Chapitre III. Portraits de pionnières : fondatrices et dirigeantes de la FIFDU
p. 87-120
Texte intégral
« Il a été dit que les organisations existent afin que des personnes ordinaires puissent accomplir des choses extraordinaires. J’aurais tendance à acquiescer, mais l’on a besoin de personnes extraordinaires, en tout premier lieu, pour créer ces organisations. Notre Fédération n’a jamais manqué de personnes extraordinaires, pas plus que de coïncidences extraordinaires qui aident les choses à advenir. »
Dr. Elizabeth M. E. Poskitt, présidente de la FIFDU (1995-1998), 20001.
1Le projet de la FIFDU est porté par quelques femmes qui ont profondément marqué cette organisation de leur empreinte. Les présidentes sont des figures importantes et même primordiales : en tant que dirigeantes d’une telle structure internationale, elles en sont les premières représentantes sur la scène publique, incarnant le projet qu’elles portent non seulement auprès des membres de la FIFDU mais également dans des cercles d’influence extérieurs, touchant à l’éducation supérieure, la science, la politique ou encore à l’internationalisme. En tant qu’individus « exceptionnels », pour reprendre les mots d’Elizabeth Poskitt, présidente de la FIFDU à la fin des années 1990, elles n’incarnent pas seulement un projet, mais fonctionnent également comme modèle. En les élisant au poste de présidente, c’est toute une communauté de femmes universitaires qui les consacrent en tant qu’exemple ou idéal-type d’excellence scientifique au féminin.
2Au cours de l’entre-deux-guerres, cinq femmes se succèdent à la tête de la FIFDU. Les deux fondatrices, Caroline Spurgeon et Virginia Gildersleeve, assument la présidence de l’organisation respectivement de 1920 à 1924 puis de 1924 à 1926. Les associations mères occupent une place importante : entre 1929 et 1932, c’est une autre Anglaise à l’origine de la British Federation of University Women, Winifred Cullis, qui est nommée présidente. Les choix d’une Norvégienne, Ellen Gleditsch, en 1926 puis d’une Néerlandaise, Johanna Westerdijk, en 1932, pour diriger la FIFDU reflètent cependant la volonté d’internationalisation du mouvement.
3Afin de pouvoir réfléchir à la manière dont les présidentes sont amenées à promouvoir un certain modèle ou persona scientifique au féminin et d’analyser leur rôle dans l’orientation profondément scientifique de la FIFDU dans l’entre-deux-guerres, il est important de s’intéresser en amont aux trajectoires scientifiques de chacune de ces figures tutélaires. En effet, bien que la FIFDU ait été rarement étudiée comme une organisation scientifique, force est de constater que les premières dirigeantes – et représentantes – de l’organisation sont toutes d’éminentes scientifiques (dans l’acception la plus large du terme), et le plus souvent des femmes qui ont ouvert la voie dans le monde de la recherche universitaire. Qui sont ces pionnières et comment expliquer leur nomination à la tête de la FIFDU ? Quel modèle de réussite scientifique au féminin véhiculent-elles ? Dans quelle mesure, enfin, leur statut de présidente d’une organisation de portée mondiale participe-t-il de la fabrique d’une élite scientifique internationale féminine ?
4Ce chapitre se propose d’articuler deux niveaux d’analyse, en dressant, dans un premier temps, un portrait de groupe des présidentes (et vice-présidentes) de l’entre-deux-guerres, avant d’étudier plus précisément la trajectoire de l’une d’entre elles, la radiochimiste norvégienne Ellen Gleditsch. À partir de ces portraits, l’étude se concentre sur les procédures qui conduisent à la nomination des présidentes, les réalités que recouvre la fonction, les charges qu’elle entraîne mais aussi ses profits symboliques, sur les plans collectif et personnel.
Portrait de groupe, trajectoires individuelles
5Au cours de l’entre-deux-guerres, cinq femmes se succèdent à la tête de la FIFDU. Bien que chacune ait dû négocier sa reconnaissance en fonction de différents facteurs, parmi lesquels leur pays d’origine et leur spécialisation scientifique, leurs parcours présentent de nombreuses similarités, à partir desquelles on peut tenter d’approcher le type de persona qu’elles ont déployé, puis promu.
Présidentes de l’entre-deux-guerres
6L’une des principales caractéristiques communes aux cinq présidentes est le caractère pionnier de leur parcours, que ce soit dans un champ scientifique particulier ou dans leur carrière universitaire. Bien qu’évoluant dans des contextes nationaux différents, toutes ont été confrontées à des obstacles lors de leur parcours scolaire et universitaire. La formation qui leur est proposée au tournant du xxe siècle n’est pas l’équivalent de celle des hommes. Les écoles pour filles en Norvège, nous le verrons avec Ellen Gleditsch, ne préparent pas aux examens d’entrée au lycée ni à l’université. Tout en recevant un soutien important de sa famille, la jeune femme n’a pas bénéficié des mêmes opportunités que ses frères, qui se sont inscrits directement à l’université à la sortie du lycée, alors qu’Ellen a vu son inscription retardée de plusieurs années, du fait de son sexe. Les autres présidentes ont fait l’expérience d’obstacles similaires. Dans sa courte autobiographie, Caroline Spurgeon qualifie l’éducation qu’elle a reçue dans son école en Angleterre de « superficielle et incomplète », accordant à l’apprentissage des langues et de la musique une place prédominante, comme c’était souvent le cas pour les jeunes filles de sa génération2. C’est seulement à l’âge de 24 ans qu’elle peut commencer à suivre des cours destinés aux femmes au King’s College à Londres. Encouragée par la vice-principale du college, Lilian Faithfull, elle suit les cours de langue et littérature anglaises de la Honors School d’Oxford et réussit les examens dans ces matières en 1899. À cette époque, les grandes universités britanniques, Oxford et Cambridge, demeurent des bastions masculins, refusant de décerner des doctorats à des étudiantes3. Caroline Spurgeon ne peut donc qu’accepter un poste d’assistant lecturer au college pour femmes de Bedford en 1900, et ce n’est que onze ans plus tard, à l’âge de 42 ans, qu’elle obtient son doctorat.
7La différence des cursus entre les garçons et les filles est particulièrement marquée dans l’enseignement des sciences. Dans les lycées privés de Birmingham, ville où grandit Winifred Cullis, les garçons reçoivent une éducation « moderne et générale » qui comprend des cours de mathématiques, physique et chimie, tandis que les filles se familiarisent avec les « phénomènes de la vie quotidienne », telles que les questions relatives à l’hygiène4. Grâce à des cours supplémentaires au Manson College – une institution fondée en 1875 par Sir Josiah Manson pour développer l’enseignement des sciences – et le soutien d’une bourse Sidgwick, Winifred Cullis est parvenue à intégrer le college pour femmes de Newnham, où elle obtient une licence en sciences (Natural Science Tripos) en 1900. Signalons que les bourses Sidgwick visent à soutenir les études supérieures d’une jeune femme dans le Newnham College pour femmes ; elles portent le nom du professeur Henry Sidgwick, connu pour avoir défendu le droit à l’éducation supérieure des femmes, et l’un des cofondateurs du college pour femmes.
8Dans un monde universitaire encore largement fermé aux femmes, les premières présidentes de la FIFDU s’illustrent par leur réussite, devenant les toutes premières à obtenir un poste dans leurs universités respectives. Si Kristine Bonnevie précède Ellen Gleditsch en ouvrant les portes du professorat en Norvège en 1912, soit dix-sept ans avant la chimiste5, les réticences que soulève la candidature de cette dernière démontrent toutefois le caractère toujours d’avant-garde que revêt une telle élection dans la marche vers la reconnaissance des femmes dans le milieu universitaire. Caroline Spurgeon et Winifred Cullis sont, quant à elles, parmi les premières femmes en Angleterre à accéder à un poste universitaire. La première obtient une chaire de littérature anglaise au Bedford College en 1912, tandis que la seconde devient la première femme professeure dans une faculté de médecine – à l’université de Londres – en 1919.
9Comme le montre Carol Dyhouse, si, en théorie, hommes et femmes sont éligibles aux mêmes conditions aux postes d’enseignants, en réalité, les femmes ne sont rarement voire jamais sélectionnées pour les postes les plus élevés6. Lorsqu’une femme est nommée professeure, c’est le plus souvent dans un women’s College, par le biais d’une « promotion interne » et non d’un concours, comme c’est le cas pour les hommes. Spurgeon a bénéficié dans une certaine mesure des « mécanismes de protection » qu’offrent les women’s college ; mais ayant été élue au Bedford College après un concours (open competition), elle est bien considérée comme la première femme en Grande-Bretagne à avoir obtenu un poste de professeur d’université. Winifred Cullis, elle, a vu en 1908 son mentor, le physiologiste Thomas Gregor Brodie, nommé professeur à l’université de Toronto ; elle est appelée à le remplacer en tant que lectrice à temps partiel, avant d’être nommée à la tête du département de physiologie de l’université de Londres en 1912. À la mort de Brodie en 1916, l’université de Toronto fait appel à Cullis pour assurer la transition. Après avoir passé un an au Canada entre 1917 et 1918, elle décline le poste de professeur de physiologie à Toronto, préférant retourner en Angleterre, où elle est élue professeure un an plus tard. Il est possible que la nouvelle de son recrutement dans une université étrangère ait encouragé l’université de Londres à nommer pour la première fois une femme professeure dans une faculté de médecine anglaise.
10La Néerlandaise Johanna Westerdijk fait également figure de pionnière pour les femmes dans son pays, en y devenant en 1917 la première femme professeure. Après qu’elle a été nommée directrice du laboratoire de phytopathologie Willie Commelin Scholten, à Amsterdam, en 1906, la possibilité de sa nomination à l’université d’Utrecht a été mentionnée dès 1913, mais la décision a été repoussée jusqu’en 1917, le conseil de l’université invoquant des raisons budgétaires. Il parait probable que le fait qu’elle soit une femme ait suscité débats et oppositions. D’abord nommée professeure extraordinaire à Utrecht, elle obtient finalement une chaire ordinaire à l’université d’Amsterdam en 19307.
11La trajectoire de Virginia Gildersleeve diffère quelque peu. Après avoir soutenu une thèse en littérature comparée en 1908, elle reçoit quelques charges de cours à l’université de Columbia avant d’être promue sur place assistant professor en littérature anglaise en 1910. Au mois de juillet de la même année, le président de l’université new-yorkaise, Nicholas Murray Butler, lui demande de devenir la doyenne du Barnard College, un poste qu’elle conserve pendant trente-six ans. Fondé en 1889, le Barnard College, du nom de Frederick A. P. Barnard, alors président de Columbia et ardent défenseur de l’ouverture de l’enseignement supérieur aux femmes, est une institution supérieure destinée aux femmes, affiliée à Columbia. Sa fondation résulte de l’opposition formelle des membres du comité d’administration de Columbia à l’ouverture de l’université aux femmes, contrairement à la volonté de Barnard.
12La reconnaissance des premières présidentes de la FIFDU par la communauté scientifique et universitaire de leurs pays respectifs tient beaucoup à leur spécialisation et au caractère novateur voire pionnier de leurs recherches. Ellen Gleditsch, la radiochimiste norvégienne, s’insère dans un champ scientifique en plein essor, la radioactivité, qui attire l’attention de la communauté scientifique mais aussi celle du grand public. Ce fait compte à l’évidence dans sa reconnaissance scientifique à l’international comme dans son pays. Johanna Westerdijk, elle, participe pleinement au développement de la phytopathologie aux Pays-Bas et contribue à diffuser cette nouvelle science, notamment en accueillant et formant des étudiants et étudiantes au sein de son laboratoire8. On comprend aisément que sa spécialisation dans la pathologie des plantes – sauvages mais aussi de culture – n’est pas sans intérêt pour les Pays-Bas et d’autres pays dans lesquels ces plantes de culture représentent un secteur économique d’importance9.
13Les historiens des sciences ont mis en exergue les opportunités de carrière qu’offrent aux femmes les nouvelles sciences, telles que la science atomique, la radioactivité, la cristallographie, mais aussi la génétique et la biochimie, notamment dans les premiers temps de leur développement. Ida Stamhuis et Arve Monsen, par exemple, remarquent que lorsque ces dites nouvelles sciences émergent, au tournant du xxe siècle, elles attirent peu les hommes, qui leur préfèrent des disciplines traditionnelles, bien établies et reconnues dans le monde universitaire, et à même de leur assurer une carrière universitaire plus rapide et prestigieuse10. Les champs scientifiques en développement ouvrent de ce fait plus facilement leurs portes aux femmes11. Dans leur ouvrage A Devotion to their Science, Marlene et Geoffrey Rayner-Canham recensent ainsi pas moins d’une trentaine de femmes engagées dans la recherche sur la radioactivité entre les années 1900 et les années 193012.
14L’un des facteurs avancés pour expliquer la présence des femmes dans ces nouvelles sciences est celui du rôle joué par certains directeurs de laboratoire. Ainsi pour Ellen Gleditsch : tout au long de sa carrière, son ancien tuteur en chimie, Bødtker, a été d’une aide précieuse. Non seulement il l’a introduite auprès de Marie Curie mais il a soutenu activement sa candidature au poste de professeur à l’université d’Oslo. S’il est donc communément admis que Marie Curie a eu une grande influence dans l’entrée des femmes dans le domaine de la radioactivité, il importe de souligner que des hommes ont pu jouer un rôle important dans la reconnaissance scientifique et académique de femmes. Et précisément dans ce domaine de la radioactivité : Maria Rentezi a étudié l’action réelle de Stefan Meyer dans l’ouverture aux femmes de son laboratoire de Vienne. Les trajectoires des autres présidentes de la FIFDU ont également été marquées par des figures masculines qui les encouragent et soutiennent leur carrière. C’est ainsi l’ancien directeur du laboratoire Willie Commelin Scholten, le professeur de botanique Hugo de Vries, qui recommande chaudement son élève Johanna Westerdijk afin qu’elle prenne sa succession :
« Je recommande de tout cœur Miss Westerdijk. Elle est l’une de nos meilleures étudiantes, calme et méthodique, et douée d’un esprit fin. Elle a accompli un travail important, notamment au microscope, et bien qu’elle n’ait pas encore étudié les maladies des plantes, je considère que sa formation en fait une candidate tout à fait appropriée pour ce travail13. »
15Le rôle des hommes est ainsi loin d’être négligeable dans les carrières féminines de cette époque ; et d’autant plus, il est facile de le remarquer, que bien peu de femmes avaient pu alors intégrer le monde de la recherche et de l’enseignement universitaire et par là être à même de jouer un rôle dans les politiques de recrutement.
16Les premières présidentes de la FIFDU sont donc bien informées de l’importance de mentors ou de réseaux dans les trajectoires de femmes encore tellement minoritaires dans la recherche scientifique. Caroline Spurgeon, et peut-être plus encore Virginia Gildersleeve, participent activement à l’éducation supérieure des jeunes femmes en dirigeant et enseignant dans des colleges pour femmes. La doyenne du Barnard College détaille, dans ses mémoires, les mesures qu’elle a prises au cours de sa carrière afin de renforcer la qualité de l’éducation supérieure offerte à ses élèves et de les préparer aux mondes professionnel et universitaire. Cela passe par l’introduction de nouvelles disciplines, comme les sciences politiques ou les beaux-arts, la sélection des enseignants ou encore l’ouverture du college sur le monde. Virginia Gildersleeve met à profit le réseau d’university women international en invitant des professeures d’universités étrangères dans son College, à l’instar de Caroline Spurgeon, Marguerite Mespoulet professeure d’anglais en lycée à Paris, ou bien Eileen Power, professeure d’histoire à la London School of Economics14. Johanna Westerdijk, en tant que directrice du laboratoire Willie Commelin Scholten et professeure d’université, a également contribué à la réussite de femmes scientifiques. En 1922, deux de ses premières étudiantes soutiennent leur doctorat sous sa direction : Bea Schwarz et Marie Löhnis, travaillant toutes deux sur des maladies affectant des plantes. La première mène des recherches sur la maladie des ormes hollandais, qui seront reprises et finalisées par une autre des étudiantes de Westerdijk, Christine Buisman. Au total, sur les 54 thèses qu’elle a encadrées, 23 (42,5 %) ont été soutenues par des femmes. Ellen Gleditsch à son tour recommande certaines de ses étudiantes d’Oslo auprès de son ancienne mentor, Marie Curie, telle Sonja Dedichen, qui séjourne dans le laboratoire parisien entre 1925 et 192615.
17Si la Norvégienne encourage son étudiante à séjourner dans un pays étranger, auprès d’une des scientifiques les plus célèbres de son temps, c’est parce qu’elle est bien consciente de l’atout que représente une expérience internationale. L’une des stratégies communes à toutes les présidentes de la FIFDU – sauf dans le cas de Gildersleeve qui suit une carrière un peu différente – pour être reconnues dans le monde scientifique et académique, est en effet celle du voyage, que ce soit au cours de leurs études ou pour poursuivre leurs recherches dans des institutions ou laboratoires renommés à l’étranger. Un tel départ est souvent une nécessité pure et simple pour des femmes qui, au tournant du xxe siècle, se voient encore refuser des diplômes universitaires – notamment celui du doctorat – par leurs universités. C’est parce qu’elle ne peut obtenir le doctorat en Angleterre que Caroline Spurgeon choisit de gagner Paris, où elle le soutient en littérature anglaise16. Le prestige et la réputation dont jouit l’université de la Sorbonne ne manquent pas de rejaillir sur la Britannique et constituent un réel atout dans sa reconnaissance universitaire ultérieure. De manière similaire, Johanna Westerdijk poursuit ses études en Allemagne puis en Suisse, ce qui lui permet de soutenir sa thèse de doctorat en 1906 et d’obtenir le poste de direction du laboratoire Willie Commelin Scholten à son retour aux Pays-Bas17.
18Le départ à l’étranger a donc pu constituer une stratégie pour contourner et dépasser les obstacles institutionnels qui entravent les carrières féminines. Pour autant, la pérégrination estudiantine n’est pas l’apanage des femmes ; de nombreux étudiants ont choisi dès la seconde moitié du xixe siècle de séjourner dans une université à l’étranger, notamment en Allemagne (et pour ne rien dire ici de la solide tradition du « Grand Tour » à l’époque moderne). Ce que l’on peut ajouter, c’est que la plupart des présidentes de la FIFDU ont continué à voyager tout au long de leur carrière scientifique, que ce soit pour poursuivre leurs recherches dans des laboratoires étrangers, collaborer avec des scientifiques reconnus dans leur discipline, ou encore présenter leurs travaux lors de conférences ou congrès internationaux. Vers 1914, Johanna Westerdijk et Ellen Gleditsch voyagent toutes deux vers les États-Unis. Durant leur séjour, elles visitent et travaillent dans des laboratoires en pointe dans leurs disciplines respectives, ce qui leur permet d’augmenter leur visibilité sur la scène scientifique internationale. Johanna Westerdijk s’est rendue en outre dans différentes universités européennes et jusqu’en Afrique du Sud. C’est également le cas de Winifred Cullis, qui entreprend des tournées de conférences à l’international. Si cette pratique des voyages est peut-être plus courante dans les carrières en sciences naturelles que dans les humanités, on note que Caroline Spurgeon n’a pas manqué de mener des « expéditions littéraires », pour reprendre l’expression de Virginia Gildersleeve, se rendant à plusieurs reprises aux États-Unis afin, notamment, de consulter des ouvrages dans les bibliothèques américaines18.
19Ces séjours d’étude à l’étranger, dans la plupart des cas, n’auraient pas pu être possibles sans le soutien financier d’une institution universitaire ou d’un organisme extérieur. Les présidentes en sont bien conscientes – elles s’engagent, comme nous le verrons dans les chapitres suivants, dans le développement d’un programme de bourses internationales offertes par la FIFDU. L’obtention de bourses (ou de prix) recouvre un double enjeu pour ces pionnières : elle leur permet d’étudier voire de partir à l’étranger, mais aussi de bénéficier du prestige associé à ces récompenses scientifiques. Il existe très peu d’opportunités pour les femmes, du reste, avant que la FIFDU n’intervienne. En 1913, Ellen Gleditsch devient la toute première boursière de la Fondation Américano-Scandinave, créée deux années auparavant. Johanna Westerdijk est pour sa part la première femme à obtenir une bourse du fonds Buitenzorg, qui lui permet de séjourner en Indonésie d’octobre 1913 à juin 1914, jusqu’à l’éclatement de la Première Guerre mondiale. Sur le chemin du retour, elle fait escale en Chine, au Japon et enfin aux États-Unis, qu’elle traverse en partant de la côte Ouest jusqu’à la côte Est. Ce périple est de nature strictement scientifique : l’album de photographies qui relate son voyage à travers les États-Unis porte sur les plantes et champs de culture dans ce pays, surtout en Californie19. La botaniste a rencontré sur place des scientifiques éminents, spécialistes en phytopathologie, avec lesquels elle conserve des liens professionnels étroits, notamment en devenant à partir de 1934 un corresponding member de l’Association américaine de mycologie20.
20Les présidentes de la FIFDU s’imposent de fait comme des figures scientifiques internationales, voire des figures de l’internationalisme. L’une de leurs caractéristiques tient à leur maîtrise des langues étrangères. Leurs travaux paraissent de fait dans différentes langues. Caroline Spurgeon n’a-t-elle pas rédigé sa thèse de doctorat en français21 ? Lorsque Gleditsch arrive à Paris en 1907, elle ne connaît que quelques rudiments de la langue, mais par la suite elle est à même de publier de nombreux articles dans des revues françaises, ce qui lui permet de bénéficier de la reconnaissance de la communauté scientifique française. L’octroi d’un doctorat honoris causa par l’université de la Sorbonne en est la marque.
21Les dirigeantes de la FIFDU contribuent à redéfinir les frontières genrées au sein des mondes universitaire et scientifique, en montrant qu’une femme peut au même titre qu’un homme avoir sa place dans la production et la diffusion des savoirs scientifiques. Pour reprendre l’article de Naomi Oreskes, il est intéressant de voir comment les présidentes de la FIFDU font à la fois appel à l’idéal d’objectivité et à celui d’héroïsme22. Caroline Spurgeon, par exemple, fournit un travail considérable pour ses travaux, rassemblant les commentaires et critiques de Chaucer sur près de cinq siècles ou faisant l’inventaire des images utilisées chez Shakespeare. Dans son chapitre « Literary Expeditions », Virginia Gildersleeve associe à l’idéal d’objectivité un esprit d’aventure, de risque, propre aux explorateurs, l’archétype du héros scientifique :
« Tout ce que Caroline Spurgeon fit, elle le fit avec un enthousiasme sans faille. Avec elle, la recherche universitaire devint aussi passionnante que l’exploration de la calotte glaciaire du Groenland ou que la recherche de l’espèce prétendument éteinte de l’oiseau Moa dans les contrées sauvages les plus reculées d’Australie. Elle avait plusieurs qualités qui la rendaient particulièrement apte à la recherche littéraire. Grande amoureuse de la littérature, en particulier de la poésie, elle en appréciait avec sensibilité sa beauté. Elle alliait à cela, de manière quelque peu inhabituelle, une grande capacité pour le dur labeur, et même le travail ingrat, à travers les années […]. Enfin, elle eut de la chance ; ce qui l’a conduit à faire plusieurs découvertes palpitantes. J’ai eu grand plaisir à partager quelques-unes de ces aventures23. »
22Pour s’imposer en tant que figures scientifiques légitimes, les présidentes combinent différents répertoires, qui étaient tantôt traditionnellement considérés comme l’apanage des hommes, ou au contraire majoritairement associés à des comportements féminins. Le registre de l’amour et de la dévotion à la science est ainsi particulièrement présent. Cela ne révèle pas nécessairement une manière « féminine » de pratiquer ou concevoir le travail scientifique, mais renvoie peut-être au répertoire du désintéressement de scientifiques qui s’adonnent à la recherche dans le seul but d’approfondir le champ des connaissances, et non pas pour acquérir un quelconque prestige social24. Cette dévotion à la science confine parfois au sacrifice, jusqu’à devenir, notamment dans le cas de Marie Curie, une réalité. Si Gleditsch ne meurt pas des radiations radioactives, sa santé n’en est pas moins affectée.
23Cet amour pour la science est-il incompatible avec une vie sentimentale ou familiale, ou, en d’autres termes, le célibat est-il la condition sine qua non d’une carrière scientifique féminine ? Si Marie Curie offre évidemment le contre-exemple, il est intéressant de souligner qu’aucune des présidentes de la FIFDU dans l’entre-deux-guerres ne s’est mariée ni n’a eu d’enfant. Ellen Gleditsch défend clairement ce choix lors de l’une de ses interventions au congrès de la FIFDU, en soulignant l’incompatibilité d’une vie de recherche avec une vie de famille. Virginia Gildersleeve, dans ses mémoires, est moins affirmative, en réfléchissant aux possibilités de conciliation entre famille et carrière, mais elle défend en même temps la figure de la femme célibataire (scientifique, enseignante ou administratrice), et remet en cause l’image de la « spinster » ou vieille fille, souvent perçue par la société comme « inhibée et frustrée25 ». Dans la première moitié du xxe siècle, une large proportion des femmes scientifiques sont en effet célibataires, un mariage, s’il intervient, mettant le plus souvent fin à leur carrière ou à leurs contributions.
24Pour celles qui sont restées célibataires, cet état n’a pas été nécessairement synonyme de solitude. Des amitiés se tissent entre elles, à l’image des relations qu’entretient Ellen Gleditsch avec Marie Curie ou la Suédoise Eva Ramstedt. Parfois, ces relations amicales deviennent plus intimes. Après leur première rencontre à New York, Caroline Spurgeon et Virginia Gildersleeve conservent des liens très forts : elles se rendent visite durant les vacances, obtiennent des congés pour aller travailler dans l’université de l’une et de l’autre et achètent un cottage dans le sud de l’Angleterre avant d’emménager ensemble dans l’Arizona à la retraite de Spurgeon et jusqu’à la mort de cette dernière en 1942. La relation qu’entretiennent les deux universitaires offre un exemple caractéristique de ce que l’on a appelé les « mariages de Boston » ou mariage de femmes, pratiques courante jusque dans les années 1930. L’expression « mariage de Boston » est utilisée à la fin du xixe siècle aux États-Unis pour décrire une relation monogame et à long terme entre deux femmes non mariées, indépendantes financièrement, souvent éduquées et prenant part à la vie culturelle et politique de leur pays26. Les « mariages de Boston » sont particulièrement populaires dans le women college de Wellesley, le pendant féminin de l’université d’Harvard, près de Boston : les femmes, professeures et/ou étudiantes s’y rencontrent et développent des relations entre elles. Cette université est tellement connue pour avoir donné lieu à des « mariages de Boston » que l’expression « mariage de Wellesley » devient une description populaire pour décrire une relation entre deux femmes universitaires. Cela leur permettait de conserver leur poste (un mariage aurait mis fin à leur carrière), mais aussi de partager leur vie avec une personne ayant des intérêts communs. Comme l’illustre le « mariage » entre Virginia Gildersleeve et Caroline Spurgeon, les deux femmes travaillent ensemble, s’entraident dans leur recherche et partagent différents aspect de leur vie.
Fig. 13. – Caroline Spurgeon travaillant à l’écriture de son ouvrage Shakespeare’s Imagery dans le bureau de son cottage, Old Postman, vers 1930.

Source : Virginia Gildersleeve, Many a Good Crusade, p. 244-245.
25Certaines pionnières, à l’instar de Johanna Westerdijk, adoptent des comportements plus subversifs, voire provocants. La phytopathologiste néerlandaise est connue sous le surnom de la « professeure au cigare », après avoir fumé de manière ostentatoire lors d’un événement organisé à l’université d’Utrecht, alors qu’elle venait tout juste d’être élue professeure27. On trouve également dans ses archives des photographies du temps où elle était étudiante à Munich et à Zurich, et sur lesquelles on peut la voir en compagnie de l’un de ses camarades, buvant une bière28. Ces comportements, alors associés aux sociabilités masculines, lui permettent d’adopter (voire de revendiquer ?) une identité subversive en termes de genre. Dans le chapitre qu’elle lui consacre, Mineke Bosch réfléchit à la manière dont Johanna Westerdijk négocie son identité à la fois en tant que femme et en tant que scientifique, mais aussi dont, par son exemple, elle participe à la redéfinition des frontières genrées en science29. La phytopathologiste se distancie souvent de son sexe, afin, comme le démontre Mineke Bosch, de dépasser les stéréotypes qui frappent les femmes faisant de la science. Lorsqu’elle conduit ses recherches, Westerdijk est avant tout une scientifique, et non une femme scientifique. Elle a déclaré, dans un entretien : « Quand je m’occupais de science, je ne me suis jamais perçue comme une femme et j’ai n’ai également jamais eu l’impression de penser aux sujets scientifiques d’une autre manière que mes collègues masculins30. » Mais si elle s’est distanciée de son sexe, ainsi que des mouvements des féministes – telles que les suffragettes –, elle n’en a pas moins réfléchi à la condition et à la place des femmes en science.
26Son séjour aux États-Unis en 1914 semble l’avoir fortement marquée. Alors qu’elle souhaitait assister à des réunions de botanistes ou participer à des excursions, elle s’est retrouvée confrontée à l’exclusion des femmes de la communauté scientifique. Dans un article paru dans un journal américain, sous le titre provocateur de « Woman Scientist of Holland Pities American Sisters », Westerdijk fait part de sa stupéfaction face à la position des femmes américaines en science, qu’elle compare à celle des Néerlandaises.
« Vous parlez de liberté. Vos femmes américaines sont des esclaves par comparaison avec la liberté des femmes hollandaises et des femmes des autres pays européens – je ne parle pas des femmes anglaises. Il est vrai que nous n’avons pas de liberté politique en Hollande – dans le sens où l’on n’a pas le droit de vote – mais nous jouissons d’une plus grande liberté morale et sociale. Dans ce pays-ci, lorsque je veux prendre part à une expédition botanique avec mes collègues masculins, on me signale « qu’il n’est pas respectable pour une femme de se promener avec des hommes », que je ne dois pas y aller, que l’on ne me le permet pas31. »
27Comme le note Mineke Bosch, cette expérience aux États-Unis rend la chercheuse néerlandaise particulièrement avertie du problème du double standard (deux poids, deux mesures), c’est-à-dire de la différence de traitement entre les hommes et les femmes, du simple fait de leur sexe32.
28En tant que présidentes d’une organisation spécifiquement et exclusivement dédiée aux femmes, les cinq présidentes de la FIFDU dans l’entre-deux-guerres ont entretenu avec les mouvements et les idées féministes de leur époque une relation complexe, voire ambiguë. Aucune d’elles ne se réclame du mouvement féminisme, à un moment où le terme fait encore généralement référence au mouvement des suffragistes, et suscite des craintes pour l’ordre établi. Cette distanciation a pu constituer une stratégie, afin d’éviter les critiques et intégrer plus facilement un monde universitaire encore très masculin. En tant que représentante d’un college pour femmes et fondatrice de la FIFDU, Virginia Gildersleeve, régulièrement présentée comme l’un des symboles de la cause féministe dans la presse, cherche à déconstruire cette image. Dans l’un de ses discours, intitulé « The Winds of Change », elle écrit par exemple :
« Un sympathique journal […] me décriv[ait], vous voyez, comme une jeune féministe déterminée et vaillante, forçant les portes du savoir. Hélas, je n’étais pas ainsi. Je ne voulais pas entrer au college ; j’y suis entrée avec tristesse, car tel était le désir de ma mère33. »
29Les présidentes ne s’en font pas moins, chacune à leur manière, les porte-paroles de ce que Mineke Bosch qualifie de « féminisme universitaire », un féminisme qui se concentre exclusivement sur les problèmes rencontrés par les femmes dans les mondes universitaire et scientifique. Il trouve son expression dans leur engagement auprès de la FIFDU et des branches nationales affiliées. Caroline Spurgeon et Winifred Cullis ont participé à la fondation de la British Federation of University Women en 1907, Johanna Westerdijk joue un rôle important dans l’établissement de la Vereniging van Vrouwen met een Academisch Opleiding (VVAO), association néerlandaise des femmes universitaires, en 1918 ; quant à Ellen Gleditsch, elle s’engage auprès de la Norske Kvinnelige Akademikere Landsforbund dès son affiliation à la FIFDU en 1921.
Une trajectoire exemplaire ? Ellen Gleditsch (1878-1968), radiochimiste norvégienne
30En 1926, la Norvégienne Ellen Gleditsch devient la troisième présidente de la FIFDU, la première à représenter un pays non anglo-saxon. Aux côtés de Kristine Bonnevie, première professeure d’université de Norvège, et de Lilli Skonhoft, juriste, elle a participé à la fondation de la branche norvégienne des femmes diplômées des universités – la Norske Kvinnelige Akademikeres Landsforbund (NKAL) – qui est affiliée à la FIFDU dès 1921. La trajectoire de Gleditsch illustre particulièrement l’importance et le rôle que jouent des séjours auprès d’universités ou d’institutions de recherche à l’étranger dans la reconnaissance scientifique d’un individu, et tout particulièrement d’une femme à cette époque, en tension entre l’échelle internationale et l’échelle nationale. Les archives de l’université d’Oslo, de la NKAL ou encore les coupures de journaux permettent d’étudier la trajectoire scientifique d’Ellen Gleditsch, mais surtout ses correspondances avec des scientifiques célèbres de son temps ou avec des membres de la FIFDU constituent des sources très riches pour approcher la manière dont la Norvégienne construit et développe son réseau et ses amitiés, et tenter d’évaluer l’importance et l’influence de Marie Curie tout au long de sa carrière34.
31Ellen Gleditsch est née en 1879 à Mandal, une petite ville portuaire du sud de la Norvège, dans un milieu familial appartenant à l’élite sociale et culturelle. Comme la plupart des filles appartenant aux classes supérieures, elle fait ses premiers pas dans une école privée pour filles à Tromsø, une ville portuaire située au-delà du cercle polaire arctique. Ces écoles proposent un cursus différent des écoles pour garçons et ne préparent pas leurs élèves à l’examen final du collège qui permet d’accéder au lycée. Cependant, grâce aux cours privés que lui dispense son père, directeur de l’Høyere Allmenskole – équivalent d’un lycée public – de la ville, notamment en latin et en mathématiques, Ellen Gleditsch réussit l’examen final et s’inscrit dans le lycée que dirige son père. En 1895, elle obtient une mention très bien à ses examens de mathématiques. Pour autant, elle ne se présente pas à l’Artium, l’examen d’entrée à l’université en Norvège. Son père lui trouve une place chez un pharmacien – Svendsen – auprès duquel elle se forme en tant que chimiste. Cette décision, malgré l’environnement libéral et progressiste, est symptomatique de l’idée que la société norvégienne se fait de l’éducation des femmes. Alors que ses frères passent l’Artium et s’inscrivent à l’université, Ellen Gleditsch n’a pas la possibilité de poursuivre des études supérieures, le domaine de la pharmacie offrant peut-être des débouchés professionnels plus acceptables pour une femme. Elle y apprend les rudiments de la chimie : en 1900, elle obtient son diplôme d’assistante pharmacienne, suivi, deux ans plus tard, de celui de pharmacienne. Alors que sa famille s’installe à Trondheim, ville dans laquelle le père vient d’être nommé directeur du lycée, la jeune femme part s’installer seule dans la capitale norvégienne afin de tenter d’y poursuivre ses études.
32L’inscription à l’université en Norvège ne peut se faire sans l’obtention de l’Artium – auquel les Norvégiennes ont le droit de s’inscrire à partir de 1882. Au tournant du siècle, les étudiantes font toujours figures d’exception : elles représentent environ 5 % de la population estudiantine. Ces premières générations, dont fait partie Gleditsch, partagent des traits communs : elles appartiennent aux classes supérieures et à une certaine élite culturelle. En l’absence de préparation aux examens dans les écoles pour filles, elles ont souvent besoin du soutien moral et financier des leurs, ne serait-ce que pour prendre des cours particuliers afin d’acquérir un niveau équivalent à celui que dispensent les lycées pour jeunes hommes35. La trajectoire d’Ellen Gleditsch ne fait donc pas figure d’exception. En 1903, elle obtient un poste d’assistante au laboratoire de chimie de l’université d’Oslo. Deux ans plus tard, elle se présente en candidate libre à l’Artium, dans le lycée que dirige son père à Trondheim, et en 1906, après avoir réussi à passer un examen préliminaire en sciences, elle s’inscrit à l’université afin de suivre des cours de chimie. Dans le même temps, elle devient l’assistante de laboratoire du professeur de chimie Eyvind Bødtker.
33Au tournant du xxe siècle, l’offre scientifique et universitaire, notamment en termes de radioactivité et de physique-chimie, est bien moins développée en Norvège que dans les grands centres universitaires européens. Paris, avec la découverte de la radioactivité par Becquerel en 1896 et la renommée de Pierre et Marie Curie, récompensés d’un prix Nobel en 1904 pour leurs recherches, s’impose comme l’une des capitales scientifiques dans ce domaine. Le professeur de chimie de l’université d’Oslo, Bødtker, séjourne à plusieurs reprises dans la capitale française, afin de profiter de l’environnement scientifique et universitaire de la capitale parisienne et de pouvoir échanger avec des chercheurs réputés dans son domaine. De retour dans son pays, il recommande fortement à Ellen Gleditsch de voyager en Europe afin de se former dans des laboratoires renommés aux côtés de scientifiques tels que Marie Curie, qu’il a eu l’occasion de rencontrer lors de son séjour parisien. Sachant que le laboratoire Curie recherche une nouvelle chimiste, il s’empresse de recommander son assistante : « Melle Ellen Gleditsch », écrit-il, « préparateur au laboratoire de chimie de l’université de Christiania, m’a chargé de vous demander si vous voulez bien l’admettre à votre laboratoire l’automne prochain ». Il décrit son assistante comme étant une « chimist [sic] très instruit, très intelligent » et, selon un schéma classique, comme une scientifique désintéressée, travaillant « seulement par amour de la science, pas pour l’obtention d’un grade quelconque36 ».
34Dès juillet 1907, Marie Curie répond directement à Ellen Gleditsch, lui proposant de l’accueillir dans son laboratoire à partir du mois d’octobre. Si elle accepte, c’est à la condition que la chimiste norvégienne s’occupe en priorité de séparer et recristalliser les sels de baryum que contiennent certains radiums, dans le but de produire de purs sels de radium. Cette « besogne », souligne Marie Curie, a « un intérêt général » pour l’ensemble des chercheurs du laboratoire. En produisant des sels de radium, elle œuvrera au bénéfice de tous, en fournissant les matériaux de base que requiert la recherche en radioactivité. En échange de ce travail, elle sera exemptée des droits de laboratoire. En outre, ajoute la directrice, « vous pourrez en même temps entreprendre un autre travail offrant plus d’intérêt et pouvant fournir des résultats nouveaux37 ».
35Les travaux récents portant sur le laboratoire de Marie Curie, et notamment sur la place qu’y occupent les femmes, ont remis en cause l’idée répandue selon laquelle Marie Curie aurait plus particulièrement soutenu des candidatures féminines ; son critère principal de sélection tenait en fait aux compétences scientifiques des candidats. Les femmes, et notamment celles d’origine étrangère, sont toutefois fortement présentes au sein du laboratoire, comme c’est du reste le cas dans les autres grands laboratoires européens spécialisés dans la radioactivité, tel celui de Stephan Meyer à Vienne. D’une manière générale, les chercheurs ont contribué à mettre en évidence l’opportunité inédite qu’offre, pour les femmes, le développement de nouvelles branches au sein d’une discipline, parfois qualifiées de nouvelles sciences38.
36Le choix du départ à l’étranger pour poursuivre des études, comme on l’a déjà signalé, est une stratégie commune pour les étudiants au tournant du siècle, et particulièrement pour les étudiants norvégiens qui souhaitent se spécialiser dans des domaines scientifiques précis. Bødtker a lui-même effectué plusieurs séjours d’études en France, afin de parfaire ses connaissances en chimie organique. L’université d’Oslo n’offre pas à cette époque des équipements satisfaisants pour étudier la radioactivité. Les laboratoires les plus prestigieux et les plus performants dans ce domaine sont ceux que dirigent Rutherford (Cambridge), Meyer (Vienne), Boltwood (Yale) et Marie Curie (Paris). Pour envisager une carrière dans la science, il est crucial pour les étudiants norvégiens de rejoindre des laboratoires et/ou des universités reconnus à travers le monde. Outre l’accès aux équipements les plus modernes que possèdent de tels centres, étudier à l’étranger est un moyen de construire un réseau professionnel scientifique. En intégrant des groupes de travail efficaces, en rencontrant et en travaillant avec les plus grands professeurs de l’époque ou dans les universités et laboratoires les plus prestigieux, les scientifiques norvégiens créent des liens qu’ils conservent, et qu’ils peuvent « rentabiliser », après leur retour dans leur pays.
37Acceptant les conditions de Marie Curie, Ellen Gleditsch emménage à Paris à l’automne 1907, à l’âge de 29 ans. Bien qu’assistante de chimie à l’université d’Oslo, la Norvégienne n’a encore aucune expérience en recherche, et encore moins dans le domaine de la radioactivité. En moins d’une année pourtant, elle passe du statut d’élève à celui d’assistante personnelle de Marie Curie, une promotion qui traduit à la fois la confiance que la directrice accorde à ses capacités et l’importance du travail que la jeune Norvégienne fournit. Plus encore, cette promotion est liée à un enjeu qui passionne la communauté scientifique travaillant sur la radioactivité, et particulièrement d’éminents chercheurs tels que William Ramsey, Ernest Rutherford, Bertram Boltwood et Frederick Soddy, qui suivent avec intérêt les expériences menées par les deux femmes.
38En juillet 1907, en effet, quelques mois avant l’arrivée à Paris d’Ellen Gleditsch, Sir William Ramsay, un chimiste anglais, a rendu compte d’une grande découverte. Il a observé la formation de lithium et d’argon lorsque les sels de cuivre (Cu2+) sont soumis aux « émanations » de radium39. L’aspect révolutionnaire de l’expérience tient au fait qu’un atome stable (ici le cuivre) pourrait se désintégrer en un autre élément (comme le lithium) par la seule exposition aux émanations de radium. Boltwood, Rutherford et Marie Curie remettent en cause l’hypothèse selon laquelle l’hélium, mais aussi le néon et l’argon pourraient être produits à partir du radium. Les deux premiers n’ont pas de radium en quantité suffisante pour reproduire l’expérience et vérifier le résultat obtenu par Ramsey. La tâche incombe à Marie Curie, qui a une grande quantité de radium en sa possession et qui confie à Ellen Gleditsch l’éminente responsabilité de tester les résultats de Ramsey.
39Ce travail est suivi par l’ensemble de la communauté scientifique. Dans les pages que Gleditsch a consacrées à Marie Curie, elle écrit : « J’ai toujours considéré que la plus grande chance de ma vie est d’avoir été intégrée à cette recherche40. » En effet, la Norvégienne travaille avec et sous la direction de Marie Curie, ce qui lui permet à la fois de bénéficier d’une formation d’excellence et de participer à la résolution d’un problème d’intérêt primordial dans le domaine de la radioactivité41. Les deux femmes reproduisent l’expérience de Ramsey et parviennent à prouver la fausseté des résultats du Britannique. Elles publient leurs conclusions dans la revue Radium de 1908, dans un article cosigné, intitulé « Action de l’émanation du radium sur les solutions des sels de cuivre42 ». Signer un article en apposant son nom à côté de celui de Marie Curie permet à Ellen Gleditsch de s’imposer sur la scène scientifique internationale, et d’autant plus que la réfutation des travaux de Ramsey et Cameron rencontre beaucoup d’écho dans le monde de la recherche sur la radioactivité.
40Cette expérience s’avère capitale pour la Norvégienne et lance sa carrière en radiochimie. Par la suite, elle choisit d’étudier l’uranium et les minéraux contenant du thorium (un minéral découvert en Norvège et dont la radioactivité a été étudiée entre autres par Marie Curie en 1898), en orientant ses recherches vers les questions de la décroissance radioactive et de la relation entre les éléments lorsqu’ils subissent une transformation. Elle publie dès 1909 son premier article personnel sur la quantité relative de radium et d’uranium dans les minéraux radioactifs. Sa recherche est suivie de très près par la communauté scientifique internationale43. En plus de la formation pratique reçue aux côtés de Marie Curie, Gleditsch suit des cours à l’université de la Sorbonne en chimie, physique, minéralogie et surtout en radiochimie – des cours dispensés par la directrice elle-même. En 1912, elle est licenciée ès sciences.
41De retour dans son pays, après avoir passé près de cinq années dans le laboratoire parisien, Gleditsch est chargée par l’université d’Oslo de donner quelques cours portant sur la radioactivité et de superviser le travail de laboratoire. Ses recherches pâtissent toutefois du manque de matériel spécifique et elle peine à poursuivre ses travaux sur la demi-vie radioactive. Ces facteurs la poussent à rechercher de nouvelles opportunités de séjours à l’étranger. Dès 1913, elle postule auprès de l’American-Scandinavian Foundation et obtient une bourse pour aller étudier aux États-Unis44. Elle contacte deux scientifiques américains de renom, travaillant dans des universités de prestige : Bertram Boltwood à Yale (New Haven) et Theodore Lyman à Harvard, et demande à intégrer leur laboratoire. La réaction de Lyman est symptomatique du climat misogyne qui peut régner dans le domaine des sciences. Gleditsch devait rapporter, dans une interview parue dans le journal norvégien Dagbladet en 1964, la réponse de l’Américain : « Aucune femme n’a jusqu’à présent mis un pied dans le laboratoire de physique d’Harvard45. » À Yale, Boltwood hésite : le nom de Gleditsch ne lui est pas inconnu, puisqu’elle s’est fait connaître en étudiant avec Marie Curie l’expérience de Ramsey. Pour autant, sa réponse, apparemment positive et flatteuse, n’encourage pas la Norvégienne à venir travailler dans son laboratoire, qui n’est « pas aussi bien fourni en préparations radioactives que ce que vous avez dû être habituée à avoir à votre disposition au cours de votre séjour dans le laboratoire de Madame Curie à Paris46 ». Dans une lettre à Rutherford, cependant, dans laquelle il lui fait part de la demande formulée par Gleditsch, sa réaction est plus crue. Il laisse en effet entendre que si une femme veut venir travailler dans un laboratoire, c’est en vue de se marier ; et de conclure sur cette note d’humour qui révèle les préjugés sexistes prévalant à cette époque : « Dites à Mme Rutherford qu’une coupe à fruit en argent ferait un très bon cadeau de mariage47 !!! »
42Mais malgré la réserve que marque Boltwood, la Norvégienne débarque à New York au mois d’octobre 1913 et rejoint le laboratoire de Yale où elle demeure jusqu’en 1914. Et son arrivée attire l’attention des journalistes : Ellen Gleditsch est à la fois la première femme boursière de la fondation Americano-Scandinave et l’ancienne étudiante d’une célébrité scientifique, Marie Curie. Dans un article du New York Press, intitulé « Famous Woman Scientist to Discover Cheap Method of Extracting Radium », le journaliste exprime son étonnement de rencontrer une femme scientifique qui soit à la fois féminine et intelligente :
« Cette jolie petite femme aux grands yeux bruns et aux lèvres douces et souriantes, l’une des femmes scientifiques les plus remarquables ? Impossible ! Où sont ses lunettes, sa sévérité, son allure d’indépendance ? Qu’ont à voir des mots tels que radioactivité ou rayons gamma avec de si douces lèvres ? Si vous voyez Miss Ellen Gleditsch après avoir entendu sa réputation, votre idée préconçue de ce à quoi elle devrait ressembler pourrait refuser de disparaître à la vue de la plaisante réalité. Cela finira par arriver cependant. Elle est tout aussi charmante qu’elle le paraît, et tout aussi célèbre que ce que vous aviez entendu dire48. »
43Ses recherches au sein du laboratoire de Boltwood s’avèrent importantes pour le reste de sa carrière. Bien qu’elle ne parvienne pas à trouver un moyen de réduire les coûts de production du radium – ce qui aurait pu permettre de faciliter son utilisation, spécialement dans le domaine médical –, la Norvégienne détermine la demi-vie de l’élément radioactif à 1 686 années. La valeur allait servir de référence pour la communauté scientifique internationale pendant près de trente-cinq ans, avant qu’elle ne soit redéfinie. Au cours de son séjour aux États-Unis, Gleditsch s’attaque également à la question de la détermination de l’âge des formations géologiques, un champ encore peu étudié ; et ses travaux l’imposent comme l’une des expertes mondiales dans le domaine. En 1914, le président de l’American Chemical Society, le professeur Theodore William Richards, l’invite à visiter Harvard, et Theodore Lyman, qui avait refusé de l’accueillir dans son laboratoire, est disposé désormais à ce qu’elle vienne y travailler. Ses nouveaux égards, exceptionnels envers une femme, témoignent de l’importance que la Norvégienne a acquise dans la communauté scientifique, au sein de laquelle elle a réussi à s’imposer comme une experte dans le domaine de la radioactivité.
44La carrière de la radiochimiste norvégienne s’est construite en négociation constante entre la scène scientifique internationale et celle de la Norvège. L’analyse des enjeux liés à son élection, tardive, en tant que professeure permet de mieux saisir le type de persona scientifique qu’Ellen Gleditsch se bâtit, et de souligner l’importance des séjours à l’étranger et des rencontres culturelles. À Paris puis aux États-Unis, elle a su construire un réseau international, qui se compose de chercheurs renommés dans son champ d’étude, et qu’elle entretient tout au long de sa carrière, par le biais de collaborations scientifiques, de visites, d’échanges épistolaires. Sa correspondance avec Marie Curie est éclairante à ce sujet ; les deux femmes échangent régulièrement des nouvelles quant à leurs travaux, et la savante franco-polonaise propose régulièrement à son ancienne assistante de revenir travailler dans son laboratoire ou de s’associer à ses recherches.
45Ces contacts internationaux sont d’une importance vitale pour Ellen Gleditsch, comme en témoigne la correspondance échangée avec ses ami(e)s de l’étranger. Après être rentrée des États-Unis, elle travaille à Oslo comme university fellow puis comme associate professor et se sent isolée dans le milieu universitaire norvégien, où la recherche en radioactivité reste spécialement peu développée. L’année même de son retour (1915), elle se confie à Marie Curie quant à son sentiment de solitude « au point de vue radioactivité – à Kristiania49 ». C’est pour combattre cette forme de solitude scientifique qu’elle multiplie les voyages professionnels.
46Ce retard norvégien dans un champ prometteur comme celui de la radiochimie est également déploré par les deux professeurs de chimie de l’université d’Oslo, Bødtker et Goldschmidt, qui réclament la construction d’un nouveau laboratoire, plus spacieux et plus moderne. En 1918, un comité chargé de superviser l’entreprise est créé ; Ellen Gleditsch est la seule femme à en faire partie. Grâce à ses compétences linguistiques et ses voyages d’étude, elle a une grande connaissance des laboratoires européens et américains ; elle participe au renouvellement de l’université norvégienne en prenant appui sur les modèles étrangers50. Elle se rend également en Angleterre et dans d’autres pays européens afin de visiter d’autres laboratoires « modèles ». En 1922, elle parvient à mettre en place un laboratoire destiné à l’étude de la radioactivité. Ces voyages et déplacements à l’étranger lui permettent de se tenir informée des nouvelles technologies, mais aussi de renforcer les liens avec des collègues et amies à travers le monde et aussi de démontrer à l’université d’Oslo qu’elle bénéficie d’une reconnaissance internationale. Peu à peu, elle se rend indispensable, non seulement parce qu’elle est l’une des rares scientifiques à enseigner la radioactivité, mais aussi parce que, grâce à son réseau, elle contribue à la modernisation de l’université dans son ensemble.
47Son investissement à l’international porte ses fruits dès son retour de Paris en 1914, lorsqu’elle obtient un poste d’associate professor. Sa candidature est soutenue par quatre professeurs de l’université qui insistent sur le fait qu’elle est la seule radiochimiste du pays (mis à part le géologue Victor Moritz Goldschmidt) et que son travail pourrait à la fois valoriser l’université, mais aussi contribuer à donner une avance scientifique et économique au pays, qui possède de grands gisements de minerais. Sa candidature au poste de professeur de chimie, que libère le départ à la retraite de Goldschmidt en 1927, rencontre en revanche beaucoup plus de réticence de la part des membres de l’université, notamment parce que les autres candidats ont également étudié avec des savants reconnus, et qu’ils sont plus jeunes. Goldschmidt lui reproche notamment son manque d’originalité. « Tous ses travaux qui ont donné d’importants résultats […] reprennent les travaux, les idées et les méthodes qui ont été mis au point par d’autres […]51 », écrit-il dans son rapport. Soulignant, en quelque sorte, l’absence de génie scientifique, Goldschmidt reprend les stéréotypes de l’époque concernant les femmes scientifiques, à savoir qu’elles s’en tiendraient à répéter minutieusement des travaux que d’autres ont théorisés. C’est ce qu’avance Annette Lykknes dans son analyse de l’élection : « Il est intéressant de voir que les mots choisis par Goldschmidt pour décrire les travaux scientifiques de Gleditsch sont essentiellement des mots faisant appel aux caractéristiques perçues comme étant féminines : diligence, exactitude, dépendance52. » Malgré de fortes oppositions, Gleditsch peut compter sur les soutiens de ses anciens mentors : Bøtdker mais aussi Marie Curie, contactée par Kristine Bonnevie, alors l’unique femme professeure en Norvège :
« Melle Gleditsch me paraît mériter d’être nommée Professeur. Il ne saurait être question pour moi d’intervenir dans une nomination qui doit être envisagée du point de vue des intérêts généraux de l’université d’Oslo […]. Il m’a donc semblé que je pouvais vous adresser ces lignes sans manquer à ma réserve […] et uniquement pour donner un témoignage de l’estime et de l’amitié que j’éprouve pour Melle Gleditsch, mon ancienne collaboratrice53. »
48Le 21 juin 1929, Ellen Gleditsch devient officiellement la seconde femme à être élue professeure d’université en Norvège. Quelques années plus tard, elle est également reconnue dans son pays d’adoption, la France : l’université de Strasbourg lui décerne le titre de docteur honoris causa en 1948, un honneur que lui confère également l’université de la Sorbonne en 1962. C’est alors pour la première fois de son histoire que l’institution le décerne à une femme.
Présider au féminin
49Le choix des dirigeantes de la FIFDU, notamment dans les premières années d’existence et de développement de l’organisation, représente un enjeu stratégique. Elles sont appelées en effet à la représenter et à en être les garantes, alors même que sa légitimité reste à construire. Ce qui est en jeu dans le processus de leur désignation, c’est la validation d’un modèle de réussite, à partir du cas d’un individu exemplaire censé incarner au mieux, par sa trajectoire, ses engagements et idéaux, les valeurs de l’organisation. Les archives officielles de la FIFDU contribuent à en rendre l’histoire passablement « lisse », mais les correspondances entre membres et d’autres sources plus informelles permettent de mieux comprendre les enjeux qui entourent la nomination des dirigeantes et de découvrir les tensions ou conflits latents.
Désigner les présidentes : enjeux et tensions
50Le processus de désignation des membres dirigeants de la FIFDU prend place en amont des congrès ; il implique à la fois les branches nationales et le bureau international de la FIFDU. Les dirigeantes de l’organisation ne sont pas élues à la majorité mais nominées – sous réserve que les intéressées acceptent leur désignation – par les représentantes des branches. Huit mois avant la tenue d’un congrès international, chacune des branches nationales est tenue de produire une liste des candidates qu’elle souhaiterait voir à la tête de la FIFDU, soit en tant que présidente, soit en tant que vice-présidentes. Cette liste est accompagnée, en principe, de notes concernant chacune des personnes proposées et dans lesquelles sont exposées les raisons de leur choix, ainsi que les « services et qualifications » des candidates considérées « comme étant de valeur spéciale pour la Fédération54 ». Si les branches de la FIFDU peuvent proposer des candidates locales, elles doivent également impérativement proposer des noms de membres étrangères afin d’éviter des tensions entre branches nationales. Les propositions sont ensuite rassemblées par la secrétaire générale à Londres et, en fonction de la réponse donnée par les potentielles nominées, une liste réduite est renvoyée aux associations nationales, qui doivent alors indiquer leur préférence finale. C’est de manière officielle, au cours des congrès internationaux, que le passage de pouvoir a lieu, la présidente sortante introduisant, en guise de fermeture du congrès, sa successeur.
51Si ce processus de désignation est détaillé dans la constitution de la FIFDU, on ne trouve que peu de documents relatifs à ces élections dans le fonds d’archives de l’organisation. En revanche, les archives de certaines branches nationales s’avèrent plus riches, et leur dépouillement permet de mieux comprendre ce qui se joue dans la nomination des dirigeantes. Un feuillet conservé dans les archives de la BFUW, par exemple, et daté de mai 1929, comporte la liste des noms proposés lors de la première sélection par les branches nationales, en vue de la nomination des membres du bureau pour la période allant de 1929 à 193255. La liste a été composée à partir de noms reçus jusqu’au 1er mai, et provenant des soumissions de 22 associations nationales56. Deux candidates ont été initialement proposées pour la présidence de la FIFDU : Winifred Cullis et Nelly Schreiber-Favre, une avocate suisse, la première femme avocate assermentée en Suisse. Ces deux femmes ont participé, dans leurs pays respectifs, à la fondation d’associations universitaires affiliées à la FIFDU, et ont assumé la responsabilité de présidente nationale. Lors de leur nomination, toutes deux sont vice-présidentes de la FIFDU : depuis 1924 pour l’Anglaise et 1926 pour la Suissesse. Si cela n’est pas spécifié dans la constitution, il semble bien, dans la pratique, que les présidentes soient choisies exclusivement parmi les vice-présidentes du mandat précédent.
52Certaines vice-présidentes, à l’instar de Winifred Cullis ou de la Française Marguerite Mespoulet – pour ne citer qu’elles – sont réélues vice-présidentes de la FIFDU à plusieurs reprises. Les présidentes, en revanche, ne peuvent accomplir que deux mandats. Ainsi, bien que de nombreux membres regrettent que Caroline Spurgeon ne puisse plus se représenter après avoir présidé la FIFDU de 1920 à 1922, puis de 1922 à 1924, cette dernière laisse sa place à Virginia Gildersleeve. Par la suite, toutefois, une note est ajoutée à la constitution, rendant éligible, après un intervalle de temps, une présidente ayant déjà exercé un ou deux mandats. La doyenne du Barnard College, présidente entre 1924 et 1926, peut ainsi à nouveau exercer cette fonction entre 1936 et 1939. En rendant difficile la réélection des dirigeantes, les membres fondateurs de la FIFDU cherchent à s’assurer du renouvellement des cadres dirigeants. C’est la ligne que défend Winifred Cullis : lors de son dernier discours en tant que présidente à la conférence internationale organisée en 1932 à Édimbourg, elle explique pourquoi elle refuse d’être nominée pour un second mandat. On lit dans le Bulletin :
« Elle [Winifred Cullis] avait aimé l’expression de leur confiance, mais avait décidé de ne pas accepter leur aimable suggestion d’un nouveau mandat. Tout d’abord, elle sentait qu’elle arrivait à un âge où il n’y avait pas assez de temps pour s’occuper de tout. Ensuite, elle avait été une représentante officielle de la Fédération pendant une période trop longue […]. Et en troisième lieu, il y avait tellement de splendides personnes dans la Fédération qu’il n’était pas juste qu’une seule empêche les autres d’entrer en fonction. Sauf pour quelque raison très spéciale, il était préférable de ne pas garder une personne en fonction indéfiniment, à condition que la continuité soit assurée au sein des comités57. »
53C’était déjà le souhait d’Ellen Gleditsch quelques années auparavant, qui soutenait l’importance d’impliquer les jeunes générations dans le mouvement des university women, comme lors de l’une de ses interventions au congrès de Genève :
« Il est parfois difficile de percevoir les nouveaux problèmes et de reconnaître de nouveaux idéaux. Nos cerveaux ont travaillé sur des vieilles idées pendant tellement d’années que nous suivons les mêmes sentiers battus ; la nouvelle génération réagit aux nouvelles idées avec plus de facilité58. »
54Ce souci de renouvellement régulier distingue la FIFDU des autres organisations féminines internationales. Dans la section intitulée « Leadership » de son ouvrage World of Women, Leila Rupp constate que dans la période précédant la Seconde Guerre mondiale, trois femmes, qu’elle qualifie de « reines virtuelles », siègent de manière ininterrompue à la tête de leur organisation : Lady Aberdeen pour le Conseil international des femmes, Carrie Chapman Catt pour l’Alliance internationale des femmes et enfin Jane Addams pour la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté59. Le choix du terme de « reine » pour désigner ces trois dirigeantes n’est pas fortuit, mais repose sur un ensemble de témoignages de membres qui se réfèrent à Lady Aberdeen comme à « la mère et la reine que nous aimons et jamais n’oublierons », ou encore désignent Carrie Chapman Catt comme « la reine non couronnée des femmes américaines60 ».
55Lorsque le nom d’une potentielle présidente est proposé, l’intéressée peut accepter ou décliner l’offre. Dans le cas des élections de 1929, par exemple, Winifred Cullis est en réalité la seule vraie candidate, Nelly Schreiber-Favre étant, d’après les renseignements fournis, « dans l’incapacité d’accepter cette nomination61 ». Souvent, les motifs de refus ne sont pas explicités. Dans quelques cas, cependant, ils sont mentionnés, de manière officielle ou plus informelle. On vient de voir la même Cullis, en 1932, évoquer des motifs plus personnels, tels que l’âge, qui ne lui permettrait plus d’assumer la direction d’une organisation internationale telle que la FIFDU – elle est alors âgée de 57 ans62. Outre l’âge et le lieu de résidence, la question de la disponibilité se pose également. C’est ce que révèle l’échange entre Lilli Skonhoft, représentante de l’association norvégienne, et l’Anglaise Théodora Bosanquet, secrétaire générale de la FIFDU, concernant la possible candidature de Kristine Bonnevie au poste de vice-présidente en 1924. Alors que les trois fédérations nordiques organisent conjointement la conférence internationale à Christiania (Oslo), Bonnevie, présidente de la NKAL, est l’une des candidates potentielles proposées par les autres branches nationales. Déclinant la proposition, elle invoque notamment le manque de temps, étant déjà présidente de la NKAL et membre de la délégation norvégienne auprès de la Société des Nations, des charges qui s’ajoutent à son travail scientifique et à ses cours à l’université d’Oslo. Par le biais de Lilli Skonhoft, elle fait part de son désistement au siège central de la FIFDU, mais propose le nom d’Ellen Gleditsch, alors vice-présidente de la branche norvégienne, pour la remplacer.
Une « présidente parfaite » : exploration d’une fonction
56Sur la recommandation de sa compatriote, Ellen Gleditsch est nommée vice-présidente de la FIFDU de 1924 à 1926, puis présidente jusqu’en 1929. Lors du congrès qui clôture son mandat, sa successeur, Winifred Cullis, revient sur son parcours et ne craint pas de la qualifier de « présidente parfaite » :
« Le Dr Cullis, remerciant la Fédération de son élection à la présidence, exprime le désir de se montrer digne des présidentes qui l’ont précédée : Miss Spurgeon, Dr ès Lettres, Dean Gildersleeve et Mlle Gleditsch, Dr ès sciences. Elle serait heureuse si, parvenue au terme de son mandat, elle avait su s’acquérir une légère part de cette affection qu’a su gagner si merveilleusement Mlle Gleditsch. Mlle Gleditsch avec son charme, son entrain, joints à une si grande dignité, a été la présidente parfaite63. »
57Qu’est-ce qui fait, aux yeux de Winifred Cullis, une présidente « parfaite » ? Quelles sont les qualités nécessaires pour représenter au mieux la FIFDU, les idéaux portés par ses membres ainsi que leurs intérêts ? On peut tenter, à partir des membres du bureau de la FIFDU au cours de l’entre-deux-guerres mais aussi de celles qui ont décliné les offres, de dresser une sorte de portrait-robot de la dirigeante de la FIFDU.
58Les présidentes et vice-présidentes de la période de l’entre-deux-guerres sont toutes actives dans leurs associations nationales respectives. Caroline Spurgeon et Winifred Cullis sont à tour de rôle présidentes de la BFUW, Kristine Bonnevie et Ellen Gleditsch ont participé à la fondation de la branche norvégienne au début des années 1920, la seconde remplaçant la première au poste de présidente nationale en 1924. On retrouve également des membres importantes de la branche française, Marguerite Mespoulet et Marie-Octave Monod. Cette dernière est fondatrice de l’Association française des femmes diplômées des universités et sa présidente pendant dix ans entre 1923 et 1933. Les vice-présidentes Margaret McWilliams ou Nelly Schreiber-Favre, quant à elles, sont respectivement fondatrices et présidentes des branches canadienne et suisse. Toutes ont été des « pionnières » : parmi les premières étudiantes de leur pays, elles ont mené des recherches qui leur ont valu une reconnaissance scientifique et universitaire, et sont de fait les premières femmes à avoir obtenu un poste à l’université. C’est très probablement parce qu’elle a été la première femme élue professeure en Norvège que Kristine Bonnevie est proposée à la vice-présidence de la FIFDU en 1924. Le statut professionnel des présidentes est d’autant plus important qu’elles représentent un idéal pour les femmes ayant fait des études supérieures ; obtenir une chaire demeure l’un des principaux marqueurs de la réussite scientifique et universitaire. Lors du passage de pouvoir en 1929, Winifred Cullis, après avoir qualifié « Mlle Gleditsch » de présidente parfaite, ajoute « qu’il convient […] de lui donner le titre auquel elle a le droit et de l’appeler le Professeur Gleditsch », rappelant qu’elle « vient, en effet, d’être nommée professeur de chimie à l’Université d’Oslo64 ».
59Les dirigeantes de la FIFDU doivent assurer le développement de l’organisation, mais aussi et d’abord asseoir sa reconnaissance et sa légitimité. Le fait que le nom de Marie Curie ait été proposé pour prendre la tête de l’organisation en dit long de ce point de vue. On sait combien, dans l’entre-deux-guerres, la chercheuse franco-polonaise est l’une des femmes scientifiques les plus connues au monde, avec ses deux prix Nobel, l’un de physique (1903), l’autre de chimie (1911). Elle refuse toutefois de s’engager au sein de la FIFDU – elle est déjà membre de la CICI –, mais elle accepte le titre de présidente d’honneur de la branche française.
60La réputation des dirigeantes rejaillit sur celle de l’organisation, aussi travailler dans une organisation internationale requiert de posséder certaines qualités ou compétences, particulièrement dans le domaine de la communication et du relationnel. La plupart des dirigeantes ont déjà acquis une expérience internationale avant de rejoindre la FIFDU. Nombre d’entre elles ont séjourné à l’étranger, comme nous l’avons vu, au cours de leurs études. Leurs réseaux professionnels, notamment à l’international, peuvent s’avérer stratégiques pour le développement et la promotion de la FIFDU dans des cercles variés. Elles sont polyglottes : Ellen Gleditsch et Johanna Westerdijk, par exemple, ont une connaissance étendue de l’anglais, du français et de l’allemand, outre le norvégien et d’autres langues scandinaves pour la première, le néerlandais et l’espagnol pour la seconde.
61Les questions nationales sont présentes en filigrane, malgré l’internationalisme revendiqué de la FIFDU. La nomination d’Ellen Gleditsch à la vice-présidence en 1924 soulève ainsi une interrogation : elle est connue pour avoir travaillé aux côtés de Marie Curie à Paris pendant plus de cinq années, et certains lui prêtent des sentiments trop francophiles, alors même que l’organisation, notamment dans ses branches anglo-saxonnes, s’efforce d’inclure les femmes universitaires de l’espace germanique. Lorsque son nom est proposé par Kristine Bonnevie, la secrétaire générale, Theodora Bosanquet, est chargée d’enquêter, de manière confidentielle et informelle, sur les idéaux de la Norvégienne. Dans une lettre datant de mars 1924, la secrétaire de la branche norvégienne, Lili Skonhoft, répond à ses interrogations :
« Pour ce qui est de la question confidentielle au sujet du Dr Gleditsch, je tiens à dire qu’elle a de très fortes sympathies envers la France. Elle a travaillé dans le laboratoire de M. et Mme Curie pendant plusieurs années, et elle connaît et aime bien la France. En même temps, il semble qu’elle possède le véritable esprit internationaliste. Bien sûr, c’est mon sentiment personnel65. »
62Nommée Présidente lors du congrès de 1926 à Amsterdam, la même Gleditsch a eu la sagesse de s’exprimer ainsi : « Elle appréciait grandement l’honneur qui lui était fait en étant élue présidente. C’était une tâche difficile et elle ne pouvait pas promettre plus que de faire de son mieux66. » La difficulté et la multiplicité des tâches que recouvre la fonction de présidente sont soulignées par Johanna Westerdijk lors du congrès de 1932 au cours duquel elle accède à la charge. Elle évoque notamment les nombreuses attentes formulées par les membres de la FIFDU :
« Elles voulaient que leur Présidente garde à l’esprit les questions universitaires, qu’elle fasse des discours et – bien qu’elle ne soit pas avocate de naissance ou de formation – qu’elle organise des réunions d’affaires dans des langues qui ne sont pas la sienne. Elles pensaient qu’elle devait tout savoir sur les procédures en usage dans tous les pays. Elles s’attendaient à ce qu’elle soit très éloquente et qu’elle fasse de brillants discours à chaque événement social ; mais, si elle avait fait une erreur dans une langue étrangère, on pouvait la critiquer pour le reste de sa vie pour quelque chose qu’elle avait fait en deux heures67. »
63Ici encore, on peut percevoir entre les mots à la fois la pression qui repose sur les épaules des présidentes, et la réalité de relations à l’évidence bien moins consensuelles que ne le donnent à voir les archives officielles. Le témoignage de Westerdijk montre également la difficulté à présider une fédération qui rassemble autant de branches nationales aux mœurs, à la langue et à la culture différentes.
64Les charges, pour les membres du bureau, sont lourdes. Elles doivent prendre part à de multiples réunions et voyager de manière régulière. Les congrès internationaux sont organisés tous les trois ou quatre ans et le Conseil se réunit une à deux fois par an, dans différentes capitales européennes. Ces réunions reposent sur un travail en amont qui peut être fastidieux. Les dirigeantes font souvent également partie des comités de la FIFDU ; ainsi la plupart siègent-elles au comité d’attribution des bourses internationales, et doivent régulièrement rédiger des rapports détaillés sur les différentes candidates. Les présidentes et vice-présidentes doivent également assurer la bonne communication entre les branches nationales et les organes internationaux et rendre compte des décisions prises par le Conseil lors des congrès internationaux. En dehors du cercle de la FIFDU, les présidentes ont pour mission de représenter l’organisation, d’en assumer le rôle de figure de proue. Il s’agit donc d’une fonction chronophage, qui s’étend souvent sur deux mandats : les présidentes sont nommées parmi les anciennes vice-présidentes et sont ainsi membres du bureau près de six années consécutives.
65Une question se pose ici : quelle conciliation entre la carrière scientifique et universitaire et le mandat de représentante officielle de la FIFDU ? L’engagement des présidentes et vice-présidentes ne s’est-il pas fait au détriment de leurs recherches et de leur carrière ? Anne-Marie Kubanek, une des biographes de Gleditsch, semble penser que l’engagement de la Norvégienne dans la FIFDU a accru de manière considérable sa charge de travail, sans avoir nécessairement de retombées positives sur sa carrière. Elle cite un ancien étudiant de Gleditsch qui, dans une interview, rapporte que le travail de la Norvégienne pour la FIFDU « lui a fait perdre du temps, au fil des années, en tant que chercheuse68 ». La chose reste toutefois difficile à mesurer. Elle n’a nullement interrompu le flux de ses publications scientifiques et, à la fin de son mandat, en 1929, elle est élue professeure de chimie à l’université d’Oslo. Toutefois, ses absences répétées lui ont été reprochées : n’a-t-elle pas entrepris au printemps 1929, par exemple, un périple de plusieurs mois aux États-Unis, avec pour but principal de promouvoir la FIFDU ?
La fabrique d’une élite internationale féminine ?
66La figure de dirigeant est restée très longtemps une figure principalement masculine ou associée à des codes et comportements masculins. Les organisations exclusivement féminines ont donc constitué une opportunité sans précédent pour les femmes d’accéder à des positions de pouvoir et de responsabilités. À la tête de la FIFDU, les présidentes et vice-présidentes expérimentent la pratique du pouvoir et promeuvent la figure de la dirigeante à la fois scientifique et féminine.
L’invention d’un leadership intellectuel et scientifique au féminin
67Les discours que prononcent les présidentes en ouverture et en clôture des congrès ainsi que lors des réunions du conseil sont généralement retranscrits (mais pas toujours intégralement) dans les Bulletins de la FIFDU69. L’analyse de ces discours permet d’identifier les répertoires qu’elles mobilisent, lesquels s’inscrivent souvent dans une longue tradition masculine. Nouvellement nommée présidente en 1924, Virginia Gildersleeve recourt, par exemple, à la métaphore du navire et du capitaine, pourtant éculée dans la rhétorique du pouvoir :
« Miss Gildersleeve dit alors que c’était avec la plus grande humilité, modestie et un pincement au cœur qu’elle reprenait les commandes du bateau des mains de Caroline Spurgeon, mais peut-être, comme cette dernière avait taillé le navire dans du robuste chêne anglais et leur avait donné une boussole et une carte, sa successeur serait-elle capable de maintenir le cap70. »
68Dans Gender and Leadership, Lisa Pace Vetter, spécialiste des sciences politiques et des études du genre, propose une analyse de l’histoire des théories politiques au prisme du genre. Elle revient sur l’image, chez Platon (Alcibiade), de l’homme d’État comme capitaine de navire ou philosophe-roi, des rôles ou modèles qui sont « clairement conçus pour s’appliquer aux hommes71 ». Le monde de la mer est en effet très masculin, et les femmes n’y ont généralement pas accès. Comme le rappellent Enrico Bonatti et Kathleen Crane, les femmes scientifiques ne sont pas admises sur les navires dédiés aux explorations et études océanographiques avant les années 196072. Cette prohibition remonterait aux mythes et légendes anciennes, comme dans l’Odyssée d’Homère, dans lesquels les femmes représentent un danger pour l’équipage. C’est déguisée en homme que la première exploratrice et botaniste connue, Jeanne Baret (1740-1807), est montée à bord d’un navire d’exploration pour accompagner son compagnon, le naturaliste Philibert Commerson. Virginia Gildersleeve s’approprie donc, dans un geste doublement transgressif, la rhétorique du pouvoir masculin.
69Aux antipodes de la métaphore du capitaine de navire, certaines présidentes mobilisent des éléments étroitement liés à leur domaine de recherche. Ellen Gleditsch évoque ainsi à plusieurs reprises la physique et la chimie. Lors du conseil de Madrid, elle compare les membres de la FIFDU à des « agents catalytiques », rendant une réaction chimique possible entre deux corps n’ayant pas la capacité de s’affecter l’un l’autre. Appliquant la définition chimique de la catalyse au champ des relations humaines, elle a avancé ceci :
« Dans le domaine des intérêts humains, il fallait quelque chose de similaire à un agent catalyseur pour faire en sorte que les rencontres d’individus soient l’occasion de nouer des relations réelles et durables. Telle était la fonction de la Fédération Internationale – agir en tant que catalyseur dans la chimie des relations internationales, servir de point de contact entre les individus et les nations, en les rapprochant par la force de l’amitié et de la compréhension. La tâche pour laquelle la Fédération a été fondée était de faciliter les contacts entre des femmes qui avaient en commun un bagage universitaire73. »
70Plus loin, la radiochimiste norvégienne fait appel au champ de la radioactivité en comparant l’action des membres de la FIFDU à celle du radium « qui peut être utilisé pour transformer des éléments jusqu’alors considérés comme simples en d’autres éléments74 ». Dans une veine similaire, Winifred Cullis expliquait au congrès de 1929 que les problèmes administratifs doivent être résolus de la même manière qu’un problème scientifique75.
71Les dirigeantes de la FIFDU ont le sentiment d’appartenir, de par leur bagage intellectuel et leur réussite scientifique et professionnelle, à une élite au féminin. Toutes les femmes universitaires, à l’image de leurs représentantes, constituent une telle élite, la « crème de la crème », pour reprendre l’expression employée par Ellen Gleditsch lors du congrès de Genève en 1929. Cette affirmation d’une supériorité intellectuelle permet aux dirigeantes de justifier leur rôle de leaders internationaux, notamment auprès des femmes. C’est ce que soutient Winifred Cullis dans son allocution prononcée devant le conseil de la FIFDU à Prague en 1930 : « Les femmes diplômées des universités », dit-elle, « ayant reçu plus que d’autres, ont le devoir de contribuer pour une part plus grande au bien de tous […]. Plus les avantages ont été grands, plus grandes sont aussi les obligations76 ».
Porte-paroles des university women
72Voyageant pendant parfois plusieurs mois et traversant de nombreux pays, les présidentes sont véritablement les « visages » de la FIFDU. Au cours des premières années d’existence de la FIFDU, ces « tournées présidentielles » revêtent une importance stratégique pour l’affirmation et la notoriété de l’organisation. Les présidentes ont pour mission, nous l’avons vu, de rallier des membres à la cause, de susciter la création de nouvelles branches dans des pays où les femmes universitaires ne sont pas encore organisées, mais aussi d’assurer la reconnaissance de l’organisation au-delà du cercle des adhérentes.
73Dès 1920, Caroline Spurgeon, Winifred Cullis et Ida Smedley Maclean entreprennent un tour à travers les États-Unis, afin de renforcer les liens entre les associations britannique et américaine et de promouvoir le projet des university women auprès des membres américains. Dans chaque ville qu’elles visitent au cours des mois de février et de mars 1920, elles sont accueillies dans différentes institutions, donnent des conférences et s’adressent notamment aux étudiants et étudiantes américains77. Si cette première tournée se limite aux États-Unis, les dirigeantes étendent rapidement leurs déplacements, de l’Amérique du Nord à l’ensemble des pays Européens. Au cours de son mandat, Ellen Gleditsch se déplace dans plus de quinze pays différents. En 1929, au terme de sa présidence, elle revient sur ces voyages et les nombreuses rencontres et opportunités qu’ils ont suscitées :
« J’ose à peine mentionner le nombre des pays visités ! Deux réunions du Conseil ont eu lieu, l’une en Autriche, l’autre à Madrid. Je me suis rendue plusieurs fois en France. Je suis allée en Hongrie, en Yougoslavie, en Bulgarie, en Roumanie, et enfin, en Grande Bretagne où j’ai vu bon nombre de sections de la Fédération britannique. Je suis allée aussi dans plusieurs des pays septentrionaux, en Suède, au Danemark, en Lettonie, en Estonie et en Finlande. Et, cette année, voyage passionnant s’il en fut, je suis allée aux États-Unis, parcourant le pays de l’une à l’autre côte, et du nord au midi. En outre, j’ai fait un très court séjour au Canada. Je tiens à remercier et la fédération internationale, qui m’a envoyée dans ces pays, et toutes les Associations nationales qui m’ont reçue et grâce auxquelles j’ai été à même d’en rencontrer les membres, de donner des conférences scientifiques dans les villes que je visitais, et d’entrer en contact avec les universitaires que je désirais rencontrer. Tout cela était du plus haut intérêt et a été pour moi un plaisir très grand78. »
74Comme le souligne Gleditsch, ces déplacements permettent aux dirigeantes de resserrer les liens avec des membres éloignées, n’ayant pas la possibilité de se rendre dans les rassemblements organisés par la FIFDU. La participation aux congrès de l’organisation, comme nous l’avons vu, est à la fois coûteuse et chronophage. Si les réunions sont organisées pendant les vacances d’été, afin de permettre aux professeures et enseignantes de pouvoir y assister, une large majorité des membres n’y ont pas accès. Bien que les Bulletins constituent l’un des vecteurs principaux pour rassembler et informer de par le monde, les contacts personnels sont bien au cœur de la politique et des stratégies de la FIFDU. Il revient aux présidentes, en tant que figures de proue du mouvement, d’incarner ce lien, en rendant visite à des branches locales et nationales parfois éloignées ou moins bien connectées avec l’espace et le travail international de la FIFDU. Les bienfaits des tournées présidentielles sont mis en valeur, ainsi au moment du cinquième congrès organisé à Édimbourg en 1929, Virginia Gildersleeve cite les récents voyages de Gleditsch à l’appui de sa démonstration :
« Outre la création de clubs, on peut encore créer des contacts par les voyages, en envoyant quelqu’un de son propre pays dans d’autres pays. Songez quel bienfait ce fut d’envoyer Dr Gleditsch en tournée. Il y a un grand nombre de mes compatriotes qui habitent des régions reculées et qui ne voient presque jamais d’étrangers. […] Imaginez ce que ce serait pour vous, si vous viviez dans quelque coin perdu du Texas, que de voir le Dr Gleditsch arriver soudain au petit déjeuner. Cela procura à mes compatriotes du Texas une sensation de prise de contact et un intérêt que rien d’autre n’aurait pu leur donner79. »
75Outre le fait qu’ils incarnent ce lien entre l’international et le local, ces voyages présidentiels sont l’occasion de créer de nouveaux liens, notamment avec les institutions universitaire et scientifique des pays traversés. Lors de son tour en Europe de l’Est en 1928, Ellen Gleditsch se rend en Bulgarie afin de rendre visite à l’Association bulgare des femmes diplômées des universités (Druzhestvo na bulgarkite s visshe obrazovanie). Fondée en mai 1924, la branche bulgare s’est officiellement affiliée à la FIFDU l’année suivante, et l’une des membres, Zvivka Dragneva, a été chargée de représenter son pays lors du quatrième congrès organisé à Amsterdam en 192680. La visite de Gleditsch est un événement important pour la branche bulgare ; la présidente rencontre des professeurs de l’université de Sofia, ainsi que des représentants officiels du ministère de l’Éducation81. Ce soutien international a permis de renforcer la légitimité et la visibilité des university women bulgares dans les milieux universitaire, scientifique et politique de leur pays. L’importance de la venue de Gleditsch se vérifie également à la place qui lui est accordée dans la mémoire officielle de l’association bulgare : l’ouvrage Women’s Movement and Feminism in Modern Bulgaria (1850s-1940s), publié par l’association bulgare à l’occasion de son 80e anniversaire, reproduit une photographie prise lors de la tournée de 192882.
76Sur cette photographie, on peut voir Gleditsch assise à l’avant de la voiture, en compagnie de Miss R. Klem, membre et déléguée de l’association norvégienne, ainsi que d’Ekaterina Zlotoustova (1881-1952), fondatrice et présidente de l’association bulgare entre 1926 et 1937. Cette dernière, enseignante et traductrice, est une figure importante en Bulgarie, non seulement de par son engagement pour l’éducation des femmes et leur promotion dans le milieu universitaire mais également de par sa stature internationale. Après la Première Guerre mondiale, Ekaterina Zlotoustova devient l’une des premières femmes bulgares à obtenir un poste au sein du Gouvernement, travaillant pour le ministère de l’Éducation, notamment en tant que directrice du département pour les institutions culturelles et leur financement. Grâce à son travail, elle se familiarise avec les activités d’organisations internationales, telles que la Société des Nations ou la FIFDU, et fortifie son réseau international en participant aux réunions d’organisations féminines internationales. En 1925, alors qu’elle séjourne à Paris en tant que déléguée auprès du ministère français de l’Éducation, elle rencontre personnellement Ellen Gleditsch, avec laquelle elle aurait, selon l’historienne Georgeta Nazarska, eu une correspondance active jusqu’à la fin de sa vie. Leurs retrouvailles en 1928 en Bulgarie illustrent bien l’importance des réseaux et des amitiés entre femmes intellectuelles et scientifiques au cours de l’entre-deux-guerres83.
77La photographie donne à voir d’autres éléments intéressants pour comprendre l’organisation pratique de ces tournées présidentielles et leur importance symbolique. Les présidentes voyagent rarement seules ; elles sont souvent accompagnées d’une autre membre de la FIFDU et à chaque étape de leur parcours, elles sont accueillies par les dirigeantes des branches nationales. En Suède, par exemple, Gleditsch est accueillie par son amie et collègue, Eva Ramstedt, qu’elle a rencontrée au sein du laboratoire de Marie Curie. Bien qu’aucune des trois femmes ne semble conduire, le choix de poser dans une voiture, symbole de modernité, de développement et d’indépendance, mais aussi de réussite sociale, n’est sans doute pas anodin et permet de renforcer l’image des university women.
78Voyager à travers le monde demande une organisation très précise et aussi des ressources financières. Il importe de justifier ces dépenses importantes, en insistant sur l’intérêt de tels voyages, comme nous avons vu le faire, un peu plus haut, Virginia Gildersleeve. Elle évoquait du reste dans le même discours une dotation de 5 000 dollars, accordée à l’American Association of University Women par la Dotation Carnegie pour la paix afin que des conférencières étrangères puissent être invitées dans les branches locales. Elle appelait ses compatriotes et les autres membres de la FIFDU à consacrer cette somme à « envoyer des voyageuses isolées, comme nous l’avions fait pour le Dr Gleditsch ; et nous espérons que le Professeur Cullis pourra visiter autant de pays que le Dr Gleditsch84 ».
79Si ces voyages occupent une partie considérable de l’emploi du temps des présidentes – qui doivent également assurer leurs charges de recherche et d’enseignement –, ils leur permettent de renforcer leur stature et leur visibilité dans la communauté scientifique et à travers le monde. Caroline Spurgeon tout comme Ellen Gleditsch donnent de nombreuses conférences sur leurs recherches et, comme le signale la Norvégienne, peuvent étendre leur propre réseau en rencontrant des professeurs et chercheurs dans chacun des pays traversés. Les journaux locaux et nationaux publient de nombreux articles à leur sujet, permettant de retracer leurs périples. À travers les entretiens qu’elles leur accordent, les présidentes ont l’opportunité de toucher un public infiniment plus large que celui des university women. Lors de son voyage à travers les États-Unis en 1929, Gleditsch multiplie les interviews. Dans un entretien avec le New York Times (mars 1929), elle met en avant l’importance des échanges internationaux pour les scientifiques :
« Souvent un chercheur a porté un problème aussi loin que les équipements disponibles chez lui et les conditions locales le permettent. À ce stade, la collaboration avec une autre université ou l’opportunité d’entrer dans un laboratoire industriel permettent souvent l’avancée ou la solution d’un problème85. »
80La circulation en dehors des frontières nationales et la coopération intellectuelle permettent aussi, selon elle, de promouvoir la paix dans le monde. Elle essaye de convaincre les Américains, qui ne font pas partie de la Commission internationale pour la collaboration intellectuelle (CICI), du bien-fondé de cette collaboration. Sa série de conférences la conduit de New York à Chicago, dans le Dakota du Sud, à Minneapolis, en Californie. Le point d’orgue en est sa participation au congrès national de l’Association des femmes américaines diplômées des universités, à la Nouvelle Orléans. Dans le discours qu’elle y prononce, elle insiste sur le pouvoir de l’amitié et de la coopération internationale et sur le rôle de la Société des Nations, concluant que « pour les générations à venir la compréhension internationale sera aussi naturelle que les yeux et les cheveux86 ».
81La légitimité et la reconnaissance dont jouit celle qui préside la FIFDU sont sans commune mesure avec l’accueil qui lui avait été réservé quinze ans auparavant, alors qu’elle était une jeune inconnue travaillant sur la radioactivité. Dans une interview accordée au journal local d’Oakland, en Californie, elle mesure l’évolution des mentalités depuis son premier voyage en 1914 :
« Le vieux tabou qui limitait aux hommes le champ des sciences pures est largement dépassé. Bien sûr, les pays scandinaves sont depuis longtemps des leaders pour avoir reconnu aux femmes une complète égalité intellectuelle […]. Tous les jeunes hommes scientifiques ont cessé d’être agacés ou condescendants envers leurs collègues, et les plus vieux et conservateurs se sont éteints ou se sont soumis aux nouvelles conditions87. »
82Les portraits que les journaux dressent de ces présidentes voyageuses sont souvent élogieux, et contribuent à les établir en tant que l’idéal-type de la femme scientifique. Lors de son périple présidentiel en 1920, Caroline Spurgeon est présentée par de nombreux journalistes américains comme « étant considérée comme l’une des femmes intellectuelles les plus brillantes d’Angleterre », récipiendaire de nombreuses distinctions universitaires et l’auteure d’ouvrages parus à la fois en anglais et français88. Un autre journaliste la décrit comme « une femme anglaise distinguée, qui a reçu plus de diplômes universitaires qu’aucune autre femme de sa nationalité ». En juillet 1927, un article de trois pages est consacré à Ellen Gleditsch dans le Time and Tide, dans la section « Personalities and Powers89 ». La Norvégienne y est présentée comme ayant les « qualités d’un génie », discrète, parlant peu mais bien, « rapide et surprenante », ayant bâti sa réputation scientifique dans le champ de la physique chimique, « une branche de la science particulièrement ardue ». La valeur scientifique de ses recherches, souligne le journaliste, a été reconnue à la fois par son propre pays, qui lui accorde le prix Nansen, mais aussi en France et aux États-Unis. L’enseignante à l’université d’Oslo offre un modèle et une source d’inspiration pour ses étudiants, grâce à « son propre amour désintéressé pour la science et sa passion pour le travail ». Son engagement pour les femmes scientifiques, notamment au sein de la FIFDU, occupe une place centrale dans l’article, qui souligne notamment ses efforts pour mettre en place un programme de bourses pour la recherche.
83La réception des présidentes de la FIFDU en dehors du cercle des university women est cependant difficile à appréhender, notamment du fait des sources disponibles. Les articles dans lesquels Spurgeon et Gleditsch sont mentionnées sont souvent élogieux, mais il se peut que seuls les articles positifs aient été conservés dans les archives de la FIFDU ou celles, personnelles, des présidentes. Un élément significatif se trouve dans le fait que souvent, au terme de leur mandat, ces femmes continuent à jouer un rôle au sein des sphères dirigeantes internationales, que ce soit dans la Société des Nations, dans la Commission internationale de coopération intellectuelle ou, plus tard, à l’Unesco.
84C’est ce qu’illustre notamment la trajectoire de Kristine Bonnevie. Bien que cette dernière refuse la présidence de la FIFDU, elle continue à militer pour la promotion de la paix dans le monde, en passant par la coopération internationale entre les pays. Membre de l’Association norvégienne pour la Société des Nations (Den Norske Forening for Nationernes Liga), fondée dès 1919 et présidée par Fridtjof Nansen, elle le remplace pour représenter la Norvège lors de la réunion de la SDN à Genève en 1920 ; elle obtient que les femmes soient nommées dans la future Commission internationale pour la coopération intellectuelle. Cette conférence est une véritable opportunité pour elle puisqu’elle reste pendant cinq années la déléguée norvégienne aux réunions de la Société des Nations. Dès 1922, elle est élue à ce qui est connu sous le nom de « 5e commission », spécialisée dans les questions sociales et humanitaires. C’est l’une des premières femmes à obtenir un poste officiel à la SDN, ce qui ne s’est pas fait sans résistances90. Cela lui vaut également d’être remarquée et nommée membre de la Commission internationale de coopération intellectuelle (CICI), un poste qu’elle occupe durant plus de dix ans. Elle y siège aux côtés des plus grands intellectuels de l’époque ; membre très actif de la CICI, elle est spécialement attentive aux questions qui concernent l’utilisation des découvertes scientifiques, au droit d’auteur, et à la situation dans les pays où la liberté intellectuelle n’est pas assurée91.
Fig. 14. – Kristine Bonnevie siégeant aux côtés d’Albert Einstein lors de la réunion de la Commission internationale de coopération intellectuelle organisée à Gøteborg en 1923.

Source : Universitetshistorisk fotobase, Museum for Universitets- og vitenskapshistorie, Oslo.
85Autre symbole de la reconnaissance croissante dont bénéficient les dirigeantes des university women : en 1945, Virginia Gildersleeve est la seule femme représentant les États-Unis lors de la conférence de San Francisco où est mise en place l’Organisation des Nations unies (ONU). En travaillant avec le gouvernement britannique, elle devient l’une des figures (féminine) de la diplomatie américaine, ce qui lui vaut le statut de « grande dame », selon l’expression d’Helen McCarthy92.
⁂
86Les présidentes de la FIFDU incarnent une forme d’idéal de femmes scientifiques, grâce à leurs parcours remarquables et à leurs compétences personnelles. Leurs mandats sont marqués par leurs propres expériences et les projets qu’elles défendent visent à dépasser les obstacles qu’elles ont pu elles-mêmes rencontrer ou au contraire à renforcer des stratégies dont elles savent le profit qu’elles ont pu tirer. Si chacune d’elles a laissé son empreinte sur la FIFDU, l’inverse est également vrai. Leaders reconnues d’une organisation internationale, elles contribuent à légitimer la place des femmes dans les sphères dirigeantes, reprenant et adaptant des répertoires souvent traditionnellement masculins.
Notes de bas de page
1Archives Caroline Spurgeon, Bedford College, Londres, BC RF/141/10 : Dr. Elizabeth M.E. Poskitt, discours prononcé à l’occasion du dîner célébrant le 80e anniversaire de la FIFDU, Genève, 25 mars 2000 : « It has been said that Organisations exist to enable ordinary people to do extraordinary things. I would say yes, but extraordinary people are needed, in the first place, to create the organisations. Our Federation has never been short of extraordinary people – nor of the extraordinary coincidences which help things happen […]. »
2Spurgeon Caroline, « Mein Arbeitsweg », in Elga Kern, Führende Frauen Europas, Munich, Verlag von Ernst Reinhardt, 1933 (1928), p. 37-40. L’ouvrage dirigé par l’Allemande Elga Kern rassemble une quinzaine de portraits de femmes influentes en Europe.
3Sur le sujet, voir l’ouvrage de Dyhouse Carol, No Distinction of Sex?, op. cit.
4Watts Ruth, Women in Science. A Social and Cultural History, Londres/New York, Routledge, 2007. Sur la question, voir particulièrement le huitième chapitre : « Medicine, education and gender from c. 1902 to 1944, with a case study of Birmingham », p. 167-192.
5La biologiste Kristine Bonnevie est élue en 1912 après la proclamation de la Lex Bonnevie, loi permettant aux femmes d’être élues à l’université en Norvège. Voir Nordal Inger, Hessen O. Dag et Lie Thore, Kristine Bonnevie. Et forskerliv, Oslo, Innbundet, 2012.
6Dyhouse Carol, No Distinction of Sex?, op. cit.
7Une biographie de Johanna Westerdijk se trouve dans la thèse de doctorat de Bosch Mineke, Het geslacht van de wetenschap, op. cit. Sur la trajectoire de Westerdijk au sein du laboratoire de phytopathologie d’Amsterdam, voir également Faasse E. Patricia, In Splendid isolation: A History of the Willie Commelin Scholten Laboratory, 1894-1992, trad. Beverley Jackson, Amsterdam, KNAW Press, 2008.
8Mineke Bosch a souligné que Johanna Westerdijk se distingue de la recherche en phytopathologie telle qu’elle se développe au xixe siècle (avec une attention particulière à la désignation et à la caractérisation des parasites, champignons, etc., comme agents pathogènes). Westerdijk invite au contraire à s’intéresser à la physiologie même des plantes, malades ou saines, et non pas seulement sauvages, mais également aux plantes de culture. En 1919, en collaboration avec le phytopathologiste allemand Otto Appel, elle rédige une nouvelle méthode de classification des maladies des plantes, non plus en fonction des pathogènes ou des plantes, mais des symptômes. Voir Bosch Mineke, Het geslacht van de wetenschap, op. cit., p. 397.
9La création du laboratoire Willie Commelin Scholten à Amsterdam en 1894 est à replacer dans le contexte néerlandais du début du xxe siècle, avec des entrepreneurs spécialisés dans l’industrie et le commerce de bulbes de fleurs, et de riches planteurs dans les Indes Orientales Néerlandaises, intéressés par les expériences faites sur des plantations de sucre, de thé ou de tabac. Voir : Faasse E. Patricia, In Splendid Isolation, op. cit., p. 18-20.
10Stamhuis H. Ida, « Historical Considerations on “Women Scholars and Institutions” », in Sona Strbanova, H. Ida Stamhuis et Katerina Mojsejova (dir.), Women Scholars and Institutions. Proceedings of the International Conference, vol. 13 B : « Women pioneers in Radioactivity Research », Výzkumné centrum pro dějiny vědy, Prague, 2004, p. 17-48.
11Richmond L. Marsha, « The Domestication of Heredity: The Familial Organization of Geneticists at Cambridge University, 1895-1910 », Journal of the History of Biology, no 3, 2006/39, p. 565-605 ; Gardey Delphine, « Genre et radioactivité, Paris-Vienne-Strasbourg, 1900-1950 », Travail, genre et société, no 23, 2010/1, p. 123-126. Dans le même numéro, voir également l’article de Rentetzi Maria, « Genre, politique et radioactivité : le cas de Vienne la rouge », p. 127-146.
12Rayner-Canham W. Geoffrey et Rayner-Canham F. Marlene, A Devotion to their Science: Pioneer Women of Radioactivity, Montréal/Kingston, McGill Queen’s University Press, 1997.
13Lettre écrite par Hugo de Vries en 1905 et citée par Faasse E. Patricia, In Splendid Isolation, op. cit., p. 65 : « I can heartily recommend Miss Westerdijk. She is one of our best pupils, calm and methodical and equipped with a fine mind. She has done a great deal of work, especially with the microscope, and although she has not yet studied plant diseases, I consider that her training makes her eminently suited to this work. »
14Gildersleeve C. Virginia, Many a Good Crusade, op. cit., p. 80.
15Nasjonalt Biblioteket Oslo, Fonds Gleditsch : NBH Brevs 456. Lettre d’E. Gleditsch à M. Curie, 1925.
16Le départ à l’étranger de Caroline Spurgeon est facilité par les liens « d’entente intellectuelle cordiale » qui existent entre l’université de Londres et la Sorbonne. En effet, bien que la première acquiert un nouveau statut à partir de 1900 et qu’elle soit l’université la plus importante de Grande-Bretagne, elle peine à être reconnue et à égaler le prestige des universités britanniques les plus anciennes. Le lien établi avec la Sorbonne dès 1906 permet de renforcer son statut. Le choix de Spurgeon est motivé par la place qu’occupent la langue et la littérature anglaise (English Studies) dans le monde universitaire en France. Alors que la discipline n’est encore que peu considérée en Grande-Bretagne, elle est largement reconnue et institutionnalisée dans le milieu universitaire français. Voir Haas Renate, « European Survey: Parameters and Patterns of Development », in Balz Engler et Renate Haas (dir.), European English Studies: Towards the History of a Discipline, Leicester, English Association, 2000, p. 349-371.
17Bosch Mineke, Het geslacht van de wetenschap, op. cit., p. 395.
18Gildersleeve C. Virginia, Many a Good Crusade, op. cit., p. 230.
19Album conservé dans Archief Johanna Westerdijk, inv. nos 211, 212 (Californie) et 213 (désert de l’Arizona).
20Bosch Mineke, Het geslacht van de wetenschap, op. cit., p. 397.
21Spurgeon Caroline, Chaucer devant la critique en Angleterre et en France depuis son temps jusqu’à nos jours, thèse pour le doctorat d’université (lettres) présentée à la faculté des lettres de l’université de Paris, Paris, Hachette, 1911 ; id., Five Hundred Years of Chaucer Criticism and Allusion 1357-1900, 3 vol., Cambridge, Cambridge UP, 1925.
22Oreskes Naomi, « Objectivity or Heroism? », art. cité.
23Gildersleeve C. Virginia, Many a Good Crusade, op. cit., p. 230 : « Everything Caroline Spurgeon did, she did with tremendous gusto. With her, scholarly research became as exciting as the exploration of the Greenland icecap or a search for the supposedly extinct Moa bird in the outermost wilds of Australia. She had several qualities that made her particularly good at literary scholarship. A great lover of literature, especially poetry, she was sensitively appreciative of its beauty. In a somewhat unusual combination with this she had a good capacity for hard work, even drudgery, extending over years […]. Finally, she had luck; because of which she happened on several exciting discoveries. I had great fun sharing in some of these adventures. »
24Voir par exemple les travaux de Steven Shapin, notamment son analyse de la figure du gentilhomme anglais du xviie siècle à travers la biographie de Robert Boyle : Shapin Steven, Une histoire sociale de la vérité. Science et mondanité dans l’Angleterre du xviie siècle, Paris, La Découverte, 2014, p. 153-218. Dans le quatrième chapitre, l’auteur montre la manière dont un individu façonne son identité à partir de rôles préexistants pour créer de nouveaux « rôles et types d’identité individuelle » (p. 157).
25Gildersleeve C. Virginia, Many a Good Crusade, op. cit., p. 108.
26Faderman Lillian, Surpassing the Love of Men: Romantic Friendship and Love Between Women From the Renaissance to the Present, New York, William Morrow & Co., 1981 ; Brooks Gardner Carol, « Boston Marriages », in Jodi O’Brien (dir.), Encyclopedia of Gender and Society, vol. 1, Newbury Park (CA), Sage Publications, 2009, p. 87-88.
27Bosch Mineke, Het geslacht van de wetenschap, op. cit., p. 391.
28Archief Johanna Westerdijk, inv. no 99.
29Bosch Mineke, Het geslacht van de wetenschap, op. cit., p. 394.
30Cité in ibid., p. 402.
31Archief Johanna Westerdijk, inv. no 211 : article paru dans le St Louis, 1914.
32Bosch Mineke, Het geslacht van de wetenschap, op. cit., p. 405.
33Virginia Crocheron Gildersleeve Papers, 1901-1964, Barnard Archives and Special Collection, Box 3-28, Virginia Gildersleeve, « The Winds of Change », Barnard College Alumnae Monthly, février 1936, p. 10 : « A friendly newspaper […] pictur[ed] me, you see, as the determined and undaunted young feminist, crashing the gates of learning. Alas I was not so ! I did not want to enter college; I went sadly – because my mother wished it. »
34Le fonds Gleditsch du département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de Norvège conserve les lettres reçues par E. Gleditsch de la part de différents scientifiques de son temps, notamment Marie Curie. Les archives Marie Curie, à Paris, donnent accès à l’autre partie de la correspondance entre les deux femmes. Ces lettres sont importantes pour comprendre la formation de réseaux formels et informels et permettent de reconsidérer la place des rapports personnels et de ce que l’on appelle la personal agency.
35Cabanel Anna, Pionnières du Nord, op. cit., p. 14-63.
36Archives du musée Curie, Paris, Lettre de E. Boedtker à Marie Curie, 1907, no 688, 2 feuillets, original en français. Nous avons respecté la langue de l’original.
37Bibliothèque nationale de Norvège, département des manuscrits Fonds Gleditsch : NBH Brevs 456, correspondance entre M. Curie (émetteur) et E. Gleditsch (destinataire), 20 juillet 1907.
38Voir, par exemple, Richmond L. Marsha, « Women in the Early History of Genetics: William Bateson and the Newnham College Medelians, 1900-1910 », Isis, no 92, 2001, p. 55-90 ; Stamhuis H. Ida, « Historical Considerations on “Women Scholars and Institutions” », art. cité ; ou encore Stamhuis H. Ida et Monsen Arve, « Kristine Bonnevie, Tine Tammes an Elisabeth Schiemann in Early Genetics: Emerging Chances for a University Career for Women », Journal of the History of Biology, no 3, 2007/40, p. 427-466.
39Aujourd’hui, ces « émanations » sont connues comme étant du radon, un gaz rare, radioactif, chimiquement inerte, formé au cours de la désintégration radioactive (ou nucléaire) spontanée du radium.
40Gleditsch Ellen, « Marie Sklodowska Curie », Nordisk Tidskrift, 1959/35, p. 417-434. Cité par Kubanek Anne-Marie, Nothing Less Than an Adventure: Ellen Gleditsch and Her Life in Science, North Charleston (SC), Crossfield Publishing, 2010, p. 30.
41Lykknes Annette, Kvittingen Lise et Børresen Anne Kristine, « Struggles and Achievements. Ellen Gleditsch (1879-1969): Norwegian Female Radiochemist », in Sona Strbanova, Ida H. Stamhuis et Katerina Mojsejova (dir.), Women Scholars and Institutions, op. cit., p. 693-725.
42Curie Marie et Gleditsch Ellen, « Action de l’émanation du radium sur les solutions des sels de cuivre », Le Radium, no 8, 1908/5, p. 225-227.
43Lykknes Annette, Kvittingen Lise et Børresen Anne Kristine, « Struggles and Achievements », art. cité.
44L’American-Scandinavian Foundation a été mise en place en 1911 par l’industriel dano-américain Niels Poulson pour promouvoir la coopération et la compréhension mutuelle internationale à travers les échanges scolaires et culturels entre les États-Unis d’Amérique et le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède.
45Cité par Kubanek Anne-Marie, Nothing Less Than an Adventure, op. cit., p. 53 : « No woman has so far set her foot in the physics laboratory of Harvard. »
46Bibliothèque nationale de Norvège, département des manuscrits Fonds Gleditsch : NBH Brevs 456. Lettre de Bertram Boltwood à Ellen Gleditsch, La Haye, 11 septembre 1913, « In regard to your carrying on scientific work in radioactivity at my laboratory in New Haven, I may state that I should be very glad to have you do so provided that the facilities I can offer are sufficient to make you feel that it is worth your while. My laboratory occupies a portion of the new building for physics and, although the equipment in the way of apparatus is quite satisfactory, I am not all well supplied with radioactive preparations such as you must have become accustomed to have at hand during your experiences in Madame Curie’s laboratory in Paris. »
47Cité par Badash Lawrence, Rutherford and Boltwood: Letters on Radioactivity, New Haven, Yale University Press, 1969, p. 285-286.
48Interview d’Ellen Gleditsch, The New York Press, 16 octobre 1913 : « That pretty little woman with the large brown eyes and the soft and smiling lips one of the most remarkable feminine scientific investigators? Impossible! Where are her glasses, her severity, her aspect of independence? What have such words as radioactivity and gamma rays to do with such sweet lips? If you saw Miss Ellen Gleditsch after having been warned of her reputation, your preconceived notion of what she should be like would refuse to vanish at the pleasant reality. And it would have to eventually. She is just as charming as she seems, and she is just as famous as you’ve heard. » Cité par Kubanek Anne-Marie, Nothing Less Than an Adventure, op. cit., p. 55-56.
49Archives du musée Curie, Paris, correspondance entre E. Gleditsch et M. Curie, lettre no 785, 1915.
50Cabanel Anna, « À la périphérie d’une société et de l’Europe : les premières femmes universitaires en Norvège », Revue d’histoire nordique, no 20, 2015, p. 261-280.
51Cité par Lykknes Annette, Kvittingen Lise et Børresen Anne Kristine, « Appreciated Abroad, Depreciated at Home. The Career of a Radiochemist in Norway: Ellen Gleditsch (1879-1968) », Isis, no 95, 2004, p. 604.
52Ibid., p. 605.
53Archive du musée Curie, Paris, correspondance entre Marie Curie et Kristine Bonnevie, 2 feuillets, 1929.
54Archives AAUW, Box 833 – IFUW : Report of the 19th Council Meeting Budapest, 1934, p. 38.
55Records of the BFUW, 5BFW/05/02/14, « Nominations for Officers – Propositions pour l’élection des membres du bureau pour la période 1929-32 », mai 1929.
56Avant le congrès de 1929, la FIFDU se compose de 28 branches.
57Archives AAUW, Box 833 – IFUW : Bulletins (Bluebooks), 6th Conference, Édimbourg, 1932, p. 167 : « She had loved their expression of confidence, but she had decided not to accept their kind suggestion of another period of office. In the first place, she felt that she was getting to an age when there was not time enough to get on with things. And in the second, she had been an official of the Federation for an indecent time. […] And in the third place, there were so many splendid people in the Federation that it was not right for one person to be keeping others out of office. Except for some very special reason it was better not to keep one person in office indefinitely, provided continuity was kept in the Committees. »
58Archive IFUW, inv. no 74 : Bulletins (Bluebooks), 5th Conference, Genève, Suisse, 1929 (en français), p. 66.
59Rupp Leila, Worlds of Women, op. cit., p. 188-194.
60Ibid., p. 189.
61Records BFUW, 5BFW/05/02/14 : « Nominations for Officers – Propositions pour l’élection des membres du bureau pour la période 1929-32 », ca. mai 1929.
62Si la FIFDU a veillé à renouveler les cadres et à intégrer les jeunes, ce sont des femmes d’une même génération, nées dans les années 1870, comme Winifred Cullis (1875-1956) ou Marie-Louise Puech (1876-1966), qui l’ont dirigée au cours de l’entre-deux-guerres.
63Archive IFUW, inv. no 74 : Bulletins (Bluebooks), 5th Conference, Genève, Suisse, 1929 (French), p. 75.
64Ibid., p. 173.
65Archives NKAL, PA-1164, Db – International Federation of University Women (1924-1997), L0018-0001, Konferanse i Oslo. Lettre de Skonhoft à Bosanquet, 29 mars 1924 : « As to the confidential question about Dr. Gleditsch, I want to say that she has very strong French sympathies. She has been working at the laboratory of Mr and Mme Curie for several years, and she knows and loves France well. At the same time it seems that she has the true international mind. Of course this is my personal impression. »
66Archive IFUW, inv. no 71 : Bulletins (Bluebooks), 4th Conference, Amsterdam, Pays-Bas, 1926, p. 164 « Concluding remarks » : « She appreciated immensely the honour done in electing her as President. It was a difficult task and she could not promise more than that she would do her best. »
67Archive IFUW, inv. no 77 : Bulletins (Bluebooks), 6th Conference, Édimbourg, Écosse, 1932, p. 168 : « They wanted their President to keep university matters in mind, to make speeches, and – though not a lawyer born or made – to conduct business meetings in languages not her own. They thought she ought to know all about the procedure customary in all countries. They expected her to be very eloquent and to make brilliant speeches at every social function ; and then, when she had squeezed out something in a foreign language, she might be criticised for the rest of her life for what she had done in two hours of it. »
68Kubanek Anne-Marie, Nothing Less Than an Adventure, op. cit., p. 77 : « [it] cost her time as a research over the year ».
69Les discours prononcés par les présidentes ne semblent avoir été conservés que par le biais des Bulletins, exception faite de certaines allocutions ou interventions de Virginia Gildersleeve, dont les notes ont été conservées dans ses archives personnelles : Virginia Crocheron Gildersleeve Papers, Columbia University, Rare books and manuscript library, series IV : Other files, Box 42.
70Archive IFUW, inv. no 69 : Bulletins (Bluebooks), 3rd Conference, Christiania, Norway, 1924 : « It was with the greatest humility, modesty and sinking of heart that she took the helm of the ship from Caroline Spurgeon, but perhaps, as she had built the ship of stout English oak and given them a compass and chart, her successor might be able to hold the course. »
71Pace Vetter Lisa, « Overview: Feminist Theories of Leadership », in Karen O’Connor, Gender and Women’s Leadership: A Reference Handbook, Thousand Oaks (CA), SAGE Publications, 2010, p. 3-11.
72Bonatti Enrico et Crane Kathleen, « Oceanography and Women: Early Challenges », Oceanography, no 4, 2012/25, p. 32-39.
73Archive IFUW, inv. no 73 : Bulletins (Bluebooks), 13th Council Meeting, Madrid, Espagne, 1928, p. 24 : « In the sphere of human interests something like a catalytic agent was needed to ensure that meetings of individuals should be occasions of forming real and enduring relations. This was the function of the International Federation – to act as a catalyst in the chemistry of international relations, to serve as a point of contact between individuals and between nations, bringing them together by the force of friendship and understanding. The task for which the federation was founded was the facilitation of contacts between women who had the common ground of a university training. »
74Ibid., p. 25 : « Dr Gleditsch spoke of the co-ordination of energy, of the discovery of the way in which radium could be used to transform elements hitherto considered simple into other elements. »
75Archive IFUW, inv. no 73 : Bulletins (Bluebooks), Genève, Suisse, 1929, p. 67.
76Archive IFUW, inv. no 75 : Bulletins (Bluebooks), 15th Council, Prague, République tchèque, 1930 (en français) p. 29.
77Papers of Professor Caroline Spurgeon, PP7/6/1/3 : « Affairs to Honor Distinguished Visitors », Nashville Journal, mars 1920.
78Archive IFUW, inv. no 74 : Bulletins (Bluebooks), 5th Conference, Genève, Suisse, 1929 (en français), p. 123.
79Ibid., p. 120.
80Nazarska Georgeta, « The Bulgarian Association of University Women (1924-1950) », in Aspasia. International Yearbook for Women’s and Gender History of Central, Eastern and South Eastern Europe, 2007/1, p. 153-175.
81Daskalova Krassimira et Nazarska Georgeta, Women’s Movement and Feminism in Modern Bulgaria, 1850s-1940s, Sofia, The Bulgarian Association of University Women, 2006, p. 19-20.
82Ibid., p. 21.
83Nazarska Georgeta, « Zlatoustova, Ekaterina Hristova (1881-1952) », in Francisca de Haan, Krasimira Daskalova et Anna Loutfi (dir.), A Biographical Dictionary of Women’s Movements and Feminisms. Central, Eastern, and South Eastern Europe, 19th and 20th centuries, Budapest/New York, Central European University Press, 2006, p. 624-627.
84Archive IFUW, inv. no 74 : Bulletins (Bluebooks), 5th Conference, Genève, Suisse, 1929, p. 123.
85Interview donnée par E. Gleditsch au New York Times, 17 mars 1929 : « Often a researcher has carried a problem as far as equipment available at home and the local conditions will permit. At this stage, collaboration with another university or the opportunity to enter an industrial laboratory will often permit the advancement or solution of a problem. »
86Interview d’E. Gleditsch, The Express, San Antonio, Texas, 14 avril 1929 : « For oncoming generations international understanding would be as natural as eyes and hair. » Cité par Kubanek Anne-Marie, Nothing Less than an Adventure, op. cit., p. 85.
87Interview donnée par E. Gleditsch au journal The Tribune, Oakland, Californie, le 2 avril 1929 : « The old taboo which limited the field of pure science to men has largely been broken down. Of course, the Scandinavian countries have long been leaders in admitting women to complete intellectual equality. […] All of the younger scientific men have ceased to be either resentful of condescending towards their colleagues, and the older and more conservative ones are dying out, or are submitting the new conditions. » Cité par Kubanek Anne-Marie, Nothing Less than an Adventure, op. cit., p. 83.
88Papers of Professor Caroline Spurgeon, PP7/6/1/3, Evening Star, Washington D.C., 8 mars 1920 : « Dr. Spurgeon is considered as one of the most brilliant woman scholars in England. She has received many scholastic honors and is the author of a number of books in both English and French. »
89Records of the BFUW, 5BFW/Scrapbook, Time and Tide, 22 juillet 1927, p. 284-286.
90Sur la question de la participation des femmes à la Société des Nations voir, entre autres, Pedersen Susan, « Metaphors of the Schoolroom: Women Working the Mandates System of the League of Nations », History Workshop Journal, 2008/66, p. 188-207.
91Nordal Inger, Hessen O. Dag et Lie Thore, Kristine Bonnevie, op. cit.
92McCarty Helen, Women and the World: The Rise of the Female Diplomat, Londres, Bloomsbury, 2014, p. 220.

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