Chapitre II. Culture du secret, culture lettrée
Ambitions familiales et itinéraires culturels des frères Payan
p. 55-80
Texte intégral
1Suivre, à présent, la trajectoire de Joseph-François et Claude-François – deux des enfants de François pour lesquels nous disposons le plus de sources – permet de comprendre comment cette famille de notables, arrivée aux portes de la noblesse, tente de parachever son processus ascensionnel par la diversification sociale. En effet, les deux frères empruntent des itinéraires diamétralement opposés. Quel que soit l’état envisagé – le droit pour Joseph-François, les armes pour Claude –, les contraintes et les difficultés se multiplient et entravent les ambitions que nourrit François pour ses fils. Néanmoins, l’élaboration d’une stratégie reposant sur la culture du secret et la mobilisation de toutes les forces vives assurent à la famille une réactivité à toute épreuve et une puissante force lui permettant de s’adapter aux revers de la fortune. En parallèle, la conservation de quelques cahiers de réflexions et de notes vagabondes rédigés par Joseph-François ainsi que l’existence de quelques documents laissés par Claude-François autorisent une étude poussée de l’univers culturel et mental des deux jeunes hommes à la veille de la Révolution. En dépit de leurs itinéraires opposés, les deux frères se retrouvent dans leur combat au service des Lumières et dans leur appropriation de la culture littéraire et politique d’Ancien Régime qui façonnent et complètent l’identité de la famille.
Mobilité et diversification sociales
Deux élèves du collège royal de Sorèze (1773-1782)
2En 1773, Joseph-François, alors âgé de 14 ans, est envoyé étudier au collège bénédictin de Sorèze, près d’Albi, en Languedoc1. Claude-François le suit en 1778. Il n’a que 12 ans lorsqu’il intègre l’institution scolaire. Le choix fait par François Payan d’envoyer ses fils aînés dans un collège aussi éloigné de Saint-Paul-Trois-Châteaux interpelle. En effet, contrairement à d’autres espaces français comme la Bretagne ou le Bordelais, le Dauphiné, et plus particulièrement la vallée du Rhône, bénéficie d’un réseau étoffé de collèges. Si Saint-Paul-Trois-Châteaux ne possède pas son propre collège, les environs immédiats n’en sont pas dépourvus. Au-delà, les collèges jésuites de Grenoble et de Vienne brassent, jusqu’au milieu du xviiie siècle, un public large, fuyant la réputation de médiocrité qui entache de nombreux établissements du Dauphiné méridional2. Au mitan du siècle, les élites dauphinoises leur préfèrent des collèges plus éloignés mais bien plus prestigieux. Contrairement à ses collègues parlementaires qui recourent aux services offerts par des pensionnats d’excellence, comme Juilly ou Louis-le-Grand, et, de plus en plus, à l’école militaire de Tournon, en Vivarais, accueillant une grande partie de la clientèle fortunée dauphinoise, Payan fait le choix du collège de Sorèze, alors en plein renouveau.
3Fondé en 1682 au sein de l’abbaye bénédictine de Sorèze, le collège met très tôt l’accent sur l’éducation aristocratique. Après avoir végété plusieurs années, l’établissement connaît un nouvel âge d’or à partir de 1759, dans un contexte marqué par un renouveau des ambitions scolaires des bénédictins. Cet engouement s’explique en partie par la grande diversité des enseignements et les innovations pédagogiques proposées qui répondent aux nouvelles attentes des élites3. En plus des matières classiques4, les élèves peuvent étudier la physique et l’astronomie, les langues vivantes, les fortifications, mais aussi l’équitation, la musique et l’escrime. Le collège a la double ambition de faire acquérir aux élèves un savoir diversifié et d’inculquer aux futures élites les codes de la culture aristocratique. Dans cette optique, l’abbaye-école devient l’un des douze collèges militaires royaux institués par l’édit de 17765, s’inspirant de l’école militaire royale de Paris6. Sorèze accueille une cinquantaine de jeunes nobles désargentés pour une formation de six ans. Pour les autres élèves qui ne peuvent intégrer l’école militaire comme « boursier du roi », tels que les jeunes Payan, le prix d’une année à Sorèze s’élève à 700 l. La qualité de l’enseignement proposé à Sorèze attire des familles provenant de tout le Midi, du Dauphiné jusqu’à la Guyenne, mais également de l’ouest de la France et, de plus en plus, des Antilles. Néanmoins, les condisciples dauphinois des Payan sont assez rares.
4Le bref passage de Joseph-François sur les bancs de Sorèze (1773-1775) ne semble pas lui avoir laissé de mauvais souvenirs. Dans le recueil de ses écrits et réflexions, entamé à partir de 1777, il ne fait aucune mention de Sorèze mais il critique d’autres collèges, jugés moins novateurs, où l’on trouve encore « la scolastique barbare » et « la logique ridicule et futile7 ». Les années de collège de Claude-François sont plus longues (1778-1782). Toutefois, en l’absence d’écrits intimes, nous restons tributaires de la correspondance envoyée par François à son fils aîné, dans laquelle il mentionne, à de rares occasions, les dernières années de la scolarité de son cadet à Sorèze. À en croire son père, Claude-François se ferait remarquer lors des exercices publics annuels, notamment par ses qualités d’orateur. Lors des exercices de l’année 1781, Claude-François remporte le premier prix des humanistes8. N’ayant pas encore choisi d’état pour son fils, mais le prédisposant au service des armes ou au domaine spirituel, François s’assure que Claude reçoive une éducation soignée et éclectique, reposant sur la maîtrise de l’anglais, le dessin, les mathématiques – qui l’ennuient profondément –, les armes et la rhétorique9. Toujours est-il que Claude-François finit par se lasser des études, au grand désespoir de son père. Visité par Esprit-Joseph de Castellane, qui navigue régulièrement entre Saint-Paul-Trois-Châteaux et ses terres d’Esparron, au sud de Toulouse, Claude est dépeint comme un jeune homme mélancolique et hésitant. Après en avoir débattu avec ses proches, Payan décide de retirer son fils du collège et de le garder près de lui afin de mieux cerner ses projets d’avenir. Claude-François regagne le logis familial en octobre 1782, après une absence de presque six ans. Au moment où Joseph-François parachève son droit, et s’apprête à suivre un itinéraire professionnel déjà tout tracé, l’avenir s’annonce plus incertain pour Claude.
« L’étude sèche et aride de la jurisprudence »
5En tant que fils aîné d’une famille basochienne, il incombe à Joseph-François de poursuivre l’héritage paternel. François place d’ailleurs de grands espoirs en son fils et compte bien lui faire intégrer les plus hautes sphères judiciaires provinciales, ce qu’il n’a pu lui-même réaliser. Néanmoins, ce projet ne sied pas complètement à Joseph-François. S’il possède de réelles aptitudes pour le droit, il confesse être « forcé par état, par devoir et par… à s’adonner à l’étude sèche et aride de la jurisprudence10 ». L’importance acquise par les Payan au cours du siècle et leur insertion dans les réseaux judiciaires dauphinois, notamment parlementaires, ne laissent guère d’autre alternative à Joseph-François que d’embrasser une carrière judiciaire. Malgré ses réticences initiales, il se soumet aux attentes et à la pression familiales.
6Contrairement à son grand-père Benjamin-François qui avait fait son droit à Valence, Joseph-François suit les traces de son père en intégrant l’université d’Orange. Avec le rattachement définitif de la principauté d’Orange au royaume de France, les étudiants dauphinois désertent massivement Valence, souffrant d’une exécrable réputation. Le « voyage d’Orange » devient, pour de nombreux fils de juristes, une étape incontournable de leur carrière. On vient de Grenoble pour obtenir les grades universitaires, décernés avec une très grande facilité11. L’étude du droit repose sur trois enseignements : le droit civil, ou romain, le droit canon, abordant les décrétales du Pape Grégoire IX et le droit français. En revanche, le droit coutumier n’est pas étudié à Orange, pays de droit écrit. Après avoir achevé ses deux années d’étude, Payan obtient le grade de bachelier en droit canon et civil. Ce premier diplôme lui permet de poursuivre le cursus universitaire jusqu’à la licence, titre indispensable pour prétendre à l’exercice de la profession d’avocat, qu’il décroche l’année suivante. Joseph-François quitte le cursus universitaire licencié à l’automne 1778. Il est alors âgé de 19 ans.
7Une fois la formation théorique achevée, Joseph-François parachève ses apprentissages au contact de ses proches. Dans les milieux judiciaires, la transmission familiale constitue une étape essentielle dans la formation des avocats en herbe qui baignent dans la jurisprudence depuis l’enfance12. En premier lieu, il assiste son père dans les nombreux dossiers qui s’accumulent dans le cabinet d’études des Payan. C’est pour Joseph-François l’occasion de se frotter, sous le contrôle de son père, à des affaires concrètes et de mettre en pratique les connaissances accumulées à l’université d’Orange13. Dans la même optique, il multiplie les voyages chez des parents juristes entre l’été et l’automne 1780. Joseph-François commence par se rendre à Grenoble en juillet 1780 où il retrouve des intimes de la famille, comme le conseiller de Chièze, chez qui il loge à une époque où la socialisation des adolescents incombe tout autant aux parents qu’à un cercle large d’adultes14. Ce séjour est l’occasion de perfectionner ses connaissances juridiques en assistant à des séances parlementaires. Après un bref retour à Saint-Paul-Trois-Châteaux, Joseph-François passe quelques jours à Die en octobre 1780 pour rendre visite aux Lagier de Vaugelas, parents maternels de Joseph-François, dont son oncle, Jean-Pierre Lagier de Vaugelas, juge mage de l’évêque de Die, auprès duquel le jeune Payan a beaucoup à apprendre15. Ces voyages initiatiques marquent véritablement l’entrée de Joseph-François Payan dans le monde judiciaire. Outre des liens familiaux ou d’amitiés paternelles réactivés, ils posent les jalons d’un premier maillage de relations personnelles. C’est vraisemblablement à cette époque qu’il noue une profonde et sincère amitié avec Gabriel-Prosper de Chièze, fils du conseiller de Chièze. Il s’agit, enfin, de tâter le terrain et de repérer, dans le plus grand secret, des offices stratégiques ou des fonctions très lucratives susceptibles de se libérer dans un futur proche.
8La formation théorique reçue à la faculté de droit n’étant pas suffisante, François envoie son fils à Paris en mars 1781 pour perfectionner ses connaissances. Les futurs avocats doivent suivre diverses conférences pour approfondir leur maîtrise des subtilités judiciaires d’Ancien Régime et fréquenter les audiences publiques, pour écouter les plaidoyers, sous la surveillance d’avocats chevronnés qui servent alors de tuteurs de stage. Contrairement à Grenoble, où le stage des jeunes licenciés dure sept ans, à Paris, il n’excède pas quatre années16. C’est très probablement l’une des raisons ayant poussé François à envoyer son fils parachever sa formation dans la capitale. Joseph-François ne ménage pas ses efforts. Il passe de longues soirées à retranscrire les audiences et à se plonger dans de volumineux ouvrages de droits. En prévision d’une potentielle installation à Paris – l’idée lui traverse fugacement l’esprit –, François conseille à son fils d’approfondir ses connaissances des lois romaines, « peu connues à Paris17 », pour se démarquer des autres avocats. Une fois la formation achevée, Payan doit encore se faire recevoir par le parlement, au cours d’une cérémonie d’intronisation qui consacre solennellement son appartenance au monde des avocats par son inscription au barreau. Le patriarche de la famille Payan encourage son fils à prêter serment devant le parlement de Paris. En effet, outre la possibilité d’exercer dans l’immense ressort du parlement de Paris, la réception au barreau parisien offre le privilège de pouvoir officier dans n’importe quelle autre juridiction du royaume18. François avait très certainement cette idée en tête lorsqu’il a envoyé son fils à Paris. Après quelques hésitations, Joseph-François songe sérieusement à revenir en Dauphiné. Il y a beaucoup trop d’avocats installés à Paris et les cours souveraines sont imperméables aux non-initiés. En outre, les Payan nourrissent diverses ambitions dans le sud, où leurs appuis sont actifs et puissants.
Ambitions basochiennes
9La correspondance échangée entre François et son fils dévoile très clairement les objectifs de la famille et expose les moyens d’y arriver. Pour parachever l’ascension sociale de la lignée, les Payan briguent une cour souveraine – un parlement de préférence –, seule à même d’offrir suffisamment de lustre à la famille et d’entériner son appartenance à la noblesse. Ces instances supérieures constituent encore pour de nombreux individus un idéal vers lequel tendre, sanctionnant les efforts entrepris par une famille sur plusieurs générations19. Néanmoins, face à la rudesse de la concurrence, le père et le fils envisagent plusieurs scénarios. Le principal dessein de Joseph-François est d’acheter une charge de conseiller au parlement de Provence, projet que François accueille avec de nombreuses réserves, tant les offices y sont convoités. En cas d’échec, François envisage une autre option : faire un bon mariage, « acheter une terre rentable, être dans l’aisance et ne plus dépendre de personne20 ». En parallèle, Payan s’imagine, en faisant jouer les relations de son père avec l’intendant et l’administration royale, être parachuté à la tête d’une subdélégation. En définitive, c’est le cursus paternel qu’il escompte reproduire. Néanmoins, si le projet matrimonial devait échouer, François recommande à son fils de se tourner vers la chambre des comptes du Dauphiné, plus accessible aux familles bourgeoises, mais moins prestigieuse que le parlement21. Cependant, la chambre des comptes de Dauphiné est l’une des rares, avec celle de Paris et de Dole, à conférer la noblesse au premier degré. Ces conjectures reposent sur une seule et même stratégie : le secret. Les Payan mettent dans la confidence uniquement les individus susceptibles de faire avancer leurs projets. François sonde ses nombreuses connaissances tout en manœuvrant pour faire aboutir les projets de son fils.
10Toutes ces spéculations, attestant la pleine inscription des Payan dans le système de valeurs aristocratiques dont ils partagent les idéaux, se heurtent à de nombreuses déconvenues. Tout d’abord, dans un contexte général marqué par une accentuation du processus d’aristocratisation des recrutements des parlementaires, notamment aixois22, la concurrence d’une partie de la noblesse provençale, très fortunée, préférant de loin le service de la robe à celui des armes, ne laisse guère d’espoirs aux Payan23. En outre, la patrimonialisation des charges parlementaires est très prononcée. Nombreux sont les fils de conseillers à succéder à leur parent. Dans de telles conditions, Joseph-François ne peut pas intégrer une compagnie, prélude à toute carrière parlementaire. Les Payan ne sont pas plus heureux sur le projet matrimonial. Le choix du patriarche se porte sur Anne Bignan, fille du négociant Jean-Louis Dominique Bignan, de Suze, de dix ans la cadette de Joseph-François. Les Bignan représentent un parti de choix. Leur important patrimoine financier permet à Jean-Louis Dominique Bignan d’acquérir quelques petites seigneuries et de rajouter une particule à son nom (Bignan de Coyrol). Par conséquent, ce mariage rajouterait un vernis nobiliaire supplémentaire aux Payan. Pour des raisons qui nous échappent, le projet matrimonial n’aboutit pas. Enfin, ultime désillusion, le vague projet d’investir la subdélégation du Buis, avoisinant celle de Saint-Paul-Trois-Châteaux, ne se concrétise pas. Le contexte est pourtant favorable : son titulaire, malade, semble à l’article de la mort. La rumeur présageant la fin prochaine du subdélégué du Buis aiguise bien des convoitises. Les sollicitations affluent de toute part et inondent les bureaux de l’intendance. Comme dans une comédie de Molière, le malade, que l’on croyait à l’agonie, se remet miraculeusement, renvoyant à leurs chimères tous ceux qui spéculaient avidement sur sa fin prochaine. Face à ces nombreuses déconvenues, les Payan se recentrent sur le projet grenoblois.
11À la veille de la Révolution française, il existe une douzaine de chambres des comptes dans tout le royaume. Ces cours souveraines ont deux attributions principales. Elles assurent une fonction de surveillance et de contrôle de la comptabilité publique et veillent à la conservation du domaine royal24. La chambre des comptes du Dauphiné est détachée du parlement de Dauphiné en 162825. Ses quelque 50 membres se répartissent entre les conseillers maîtres, les correcteurs et les auditeurs. Les opérations préliminaires sont confiées aux auditeurs. Les jugements des comptes sont réservés aux maîtres. Les correcteurs révisent les comptes après jugements. Les gages sont minces (1 128 l. pour un conseiller maître). Les connexions établies par François Payan au cours de sa carrière s’avèrent décisives pour favoriser le succès du projet grenoblois. Joseph-François peut compter sur l’appui de son grand-oncle, Daniel Joseph Isoard, le précédant à la chambre des comptes, ou sur des amis de son père, comme le naturaliste Moreau de Vérone à qui François a rendu maints services. En somme, fronts de parentés, amis et connaissances plus éloignés assurent le succès du fils aîné des Payan qui achète la charge de conseiller maître pour 46 500 l. le 16 juin 1787. Cette élévation s’inscrit dans un processus général d’ascension sociale des juristes en voie d’anoblissement, intégrant plus facilement certaines chambres des comptes depuis la période Maupeou. Joseph-François a trouvé un état très honorable, susceptible de l’anoblir après vingt années d’exercice. L’objectif de François est pleinement atteint : pousser son fils pour qu’il puisse s’élever plus que lui et favoriser ainsi toute la famille.
Variations autour d’un état
12Inspiré par les débats autour de l’éducation, thématique majeure des Lumières, François Payan n’impose rien à son fils cadet et cherche à l’accompagner dans ses ambitions : « J’ai toujours eu en horreur les parents qui veulent disposer despotiquement de l’état de leurs enfants contre leur inclination26. » Le même privilège n’a pas été accordé à Joseph-François, tant s’en faut ! Après avoir hésité entre le spirituel et le service des armes, Claude-François tranche finalement pour l’état militaire en septembre 1781. Les projets professionnels de Claude-François mettent la stratégie paternelle à rude épreuve. En effet, pour les roturiers, les perspectives d’agrégation au monde des officiers se réduisent tout au long du xviiie siècle. Depuis le xviie siècle, l’afflux important d’enfants que leurs parents cherchent à placer dans les armées du roi altère considérablement le rôle joué par la carrière des armes dans l’élévation de nombreuses familles, notamment nobles27. Les promotions semblent se ralentir au cours du xviiie siècle. Dès lors, l’idée de ne confier des postes qu’aux seuls gentilshommes se fait jour au sein d’une partie de la noblesse et de l’administration royale. L’édit de Ségur ne constitue finalement qu’une étape supplémentaire dans le processus de fermeture de l’armée aux anoblis et aux roturiers enclenché depuis la Régence. La réglementation se durcit en 1758 lorsqu’une série d’ordonnances exige que les officiers puissent présenter un certificat de noblesse signé par quatre gentilshommes et vérifié par l’intendant. Enfin, en 1776, l’édit de Saint-Germain supprime la vénalité des charges militaires, afin de favoriser la petite noblesse méritante. Le nouveau Secrétaire d’État à la guerre, le marquis de Ségur, fait adopter le 22 mai 1781 une mesure encore plus radicale. Ne peuvent désormais prétendre à une carrière d’officier sans passer par le rang que les nobles capables de prouver quatre degrés de noblesse. Outre la possibilité d’intégrer des gentilshommes sans fortune, l’édit de Ségur referme l’appareil militaire aux anoblis, accusés d’être moins combatifs que les nobles de race. David. D. Bien a montré comment la « réaction aristocratique » de l’édit de Ségur était avant tout une « réaction foncièrement professionnelle », visant surtout à écarter les « autres fractions non militaires de la noblesse28 ».
13Dans un premier temps, c’est la marine qui obtient les suffrages de la famille. À la fin du xviiie siècle, l’infanterie n’offre plus le même prestige que par le passé. Une partie importante des rejetons nobles se replie vers les armes savantes, en plein essor, ou vers la marine. L’engouement de nombreux gentilshommes provinciaux pour la marine s’explique, en partie, par le désintérêt pour ce corps militaire qu’expriment les puissants lignages de cour ou de riches aristocrates, viscéralement attachés aux armées terrestres29. Au reste, la concurrence est moins rude pour les fils d’anoblis ou de bourgeois en cours d’anoblissement, d’autant plus que la naissance est un critère moins incontournable que dans les armées terrestres30. Le collège de Sorèze fournit d’ailleurs les bases nécessaires pour intégrer la marine : les langues étrangères, la géographie, les mathématiques et, surtout, des leçons de natation. Néanmoins, Claude-François abandonne assez rapidement cette voie professionnelle. Au cours d’une visite à Sorèze en juillet 1782, le comte de Castellane informe Payan de l’étrange mélancolie qui s’empare de son fils lorsqu’il évoque avec lui ses projets d’avenir : « nous n’avons trouvé dans lui nul goût pour le service de la marine et une espèce de rebut qui l’attristait [sic]31 ». Il confie même craindre l’eau…
14En abandonnant le service des armes, Claude-François entend marcher sur les traces de son père et de son frère aîné en embrassant une carrière judiciaire. Ce revirement décide le patriarche à rappeler son fils auprès de lui afin de mieux le sonder sur ses nouvelles ambitions judiciaires. Faisant office de secrétaire particulier, il rédige une partie de la correspondance et des mémoires judiciaires sous la dictée de son père et s’initie au droit qui semble l’ennuyer prodigieusement. Après un an passé avec son père, Claude-François fait machine arrière et réentreprend une carrière militaire. Ses variations d’humeurs affectent son père : « Son inconstance me peine32 », écrit-il, à Joseph-François, non sans exaspération. Cependant, le patriarche n’est pas aux bouts de ses peines.
15Si la marine est clairement écartée, Claude-François envisage à présent les armes savantes, et plus particulièrement le génie, alors en plein renouveau. Depuis la guerre de Succession d’Autriche, le corps des ingénieurs a élargi l’aire de recrutement de ses membres à un plus grand nombre de familles et s’est professionnalisé33. Les jeunes hommes doivent suivre des études poussées, reposant sur une grande maîtrise des mathématiques mais également de l’architecture, de la géographie et du dessin. L’école royale du génie de Mézières devient une véritable référence en la matière. Cependant, estimant les études trop longues et bien trop coûteuses, le jeune Payan change à nouveau d’avis et se rabat sur l’infanterie. Comprenant que son désir d’intégrer un régiment d’infanterie ne pourrait jamais être satisfait, au regard d’une conjoncture défavorable aux familles roturières, Claude-François revient vers le génie. François envoie son fils à Paris, rejoindre Joseph-François, à la fin du mois de septembre 1784. Il incombe à l’aîné de former son cadet et de le préparer aux examens d’entrée à Mézières. Entre les deux frères règne une parfaite entente, une sorte de « fraternité consensuelle34 ». Claude ouvre son cœur à son frère et lui avoue ses doutes pour le génie. Après seulement quelques semaines d’études qui l’ennuient profondément, il envisage, pour la cinquième fois, de changer d’état. Malgré son impatience – « toutes ces inquiétudes nuisent infiniment à ma santé35 » –, François reste néanmoins à l’écoute de son fils et tente de l’accompagner vers l’état qui parviendrait au mieux à le satisfaire. Après en avoir longuement discuté avec son frère, Claude-François envisage une carrière dans l’artillerie.
16Comme à chaque nouvelle lubie, le projet est discuté en famille. François associe systématiquement son épouse – « dont le jugement est ordinairement très bon36 » – lorsqu’il est question de l’avenir de leurs enfants. Le couple et Joseph-François se rallient à l’option du service dans l’artillerie. Cette filière offre plusieurs avantages : des études moins longues et l’agrément d’être placé plus tôt. Claude intègre l’école royale d’artillerie de Metz en février 1785. Cette école régimentaire, l’une des sept en activité dans le royaume, accueille pour deux années d’études les élèves préparant l’examen d’aptitude au grade de lieutenant d’artillerie37. En outre, l’école n’est pas très regardante quant aux preuves de noblesses, ouvrant facilement ses portes aux rejetons de familles bourgeoises vivant noblement.
17Nous ignorons presque tout des quelques années passées à Metz. Les rapports d’inspection de l’école semblent néanmoins révéler un réel manque d’investissement dans ses études. Si le rapport de 1786 précise que Claude-François « travaille et ne manque pas d’intelligence », celui de 1787 est plus alarmant : « se néglige beaucoup et a vu très imparfaitement les trois premiers volumes38 ». En outre, le jeune Payan ne s’est pas présenté aux examens. L’étude des mathématiques, à travers les célèbres manuels d’Étienne Bézout, ennuie profondément le jeune homme qui le confesse dans l’un de ses délicieux vers de jeunesse, intitulé Contre Bézout : « Maudit soit ce Bézout dont l’assommant génie se plaît à tourmenter le printemps de ma vie, qui du matin au soir prétendant m’amuser veut me laisser à peine un moment pour baiser39. » Derrière ces calembours faciles et son ton scabreux, le poème traduit avec force le mal-être d’un jeune homme timide et secret, prisonnier de la mélancolie qui le ronge – cette « maladie de fin de siècle » qui affecte bien des contemporains40 – et d’un avenir qui ne lui offre guère d’horizons épanouissants. En 1789, Claude-François n’a toujours pas intégré un régiment, restant englué dans son grade d’aspirant41.
18Les nombreuses hésitations et les faiblesses passagères évoquées dans la correspondance permettent de restituer assez fidèlement les marges de manœuvre réelles dont disposent les sujets étudiés et protègent de toute tentative de surinterprétation qui accorderait une trop grande efficience à la seule volonté de la famille. Toutes ces péripéties dévoilent les stratégies mises en œuvre pour atteindre l’objectif que les Payan se sont fixé et les ressources sur lesquelles ils peuvent compter.
Du bon usage du secret et des réseaux
19Pour de nombreux individus situés à la lisière de la noblesse, l’édit de Ségur contrarie bien des ambitions. La correspondance intime que François Payan entretient avec son fils révèle les dessous de la stratégie déployée pour tenter de passer outre. Bien que les Payan n’appartiennent pas directement au second ordre, l’existence de plusieurs branches cousines nobles et le vernis nobiliaire que François Payan s’astreint à donner à sa famille permettent d’entretenir une certaine ambiguïté sur laquelle jouent le père et le fils. Le premier objectif consiste à fournir de multiples preuves de leur appartenance supposée à la noblesse. Si la brève carrière parlementaire de Payan suffit à lui donner suffisamment de lustre dans son Tricastin natal, les généalogistes du roi, Chérin en tête, dont le blanc-seing est nécessaire pour accorder le moindre certificat, se laissent moins facilement abuser. Les titres ronflants d’« écuyer », d’« ancien conseiller au parlement » ou l’usurpation de la particule et du qualificatif « noble » trouvent leur limite lorsqu’il devient impossible aux Payan de prouver leur filiation noble sur quatre générations. En juillet 1782, François avoue son impuissance à son fils : s’il parvient, grâce à la complicité du notaire Béraud, à usurper trois degrés de noblesse, il échoue à fournir les preuves pour son grand-père, Gédéon Payan mort en 1689.
20Dans une conjoncture défavorable à l’accès de la bonne bourgeoisie aux fonctions clefs du monde de la justice ou des armées, la rudesse de la concurrence oblige les Payan à jouer finement. En effet, étant incapables de prouver quatre degrés de noblesse, la famille doit garder secret le projet d’intégrer des institutions dont le recrutement repose sur des critères qu’ils sont incapables de remplir, au risque d’être dénoncés par des individus envieux. « Personne n’a la moindre idée sur notre projet, le secret est essentiel et il est bon que tout le monde ignore les différentes cordes à mouvoir42 », confie par exemple, François Payan en septembre 1784, lorsque Claude songe à intégrer l’école de Mézières. Si depuis le xviie siècle, le secret et la dissimulation, par lesquels l’homme maîtrise ses affects, contribuent au développement de la civilité43, ils participent également d’une forme de tactique sociale : la culture du secret44. Les lettres envoyées par le patriarche entre 1781 et 1785 attestent la maîtrise de cet art – une caractéristique partagée par de nombreux individus en quête d’ascension sociale dans l’Europe moderne45 – : « Je sais que la dissimulation est nécessaire46 », confesse-t-il régulièrement à son fils. En cas d’interception de leur correspondance, les Payan prennent soin de camoufler les noms des personnages clefs ou d’utiliser des codes, tels que des initiales. Ainsi, derrière Ch. se cache le généalogiste Chérin, M de la P. désigne l’intendant de la Porte, etc. L’encodage des textes est une pratique commune pour protéger son intimité des regards indiscrets47. Cette culture du secret se perçoit également dans le choix de l’école d’artillerie. Pour passer outre l’épineux problème des preuves de noblesse, les Payan envisagent de faire intégrer à Claude l’école militaire de Metz, plutôt que celle de Valence, où ils sont bien trop connus. La supercherie serait très rapidement éventée. Pour que la stratégie soit totalement efficiente, elle doit être révélée à une poignée d’initiés qui sont associés aux ambitions secrètes de la famille. La grande force de la famille est d’avoir tissé de nombreux liens avec des individus très différents et, surtout, d’avoir su les mobiliser à bon escient.
21Les multiples relations construites par François Payan, et renforcées par son fils à Paris, s’avèrent particulièrement décisives pour concrétiser les différents projets de la famille. Joseph-François constitue la pièce maîtresse de la stratégie familiale. En effet, de Paris, il est le plus à même de fréquenter les arcanes du pouvoir et de rencontrer les éminences grises qui font les carrières dans l’armée. Ainsi, François pousse son fils à se rapprocher progressivement d’individus ayant l’oreille d’un ministre ou, à défaut, des généalogistes du roi. La tactique est somme toute classique. Il s’agit de se faire introduire par une relation auprès de grands personnages susceptibles de pouvoir intercéder en leur faveur. Payan invite en particulier son fils à courtiser les puissants lignages originaires du Dauphiné, jouant sur l’esprit de solidarité qui rapproche de nombreux provinciaux déracinés. La stratégie est bien ficelée. Par l’intermédiaire de son protecteur à Paris, le comte de Pontbriant, Joseph-François peut rencontrer le comte de Narbonne-Pelet-Fritzlar48. Ce dernier possède suffisamment d’influence à Paris pour être susceptible d’appuyer le projet des Payan. C’est, par exemple, un intime de Louis Félix Guinement de Kéralio, inspecteur des écoles militaires, dont l’appui peut s’avérer capital pour faire entrer Claude-François Payan dans la marine. D’autres nobles dauphinois, fréquentant la capitale, sinon la cour, à intervalles irréguliers, comme le comte de Castellane, son cousin par alliance, d’Anglejan, le chevalier d’Agoult « qui m’ont les plus grandes obligations », sont mobilisés49. Ces multiples relations constituent autant d’intercessions auprès de la cour. Le chevalier d’Agoult, par exemple, est reçu à Saint-Paul-Trois-Châteaux, où il est mis dans la confidence et chargé d’approcher le Secrétaire d’État à la marine, de La Croix de Castries, que son frère connaît très bien. Il faut donc, au minimum, la médiation de deux personnes pour que le nom des Payan arrive jusqu’aux oreilles de l’administration centrale. En parallèle, les Payan courtisent des administrateurs de hauts rangs comme les intendants, tout particulièrement Pierre Jean-François de la Porte, ex-intendant du Dauphiné, dont François a été le subdélégué de 1753 à 1761 et avec lequel il a noué une véritable amitié. Pour preuve, Joseph-François est invité à passer plusieurs mois à Meslay, près de Vendôme, où la famille possède un somptueux château. Ce séjour est propice aux intrigues visant à pousser la candidature de Claude-François, comme le confesse François : « M. de la Porte a eu la bonté de parler au ministre50. » De l’aveu même de Payan, son fils ne ménage pas ses efforts : « Je vois que toutes tes batteries sont bien disposées », lui écrit-il au printemps 178251. Ces différents exemples montrent bien l’intérêt de construire de précieux réseaux. Nul besoin que les individus qui y gravitent soient des intimes de la famille pour être utiles. Ils peuvent apporter une petite aide, une intercession, une caution supplémentaire dans la recherche de protections. Il incombe aux ambitieux de savoir les utiliser au bon moment.
22La constitution d’un immense réseau est d’autant plus essentielle que la versatilité de Claude-François met la stratégie familiale à rude épreuve. Chaque revirement nécessite de trouver de nouveaux protecteurs, de nouvelles relations et d’orienter les études vers un domaine précis. C’est un défi permanent pour les Payan qui s’efforcent de s’adapter à l’inconstance de Claude-François. François résume assez bien la situation : « Je ne te dissimule pas ma peine sur la variation de la V52. […] Tu avais pour le génie beaucoup de protecteurs, de connaissances, de facilités : aurons-nous les mêmes secours pour l’artillerie53? » Après la marine et le génie, les Payan doivent trouver et mobiliser de nouvelles relations pour que Claude-François puisse intégrer l’école d’artillerie de Metz. Moins d’un mois après la déconvenue qui met, de nouveau, la famille en difficulté, les Payan ont su dénicher des individus susceptibles d’influer sur la carrière de Claude-François : « Le vieux chanoine de Vérone à Metz pourrait lui devenir utile54 », confie le patriarche. En puisant dans leur très vaste réseau d’amis – ici les Moreau de Vérone –, les Payan disposent de suffisamment de ressources pour s’adapter aux contraintes successives provoquées par les variations de Claude-François. Comme en concluent également les enquêtes consacrées à des familles plus puissantes55, les succès des Payan reposent incontestablement sur leur réactivité face aux impondérables et leur capacité à mobiliser un gigantesque réseau.
23En parallèle, la qualité de la documentation permet de retracer l’itinéraire culturel des frères Payan et atteste leur parfaite maîtrise d’une solide culture lettrée qui élargit la large base de leur identité sociale.
« Tâcher d’éclairer les autres et de s’éclairer soi-même »
24L’existence d’un petit fonds de notes de lectures et l’examen d’une partie de la bibliothèque permettent d’entrer dans l’univers culturel et mental des frères Payan afin de cerner la personnalité des deux adolescents et d’appréhender le rapport qu’ils entretiennent avec le monde qui les entoure et leur perception de la société prérévolutionnaire.
« Les Belles-Lettres, le droit et la philosophie partagent tout mon temps »
25On lit beaucoup chez les Payan et on est sensible au bel esprit. Ce goût pour la lecture est partagé par de nombreux parlementaires dauphinois56. Au-delà des gazettes57 reçues avec le courrier, et lues avec assiduité, le couple Payan se passionne pour les Belles-Lettres, notamment pour les Fables de la Fontaine ou pour les lettres de Mme de Sévigné que Marthe Isoard affectionne tout particulièrement. Si les parents sont de grands amateurs de littérature, cette passion se retrouve de manière encore plus prononcée chez les deux frères, véritables boulimiques de lecture. Il existe d’ailleurs dans la chambre de Joseph-François une bibliothèque, à laquelle il tient tout particulièrement et dont l’accès est étroitement surveillé par le patriarche en son absence.
26Reconstituer avec exhaustivité les lectures des frères Payan, plus particulièrement celles de Claude-François, relève de la gageure. Aucun inventaire après décès, recensant parfois les ouvrages possédés, n’a été conservé. Par ailleurs, la forte mobilité des deux frères favorise la dispersion de leur bibliothèque. Seules les confiscations de leurs biens, au moment de leur chute en 1794, et les demandes de restitution, à partir de 1796, permettent de lever légèrement le voile sur les lectures des deux frères. En l’absence également d’un catalogue listant la totalité de leurs ouvrages, comme de nombreux bibliophiles ont eu tendance à en tenir, la source principale de cette étude reste le recueil de lectures, notes et réflexions rédigé par Joseph-François entre 1773 et 1777. Ces écrits intimes se présentent sous la forme d’un cahier, divisé en quatre parties, dont la première est manquante. Ce recueil de lieux communs58 égrène pensées vagabondes, réflexions intimes et une liste d’ouvrages, rigoureusement commentés – soit une preuve indubitable de leur lecture. À la lumière de tous ces éléments, il est à présent possible de pénétrer dans l’univers culturel des frères Payan.
Tableau 2. – Les lectures de Joseph-François Payan.
Belles-lettres | Histoire | Philosophie | Droit Jurisprudence | Géographie et récits de voyage | Sciences | Total |
48 | 20 | 30 | 7 | 4 | 1 | 110 |
Réalisé à partir des confiscations ou restitutions de livres entre 1794 et 1795 et, surtout, des notes de lecture de Joseph-François. Nous avons bien conscience de l’artificialité de nos catégorisations qui permettent, néanmoins, une première esquisse de classification.
27Avant d’interpréter le tableau, nous devons mettre en garde le lecteur. À l’origine, la bibliothèque était plus fournie. Payan n’a pas réussi à récupérer tous ses livres confisqués en 1794. Par conséquent, ce tableau ne livre qu’une certaine partie de l’environnement culturel de Joseph-François. Par ailleurs, certains ouvrages recensés dans le total ont été acquis au moment de la Révolution. Il est, par conséquent, difficile de distinguer clairement les périodes de lectures.
28Avec seulement sept ouvrages de droit, la bibliothèque de travail de Joseph-François tranche très nettement de celles d’autres officiers grenoblois, bien plus fournies en la matière59. On peut toujours arguer qu’il détenait à l’origine plus de livres, figurant parmi ceux qui ont été confisqués et vendus sous la Révolution. Sans doute faut-il plutôt voir ici un choix personnel dans ce qui semble être un désaveu pour cette discipline qui ne le passionne pas. Par conséquent, il se contente de posséder les classiques ou des ouvrages plus récents, comme les 13 volumes des Œuvres complètes du chancelier d’Aguesseau. Pour le reste, il peut compter sur les ouvrages de son père, comme les Institutes de Justinien, un classique du droit romain. La possession des discours de Servan, avocat général au parlement de Grenoble qui se distingue par ses idées progressistes et plaide pour une profonde réforme du droit pénal, atteste néanmoins un certain intérêt porté aux débats qui animent le monde judiciaire à partir des années 1760.
29Joseph-François ne s’intéresse pas plus, comme son frère du reste, aux ouvrages religieux. Aucun livre de dévotion ou de Bible n’est mentionné. La documentation n’est sans doute pas à mettre en cause. Cette absence d’ouvrages religieux n’est pas originale et constitue même une marque significative dans l’évolution générale de la piété d’une grande partie des élites provinciales60. À titre de comparaison, la bibliothèque du commandant en second de la province de Dauphiné, le comte Jean-François Narbonne-Pelet-Fritzlar, résidant dans le village voisin de la Garde-Adhémar, ne comprend qu’un seul livre religieux sur 155 ouvrages61.
30Les lectures de prédilection de Joseph-François sont les Belles-Lettres (44 % de l’échantillon), la philosophie (27 %) et l’histoire (18 %). Derrière ces thématiques générales certaines préférences se font jour. Les ouvrages historiques, par exemple, accordent une place écrasante à l’histoire antique, plus particulièrement romaine. Tacite, Tite-Live, Suétone et autres historiens classiques composent l’essentiel des lectures consacrées à la période romaine. La présence de Thucydide et d’Homère confirme ce goût pour l’Antiquité, partagé par de nombreux contemporains, mais assez peu par les élites grenobloises62. Cet intérêt s’explique en partie par la formation reçue dans les collèges, où le latin, la morale et l’histoire antiques sont particulièrement valorisés. Comme nombre de ses contemporains, Joseph-François se passionne pour l’histoire de France. D’autres ouvrages historiques ou géographiques, consacrés à des espaces plus éloignés, comme l’Abrégé des histoires générales de voyages, de Jean-François de La Harpe, atteste la curiosité intellectuelle de Joseph-François. Cette soif de connaissances se perçoit, sans doute un peu moins – mais ici se pose clairement la question des lacunes de la documentation –, avec l’unique ouvrage de sciences : les Œuvres complètes de Newton63.
31L’éclectisme littéraire est encore plus prononcé. Joseph-François lit tout autant les poèmes d’Ovide, les Fables de La Fontaine que les Essais de Montaigne ou les Caractères de La Bruyère. Cependant, la littérature contemporaine et celle du xviie siècle constituent l’écrasante majorité des ouvrages consacrés aux belles-lettres. Cet engouement pour les classiques du siècle précédent ou pour les nouveautés littéraires est partagé ses contemporains64. Par ailleurs, si Joseph-François pratique tous les genres, ses préférences vont au théâtre français des xviie et xviiie siècles, alors en plein renouveau65. Presque un tiers des 48 ouvrages consacrés aux belles-lettres appartient à ce genre littéraire. D’après les livres possédés, Joseph-François fréquente aussi bien Molière que Corneille mais il se passionne davantage pour les comédies que pour les tragédies. Claude-François semble avoir les mêmes goûts littéraires que son frère, si l’on en juge par la liste recensant quelques-uns de ses ouvrages confisqués en juillet 1794.
32Enfin, la philosophie arrive en bonne place parmi les thèmes de lecture les plus récurrents. Les auteurs antiques, Platon, Aristote, Cicéron, Horace, Sénèque, sont concurrencés par des penseurs plus récents : Locke, Montesquieu, Rousseau, Raynal, Helvétius, et surtout Voltaire, dont Joseph-François admire autant les tragédies que les écrits philosophiques et dont il analyse scrupuleusement la pensée. Cette offre culturelle étoffée distingue à nouveau les penchants littéraires de Joseph-François de ceux de la grande majorité des parlementaires grenoblois qui, Voltaire et Montesquieu exceptés, ignorent globalement les autres écrivains des Lumières. Sensible aux modes littéraires de l’époque, Joseph-François acquiert des ouvrages à succès, dont certains ont fait scandale, comme le Bélisaire de Marmontel (1767) ou l’Encyclopédie66, dans sa version rééditée par Panckoucke, moins onéreuse que l’édition originale. En revanche, Joseph-François fuit les ouvrages les plus virulents et les écrits licencieux, ridiculisant la monarchie ou la religion.
« Il faut écrire autant que les loisirs le permettent »
33Jeune célibataire, Joseph-François s’adonne entièrement et passionnément à l’étude des Belles-Lettres. Il s’enferme durant des heures dans sa chambre où il passe une grande partie de son temps libre à lire et à écrire. En règle générale, il s’attelle à la rédaction de son recueil vers 16 heures mais peut parfois la commencer à partir de 14 heures, passant dès lors l’après-midi entier à écrire. Il lui arrive également de consacrer ses soirées à l’écriture. Le temps consacré aux travaux intellectuels fait montre d’une grande plasticité, conjuguant des régularités quotidiennes et annuelles à une certaine liberté dans l’organisation du travail au gré des diverses contraintes susceptibles de détourner temporairement l’écrivain de ses études67. Ces écrits du for privé mettent en valeur certains traits de caractère du jeune Payan : l’exactitude, une certaine rigueur et la propension à abattre une masse impressionnante de travail. Joseph-François justifie pleinement sa retraite culturelle. Avant son voyage à Paris, il fuit les soirées mondaines « où on ne s’occupe que de biens peu faits pour mon esprit et mon caractère68 ». Dans une autre confidence, il se montre encore plus critique : « Rien n’est plus insipide que ces sociétés où l’on ne parle jamais que de mode, de colifichets et de nouvelles indifférentes. Comment ces sociétés pourraient-elles plaire au philosophe ? » Par la suite, Joseph-François évolue, mûrit sans doute, et fréquente davantage les mondanités : « le plaisir de la philosophie et celui de la galanterie s’allient fort bien chez moi ».
34Malgré leur hétérogénéité, les rendant parfois un peu complexes à appréhender, les recueils de Joseph-François attestent une évolution très nette dans son rapport au lire et dans ses pratiques d’écriture. Deux temporalités rédactionnelles se distinguent très clairement. Tout d’abord, la première période, correspondant au premier volume du recueil que l’on peut dater des années 1773-1777, mais dont la phase principale d’activité semble vraisemblablement se situer entre 1773 et la fin de l’année 1774, se caractérise surtout par des prises de notes massives, suivant les méthodes pédagogiques recommandées aux élèves par les auteurs du xviiie siècle. C’est la partie la plus brouillonne du recueil, celle où le jeune collégien de 13-14 ans ne pense pas encore par lui-même mais s’approprie déjà les livres en recopiant certains passages, parfois des paragraphes entiers. Son recueil se réduit d’ailleurs à une succession anarchique d’extraits de textes ou de citations, piochés ici et là et couchés sur le papier, au gré de ses inspirations littéraires, de ses lectures frénétiques et, probablement, des exercices exigés à Sorèze. Parmi les auteurs contemporains dévorés par le jeune Payan se trouvent Marmontel, dont des passages du Bélisaire reviennent à plusieurs reprises, et surtout Voltaire, probablement l’auteur préféré de Joseph-François qui s’imprègne de sa pensée, de ses écrits, de sa correspondance, de ses bons mots ou de ses traits d’esprit.
35La seconde période de ses recueils s’ouvre le 12 janvier 1777 et s’achève le 5 mars de la même année. Joseph-François est sur le point d’achever sa deuxième année de droit. Ses notes sont plus réfléchies et la présentation est nettement moins brouillonne. Payan a gagné en maturité et en raisonnement critique. En effet, il ne se contente plus de recopier des extraits d’ouvrages lus, il procède à des critiques méticuleuses qui révèlent à la fois sa grande culture littéraire mais aussi sa capacité à se réapproprier, par une parfaite maîtrise de la faculté de juger, les principaux enjeux du débat public69. Payan est, du reste, lucide à ce propos et fait montre d’une grande capacité d’introspection lorsqu’il note que ses recueils forcent « le jeune élève à raisonner sur ce qu’il lit, à juger avec sagacité de ses lectures, même à entremêler quelques fois ses propres réflexions à celles des autres qu’il analyse ». En l’espace de deux mois, Payan rédige la critique d’une trentaine d’ouvrages, principalement des pièces de théâtres, dont il est extrêmement friand. Son éclectisme se perçoit à travers la présence de classiques, comme les comédies de Molière, mais surtout par une majorité d’auteurs contemporains, comme le dramaturge Charles Dufreny ou Pierre-Claude Nivelle de la Chaussée. En bon critique, Joseph-François décortique et analyse avec méthode chaque ouvrage et livre son expertise. Ainsi, il apprécie « le mélange d’intrigues et de morale » d’Ésope à la cour, comédie d’Edme Boursault de 1701, dont Payan a lu la réédition de 1776, mais il déplore la présence de « certaines fables médiocres », estimant que « La Fontaine nous a rendu [sic] délicats ». Il analyse également le style, qu’il juge « prosaïque et très incorrect mais l’aisance et le naturel du dialogue font souvent disparaître cette tache ». Joseph-François n’est pas plus indulgent avec Voltaire ou Molière. Dans Adélaïde du Guesclin, tragédie voltairienne de 1734, Payan estime « le style correct et élégant » malgré « la faiblesse de quelques scènes ». Il va encore plus loin avec Molière : « son style commence un peu à vieillir mais on lui pardonne aisément en faveur de l’énergie des tableaux, la force et la vérité de ses portraits ». Ces remarques dévoilent un jeune homme aux goûts littéraires délicats et à l’esprit critique particulièrement affûté. Il apparaît donc très clairement que la possession de livres n’a pas ici la finalité ostentatoire, symbolisant une certaine réussite sociale, que l’on peut retrouver chez certains de ses contemporains mais témoigne, bien au contraire, de goûts personnels et d’une curiosité intellectuelle insatiable.
36Les travaux de Joseph-François ne se réduisent pas aux critiques littéraires. Dès 1774, alors qu’il n’a encore que 14 ou 15 ans, il entame l’écriture d’une histoire de France. Passionné par l’histoire, Joseph-François vise, à travers ce qui semble être une réappropriation personnelle d’un exercice d’écriture exigé par ses maîtres sorèziens, à raconter l’évolution du royaume depuis Faramond, personnage légendaire longtemps présenté comme l’ancêtre des Mérovingiens. L’ouvrage s’inspire des travaux d’Eudes de Mezeray, historien réputé du xviie siècle, dont on retrouve l’empreinte. En effet, ses deux ouvrages majeurs, l’Histoire de France depuis Faramond jusqu’à maintenant (1643) et son Abrégé chronologique ou extraict de l’histoire de France (1667) ont été fréquemment réédités et se retrouvent dans de nombreuses bibliothèques dauphinoises du xviiie siècle ou inspirent de nombreux érudits et érudites du royaume70. L’histoire de France conduite par Payan se présente avant tout comme une chronique déroulant les grandes lignes de l’évolution du royaume. La première partie, comptant une cinquantaine de pages, traite des rois mérovingiens. La seconde partie de l’ouvrage ambitionne de poursuivre avec les Carolingiens mais Joseph-François s’arrête en cours d’étude, une vingtaine de pages plus loin, à la mort de Charlemagne. Payan avait initialement prévu d’écrire la suite, comme le titre faisant référence à Louis le Pieux le sous-entend. Panne d’inspiration ? Probablement pas. La chronique du règne de Charlemagne est achevée en janvier 1780. À cette époque, Joseph-François a terminé ses études de droit et parachève sa formation avec ses proches. Il est déjà question de l’envoyer à Paris. Le jeune juriste n’a plus le temps de se consacrer à ce projet d’écriture qui reste en l’état.
37Bien qu’inachevée, cette ébauche d’histoire de France livre d’intéressantes pistes de compréhension permettant de mieux cerner la personnalité de Joseph-François Payan. L’auteur se présente comme un « historien philosophe » qui, au-delà d’une simple avalanche de dates, tente de cerner une époque et une société, tel que Voltaire le préconise. Ainsi, dans le sillage de nombreux contemporains qui commencent à s’intéresser aux faits culturels, comme Montesquieu dans ses Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1734), Payan observe, par exemple, les mœurs et les rites religieux des Celtes ou des premiers Francs. Il y a dans le travail de Joseph-François un réel souci de rigueur historique et un honnête effort de réflexion critique. En effet, ce dernier cite les différents auteurs qui ont travaillé sur le sujet, tel Georges-Marie Butel-Dumont, à partir desquels il bâtit sa propre réflexion, et qu’il confronte. Ainsi, lorsqu’il rédige les chroniques du règne de Clovis, il interroge les conceptions diamétralement opposées de l’abbé Dubos, auteur d’une Histoire critique de l’établissement de la monarchie française dans les Gaules, et de Montesquieu qui évoque cette période dans un passage De l’esprit des lois. Surtout, en homme des Lumières, il doute du caractère surnaturel prêté à certaines traditions monarchiques, comme la Sainte-Ampoule : « Aucun auteur contemporain ne parle de ce miracle. Il me paraît uniquement fondé sur l’ignorance, la crédulité et la superstition du peuple. » Payan ne rejette à aucun moment la monarchie ni Louis XVI, qualifié de « rejeton précieux » de Pépin le Bref. Sa curiosité intellectuelle, ses lectures et son éducation des Lumières le poussent à chercher une explication rationnelle à des faits qui paraissent surnaturels.
38L’histoire de France de Joseph-François n’est pas, pour autant, exempte de critiques. Il analyse parfois le passé au prisme de sa formation de juriste. Ainsi, il n’hésite pas à fustiger certains règnes, tels que celui de Clovis, auxquels il reproche leurs carences en matière de législation. Surtout, son analyse est desservie par de nombreux jugements de valeur qui reflètent tout autant l’immaturité du genre historique, alors à son balbutiement, que celle de l’adolescent historien. Ainsi, c’est avec une certaine amertume qu’il conclut le règne de Clovis : « On a donné à Clovis le nom de grand mais il ne le fut que par ses crimes, on n’est pas chrétien en répandant tant de sang. » De tous les règnes dépeints par Payan, celui de Louis XI suscite le plus d’aversions, à tel point que ce dernier est l’unique représentant des Valois à trouver sa place dans son étude. La chronique du règne de Louis XI est rédigée en 1775, conduite en parallèle à celle sur les Mérovingiens. Le roi est brossé en tyran fanatique, de très loin l’antimodèle du roi idéal forgé pas les Lumières, à une époque où le royaume se remet à peine de la désastreuse fin de règne de Louis XV. Est-ce à dire que le jeune Payan ait voulu faire un parallèle avec l’actualité ?
39En même temps qu’il s’adonne à l’écriture d’une histoire de France, Joseph-François songe à la rédaction d’une encyclopédie historique. Le projet est, lui-aussi, des plus ambitieux puisque Payan envisage la bagatelle de 17 volumes. Fonctionnant sur le même principe d’accumulation de connaissances que l’Encyclopédie ou les nombreux dictionnaires qui envahissent le marché du livre71, chaque tome permet au lecteur de remonter le cours de l’histoire en naviguant d’une entrée thématique à une autre. Les sujets sont très variés, trop sans doute, pour rendre le projet viable. En effet, le lecteur passe, par exemple, de « Tunis », prétexte à un récit de la mort de Louis IX, à « couronne », pour évoquer Charles VIII, ou encore à « ordre du coq », pour Louis XI, et « université », pour Philippe Auguste. En mars 1777, Payan a terminé le plan de son dictionnaire. Plusieurs centaines d’entrées thématiques sont prévues mais l’encyclopédie historique ne voit jamais le jour. Malgré ce revirement, ce projet intellectuel atteste combien Payan est un jeune homme de son temps, imitant les pratiques culturelles de maints érudits provinciaux, happés par le tourbillon encyclopédique72.
40À presque 20 ans, Joseph-François délaisse le genre historique pour se consacrer pleinement aux Belles-Lettres. Lors de son séjour parisien, le jeune Payan annonce à son père qu’il se lance dans l’écriture d’une comédie. François Payan se montre fort préoccupé, estimant son fils plus à même d’exceller dans le tragique et le met en garde contre la difficulté de parachever son droit et d’écrire en même temps73. Sans le blâmer, le père lui conseille de conserver un prudent anonymat. Si la pièce ne devait pas rencontrer un franc succès, la réputation et la carrière de l’auteur seraient préservées. Son agenda chargé pousse Joseph-François à revoir l’ordre de ses priorités et cette nouvelle chimère est abandonnée dès le début de l’année 178274. Si Payan renonce à ses projets d’écriture, il ne délaisse pas pour autant la République des Lettres comme l’attestent ses modestes contributions dans des journaux littéraires parisiens tels que le Mercure de France. Repris par Charles-Joseph Panckoucke en 1778, le journal est divisé en deux parties distinctes : une partie littéraire, mêlant recensions d’ouvrages nouveaux, publication de poèmes et pièces fugitives, et une partie politique, comportant essentiellement le résumé des gazettes étrangères75. Avec Panckoucke à sa direction, le Mercure de France marque une nouvelle inflexion dans sa ligne littéraire, manifestant davantage d’intérêts pour les sujets à la mode, comme la législation, les découvertes géographiques ou l’histoire naturelle. Bien que ne figurant pas parmi l’équipe permanente de journalistes – parmi laquelle se trouvent des auteurs qu’il apprécie tout particulièrement, comme Marmontel ou La Harpe –, Payan contribue, à son niveau, au rayonnement de la République des Lettres, au même titre que de nombreux érudits provinciaux, en insérant poèmes, charades, énigmes ou logogriphes, publiés dans chaque numéro et intercalés entre les nouvelles politiques et les comptes rendus littéraires. Du reste, chaque contribution de Joseph-François dans le Mercure de France donne lieu à des lectures en société qui amusent les convives reçus à l’hôtel Payan et renforcent l’aura de la famille.
« J’emploie mes loisirs à des recueils d’expériences et de réflexion. Quand même je n’éclairerais pas les esprits cela vaut mieux que de ne rien faire »
41Les humeurs vagabondes de Joseph-François révèlent l’appétence de l’adolescent pour les débats qui animent la société du xviiie siècle et qu’il se réapproprie, à son niveau, dans ses recueils. Ce trait culturel est partagé par de nombreux érudits ou autodidactes de l’époque, si l’on en juge, par exemple, par les pratiques réflexives du chevalier d’Antonelle76.
42Une étude des recueils dégage une quinzaine de thèmes variés, dont la plupart ne sont évoqués qu’à une ou deux reprises, comme l’exécution en public, qu’il réprouve, ou encore l’éducation des enfants, deux sujets qui alimentent les discussions dans les salons des Lumières77. Parmi les sujets qui irriguent ses réflexions, la question religieuse occupe une place prépondérante. Sensible aux idées voltairiennes, Joseph-François plaide pour la tolérance religieuse et lutte contre le fanatisme d’une partie de ses contemporains. S’appuyant sur certains passages du Bélisaire de Marmontel, censuré par l’Église pour son apologie de la tolérance religieuse, Payan revendique une « religion de paix et de tolérance ». En revanche, ce petit-fils de nouveau converti n’évoque à aucun moment l’intolérance religieuse dont sont victimes les protestants français. Deux générations après la révocation de l’édit de Nantes, la conversion de la famille au catholicisme semble sincère et l’empreinte protestante, encore très prégnante dans la famille au xviiie siècle, s’est complètement estompée. Nourri par toute une littérature philosophique, l’adolescent critique également certaines pratiques religieuses. Ainsi, en février 1777, Payan note : « Qu’il me soit permis de remarquer combien il est absurde et horrible qu’il faille donner de l’argent pour faire dire des messes, que ce vil métal influe sur des choses purement spirituelles. » Point d’irréligion dans ces réflexions – Payan n’est pas Antonelle78 – mais une critique, partagée par toute une frange de contemporains éclairés, de comportements religieux perçus comme archaïques et empreints de superstition. Payan vole d’ailleurs au secours d’écrivains tels que Voltaire ou d’Alembert, attaqués pour leur « athéisme ». Joseph-François partage le scepticisme religieux de ses maîtres comme l’atteste son plaidoyer en faveur de la raison : « La religion est-elle la croyance la plus ferme à tous les mystères de la révélation ? On peut avoir des doutes et être très honnête homme. C’est malgré moi que je doute. »
43Les prises de position de Joseph-François révèlent également le caractère modéré du jeune homme. Cette modération se traduit par le rejet de toute forme de violence, notamment verbale. Ainsi, Payan s’émeut de la diatribe voltairienne contre Lefranc de Pompignan, alors évêque du Puy et adversaire acharné des Lumières. S’il approuve la critique contre le prélat, la virulence des propos le choque : « Je n’approuverai jamais les satyres [sic] trop violentes que Monsieur de Voltaire a employé [sic]. » Payan réitère ces appels à la modération lorsqu’il prend la défense de Rousseau, malmené par Voltaire : « Il n’est point d’homme de lettres assez peu respectable pour qu’on le satyrise [sic]. La satyre ne doit point s’exercer que contre le vice et les mauvaises mœurs, jamais contre les personnes. » Ces remarques traduisent-elles l’idéal chimérique d’un adolescent nourrissant le rêve, certes un peu naïf, d’une République des lettres soudée et délivrée des tensions internes qui la fracturent ? Sans doute, faut-il davantage envisager cette perpétuelle recherche de la maîtrise de soi – « il faut être modéré en tout », écrit Payan –, comme une sorte de quête de la vertu et de la civilité vers laquelle doit tendre le sage ou le philosophe, naturellement portés à la modération, idéal, par excellence, des Lumières79.
44Fort de son érudition et de sa rigueur intellectuelle, Joseph-François est sollicité par des amis ou des parents qui requièrent ses conseils. Ainsi, en 1779, un lointain cousin, Louis Payan, d’Aubenas, lui envoie le mémoire qu’il entend présenter devant des académiciens provinciaux80. Le jeune Payan dispense de nombreux conseils de méthode, corrige le style et l’agencement des arguments. À seulement 20 ans, l’expertise de Joseph-François commence à être reconnue et recherchée. En parallèle, il correspond avec les « Républicains des Lettres » dauphinois, comme Moreau de Vérone, un ami de son père et naturaliste renommé. Ces correspondances s’inscrivent pleinement dans un circuit plus ample de relations qui lient de nombreux officiers des cours souveraines avec des érudits méridionaux et amateurs éclairés81.
45Ainsi, l’enquête donne à voir une parentèle, soudée par un enjeu familial qui transcende l’intérêt individuel, passée maîtresse dans la culture du secret et la mobilisation de puissants réseaux qui servent ses ambitions. L’analyse de la correspondance met également en lumière l’importance des interactions dans une dynamique réticulaire où la réciprocité des échanges prédomine. Cette stratégie est fondamentale. C’est en multipliant les services rendus que les Payan ont pu se constituer un cercle concentrique de relations, composé d’individus avec lesquels les liens sont plus ou moins resserrés, susceptibles d’appuyer en retour les ambitions familiales. Par ailleurs, les écrits du for privé mettent en lumière la réactivité de la famille face à l’adversité, consubstantielle à sa réussite sociale. Enfin, une partie des sources offre l’opportunité de pénétrer dans l’intimité de Joseph-François Payan et de retracer son itinéraire culturel. Ce dernier dévoile un jeune homme très mûr, rigoureux dans la tâche, ambitieux, dont les pratiques culturelles lettrées témoignent d’une insatiable curiosité intellectuelle et d’un esprit critique particulièrement acéré. Les goûts affichés dans ses cahiers, à contre-courant de ceux de nombreux officiers de justice, dévoilent une autre facette de Joseph-François. S’il a une formation de juriste complète, son identité est multiple et complexe. Outre une remarquable culture littéraire, les Payan possèdent également une solide culture politique qu’ils savent magistralement utiliser pour servir leurs ambitions.
Notes de bas de page
1Compère Marie-Madeleine et Julia Dominique, Les collèges français (xvie-xviiie siècle), t. I, Paris, Institut national de recherche pédagogique, 1984, p. 608-622.
2Favier René, Les villes du Dauphiné aux xviie et xviiie siècles, op. cit., p. 393-394.
3Vaucelle Serge, « “La plus grande utilité publique”. Renouveau pédagogique et éducation du corps au Collège de Sorèze (1759-1854) », Les cahiers de Framespa, 28 | 2018, mis en ligne le 10 septembre 2018, consulté le 20 septembre 2019.
4Mathématiques, rhétorique, les humanités classiques (histoire, géographie, mythologie), la religion, les langues anciennes et le dessin.
5Lebrun François, Venard Marc et Quéniart Jean, Histoire de l’enseignement et de l’éducation, t. II : De Gutenberg aux Lumières, 1480-1789, Paris, Perrin, 2003 (1981), p. 554-555.
6Jacob Marie, « L’école royale militaire : un modèle selon l’Encyclopédie ? », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, no 43, 2008, p. 105-126.
7AD 26, 356 J 293, Mélanges littéraires et philosophiques, 1777.
8AD 26, 356 J 126, lettre de François à Joseph-François, 27 septembre 1781.
9Ibid., lettre du 8 novembre 1781.
10AD 26, 356 J 293, Mélanges littéraires et philosophiques, 5 mars 1777. Les points de suspension font probablement référence à son père ou à la pression familiale.
11Julia Dominique et Revel Jacques (dir.), Les universités européennes du xvie au xviiie siècle. Histoire sociale des populations étudiantes, t. II : France, Paris, 1989, p. 120-121.
12Gazzaniga Jean-Louis, « La formation des avocats aux xviie et xviiie siècles », in Jean-Pierre Bardet, Dominique Dinet et Jean-Pierre Poussou (dir.), État et société en France aux xviie et xviiie siècles. Mélanges offerts à Yves Durand, Paris, Presses de l’université de Paris-Sorbonne, 2000, p. 262.
13Delumeau Jean et Roche Daniel (dir.), Histoire des pères et de la paternité, Paris, Larousse, 2000 (1990), p. 276-278.
14Aymard Maurice, « Amitié et convivialité » in Philippe Ariès et Georges Duby (dir.), Histoire de la vie privée, Paris, Seuil, vol. 3 : De la Renaissance aux Lumières, 1986, p. 456.
15Trévisi Marion, Au cœur de la parenté. Oncles et tantes dans la France des Lumières, Paris, Presses universitaires de Paris-Sorbonne, 2008.
16Leuwers Hervé, L’invention du barreau français 1660-1830. La construction d’un groupe professionnel, Paris, Éditions de l’EHESS, 2006, p. 23-25.
17AD 26, 356 J 126, lettre de François à son fils Joseph-François, 7 août 1781.
18Gresset Maurice, « Le barreau, de Louis XIV à la Restauration », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. XXXVI, no 3, juillet-septembre 1989, p. 487.
19Le Mao Caroline, Les fortunes de Thémis. Vie des magistrats du Parlement de Bordeaux au Grand Siècle, Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, 2005.
20AD 26, 356 J 126, lettre de François à son fils Joseph-François, 22 septembre 1783.
21Soulingeas Yves, « La chambre des comptes de Grenoble », Bulletin de l’Académie delphinale, 10e série, no 2, février 1997, p. 46-51.
22Seuls 8 % de bourgeois entrent au parlement de Provence durant tout le xviiie siècle, Cubells Monique, Le Parlement de Provence, 1501-1790, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 2002, p. 71-81.
23Cubells Monique, La noblesse provençale du milieu du xviie siècle à la Révolution, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 2002.
24Le Page Dominique (dir.), Contrôler les finances sous l’Ancien Régime. Regards d’aujourd’hui sur les Chambres des comptes, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2011.
25Barbiche Bernard, Les institutions de la monarchie française à l’époque moderne, Paris, Presses universitaires de France, 1999, p. 359.
26AD 26, 356 J 126, lettre de François à Joseph-François, 17 décembre 1784.
27Corvisier André, L’armée française de la fin du xviie siècle au ministère de Choiseul, Paris, Presses universitaires de France, 1964, 2 vol.
28Bien David. D., « La réaction aristocratique avant 1789 : l’exemple de l’armée (suite) », Annales. Économie, sociétés, civilisations, 29e année, no 2, 1974, p. 530.
29Bluche François, La vie quotidienne de la noblesse française au xviiie siècle, Paris, Hachette, 1973, p. 159.
30Vergé-Franceschi Michel, « Marine et Naissance. La noblesse, un modèle social ? », in Josette Pontet, Michel Figeac et Marie Boisson (dir.), La noblesse de la fin du xvie siècle au début du xxe siècle un modèle social ?, op. cit., p. 43-63.
31AD 26, 356 J 126, lettre de François à Joseph-François, 15 juillet 1782.
32Ibid., 10 décembre 1784.
33Blanchard Anne, Les Ingénieurs du Roi de Louis XIV à Louis XVI. Étude du corps des fortifications, Montpellier, université Paul Valéry, 1979 ; Vérin Hélène, La gloire des ingénieurs. L’intelligence technique du xvie au xviiie siècle, Paris, Albin Michel, 1993.
34Widmer Éric, Les relations fraternelles des adolescents, Paris, Presses universitaires de France, 1999.
35AD 26, 356 J 126, lettre de François à Joseph-François, 18 août 1787.
36Ibid., 10 décembre 1784.
37Picard Ernest et Jouan Louis, L’artillerie française au xviiie siècle, Paris/Nancy, Berger/Levrault, 1906.
38Services historiques de la Défense (désormais SHD), XD256, école de Metz, 1786-1815.
39AD 26, 356 J 149, vers 1787.
40Serna Pierre, « Aux origines culturelles d’un engagement politique : les notes de lecture d’Antonelle », Annales historiques de la Révolution française (désormais AHRF), no 292, 1993/2, p. 187.
41SHD, Gr 2YE 3151, dossier Payan de la Valette.
42AD 26, 356 J 126, lettre de François à Joseph-François, 2 septembre 1784.
43Cavaillé Jean-Pierre, Dis/simulations. Religion morale et politique au xviie siècle, Paris, Honoré Champion, 2008, p. 12-14.
44André Sylvain, Castejon Philippe et Malaprade Sébastien (dir.), Arcana Imperii. Gouverner par le secret à l’époque moderne (Espagne, France, Italie), Paris, Les Indes savantes, 2018.
45Malaprade Sébastien, Des châteaux en Espagne…, op. cit., p. 258-261.
46AD 26, 356 J 126, lettre de François à son fils Joseph-François, 26 juin 1781.
47Mouysset Sylvie, « J’ay déchiré les pages cy dessus pour raizons à moy regardant : le secret de famille dans les écrits du for privé français (xve-xviiie siècle) », in Jean-Pierre Bardet, Élisabeth Arnoul et François-Joseph Ruggiu, Les écrits du for privé en Europe, du Moyen Âge à l’époque contemporaine, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2010, p. 147-160.
48Jean-François de Narbonne-Pelet-Fritzlar (1726-1805) est seigneur des Granges-Gontardes, un village proche de Saint-Paul-Trois-Châteaux, et officier d’infanterie. Après avoir commandé les troupes françaises en Corse de 1772 à 1775, il reçoit le brevet royal de lieutenant-général en 1784. Commandant en second du Dauphiné en 1788, il participe aux États de Romans et adhère aux idées de la Révolution avant d’émigrer à Coblence avant 1791.
49AD 26, 356 J 126, lettre de François à Joseph-François, 12 décembre 1781.
50Ibid., 23 août 1787.
51Ibid., 26 mai 1782.
52Claude-François est toujours désigné par cette initiale, faisant référence au tènement de La Valette.
53AD 26, 356 J 126, lettre de François à son fils Joseph-François, 3 décembre 1784.
54Ibid., 23 décembre 1784.
55Frostin Charles, Les Pontchartrain, ministres de Louis XIV. Alliances et réseau d’influence sous l’Ancien Régime, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2006.
56Coulomb Clarisse, Les pères de la patrie…, op. cit., p. 241.
57Duranton Henri, Rétat Pierre (dir), Gazettes et information politique sous l’Ancien Régime, Saint-Étienne, Presses universitaires de Saint-Étienne, 1999 ; Feyel Gilles, L’annonce et la nouvelle. La presse d’information en France sous l’Ancien Régime (1630-1788), Oxford, Voltaire Foundation, 2000, 2 vol.
58Hérités du xvie siècle, les recueils de lieux communs sont repris dans les collèges dès le xviie siècle. Ils font rédiger les élèves, les poussent à réfléchir et à penser par eux-mêmes, Moss Ann, Les recueils de lieux communs. Méthode pour apprendre à penser à la Renaissance, Genève, Droz, 2002.
59Coulomb Clarisse, Les pères de la patrie…, op. cit., p. 245.
60Chartier Roger, Lectures et lecteurs dans la France d’Ancien Régime, Paris, Seuil, 1982, p. 175-176.
61Hernandez Bernard, « L’univers intellectuel d’un noble en 1789. La bibliothèque de Jean-François Narbonne-Pelet-Fritzlar Chartroussas, La Garde Adhémar (Drôme) », in Les Drômois acteurs de la Révolution, actes du colloque de Valence, hôtel du département 12, 13, 14 octobre 1989, Valence, Association drômoise pour la célébration du bicentenaire de la Révolution française et les archives départementales de la Drôme, 1990, p. 479.
62Coulomb Clarisse, Les pères de la patrie…, op. cit., p. 248.
63Newton incarne une nouvelle conception de la rationalité et du rapport au monde, détachée des traditions, reposant sur la raison, l’expérience, l’observation, Schaffer Simon, La fabrique des sciences modernes, Paris, Seuil, 2014.
64Chartier Roger, Lectures et lecteurs dans la France d’Ancien Régime, op. cit., p. 177-178.
65Tatin-Gourier Jean-Jacques, Lire les Lumières, Paris, Armand Colin, 2005, p. 81-100.
66Darnton Robert, L’aventure de l’Encyclopédie. Un best-seller au siècle des Lumières, Paris, Perrin, 1982.
67Roche Daniel, « L’intellectuel au travail », Annales ESC, 1982, no 3, p. 477.
68Cette citation et les suivantes proviennent toutes de son recueil de lieux communs (AD 26, 356 J 293), elles ne seront donc plus annotées.
69Chartier Roger, Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, Seuil, 1990, p. 224-229 ; Baker Keith Michael, Au tribunal de l’opinion. Essais sur l’imaginaire politique au xviiie siècle, Paris, Payot, 1993 (1990).
70Chollet Mathilde, Être et savoir. Une ambition de femme au siècle des Lumières, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2016, p. 56-58.
71Chappey Jean-Luc, Ordres et désordres biographiques. Dictionnaires, listes de noms, réputations des Lumières à Wikipédia, Seyssel, Champ Vallon, 2014.
72Audisio Gabriel et Pugnière François (dir.), Un savant nîmois dans l’Europe des Lumières, Jean-François Séguier, actes du colloque de 2003, Aix-en-Provence, EDISUD, 2005.
73AD 26, 356 J 293, lettre de François à Joseph-François Payan, 12 décembre 1781.
74Ibid., lettre du 11 janvier 1782.
75Tucoo-Chala Suzanne, « Mercure de France 2 (1778-1791) », in Jean Sgard (dir.), Dictionnaire des journaux 1600-1789, Paris, Universitas, 1991, t. II, p. 856-858.
76Serna Pierre, Antonelle. Aristocrate révolutionnaire, 1747-1817, Paris, Éditions du Félin, 1997, p. 53.
77Lilti Antoine, Le monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au xviiie siècle, Paris, Fayard, 2005.
78Serna Pierre, Antonelle. Aristocrate révolutionnaire, 1747-1817, op. cit., p. 81-82.
79Mauzi Robert, L’idée du bonheur au xviiie siècle, Paris, Armand Colin, 1960.
80Roche Daniel, Le siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux, 1680-1789, Paris/La Haye, Mouton, 1978.
81Chapron Emmanuelle, Le Thiec Guy et Luciani Isabelle, Érudits, collectionneurs et amateurs. France méridionale et Italie, xvie-xixe siècle, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 2017.

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