Préface
p. 11-14
Texte intégral
1Fanny Giraudier nous invite à une plongée fascinante dans le monde de la cour à la fin du xvie siècle et au début du xviie siècle. Elle s’attache à reconstituer le fonctionnement de l’entourage royal et plus généralement les rapports entre le pouvoir monarchique et la grande noblesse au lendemain des guerres de Religion. Son livre renouvelle considérablement nos connaissances dans le domaine de la culture politique, qu’il s’agisse des fêtes et cérémonies, du rôle de l’imprimé dans la communication politique, de la place de l’honneur dans les mentalités aristocratiques, des usages de la violence et de la révolte ou encore de l’histoire des femmes.
2Sous sa plume, on voit évoluer des grands seigneurs protestants (Turenne, La Trémoille, La Force), des princes du sang, des seigneurs catholiques et des princesses. On suit également le parcours des anciens adversaires du roi. La politique de clémence menée par le roi est parfaitement analysée. La cour, comme elle le montre, est d’abord une cour militaire, toujours en déplacement, à l’origine peu féminisée et très informelle dans son fonctionnement. Il existe différents conseils cependant, dont les très grands seigneurs ne font pas partie, et où les protestants sont au départ assez nombreux. Les ralliements des ligueurs provoquent des remaniements dans ces cercles de l’entourage royal, ainsi qu’une compétition plus forte pour accéder aux charges et dignités. Tel est le drame de la fidélité : les nouveaux venus sont souvent mieux traités que les anciens compagnons. Ainsi, à l’exception de Bouillon, le roi choisit les nouveaux maréchaux parmi les anciens ligueurs. Les tensions sont d’autant plus vives que l’argent est rare. Parmi les grands seigneurs catholiques qui se sentent écartés, on relève le comte de Soissons, mais aussi d’Épernon.
3Parmi les sources manipulées par Fanny Giraudier figurent des lettres remarquables. Grâce à ces documents souvent inédits, on prend conscience des difficultés du temps, des problèmes d’argent, des enjeux de la fidélité : les acteurs sont vivants et leur langue résonne à nos oreilles. Henri IV lui-même apparaît comme un personnage habile, capable de faire du chantage affectif ou de proférer des menaces sur un ton badin, comme c’est le cas dans une formidable lettre adressée à Souvré, dans laquelle il menace son correspondant : Henri lui coupera la gorge s’il ne l’aime plus ! À la cour, l’amour, ce lien personnel généralisé, constitue le moteur des relations sociales.
4Le livre de Fanny Giraudier propose une plongée dans le fonctionnement le plus concret de la cour. Cette institution est d’abord destinée à assurer la vie quotidienne du prince, mais elle sert aussi à exalter la majesté et à intégrer l’aristocratie à un système concentrique de fidélités dont le monarque constitue le centre. On découvre les principaux offices, les revenus des grands dignitaires et l’évolution des effectifs. Les grands seigneurs détiennent des fonctions curiales. Les premiers valets sont eux aussi des personnages essentiels, de même que le maître de la Garde-Robe, Roquelaure, vieux compagnon du roi.
5Au-delà de sa description institutionnelle, la cour apparaît comme le cadre assez informel de la vie privée du roi. La liste des intimes est dressée à partir d’indices variés. Il y a Bellegarde et Termes, et Roquelaure, mais aussi Guise, et puis Cramail, Cœuvres, Bassompierre, Créquy et plusieurs autres. Ce sont des soldats, des hommes turbulents appartenant à des générations différentes, qui ont parfois du mal à vivre ensemble : en 1599, une rixe oppose ainsi le jeune Joinville (le cadet de Guise) et Bellegarde. La familiarité avec le roi passe par le partage d’activités communes, et notamment de la chasse et du jeu. On joue de façon frénétique, on mise très gros. La chasse permet une grande intimité avec le monarque.
6La cour se féminise au fil des ans. Catherine de Bourbon, la sœur du roi, vit entourée d’un certain nombre de dames. Elle développe des activités culturelles et récréatives, spectacles, bals et ballets. Comme son frère, elle souhaite être entourée, et elle fait preuve d’humour quand elle fait savoir que si la duchesse d’Angoulême ne vient pas la voir elle la dénoncera comme ligueuse. Le roi vit à cette époque avec Gabrielle d’Estrées, qui est entourée des plus grandes dames. Situation inouïe ! Les princesses de la maison de Guise, qui ont à cœur de faire oublier leur engagement ligueur, servent la favorite.
7La cour change considérablement après la mort de Gabrielle et le remariage du roi avec Marie de Médicis. Une vaste Maison de la reine est alors constituée, qui comprend plus de 400 personnes. Les premiers mois de la vie de Marie à la cour de France sont remarquablement exposés, et l’on a une excellente présentation de l’emploi du temps de la reine en 1601 grâce à la correspondance de Louise de Coligny. On note au passage que le roi ne tient pas en place et qu’il « fait mille voyages par jour » entre son cabinet et la chambre de la reine.
8La cour henricienne a une réputation de rusticité, mais fêtes, rites et cérémonies rythment sa vie. Le lever reste relativement informel et tous les grands seigneurs ont accès à la chambre du roi. Les questions de préséance entre les ducs et pairs sont également essentielles, et elles entraînent des altercations entre Montmorency et Épernon, ou bien entre Nevers et Montmorency. La possibilité de s’asseoir en présence de la reine est aussi un enjeu pour les dames. Le roi, Fanny Giraudier le montre très bien, veut rester l’arbitre de ces disputes, mais sans jamais prendre des décisions réglementaires formalisées.
9Les relations entre le roi et les grands seigneurs sont loin d’être parfaitement pacifiées. Les récompenses accordées ne satisfont pas toujours les princes, qui restent animés par un insatiable besoin de reconnaissance et d’affirmation de leur place dans la hiérarchie nobiliaire. Le roi accorde des pensions, des charges et des titres (le nombre de ducs et pairs augmente considérablement), mais cela n’empêche pas les seigneurs de se quereller et parfois même de se battre. Le règne d’Henri IV est ainsi le moment d’âge d’or du duel en France. On se provoque, on s’insulte, et l’on tire parfois les armes. Les cérémonies publiques sont l’occasion de défis car elles fonctionnent comme des théâtres publics sur lesquels chacun veut affirmer sa valeur et son rang. Des pratiques de conciliation visent à régler les conflits, et le connétable de Montmorency joue un rôle important dans ce domaine.
10Le règne d’Henri IV est également marqué par des révoltes aristocratiques qui émeuvent le royaume. L’engagement de Biron avec l’Espagne et la Savoie, qui aboutit à son exécution en 1602, suscite l’indignation. Elle révèle les tensions qui traversent l’aristocratie à ce moment. La conjuration du duc de Bouillon est très bien étudiée. À l’issue de la prise de Sedan par le roi, en 1606, les choses semblent se calmer. Il reste néanmoins des points d’ombre dans le règne d’Henri IV. Le roi courtise ainsi la jeune épouse du prince de Condé, et celui-ci finit par s’enfuir aux Pays-Bas espagnols. Une crise internationale se profile alors…
11Le voyage à la cour du premier Bourbon que propose Fanny Giraudier tient toutes ses promesses ! Il n’est pas sans danger, mais il dépayse d’une manière remarquable.
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