Kaat, « “Fit to Travel” », art. cité, p. 114.
36Rossiter Margaret, Women Scientists in America, op. cit., p. 270.
37Ziegler Philip, Legacy: Cecil Rhodes, the Rhodes Trust and Rhodes Scholarships, Yale, Yale University Press, 2008.
38Chou Meng-Hsuan et Pietsch Tamson, « The Politics of Scholarly Exchange. Taking the Long View on the Rhodes Scholarships », in Ludovic Tournès et Giles Scott-Smith (dir.), Global Exchanges, op. cit., p. 41-42.
39Niskanen Kirsti, « Searching for “Brains and Quality”. Fellowship Programs and Male Constructions of Scientific Personae by the Rockefeller Foundation in Sweden During the Interwar Years », 7e conférence de la Société européenne pour l’histoire des sciences, Prague, 2016.
40Beausoleil Jeanne et Ory Pascal (dir.), Albert Kahn (1860-1940), op. cit. ; Walton Whitney, « Des enseignantes en voyage », art. cité.
41Durand Antonin, Mayens Paul et Rondeau du Noyer Lucie, « Introduction : David-Weill et ses boursières », in Antonin Durand (dir.), Les voyages forment la jeunesse, op. cit., p. 29-30.
42Archive IFUW, inv. no 67 : Bulletins (Bluebooks), 1st Conference, Londres, Grande-Bretagne, 1920, p. 71. Allocution de M. Carey Thomas : « In the United States, we have an Academy, an institution of Arts and Science. It is not a men’s Academy, it is a general Academy, and no woman is on the roll. Our American Association of college women has memorialised that Academy and asked to have women’s names placed on the roll. It is discouraging to eminent women that they are not, and I am not at all sure that part of the work of this Federation may not be a women’s Academy of Arts and Letters and Science, in which we shall honour and praise each other, for praise is a very important thing in success. »
43Ibid., p. 20, allocution de Virginia Gildersleeve : « Even the men who have the greatest sympathy with the work and aspirations of our sex occasionally forget that we are there, if the question of an exchange professorship or sending students abroad comes up. It is not because they have no interest in women, but just because they do not happen to think of us. »
44Gildersleeve Virginia, Many a Good Crusade, op. cit. Voir Dilley Patrick, The Transformation of Women’s Collegiate Education: The Legacy of Virginia Gildersleeve, New York, Palgrave Macmillan, 2017, p. 173.
45Archive IFUW, inv. no 543 : International Fellowship Fund Appeal Committee, 1924-1930, Minutes, 1924.
46Archive IFUW, inv. no 55 : Occasional paper no 5, mars 1926, p. 20-21 : « If we want women to play a full part in university work, to contribute to the progress of science and knowledge, they must not be restricted to teaching but must undertake research work as well. Until now, women have done very little in the way of research. No wonder. Very few have had any possibility of preparing themselves for it. Research demands sacrifices, economic and personal. If we want women to do research work we must give young women the opportunity of advanced study in their own country and in other countries. In fact, research in science will nearly always, and research in arts very often, necessitate years of study at foreign universities. I need not dwell on this; it is known and recognized by us all. »
47Archive IFUW, inv. no 71 : Bulletins (Bluebooks), 4th Conference, Amsterdam, Pays-Bas, 1926, p. 114 : « What can we do, we members of the International Federation, to help women who are able, willing and eager to undertake research work? Can we arrange their lives for them to create the atmosphere needed? Certainly not – not for a lifetime. But – and here I am coming to my point – we can give them a start. »
48Archive IFUW, inv. no 543 : International Fellowship Fund Appeal Committee, 1924-1930 et inv. no 494 : Committee for the Award of International Fellowships, Minutes, 1925-1962.
49Tournès Ludovic, « Carnegie, Rockefeller, Ford, Soros : généalogie de la toile philanthropique », in id. (dir.), L’argent de l’influence, op. cit., p. 5-23.
50Archive IFUW, inv. no 543 : International Fellowship Fund Appeal Committee, Minutes, 1924.
51Archive IFUW, inv. no 69 : Bulletins (Bluebooks), 3rd Conference, Christiania, Norway, 1924, p. 62 : « A donation had already been given by a veteran group of University graduates, who had in 1913 celebrated the jubilee of their entrance to the University by collecting a fund for a research scholarship for a woman. This fund, a sum of 2000 Kr., was offered to the Federation by Borgermester Arctander, on behalf of himself and his colleagues, and was gratefully accepted. »
52Skonhoft Lilli, « Norske Kvinnelige Akademikeres Landsforbund », in NKAL, Kvinnelige studenter 1882-1932, Oslo, Gyldendal Norsk Forlag, 1932, p. 256 : « At menn gav disse penger til utdannelse av kvinnelige akademikere, vakte ikke bare jubel, men stor og berettiget opsikt. »
53Archive IFUW, inv. no 69 : Bulletins (Bluebooks), 3rd Conference, Christiania, Norway, 1924, p. 101-102.
54Von Oertzen Christine, Science, Gender and Internationalism, op. cit., p. 25.
55Archive IFUW, inv. no 543 : International Fellowship Fund Appeal Committee, 1924-1930.
56Von Oertzen Christine, Science, Gender and Internationalism, op. cit., p. 50.
57Archive IFUW, inv. no 494 : Committee for the Award of International Fellowships. « International Fellowships to enable the holder to carry on research in some country other than her own. General regulation (as revised at the Nineteenth Council Meeting, Budapest, 1934). »
58Archive IFUW, inv. no 494 : Committee for the Award of International Fellowships, Minutes, 1926, p. 3.
59Huistra Pieter et Wils Kaat, « “Fit to Travel” », art. cité, p. 125.
60The Age, « Current Events. International Friendship », 18 novembre 1930, [https://news.google.com/newspapers?nid=1300&dat=19301118&id=el8RAAAAIBAJ&sjid=sZYDAAAAIBAJ&pg=6833,1459199&hl=fr], consulté le 1er octobre 2024.
61Pour les chiffres concernant les bourses accordées par la fondation Rockefeller, voir notamment Fleck Christian, A Transatlantic History of the Social Sciences, op. cit., et Tournès Ludovic, « Le réseau des boursiers Rockefeller », art. cité.
62Archive IFUW, inv. no 543 : International Fellowship Fund Appeal Committee, 1924-1930, Minutes, 1924.
63Archive IFUW, inv. no 494 : Committee for the Award of International Fellowships, Minutes, 1935, p. 82 : « The qualities needed for research in science and those needed for research in Arts seemed to the committee to be so fundamentally different that they found a direct comparison between candidates in the two fields almost impossible. Probably scientists selecting the holder of a scientific fellowship would be inclined to make the award on quite different grounds from those considered essential by arts experts, and vice-versa. »
64Ludovic Tournès souligne le rôle actif que joue la Fondation Rockefeller dans la sélection des boursiers : elle repère et choisit les talents en multipliant les visites dans les institutions universitaires ou de recherche. Cette « politique volontariste » est l’une de ses caractéristiques. Tournès Ludovic, « Le réseau des boursiers Rockefeller », art. cité, p. 82.
65Creese Mary R. S., « Maclean, Ida Smedley (1877-1944), Biochemist », in Oxford Dictionary of National Biography, Oxford, Oxford University Press, 2004. Le Beit Memorial Fellowship for Medical Research est fondé en 1909 par Sir Otto Beit, un philanthrope britannique d’origine allemande, en l’honneur de son frère Albert Beit. Le programme vise à soutenir financièrement les jeunes chercheurs en médecine de la Grande-Bretagne.
66Freedman Robert, « Ida Smedley Maclean (1877-1944): Pioneering Biochemist & Feminist Campaigner », communication présentée lors de la 7e conférence de la Société européenne pour l’histoire des sciences, Prague, septembre 2016.
67Archive IFUW, inv. no 71 : Bulletins (Bluebooks), 4th Conference, Amsterdam, Pays-Bas, 1926, p. 112 : « Many years ago, I received a research prize from America, and it gave me a most thrilling moment of encouragement and stimulus. Research work provides moments in which something like the joy felt by creative artists is experienced, but the moments are few and far between. It is wonderfully stimulating to receive some mark of appreciation and we hope that soon we shall be able to announce the awards of our fellowships. »
68Jeanne Eder-Schwyzer est une chimiste suisse, directrice de la branche suisse des university women entre 1935 et 1938. Elle est l’une des fondatrices de l’institut suisse pour l’économie domestique (Home Economics). Elisabeth Altmann-Gottheiner est une économiste allemande, l’une des premières femmes nommées professeures extraordinaires en Allemagne et fondatrice de la branche allemande des university women. Les données biographiques des membres du comité ont été rassemblées par Christine von Oertzen.
69Archive IFUW, inv. no 494 : Committee for the Award of International Fellowships, Minutes, 1926, p. 4.
70Archive IFUW, inv. no 69 : Bulletins (Bluebooks), 3rd Conference, Christiania, Norway, 1924, p. 61 : « It was of great importance that the right sort of women should be selected for the fellowships – those whose scholarly promise needed the opportunity for further study and whose personal qualifications would make them the right ambassador of international understanding and friendship. »
71Archive IFUW, inv. no 109 : Minutes of Conference, Londres, 1920. Minutes of the Meeting of Delegates.
72Archive IFUW, inv. no 71 : Bulletins (Bluebooks), 4th Conference, Amsterdam, Allocution d’Ida Smedley Maclean, p. 116 : « There are the Rhodes Scholarships for young men, who come to Oxford from America and the British Dominions and there are the Commonwealth Fellowships which take young men and women from Great Britain to America, in both of which the candidates are selected largely on their personal qualifications, especially on their power of making easy and pleasant contacts […]. »
73Chou Meng-Hsuan et Pietsch Tamson, « The Politics of Scholarly Exchange », art. cité, p. 34.
74Archive IFUW, inv. no 71 : Bulletins (Bluebooks), 4th Conference, Amsterdam, Allocution de Ida Smedley Maclean, p. 116 : « on the other hand the Beit Fellowships and the Rockefeller Fellowships are awarded almost entirely on the standard of scientific achievement ».
75« The well-being of mankind throughout the world », cité par Christian Fleck in id., A Transatlantic History of the Social Sciences, op. cit., p. 40.
76Ogilvie Bailey Marilyn, « Obligatory Amateurs: Annie Maunder (1868-1947) and British Women Astronomers at the Dawn of Professional Astronomy », The British Journal for the History of Science, no 1, mars 2000/33, p. 67-84. L’auteure décrit le processus par lequel les femmes sont confinées dans le statut d’amateur, tout en analysant, à travers le cas d’étude, la manière dont certaines d’entre elles sont parvenues à prendre parti de la situation en plaidant la cause des amateurs, ici dans le domaine de l’astronomie.
77Guillemain Hervé et Richard Nathalie, « Towards a Contemporary Historiography of Amateurs in Science », art. cité, p. 219.
78Archive IFUW, inv. no 71 : Bulletins (Bluebooks), 4th Conference, Amsterdam, p. 116 : « social adaptability and charm are delightful qualities, but they come second ».
79Ibid., p. 119, « Regulations for award of international fellowships » : « As the Standing Committee will have to be guided in making its selection largely by the reports of the national federations, these reports must be of a detailed character, made after interviewing the candidates, and submitting evidence of their qualifications on the following grounds : 1. Originality and initiative, 2. Power of exposition, 3. Suitability of subject for research, 4. Personal qualification. »
80Archive IFUW, inv. no 543 : International Fellowship Fund Appeal Committee, 1924 : « The fellows should be selected not only for their academic attainments by also for personal qualities fitting them to act as interpreters of their own national life and spirit in others countries. »
81Ibid., « They should be personally as well as academically qualified to promote the ideals of the Federation. »
82Huistra Pieter et Wils Kaat, « “Fit to Travel” », art. cité, p. 127-128.
83Durand Antonin, Mayens Paul et Rondeau du Noyer Lucie, « Introduction : David-Weill et ses boursières », art. cité, p. 18-19.
84Archive IFUW, inv. no 77 : Bulletins (Bluebooks), 5th Conference, Édimbourg, 1932, p. 46 : « One of the main objectives of the International Federation of University Women was to promote friendship and understanding among the nations of the world ; and one of the insidious methods adopted towards this end was to choose some very distinguished woman and send her to work in another country. After a time it was hoped that the inhabitants of the country visited would think: “How nice this person is and so how nice the people of her country must be ! Like us in all the important ways!”. »
85Archive IFUW, inv. no 69 : Bulletins (Bluebooks), 3rd Conference, Christiania, 1924, p. 93 : « In choosing a fellow, care would be taken to select someone with good personality, good brains and a good national training, so that she should represent in a very pleasant way the qualities of her own nation. »
86Archive IFUW, inv. no 494 : Committee for the Award of International Fellowships, Minutes, 1929, p. 2 : « The Committee of the French Association wishing to ensure that the Fellowships shall more perfectly fulfill one of the functions – i.e. the development of the international mind – proposes that the fellows shall be required to report on some aspect of the social, intellectual or artistic life of the country in which they have held the Fellowship, in order that it may be seen that they have truly endeavored to know and understand that country. »
87Walton Whitney, « Des enseignantes en voyage », art. cité. Pour la BAEF, se référer aux travaux de Huistra Pieter et Wils Kaat, « “Fit to Travel?” », art. cité.
88Archive IFUW, inv. no 494 : Committee for the Award of International Fellowships, Minutes, 1925-1962.
89Crawford Elisabeth, La fondation des prix Nobel scientifiques, op. cit., p. 166.
90Niskanen Kirsti, « Searching for “Brains and Quality” », art. cité, p. 10.
91Crawford Elisabeth, La fondation des prix Nobel scientifiques, op. cit., p. 158-160.
92Archive IFUW, inv. no 494 : Committee for the Award of International Fellowships, Minutes 1925-1939.
93Bien qu’il soit difficile, en raison de l’absence de sources, de savoir combien de candidates postulent à l’une des bourses de la FIFDU avant la présélection, il est évident que le taux de réussite est inférieur à la barre des 14 %.
94Archive IFUW, inv. no 494 : Committee for the Award of International Fellowships, Minutes 1929, p. 4 : « Excellent quality of the work submitted by the numerous candidates whose applications had been considered and reluctantly turned down for lack of funds. »
95Archive IFUW, inv. no 494 : Committee for the Award of International Fellowships, Minutes, 1927, p. 5.
96Archive IFUW, inv. no 494 : Minutes, 1932, p. 48 et 51.
97Bourdieu Pierre, « Le champ scientifique », art. cité, p. 93.
98Shank B. John, « Les figures du savant de la Renaissance au siècle des Lumières », in Stéphane Van Damme (dir.), Histoire des sciences et des savoirs, t. I : De la Renaissance aux Lumières, Paris, Le Seuil, 2015, p. 59.
99Fyfe Aileen, « Journals and Periodicals », in Bernard Lightman (dir.), A Companion to the History of Science, Chichester, John Wiley and Sons, 2016, p. 393.
100Guillemain Hervé et Richard Nathalie, « Towards a Contemporary Historiography of Amateurs in Science », art. cité, p. 222. Les auteurs mettent en avant l’importance du type de revues, mais aussi du style rhétorique, dans la marginalisation des femmes en science. Cet aspect est plus amplement discuté dans le chapitre suivant, notamment dans l’examen des rapports de bourses des lauréates de la FIFDU.
101Archive IFUW, inv. no 494 : Minutes, 1935, p. 78 : « of a journalist nature and cannot be considered really scientific ». Id., Minutes, 1937, p. 107 : « of a feminist and journalist type, and not of scientific standard ».
102Sur la question, voir notamment : Biagioli Mario et Galison Peter (dir.), Scientific Authorship. Credit and Intellectual Property in Science, Londres, Routledge, 2003.
103Recherche en cours, voir interview dans The Atlantic, traduit dans Courrier international, [https://www.courrierinternational.com/article/carriere-scientifique-les-femmes-des-notes-de-bas-de-page], consulté le 1er octobre 2024.
104Archive IFUW, inv. no 494 : Committee for the Award of International Fellowships, Minutes, 1934, p. 68 : « presented no evidence of her ability to carry on independent research ».
105Sime L. Ruth, Lise Meitner, A Life in Physics, Berkeley/Los Angeles, University of California Press, 1996.
1065BFW – Records of the BFUW, Academic Sub-Committee, 05/04/02 : « This is apparently a good person and a deserving case, but I think we are right in asking for an irreducible minimum of academic qualification […], and these she has not. »
107Archive IFUW, inv. no 494, 1930, p. 29.
108Voir Rentetzi Maria, « Genre, politique et radioactivité », art. cité, p. 127-146.
109Archive IFUW, inv. no 494, 1934, p. 71.
110Paul Herman, « Sources of the Self », art. cité.
111Bosch Mineke, « Scholarly Personae and Twentieth-Century Historians », art. cité. Voir, de la même autrice, « Persona and the Performance of Identity. Parallel Developments in the Biographical Historiography of Science and Gender, and the Related Uses of Self Narrative », L’Homme, no 2, 2013/24, p. 11-22.
112Shapin Steven, Une histoire sociale de la vérité, op. cit., p. 153.
113Shapin Steven, « Cordelia’s Love: Credibility and the Social Studies of Science », Perspectives on Science, no 3, 1995/3, p. 255-275, article repris in id., Never pure: Historical Studies of Science, op. cit. Cité par Bosch Mineke, « Scholarly Personae », art. cité, p. 36.
114Niskanen Kirsti, « Searching for “Brains and Quality” », art. cité, p. 10. Il en va de même pour les boursiers de la BAEF.
115Archive IFUW, inv. no 71 : Bulletins (Bluebooks), 4th Conference, Amsterdam, 1926, p. 113 : « A women who wants to do research work must first reconcile her professional work, which is her means of living, with her research work, and then she must co-ordinate with these her woman’s interests. Research requires first and foremost a tranquil atmosphere, opportunity to think in peace and quiet, and to concentrate on a particular problem. Material worries, concerns for a husband and children who are left at home without adequate help or care, will kill all chances of a first rate effort. »
116Durand Antonin, Mayens Paul et Rondeau du Noyer Lucie, « Introduction : David-Weill et ses boursières », art. cité, p. 12.
117Archive IFUW, inv. no 494 : Committee for the Award of International Fellowships, Minutes, 1935, p. 76 : « the award must be made solely on academic merit and without reference to the economic or other personal circumstances of the applicants ».
118Cette différence peut tenir encore une fois à la nature des sources ; dans le cas de la BAEF il s’agit surtout de remarques informelles de la part de certains des membres du comité de sélection. Voir Huistra Pieter et Wils Kaat, « “Fit to Travel” », art. cité, p. 128.
119Archives AAUW, Fellows’ files, Box 443, « Leng, Herta ». Lettre de Prof F. Kaufman, décembre 1939 : « Miss Leng is one of the finest ladies I ever met in my life. Her goodness and kindly heartedness which find a vivid expression in her entire behaviour give her a spiritual charm which enables her to make herself liked everywhere. »
120Ibid., lettre de Hans Schiller, 5 décembre 1939 : « She was outstanding not only in scientific respect. Because of her kindness, her modesty and her readiness to help she was one of the most popular members of the department. I recommend dr Herta Leng in any respects, referring to her scientific qualification as well as to her sincere character. »
121Huistra Pieter et Wils Kaat, « Scholarly Persona Formation and Cultural Ambassadorship: Female Graduate Students Travelling Between Belgium and the United States », in Michael J. Barany et Kirsti Niskanen (dir.), Gender, Embodiment, and the History of the Scholarly Persona. Incarnations and Contestation, Cham, Palgrave Macmillan, 2021.
122Rossiter Margaret, Women Scientists in America, op. cit., p. 267.
123Archive IFUW, inv. no 494 : Committee for the Award of International Fellowships, p. 4 : « The fellowships […] should be awarded so as to make the greatest contribution to the development of women scholars and to the development of their respective fields of study, that the Committee should always consider carefully, not only how much difference the stipend would make in the life of an individual candidate, but also how much difference the present recognition and future work of a candidate was likely to make in the position of women scholars and to the advancement of learning in general in her country. »
124Archive IFUW, inv. no 494 : Committee for the Award of International Fellowships, 1938, p. 117.
125Ibid., p. 120 : « The Special Fellowship was designed to aid women in the poorer countries, where they had little opportunity for academic achievement. »
126Ibid. : « a period of study abroad might enable her to assume leadership in her own country in a field of science which has had a limited development there ».
127Bourdieu Pierre, « Le champ scientifique », art. cité.

Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008