Chapitre VII. Les effets de l’écart social
p. 125-144
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Texte intégral
1Depuis déjà plusieurs décennies, le mariage se donne comme un événement dénué de connotation sociale, exclusivement légitimé par l’existence du sentiment amoureux, par opposition au mariage d’intérêt ou de « raison ». On sait pourtant, depuis les études d’A. Girard (1964) et plus récemment, de M. Bozon et F. Héran (1987) combien fonctionne le principe d’homogamie sociale et culturelle : la ressemblance entre conjoints en termes d’âge, de niveau d’étude, d’appartenance sociale… est la situation la plus fréquente.
2Ces résultats laissent à penser que le type de trajectoire matrimoniale, c’est-à-dire la similitude ou au contraire la différence de milieux entre parents et beaux-parents, peut influer sur les modalités des échanges affins. On s’interrogera alors sur le processus de prise de conscience d’un décalage social, lorsque tel est le cas.
La visibilité de la dimension sociale
3Loin d’être gommé, le statut social se donne à voir dans le cadre des relations affines et reste une question sensible.
La trajectoire matrimoniale comme enjeu social
4Côté parents, la situation sociale est une préoccupation, même si leurs attentes sont différentes envers leur gendre ou leur belle-fille. La définition du bon gendre passe plus par l’évaluation de son statut social que pour la belle-fille. « En plus il était médecin, il avait tout pour plaire, » dit Mme Bulot de son mari. Pour une femme sur dix, le choix du conjoint fut un sujet de conflit entre elles et leurs parents, leur choix ne convenant pas aux attentes sociales et aux projets que ces derniers avaient conçus pour elles. L’interventionnisme parental est donc une réalité.
5Certains beaux-parents n’hésitent pas non plus à faire savoir la raison de leur désapprobation. Plusieurs personnes en témoignent, telle Mme Julien. « Elle ne m’a pas mise à l’aise… et elle ne me met toujours pas à l’aise, même maintenant. » La belle-mère de Mme Julien a d’abord agi pour que le couple se défasse. « Ce qui se passe, c’est qu’elle était secrétaire de direction et elle a toujours été habituée à rencontrer des gens très nobles et tout. Moi, je suis d’un milieu ouvrier, ce qui fait qu’il y a déjà une barrière. » Mme Amand n’a pas été acceptée par ses beaux-parents parce qu’elle n’était pas assez dotée à leurs yeux. Ils trouvaient que leur fils « aurait pu prendre mieux, enfin plus riche. Ma belle-mère, c’est un peu ça […] Une bonne situation, enfin quelque chose qui représente, quoi ! C’était surtout ça, surtout pour l’odeur ! »
6Les belles-filles, de leur côté, ont une conscience assez vive des situations sociales comparées. Elles ne se méprennent pas sur leur valeur sociale. Mme Bulot imagine le point de vue de ses beaux-parents et s’auto-évalue : « Ils auraient pu exiger mieux ». Mme Jeanne est d’un milieu très modeste et se dit « complexée » de cette appartenance dont elle garde une conscience aigüe, après pourtant plus de vingt ans de mariage. Son mari a repris la ferme de ses parents. « Je suis venue avec mes quelques habits, c’est tout. » « Je suis partie à vingt ans ; mes parents ne m’ont rien donné. Au contraire, mon mari a repris tout ce qu’avaient ses parents. » Parlant des membres de sa belle-famille, elle ajoute : « J’étais complexée de mon milieu et eux, ils étaient presque trop gentils. Paternalistes, même… » Mme Valence souligne le statut élevé de ses beaux-parents et sa surprise lors de la première rencontre : « C’était un contraste entre les deux familles. » « Ils avaient des choix de gens de la bourgeoisie, de gens pourvus. C’est vrai que dans ma famille, on n’a jamais pensé vacances. »
7Mme Ormeaux se trouve dans la situation inverse : « Mon ex-belle-mère a été au service de gens, au départ. Alors même que moi, j’étais dans une famille où on avait du personnel… Alors ça faisait toute une différence. » Mme Gallet raconte sa découverte. « Ce qui m’a surprise, c’est que je tombais dans un milieu totalement différent du mien. Parce que moi, je suis d’un milieu bourgeois et lui, c’est d’un milieu d’agriculteurs. En plus, je n’étais jamais allée dans une ferme avant ! »
8La similitude des milieux se remarque aussi. Mme Rastier repense son arrivée chez ses affins. « C’était un peu les mêmes habitudes, les mêmes façons de faire que chez mes parents dans la mesure où c’était le même milieu finalement. Mes parents étaient dans l’agriculture, donc c’était quasiment le même milieu ».
9La question sociale n’attire pas l’indifférence. Les personnes se positionnent socialement par rapport aux beaux-parents, et ce dès les premières rencontres avec la belle-famille. Les écarts sociaux, lorsqu’ils sont accentués, font particulièrement l’objet de commentaires, en raison des difficultés qu’ils posent, notamment en termes d’intégration.
10Les décalages entre capitaux acquis du mari et de la femme renforcent ceux mis en évidence entre parents et beaux-parents. Lorsque le décalage social entre mari et femme se superpose au premier, entre parents et beaux-parents, la visibilité de l’écart redouble. Inversement, la conscience du décalage entre les deux couples de parents diminue lorsque les deux conjoints ont une situation sociale équivalente ou que le décalage s’inverse. Les effets des différences d’origines sociales tendent alors à s’estomper au fil du temps.
Des pressions convergentes
11Comment expliquer une telle sensibilité à la question ?
12Tout d’abord, chaque belle-fille a conscience des répercussions d’un éventuel décalage dans la mesure où le niveau social de ses beaux-parents détermine plus ou moins directement son propre niveau de vie (notamment par le biais des aides de parents aux enfants adultes) et son capital social. Ainsi Mme Guillen, alors même qu’elle n’est pas encore mariée, reçoit les présents somptueux de sa belle-mère, soucieuse d’équiper le futur ménage et en éprouve une certaine gêne. Parallèlement, elle se sent valorisée et a conscience du gain que représente son alliance. Mme Guillen est une jeune femme de vingt-sept ans qui s’apprête à faire un « excellent placement sur le marché matrimonial » (F. de Singly, 1987). Elle est secrétaire, fille d’un employé, et épousera dans quelques mois un futur ingénieur, lui-même fils d’un PDG d’une importante entreprise de sidérurgie. « J’ai été très flattée… (rire). De rentrer dans une telle famille. »
13Cette sensibilité aux décalages sociaux est également une conséquence des pressions parentales. Bien qu’ils s’en défendent en principe, les parents se sentent toujours concernés par la trajectoire matrimoniale de leur fille, et se positionnent explicitement. Mme Ormeaux s’est momentanément fâchée avec ses parents car ils refusaient son choix qui la (les) déclassait.
14Les parents se positionnent tout autant dans le cas d’une trajectoire ascendante trop marquée. Mme Julien, originaire d’un milieu ouvrier, a épousé le fils d’un pharmacien et d’une secrétaire de direction. « Mes parents ressentent énormément cela. Ils ne sont pas à l’aise du tout avec eux. » Mme Guillen constate que ses parents sont plus impressionnés qu’elle-même par la perspective de son mariage prestigieux. À travers la gêne qu’ils expriment, ils lui signifient leur conscience de leur infériorité et la renvoient à son milieu, à son identité. Elle les rend responsables de l’avoir fait douter d’elle-même. « Maman m’a dit que ce n’était pas un garçon pour moi, qu’il ne fallait pas que je me fasse d’illusions. Bref… Maman a toujours fait un complexe d’infériorité… qu’elle nous a un peu traduit (transmis) ». L’annonce de ses fiançailles n’a pas été accueillie de la même façon par ses parents et ses beaux-parents. Alors que ces derniers paraissent partager la joie du jeune couple, les premiers se montrent froids, presque rétifs, insensibles au protocole que Mme Guillen et son fiancé retiennent pour annoncer officiellement leurs fiançailles (costume et tailleur bleu marine, champagne…). « Alors [dans ma belle-famille], tout le monde est content : sa grand-mère s’est mise à pleurer ; tout le monde m’est tombé dans les bras… Enfin, bref, adorables. Et à la fin du weekend, on a annoncé la même chose à mes parents. et ça n’a pas été vraiment la même réaction. C’est-à-dire qu’on a fait la même chose, on est arrivé avec la bouteille de champagne. Mon père n’a absolument pas réagi. Ma mère a été contente mais c’est tout. Mes parents ne sont pas des gens expansifs du tout. Mais ça fait drôle… Je n’étais pas très contente d’ailleurs (rire). Et je n’ai pas pu m’empêcher de comparer, bien sûr. Et c’est très mauvais… (rire) ». À ce moment, Mme Guillen réalise qu’elle épouse quelqu’un contre le gré de ses parents. Une des difficultés du beau mariage réside dans l’organisation nouvelle des relations parents/enfants. Le beau mariage entraîne en effet un risque d’éloignement relationnel de la belle-fille à l’égard de ses parents, par le biais de l’éloignement social.
15Les parents restent les garants d’un ordre social comme le souligne M. Bozon à propos du choix du conjoint : « Il serait tout à fait faux d’interprêter la différence entre mariage contemporain et mariage ancien comme l’opposition du libre choix et du mariage imposé. Aujourd’hui comme hier, la formation des couples reste un chaînon majeur de la reproduction de la société » (M. Bozon, 1991, p. 22).
Deux portraits
Le « beau mariage » de Mme Guillen
16Par « beau mariage », on désigne le cas de figure où les beaux-parents appartiennent à un milieu social supérieur à celui d’origine de la belle-fille, où celle-ci réalise par son mariage une ascension sociale. C’est le cas de Mme Guillen, une jeune secrétaire de vingt-sept ans d’origine modeste qui s’apprête à épouser un futur ingénieur lui-même fils d’un PDG. À ce moment de son existence, Mme Guillen est encore extérieure, observatrice de sa situation, en plein travail de reconversion et de reconstruction identitaire. Elle oscille entre deux mondes : elle n’est plus tout à fait la simple employée qu’elle était ; elle ne peut pas encore jouer le jeu de la femme de haute classe qu’elle n’est pas encore. Cette situation de mutation explique ses contradictions, ses palinodies, une certaine fragilité et sa lucidité.
L’examen d’entrée
17Mme Guillen est une femme très investie dans ses relations avec sa belle-famille comme le montre sa bonne connaissance de l’histoire de chacun des membres, ses descriptions très précises et nombreuses, et l’importance qu’elle donne aux moindres détails de ses relations. Elle décrit une belle-famille « agréable », « chaleureuse », « adorable », mais oscille à son sujet entre enchantement et inquiétude. Sa sensibilité à l’ascension sociale que représente son mariage en est la cause. Ce mariage est très valorisant. « Je ne pense pas avoir été fortement impressionnée. Je crois qu’au contraire, j’ai été très flattée… (rire). De rentrer dans une telle famille. Oui, je crois que j’ai été très flattée d’avoir passé le cap, d’avoir franchi les tests… avec succès ! »
18Mais d’autres sont là pour lui en rappeler le prix à payer. Ses parents, on l’a vu dans le point précédent, n’ont pas encouragé leur fille dans le sens de ce mariage qui les impressionnait terriblement. Surtout, sa belle-mère contribue fortement à faire de son intégration un véritable parcours du combattant. Mme Guillen parle de « tests », de « cap » à franchir. « C’est vrai qu’au départ, on a quand même l’impression de passer un petit examen. »
19Sa belle-mère ne manque pas de lui rappeler son étiquette d’origine dès la première rencontre. « C’est très drôle parce que ces rencontres-là sont toujours ponctuées des mêmes questions. “Que fait votre père ?” (rire). Ah ! D’accord… On arrive à la question cruciale… » Sa belle-mère joue avec les distances, par exemple avec le tutoiement. « Mme Muller généralement me vouvoie. Et régulièrement, elle me tutoie. Elle dérape… ». Peut-être est-ce spontané, mais plus probablement calculé, car cette belle-mère semble jouer de son autorité et être l’examinatrice, la gardienne de ces hauts lieux. « Et puis Mme Muller, pendant deux ans, deux ans quand même ! C’était très ambigu, les relations. Quand on était loin, c’était très chaleureux. Quand j’arrivais, pour un séjour d’une semaine, c’était également très chaleureux, et puis après, mtt ! La mère reprenait le dessus… ». L’excès de sentiment maternel est une cause plus avouable que la différence de classes.
20Cette alternance d’attitudes contrastées plonge Mme Guillen dans la perplexité. « Mme Muller a vraiment des facettes différentes. Elle surprend. Certaines fois, sur le plan affectif, vous vous dites : mince ! Pourquoi elle a réagi comme ça ? Je ne comprends pas… Alors que dix minutes après, elle va redevenir adorable. Et c’est très destabilisant. »
21Les relations suivent des évolutions codifiées, organisées par sa belle-mère, comme le montrent les changements introduits dans les termes d’adresse. « Au début quand j’allais chez eux, c’était “Merci, Monsieur”, “Merci Madame”, “Oui, M. Muller”, “Bien sûr”… Maintenant, c’est un peu moins souvent, et à partir du moment où je serai mariée, ce sera effectivement “père” et “mère”. »
22À un moment donné, les rapports sont devenus tendus, « ambivalents ». « Il suffisait que je veuille faire quelque chose pour qu’elle me l’interdise aussitôt… Et c’était très autoritaire ; il ne fallait pas répliquer. Elle me donnait l’ordre de me coucher le soir. Enfin, des choses que je ne supporte pas. » Mme Guillen se souvient en particulier d’un séjour malheureux, un été, où, à cause d’amis de passage et d’une maladie subite, elle s’est « retrouvée complètement en second plan. » « Il y avait ces fameux gens qui éblouissaient tout le monde ; et les gens n’avaient d’yeux que pour eux. Ça a été très amer, ce moment-là. Le nombre de fois où l’on m’a fait des réflexions… J’ai d’ailleurs failli partir. »
23Mme Guillen souffre d’un traitement différencié. Le séjour s’est clos sur un conflit ouvert, alors que le jeune couple rentrait d’une promenade nocturne. « On est allé discuter sur le port et on est rentrés à une heure du matin. Eh bien, c’est vrai : elle était debout sur la terrasse, en attendant qu’on rentre, et on s’est fait disputer comme des collégiens. J’avais vingt-six ans quand même. Charles s’est disputé avec sa mère ; moi, je me suis couchée. Et je l’ai dit suffisamment fort pour qu’elle entende, que j’avais vingt-six ans, que ma mère ne me disputait plus depuis bien longtemps et que ce n’est pas elle qui allait commencer. Évidemment, ça a mis une certaine animosité. » « Et on est parti le lendemain sans qu’elle nous dise un mot. » Au silence, Mme Guillen a répliqué par le silence, ne donnant « aucun signe de vie pendant trois mois. » Telle fut sa menue vengeance.
Défaut de légitimité
24Les conflits portent très souvent sur la cuisine, territoire que Mme Guillen tente d’investir. Le moment de débarrasser la table est un véritable enjeu de lutte entre les deux femmes. « Un jour, je me suis levée de table pour débarrasser. Et alors la première chose qu’elle m’a dite, bien sûr, c’est : “arrêtez ça tout de suite !” J’ai dit : “vous savez, je suis quand même capable de le faire…” Elle m’a dit : “Ah ! Si vous êtes capable de le faire, alors, profitons-en !” Ça m’a fait un effet ! J’ai tout posé et je suis partie. J’ai été quasiment inexistante pendant tout le séjour. Alors, j’ai pleuré ! Ça a été dramatique. Il y a eu plusieurs épisodes comme ça. »
25Mme Guillen oscille entre une attitude de revendication – de sa place, de son bon droit, du bien-fondé de ses actes – comme le prouvent ces moments où elle réplique à sa belle-mère, et une attitude de gêne et de soumission. Son intégration n’est pas acquise. Plus que d’autres, elle doute de sa légitimité, trop consciente de la différence de milieux. « Au départ, c’est une relation anormale. C’est-à-dire que ce sont des gens qu’on n’aurait jamais dû probablement rencontrer. […] Ça va très loin. […] C’est un déchirement. » Ces termes sont assez forts et négatifs pour dire ses difficultés. Elle vit une sorte de « névrose de classe » (V. de Gaulejac, 1987). « Le seul problème c’est que nous ne sommes pas du même milieu social, et je crois que ça joue quand même un peu. Là, ça va un peu mieux, mais au départ, il y a eu des moments de malaise de ma part, me disant que mon père est un simple cadre alors que M. Muller est président et directeur général, il a quand même des postes relativement importants, il se balade dans le monde entier, il côtoie les ambassadeurs… Bref, un petit moment de malaise. Je me suis cherchée. » Mme Guillen, d’ailleurs, cultive le flou au sujet de la profession de son père. « Papa, je n’ai jamais connu sa profession exacte. Il travaille dans une société ; il est vaguement responsable de je ne sais quoi […] Je crois qu’il est chef d’équipe et je ne connais pas la définition exacte de son poste. » Cette imprécision contraste fort avec les détails qu’elle donne des fonctions et responsabilités de son beau-père. « Il est ingénieur. Il a fait sa carrière dans la sidérurgie. Et maintenant, il est directeur de l’E., branche de V., et il est directeur général de S., société de sidérurgie. » Mme Guillen à la fois construit ce décalage comme un obstacle, et le nie comme tel. « J’ai horreur de ça ! J’ai horreur de réagir par rapport au côté social des gens. Je trouve que ça gâche beaucoup de choses. Ça gâche beaucoup le côté spontané, le côté relationnel. Il y a tellement de gens qui passent à côté de relations qui auraient pu être enrichissantes simplement parce qu’ils partent du principe que ce n’est pas du tout le même milieu. »
26Face au malaise qu’elle ressent, elle lutte et fuit alternativement. Sa gêne extrême se traduit par la maladie (ses évanouissements et des maux de ventre terribles) et la posture humble de belle-fille serviable et soumise dans laquelle elle se précipite parfois. « Il a été un moment où chaque fois que j’allais chez eux, j’étais malade. » « C’est-à-dire que je sortais de table sans rien dire parce que je sentais que j’allais m’évanouir. »
27Elle fait de la cuisine son refuge et son territoire, marquant par là une attitude ostentatoire d’humilité révélatrice de son manque d’assurance. Lorsque, gênée, elle veut fuir un moment désagréable, c’est là qu’elle se précipite. En outre, l’importance que revêt pour elle le fait de pouvoir débarrasser la table, ranger, et d’avoir accès aux placards est surprenante. Mme Guillen considère la dernière entrevue avec ses beaux-parents sous cet angle. La dernière fois s’est bien passée, explique-t-elle. « J’ai pu aller à ma guise ; elle m’a laissé faire ce que je voulais. […] Pour moi, la référence c’est le déjeuner. C’est un moment important dans une famille. Et là, elle m’a laissé faire ce que je voulais sans m’intimer l’ordre de m’asseoir. J’ai même eu le temps de mettre la vaisselle dans le lave-vaisselle sans que je reçoive quoi que ce soit comme réflexion. »
28Sa belle-mère, en même temps qu’elle lui rappelle le décalage social qui les sépare, lui demande d’assumer son rôle de futur membre officiel de cette famille et est agacée devant cet acharnement de sa belle-fille à vouloir l’aider : elle ressent cela sans doute comme un empiétement de territoire et un non-respect des formes. Mme Guillen lui signifie son humilité, une humilité trop ostensible et qui met dans l’embarras la belle-mère – son jeu autoritaire serait-il trop efficace, excessif et visible ? Mais parallèlement, la belle-fille tente de s’emparer d’un territoire de la maison, signifiant par là sa ferme intention de s’intégrer à sa belle-famille. Toutes deux créent de la confusion dans les distances relationnelles.
Entrelacs des désirs d’intégration et d’autonomie
29Mme Guillen marque une volonté de distance et d’autonomie. Elle n’a de cesse de s’affirmer comme femme volontaire, combative et responsable. Elle manifeste sa volonté de faire respecter sa place, ses choix et se pose en « self-made woman ». Valorisant la portée de son travail (elle fait visiter son lieu de travail lors de la visite que lui ont rendue ses beaux-parents), organisant seule son mariage, refusant l’aide de ses parents.
30Simultanément, ses souhaits vont dans le sens d’une demande toujours plus grande de complicité, d’affection et de sentiments réciproques. « Qu’ils me vouvoient, ça me gêne… » « J’aurais voulu un peu plus de chaleur. » Elle est à l’affût des gestes de sa belle-mère, comme à la recherche des signes de son élection.
31Comme le cadre autodidacte (L. Boltanski, 1982), « croyant » et attaché à l’entreprise qui lui procure sécurité et à laquelle il s’identifie, la belle-fille en situation ascensionnelle est reconnaissante et dépendante de sa belle-famille. Mais comme tout autodidacte, Mme Guillen doute également de sa place, recherche des preuves de son identité nouvelle et des consécrations symboliques. Elle observe les moindres faits et gestes de sa belle-mère, pèse chacun de ses mots. « Ah oui, ça c’est une réflexion qui m’a marquée. » « Et j’ai trouvé que c’était marquant comme réflexion. » « Je ne peux pas, par moment, m’empêcher de m’embarrasser de questions, me disant : mon dieu ! Qu’est-ce que j’ai fait ? qu’est-ce que j’ai dit ? ». « En fait, je dois être la seule à le percevoir. » Elle ressent le besoin de prouver qui elle est et vit dans un état d’incertitude (« le test ») et de « double bind » (double contrainte), tel que l’entend G. Bateson (G. Bateson et alii, 1981). De sa belle-mère, elle subit en effet des ordres contradictoires : « faites comme chez vous »/« allez vous coucher »…
32Enfin, comme le cadre autodidacte, elle subit une socialisation tardive à un milieu supérieur à celui d’origine. Lorsqu’elle fréquente sa belle-famille, elle doit s’adapter à ce qui lui paraît être des mondanités. Plus que pour d’autres belles-filles, elle doit faire des efforts pour admettre ce qui lui apparaît d’abord comme des excentricités (par exemple le fait de nommer ses beaux-parents « père » et « mère ».) Pour s’insérer au groupe, pour que leurs manières lui deviennent « naturelles », il lui faut transformer ses goûts, oublier ses anciennes manières, incompatibles avec celles qui vont correspondre à sa nouvelle vie.
33Mais notre mémoire est-elle un palimpseste : peut-on réécrire dessus sans que transparaisse jamais en filigrane les souvenirs du passé ? Mme Guillen se sent en porte-à-faux vis-à-vis de ses parents. Ses liens avec eux deviennent plus faibles, dit-elle, à mesure qu’ils deviennent plus forts avec ses beaux-parents. « Mais d’ailleurs, ça me fait mal. » Elle n’assume pas cette dilution de ses relations filiales. Pourtant, compte tenu de son choix de vie différent, Mme Guillen doit faire son quotidien d’habitudes qui lui sont totalement étrangères. Elle est sur son quant-à-soi à chaque instant. Ses belles-sœurs et sa belle-mère, ses initiatrices, représentent les modèles de la femme qu’elle souhaite devenir.
34L’histoire de Mme Guillen est à la fois originale et exemplaire, singulière et typique. Toutes n’expriment pas autant leur ambivalence, leur sentiment d’osciller entre deux attitudes, mais son exemple permet de révéler des traits caractéristiques au « beau » mariage. Il est représentatif d’un mode de construction identitaire propre à la trajectoire matrimoniale ascendante. Reprenons les traits dominants : l’enchantement, à condition d’être sensible à son élévation sociale, mais une plus grande dépendance, des doutes d’ordre identitaire du fait d’une socialisation tardive à un nouveau milieu, l’impossibilité d’envisager le conflit.
La disgrâce de Mme Ormeaux
35L’histoire de Mme Ormeaux cumule plusieurs facteurs, parmi lesquels le décalage social joue un rôle considérable. Mme Ormeaux épouse un ami d’enfance peu doté, peu diplômé, qui n’a pour atout que son ambition dévorante. « Mon mari était un aventurier. C’était quelqu’un de téméraire et qui osait faire un tas de choses. » Il est originaire d’un milieu beaucoup plus modeste que le sien. Le père de Mme Ormeaux était enseignant, issu d’un milieu bourgeois ; son beau-père était chef de gare dans une petite ville. Sa belle-mère « a été au service de gens, au départ, alors même que moi j’étais dans une famille où on avait du personnel. »
Un mariage contestataire…
36Elle épouse cet homme contre le gré de ses parents, au lendemain de ses vingt-et-un ans, c’est-à-dire de sa majorité, dans un esprit de contestation envers son milieu et surtout en réaction à des relations filiales empreintes de dureté et conventionnelles. « Je me suis mariée en contrariant mes parents. Parce qu’on n’appartenait pas au même milieu… ». « Il a dû rencontrer mon père, ou il lui a écrit. Et ça s’est très mal passé. Mon père m’a convoquée et m’a dit : ça sera non ! Et tu attendras ta majorité. Alors j’ai dit : j’attendrai ma majorité, mais je ne cèderai pas… ». Elle culbute les bonnes manières, heurte et souhaite provoquer. « On était quatre. J’ai été la seule à avoir rué très vite par rapport à mon milieu, par rapport aux idées, aux principes. Il fallait que je bouge. »
37Ce mariage représente son combat, la lutte d’une jeunesse sans cesse contrariée par « l’autorité et la dictature » à laquelle elle se heurtait. Aussi, plus ses parents refusent, plus elle campe sur ses positions, fièrement, bravement. « Il n’y avait jamais de dialogue. Il n’y avait qu’un rapport de forces. » « J’étais sous la coupe d’un père qui était assez dictateur. » « J’appartenais à une famille où il y avait des interdits sur toute la ligne. »
… qui se solde par un échec
38Son mariage s’avère être un échec. Son mari, « maladivement jaloux », et « paranoïaque », manifeste rapidement des troubles de la personnalité et Mme Ormeaux, au bout de dix ans, demande le divorce. Rude épreuve et difficile décision : Mme Ormeaux ne reconnaît-elle pas ouvertement qu’elle avait fait fausse route ? Ne donne-t-elle raison a posteriori à ses parents ? De fait, elle reconnaît le bien-fondé de leurs réticences et interprète sans amertume son mariage comme une erreur. Mais elle n’excuse pas pour autant leur comportement d’autoritarisme qui a eu pour effet de la repousser dans ses retranchements, d’affermir sa position, par réaction, pour s’imposer face à eux. « Je pense que sous un certain angle, mon père avait raison (de s’opposer au mariage). Mais il a pris la manière forte et la mauvaise manière de me présenter les choses. » « Si je n’avais pas eu ce besoin de m’échapper de la cellule familiale, je n’aurais peut-être pas précipité les choses. »
Des beaux-parents décrits positivement…
39Mme Ormeaux décrit son beau-père comme quelqu’un de « gentil » mais « inexistant, effacé par sa femme ». C’est donc avec sa belle-mère surtout qu’elle échange. Celle-ci est décrite comme une personne autoritaire, calculatrice, mais « généreuse et attachante », « honnête », « très intelligente et d’avant-garde », et douée d’une « forte personnalité. » Mme Ormeaux dit la préférer à sa mère. Elle continue de lui rendre visite régulièrement, malgré le divorce déjà ancien et l’âge adulte de sa fille – celle-ci n’est donc plus un prétexte aux visites.
40Son mariage l’a coupée de ses parents. Mme Ormeaux se trouve sans aide de leur part. « On m’a fait un mariage avec quand même le tapis jusqu’au bas des trois marches de la cathédrale, avec les relations. Mais je n’ai pas eu de cadeaux, par contre. » « Je me suis vraiment mariée les mains dans les poches. Ça oui, j’ai démarré, c’était dur dur (financièrement)… Je m’en souviens encore ! Il fallait que je me débrouille. » Au contraire, ses beaux-parents « font le maximum ». « On a eu un chèque quand on s’est marié. » Ses beaux-parents continueront de donner aux deux époux tout ce qu’ils sont en mesure de leur donner. « J’ai été beaucoup plus gâtée par ma belle-mère que par ma mère. » Ils contrecarrent le handicap matériel de leur mieux. En outre, sa belle-mère a élevé sa fille lorsqu’elle était bébé, pendant dix-huit mois. « Nous passions le week-end chez eux. Pour des raisons matérielles et pour la petite aussi. C’était un arrangement pour faciliter les choses. Bon, ça arrivait que nous prenions notre fille pendant les vacances. Mais en fait, on était souvent chez eux. » Mme Ormeaux demande en effet des services à ses beaux-parents plutôt qu’à ses parents, les premiers se montrant généreux et disponibles. Pour toutes ses raisons, Mme Ormeaux est reconnaissante envers sa belle-mère. Même si elle l’a, un temps, tenue responsable en partie des troubles de son ex-mari, elle lui sait gré de s’être engagée et d’avoir assumé sa responsabilité.
41En effet, sa belle-mère fut son seul soutien, son unique recours lors de son divorce, compte tenu de ses relations distendues avec ses parents. « Elle a été témoin des agissements de son fils ». « Un jour, elle m’a soutenue totalement. » « Me conseillant de me séparer de son fils. » « Son fils, elle ne l’a pas revu pendant plus de dix ans. » Mme Ormeaux trouve à ce moment difficile de sa vie une alliée en sa belle-mère face à son conjoint.
42Malgré le divorce, les relations perdurent. « J’y suis reçue quand je veux. » « Lorsque ma fille s’est mariée, j’ai tenu essentiellement à ce qu’ils soient présents au mariage de leur petite-fille. » Mme Ormeaux favorise les relations entre sa belle-mère et sa fille. « J’ai emmené ma belle-mère chez ma fille, dans la région parisienne. On a passé un week-end ensemble et ça s’est parfaitement bien passé. »
… mais dont elle se distancie
43Mme Ormeaux, compte tenu des vicissitudes de sa vie, a eu besoin de ses beaux-parents et a eu recours à l’aide de sa belle-mère. Toutefois, ces événements, s’ils ont renforcé des liens, n’ont pas suffi à gommer le décalage initial entre la belle-fille et ses beaux-parents : un décalage social considérable, que Mme Ormeaux prend soin de noter et qu’elle semble cultiver. Elle réaffirme son appartenance bourgeoise. Son discours abonde en descriptions de son mode de vie d’alors. « On avait du personnel », « on avait une couturière attachée à la famille. » Elle raconte en détail les cérémonies religieuses familiales « à la cathédrale ». Elle se distingue de sa belle-mère. « Sans penser nullement à un mépris ; surtout pas, puisque je n’ai pas hésité à me marier avec son fils. Mais en fait il y avait quand même une différence sensible sur certains points. »
44Elle reçut de sa belle-mère une bague de grande valeur pour ses fiançailles. Elle prend soin de noter l’importance de ce don tout en adoptant une attitude d’ostentatoire détachement : ce don n’occasionne de sa part aucun mouvement de reconnaissance – elle s’en défend bien. « Je crois que c’était un bijou de quelqu’un de sa famille qui avait des moyens financiers supérieurs aux siens, donc elle n’a pas hésité à me la faire passer. Pour mes fiançailles. Elle l’a fait remonter pour l’occasion. C’est un panier ; c’est une jolie bague… ». Lorsque Mme Ormeaux raconte ce que représente cette bague à ses yeux, elle évacue volontairement la dimension affective, marquant ainsi sa volonté de distanciation. « C’était important parce que logiquement, par rapport à leurs moyens, compte tenu de leur milieu, je n’aurais pas pu espérer trouver… Ça correspondait à un bijou qui était tout à fait dans mes goûts et que je n’aurais pas pu imaginer chez eux. » Elle affiche à la fois un détachement affectif et sa familiarité avec le luxe. Ainsi revendique-t-elle une distance relationnelle.
« J’avais des relations que je n’ai pas cherché à accroître. Parce qu’on choisit un mari et on subit une belle-famille. Moi, ça a toujours été présent à mon esprit. C’était une famille que j’avais acceptée parce que c’était la famille de mon mari, mais avec toute la différence que ça pouvait comporter au point de vue éducation, état d’esprit. Par rapport à la différence qu’il y avait. Donc il n’y avait pas quelque chose qui m’attirait vraiment. Je m’en accommodais, c’était tout. »
Une dette durable
45Mme Ormeaux tient à réaffirmer qui elle est et entretient l’idée du décalage social et ses effets durables. Rendre présent l’écart social lui permet de conserver l’avantage sur sa belle-mère. En effet, Mme Ormeaux se pose surtout en créancière à l’égard de sa belle-mère et ce pour deux raisons. Elle a d’une part subi les excès et les lubies de son ex-mari, un « fils contrarié » et elle en tient sa belle-mère responsable pour une part. Surtout, elle est d’un milieu nettement supérieur et tient à le rappeler. Elle en tire une sorte d’aura, de victoire sur sa belle-mère, qui devient sa débitrice.
46Ses beaux-parents, de leur côté, semblent avoir intégré cette idée de dette à l’égard de leur belle-fille. Mme Ormeaux ne décrit-elle pas ses beaux-parents comme des gens loyaux, « réglos » ? La première rencontre officialisant l’entrée de la future belle-fille dans cette famille dit assez la gêne des beaux-parents. « Sans fausse modestie, ils avaient mis les petits plats dans les grands ! (rire). D’une façon extraordinaire ! Parce que sachant que c’était moi (rire) […] C’était bien gentil. » Dès le début, sa belle-mère la couvre de cadeaux et « gentillesses » diverses. « Ils ont essayé d’apporter le maximum », et ce dès le jour du mariage, où la belle-mère a « donné un chèque. » « J’ai eu beaucoup du côté de ma belle-mère ». Tout se passe comme si ses beaux-parents se sentaient tenus de lui donner les moyens d’assurer un niveau de vie correct à ses yeux. « Tout ce qu’ils pouvaient faire pour compenser leur façon d’être par rapport à la façon dont je vivais, moi. […] C’était essayer d’apporter le maximum. » Sa belle-mère tient visiblement à combler cet écart. En outre, elle prend le relais du mari défaillant qui a délaissé sa propre fille et pallie cette carence paternelle, se substitue à son fils absent. Mme Ormeaux évoque la situation de sa fille. « Sa grand-mère a toujours remplacé son père et lui a fait beaucoup de cadeaux. Elle lui en fait toujours. Elle lui donne tout ce qu’elle peut lui donner en fait. » « Ma belle-mère est très orgueilleuse et il y avait ce point d’amour-propre d’un fils qui ne sait pas prendre ses responsabilités et s’acquitter d’un devoir parental. »
47Mais cette dette avouée, consécutive au divorce et aux « oublis » du mari, n’a-t-elle pas pour fonction de dissimuler la dette sociale originelle, indicible en tant que telle dans notre société ? Les relations par alliance de Mme Ormeaux semblent empreintes d’un calcul sur le mode débit/crédit débouchant sur un accord tacite entre les deux femmes. Mais ce jeu doit être discret, la reconnaissance du décalage social devant rester implicite. « C’était toujours bien et dosé en même temps. Ça n’était pas grossier. » « Je n’aurais peut-être pas supporté des choses obséquieuses. Ça, j’aurais peut-être trouvé cela déplacé. » Jamais les problèmes familiaux qu’a causés son mariage n’ont été évoqués. « Elle a dû le deviner. Sachant qui ils étaient par rapport à l’autre famille […] C’était évident. Mais jamais elle ne m’en a fait part. Jamais. » « Elle a fait ce qu’il fallait. En plus, c’est une personne très orgueilleuse. Donc je ne pense pas qu’elle ait mis l’accent là-dessus. » Les défaillances du mari/fils ont permis paradoxalement aux deux femmes de trouver un terrain d’entente : détournant la question initiale du décalage social, elles la retraduisent en un problème plus relationnel.
Perception de la relation, mode de résolution des conflits et trajectoire matrimoniale
48La trajectoire matrimoniale a des effets sur la perception globale de la relation par alliance. Le degré d’aisance dans la relation et la façon d’envisager les tensions dépendent de ses atouts et de sa position sociale relative.
Le mariage à trajectoire ascendante
49Le mariage à trajectoire ascendante produit des effets très contrastés : les belles-filles sont aussi nombreuses à se dire satisfaites de leurs relations qu’à en évoquer les difficultés spécifiques. Les personnes dont le milieu d’origine est plus modeste que celui du mari décrivent plus rarement que les autres des relations « modérées ». Elles ont davantage de relations soit franchement positives, soit difficiles, comme si cette situation sociale spécifique avait tendance à produire des extrêmes. Elles sont soit plus enchantées, soit plus déçues que les autres.
L’enchantement
50F. de Singly, lorsqu’il étudie les conséquences du « beau » mariage, constate un « attachement à l’autre partenaire qui lui a procuré cette reconnaissance sociale » (F. de Singly, 1987 ; L. I. Pearlin, 1975) : cet attachement se retrouve-t-il dans les relations entre belles-filles et beaux-parents ? Le « beau » mariage produirait-il un certain enchantement de la relation par alliance, comme cela a été noté pour les relations conjugales ? Est-il pertinent de prolonger l’idée d’alchimie amoureuse de F. de Singly dans le domaine de la parenté par alliance ?
51De fait, nos résultats prolongent et nuancent à la fois l’hypothèse de l’enchantement de L. I. Pearlin et F. de Singly. On peut constater une sorte d’admiration et d’émerveillement dans les discours de certaines personnes ayant fait un mariage avantageux. Celui-ci produit un attachement pour les beaux-parents qui ont permis une ascension sociale. Ainsi, Mme Martinga éprouve beaucoup de reconnaissance envers ceux qui l’ont initiée aux joies de l’avoir et du standing. « Avant mon mariage, je vivais vraiment tristement. Je ne prenais pas goût à la vie comme je prends maintenant. C’est pour ça, moi, j’ai considéré ma belle-mère comme ma mère. » « C’est grâce à mes beaux-parents que j’ai connu ce bonheur-là ! Vraiment, je les aimerai toute ma vie, parce que vraiment… J’aurais eu un mari comme mes sœurs, je crois que… Peut-être à force de travailler, j’aurais eu ce bonheur-là, mais pas pareil. C’est pour ça, je suis très contente de mes beaux-parents. » Du fait de sa sensibilité à sa promotion sociale par le mariage, Mme Martinga embellit son mari mais tout autant ses beaux-parents. L’enchantement se prolonge explicitement dans ses relations affines. Elles sont quelques-unes à ressentir l’attrait de l’inconnu, du prestige et à décrire une reconnaissance qui perdure malgré le coût, les contrariétés éventuelles. La belle-famille participe de l’élection du conjoint.
52L’enchantement se traduit par un investissement très fort de la part de telles belles-filles dans leurs relations affines, mû par la nécessité d’un apprentissage de nouvelles règles de vie. La relation par alliance représente dans ce cas le support d’un apprentissage tardif (et parfois douloureux) des usages dans un milieu social supérieur. L’histoire de ces belles-filles est donc une histoire de socialisation et d’identification. Ces femmes sont investies dans leurs relations, qu’elles s’efforcent de rendre agréables et souhaitent souvent une forte proximité relationnelle avec leurs beaux-parents. Ce sont des croyantes en cette relation.
53L’enchantement des relations affines dépend toutefois de l’attention accordée à sa trajectoire. « Seules les personnes plus sensibles à la réussite sociale ont ce regard ravi. La relation entre type de mariage et satisfaction conjugale ne prend sens qu’en référence à l’attention que l’acteur social accorde à sa trajectoire ascendante (le status striving) » (F. de Singly, 1987, p. 157).
54Cette observation est transposable dans les relations par alliance. Mais l’hypothèse inverse ne vaut-elle pas également, à savoir que les femmes dans cette situation ont en général plus conscience que les autres de leur trajectoire (conséquence d’un jeu d’interactions et non plus point de départ), car tout est là pour leur rappeler leur parcours d’exception ; tous leur tendent le miroir qui les réduit à cette dimension : l’amélioration de leur statut.
Le coût du « beau mariage »
55La proportion de femmes estimant avoir des relations difficiles avec leur belle-famille reste forte au sein de cette catégorie de belles-filles. Celles qui ont fait un « beau » mariage et sont déçues de leur belle-famille en voient surtout le prix à payer. Elles évoquent des difficultés d’intégration, de positionnement identitaire et une gestion malaisée des conflits.
56Nombreuses sont celles qui ont ressenti un frein à leur intégration de la part des membres de leur belle-famille. Elles sentent leur place mal définie, susceptible à chaque instant d’être remise en cause, et se heurtent également à une forme de désintérêt ou de délaissement de la part de leurs affins : peu de questions, peu de conversation, elles n’aiguisent pas leur curiosité. « La première fois que je suis venue, souligne Mme Roseland, mon beau-père m’a regardée par dessus ses lunettes […] Je me suis demandée où je débarquais ! ». Connaissant ses beaux-parents depuis sept ans, Mme Jannic fait remarquer que ceux-ci ne connaissent d’elle, ni sa date d’anniversaire, ni le nom de son employeur. Ces difficultés d’intégration liées au décalage social prennent rarement une forme directe de rapports d’autorité. Le décalage social ne se dit pas tel quel.
57Ces belles-filles peuvent être en butte à des difficultés d’ordre identitaire. On l’a vu avec l’histoire de Mme Guillen. Ces femmes courent le risque d’être qualifiées d’opportunistes. Mais surtout leur accession à un nouveau statut les place dans une situation de double appartenance identitaire, sur la frange de deux mondes. Faut-il faire un choix entre son milieu d’origine et son milieu « d’accueil », entre ses parents et ses beaux-parents ? La synthèse est difficile entre deux milieux très différents. Réaliser un syncrétisme demande du temps et des alliés. Il faut concilier deux systèmes, deux « visions du mondes » dissemblables, insérés dans un jeu de rapports de forces. Le « beau » mariage peut être vécu durement comme une remise en cause.
58La façon de réguler les tensions est un bon indicateur de la marge de manœuvre dont disposent les femmes à trajectoire matrimoniale ascendante, mais cette marge est étroite. De fait, la soumission est fréquemment adoptée par ces femmes qui évitent d’affronter leurs beaux-parents, ne se sentant pas autorisées à la contestation. N’ayant pas d’atouts, elles ne peuvent faire valoir leurs droits. C’est pour cette raison que Mme Jeanne, pendant des années, n’a jamais critiqué ouvertement l’omniprésence de ses beaux-parents. « Je ne disais jamais rien à mes beaux-parents. Je n’ai jamais osé leur faire de remarques. » Mme Amand, qui s’est vu reprocher au départ sa faible « dot », ne contrarie jamais sa belle-mère. « Elle aime bien commander. C’est toujours elle qui a raison. Si bien que maintenant, je dis toujours : “oui oui oui” “non non non”… Comme elle veut, je veux bien. C’est la meilleure solution. Comme ça on a la paix et tout va dans l’ordre ! (rire) Ce n’est pas toujours évident. » En définitive, la soumission de ces femmes est le prix à payer du « beau » mariage, du fait de la situation de dépendance qu’il crée.
59Le coût du « beau » mariage peut se traduire enfin par un devoir de transparence vis-à-vis des beaux-parents. Devoir tout dire est la contrepartie des bénéfices acquis. La dette de Mme Martinga prend une forme extrême : « Ils ne voudraient pas entendre dire qu’on est à découvert ou qu’il y aurait quelque chose qu’on ne peut pas résoudre sans leur en parler, hein. Ah non ! Parce que là, on se ferait peut-être rouspéter. Là, il faudrait peut-être s’y attendre… ».
60« Maintenant, en agriculture, je commence à me débrouiller. Mais avant, les trois quarts des papiers, j’allais voir mon beau-père. Je donnais la feuille et on la remplissait ensemble. Même des fois, je ne vais pas les voir, je remplis ma déclaration toute seule. Il me dit : “Oh ! Ta déclaration, où elle en est ? – Oh, ça y est, elle est expédiée ! – Oh ! Tu n’es pas venue me voir ?” Oui… Comme pour dire : on aurait pu la remplir ensemble… ».
61Cette liste de contreparties ne ternit-elle pas le tableau enchanté décrit précédemment ? Les femmes « enchantées » ignorent-elles ce coût ?
62Paradoxalement, l’enchantement résulte quelquefois de la dépendance matérielle et financière. Du fait de leur dépendance, ces femmes sont obligées d’embellir une situation que de toutes façons elles ne peuvent pas changer-ou à un prix très coûteux. Ces femmes sont souvent plus dépendantes de leur structure conjugale que les autres. Parmi celles qui ont fait un beau mariage se trouve une forte proportion de femmes au foyer (F. de Singly, 1987, p. 157).
63Deux autres raisons expliquent que le décalage social ne pose pas toujours de problèmes relationnels.
- La satisfaction résulte d’un accord tacite entre les deux parties. La belle-fille de son côté accepte le prix à payer du « beau » mariage, compte tenu des bénéfices qu’elle en retire. D’autre part, les beaux-parents, s’ils optent pour une stratégie personnelle d’accroissement d’autorité, apprécient une belle-fille faiblement nantie. Privilégiant leur maîtrise du jeune couple, ils sont alors favorables au mariage de leur fils avec une personne moins bien « dotée ». Mme Martinga a intégré cette donnée. Après avoir décrit pendant deux heures une relation à ses yeux idéale avec sa belle-famille, elle nous fait finalement cet aveu, « Forcément, il y en a qui ne veulent pas s’abaisser ! Moi, quand je suis venue ici, je me suis bien dit qu’il faudrait que je plie devant ma belle-mère. D’abord, je suis plus jeune, et elle est plus expérimentée que moi. Et puis sinon, il n’y a pas une bonne ambiance… ». Mme Martinga, sensible aux gains apportés par son « beau » mariage, accepte avec facillité les contreparties et s’en remet totalement à sa belle-mère. Elle a apprécié les bénéfices économiques de son mariage, à tel point qu’elle en accepte les revers : sa dépendance et sa soumission à l’égard de ses beaux-parents. Ces derniers ont le contrôle total de la vie privée de leurs fils et belle-fille depuis le début.
- Par ailleurs, le « beau » mariage n’entraîne pas toujours cette liste d’inconvénients. Les beaux-parents n’attendent pas forcément de leur belle-fille un « capital1 ». Tout d’abord il semble que les attentes de ce type soient plus fréquentes et plus fortes envers un gendre qu’envers une belle-fille. Ensuite parce que d’autres paramètres que le capital social et économique interviennent dans les relations par alliance. (Cf. parties 3 et 4).
Le mariage à trajectoire descendante
64Dans ce cas de figure où les personnes ont des parents d’un milieu social supérieur à celui de leurs beaux-parents, la proportion d’insatisfaites est élevée. Ainsi ce schéma social entraînerait-il une tendance à la déception chez les belles-filles. Il a été dit plus haut que les personnes ont conscience des conséquences du niveau de vie de leurs beaux-parents sur le leur. En cas de trajectoire descendante, ils ne sont pas un apport à cet égard – éventuellement, ils peuvent même être une charge.
65Là aussi, le problème ne peut être formulé franchement. Les différences de « programme de vie » ou de culture sont le support des critiques. Les regrets de Mme Gallet vis-à-vis de ses beaux-parents sont exprimés en ces termes. Ceux-ci sont de modestes agriculteurs très âgés ; elle regrette de ne pouvoir parler avec eux d’opéra, de livres. « Ce sont de bons parents mais il y a ce problème qu’on ne peut pas avoir des relations très, très fécondes, quoi. » « Il n’y a jamais de discussion profonde. » « Il y a un décalage culturel. » Mme Gallet pourrait reprendre à son compte ce que Annie Ernaux, dans La place, dit de son mari en tant que gendre. « Comment un homme né dans une bourgeoisie à diplômes, constamment « ironique », aurait-il pu se plaire en compagnie de braves gens dont la gentillesse, reconnue de lui, ne compenserait jamais à ses yeux ce manque essentiel : une conversation spirituelle » (A. Ernaux, 1984). Pour Mme Gallet, ils représentent des gens qu’elle n’aurait jamais dû rencontrer. Son mari lui-même, un transfuge, conserve toute son affection mais assez peu de relations avec ses parents.
66Une plus grande aisance dans les relations caractérise ces femmes. Certaines donnent même l’impression de mener les relations – dans la mesure où elles s’accordent avec leur conjoint – imposant leur rythme de rencontres, leur emploi du temps, éventuellement leurs souhaits pour les termes d’adresse. C’est particulièrement le cas de Mme Gallet, qui, contrairement à ses belles-sœurs, vouvoie sa belle-mère, et s’en explique en ces termes. « En Bretagne, dans les campagnes, on tutoie, mais moi, je suis d’un milieu bourgeois où justement on vouvoie les gens qui sont plus âgés. » En outre, pour « ne pas se priver de réveillon avec des amis », elle demande à ses beaux-parents de faire les fêtes de Noël en janvier. Certaines témoignent même d’une volonté de marquer une distance, qui signifie peut-être la volonté de garder son rang. Elles ne souhaitent pas se mêler totalement à un milieu qu’elles refusent d’adopter. On l’a vu avec l’exemple de Mme Ormeaux.
67Le rapport au conflit diffère. Le désaccord est plus clairement exprimé, la concession, souvent refusée. Les beaux-parents n’impressionnent pas – ou pas autant que dans le cas précédent. Mme Tinsart, par exemple, n’hésite pas à susciter des conflits, y compris sur des thèmes mineurs : ainsi elle s’est affrontée avec rudesse à sa belle-mère pour un sapin de Noël, sapin dont la présence paraissait à cette dernière superflue et puérile, et nécessaire au contraire à Mme Tinsart qui avait deux enfants en bas âge à cette époque.
Les trajectoires stables
68Les personnes ayant fait un mariage stable socialement2 ont plus que d’autres des relations « modérées », c’est-à-dire plutôt bonnes et sans état d’âme. La similitude des milieux sociaux est communément construite comme critère d’entente entre affins, l’appartenance sociale déterminant les goûts, les modes de vie et les manières d’être en famille (P. Bourdieu, 1979). Mme Leprince apprécie la ressemblance de style de vie. « J’ai eu la chance aussi d’avoir le même style de vie entre mes parents, enfin ma famille et ma belle-famille. Ça compte aussi. Des fois, quand on n’a pas les mêmes habitudes, c’est plus difficile. Là, ce sont des gens qui ont un peu les mêmes habitudes que nous on pouvait avoir à la maison.
69– Par exemple ?
70– Façon de vivre, je ne sais pas… Vie de famille… Même style de vacances que l’on prenait, même façon de vivre chez soi. Pas des gens mondains qui sortent. Aimant bien rester chez soi, comme on l’était également à la maison. Sur le plan du goût aussi : l’intérieur de la maison. Un peu les mêmes objets, aimant bien les meubles anciens. Des petites choses… On se sent à l’aise. On sent une continuité et non pas qu’on arrive dans un autre monde. »
71Mme Leprince a le sentiment que les relations avec sa belle-famille s’enclenchent d’autant mieux que les deux milieux familiaux se ressemblent : ainsi, pas de décalage, pas de surprise et un minimum d’efforts d’adaptation… A. Girard le note aussi : « Plus les personnes interrogées ont contracté un mariage avec quelqu’un de proche d’elles à tous égards et plus elles considèrent qu’il est préférable dans un ménage que les époux appartiennent au même milieu, et plus elles estiment que doivent intervenir en vue d’un mariage des considérations de santé et de situation sociale » (A. Girard, p. 182).
72Les femmes dont les beaux-parents ressemblent socialement aux parents rencontrent moins de rapports d’autorité. L’équité sur un plan social procure une certaine aisance dans les relations. Par exemple, les désaccords sont assez facilement exprimés. À signaler que les relations « à plaisanterie » se retrouvent plus souvent dans ce cas de figure. La « parenté à plaisanterie » est un mode de régulation sociale d’une relation de parenté « à risque », pouvant être ambivalente (A. R. Radcliffe-Brown, 1968). Mme Rastier, dont les parents et beaux-parents sont de modestes agriculteurs, noue de telles relations avec son beau-père. « S’il m’envoie des vannes, moi, je lui réponds. » Le facteur social ne joue pas seul dans l’établissement de ce type de rapport, (on verra en 3e partie le rôle du conjoint) mais il intervient fortement.
Capitaux hérités et capitaux acquis
73Les capitaux hérités sont la dimension qui a été privilégiée dans ce chapitre. L’origine sociale – l’héritage – intervient de façon durable, quelle que soit la trajectoire. Cependant, il ne faut pas oublier le rôle du capital acquis, qui peut atténuer ou au contraire accentuer les effets de l’héritage. Les deux dimensions s’additionnent l’une à l’autre. Une belle-fille de milieu plus modeste que son conjoint mais dotée de diplômes peut faire valoir ses « capitaux » propres. Ne devant sa propre trajectoire ni à son mari ni à sa belle-famille, cette femme, souvent engagée professionnellement, revendique davantage sa place, ses droits, la reconnaissance de sa valeur. Il faut rappeler l’importance du capital acquis et de la logique du mérite dans notre société (A. Gotman, 1988b). De même, les effets du mariage ascendant se trouvent renforcés lorsqu’à leur héritage, les belles-filles n’additionnent qu’un petit « capital » personnel – notamment un faible bagage scolaire. L’écart entre elles et leurs beaux-parents se creuse. Dans tous les cas, avoir un capital propre autorise la contestation au sujet de ses relations par alliance, au moins dans son couple.
Conclusion
74Une analyse en termes de trajectoire sociale et matrimoniale est pertinente et heuristique. Nous avons montré à plusieurs reprises que, globalement, les relations par alliance sont dissymétriques, au détriment de la belle-fille. Cette caractéristique se trouve renforcée ou estompée voire inversée selon la trajectoire sociale – elle est renforcée dans le cas du « beau mariage ». L’assurance face aux beaux-parents naît de l’assurance que l’on a de sa valeur sociale.
75En particulier, le « beau » mariage est révélateur de la façon dont se gère la question sociale au sein des familles contemporaines. Dans notre société, les questions ayant trait à l’appartenance sociale sont indicibles dans le cadre des relations conjugales et familiales. Si Mme Guillen énonce clairement et d’emblée la source du problème – le décalage social – c’est pour mieux l’évacuer ensuite dans son discours-centré sur l’évolution des sentiments et la découverte de personnalités. « Ça reste quand même une famille très chaleureuse, beaucoup de tendresse et très, très famille. Ça c’est important. » Pour expliquer ses tensions avec sa belle-mère, Mme Guillen se réfère à des critères psychologiques. « La mère reprenait le dessus » ; « Ça tient à son caractère et à sa volonté de provoquer un peu. » Evoquer les questions relationnelles, permet d’évacuer le réel problème, d’ordre social en l’occurrence. En définitive l’image de la mère excessive et possessive est un bon alibi, une noble cause. Comme s’il était plus « propre » de parler de sentiments, même excessifs, que de moyens financiers et d’étiquette… Les décalages sont intériorisés, et déplacés sur un terrain affectif. Le contentieux social n’est pas de mise entre affins aujourd’hui mais il est retraduit en contentieux interpersonnel et subjectif.
Notes de bas de page
1 Quel est le sens de l’expression « valeur ajoutée » par laquelle certains beaux-parents désignent leur gendre ou belle-fille, en référence au « produit » que représente leur enfant ? Preuve que le raisonnement en terme de capital n’est pas si étranger aux relations familiales d’aujourd’hui…
2 Voir en annexe la répartition des différents types de trajectoire matrimoniale.
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