Introduction à la quatrième partie
p. 199-200
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Index géographique : France
Texte intégral
1La fusion public-privé réalisée sous l’égide de l’organisation corporative-managériale correspond à la fusion de la sphère politique et de la sphère économique. Les débats actuels autour de la fragmentation politique de la société et ceux sur la mondialisation de l’économie doivent être situés dans le cadre de la crise de l’organisation capitaliste qui a commencé à se manifester dans les années 1970. L’organisation capitaliste, apparue avec les premières manufactures, a fait apparaître le risque de l’entrepreneur puisque celui-ci a alors monopolisé le gain lié à l’échange marchand (en tant que seul propriétaire du produit). Dans un premier temps, c’est la logique économique qui a pénétré dans l’atelier : l’optimisation de la valeur d’usage de la force de travail répondra désormais à des critères marchands (réduction des coûts du travail, augmentation du rendement), critères étrangers à la fabrication artisanale guidée par la conscience professionnelle et fondée sur les besoins. La production capitaliste signifie l’envahissement de la sphère de la production par les lois du marché, rendu possible par la séparation du travailleur et des moyens de production, ce qui requiert l’organisation dans l’atelier ; en même temps, cette organisation rigide s’accommode mal des incertitudes et des fluctuations du marché. Capitalisme et économie de marché ne sont pas identiques : cette dernière implique une régulation étatique du marché, qui permet au premier d’apparaître et de se développer. La « main invisible » du marché est une idée utilisée par le discours libéral dominant qui servira à légitimer la liberté du capital de l’organiser à sa manière.
2À mesure que l’échelle de la distribution et de la production s’est élargie, l’incertitude propre au marché a posé des problèmes de plus en plus épineux et onéreux. Le capitalisme corporatif-managérial les résoudra partiellement par l’intégration de segments stratégiques du marché à la structure organisationnelle de la corporation – l’intégration verticale et horizontale – ce qui permet de substituer à la logique capricieuse du marché l’univers comptable de l’entreprise, ainsi que par des ententes oligopolistiques pour le partage des marchés. Cette extension à l’entreprise dans son entier de la logique organisationnelle propre à l’atelier systématisera la fonction du management comme fonction d’organisation ; le management deviendra le lieu de la synthèse du capital et du travail, s’octroyant les pouvoirs reliés au capital et se soumettant au sort réservé au travail (le management, on l’a vu, fait l’objet de rationalisations organisatrices au même titre que le travail).
3Depuis que la dimension organisationnelle du capital a marqué l’économie de son empreinte et depuis que cette logique s’est étendue dans la société, consacrant la disparition du sens social-politique du travail, il est devenu très difficile d’utiliser les concepts habituels pour définir et comprendre la réalité. C’est que l’organisation procède par fusion, par intégration systémique, i.e. en absorbant des éléments de l’environnement pour sa propre reproduction, ce qui a pour effet de dissoudre les distinctions, les oppositions et les contradictions propres à la société. On continue par exemple à parler de « marché » oligopolistique, de « marché » interne, alors que ce sont des formes d’organisation qui, précisément, ont été substituées au marché. Cette difficulté conceptuelle est aggravée par un discours néolibéral qui ramène le marché, en même temps que le « travail » (sous le vocable de l’emploi), au centre de la société ; cette idée d’un marché aux lois naturelles intrinsèquement stabilisatrices, que nous n’avons jamais vraiment lâchée (même lorsqu’on y reconnaît le rôle régulateur de l’État), est revenue en force et elle conditionne notre vision collective du travail. Les concepts de marché et de travail doivent donc être clarifiés conjointement.
4La seconde moitié du XXe siècle est divisée en deux périodes contrastées : les Trente Glorieuses marquées par une prospérité généralisée à travers les pays industrialisés, suivies par une crise et une récession longue comparables à celles de la fin du XIXe siècle qui a fait émerger le capitalisme corporatif-managérial. Il semble que la fin du XXe siècle prépare le passage à un nouveau stade du capitalisme qui, en s’organisant sur le plan mondial, désorganise les sociétés nationales asservies. Celles-ci deviennent comme les ouvriers et les ouvrières du début de la révolution industrielle qui étaient à la merci des hauts et des bas de l’industrie.
5Cette dernière partie est consacrée à l’analyse des développements contemporains de la « longue révolution » capitaliste ; elle représente un aboutissement de ce qui précède. J’y reprendrai donc les thèmes dont l’analyse a déjà été amorcée en tentant d’en faire ressortir les enjeux actuels, les « bonnes questions » auxquelles il nous faut maintenant collectivement répondre. Les questions, comme les réponses possibles, sont bien sûr sujettes à débats et ceux-ci promettent de devenir encore plus virulents dans le contexte actuel de la mondialisation de l’économie et de la globalisation financière. Il s’agit d’un nouveau contexte dont je ne peux ici analyser les répercussions sur le sens du travail. Retenons toutefois qu’il contribue à accentuer la tendance à la rationalisation de l’organisation de la production et du travail, alors que la rentabilité financière rapide se substitue à la productivité comme mesure du succès des groupes industriels transnationaux. L’organisation, instrument de l’accumulation capitaliste, entre en crise en même temps que celle-ci, entraînant avec elle le travail devenu l’affaire du management.
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La révolution du travail
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