Annexes
p. 301-317
Entrées d’index
Index géographique : France
Texte intégral
ANNEXE 1. Méthodologie
L’analyse par exploitation secondaire
1Le corpus d’entretiens et les données d’enquête par questionnaire qui forment le matériau de cette recherche ont été collectés dans le cadre d’études réalisées l’une, en 1990, pour le compte de la Caisse Nationale d’Allocations Familiales (CNAF), en partenariat avec les Caisses d’Allocations Familiales (CAF) des régions Nord et Bretagne, l’autre, en 1992, pour une CAF de l’Oise (Beauvais). Il s’agissait principalement de procéder à une analyse des pratiques et des représentations du temps de vacances des allocataires ayants-droit aux bons vacances1 afin de redéfinir la politique d’aide en faveur des familles les plus démunies qui, souvent, ne partent pas. Dans un second temps, les données ainsi recueillies2 ont fait l’objet d’une exploitation secondaire guidée par les questions et réflexions formulées dans la perspective d’une thèse de doctorat dont ce livre est l’aboutissement. Cette façon de procéder montre à quel point il peut être possible de diversifier les lectures selon les angles d’approche et les hypothèses que l’on choisit de privilégier d’une part, selon les finalités – recherche ou conclusions opérationnelles – assignées au travail d’autre part. Un tel constat ne constitue en rien une preuve de la fragilité scientifique des énoncés sociologiques mais montre, si besoin en était, qu’il n’est pas de transparence immédiate des réalités observées ni d’analyse sans construction théorique préalable.
2En tout état de cause, le traitement du matériel d’enquête et l’élaboration du modèle d’analyse qui permettent de le classer et de le restituer sous un éclairage nouveau, ne procèdent pas d’une démarche linéaire qui verrait les actes épistémologiques se succéder selon les préceptes d’un positivisme étroit et surtout illusoire. « Décrire l’enquête comme si elle était à tout moment méthodologiquement armée, c’est peindre une fiction, dont on ne sait si elle rassure ou si elle inhibe » fait remarquer Olivier Schwartz3. En effet, la suite d’opérations pratiques et théoriques mise en œuvre dans le travail sociologique s’apparente bien plutôt à un processus fait de multiples tâtonnements, d’allers-retours entre les questions théoriques et les données empiriques afin non seulement de construire puis d’analyser un objet sociologique mais de faire en sorte que cet objet ne soit pas déjà préconstruit par les présupposés que le chercheur ne manque pas d’engager lorsqu’il questionne et interprète le fruit de son propre questionnement.
Une approche longitudinale
3La phase qualitative de chacune des deux enquêtes a été conçue en deux vagues d’entretiens, l’une se déroulant plusieurs semaines avant le début des vacances d’été, l’autre peu de temps après. Cette méthode se donnait pour ambition de répondre à un double objectif consistant d’une part, à appréhender les logiques de programmation et de préparation des vacances et, d’autre part, à recueillir le récit des expériences vécues lors de la période des congés. En resituant le moment des vacances dans le cadre plus large de la quotidienneté qui l’encadre, cette approche permettait de confronter les espérances, les projets – ou au contraire l’absence ou le refus de toute décision anticipée –, avec les pratiques et les choix effectifs des familles. De fait, nombre d’entre-elles semblaient envisager de partir mais resteront quand d’autres, plus silencieuses voire résignées quant à la perspective des vacances, viendront rejoindre le flux des partants.
4Cette démarche organisée en deux phases de recueil de données s’est traduite, lors de la seconde vague d’entretiens, par la « défection » d’une partie des familles non parties. Car, raisonnant généralement à partir d’un modèle dominant associant les vacances à la nécessité du départ, elles ont considéré, en toute sincérité, que l’entretien se trouvait désormais sans objet. D’autres ont sans doute cherché à travers ce refus à se prémunir d’une situation où parler des vacances risquait de raviver le sentiment d’un manque voire d’un échec à n’être pas parties. Ce processus d’autoexclusion touchant quelques familles sédentaires a modifié la structure de l’échantillon de sorte que, contrairement à la répartition observée dans l’enquête quantitative (36 % de familles parties, 64 % de non parties), des effectifs comparables de familles parties et non parties ont été rencontrés en entretien individuel.
5Enfin, s’agissant principalement des familles parties, l’information recueillie lors du second entretien après la période des vacances estivales a ceci de spécifique qu’elle ne relève pas seulement de la catégorie du récit car elle appartient déjà au registre du souvenir. Raconter ses vacances fait partie intégrante de l’expérience vacancière et le recueil des souvenirs, souvent enveloppés par le charme du bonheur rétrospectif (la nostalgie), montre qu’ils sont travaillés par l’action positive et sélective de la mémoire. Cet état dans lequel est livré le matériau ne signifie pas nécessairement qu’il déforme la réalité objective mais qu’il impose d’apprécier jusqu’où cette réalité se trouve informée par la puissance du mythe vacancier et de la mémoire qui la façonne.
Classes populaires, personnages féminins
6On a considéré tout au long de ce travail que les familles d’allocataires ayants-droit aux bons-vacances appartenaient aux classes populaires, qu’elles en partageaient pour l’essentiel la condition sociale et les valeurs. Qu’est-ce à dire exactement ? Si l’on s’en tient au critère du quotient familial retenu par les Caisses d’Allocations Familiales, les classes populaires désignent une catégorie caractérisée par de faibles ressources économiques – avec cependant des écarts relativement importants entre les tranches supérieures du quotient familial et les tranches les plus basses – et une fécondité large des ménages (avec une proportion de familles de trois enfants ou plus égale à la moitié de la population enquêtée). Par ailleurs, l’approche par catégories socioprofessionnelles effectuée à partir des données d’enquête montre que la quasi-totalité des ménages se compose soit d’ouvriers (plutôt la région Nord), d’employés (plutôt la région Bretagne), d’inactifs ou bien de femmes au foyer et que 9 % seulement comptent deux actifs. Il convient à cet égard de rappeler que l’enquête par questionnaire a été réalisée dans les régions Bretagne et Nord, cette dernière région étant alors en proie à de graves difficultés économiques liées en particulier au déclin du secteur industriel, ce qui n’est pas sans effets sur le statut et la condition économique des ménages ouvriers4.
7Pour autant qu’elles présentent un certain nombre de caractéristiques permettant de parler à leur endroit de classes populaires, les familles enquêtées ne doivent pas être considérées comme formant une totalité socialement homogène. Une fraction importante des ménages dépendait entièrement, sur le plan économique, des allocations diverses qu’elles percevaient (allocation pour parent isolé, RMI,…), beaucoup connaissaient une relative précarisation de leur situation économique, perceptible à travers la fréquence des périodes de chômage, les embauches à durée déterminée, la séparation ou le divorce, alors qu’un petit nombre semblait bénéficier d’un niveau de vie et de revenus relativement confortable (accession à la propriété individuelle, possession d’un ou de deux véhicules, départs réguliers l’été en vacances…). D’ailleurs, l’échantillon d’enquête comportait une fraction d’environ 11 % de membres dont la profession déclarée les rattache, au regard des nomenclatures de l’INSEE, aux catégories moyennes et indépendantes. Ce sont, pour l’essentiel, des artisans ou petits commerçants, des techniciens et personnels du secteur de la santé. Leur statut d’ayant-droit aux bons-vacances peut résulter de plusieurs phénomènes : décalage (d’une année environ) avec le moment d’enregistrement des situations pour le calcul du quotient familial et des bons-vacances, difficultés économiques rencontrées dans l’exercice d’une activité professionnelle indépendante, baisse de revenus consécutive à une période de chômage. Quoi qu’il en soit, ces catégories d’ayants-droit se situent dans les franges supérieures du quotient familial et expriment des goûts et des aspirations distincts de ceux des ménages ouvriers et employés.
8Ce que les différents groupes d’allocataires rencontrés ont en commun, c’est la place qu’ils accordent à la mère et qu’elle sait devoir occuper en tant que gestionnaire du temps familial et du temps de vacances des enfants. Le personnage maternel, fortement sur-représenté dans les échantillons tant qualitatifs que quantitatifs (73 %) figure, en effet, au centre des entretiens. Non pas seulement, comme il est fréquent de le constater dans les enquêtes, en raison d’une plus grande disponibilité pour se prêter au jeu des interviews, mais parce qu’elle assume, pour l’essentiel, la charge éducative des enfants et est investie d’une fonction délégataire d’autant plus prégnante qu’elle s’applique au domaine des loisirs et des vacances5. Encore faut-il préciser que 28 % des ménages sont des familles monoparentales, et que cette tâche d’organisation leur incombe en totalité. Les entretiens d’hommes seuls et de couples ont été peu nombreux car le sujet des vacances a été d’emblée perçu comme relevant de la compétence maternelle en ce qu’il suppose une connaissance des rythmes scolaires, des organismes de vacances, des modalités d’aide financière, toutes choses dont les femmes se sentent plus directement saisies et responsables.
ANNEXE 2. Caractéristiques principales des familles interviewées


- On a distingué la population des locataires (en habitat collectif ou en maison individuelle) des ménages en accession. Il s’agit dans ce cas de l’acquisition d’une maison.
ANNEXE 3. Tableaux
(Source : enquête CNAF, 1990)
Tableau 1 : Opinion sur le droit au séjour familial de vacances selon selon la fréquence des départs

Effectif : 2000
Tableau 2 : Opinion sur le droit au séjour de vacances des enfants selon le départ en vacances ou non des familles et des enfants (1)

Effectif : 2000
(1) Le départ des enfants désigne les situations où l’un des enfants au moins est parti en séjour sans ses parents.
(2) «Il est scandaleux que toutes les familles ne soient pas suffisamment aidées pour que les enfants puissent partir régulièrement en vacances. »
(3) «C’est un peu à chaque famille de prévoir les vacances des enfants. »
(4) «Les vacances restent un luxe et il est évident que tous les enfants ne peuvent pas partir. »
(5) «Pour nous, la question des vacances ne se pose pas. »
Tableau 3 : Penser ou non aux vacances selon la fréquence des départs et le départ ou non l’été en vacances (en %)

Effectif : 2000
(1) Régulier : Départ tous les ans ou presque.
(2) Irrégulier : Départ tous les 2 ans ou une à 2 fois tous les 5 ans.
(3) Rare/jamais : une à 2 fois tous les 10 ans/une à 2 fois en tout/jamais parti.
Tableau 4 : Penser ou non aux vacances selon le niveau de ressources du ménage

Effectif : 2000
Tableau 5 : Type d’occupations pour de « bonnes vacances » selon le statut professionnel (en %)

Effectif : 1993
(Total supérieur à 100 % en raison des réponses multiples)
(*) Catégories socioprofessionnelles Moyennes/Indépendantes
Tableau 6 : Définition des « bonnes vacances » selon la fréquence des pensées de vacances et le sexe

Effectif : 1991
Tableau 7 : Définition des « bonnes vacances » selon le statut professionnel et le sexe (en %)

Effectif : 1991
Tableau 8 : Formule idéale pour une semaine de vacances selon la définition des « bonnes vacances »

Effectif : 2000
Tableau 9 : Moment de décision du lieu de vacances selon la fréquence des départs

Effectif : 709
Tableau 10 : Taux de départ en vacances selon le statut professionnel du ménage

Effectif : 2000
(1) Contrat à durée indéterminée (un au moins).
(2) Contrat à durée déterminée ou contrat à durée indéterminée à temps partiel (un au moins).
(3) Célibataire ou couple inactif (s).
Tableau 11 : Taux de départ en vacances selon la fréquence habituelle des départs

Effectif : 2000
Tableau 12 : Critères de choix (1er et 3 critères cumulés) du séjour de vacances selon le type de formule

Effectif : 709
(*) Total > 100 % en raison des réponses multiples.
Tableau 13 : Nature du problème d’argent rencontré par les familles sédentaires selon le statut professionnel du ménage (sous-ensemble des familles non parties en raison d’un « problème d’argent »)

Effectif : 833
(Total supérieur à 100 % en raison des réponses multiples.)
(1) Contrat à durée indéterminée (un au moins).
(2) Contrat à durée déterminée ou contrat à durée indéterminée à temps partiel (un au moins).
(3) Célibataire ou couple inactif(s).
Impressions sur les vacances d’été des vacanciers Ritualistes, Conquérants, Aventuriers et Incertains
Tableau 14

Effectif : 708
Tableau 15

Effectif : 516
Tableau 16

Effectif : 704
Tableau 17

Effectif : 707
Tableau 18

Effectif : 705
Tableau 19 : Jugement sur l’entente conjugale selon les formes de sociabilités de vacances des vacanciers Ritualistes et Conquérants

Effectif : 524
Tableau 20 : Jugement sur l’entente conjugale selon les formes de sociabilités de vacances des vacanciers Aventuriers et Incertains

Effectif : 180
() Effectifs faibles, pourcentages non significatifs.
Tableau 21 : Sentiment de repos selon les formes dominantes de sociabilités de vacances des vacanciers Aventuriers et Incertains

Effectif : 180
() Effectifs faibles, pourcentages non significatifs.
Tableau 22 : Ennui des enfants des parents des groupes Croyants et Contrariés selon le départ ou non des enfants en vacances (certains ou tous)

Effectif : 1976
Tableau 23 : Inquiétude des parents des groupes Croyants et Contrariés face au temps des enfants l’été au domicile selon le départ ou non des enfants (certains ou tous)

Effectif : 1976
Notes de bas de page
1 En deçà d’un certain niveau de quotient familial (rapport des revenus nets perçus et des prestations familiales sur le nombre de parts), les ménages allocataires perçoivent une aide financière dispensée sous forme de bons-vacances. Chaque CAF adopte des points de réglementation spécifiques dans ce domaine. Néanmoins, si l’utilisation des bons-vacances vaut pour diverses formules de séjours, leur remboursement nécessite dans la plupart des cas un séjour d’au moins sept jours consécutifs en un lieu distant de plusieurs dizaines de kilomètres du domicile. Au regard de ces conditions, la définition des vacances adoptée par les CAF apparaît plus restrictive que celle retenue par l’INSEE qui, rappelons-le, classe sous le terme de vacances tout séjour d’au moins quatre nuitées consécutives passées hors du domicile.
2 La phase qualitative a consisté en une série de 50 entretiens individuels de parents, femmes pour la plupart, ainsi qu’en quatre tables rondes réunissant une dizaine de participants chacune. Les entretiens ont été conduits par des enquêteurs professionnels et, pour une partie de ceux réalisés dans l’Oise, par les travailleurs sociaux de la CAF. Cette démarche a notamment permis d’interviewer des familles à faibles ressources, habitant en secteur rural et qu’il est ordinairement plus difficile de rencontrer.
3 Schwartz (O.), « L’empirisme irréductible », Anderson (N.), Le hobo, sociologie du sans-abri, Paris, Nathan, 1994, p. 281.
4 Cependant, les différences régionales n’ont pas été traitées en tant que telles dans cette enquête. Certes, la géographie des vacances montre de fortes variations du « pouvoir casanier » et du « pouvoir d’attractivité » des régions mais c’est d’abord le rapport au temps et au lieu de vacances, plus que les destinations elles-mêmes, qui a été au centre de cette recherche. On a donc accordé un poids statistique équivalent aux enquêtés de chacune des deux régions.
5 Précisons que cette fonction ne doit pas être confondue avec le processus de décision qui, lui, s’engage sur le terrain de la négociation conjugale. Sur les fonctions de délégation féminine et ses effets sur la forme personnelle, conjointe ou familiale des pratiques, cf. Grumbach (M.), « L’individu polyphonique », Dialogue, 102, 1988, p. 54-71.
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