Annexe II. Notes à propos de L’Acte Préalable
p. 243-262
Note de l’auteur
Sur les circonstances de l’écriture de cet article pour la revue Propylées russes (qualifiée par Vassili Rozanov de « temple de la littérature russe »), voir l’introduction pour le présent ouvrage.Texte intégral
« Записка о Предварительном Действии », in Propylées russes (Русские пропилеи), sous la dir. de M. Gerchenzon, vol. VI, Moscou, 1919, p. 99-119, trad. de Marina Scriabine pour le numéro spécial de la Revue musicale de 1972 « Scriabine – Obouhow – Wyschnegradsky », resté inédit. Nous publions cette traduction d’après le tapuscrit conservé aux archives de Boris de Schlœzer (Mairie de Monaco/Médiathèque communale).
I
1Il n’est pas dans mes intentions de commenter L’Acte Préalable1 et de découvrir le sens polyvalent de ses symboles riches et complexes. Mon but est différent, plus modeste et limité : donner une sorte d’histoire de L’Acte Préalable, indiquant à grands traits schématiques les conditions tant intérieures qu’extérieures dans lesquelles il a été créé et, en même temps, définir les particularités formelles (dans le sens le plus large du terme) de cette œuvre, particularités qui la distinguent de toutes les autres créations de Scriabine et lui assignent une place tout à fait à part.
2Il est évident que les deux problèmes traités ici sont étroitement liés et ne peuvent être examinés isolément. Écrire une « biographie » si on peut s’exprimer ainsi, de L’Acte Préalable, équivaut exactement à montrer par quelle voie Scriabine est arrivé à la création d’une forme si exceptionnelle, et comment cette forme s’est élaborée sous l’influence de certaines circonstances et à la suite d’un travail intérieur complexe.
3L’accomplissement du projet que j’ai choisi implique avant tout une exigence fondamentale difficile à réaliser : le refus radical de toute théorétisation et de tout jugement de valeur tant sur le plan esthétique que philosophique. Se limiter exclusivement au rôle de témoin et de chroniqueur, devenir un miroir vivant, non pas expliciter mais refléter, tel est précisément aujourd’hui mon but. En ce qui concerne L’Acte Préalable, j’ai été placé dans des circonstances particulièrement favorables, car il m’a été donné de passer l’été de 1914, période du travail intensif de Scriabine sur le texte de L’Acte Préalable, chez lui, à la campagne, en rapports quotidiens avec lui.
4J’ai aussi largement puisé dans les souvenirs de T. F. Schlœzer-Scriabine2, se rapportant à cette période.
II
5À présent il est difficile, pour ne pas dire impossible, de déterminer, même approximativement, à quel moment Scriabine a eu l’idée de L’Acte Préalable comme étape préparatoire sur la voie du dernier Mystère3. Scriabine passa progressivement de l’élaboration du texte du Mystère à celui de L’Acte Préalable, au moyen d’un certain processus d’autolimitation.
6Il passa l’été avec sa famille dans le gouvernement de Kaloujsk, dans la propriété de Pétrovsk, sur les rives de l’Oka, tout près de la ville d’Alexine où, je m’en souviens, nous allions souvent nous promener. Le voisin le plus proche des Scriabine était Baltrušaitis4 qui occupait une maison dans le même parc de Pétrovsk. Cet été-là, les Scriabine avaient invité le peintre Sperling5, A. A. Podgoïetzky, N. S. Jélaïev ; le docteur Bogorodsky vint plusieurs fois de Moscou leur rendre visite. Au début de l’été, Scriabine s’adonna entièrement au repos : nous nous promenions beaucoup, le soir nous jouions aux échecs, parfois aux cartes, nous lisions. Mais nous ne disposions pas de beaucoup de livres : le poème d’Asvaghosa « La vie de Bouddha » qui venait de paraître dans la traduction de Balmont6, la revue « Zavéty7 », la biographie de Richard Wagner de Kapp récemment traduite8, quelques volumes de la série « Les idées nouvelles en philosophie ». Scriabine y lut avec un intérêt particulier un article de Schuppe9.
7À propos de la biographie de Wagner, il est intéressant de remarquer que Scriabine, dont toute la création était comme soudée par une même idée, orientée vers un but unique, fut désagréablement impressionné à la lecture de Kapp en constatant que l’activité de Wagner était dépourvue de cette unité absolue, de cette détermination, et que la voie qu’il avait suivie était sinueuse, souvent dépendante de circonstances et d’impulsions extérieures. « Je me le représentais plus conscient – remarqua Scriabine – il me semblait que ses desseins dépendaient davantage de sa volonté ! » Cette conscience volontaire et lucide des buts de la création, Scriabine l’appréciait hautement tant en lui-même que chez les autres.
8Cependant, Scriabine n’était pas capable de se reposer longtemps ; dès la fin juin il commença à travailler au texte du Mystère.
9Entièrement absorbé par la vision du Mystère qui prenait un aspect de plus en plus grandiose, tandis qu’il y réfléchissait et essayait d’en préciser les détails, Scriabine ne songeait pas alors, de toute évidence, à L’Acte Préalable ; si cette idée d’un acte préparatoire a vaguement surgi en lui au cours de son travail, il n’en a en tout cas jamais parlé. Évidemment, il ne se représentait pas nettement alors tous les obstacles invincibles qui l’attendaient sur la voie conduisant à la réalisation du Mystère, ou alors il essayait de les dissimuler tant à lui-même qu’aux autres. Lorsqu’il parlait du Mystère avec ses amis, il montrait une assurance, une détermination inébranlable, affirmant qu’en cinq ou au maximum six ans, il aurait terminé la partie du Mystère qui le concernait personnellement (le Mystère devait être un acte de création collective). Une impatience passionnée l’habitait et il répétait souvent : « Il faut vite entreprendre le travail sérieusement. Ce n’est pas ça du tout. Assez parlé du Mystère : il faut agir ! il faut passer à l’action. » Et alors il affirmait qu’à part quelques œuvres pianistiques plus ou moins brèves, il n’écrirait plus rien d’important, aucune œuvre symphonique, pour réserver au Mystère toutes ses forces et son temps : « Je ne peux plus composer de Symphonies, de Poèmes pour orchestre – répétait-il – tout cela, c’est fini ». Se trouvant dans cet état de tension et d’attente impatiente, il était agacé (au lieu de sourire avec plaisir et ironie comme jadis), quand il lisait dans la presse quelques notes, généralement complètement erronées, au sujet du Mystère en préparation. De telles notes paraissaient souvent au cours des dernières années de sa vie : « N’est-il pas trop tôt pour commencer à écrire sur le Mystère ? s’inquiétait-il. Tout le monde attend à présent ; j’en parle à tout le monde, et il y a si peu de fait encore ! » Il sentait déjà autour de lui une atmosphère d’attente ; cela l’inquiétait et le stimulait en même temps comme un signe favorable. Il attaqua donc son travail avec une joyeuse détermination et se plongea entièrement dans l’univers si riche et mystérieux de ses visions, de ses idées, de ses sensations.
10D’habitude il travaillait le matin, se promenant dans une des allées du magnifique parc, notant dans son cahier, tout en marchant, des vers isolés, des pensées. Le carnet a été conservé ; il est d’un format de poche avec une couverture souple en maroquin ; je le désigne plus loin par la lettre « A ». La plupart des notes très abrégées, sont écrites au crayon d’une petite écriture très peu lisible. Par endroits, le texte s’est à moitié effacé. Quelques fragments sont notés à l’encre. Ce carnet possède une importance particulière en ce qui concerne L’Acte Préalable car il contient les premières notations du matériel qui, une fois retravaillé, a été utilisé ensuite dans cette œuvre. Scriabine se servait simultanément d’un autre cahier de format moyen, sans reliure ; je le désigne par la lettre « B ». Ici la plupart des notations sont tracées à l’encre, évidemment à la maison. Ces notations sont moins schématiques et j’y trouve des épisodes entiers intégrés ensuite, avec quelques changements, dans le texte définitif que nous possédons. La comparaison des textes « A » et « B » montre que le premier carnet que Scriabine emportait partout avec lui servait de brouillon au cahier « B ». D’ailleurs plus tard, suivant son habitude d’écrire simultanément dans plusieurs cahiers, en commençant parfois au milieu et sans faire attention à l’ordre des pages, en en laissant de nombreuses vides, il cessa de se servir du carnet de poche et prit l’habitude d’écrire au brouillon directement dans le cahier « B », de sorte qu’on peut trouver dans celui-ci les matériaux les plus divers. Reconstituer l’ordre chronologique de ces notes semble à présent d’autant plus difficile que Scriabine ne montrait jamais à personne ses cahiers de notes ; il partageait avec joie ses idées et même lisait à ses amis des fragments déjà écrits, mais cachait soigneusement ses cahiers pour que personne ne puisse les voir par hasard.
11Quand à la fin de l’été je quittai Pétrovsk, Scriabine était toujours entièrement absorbé par le travail sur le Mystère dont la réalisation lui apparaissait désormais comme l’unique but de sa vie. Ce travail acharné devait prendre plusieurs années consacrées exclusivement à cette réalisation. Mais quand en octobre de la même année, je revis Scriabine à Moscou, L’Acte Préalable existait déjà en projet. On doit donc placer la conception de cette œuvre en août 1913. Cependant il n’y eut aucun changement important dans le déroulement du travail de l’artiste ; il n’y eut ni interruption ni rupture. Les notes du cahier « B » ne nous disent rien non plus du changement intervenu. Scriabine continua comme avant d’inscrire dans ce cahier des vers et des fragments isolés. En examinant ces notes, il est absolument impossible de se rendre compte à partir de quel moment s’opéra la mutation du projet initial, quand eut lieu sa limitation.
12Le titre L’Acte Préalable ne plaisait pas beaucoup à Scriabine dans les premiers temps ; il cherchait autre chose mais ne trouvait rien. « C’est un acte préparatoire, disait-il, il doit nous préparer tous, il doit servir de passage naturel, de chaînon qui relie ce qui existe au futur Mystère. »
13Au début, l’œuvre qu’il avait en vue était pour lui complètement privée de toute signification indépendante du Mystère. Dans les entretiens, il soulignait avec force son caractère didactique, la soumettant entièrement au Mystère auquel elle devait servir d’approche. Pendant l’été 1913 encore, il indiquait parfois qu’il serait peut-être obligé d’étendre l’exécution de l’acte mystériel, si complexe, sur une période plus importante que les sept jours envisagés à l’origine, de sorte que le premier épisode apparaisse comme une partie préparatoire à l’ensemble, mais étroitement liée à cet ensemble. D’ailleurs il ne creusa pas très à fond cette idée et même ne s’y arrêtait pas volontiers, la considérant comme un épisode mineur qui, comme beaucoup d’autres, se clarifierait et s’éluciderait au cours du processus de création.
14Il est évident que c’est précisément le travail intensif sur le texte du Mystère qui l’amena à prendre conscience de la nécessité de lier le présent à un futur grandiose, disproportionné par rapport à ce présent. Même auparavant, il ne se dissimulait pas les énormes difficultés techniques inhérentes à la réalisation du Mystère. Il soulignait même volontiers ces difficultés techniques comme si par ce moyen il s’efforçait de reculer au second plan, d’estomper d’autres obstacles, d’autres difficultés découlant de l’incommensurabilité de ce dessein avec les forces humaines. « Il est indispensable naturellement de préparer les hommes, de trouver des exécutants, des collaborateurs », ainsi parlait-il souvent les derniers temps. Cette nécessité, il l’éprouvait naturellement de façon de plus en plus aiguë tandis qu’il se plongeait plus profondément dans l’élaboration du Mystère. Sans doute prenait-il conscience que lui-même n’avait pas encore maîtrisé pleinement le matériel dont il devait user librement, ni en tant que philosophe, ni en tant que poète, ni même en tant que musicien.
15Enfin – et ceci m’apparaît comme le plus important et indubitable – il se sentait aussi insuffisamment prêt sur le plan mystique pour la réalisation finale. Ces doutes, il me les exprimait encore à Pétrovsk en été, bien que formulés avec beaucoup de précautions. Ainsi, toute une série de motifs l’affermissait dans l’intention, renonçant momentanément à la création du Mystère, d’en isoler une partie introductive dont l’exécution préparerait et rendrait possible l’accomplissement du grand acte d’unification universelle.
16Cependant, quand je revins à Moscou en automne, je me persuadai très vite que bien que Scriabine usât lui-même de ces formules et insistât sur le caractère préparatoire de sa nouvelle œuvre, cette dernière se substituait déjà peu à peu dans sa conscience à l’image du Mystère. Le Mystère enfanta L’Acte Préalable en tant qu’action nécessaire préparatoire, mais très vite l’enfant dévora sa mère. L’Acte Préalable devint comme par un tour de prestidigitation, dans l’esprit de Scriabine conquis par le brusque surgissement de ce dessein plus proche, le moyen d’incarner immédiatement sa vision. Un changement très étrange à première vue intervint : Scriabine désire maintenant utiliser pour L’Acte Préalable le matériel déjà prêt pour le Mystère, bien que, conformément au plan originel, ce matériel ne pût, par sa nature même convenir à ce rôle ; le sujet du Mystère n’était-il pas l’histoire de l’univers, celle des races humaines ; celle de l’esprit individuel ? Le Mystère devait en vérité transfigurer le Macrocosme et le Microcosme et conduire à sa fin le processus de leur évolution. Il est donc évident que L’Acte Préalable qui préparait le Mystère et rendait possible la réalisation de cet acte sacrificiel et ultime, ne pouvait en être le double, même affaibli, ou plus exactement une pré-réalisation. Et cependant nous observons comment ce qui devait être le contenu du Mystère devient le sujet de L’Acte Préalable, qui nous présente en images ce même processus d’évolution et d’involution de l’univers, des races humaines et de l’individualité que le Mystère était appelé à réaliser. Quel est donc le sens de cette métamorphose ? Sans doute est-ce celui-ci : L’Acte Préalable n’est plus un degré pour approcher le Mystère, un instrument pour son élaboration, mais c’est le Mystère lui-même limité et réduit par l’artiste à des dimensions qui en rendent possible la rapide création. Scriabine a toujours, jusqu’à la fin de sa vie, insisté sur le fait que L’Acte Préalable n’était que le prologue du Mystère, un acte de purification et de consécration, mais pour ceux qui étaient attentifs et proches témoins de sa vie spirituelle, il était clair que la nouvelle œuvre avait pris pour lui une existence indépendante et était devenue une fin en soi. Voici d’ailleurs un fait caractéristique : la vision du Mystère, à partir de ce moment rejetée dans l’avenir, acquiert des contours encore plus grandioses, mais en même temps moins précis. Ces détails concrets que Scriabine introduisait dans l’élucidation du Mystère, il les transpose à présent dans L’Acte Préalable. Je ne veux autrement dire par là qu’à cette époque (l’automne 1913) le Mystère cessa d’être pour lui ce qu’il a toujours été – le sens de sa vie, le but ultime de sa création – mais convaincu de sa réalisation prochaine sous une forme réduite et appauvrie, il ne ressent plus le besoin de concrétiser la vision colossale qu’il avait créée, mais au contraire avec un sentiment de joie et de liberté particulières, comme pour protester contre les contingences de la vie terrestre, sans plus tenir aucun compte des exigences et des considérations pratiques imposées par une cruelle réalité, Scriabine enrichit sans cesse le sens intérieur, mystique du Mystère.
17Au cours de ce processus sont apparues en quelque sorte deux formes du Mystère : l’une très élaborée, adaptée à la réalité, limitée et conditionnée par les données du possible dans le temps présent, destinée à une prompte réalisation ; l’autre idéale, absolument pure et autonome, étrangère à tout compromis et surpassant infiniment la première par la richesse, la profondeur et la complexité de son contenu.
18Ici surgit tout naturellement une question : qu’est-ce donc qui a provoqué cette métamorphose ? Comment se fait-il que L’Acte Préalable ait intégré sinon la structure mystique, tout au moins le contenu concret du Mystère ? On ne peut répondre que par une hypothèse, car on est obligé de supposer que Scriabine lui-même n’en prit jamais complètement conscience, que ce fût parce qu’il ne le pouvait pas ou ne le voulait pas.
19La vision de l’acte ultime créé par Scriabine ou contemplée par lui exigeait depuis longtemps d’être incarnée ; au cours de l’été 1913 en particulier, il devint clair pour tous ceux qui l’entouraient que le désir d’un rapide accomplissement le possédait jusqu’à la souffrance ; il n’était tout simplement plus maître de ce désir. Il pouvait facilement parler d’un travail assidu sur le Mystère, que rien ne viendrait distraire pendant cinq ans, mais la tension et la puissance des forces créatrices auraient rendu un tel ascétisme absolument insoutenable pour lui. Son impatience augmentait encore lorsque (et cela arrivait de plus en plus souvent les derniers temps) réfléchissant à son âge, il comparait le chemin déjà parcouru à celui qu’il devait encore accomplir : « Mais rien n’est encore fait », disait-il alors. Bien entendu il se sentait très jeune physiquement et spirituellement et parfois, plaisantait avec coquetterie à ce sujet, mais ce qu’avait de grandiose l’exploit qu’il devait accomplir ne manquait pas de l’inquiéter. Ceux qui l’entouraient s’étonnaient souvent de sa foi en lui-même ou plutôt en sa mission. Mais je pense que cette assurance était souvent forcée, tendue et que les moments de doute, d’hésitation étaient beaucoup plus nombreux qu’on ne le pensait généralement : il les dissimulait soigneusement.
20Si on a en vue cet état d’esprit au cours de cette période, on comprend parfaitement la substitution au Mystère de son esquisse, L’Acte Préalable, lorsqu’il se vit obligé de préparer l’acte collectif du Mystère par un acte introducteur et ainsi de projeter une fois de plus le Mystère dans un futur lointain, indéterminé. C’était un compromis bien entendu, mais toute sa nature d’artiste et de créateur exigeait ce compromis. Déjà alors, l’obscur pressentiment de sa fin prochaine n’affleurait-il pas à son esprit et ne sentait-il pas qu’il était indispensable de se hâter ? N’a-t-il pas compris au plus profond de lui-même qu’en L’Acte Préalable, il se réconciliait avec l’inévitable et renonçait au Mystère ?
III
21Je reviens à la relation des faits interrompue par ces réflexions.
22L’hiver 1913-1914 fut une période d’un intense travail intérieur sur L’Acte Préalable, et comme toujours, Scriabine introduisait ses amis dans le processus même de ce travail. En même temps, et ceci me semble très caractéristique, ses pensées se tournaient surtout vers les problèmes de l’exécution et de la mise en scène de L’Acte Préalable. Le contenu poétique de l’œuvre nouvelle était déjà déterminé par le matériau dont il disposait, destiné à l’origine au Mystère. Déjà alors, il avait décidé de consacrer l’été suivant à la rédaction du texte ; il espérait écrire la musique au cours de l’hiver et de l’été 1915 afin que l’œuvre fût terminée au commencement de l’année 1916. Mais ce qui le préoccupait avant tout, semblait-il, c’était le stade qui suivrait la composition – le travail « théâtral », si on peut parler ici de théâtre, l’incarnation de l’œuvre achevée. Et il était facile de remarquer que précisément sur ce point, ses projets étaient soumis à d’incessantes hésitations, à de continuels changements, comme s’il n’était pas encore en état de décider ce qu’il voulait exactement. La dimension même, pour ainsi dire, de ses plans et projets, le champ de sa fantaisie tantôt se rétrécissaient tantôt se dilataient sous l’influence non seulement de ses propres états d’esprit, mais aussi des réactions de son interlocuteur : s’il remarquait que son Acte Préalable était compris de façon trop « théâtrale », qu’on y voyait seulement un drame musical d’un genre particulier, alors immédiatement, comme par esprit de contradiction, il commençait à souligner le visage mystériel de son œuvre, et vice versa. Lui-même naturellement considérait L’Acte Préalable comme une œuvre de compromis : le Mystère devait être un mystère, mais dans L’Acte Préalable le moment liturgique devait être étroitement uni au moment représentatif (souligné dans le texte), l’œuvre devait non seulement être accomplie en tant qu’acte mystique, mais aussi jouée comme une œuvre théâtrale, sans perdre pour autant sa nature mystérielle. C’est ainsi qu’il pensait alors son Acte Préalable et c’est précisément pour cela qu’il lui semblait si difficile d’établir les principes fondamentaux de sa réalisation. Il craignait plus que tout que son œuvre ne devienne une cantate ou un oratorio accompagnés de danses, processions, etc. Son attitude était négative aussi envers les drames wagnériens, surtout Parsifal, car il considérait que dans ses œuvres l’élément représentatif dominait. Aussi, dans ses conversations tantôt il soulignait le caractère liturgique de L’Acte Préalable, tantôt au contraire il affirmait que cette œuvre, contrairement au Mystère, se situait encore entièrement dans les limites de l’art. Approfondissant cette différence, il expliquait souvent que le Mystère par sa nature même ne pouvait être accompli qu’une seule fois, alors que L’Acte Préalable, comme toutes les œuvres dramatiques, pourrait être répété à volonté.
23Il revenait souvent aussi au problème des spectateurs et des exécutants : il ne voulait pas admettre de spectateurs. Il voyait dans cet appel à la participation de tous à l’action, la principale différence de son œuvre préparatoire avec les spectacles dramatiques ordinaires. Compte tenu des difficultés techniques et pratiques que posait cette participation, il acceptait de la réduire au minimum pour le plus grand nombre des assistants, mais personne, selon lui, ne devait demeurer passif, rester en dehors de l’action : n’est-ce pas dans cette rupture entre ceux qui exécutent l’action et ceux qui la reçoivent, dans la représentation (souligné dans le texte) même de quelque chose, qu’il voyait le péché fondamental et capital du théâtre ? Mais alors surgissait un problème très complexe : celui de la préparation de toute cette masse de participants, préparation non seulement technique, mais intérieure, spirituelle : les acteurs professionnels ne convenaient nullement. Scriabine s’entretenait souvent de tout cela avec son entourage. Évidemment ces questions le tourmentaient. Alors naquit le projet d’organiser des cours appropriés ; Scriabine demanda conseil à ce propos à Ziloti10 ; on parla même de fonder une revue spéciale.
24En réaction, semblait-il, avec ce practicisme si subitement dominant, et comme pour contrebalancer le compromis rendu nécessaire et les chaînes qu’il imposait, Scriabine s’abandonnait en même temps avec une joie particulière à ses visions du Mystère, ne se laissant plus intimider par aucune considération étrangère : tout ce qui lui semblait irréalisable dans l’immédiat, il le reportait au Mystère. D’ailleurs, même en ce qui concerne L’Acte Préalable, il ne restait pas toujours dans le cadre d’une juste raison : il y avait des moments où il s’insurgeait violemment contre toute théâtralisation de son œuvre, comme l’eussent voulu certains, et soulignait plus brutalement les difficultés soulevées par la réalisation de L’Acte Préalable, et les exigences exceptionnelles auxquelles devaient répondre tous les exécutants, en commençant par les interprètes principaux et finissant par la masse anonyme. Au cours de l’hiver 1913, il eut à ce sujet un long entretien avec Tereschenko (alors faisant encore partie, si je ne me trompe, de la direction théâtrale) et à A. I. Ziloti. Développant devant eux ses plans au sujet de L’Acte Préalable, Scriabine emporté par son enthousiasme, sembla perdre le sens des réalités et traça une image si grandiose de son œuvre, qu’il troubla visiblement les assistants.
25Naturellement la vie à Moscou ne favorisait guère le travail et la concentration ; presque chaque soir on recevait des invités qui restaient généralement très tard. Des concerts venaient rompre le cours régulier de l’existence. Aussi, pendant cet hiver, Scriabine n’ajouta presque rien au matériau poétique déjà constitué. En examinant celles des notes du cahier « B » qui se rapportent indubitablement à L’Acte Préalable et qui par conséquent ne pouvaient dater de l’été 1913, je constate que presque toutes se rapportent à une période ultérieure, à l’été 1914. Cependant il ne se séparait jamais de son carnet de notes et de son cahier ; aussi les emporta-t-il en Angleterre où il partit en février 1914, accompagné de A. N. Briantchaninov11. Ce séjour en Angleterre eut sans aucun doute une influence très stimulante sur Scriabine12. Quand je le revis à Moscou où j’arrivai à Pâques, je fus étonné de son dynamisme : il se sentait très bien tant physiquement que moralement ; il émanait de lui une joyeuse assurance. Ce n’était pas seulement le chaleureux accueil que lui réserva l’Angleterre, ni la compréhension et la sympathie qu’il y rencontra et la connaissance qu’il fit de personnalités éminentes et intéressantes, mais ce fut le séjour lui-même dans un pays tendu par une activité intelligente qui produisit ce résultat bénéfique. Son voyage en Amérique avait exercé sur lui jadis une influence analogue13. Ce qui l’attirait surtout chez les Anglais, c’est le mélange, très original selon lui, de la réflexion pratique, de la conscience des réalités, d’une large fantaisie et d’une aspiration, prétendait-il, vers l’extraordinaire, le grandiose. Il était même prêt à admettre, en l’idéalisant, le practicisme religieux des anglais. Sa propre tendance vers une activité pratique s’accentua après ce voyage ; et si auparavant des doutes pouvaient surgir en lui à propos de la question : avait-il bien agi en décidant de se limiter provisoirement et en acceptant un compromis, ces doutes avaient complètement disparu. La certitude que L’Acte Préalable serait bientôt réalisé se renforça. « À présent je sais – me dit-il – que tout dépend de moi seul. Que je puisse terminer rapidement le texte et la musique et tout sera trouvé : et les moyens, et les gens. » A. N. Briantchaninov le soutenait dans cet état d’esprit, lui conseillant de transporter temporairement son activité en Angleterre, pour y préparer tout en vue de l’exécution de L’Acte Préalable. Pourtant Scriabine n’était pas favorable à ce projet, malgré sa sympathie pour les Anglais, bien qu’il fondât de grands espoirs en leur soutien.
26En Angleterre, Scriabine commença à se préparer pour un voyage en Inde, dont le projet avait été conçu depuis longtemps et qu’il désirait entreprendre en 1915. Il attendait beaucoup de ce voyage et ne voulait prendre aucune décision concernant le temps et le lieu de l’exécution de L’Acte Préalable avant ce voyage. Il pensait que l’Inde devait en quelque sorte rénover son esprit, éveiller en lui de nouvelles idées et des sentiments nouveaux, aiguiser ses perceptions ; il lui semblait qu’il allait voir le monde sous un angle nouveau. Pourtant il ne se dissimulait nullement que l’Inde contemporaine, avec ses villes artificielles, ses chemins de fer, son intelligentsia européanisée, ne ressemblait aucunement à l’Inde de ses rêves ; mais il était convaincu malgré tout qu’à travers l’image mutilée du présent, il saisirait l’Inde véritable : « Je n’ai besoin que d’une allusion, d’un choc – disait-il – ce n’est pas l’Inde géographique qui m’intéresse, mais l’Inde en soi, ces sentiments, ces expériences que, dans l’espace, l’Inde réelle incarne. »
IV
27En mai, Scriabine et sa famille s’installèrent à la campagne à Grivno, sur la voie ferrée Moscou-Koursk, près de Podolsk. Les Scriabine occupaient là une maison pas très grande, à un étage, à quelque quatre verstes de la gare. Quand j’y arrivai à la mi-juin, Scriabine était déjà au travail sur le texte de L’Acte Préalable.
28Les conditions étaient très favorables pour un travail exigeant de la concentration. L’endroit était assez isolé ; point de voisins intéressants dans les environs ; pendant tout l’été, les Scriabine ne reçurent que deux visiteurs : le peintre Sperling qui resta chez eux trois semaines et le compositeur Grétchaninov14. La campagne était monotone, il n’y avait pas de belles promenades ; de sorte que bien que cet été-là fût très beau, nous nous sommes peu promenés. Scriabine travaillait généralement au premier étage, sur le grand balcon couvert, inondé de soleil le matin. Ce n’est que très rarement, aux heures les plus chaudes, qu’il s’installait sur un autre balcon plus petit, orienté au nord. Cette faculté de supporter la plus forte chaleur était chez lui stupéfiante : sous les rayons du soleil, il semblait même s’épanouir. La présence de quelqu’un d’autre, pourvu qu’il ne lui parle pas, ne le dérangeait pas. Au contraire, il était très content si on s’asseyait pour lire ou écrire à côté de lui, à la grande table de bois boiteuse sous l’un des pieds de laquelle, je me souviens, il fallait sans cesse glisser du papier. La maison ne se distinguait guère par un confort excessif ; par les très grandes pluies, le toit coulait, mais Scriabine prêtait peu d’attention à ces inconvénients.
29La vie s’écoulait tranquille et bien réglée. On se levait tôt. Immédiatement après le café, Scriabine faisait une brève promenade dans le jardin, puis travaillait jusqu’au dîner ; après le dîner – repos, parfois promenade et de nouveau le travail. Le soir, après le souper, il lisait généralement, ou se reposait en causant. Ainsi s’écoula tout l’été jusqu’au départ des Scriabine pour Moscou, vers la mi-août.
30Il travaillait dans une sorte de ravissement. Il semblait parfois qu’une volonté supérieure l’habitait qui l’obligeait à tendre toutes ses forces, et qu’il lui obéissait avec joie ; souvent il fallait l’arracher presque de force de sa table pour qu’il se promène ne fût-ce qu’un peu. Alors il se défendait : « Il faut se dépêcher, il y a peu de temps, je n’aurai pas fini avant l’automne. » Ce sentiment d’un délai, cette crainte d’être en retard pour une date fixée par lui-même cependant, comme si ce délai avait une sorte de signification particulière, telle était la seule chose qui l’inquiétait et troublait sa joie.
31Nous ne lisions pas les journaux chaque jour, car il fallait aller les chercher à la gare, encore ne les lisions-nous pas très attentivement. Mais Scriabine, plongé complètement dans son travail, ne s’intéressait naturellement pas du tout à la politique. Aussi, pour nous tous, la guerre éclata-t-elle de façon tout à fait inattendue. La nouvelle bouleversa visiblement Scriabine qui au premier instant sembla comme égaré. Pourtant nous ne nous rendions pas compte alors de la signification de ces événements, et Scriabine non plus ne les comprenait pas clairement. Dans le cas contraire, s’il avait pu prévoir l’avenir et comprendre ce que signifiait cette guerre, quelles dimensions elle allait prendre, il serait tombé dans le désespoir : n’était-ce pas la fin de tout son projet ? Au contraire il avait tendance à considérer la guerre qui commençait comme une crise provisoire, capable même de rénover la vie spirituelle des peuples, bien que les ruinant matériellement. Plus tard, comme on le sait, ce point de vue s’imposa à lui avec plus de force encore, il regardait le conflit des peuples comme la manifestation d’une certaine conjonction de forces spirituelles qui se déroulait sur un autre plan. En tout cas, en ces jours de juillet, il revint presque immédiatement à son travail. Il continua de s’intéresser beaucoup à la guerre, les premières nouvelles le bouleversaient, mais on eût dit que cela ne concernait qu’une face de son être. On avait l’impression qu’il obéissait à un ordre, accomplissait un devoir, payait un tribut en accordant une partie de son temps aux événements quotidiens pour pouvoir ensuite les oublier. On apportait les journaux. Il descendait de son balcon ; nous les lisions tout haut, les commentions ; ensuite il remontait chez lui et ne s’intéressait plus à rien d’autre qu’à son travail. Et ainsi jusqu’au lendemain. Il ne faisait pour cela aucun effort ; au contraire, l’effort, il devait l’accomplir pour quitter sa table. Plus tard, me semble-t-il, au fur et à mesure qu’apparaissait plus clairement la dimension considérable des événements, ils l’atteignirent plus profondément, et il tendait à leur conférer une signification plus importante. Mais cet été-là, rien ne pouvait l’atteindre, tout glissait à la surface.
32Dans la pièce qui servait de salon se trouvait un piano droit, mais il s’en approchait rarement et pendant tout l’été ne trouva même pas le temps de corriger les épreuves de quelques brèves pièces pour piano de l’op. 7415 qui lui furent envoyées, et j’eus de la peine à obtenir qu’il me les joue, bien qu’il aimât beaucoup le 2e Prélude de cet opus16. Les rares fois où il se mettait au piano, il jouait exclusivement des phrases isolées de ses esquisses pour L’Acte Préalable.
33Il donnait ainsi tout son temps à la création poétique, et lisait exclusivement des poètes. Il lisait selon son habitude très lentement, attentivement, une ligne après l’autre, s’arrêtant presque à toutes les expressions qui l’intéressaient. Il avait apporté de Moscou Cor Ardens de Viatcheslav Ivanov17 qu’il relisait constamment, ensuite une des œuvres de Balmont qu’il préférait, Zelenyj Vertograd18. Lors d’un de mes voyages à Moscou je lui achetai à sa demande les œuvres complètes de Tioutchev19, et Choulgovsky La Théorie et la pratique de la création poétique20. Il aima immédiatement Tioutchev qu’il connaissait insuffisamment jusqu’alors. Quant à Choulgovsky, il le parcourut seulement et ne s’en servit pour ainsi dire plus ; en général il n’aimait pas du tout les traités didactiques, préférant toujours étudier à partir des œuvres d’art. Il se rendait parfaitement compte de l’insuffisance de sa technique poétique ; il répétait sans cesse : « La seule chose qui m’inquiète c’est le texte. En musique, je me sens souverain ; là je suis tranquille et je ferai ce que je veux. Mais je dois maîtriser pleinement la technique du vers. Je ne puis admettre que le texte soit inférieur à la musique, je ne veux pas qu’on regarde ma poésie comme la production d’un musicien qui a décidé d’écrire lui-même un texte pour sa musique. »
34Pour compléter la liste des lectures de Scriabine au cours de cette période, je mentionnerai encore Sophocle, dont les tragédies (1er volume) parurent peu de temps auparavant dans la traduction et avec une introduction de Zelinsky21.
35Il est caractéristique que Scriabine n’emporta pas un seul ouvrage théosophique, même pas Blavatsky qu’il admirait tant22. Son recul par rapport à la théosophie devenait évident.
36Les esquisses du texte de L’Acte Préalable qui se rapportent à cet été occupent deux cahiers : une partie de celui que je désigne par la lettre « B » dans lequel les esquisses pour L’Acte Préalable alternent avec des fragments de textes désignés au Mystère, et un autre de format un peu plus grand, aussi sans reliure, que j’appellerai « C ». Il écrivait dans les deux cahiers, transcrivant des fragments de l’un dans l’autre. Mais si on compare ce travail à celui effectué antérieurement, quand il notait des vers isolés et des fragments pêle-mêle, au fur et à mesure qu’ils surgissaient dans son esprit, son travail devenait plus ordonné, même planifié : dans l’ensemble il suivait le développement de son œuvre, procédant du début vers la fin. Ceci ne l’empêchait pas naturellement de devancer souvent cet ordre, laissant en blanc certains épisodes que pendant longtemps il n’arrivait pas à mettre au point, ou aussi bien de revenir en arrière vers ce qui était écrit mais ne le satisfaisait pas.
37En ce qui concerne le plan général de l’œuvre, il était, comme je l’ai dit, élaboré depuis longtemps : c’était, dans une forme très réduite, une miniature du Mystère – l’histoire des races humaines comme processus de différenciation de l’Esprit, de son immersion dans la matière, puis de son retour à l’Unité, le processus de l’évolution et de l’involution cosmiques, qu’il considérait naturellement comme un événement spirituel ou plus exactement psychique. Scriabine n’apporta aucune modification à ce thème fondamental, gardant sans défaillance cette rigueur dans le développement des processus spirituels qu’il avait depuis longtemps atteinte dans son itinéraire intérieur, par la voie de l’auto-analyse. Son problème était à présent de traduire son intuition en symboles ; d’où le caractère éthico-lyrique de toute l’œuvre qui constitue à la fois la geste de l’univers et l’incarnation d’expériences vécues personnelles. Mais Scriabine refusait d’être un conteur, un narrateur ; il disait : « Mon lyrisme doit être un epos23 » et aussi « Il est indispensable de comprendre le sens de chaque expérience vécue personnelle : l’histoire d’une seule émotion, d’un seul élan, est l’histoire de l’univers. » Scriabine souhaitait plus que tout de trouver des images concrètes et craignait beaucoup le style discursif toujours lié, selon lui, à l’epos. Il ne supportait pas ce qu’on appelle poésie philosophique qui met en vers un exposé d’idées abstraites. Voulant vérifier ce point, il demandait sans cesse à son entourage : « Cela ne vous paraît-il pas discursif ? N’est-ce pas la transposition en vers de constructions théoriques ? » Pour lui naturellement il était évident qu’il créait comme un artiste librement, à partir d’une vision d’ensemble, mais doutant parfois d’être investi par l’inspiration du verbe poétique, il craignait que certaines de ses intentions ne puissent s’incarner et n’arrivent pas jusqu’à l’auditeur. La comparaison de certaines variantes montre avec quelle opiniâtreté il cherchait l’expression concrète, essayant toujours de renforcer, de souligner l’expérience individuelle pour dévoiler en elle l’universel. Parfois naturellement il ne réussissait pas et je me souviens qu’il était lui-même mécontent de certains épisodes, qu’il voulait les retravailler, mais n’en eut pas le temps. Je donnerai comme exemple l’image du combattant contre Dieu ; il sentait le caractère discursif de ce passage : « C’est trop général, c’est vague », parlant du chœur des « pacifiés » : « errant, connais la vérité du sentiment » et d’autres, il disait : « Je changerai encore beaucoup de choses dans ce passage ; ce n’est pas encore travaillé. »
38Avec sa tendance irrépressible à ouvrir devant tous ses richesses, il partageait sans cesse avec son entourage les résultats de ses échecs et de ses difficultés, se réjouissant comme un enfant des réussites et des succès. Aussi suivions-nous au jour le jour la marche de son travail ; je me souviens combien il était heureux après avoir écrit certains passages : le dialogue du masculin et du féminin, le chœur des vagues, le chant des sentiments qui s’éveillent ; il goûtait en musicien la sonorité même de ces vers, qu’il répétait sans cesse, s’arrêtant sur les mots qui chantaient, soulignant certaines combinaisons sonores24. Il est facile de se rendre compte que certains épisodes sont construits sur la dominance de telle ou telle combinaison de voyelles ou de consonnes ; il voulait d’abord utiliser ce « principe d’orchestration » comme il l’appelait, très systématiquement, délimitant grâce à cette utilisation des sons du langage, les périodes principales. Mais ensuite il reconnut que la réalisation absolue de ce principe pouvait conduire à une impression de monotonie, et en conséquence, ayant limité son utilisation à certaines parties du poème, il y travailla très longtemps et avec persévérance, n’atteignant que lentement et avec effort le but qu’il s’était fixé. D’autres épisodes au contraire, furent créés presque immédiatement. Les strophes « Sept anges revêtus d’éther », etc. ont jailli dans une sorte d’illumination, il les écrivit en quelques minutes et les intégra ensuite au texte définitif presque sans aucune modification. Cependant cette image est parmi les plus complexes dans son contenu.
39Malgré tout, Scriabine n’eut pas le temps, avant son départ pour Moscou, d’achever entièrement le texte. Il n’avait pas du tout envie de quitter la campagne, car il comprenait qu’à Moscou son travail serait plus difficile, mais le temps se gâta, des bruits alarmant au sujet de la guerre se mirent à circuler… il fallut regagner la ville. Le texte de L’Acte Préalable était écrit au brouillon jusqu’au passage « chants et danses des déchus » dont les premiers vers étaient déjà écrits. Des fragments des derniers épisodes étaient aussi notés, en particulier les paroles de la Mort à peu près à partir de
Aux appels secrets de l’âme
Prête attention et hâte-toi
D’annoncer la nouvelle du salut
À ceux qui périssent
40Ensuite la fin en commençant par « L’heure joyeuse a sonné/tu t’es réveillée en nous » mais avec de considérables lacunes.
41Si Scriabine avait continué à travailler en ville avec la même énergie qu’à la campagne, il eût terminé le texte entier tout au moins au brouillon en trois ou quatre semaines. Mais les conditions de travail à Moscou étaient complètement différentes, et ce n’est qu’à la fin de novembre que Scriabine put lire le poème entier à ses amis-poètes Viatcheslav Ivanov, I. K. Baltrusaïtis à l’opinion desquels il accordait une grande importance : « Je passe mon examen » plaisantait-il. Leurs réactions dissipèrent ses doutes. Pourtant il estimait qu’il était indispensable d’apporter de nombreux changements ; certains épisodes isolés ne le satisfaisaient pas.
42Cependant le problème de la réalisation de L’Acte Préalable devint plus compliqué ; la guerre se prolongeait et il était difficile de prévoir quand elle se terminerait, et pour Scriabine il était évident qu’il fallait remettre l’exécution de l’œuvre jusqu’à la fin du conflit. Alors naquit le projet (l’idée vint peut-être de Briantchaninov) d’éditer immédiatement le texte de L’Acte Préalable en même temps que la musique. Bien entendu c’eut été encore un compromis. Scriabine en effet, malgré toutes ses hésitations, considérait son œuvre comme un acte mystique et était persuadé que la réalisation de L’Acte Préalable s’affirmait comme un moment authentique de l’œuvre elle-même ou plus exactement que cette dernière n’existait que in actu, alors qu’en dehors de la réalisation, on ne pouvait parler que de texte, de musique en tant qu’éléments séparés.
43Aussi malgré son désir de voir enfin son dessein réalisé, Scriabine n’était pas enclin à accepter ce projet.
44Au cours de l’hiver 1914-1915, Scriabine projetait de travailler à la musique de L’Acte Préalable ainsi qu’à la révision définitive du texte. Ce dernier était déjà transcrit en entier dans un cahier spécial à la couverture beige (« D »). Mais comme il continuait d’apporter encore et toujours des changements à ce texte, il décida de le transcrire encore une fois définitivement. Il commença de recopier ce texte définitif dans un épais cahier relié de toile cirée noire (« E »). Mais il n’eut pas le temps d’achever ce travail. La Mort l’interrompit, alors qu’il en était seulement aux vers :
Sinueuse et rampante, je me suis éveillée serpent
Alanguie, je suis chère à l’élément humide
45Ainsi la deuxième moitié du texte ne fut pas rédigée définitivement, et c’est précisément de cette partie qu’il était le moins satisfait.
46En ce qui concerne la musique de L’Acte Préalable, il ne réussit à en rien écrire. Il comptait sur l’été qu’il pensait passer quelque part dans le Caucase, peut-être à Kislovodsk ; il pensait s’y rendre après une tournée de concerts qu’il devait faire sur la Volga. Il ne reste même pas, après la mort de Scriabine, d’esquisses de cette musique ; en effet ce dont nous disposons ne sont que des allusions, des germes de formes futures, des bribes de phrases. De plus nous ne sommes sûrs que pour quelques-uns de ces fragments qu’ils étaient destinés à être utilisés dans L’Acte Préalable : dans ce matériau brut, il aurait sans doute opéré un choix sévère. On ne peut non plus savoir à quel moment de L’Acte on peut rattacher l’une ou l’autre des phrases musicales qui nous sont parvenues. Certaines esquisses que ses proches connaissaient bien pour les avoir souvent entendues, jouées par Scriabine, n’ont pas été retrouvées parmi les manuscrits : ainsi malgré toutes les recherches, on n’a pas pu mettre la main sur les premières mesures de L’Acte Préalable, bien qu’on ait la certitude qu’il les avait notées. Le motif de la solennelle sonnerie de cloches, composé encore en 1913, est perdu également25.
47Bien que l’exécution de L’Acte Préalable ait été remis à une date indéterminée, les pensées de Scriabine, une fois le texte terminé, se tournaient sans cesse vers ce problème. Dans ses entretiens avec ses amis (ces entretiens stimulaient souvent sa création) il élucida peu à peu en détail l’accomplissement de l’Acte. Mais tout cela était encore fragmentaire : certaines parties étaient déjà élaborées, alors que d’autres plus importantes, essentielles, n’avaient pas encore été abordées. Malheureusement Scriabine ne fixa rien de ce qui touchait à la réalisation et ses cahiers ne contiennent aucune note à ce sujet. Il rêvait de la construction d’un édifice spécial pour l’exécution de L’Acte Préalable, mais acceptait cependant que, le cas échéant, on puisse utiliser l’un des bâtiments existants, pourvu que sa forme soir circulaire, mais « surtout pas un cirque ! » Les assistants devaient former une sorte de système de cercles concentriques, du centre vers la périphérie. Ceux qui appartenaient aux cercles extérieurs, périphériques, participaient moins directement à l’action, se rapprochaient davantage de simples spectateurs, alors que les interprètes principaux devaient former les cercles intérieurs surélevés. Au centre, au sommet de tout le système, Scriabine avait pensé d’abord élever un autel, mais ensuite il semblait s’éloigner de cette idée. Cette foule devait sans cesse être comme parcourue de courants de telle sorte que les cercles ne demeurent jamais fermés et immobiles, mais qu’il existe entre eux de continuels échanges : certains participants, entraînés par les processions et les danses s’élèveraient et se rapprocheraient du centre, tandis que d’autres s’en éloigneraient et descendraient. Le chant des solistes et des chœurs alternerait avec la déclamation. Les premiers mots :
Encore une fois en vous l’Éternel vous appelle
À recevoir la grâce de l’amour
devaient être prononcés lentement et solennellement par une voix masculine, sur le fond d’un accord mystérieux exécuté en trémolo. (Ce sont ces premières mesures qui sont aujourd’hui perdues.)
48L’Acte Préalable dans sa forme définitive devait être une œuvre d’art synthétique ; mais cherchant à réaliser la synthèse des arts Scriabine, comme on le sait, était ennemi du parallélisme des arts composant l’ensemble ; il ne considérait pas les différents arts comme indépendants et combinés pour la circonstance, mais voyait en eux les éléments épars d’un art total unique. Dans L’Acte Préalable, Scriabine voulait réaliser la synthèse harmonique de trois arts : la musique, la poésie et la danse (cette dernière comprenant la mimique et les attitudes) par la voie d’un contrepoint complexe de la parole, du son musical et du geste. La musique ne devait en aucune façon accompagner la parole ou le geste, mais la parole, le geste et le son s’entrelaçaient dans une trame serrée pour former l’indivisible tissu de l’œuvre. L’Acte Préalable, Scriabine l’avait affirmé plus d’une fois, ne devait pas être de la musique plus de la poésie plus de la danse, mais c’était la création d’un art unique dans lequel seule l’analyse découvrait les éléments plastiques, poétiques, musicaux… Si nous disposions maintenant de tous ces éléments et, en plus du texte, possédions la partition musicale de L’Acte Préalable, celui-ci pourtant n’existerait pas en tant que totalité.
49Cependant nous savons que Scriabine travailla d’abord sur le texte, et l’ayant terminé voulait passer à la musique, pour ensuite définir tous les détails de l’exécution de L’Acte lui-même, mais il me semble que cette voie visible que je viens de décrire n’était qu’une voie apparente et qu’en réalité, Scriabine au contraire partait du tout pour élaborer les parties, et de L’Acte Préalable contemplé par lui comme un acte total, vers la définition de ses éléments musicaux et poétiques.
Notes de bas de page
1L’Acte Préalable est la dernière œuvre de Scriabine, conçue en 1914 comme un rituel préparatoire à son Mystère. Le texte poétique, achevé en automne 1914, a été publié après la mort du compositeur, dans ce même numéro des Propylées Russes (p. 202-247). Schlœzer analyse ses extraits clés dans le dernier chapitre de sa monographie. La partition de L’Acte Préalable, considérée comme perdue, voire inexistante, a été découverte par Manfred Kelkel et éditée pour la première fois dans sa thèse sur Scriabine. Voir l’introduction.
2Tatiana de Schlœzer (1883, Vitebsk – 1922, Moscou) est la sœur de Boris de Schlœzer et la seconde épouse de Scriabine, mère de leurs trois enfants, Ariadna, Julian et Marina. Sur le couple Scriabine – Tatiana de Schlœzer, voir la note 2 de l’introduction.
3Le Mystère est l’acmé des aspirations créatrices de Scriabine. L’idée est inspirée par les mystères d’Éleusis et les mystères chrétiens et puise, parmi les sources contemporaines, aux opéras synthétiques de Wagner, à la peinture symbolique de Nikolaï Roerich et aux doctrines ésotériques de Helena Blavatsky et de Rudolf Steiner. Schlœzer y a consacré la seconde partie de son ouvrage.
4Baltrušaitis, Jurgis (1873, Poantvarze – 1944, Paris) : poète symboliste russe et lituanien, traducteur de Byron, Ibsen, Kierkegaard, Strindberg, Hamsun, Maeterlinck, Wilde, Tagor. Ami et admirateur de Scriabine. Voir [S., chap. ii et vi].
5Sperling, Nikolaï (1881, Russie – 1940, Éthiopie) : peintre symboliste russe, proche de Scriabine dans ses visions mystiques et ses idées esthétiques. Il a offert au compositeur ses tableaux Le Sage de l’Orient, La Marche funèbre et les lithographies Tibi, Purissima et Le Chevalier Gilles de Rais. Ces œuvres se trouvent actuellement au Musée Scriabine à Moscou. Voir : Selig R., « Nicolas Sperling », Revue du Vrai et du Beau, Arts et Lettres, Paris, 25 juillet 1924, p. 12 ; Scriabine et ses contemporains. Éléments de biographie de N. V. Sperling, Moscou, Musée Scriabine, 2016 (en russe).
6Asvaghosa, « Жизнь Будды (La Vie de Bouddha) », série « Памятники мировой литературы. Творения Востока », М. и С. Сабашниковы, 1913. Constantin Balmont (1867, région de Vladimir – 1942, Noisy le Grand) est un poète symboliste, traducteur de Calderon, Hofmann, Ibsen, Hauptmann, Percy Shelley, d’auteurs japonais anciens et contemporains, d’hymnes égyptiens, de mythes polynésiens… Il a traduit La Vie de Bouddha d’Asvaghosa, grand poète indien de la première moitié de notre ère, d’après la version anglaise : The Fo Sho Hing Tsang King, A Life of Buddha by Asvaghosha Bodhi-sattva, transl. from sanskrit, Oxford, Clarendon, 1883.
7« Заветы », revue politique et littéraire (1912-1914) qui a publié les œuvres d’Ivan Bounine, Jurgis Baltrušaitis, Eugène Zamiatine, Maxime Gorky ainsi que les comptes rendus polémiques sur le théâtre lyrique d’Alexandre Blok, les romans de Dimitri Merejkovski et la poésie d’Anna Akhmatova.
8Рихард Вагнер: Биография (aвториз. пер. Гр. Прокофьева), Москва, П. Юргенсон, 1913. Trad. de Julius Kapp, Wagner, eine Biographie, Berlin, Schuster und Loeffler, 1913.
9« Новые идеи в философии », revue non périodique, éditée à Saint-Pétersbourg en 1912-1913 sous la direction de Nikolaï Lossky (voir la note 18 pour l’article « De l’individualisme à l’unitotalité »). Schlœzer évoque l’article de Wilhelm Schuppe « La notion de psychologie et ses limites » paru dans le recueil no 4 en 1913.
10Ziloti, Alexandre (1863, Kharkov – 1945, New York) : pianiste, célèbre pédagogue, maître de S. Rachmaninov, K. Igoumnov, A. Holdenveizer. Dans son enseignement, il poussait ses élèves à ressentir l’idée générale de l’œuvre et trouver le moyen de l’exprimer dans l’exécution (par l’intonation, le dessin rythmique…). Ziloti est aussi un chef d’orchestre célèbre pour sa direction du répertoire de Scriabine, du Poème de l’Extase en particulier qui connut un grand succès en 1915.
11Briantchaninov, Alexandre (1874-1960) : publiciste russe, homme politique, attaché de l’ambassade russe à Paris, fondateur de la revue Славянское Звено (Le Chaînon Slave) où il défendait des idées slavophiles.
12Lors de ce séjour à Londres ont été exécutés Prométhée (chef d’orchestre : Henry Joseph Wood), le Poème de l’Extase et plusieurs pièces pour piano. Un spectateur russe note, au sujet de l’interprétation du Prométhée : « Les mélomanes fréquentant depuis trente ans les concerts londoniens ne se souviennent pas de telles ovations… Les vieux tout comme les jeunes agitaient leurs mouchoirs, leurs chapeaux, tout ce qui leur tombait sous la main. Les musiciens de l’orchestre, saisis par l’atmosphère générale, se levèrent et saluèrent cette nouvelle sommité. Wood ne trouvait plus ses mots pour exprimer son enthousiasme ».
13Scriabine a visité New York en hiver 1906 sur l’invitation du chef d’orchestre Modest Altschuler (1873, Mogilev – 1963, Los Angeles), ancien élève du Conservatoire de Moscou, installé depuis 1896 aux Etats-Unis où il a fondé en 1904 la Russian Symphony Orchestra Society. Il a dirigé à New York en 1906 les 1re et 3e Symphonies et le Concerto pour piano de Scriabine. Ensuite, Scriabine a donné lui-même quelques récitals de piano à Chicago, Boston et dans d’autres villes. Scriabine écrit de Chicago le 19 février 1907 à Tatiana de Schlœzer-Scriabine : « J’éprouve à nouveau un élan créateur et vais bientôt retrouver mes forces, et… tu en verras le résultat sous peu. On entendra bientôt la 3e Symphonie ! Il y aura le thème du soleil ! », in A. Scriabine, Lettres, éd. Musique, Moscou, 1965, p. 463 (en russe). Voir Stanley Louis, « Scriabin in America », in Musical America, no LXXIV, le 15 février 1954, p. 216-219.
14Gretchaninov, Alexandre (1864, Moscou – 1956, New York) : compositeur russe, disciple de Rimski-Korsakov. Son œuvre est pétrie de la tradition nationale du xixe siècle et poursuit l’esthétique du Groupe des Cinq.
15Cinq préludes miniatures pour piano (la pièce la plus longue n’a que 26 mesures) composés en mai 1914.
16Le 2e Prélude, basé sur un motif de sept notes, symboliserait pour Scriabine la suspension du temps.
17Recueil du poète symboliste Viatcheslav Ivanov (1886, Moscou – 1949, Rome), proche de Scriabine, parfois qualifié de « Mallarmé russe » pour son style hermétique. Cor Ardens est publié en 1911 avec, sur la couverture, un dessin de Constantin Somov qui aurait pu plaire à Scriabine : on y voit un cœur d’où sort le feu, des roses et des épines autour, le tout encadré par des rideaux de théâtre.
18Recueil poétique de Constantin Balmont, un des « pères » du symbolisme russe. Il s’ouvre par des vers proches des visions de Scriabine :
Le Timonier
— Qui es-tu ? – Le Timonier du bateau.
— Où est ton bateau ? – La Terre entière.
— Ton gouvernail fidèle ? – Ici, dans le cœur.
— La mer bleue ? – Toute la Raison.
— Toute entière ? Bien et mal côte à côte ?
— Chaque rame est solide.
— Ton havre ? – Le Rêve. Ton phare ? – La Songerie.
— Qu’obtiens-tu ? – La Plénitude.
— Les pleines eaux, et après ?
— L’immensité du désert, jouissance.
— Douceur, rêve, mais dans la réalité ?
— Je navigue sans me retourner.
19Tioutchev, Fedor (1803-1873) : poète phare du xixe siècle, chantre de la nuit « d’universel silence ». Il a beaucoup marqué les symbolistes russes qui tiraient de certains de ses vers (tel « la pensée exprimée est un mensonge ») leur programme esthétique.
20Recueil d’articles du poète et critique littéraire Nikolaï Choulgovsky (1880-1934), « Теорiя и практiка поэтическаго творчества. Техническiе начала стихосложенiя » (éd. Wolf, 1914).
21Софокл, Драмы в 3 т. (пер. и вступ. очерк. Ф. Ф. Зелинского), М. и С. Сабашниковы, 1914-1915.
22Schlœzer traite plus précisément des rapports complexes de Scriabine à la doctrine de Blavatsky dans le quatrième chapitre de sa monographie. La question est abondamment commentée par les critiques contemporains. Voir, sur les sources blavatskéennes du Prométhée et les comparaisons de la notion de « manvantara » chez Blavatsky et chez Scriabine, les analyses de Manfred Kelkel, in Alexandre Scriabine. Sa vie, l’ésotérisme et le langage musical dans son œuvre, Paris, Honoré Champion, 1978. Cyrill Scott éclaire du point de vue du théosophe les rapports de Scriabine avec les dévas, ces esprits invisibles des plans supérieurs de la religion hindoue : « Scriabine, interprète des dévas », in La Musique, son influence secrète à travers les âges, trad. de l’anglais par H. J. Jamin, Neuchâtel, La Baconnière, 1960.
23Signifie en grec : discours, parole, oracle, prophétie… (N.D.T.).
24Schlœzer a inclus quelques passages clés de L’Acte Préalable dans sa monographie [S., chap. vi]. Une version française de l’intégralité du texte de L’Acte Préalable est publiée dans la traduction de Marcel le Bourhis dans l’ouvrage de Manfred Kelkel (Scriabine, sa vie, l’ésotérisme… Op. cit., livre 2, p. 73 et suiv.) et dans la traduction sensiblement différente de Marina Scriabine, in Alexandre Scriabine, Notes et réflexions. Cahiers inédits, Paris, Klincksieck, 1979, p. 85-120.
25Les esquisses musicales de L’Acte Préalable de Scriabine ont été découvertes et publiées pour la première fois par Manfred Kelkel dans sa thèse « A. Scriabine : éléments biographiques, l’ésotérisme et le langage musical dans ses dernières œuvres ». Voir, sur cette découverte, son article « Les esquisses musicales de L’Acte Préalable de Scriabine », in Revue de musicologie, tome LVII, no 1, 1971, p. 40-48.
![Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0](/assets/images/by-nc-nd.png)
Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Comprendre la mise en abyme
Arts et médias au second degré
Tonia Raus et Gian Maria Tore (dir.)
2019
Penser la laideur dans l’art italien de la Renaissance
De la dysharmonie à la belle laideur
Olivier Chiquet
2022
Un art documentaire
Enjeux esthétiques, politiques et éthiques
Aline Caillet et Frédéric Pouillaude (dir.)
2017