Introduction de la troisième partie
p. 209-210
Texte intégral
1La fulgurante ascension des météores drômois se brise sur les récifs de Thermidor. La compromission des Payan avec Robespierre, le rôle prépondérant de Claude dans la résistance communale et les animosités personnelles qu’ils suscitent, tant à Paris qu’en province, propulsent brutalement les deux frères du statut de héros, « sauveurs du Midi » à celui des « infâmes Payan ». La chute brutale des Payan permet d’appréhender, à travers les discours et les pratiques expiatrices des acteurs, comment Thermidor façonne de nouveaux imaginaires politiques durables et, surtout, comment les individus tentent de s’en affranchir.
2Si Claude-François Payan est fauché par la lame de fond thermidorienne, Joseph survit cinquante-huit ans à la chute de Robespierre et, plus largement, au déshonneur et à l’infamie qui souillent sa famille et sa mémoire. Commence alors pour l’aîné de la fratrie une nouvelle et longue vie. L’itinéraire de Joseph-François, mort nonagénaire en 1852, et de son fils Ernest constitue, dès lors, un excellent terrain d’observation pour analyser les sorties de la « Terreur » et de la Révolution. En effet, la documentation dévoile les stratégies sociales et culturelles déployées pour se reconstruire et réintégrer le concert des notables et, plus largement, la capacité des acteurs à jouer avec les multiples facettes de leur identité sociale1 pour rebondir et résister aux nombreuses et brusques accélérations des temps politiques vécus au cours d’un long premier xixe siècle.
3Enfin, les écrits du for privé fournissent de nouvelles clefs de compréhension permettant d’appréhender le bouleversement révolutionnaire « au plus près des secrets des cœurs ». Les nombreuses correspondances familiales, amicales ou politiques invitent à nuancer fortement la vision d’antagonismes figés – et, partant, les discours des contemporains – tout autant qu’elles révèlent toute la complexité de Joseph-François Payan et la multiplicité de ses appartenances2. En somme, derrière la vitrine du « Montagnard » bon teint, mis en exergue par son parcours politique et, surtout, par la légende noire thermidorienne, les pratiques sociales et les survivances de fidélités et de solidarités, transcendant les clivages politiques et les épreuves de la Révolution, dévoilent une tout autre réalité que seule la loupe microanalytique permet de révéler.
Notes de bas de page
1Lahire Bernard, L’homme pluriel, Paris, Nathan, 1998.
2Au sens entendu par Alexis Ferrand : « la coexistence au sein d’un même individu d’univers de croyances et d’opinions non cohérents qui peuvent être mobilisés par les individus évoluant dans des réseaux interpersonnels ou dans des sphères sociales différentes ». Ferrand Alexis, Appartenances multiples. Opinion plurielle, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2011, p. 141.

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