Chapitre VI. Les femmes marginalisées ?
Économie marchande et changement de souveraineté en question
p. 193-232
Texte intégral
1Entre la fin du mois d’août et le 8 septembre 1664, la rivalité opposant l’Angleterre aux Provinces-Unies depuis les Actes de navigation de 1651 trouve le chemin de Manhattan. Des frégates parties d’Angleterre s’associent à des renforts de la baie du Massachusetts et se préparent à assaillir la Nouvelle-Néerlande quand les citoyens de La Nouvelle-Amsterdam, après consultation des articles de capitulation proposés par l’état-major anglais, font la demande à Petrus Stuyvesant de se rendre et de céder la colonie au duc d’York. Avec le changement de souveraineté, l’évolution du droit conduit à l’imposition graduelle de la common law britannique, expression d’un système de genre patriarcal. Ses provisions à l’endroit des femmes ont fait l’objet d’une abondante littérature insistant sur la marginalisation des femmes européennes par rapport au droit hollandais1. À partir de 1685, la colonie passe du statut de colonie à propriétaire à celui de colonie royale, impliquant une uniformisation du droit anglais sur l’ensemble du territoire colonial – refaçonné pendant le dernier tiers du xviie siècle, au gré de subdivisions territoriales. L’imposition de la coverture, régime légal qui définit le statut des femmes mariées, est accompagnée de restrictions pour celles-ci dans le domaine économique. Leur participation aux échanges marchands de la colonie aurait diminué de façon très significative dès la fin du xviie siècle. Comment donc caractériser cette marginalisation, perceptible avant tout par les archives judiciaires ?
2L’historiographie a, d’une part, analysé l’influence persistante du legs néerlandais et les difficultés posées par un changement en droit qui aurait conduit au retrait forcé des femmes des affaires marchandes, d’autre part, le caractère restrictif du droit anglais à mesure que celui-ci est formalisé dans les colonies. À l’échelle atlantique, les travaux sur le xviiie siècle ont insisté sur les dynamiques de genre au cœur de l’économie marchande au cours de la révolution consumériste que connaît alors le monde colonial. Dès 1996, Jeanne Boydston soulignait la façon dont l’histoire du capitalisme n’avait pris en compte les femmes et le genre qu’à l’aune « des prescriptions et de l’idéologie2 », au détriment des pratiques sociales du quotidien, dont l’examen nuancerait le constat de mise à l’écart. C’est sur ce biais que nous entendons revenir à propos de la transition du droit hollandais au droit anglais. Le développement d’une nouvelle histoire du capitalisme entend leur redonner une pleine place : pour les terrains coloniaux, cela passe notamment par l’étude des pratiques judiciaires et par une attention portée à la diversité de leur participation à l’économie marchande, quand bien même cette participation serait invisibilisée3. Outre ces pratiques, la recherche a également, comme pour la période précédente, mis en avant la place des femmes au cœur de réseaux de confiance, fruit d’un fonctionnement collaboratif entre époux, familles, voisins, réseaux de connaissances, reposant également sur leur expertise d’un terrain et d’un marché. S’intéressant aux communautés de Charleston et de Providence, Ellen Hartigan O’Connor montre que le fonctionnement des échanges marchands ne s’appuie pas que sur les provisions du droit, mais suit également des logiques collaboratives bâties sur les interconnaissances et le crédit ; Sara Damiano, quant à elle, met en lumière la façon dont, dans les ports de Boston et de Newport en Nouvelle-Angleterre, l’économie repose largement sur l’implication des femmes dans la gestion des finances et des litiges marchands devant magistrats, soulignant ainsi la mixité réseaux coloniaux de crédit entre 1730 et 17764. Cette approche permet de réévaluer, dès le premier xviiie siècle, le postulat traditionnel selon lequel la moindre présence des femmes dans les archives judiciaires à New York témoigne de leur marginalisation dans les échanges économiques. Outre l’économie portuaire, le rôle des femmes comme actrices intermédiaires invite à nouveau à envisager l’enjeu intersectionnel des pratiques marchandes dans les colonies. Il en ressort que la réflexion sur les pratiques judiciaires n’épuise pas notre compréhension du rôle des femmes dans les échanges, tant certains de ces échanges échappent à la justice.
3Le genre structure le fonctionnement de l’économie marchande qui se développe à New York dès la fin du xviie siècle, dans la continuité de la période précédente. Nous appuyons notre analyse sur les deux principaux pôles économiques de la colonie : New York, principal centre urbain et port de commerce ; et Albany, interface entre, d’une part, la rivière Hudson et son débouché sur l’Atlantique et, d’autre part, la Nouvelle-France et le pays haudenosaunee, épicentre de la traite des pelleteries – laquelle accuse un net déclin à partir de la fin du xviie siècle. Pendant la période néerlandaise, le jeu entre droit et pratiques faisait des femmes mariées des actrices fondamentales de l’économie coloniale, quoi qu’elles ne fussent pas sur un pied d’égalité avec les hommes. Ce rapport de domination permettait le maintien de commerces informels ou à la limite du légal en préservant, entre autres, la réputation des chefs de feu. Pendant la période de transition entre les souverainetés néerlandaise et britannique – de la fin du xviie siècle aux premières années du xviiie siècle –, des dynamiques de genre continuent de structurer les négociations quotidiennes des échanges marchands ou sociaux, et permettent de mettre en relation des acteurs d’origines variées. Une attention portée à l’évolution du droit au cours de cette période de transition témoigne, outre les dispositions différentes d’un système à l’autre, de l’usage fait par les habitants, hommes comme femmes, des institutions judiciaires. Si les modalités de cet usage affectent notre compréhension de la participation des femmes aux activités marchandes de la colonie, la prise en compte d’une souplesse des provisions du droit s’avère nécessaire. La participation des femmes aux échanges doit ainsi être examinée à la lumière de pratiques sociales mêlant transactions formelles et informelles, et reposant sur des réseaux de sociabilité échappant souvent à une quantification précise par les sources judiciaires.
Les femmes, le droit et le tribunal : un moindre recours à la justice coloniale
4Au cours des années qui suivent le changement de souveraineté, les autorités anglaises se montrent accommodantes avec la population de Nouvelle-Néerlande. Le droit anglais n’est appliqué que progressivement sur le territoire colonial. Pendant les dernières décennies du xviie siècle, cette application varie de part et d’autre de la colonie, construisant des espaces « bigarrés5 » du point de vue du droit, où les pratiques culturelles et légales hollandaises peuvent coexister, voire se greffer, sur les nouvelles provisions du droit imposées par les Anglais. Lauren Benton évoque notamment l’idée d’un pluralisme légal inhérent à la situation coloniale, effet d’adaptation entre le système légal imposé par les colonisateurs et le maintien de pratiques culturelles d’un peuple autochtone ; on peut y ajouter le feuilletage supplémentaire d’une succession de puissances coloniales et de systèmes légaux, dans le cadre d’un changement de souveraineté. Le rapport au droit varie énormément d’une configuration coloniale à l’autre, ce qui est avéré à New York, province marquée par des agencements de population et un rapport au droit très variables de part et d’autre de la colonie. La prise en compte de ces variations permet de comprendre la façon dont les populations de chaque part du territoire colonial font usage du droit et de ses transformations au cours de cette période de changement de souveraineté. En termes de genre, les prérogatives économiques dévolues aux femmes mariées en sont affectées, marquées désormais par les contraintes liées à la coverture, mais aussi – et peut-être surtout – par les transformations du système judiciaire et des pratiques qui y sont associées.
Du pragmatisme à l’uniformisation de la common law
5Avec le changement de souveraineté, le droit en vigueur dans la colonie connaît des modifications graduelles visant à l’imposition du droit anglais. Dans un premier temps, le nouveau pouvoir se montre pragmatique et ce n’est qu’au tournant du xviiie siècle qu’une volonté d’uniformisation de l’Amérique anglaise résulte en une réelle généralisation du droit anglais sur l’ensemble du territoire colonial.
6Les Articles de capitulation, qui établissent les termes de la reddition néerlandaise, spécifient ainsi que les habitants de la colonie peuvent conserver la plupart des prérogatives dont ils jouissaient sous la souveraineté néerlandaise, voire jouir d’un certain nombre de libertés nouvelles, au premier chef desquelles la liberté de culte, garantie par l’article 8. Plus significatif en termes de rapports de genre, les provisions légales concernant les pratiques de succession sont explicitement maintenues :
« 11. Les Hollandais d’ici jouiront de leurs propres coutumes concernant leurs héritages.
12. Tous les écrits et registres publics concernant les héritages de qui que ce soit, ou les règlements de l’église, des pauvres, des orphelins, resteront aux mains de ceux qui les ont en charge et les écrits concernant directement les États Généraux pourront, à tout moment, leur être envoyés6. »
7Ces provisions sont révélatrices du pragmatisme du nouveau pouvoir lors du changement de souveraineté : alors que le droit anglais est centré sur la primogéniture masculine, le droit hollandais est en effet équitable vis-à-vis des héritiers masculins et féminins, une différence au cœur de plusieurs conflits de succession dans la colonie dans les décennies qui suivent7.
8Par la suite, les lois du duc constituent l’appareil juridique en vigueur dans le Yorkshire dès 1665 – comté composé de Manhattan, Staten Island, Long Island et Westchester. Elles ne sont vraiment appliquées dans l’ensemble de la colonie qu’après 1674. Avant cette date, et plusieurs années après, dans d’autres zones du territoire colonial, c’est avant tout cette même attitude pragmatique qui caractérise les gouverneurs coloniaux et leur administration, se traduisant par un maintien plus ou moins tacite des lois et des pratiques néerlandaises. Le pragmatisme des premiers gouverneurs transparaît également dans la résolution de certains litiges, alors que ces nouveaux dirigeants s’alignent sur les décisions prises par le gouvernement néerlandais. C’est le cas, notamment, pour le règlement de certaines dettes, dont la monnaie avait été définie par le gouvernement de Stuyvesant, et pour lesquelles aussi bien Nicolls que Lovelace s’alignent pleinement, comme en témoigne ce règlement :
« Alors que, d’après les registres de la Compagnie des Indes Occidentales à Amsterdam en Hollande, feu Pieter Monfoort reste endetté à hauteur de trois cents quatre-vingt-six florins et 4 stivers, et alors que son beau-fils, Willem Gerritsz a offert de payer ladite dette en bétail, calculé sur sa valeur en sewant, ce qui semble avoir été autorisé (à ses dires) par le précédent gouvernement à sa belle-mère, la veuve de Pieter Monfoort ; ceci fut pris en considération, ainsi que le fait que beaucoup d’autres dettes de ce type ont été reçues par le précédent gouvernement hollandais, ainsi que par mon prédécesseur, le colonel Nicolls, et j’ai par conséquent consenti à ce que ledit Willem Gerritsz puisse payer en bétail à la valeur du sewant8. »
9Du reste, le statut des femmes mariées n’est pas rappelé dans les lois du duc et reste implicite, permettant ainsi un maintien tacite des pratiques en vigueur dans la colonie néerlandaise9. Les provisions légales en vigueur dans la colonie n’évoluent vraiment qu’après 1674, et plus encore à partir des années 1680. L’article 23 de la charte de libertés de 1683 instaure ainsi le régime de coverture pour les femmes mariées et l’article 25 leur restreint l’accès à la propriété. À partir de l’act of assembly de 1684, une femme ne peut plus acheter de terre ou conduire d’affaire en son nom propre. En 1685, New York passe du statut de colonie à propriétaire à celui de colonie royale, alors que le duc d’York devient roi d’Angleterre. Ce changement de statut va de pair avec une mise en application de la common law à la place des lois du duc. Néanmoins, une certaine confusion quant à l’appareil législatif prévalant sur le territoire colonial transparaît à plusieurs reprises, pour les colons comme pour les administrateurs. Dans un arrêt de 1687, le gouverneur Dongan réaffirme que « les lois en vigueur sont les lois nommées lois de Son Altesse Royale et les décrets de l’assemblée générale10 ». Cet arrêt fait écho à la tentative par Dongan de mettre en place un corps législatif colonial, avec la charte de libertés de 1683, tentative qui tombe sous le coup d’un veto royal de Jacques II quelques mois plus tard. Quelques années encore après, à l’issue des bouleversements de la rébellion de Leisler en 1689-1691, le même sentiment prévaut toujours :
« D’après des renseignements rapportés à la Chambre par plusieurs de ses membres, déclarant : Que les plusieurs lois précédemment établies par l’Assemblée Générale et sa précédente altesse royale, Jacques, duc d’York,
Également, que les plusieurs ordonnances ou lois considérées telles établies par les précédents gouverneurs et leur conseil, pour régner sur les sujets de Sa Majesté dans cette province, sont déclarés toujours en vigueur. Il a donc été résolu, nemine contradicente, que toutes les lois consenties par l’assemblée générale sous le règne de Jacques, duc d’York, et les libertés et privilèges accordés au peuple, et déclarés comme étant leurs droits, qui ne seraient ni observés, ni ratifiés ou approuvés par son Altesse Royale ou par le précédent roi sont nuls et non avenus. Également les plusieurs ordonnances promulguées par les précédents gouverneurs et leur conseil qui seraient contraires à la constitution d’Angleterre et à la pratique du gouvernement de leurs Majestés, sont semblablement nulles, non avenues et sans incidence dans cette province11. »
10Cette évolution va de pair avec une plus ferme mainmise de la couronne sur ses territoires coloniaux d’Amérique du Nord, dans un processus d’anglicisation de ceux-ci – soit une forme d’uniformisation, suivant un modèle anglais, des institutions mais aussi des rapports sociaux12. À partir de mai 1688, New York est incluse, avec le New Jersey, dans le dominion de Nouvelle-Angleterre créé deux ans plus tôt par Jacques II et placé sous le contrôle d’un ancien gouverneur de New York, Edmund Andros ; en raison de son éloignement de Boston, la colonie est confiée à un gouverneur adjoint, Francis Nicholson. Cette inclusion signale la volonté d’alignement des anciens territoires néerlandais sur la règle anglaise. Le dominion englobe en outre les colonies de la Baie du Massachusetts, du New Hampshire, du Connecticut, de Plymouth et du Rhode Island. La plupart reçoivent mal cette évolution, vouée à effacer les traditions propres à chaque colonie, et le dominion est dissout après la Révolution de 1688. Après cela, la common law est appliquée sur l’ensemble du territoire colonial new-yorkais. L’historiographie insiste sur les effets de cette imposition graduelle du droit commun anglais sur les rapports sociaux. Plus particulièrement, la mise en place du régime de coverture pour les femmes mariées qui l’accompagne est vue comme à l’origine d’une transformation en profondeur du rôle des femmes dans la société coloniale, et donc des rapports de genre.
11L’évolution du droit et de son application sur le territoire colonial est ainsi soumise à un certain nombre de variations dans les décennies qui suivent le changement de souveraineté. Les prérogatives économiques des femmes mariées, héritées des provisions du droit hollandais, sont, en fonction de cela, graduellement réévaluées et limitées, à mesure que la coverture devient la règle.
12Les provisions de ce statut sont explicitées dans les Lawes Resolutions of Womens Rights, un ouvrage anonyme de 1632 visant à faire le point sur les provisions légales concernant les femmes au cours de leur vie et leurs variations, selon qu’elles sont célibataires, mariées ou veuves13. Légalement, femmes célibataires (feme sole) et veuves jouissent quasiment des mêmes prérogatives que les hommes et peuvent posséder des biens en propre, hériter, établir des contrats, et poursuivre ou être poursuivies en justice. Les veuves ont la possibilité de reprendre le commerce de leurs époux, voire d’en rejoindre la corporation ; les femmes célibataires sont en revanche soumises à l’obéissance due à leur père ou à leur maître. Pour les femmes mariées (feme covert), la situation est plus contrainte, dans la mesure où un couple marié est considéré comme une seule et indivisible personne, à savoir le mari, sous la « protection » et la « prééminence » duquel l’épouse est placée. En conséquence, concernant l’accès à la propriété, une femme « couverte » par le mariage perd tout contrôle sur ses biens, puisque « ce qui appartient à la femme est au mari », qu’il s’agisse des biens qu’elle apporte avec elle dans le mariage ou de ce qu’elle reçoit pendant la durée du mariage ; à sa mort, il revient aux exécuteurs testamentaires de gérer ces biens, y compris ceux introduits par l’épouse dans la communauté de biens. Ces provisions concernent les biens meubles. Il est cependant précisé qu’un époux, même s’il n’y est pas formellement contraint par le droit, peut établir une « jointure » avec son épouse. Cet aménagement prend la forme d’annuités sur les terres introduites par l’épouse dans le mariage. À New York, le gouvernement colonial renforce la protection des biens fonciers d’une femme mariée en imposant, en outre, un examen « secret » de celle-ci lors de toute transaction foncière afin de prévenir contre toute action abusive de son époux14. Enfin, une femme mariée ne peut établir de contrat. La communauté de biens est ainsi définie par la common law en termes de domination du mari et de soumission et de renoncement de son épouse à la propriété15.
13Deux changements en droit majeurs affectent ainsi les femmes : la façon dont la coverture restreint, a priori, cet accès à la propriété ainsi que leur participation autonome à des activités de commerce, et la façon dont les pratiques successorales sont gagnées par la primogéniture masculine.
14À partir de la fin des années 1970, une première historiographie insiste ainsi sur les prérogatives économiques des femmes dans la vie marchande de La Nouvelle-Amsterdam et sur la façon dont, en retour, le changement de souveraineté a restreint ces prérogatives. La coverture aurait été synonyme de marginalisation des femmes des affaires, du fait des transformations de leur accès à la propriété et à la succession de leur époux, avec pour postulat de départ un rôle déterminant du droit pour comprendre la capacité des femmes à participer au commerce, et un renvoi dos à dos du droit romain hollandais et droit commun anglais16, entretenant un certain exceptionnalisme hollandais qui ferait la spécificité de la colonie. Cette hypothèse implique, outre les différences marquées entre le droit anglais et le droit hollandais, que ce changement en droit soit à même de transformer radicalement l’expérience des femmes de la colonie. Ce qui est à nuancer.
15De fait, historiennes et historiens ont longtemps débattu quant à l’étendue de l’autonomie ou non des femmes anglaises, y compris dans une approche comparatiste avec les femmes des Provinces-Unies. Anne Laurence a souligné que l’expérience vécue des femmes anglaises ne diffère que peu de celle des femmes hollandaises, car outre le droit, la configuration urbaine, portuaire et marchande informait leur présence dans les échanges17. En dépit de provisions légales différentes aux Provinces-Unies et en Angleterre, dans des milieux urbains et marchands tels que Londres ou Amsterdam, les architectures sociales étaient finalement comparables et permettaient aux femmes d’avoir une marge de manœuvre tout aussi comparable. Les milieux urbains marchands anglais offraient également des aménagements pour les femmes mariées dont les époux étaient absents, comme le statut de feme sole merchant, accordé aux femmes mariées entretenant un commerce, un aménagement, non pas lié à l’absence prolongée d’un époux, mais « voué à protéger la propriété des hommes eux-mêmes investis dans un autre commerce ». Reste que, pour Mary Prior, ces aménagements n’étaient que très exceptionnels dans l’Angleterre du xviie siècle18. S’il n’y a pas de trace explicite de l’existence de feme sole merchants à New York pendant la période coloniale, cette mise en perspective invite à nuancer l’opposition traditionnellement faite entre les situations anglaise et néerlandaise : la différence principale serait que les Provinces-Unies ont un taux d’urbanisation bien plus important que l’Angleterre au xviie siècle, déformant sans doute la perception d’ensemble de l’expérience des femmes19. Ce débat rappelle à quel point il est nécessaire de prendre en compte le statut social, l’occupation et les circonstances spécifiques à chaque terrain. Du reste, le commentaire le plus connu du droit anglais est celui de William Blackstone, qui sert en général de référence explicative à ces provisions du droit commun. Abondamment mobilisé par l’historiographie, il s’agit là d’un commentaire postérieur à notre période et à la mise en application du droit anglais à New York (la première édition américaine remonte à 1771), révélant un discours politique peut être anachronique ou biaisé par rapport à la situation new-yorkaise des décennies qui suivent le changement de souveraineté20. Il est donc nécessaire de revenir au contexte et d’articuler les provisions du droit à des conditions sociales spécifiques pour comprendre les rôles attribués aux femmes.
16Du point de vue du droit, la coverture, en effet, modifie indéniablement certaines des prérogatives économiques des femmes mariées et conduit notamment à la disparition du statut particulier d’openbare koopvrouw. Il faut y ajouter que le changement de souveraineté altère une pratique successorale où les enfants passaient après le conjoint survivant dans l’ordre de succession, une disposition qui conférait aux veuves un pouvoir économique certain. Reste que, dans la pratique, cette évolution est également soumise à l’interprétation et à l’usage fait par les colons des provisions du droit.
Les femmes et l’évolution du droit : une moindre judiciarisation des échanges ?
17L’étude des archives judiciaires donne à voir, dans un premier temps, une baisse significative de la participation des femmes aux activités de commerce. La moindre présence des femmes en justice pour affaires économiques opère comme un indice du retrait de celles-ci des affaires marchandes de la colonie. Dans la décennie qui suit le changement de souveraineté, le nombre de femmes participant aux activités commerciales à New York ne représente plus que 32 % de ce qu’il était entre 1654 et 1664, passant ainsi de 134 pour cette décennie à 43 dans les dix années suivant le changement de souveraineté. Semblablement, à Albany, le nombre de femmes participant au commerce est de 46 pendant la période néerlandaise et passerait à une dizaine après le changement de souveraineté. Après 1695, on ne compte plus de femme active dans le commerce dans les archives judiciaires d’Albany21. Ces données sont établies à partir de la présence des femmes à la cour pour régler des litiges marchands, que ce soit en leur nom propre ou au nom de la communauté de biens. Avec le changement de souveraineté, l’évolution à la baisse de cette participation témoignerait d’une marginalisation de celles-ci dans les échanges.
18En reprenant les archives judiciaires des deux principaux foyers de peuplement de la colonie, La Nouvelle-Amsterdam/New York entre 1653 et 1675 d’une part, la région de Beverwijck/Albany entre 1652 et 1685 d’autre part, les données collectées invitent cependant à nuancer ce constat22. Il est vrai que l’irrégularité dans la fréquentation des tribunaux par des femmes est patente. Cette irrégularité est largement imputable aux aléas institutionnels et politiques que connaît la ville au cours de la période – indépendamment des lacunes archivistiques, notamment pour les années 1657 puis 1672-1673 à New York. Ces éléments pris en compte, nous pouvons observer, dans un premier temps, un accroissement de la présence des femmes en justice à La Nouvelle-Amsterdam jusqu’à la fin de la période néerlandaise, et une tendance générale à une baisse après 1664, année du changement de souveraineté (graphique 3). Cette observation donnerait à penser que, quelques mois à peine après la prise en main de la colonie par les Anglais, en dépit d’articles de capitulation accommodants, et en dépit du pragmatisme des premiers administrateurs anglais vis-à-vis des pratiques sociales des colons, les femmes verraient leur accès, soit aux échanges marchands, soit aux institutions judiciairies de la colonie, entravé.
Graphique 3. – Présence des femmes en justice à La Nouvelle-Amsterdam puis New York.

Source : RNA, vol. 1-6 et Minutes of the Mayor’s Court of New York, 1674-1675. NB : données partielles pour 1657 (mois de janvier seulement), 1658 et 1659, 1672 et 1673.
19Néanmoins, en comparant ces données avec la comparution des femmes en justice pour d’autres motifs – affaires de mœurs, crimes et délits encore pris en charge par la cour municipale pendant la période concernée, la recension ci-dessus fait avant tout ressortir une évolution dans le recours au système judiciaire par les femmes.
20Au cours de la période néerlandaise, le nombre d’affaires impliquant des femmes a augmenté au rythme de croissance de la population coloniale ; la judiciarisation des femmes pour affaires économiques ou marchandes23 suit à peu près le même rythme de croissance avec malgré tout un ralentissement dès la fin des années 1650. Après le changement de souveraineté, la baisse de fréquentation des institutions judiciaires pour litige marchands suit, d’une manière générale, le rythme des irrégularités dans la comparution des femmes en justice. En d’autres termes, les comparutions pour motif économique et marchand ne semblent pas plus affectées que les comparutions pour d’autres motifs.
21Les archives pour la décennie 1664-1675 reflètent le pragmatisme des autorités anglaises, conjugué à un maintien de l’architecture sociale de la décennie précédente et des pratiques qui y étaient associées. Dans un souci d’appliquer les lois du duc, et ce dès 1665, la cour municipale de bourgmestres et d’échevins de La Nouvelle-Amsterdam est dissoute au profit de la mise en place d’une cour municipale (ou Mayor’s Court), inaugurée le 15 juin 166524 ; les magistrats qui y siègent sont largement dans la continuité l’institution qu’elle remplace. Le premier maire de New York, John Willett, est un Anglais, mais Allard Anthony, l’ancien schout/bailli, est reconduit comme shérif, et on compte Oloff Stevensen Van Cortlandt parmi les aldermen, alors qu’il était un des anciens bourgmestres de la ville25. En dépit de ces continuités, le nombre de cas où comparaissent les femmes est nettement en baisse. La prise en compte du nombre total d’affaires judiciaires chaque année permet de voir que cette baisse suit, dans un premier temps, une tendance générale de la population new-yorkaise. Pour les années précédant le changement de souveraineté, on relève, dans les archives de La Nouvelle-Amsterdam, environ 600 minutes judiciaires par an, ce chiffre chute brutalement après 1664 à environ 266 minutes par an pour les années 1664-1666 puis 125 par an pour les années 1666-1673 avant de remonter au cours des années 1673-1675 (tableau 7).
Tableau 7. – Évolution de la judiciarisation à La Nouvelle-Amsterdam, devenue New York (1656-1675).
Total (approx.) | Nombre moyen de cas par an | Nombre de cas impliquant des femmes par an | |
1656-1658 * | 699 | 300 | 56,5 (18,8 %) |
1658-1661 | 1 400 | 350 | 67,25 (19,2 %) |
1662-1663 | 1 200 | 600 | 88 (14,7 %) |
1664-1666 | 800 | 266,66 | 42,3 (15,9 %) |
1666-1673 | 1 000 | 125 | 26 (20,8 %) |
1673-1674 | 388 | 194 | 29,5 (15,2 %) |
1675 | 256 | 256 | 47 (18,4 %) |
* Registres partiels pour 1657.
Source : Linda Biemer, The Transition from Dutch to English Law, p. 251, corrigées et complétées d’après RNA, vol. 1-7 et MCM 1674-1675.
22C’est à vrai dire dès 1662 que la moindre présence des femmes en justice est observable, puisqu’au cours de cette période, les affaires impliquant des femmes passent d’environ 19 % du total des affaires à environ 15 %. Cette tendance apparaît donc avant le changement de souveraineté. À partir de la deuxième moitié des années 1660, la présence relative des femmes en justice retrouve un niveau comparable à ce qu’il était pendant la deuxième moitié des années 1650 – la seule baisse enregistrée correspondant aux années 1673-1674, marquées par l’épisode « Nouvelle-Orange » et la reprise éphémère de la colonie par les Néerlandais. Ces données indiquent donc avant tout, pour les années qui suivent le changement de souveraineté, une baisse dans la judiciarisation des habitants de New York, symptomatique d’une défiance à l’égard du nouveau pouvoir. Les données dont nous disposons pour Albany vont également dans ce sens (graphique 4).
Graphique 4. – Présence des femmes en justice dans la région de Beverwijck/Albany (1652-1685).

Source : FOCM ; Minutes of the Court of Albany, Rensselaerswijck and Schenectady. Données partielles pour les années 1668, 1672 et 1675 ; données absentes pour les années 1661-1667, 1673 et 1674.
23Pour le terrain d’Albany (ex-Beverwijck), Rensselaerswijck et Schenectady, la participation des femmes à la vie économique et marchande reste avérée dans les décennies qui suivent le changement de souveraineté, alors même que le fonctionnement de la justice suit essentiellement les pratiques antérieures à 1664. Les variations observées correspondent à des changements institutionnels et aux destructions partielles de certains registres, une irrégularité d’une année sur l’autre qui implique également de questionner ce qui peut travailler le recours par la population aux instances de pouvoir pendant une période d’instabilité, de renouvellement du personnel politique et de transformation graduelle des institutions.
24Albany et New York conservent les droits civiques qu’elles ont acquis au cours de la période néerlandaise, et donc le droit d’avoir des institutions représentatives. À New York, ainsi que dans le comté nouvellement créé de Yorkshire, le pragmatisme de Nicolls n’empêche pas la réorganisation, dès 1665, de la justice, suivant un modèle anglais. Outre la mise en place de la cour municipale dans le prolongement de la cour des bourgmestres de la période néerlandaise, le système judiciaire est adjoint d’une cour d’assises pour les crimes capitaux (reprenant la fonction du conseil colonial de la période néerlandaise), ainsi que d’une court of sessions pour la justice criminelle et d’un tribunal de prérogative pour la gestion des testaments et des inventaires à partir des années 168026. À Albany, cette évolution prend plus de temps et même si des administrateurs anglais sont installés dès 1665, l’anglicisation des institutions n’est avérée qu’en 1683, lorsque le comté d’Albany est créé ; le premier maire d’Albany, Pieter Schuyler, est nommé en 1686. Même après cette date, les magistrats y maintiennent le fonctionnement établi en 1676, et mélangent dans leurs attributions cour municipale et court of sessions27. Ce maintien des pratiques néerlandaises expliquerait que la judiciarisation des habitants de la région reste comparable de part et d’autre du changement de souveraineté.
25Dans la longue durée, Deborah Rosen a proposé un travail quantitatif et statistique très détaillé pour New York sur lequel nous nous appuyons pour voir, au tournant du siècle, une mise à l’écart avérée des femmes : leur présence en justice est moindre quand bien même la fréquentation de la cour municipale s’intensifie (tableau 8).
Tableau 8. – Évolution de la judiciarisation des femmes à New York dans la première moitié du xviiie siècle.
Total (approx.) | Nombre moyen de cas par an | Pourcentage de femmes parmi les plaignants | Pourcentage de femmes parmi les accusés | |
1701-1710 | 600 | 60 | 10 % | 8 % |
1740-1749 | 1 500 | 150 | 10 % | 3,5 % |
Source : Deborah Rosen, Courts and Commerce, p. 96-97, d’après Minutes Books. Mayor’s Court of New York City (New York State Supreme Court Courthouse).
26Elle relève ainsi 600 cas dans les archives de la cour municipale – une cour de justice civile n’incluant plus la justice criminelle – pour la première décennie du xviiie siècle, puis 1 500 cas pour les années 1740, soit une multiplication par 2,5. En parallèle de cette intensification, de moins en moins de femmes figurent parmi les accusés, leur proportion passant de 8 % à 3,5 % entre ces deux décennies. Enfin, pendant la même période – et au-delà de notre cadre d’étude – un essor des procès pour dettes autour des années 1750 donne à voir la fréquence des comparutions masculines devant la cour municipale, alors même que les comparutions de femmes, célibataires, mariées ou veuves, sont de plus en plus rares28.
27Les transformations du système judiciaire se traduisent également par le passage d’un fonctionnement par arbitrage, typique de l’usage néerlandais, à un système de jury, conforme à la common law29. Encore une fois, cette évolution est loin d’être monolithique dans la pratique. Ainsi, on constate la présence de procédures d’arbitrage pour les litiges mineurs, dettes de moins de 5 livres et affaires de voisinage, mais aussi le maintien de la langue néerlandaise pour certains litiges, jusqu’au début du xviiie siècle30. Semblablement, certaines pratiques judiciaires typiquement néerlandaises sont présentes assez tardivement, comme par exemple la présentation d’un livre de comptes assorti d’une prestation de serment, lors des procès pour dette, une pratique favorisant l’implication des épouses en charge de la tenue de ces registres. Pour autant, l’imposition graduelle des pratiques judiciaires anglaises pourrait fournir une clé d’explication à la moindre mobilisation des cours de justice par une partie de la population coloniale dans les décennies qui suivent le changement de souveraineté. L’évolution de ces pratiques, notamment de l’arbitrage, a pu inciter les habitants de la colonie à rechercher des procédures d’arbitrage infrajudiciaire. Entre 1694 et 1735, à New York, de plus en plus de cas portés devant la cour municipale trouvent un règlement hors de la cour – environ un tiers en 1694-1696, 50 % en 1714-1715 et 75 % en 1734-173531. Cela ne signifie pas que la participation des femmes à l’économie marchande new-yorkaise ait cessé ; en revanche, cette participation n’est plus observable en justice selon les mêmes modalités.
28Ainsi, aléas politiques mais aussi confusion dans les institutions de référence et leur évolution peuvent influer sur le recours par les habitants de la colonie, hommes comme femmes, à la justice coloniale pour régler leurs litiges. Avant 1674, le pragmatisme de Nicolls puis de Lovelace fait que les colons ne voient pas leurs pratiques quotidiennes transformées en profondeur. Au fil du temps, changements de souveraineté, de gouvernance et révoltes politiques conduisent à une uniformisation du droit anglais dans la colonie à la fin du xviie siècle, affectant l’usage par les colons des institutions à leur disposition.
29Aussi la moindre présence des femmes dans les archives judiciaires n’est-elle pas seulement le reflet d’une évolution du droit à leur endroit, mais aussi celui d’une moindre judiciarisation de la population coloniale dans son ensemble. Si leur participation à la vie économique et marchande de la colonie reste avérée, elle est ainsi moins visible : de moins en moins de femmes mariées comparaissent de façon autonome. Comment donc interpréter cette « marginalisation » des femmes des échanges32 ? L’observation des litiges pour dettes engagés par les femmes mariées irait dans le sens d’une moindre participation, mais doit être nuancée en fonction d’une certaine souplesse, de facto, de la coverture, et des activités et transactions économiques n’ayant pas de règlement judiciaire.
« All husbands are not so unkind or untrusty »
30Dans les décennies qui suivent 1664, des femmes mariées continuent de comparaître en justice pour régler les comptes du foyer, que ce soit pour leur propre commerce – inclus dans la communauté de biens – ou pour les affaires de leur époux. Le maintien de cette pratique est le signe, non seulement d’une possibilité en droit mais aussi culturelle : il n’est pas choquant socialement de voir une femme participer aux échanges, elles ont reçu une éducation leur donnant les outils nécessaires pour défendre les comptes de leur foyer et enfin, elles ont la confiance du chef de feu, qui n’est, le droit le rappelle, « ni méchant ni méfiant33 ». De plus, la configuration coloniale et ses spécificités peuvent conduire à investir les femmes de prérogatives étendues en pratique, et s’accommodant de provisions légales malléables. Dès les années 1970, la recherche a montré les adaptations du système légal anglais en fonction de circonstances propres aux colonies, notamment en termes de déséquilibre entre les sexes, d’âge au mariage ou de surmortalité34. Entre la fin du xviie et les premières décennies du xviiie siècle, cette adaptabilité se traduit, à New York, par le maintien d’une présence féminine dans les affaires marchandes.
Le maintien d’une présence féminine dans la gestion des litiges marchands
31Pendant la période néerlandaise, le principe de la communauté de biens autant que l’activité propre des femmes contribuaient à leur implication dans la gestion de litiges économiques et marchands, dans la mesure où cette communauté les rendait également responsables de la bonne gestion des comptes du foyer. De fait, le régime de coverture implique aussi cette communauté de biens : si celle-ci est placée sous la responsabilité de l’époux, cela n’empêche pas une participation des femmes mariées aux échanges et ce même rôle de gestionnaire des affaires de la famille.
32L’historiographie à propos des sociétés anglaises a ainsi largement insisté sur la souplesse de facto de la coverture35. David Pennington déconstruit ainsi le préjugé selon lequel les femmes n’auraient pas eu accès aux échanges marchands en Angleterre entre le xvie et le xviie siècle, en soulignant une compréhension générale du mariage comme un partenariat économique présupposant un rôle prépondérant des femmes dans les affaires d’un foyer, et rappelant ainsi qu’en dépit de son caractère patriarcal, le droit commun anglais était adaptable. Sherylynne Haggerty, à partir de la notion de « communauté » marchande, met également en lumière la place structurelle des femmes à tous les niveaux de l’échelle du commerce, « des négociants aux colporteurs », dans les communautés marchandes de Liverpool et Philadelphie, dans la deuxième moitié du xviiie siècle36. Les dispositions du droit anglais n’empêchaient pas une réelle mixité de l’économie marchande dans les villes anglaises et au niveau atlantique. Dans le monde colonial nord-américain, Serena Zabin et Sara T. Damiano ont également réévalué les effets de la coverture sur la participation des femmes aux échanges marchands au xviiie siècle, que ce soit à New York ou en Nouvelle-Angleterre37. À ce titre, dans le cadre d’une économie de marché, les femmes apparaissent comme des actrices précieuses des échanges, par leurs connexions, par leur expertise d’un terrain depuis un cadre domestique38. Outre le droit, la structuration de réseaux marchands se traduit par une complémentarité et une mixité des échanges.
33Cette mixité est tout autant avérée à la fin du xviie siècle, dans les régions encore dominées par une population néo-néerlandaise où l’on constate, dans les années qui suivent immédiatement le changement de souveraineté, un maintien de facto des pratiques de l’époque précédente. Parmi ces pratiques, la tenue de livres de compte par les épouses. Le 13 août 1667, lorsque Johannes de Witt poursuit Jacob Van Couwenhoven pour dettes, ce dernier souhaite « attendre le retour de sa femme d’Albany », une requête qui indique, d’une part, que son épouse se trouve en amont de la vallée de l’Hudson au moment de la saison de traite, d’autre part qu’il repose sur le livre de comptes de celle-ci pour régler le litige39. Le 14 mars 1676, lorsque Frans Pietersen poursuit Dirckje Hermensen pour dettes, il demande à voir le livre de comptes de cette dernière, comme preuve physique de la dette. Quand ledit registre montre que la dette est erronée, Hermensen obtient gain de cause. Quelques mois plus tard, en juin 1676, lorsque Hendrick Beekman réclame une dette à Mees Hoogebom, l’épouse de ce dernier comparaît en son nom devant les magistrats pour défendre les comptes de son époux et signaler l’existence d’une transaction intermédiaire annulant la dette – excuse qui n’est, du reste, pas jugée valide par les magistrats qui condamnent Hoogebom à donner son dû à Beekman40. Le rôle des épouses dans la tenue des comptes du foyer peut parfois prendre un tour très directif. Le 7 mai 1678, l’épouse de Harmen Gansevoort, Marritje Leendertsen Conyn, comparaît à la place de son époux pour demander l’annulation d’une transaction foncière effectuée par celui-ci : Gansevoort avait acheté une ferme située dans les Catskills à Jan Conell et ce dernier était venu devant les magistrats pour réclamer son dû. Si Gansevoort est présent pendant l’audience, c’est bien son épouse qui gère le litige :
« L’épouse de l’accusé [Gansevoort] demande aux magistrats que le contrat de vente entre son mari et J. Conell concernant la ferme soit annulé, car il fut établi dans une taverne, alors qu’il était ivre et aviné, et donc incompétent pour une telle transaction, et également car toute sa famille serait ainsi ruinée. Elle demande humblement que, par miséricorde pour elle et ses jeunes enfants, les magistrats consentent à annuler ladite vente41. »
34Conell se défend en arguant que Gansevoort avait validé la transaction quelques jours plus tard, rejetant ainsi l’accusation d’une transaction en état d’ébriété ; il ajoute également que Gansevoort avait consulté et obtenu l’accord de Conyn pour l’achat de cette ferme. Il en résulte que les magistrats déboutent la requête de cette dernière. À la même date, Cornelia de Peyster, épouse de Johannes de Peyster, comparaît devant les magistrats et utilise le même argument pour demander l’annulation de transactions foncières effectuées par son époux, alors qu’il était « dénué de son bon sens », et la cour accède à sa demande. C’est aussi au nom de la communauté de biens que Geertruy Barents, épouse de Jacob Hevick (Gevinck ou Lange Jacob, le grand Jacob, dans certains documents), poursuit Harmen Gansevoort à propos du bail de location d’une brasserie, en 1680. Elle rappelle, lors d’une comparution de 1680, posséder la brasserie « conjointement avec Reyndert Pietersen » par un bail daté du 25 mars 166942. Barents comparaît ici en tant que représentante de son époux qui avait acquis avec Pietersen le terrain et la brasserie, et en était devenue l’administratrice principale après la mort de ce dernier en 167343. Barents mène également, en parallèle, ses propres activités de traite des pelleteries, laquelle était, dès la période néerlandaise, était inscrite dans le cadre d’une communauté de biens spécifiée par contrat, le 23 septembre 1662. Il s’agit ici de femmes néo-néerlandaises, qui maintiennent donc une pratique héritée de la période précédente jusqu’à quinze ans après le changement de souveraineté. Celui-ci n’a pas mis de coup d’arrêt à leur activité, comme en témoignent plusieurs reconnaissances de dettes établies, et ce jusqu’en 168044. Ainsi, lorsqu’une épouse est convoquée ou comparaît devant les magistrats, il peut être difficile de dire s’il s’agit de comparution pour ses activités propres ou pour celles de son époux, d’autant plus qu’en droit, cela ne fait désormais aucune différence.
35Les archives judiciaires de New York pour la période 1664-1675 révèlent également 290 comparutions impliquant des femmes pour litige économique ou marchand, ce qui représente 24,5 % du total des litiges de cette nature – avec une baisse de l’ordre de quelques points après 1665 et l’application des lois du duc dans le comté de Yorkshire45. Il peut s’agir de toutes sortes de transactions – dettes sur un terrain ou sur une activité rémunérée, litiges sur l’acheminement de marchandises, sur la vente de biens allant du négoce transcolonial ou transatlantique au petit commerce de détail. Le choix de ne pas limiter cette participation économique au commerce transatlantique vise à prendre la mesure de la diversité de la participation des femmes à l’économie coloniale, une participation souvent invisibilisée par la restriction à cette activité. Sur ces 290 cas, 43 impliquent des épouses comparaissant explicitement en tant que représentantes de leur mari (tableau 9).
Tableau 9. – Évaluation chiffrée des litiges économiques impliquant des femmes à New York entre 1664 et 1674.
Total (approx.) des litiges économiques/marchands | Litiges économiques/marchands impliquant des femmes | Femmes représentant leur mari | Femmes représentées par un tiers (homme) | |
1664 | 204 | 57 | 13 | 4 |
1665 | 129 | 37 | 8 | 6 |
1666 | 83 | 20 | 8 | 2 |
1667 | 98 | 23 | 4 | 4 |
1668 | 128 | 29 | 3 | 2 |
1669 | 77 | 13 | 1 | 2 |
1670 | 77 | 18 | 1 | 4 |
1671 | 113 | 25 | 1 | 5 |
1672 * | 25 | 6 | 0 | 0 |
1673 * | 51 | 10 | 2 | 1 |
1674 | 108 | 23 | 2 | 3 |
1675 * | 93 | 27 | 0 | 2 |
TOTAL | 1 186 | 290 | 43 | 35 |
Source : Records of New Amsterdam, vol. 5-6 (* données partielles pour les années 1672, 1673 et 1675) et Minutes of the Mayor’s Court of New York, 1674-1675.
36Les archives judiciaires dont nous disposons pour Albany entre 1668 et 1685 vont dans le même sens : dans 50 cas sur environ 219 comparutions de femmes pour litige économique, soit environ 23 % de ces comparutions, ce sont explicitement des épouses qui comparaissent en tant que représentantes de leur époux, une proportion supérieure à celle relevée pour New York46. Proportionnellement, les données sur l’ensemble de la période 1668-1685 sont comparables à ce qui peut être observé pendant la période néerlandaise, où il ressort que dans 20 cas sur 106 impliquant des femmes dans un litige économique ou marchand, des épouses comparaissent à la place de leur mari, soit 18,9 %. Il faut y voir un effet combiné du droit et des institutions : à Albany, le maintien du même fonctionnement qu’avant le changement de souveraineté et un peuplement resté plus uniformément néo-néerlandais résulte dans des pratiques restant dans la continuité de la période précédente. Il faut y ajouter que, dans la pratique, les provisions du droit pouvaient être contournées par le recours à des contrats de mariage préservant le patrimoine des époux – et les dettes qui leur sont associées. Ce contournement est aussi avéré dans des pratiques testamentaires préservant la capacité d’action des veuves : David Narrett a ainsi montré qu’entre 1664 et 1720, une partie de la population néo-néerlandaise perpétue des pratiques héritées de la période précédente, avec la préservation de la communauté de biens entre époux après décès, par un testament conférant aux veuves pleine autorité sur les affaires du foyer. Ce n’est qu’après 1720 que les pratiques successorales anglaises commencent à s’imposer au sein de la population d’origine néo-néerlandaise, et ce principalement parmi l’élite marchande47.
37Dans les premières décennies du xviiie siècle en revanche, les archives de la cour municipale de New York montrent que, dans le cas des poursuites pour dettes, les couples mariés comparaissent de plus en plus conjointement, toujours au nom d’une communauté de biens désormais instrumentalisée différemment. La comparution conjointe ne permet ainsi plus de voir ni le rôle joué par les épouses dans la gestion des comptes d’un foyer, ni les activités propres de celles-ci dans la mesure où l’époux, en tant que chef de feu, apparaît comme le seul interlocuteur pertinent au regard de la loi. Ainsi, le 15 août 1704, ce sont « William Churcher et son épouse » qui poursuivent John Theobald pour une dette sur des soins prodigués par Susannah Churcher à Theobald. Le commerce dont il est question ici relève d’une activité de services. Si la déposition témoigne de ce que Susannah Churcher a passé directement un accord avec Theobald pour le soigner lui et sa famille contre promesse de rétribution, et si, sur place, c’est elle qui défend son cas, elle vient accompagnée de son époux et c’est celui-ci qui réclame son dû devant la cour municipale48. Pendant cette même décennie, 1701-1710, les femmes seules représentent 6 % des plaignants et 4 % des accusés répondant de leurs affaires en justice, une proportion qui tombe à 2 % des accusés dans la décennie 1740-1749 (alors que la proportion des plaignantes se maintient). Si l’on ajoute la comparution accompagnée d’un époux ou pour l’exécution d’un testament, cette proportion s’élève à 10 % des plaignantes pour les deux périodes, 8 % des accusées en 1701-1710, 3,5 % en 1740-174949. En pratique, outre l’activité propre d’une femme mariée, c’est aussi sa visibilité dans les archives qui est affectée, ce qui rend plus complexe l’évaluation de sa marge de manœuvre. Par ailleurs, outre la communauté de biens induite par le mariage, il est nécessaire s’interroger sur le statut des femmes impliquées dans les transactions concernées.
Veuvage, séparation et maintien d’un commerce propre au sein du mariage : des changements de statut réguliers
38La compréhension des provisions de la coverture et de la transition du droit néerlandais au droit anglais ne doit pas non plus effacer une réalité simple de la vie d’une femme aux xviie et xviiie siècles, tout particulièrement dans le monde atlantique : les changements de statut légal étaient fréquents à l’échelle d’une vie.
39Quand des femmes – mariées – sont poursuivies pour leurs propres transactions, il peut s’agir de comptes antérieurs au mariage, de biens hérités d’une précédente union ou relevant d’une activité pendant que la femme était célibataire. Par ailleurs, nombre des femmes comparaissant en leur nom sont des veuves, autorisées en droit à contracter et à posséder des biens en propre. L’historiographie a souligné depuis longtemps que le statut de veuve pouvait être plus favorable à une femme à l’époque moderne, notamment du point de vue juridique : celles-ci cessent d’être mineures en droit, mais cette autonomie n’empêche pas une certaine précarité et un besoin d’assistance pour celles issues de milieux sociaux modestes, et en incite un certain nombre à un remariage rapide50. On ne saurait ainsi oublier à quel point, en configuration coloniale et dans une société marchande marquée par le départ en mer des hommes, une femme pouvait passer rapidement d’un statut à l’autre, au gré du décès d’un époux et d’un remariage plus ou moins rapide.
40Lorsqu’une femme perd son époux, elle a la gestion du patrimoine laissé par celui-ci, soit que cela soit au nom des enfants du couple, soit qu’un testament réciproque ait été établi faisant d’elle la légataire, pratique courante parmi la population néerlandaise de la colonie51. À ce titre, elle hérite non seulement de ses biens, mais aussi de ses comptes, voire de sa position au sein d’une corporation. Les poursuites engagées le 7 février 1716 (1715 selon le calendrier anglais) par Thomas Millard, boucher dans le quartier des docks, contre Margaret Norton pour salaire non payé indiquent ainsi que cette dernière a repris le rôle de son époux à sa mort en tant que maître-boucher avant de se remarier ; elle se trouve donc, en tant que veuve, impliquée dans la vie corporative de la ville. Ce dernier réclame un salaire pour avoir travaillé pour Margaret « alors qu’elle était sole », en d’autres termes, lorsqu’elle était à la tête du commerce de son époux décédé. Entre-temps, elle s’est remariée avec John Wytt : c’est donc Margaret Norton et John Wytt qui sont poursuivis conjointement, mais la situation décrite par Millard donne à voir la reprise par Norton du rôle d’un précédent époux en tant que maîtresse bouchère avant son remariage52. Être veuve peut ainsi apparaître comme une situation d’empouvoirement pour une femme, du moins quand la situation n’est pas synonyme de dettes insolvables. La perte d’un conjoint signifiant la perte d’une source de revenus, certaines veuves s’en trouvent, en effet, fragilisées. Deux veuves d’Albany font ainsi la demande, le 6 janvier 1685, d’une réduction fiscale, du fait même de leurs circonstances :
« Geertruy, la veuve de Jan Thomase et Dorite, la veuve de Volkert Janse, demandent par pétition la réduction de leur impôt, étant veuves. Les magistrats ne peuvent rien faire en la matière53. »
41Si un époux laisse un livre de comptes chargé de dettes ou si l’épouse restant en vie n’a pas la capacité de prendre en charge les finances du foyer, le changement de situation est loin de représenter une opportunité d’autonomie pour ces femmes. Certaines font ainsi une demande formelle de renoncement à leur héritage, afin de ne pas être tenues débitrices des dettes de leur époux. Le 29 décembre 1668, Lysbeth Brouwers renonce à sa succession, citant pour motif son extrême dénuement, tout comme Agnietie Hendricx, veuve de Jan Helmersen, en 1677. Le 6 juin 1684, Temperance Loveridge renonce également à sa succession, au profit de son fils, citant son âge avancé comme raison à cette requête54. Aeltie Van Bremen, quant à elle, déclare à plusieurs reprises tout ignorer de dettes contractées par son époux ou être trop pauvre pour les régler, une confession inhabituelle qui tient probablement moins à une ignorance de fait, tant une épouse se doit de maîtriser les comptes d’un foyer, qu’à une confession de dénuement55 ; rares, en effet, sont celles qui avouent n’avoir ni la connaissance, ni la maîtrise des comptes de leur conjoint. Ces requêtes mettent en évidence, en creux, les attentes que l’on pouvait avoir de ces veuves à la mort de leur époux, en termes de règlement de leurs comptes, et donc de maîtrise de ceux-ci, de prise en charge de leur commerce et de continuation de celui-ci en tant que chef de feu, et de préservation de son patrimoine pour des enfants éventuels56. Le maintien d’une désignation des épouses comme légataires dans les pratiques testamentaires néerlandaises jusque dans les premières décennies du xviiie siècle témoigne ainsi d’une compréhension de la continuité entre communauté de biens et veuvage et de la maîtrise de savoir-faire économiques et/ou marchands par les épouses.
42Les cas de changement de statut pour séparation, plus rares, sont également éclairants. En cas de mariage dysfonctionnel, la distinction entre les dettes des époux est maintenue dans la pratique. Ainsi, la séparation entre Catrina Croegers et l’ancien bailli néerlandais Nicasius de Sille, en mars 1670, est consécutive à des litiges d’argent : une dette est réclamée par Sara Bridges à Croegers, que cette dernière refuse de prendre en charge, arguant que la dette a été contractée par son époux. Les magistrats renvoient Sara Bridges à Nicasius de Sille et déclarent que Catrina Croegers n’a rien à voir avec cette dette, en dépit de la communauté de biens qui régit alors leur mariage57. S’il était conforme au droit de renvoyer l’affaire directement à Nicasius de Sille, la décision est également informée par les problèmes conjugaux du couple, qui remonte à la période néerlandaise, et dont la séparation de facto est en partie justifiée par ce besoin de clarifier les comptes de chacun :
« il est donc nécessaire, afin que les créditeurs ne soient plus lésés dans leurs justes réclamations, de procéder incessamment à un inventaire correct de toutes les propriétés meubles et immeubles, de payer toutes les dettes contractées par les époux et de diviser et partager en deux ce qui reste, puisque nous considérons qu’il n’est pas juste que l’un reçoive plus que l’autre58 ».
43Le droit est différent pour les feme sole et pour les feme covert, mais la rapidité avec laquelle une femme peut passer de l’un à l’autre en configuration coloniale fait qu’une femme pouvait être covert et avoir la culture, l’éducation et l’expérience nécessaires au maintien, non seulement des comptes d’un foyer, mais aussi d’une activité marchande, le cas échéant. Le droit seul ne suffit pas à éclairer ces changements rapides de statut, surtout lorsque le passage d’un statut à l’autre peut être manipulé en fonction des circonstances.
S’accommoder des provisions du droit
44Les provisions du droit s’avèrent en effet adaptables et sujettes à manipulations de la part des acteurs et des actrices économiques dans la colonie et ce particulièrement pendant les décennies qui suivent le changement de souveraineté, alors que la transition d’un système légal à l’autre et d’une administration à l’autre permettent de jouer de variations entre ceux-ci, entre le maintien de pratiques qui coexistent avec l’imposition du nouveau système, et les possibles vides administratifs ou institutionnels dans certaines zones plus récemment occupées. Trois cas, notamment, permettent d’illustrer ceci.
45Margaret Hardenbroeck, précédemment évoquée, se distingue par le maintien d’un commerce transatlantique très dynamique après 1664 : openbare koopvrouw pendant la période néerlandaise, elle parvient à s’accommoder du changement de souveraineté et des Actes de navigation. Mariée à Frederick Philipse, devenu l’homme le plus riche de la colonie et une des figures politiques influentes dans le gouvernement municipal de New York59, elle fait partie de l’élite coloniale qui se rapproche du pouvoir anglais, dans l’espoir de voir les restrictions portées au commerce extra-impérial allégées. En raison des Actes de navigation de 1651, puis de 1660 et de 1663, aucun navire de commerce néerlandais n’est autorisé à naviguer et le commerce maritime des colonies anglaises, dont fait désormais partie New York, est soumis à des restrictions très fortes. Le changement de souveraineté a donc un impact dans l’activité marchande de Margaret, dans un premier temps, au même titre que d’autres marchands prospères de l’élite de Nouvelle-Néerlande.
46Toutefois, toujours dans cet élan de pragmatisme postconquête, les premiers gouverneurs anglais tentent de gagner le soutien de l’élite marchande de La Nouvelle-Amsterdam. Les Articles de capitulation d’août 1664 permettent au commerce de perdurer dans les premiers mois qui suivent le changement de souveraineté. En avril 1667, Nicolls obtient du Privy Council une dérogation permettant à quelques navires néerlandais de faire des voyages transatlantiques. Margaret Hardenbroeck fait partie des quelques rares armateurs à en bénéficier60. Il n’y a là rien de surprenant : elle s’est affirmée parmi les négociants les plus actifs dans la demande d’assouplissement des Actes de navigation, puis dans la tentative de contournement de ceux-ci. Un courrier de John Werden, secrétaire du duc d’York, au gouverneur Edmund Andros daté du 7 mai 1677, témoigne de ces démarches :
« J’avais presque oublié de vous dire que je ne puis encourager l’épouse de M. Phillips dans son désir d’acheter un navire hollandais dans l’espoir de la libérer [des contraintes des Actes de Navigation] ; au contraire, je l’ai dissuadée du mieux que j’ai pu, en raison des ordres les plus récents, qui interdisent avec rigueur toutes ces pratiques, bien qu’elles eussent été fréquentes jusqu’à présent. Et les [douaniers] sont très stricts dans leur opposition à de telles initiatives61. »
47Hardenbroeck tente ainsi de contourner l’interdit des Actes de navigation en faisant armer un navire néerlandais en Angleterre, afin de lui permettre de commercer librement. Elle pousse l’initiative jusqu’à contacter personnellement un membre du conseil privé du duc d’York. Si cette opiniâtreté se solde par un échec, notons toutefois que les obstacles que connaît l’activité de négoce de Margaret sont de nature impériale, plutôt que genrée. De fait, en octobre 1667, le Charles, armé par elle, est le deuxième à obtenir la permission de prendre la mer entre Amsterdam et New York62.
48Le changement de souveraineté n’implique pas seulement des restrictions au commerce néerlandais. L’évolution de la législation sur le mariage a-t-elle eu une influence sur l’activité marchande de Margaret Hardenbroeck ? Son mariage avec Frederick Philipse s’était fait sous le régime de l’usus, donc de la séparation de biens, garantissant à chaque époux une grande autonomie d’action et permettant à Margaret d’agir en tant que marchande publique63. Toutefois, un tel aménagement n’existe plus après le changement de souveraineté ; par conséquent, se pose le problème du maintien de son activité autonome64.
49Dans le couple Hardenbroeck/Philipse, l’autorité de Margaret ne fait toutefois aucun doute en pratique. Lorsqu’en 1679, deux dissidents religieux, Jasper Danckaerts et Pieter Sluyter décident de se rendre à New York pour étudier les mœurs des colons d’Amérique, ils partent d’Amsterdam à bord du Charles, supervisé directement par Margaret Hardenbroeck. Leur récit permet de se faire une idée, non seulement du caractère de celle-ci, mais aussi de la façon dont elle est perçue par son entourage. Danckaerts la décrit comme une femme autoritaire et pleinement respectée par le capitaine du navire, qu’il décrit comme « obséquieux » :
« Le capitaine, Thomas Singelton, un Anglais et un quaker, de Londres, je crois. Il était avec sa femme, qui était assez jeune, de 24 ou 26 ans, alors que lui avait certainement 40 ou 45 ans. Il était loin d’être le meilleur ou le plus expérimenté des marins. Il était orgueilleux et très obséquieux ou avide de plaire, particulièrement à Margaret et son époux65. »
50Tandis que les manœuvres marchandes, les allées et venues et les manières de Hardenbroeck sont abondamment décrites par Danckaerts, il s’agit là de la seule évocation de Philipse, qui ne semble pas incarner la principale figure d’autorité pour le capitaine, l’équipage ou les passagers, Danckaerts inclus. La description faite par ce dernier de « Margaret » se dégrade à mesure du récit, depuis les premières pages, où l’auteur note que le départ du Charles est retardé de près de deux semaines en raison de l’absence de son armatrice et subrécargue, sans que celle-ci ne donne d’explication :
« Samedi 24. Le vent était au sud-est, comme hier, ce qui nous rendit impatients de voir Margaret arriver, afin de ne pas rater un vent favorable. Jan [un passager décrit comme “débraillé”, rencontré trois jours plus tôt] et d’autres passagers étaient fort mécontents et dirent “Nous savons très bien où elle est. Elle est en Frise”. À quoi Jan ajouta “si ce vent nous passe par-dessus la tête, je lui écrirai un courrier qui lui fera tinter les oreilles”, et usa d’autres expressions fort malpolies. […]
Dimanche 25. […] Nous vîmes à la lueur du jour un petit bateau venir à nous dans le sens du vent et nous réjouîmes de voir que Margaret était à bord avec d’autres femmes. […] Certains dirent qu’ils pensaient qu’elle était allée en Frise. À quoi elle répondit “Que savez-vous d’où j’étais66 ?” »
51La restitution de sa répartie dénote un caractère autoritaire. L’appréciation faite par Danckaerts de Hardenbroeck culmine à la fin de son voyage lorsqu’il dénonce son « avarice éhontée » :
« Nous présentâmes à Margaret notre cas, que nous étions parvenus à voyager avec seulement une cantine pour deux, quand chaque passager avait droit à une par personne, mais cela ne fut d’aucune utilité. Quatre florins devaient être réglés. Nous n’avions pas particulièrement de difficulté à payer, mais cette demande visait seulement à nous convaincre un peu plus de son avarice éhontée67. »
52Quoiqu’il en soit des qualités de Margaret Hardenbroeck en tant que personne, ce témoignage révèle avant tout que, quinze ans après le changement de souveraineté, son autorité en tant que négociante et armatrice de plusieurs navires quadrillant l’Atlantique semble incontestée. Au cours du voyage, le Charles fait une escale au large de la Cornouaille afin que son chargement soit redistribué vers un autre navire, en partance pour la Barbade et les îles du Cap-Vert68. On peut ainsi en déduire que le changement de souveraineté a même ouvert de nouveaux marchés à Margaret, dans les Antilles britanniques. Par ailleurs, les archives font état des activités de contrebande de son époux, Frederick Philipse, qui contourne les Actes de navigation. Dans ce contexte, il peut sembler raisonnable d’estimer qu’Hardenbroeck se livre à des activités similaires69.
53Néanmoins, il nous faut, une fois de plus, insister sur le caractère exceptionnel de sa carrière. Parmi les pétitions présentées au roi par les marchands new-yorkais d’origine néerlandaise, une est initiée par Oloff Stevensen Van Cortlandt, le 11 décembre 1668. Si « Margaritta Philips » figure parmi les signataires, elle est la seule femme mariée sur 16 signataires ; figure également Jannetie de Witt, dont l’activité marchande tient largement à sa situation de veuve non remariée70. On a pu voir précédemment ce qui a rendu possible une telle carrière, outre le droit, et ce qui la rend si atypique. Nous avons évoqué le statut social de Margaret Hardenbroeck, une éducation permettant la gestion d’un patrimoine, notamment en cas de veuvage ; il faut y ajouter la constitution et/ou l’entretien d’un réseau marchand et politique (structuré, dans son cas, tout au long de sa carrière et par ses mariages successifs), le recours à des procédés commerciaux parfois informels, autant d’éléments qui caractérisent l’implication de femmes plus ordinaires dans l’économie marchande coloniale.
54À des niveaux sociaux moins élevés, certaines femmes mariées conservent une marge de manœuvre économique, notamment par contrat prénuptial maintenant des possessions en dehors de la communauté de biens. Celles-ci sont en général héritées de précédents mariages et préservés pour les enfants de ces unions. Il peut également être question de protéger un des conjoints des dettes contractées par l’autre avant l’union. Hester Fonda, dite aussi « Hester la sourde71 », est ainsi convoquée en 1672 par les magistrats d’Albany pour régler une dette de 200 florins. Elle fait alors mention, de son côté, de comptes séparés de son époux, Theunis Dircksen. Elle mentionne un contrat de mariage pour détacher Dircksen de toute responsabilité vis-à-vis de cette dette et exonérer le couple de celle-ci. En outre, le 23 mai 1672 :
« L’accusée reconnaît la dette mais déclare ne pas pouvoir payer pour le moment, déclarant également qu’en vertu des articles de leur mariage et d’un certain jugement daté du 21 avril 1670, son époux ne peut être tenu pour responsable de ses dettes72. »
55Ces articles de mariage indiquent un régime de séparation de biens, un mariage garantissant l’autonomie de Hester, et donc un maintien de pratiques existantes à l’époque néerlandaise, avéré à Albany en 1670. Née Hester Jans, elle est présente à la colonie depuis le début des années 1650 et a été mariée déjà deux fois, à Jellis Douwse Fonda, puis à Barent Gerritsen. En sus, elle mène sa propre activité de traite des pelleteries, indépendamment de ses époux successifs. Après son deuxième mariage avec Barent Gerritsen, elle part s’installer dans la région d’Esopus où, lors de la guerre contre la nation éponyme, elle est faite prisonnière pendant trois mois, en 1663, captivité dont elle revient ruinée et infirme ; en avril 1664, Hester réapparaît dans les archives d’Albany, quelques mois après cette épreuve pour vendre une partie de son patrimoine, avec l’aide de ses enfants73. Par la suite, elle évoque à plusieurs reprises sa captivité et ses conséquences pour se dédouaner de ses dettes, entre 1670 et 168574. Dans sa comparution du 21 avril 1670, elle déclare avoir été « ruinée par la guerre » ; lors d’une comparution ultérieure, pour la dette de 200 florins susmentionnée, Hester raconte avoir été retenue captive plusieurs mois et y avoir perdu une partie de sa famille, dont son époux d’alors, afin de justifier son insolvabilité et de demander un délai. Si nous n’avons pas retrouvé ce contrat de mariage, les provisions évoquées par Hester Fonda permettent de faire l’hypothèse que le contrat prénuptial avec Theunis Dircksen visait moins à maintenir l’autonomie d’action d’une femme ayant un commerce en propre et, par conséquent, sa légitimité commerciale, qu’à protéger le patrimoine d’un époux qui s’était uni à une femme devenue insolvable.
56En 1678, quinze ans après cette captivité et ses conséquences, Hester Fonda semble avoir reconstitué son patrimoine : les magistrats enjoignent donc le créditeur de celle-ci à identifier « quelque propriété séparée de celle de son époux, conformément aux articles de mariage », qui seraient par conséquent dus en règlement de cette dette et Fonda est condamnée à payer les 200 florins. Pourtant, trois ans plus tard, la dette n’est toujours pas payée et est à nouveau produite devant les magistrats d’Albany : cette fois-ci, ils exonèrent Fonda, estimant que ses créanciers ont trop tardé à collecter ce qui leur avait été accordé par le jugement de 167875. Ce litige permet de voir la possibilité d’accommodements en dépit de provisions légales qui postulent l’unicité du couple marié ; il permet de voir également comment Hester Fonda, par-delà un traumatisme bien réel, parvient à jouer des provisions du droit, du jugement en sa faveur et des délais pour ne pas régler la dette qui lui est réclamée. Cette manœuvre démontre le maintien, dans la pratique, de la capacité des femmes mariées néerlandaises à venir en justice défendre leurs intérêts dans les décennies qui le suivent le changement de souveraineté, en jouant du flou sur le droit pendant cette période de transition.
57Quelques décennies plus tard, en 1716-1717, le cas d’Elizabeth Fairday, veuve active dans le quartier des docks à New York, permet de voir comment la coverture peut être tournée à son avantage par une Anglaise. Poursuivie à plusieurs reprises pour dettes non payées, Fairday a recours à la même ligne de défense à chaque fois. À chaque comparution, elle se dédit de sa dette en invoquant la responsabilité de celui qu’elle présente comme son époux au moment où ces dettes furent contractées, Abraham Fairday, alors qu’elle vivait en Pennsylvanie – séparée de la province de New York à partir de 1682. L’existence de cet époux est suspicieuse pour ses interlocuteurs, sans doute car le couple n’est pas originaire de New York, et parce qu’il ne subsiste aucune preuve de cette union. Fairday se défend en produisant un courrier du maire de Philadelphie, Richard Hill, qui confirme l’existence de l’union sous serment. À cette date, Philadelphie est une ville naissante, dont les institutions restent rudimentaires, ce qui permet de justifier l’absence de preuve officielle de ce mariage, hormis les témoignages de tierces personnes déclarant sous serment y avoir assisté. Quoi qu’il en soit, Fairday obtient gain de cause à chaque comparution76. La façon dont elle utilise son statut passé de femme covert témoigne non seulement de son implication active dans les affaires pendant son mariage, sans doute même avant qu’elle ne soit veuve, mais aussi d’une connaissance du droit lui permettant de s’accommoder de son statut, voire d’en tourner les provisions à son avantage afin de se dédire des dettes qui lui sont réclamées, en se dégageant de la responsabilité de ses comptes. Il ne s’agit évidemment pas là de faire d’un cas unique une généralité, mais de souligner l’adaptabilité du droit aux pratiques et à la compréhension qu’en ont femmes et hommes. En conséquence, si la présence des femmes en affaires tend à s’effacer au tournant du xviiie siècle, cela n’est peut-être pas seulement imputable à la common law. Le droit fournit une limitation certaine à l’implication dans des échanges contractuels, mais cela ne saurait occulter l’importance d’un savoir-faire ou de l’expertise d’un terrain, ni même la capacité de ces femmes à manipuler les provisions du droit, y compris de la coverture, à leur avantage.
58En dépit des provisions théoriques de la coverture, la présence en justice ne suffit pas à rendre compte du travail et de l’implication des femmes dans les échanges économiques. Dans le cas new-yorkais, l’attention portée au changement en droit permet avant tout de voir la façon dont la justice est utilisée par des actrices conscientes des limites qui leur sont imposées, mais aussi des opportunités qui peuvent en découler. Il n’y a pas de rupture brutale dans le fonctionnement genré des échanges de part et d’autre du changement de souveraineté : des femmes mariées continuent, dans les décennies qui suivent 1664, de comparaître pour régler des litiges économiques ou marchands, ceux de leurs époux et les leurs, les deux étant, la plupart du temps, inclus dans la communauté de biens. Malgré tout, en raison de cette même communauté de biens, un flou persiste sur l’étendue des prérogatives dévolues aux femmes, progressivement invisibilisées en justice. Plus tard dans le xviiie siècle, la comparution conjointe des époux ne fait qu’accentuer ce flou. Le fonctionnement genré de l’économie est comparable à celui d’autres sociétés où un droit patriarcal n’empêche pas une certaine marge de manœuvre économique pour les femmes dans la pratique, qu’il s’agisse de sociétés anglaises ou de la situation existant pendant la période néerlandaise.
59La présence des femmes en justice pour régler des dettes n’est, du reste, pas le seul marqueur de l’implication des femmes dans les échanges. En poursuivant femmes et hommes pour des transactions illégales, shérifs et magistrats permettent également d’appréhender le déroulement des transactions au quotidien, avec sa part de circulations informelles, et le rôle qu’y jouent hommes et femmes par le biais de réseaux de familles et d’interconnaissances.
Réseaux, circulations et mixité des échanges
60Si la coverture exclut les femmes de la propriété et de la possibilité de contracter formellement, elles ne sont aucunement exclues des échanges marchands, dans un monde économique et social éminemment mixte, tant du point de vue du genre que de la « race » ou de la classe. Les dispositions du droit sont donc moins à voir comme des restrictions à la participation des femmes que comme un cadre organisant celle-ci, via des réseaux sociaux et familiaux. On doit ajouter à ces réseaux d’autres bâtis sur la proximité et les interconnaissances dans des communautés de taille réduite, au contact avec les populations autochtones, et impliquant un éventail d’interactions allant du négoce aux activités informelles.
Modes de participations formels et informels aux échanges marchands
61Si toutes les activités des colons ne se rapportent pas au grand commerce et ne couvrent pas un marché d’ampleur atlantique, bon nombre d’habitants et d’habitantes de la colonie participent, à des degrés variés, aux échanges, qu’il s’agisse de traite des pelleteries, de la tenue d’une échoppe ou des ventes et achats des produits d’une ferme. Bien souvent, plusieurs activités sont menées en même temps.
62Après les années 1650, la traite des pelleteries, activité autour de laquelle s’était structurée l’économie de Nouvelle-Néerlande, n’est plus pratiquée seule. En plus de l’accès plus difficile à la ressource, il faut compter avec une concurrence de plus en plus sévère, non seulement à Albany, mais également avec la Nouvelle-France voisine. Les coureurs de bois se déplacent d’un empire à l’autre, de plus en plus encouragés par les gouverneurs français à partir des années 1680. Ils pratiquent la contrebande et ouvrent de nouvelles routes de commerce pour le compte des Français, notamment par des alliances avec les nations rivales de la Ligue Haudenosaunee77.
63La plupart du temps, le commerce de pelleteries est une activité associée, pour les hommes comme pour les femmes, à un autre commerce ; Evert Wendell, par exemple, dont le livre de comptes nous est parvenu, est bottier ; Johanna de Laet, femme de l’élite d’Albany, tient une briqueterie. Concernant les femmes d’origine européenne, veuves ou mariées, les archives judiciaires font état d’une réelle continuité dans la nature de leurs activités de part et d’autre du changement de souveraineté. La plupart des femmes actives dans la vie marchande l’étaient déjà avant 1664 et la nature de leurs activités reste variable, qu’il s’agisse de la vente des produits de l’agriculture, de petit commerce de détail ou de la tenue d’un débit de boisson, fournissant un revenu d’appoint à la communauté de biens. En 1672, Geertruyt Vosburgh, propriétaire précédemment évoquée d’une ferme à Rensselaerswijck, est condamnée pour avoir servi et vendu illégalement le contenu d’un baril de cidre. En janvier 1682, Ida Barents est condamnée à une amende de 25 florins pour avoir servi de l’alcool après le couvre-feu, générant du désordre parmi ses clients, ivres et belliqueux ; le 4 décembre 1683, l’épouse de Barent Myndertse est poursuivie pour avoir vendu du vin sans payer l’accise ni la licence nécessaires à la tenue d’un débit de boisson. Son stock d’alcool se trouve saisi. Myndertse comparaît devant les magistrats et demande leur clémence, prétextant d’un délai dans l’obtention de la licence et d’une mauvaise coïncidence, ajoutant que la vente d’alcool était nécessaire à l’entretien de ses nombreux enfants78. À New York, sur 15 personnes ayant une licence pour vendre de l’alcool en 1666, quatre femmes sont recensées. Anna Cox ou encore Josyn Verhagen sont ainsi régulièrement poursuivies pour des crimes très semblables à ceux qui étaient courants pendant la période précédente – vente d’alcool sans avoir de licence, sans avoir payé l’accise, vente d’alcool aux autochtones… Il faut y ajouter, effet du changement de souveraineté, l’hébergement des troupes anglaises, et les troubles que cela génère dans un établissement (entre séjours impayés et violences occasionnelles)79.
64L’importance structurelle de l’informel dans la participation des femmes à la vie marchande, un phénomène observé pour l’Europe moderne80, est particulièrement visible à New York dans le cas de la traite des pelleteries. En tant que consommatrices, les femmes apparaissent en effet au cœur des tentatives d’ouverture de nouveaux marchés, parfois plus risqués, en jouant de leurs connexions locales, de leur connaissance du droit et du terrain. Après la fin des années 1660, la traite des pelleteries se détériore, en raison d’un moindre apport de pelleteries, et conduit à une plus grande compétition ainsi qu’à une diversification des activités économiques des habitants, alors même que l’épicentre de la traite se déplace plus à l’ouest, le long de la rivière Mohawk. Cette plus grande compétition conduit notamment à des tentatives illégales pour intercepter les Haudenosaunees sur leur chemin. Les archives judiciaires des années 1668-1685 révèlent ainsi plusieurs cas de rencontres entre femmes européennes et autochtones pour échanger directement des peaux.
65Le 6 août 1678, cinq femmes et un homme sont ainsi poursuivis par le shérif d’Albany pour avoir entretenu ce type de contrebande81. La première, Temperance Loveridge, est accusée d’avoir intercepté un couple autochtone en chemin vers la ville pour y vendre des fourrures et de les avoir incités à venir chez elle pour leur acheter leur marchandise. Ce faisant, elle contrevient aux régulations relatives à la traite des pelleteries, en les empêchant de se rendre chez leur interlocuteur habituel, mais aussi en se tenant « à la porte de la ville » – jouant ainsi avec l’interdiction de se rendre hors-les-murs pour la traite. Le même jour, quatre autres femmes et un homme sont poursuivis pour une infraction similaire : cette fois-ci, le franchissement des limites de la ville est avéré, puisque les accusés ou leur famille sont trouvés « dans les maisons des Indiens », des hébergements construits à l’écart des remparts pour accueillir les Mohawks venus faire du commerce. La dimension informelle du commerce transparaît dans l’instrumentalisation des enfants européens, envoyés dans ces maisons pour dissimuler la nature marchande des transactions extérieures.
« Le plaignant dit que les accusés s’aventurent constamment dans les maisons des Indiens sur la colline, et ce contrairement à l’ordonnance à ce sujet, ou y envoient leurs enfants, afin de commercer avec les Indiens82. »
66La démarche dénote des interactions et des circulations quotidiennes entre les peuples, motivées par l’approvisionnement en ressources alimentaires, et instrumentalisées à des fins de contrebande. L’infraction est en outre précisée comme étant une récidive après un premier rappel à l’ordre et une première amende. Sur les six personnes poursuivies ce jour-là, cinq sont des femmes. Le commerce a lieu principalement hors-les-murs, dans les habitations indiennes, mais peut aussi avoir lieu dans le domicile des habitantes d’Albany, comme dans le cas de Temperance Loveridge, précédemment évoquée : après être entrée en contact avec le couple autochtone, elle enlace la femme et l’attire chez elle. Les femmes ne se contentent pas d’un rôle de passeuses mais participent activement à la négociation de l’échange, depuis l’identification d’interlocuteurs potentiels jusqu’à la négociation d’un prix et d’une transaction. Le mode opératoire de Temperance Loveridge et des autres personnes mentionnées met en avant l’implication d’autres membres de la famille dans ces échanges ainsi qu’une dimension locale, de proximité. Ces éléments donnent à voir une activité marchande largement bâtie sur des réseaux de sociabilité locaux, des réseaux non seulement familiaux mais aussi entre Européens et Autochtones.
67Quant à la dimension informelle de l’échange et à ses risques, ils sont partie prenante de l’activité. Lorsque Loveridge est interceptée par le shérif, elle lui déclare : « Va-t’en, tu interfères avec mon marchandage. Si je dois te donner de l’argent, laisse-m’en gagner suffisamment pour le faire83. » Non seulement celle-ci est consciente de l’illégalité de son activité, mais elle envisage l’amende comme un risque calculé faisant pleinement partie de son commerce, dans le cadre d’une « économie de fortune », pour reprendre l’expression de l’historienne Olwen Hufton84. À la même période Grietje Borsboom est poursuivie pour le même crime, à Schenectady, cette fois. Le 3 février 1680, le shérif organise une fouille chez elle, à laquelle elle oppose une résistance physique ; deux ans et demi plus tard, le 4 octobre 1681, il l’appréhende au niveau des portes d’Albany, accompagnée de son fils, alors que tous deux cachent des peaux sous leurs vêtements. Une altercation physique s’ensuit, Borsboom arguant que les fouilles du shérif sont impudentes. La ligne de défense de Borsboom montre ainsi son jeu avec les frontières corporelles de l’intime pour faire passer illégalement la marchandise85.
68Ces indices d’une activité suivie de contrebande suggèrent qu’il existe un pan entier de l’activité marchande des femmes qui échappe aux sources, car pour cinq femmes prises sur le fait, combien commerçaient sans être inquiétées par le shérif ni être poursuivies pour dettes impayées ? L’importance prise par ces pratiques transparaît en revanche dans une pétition de 1681, signée par 27 marchands d’Albany qui demandent aux autorités une plus grande sévérité. C’est que celles-ci semblent, même si elles sont condamnées par le droit, faire pleinement partie du fonctionnement de la vie marchande à Albany, et les femmes y ont une implication significative, liée à leur genre.
69L’activité illégale de Grietje Borsboom et des autres individus poursuivis en août 1678 repose largement sur la frontière ténue entre relations familiales ou de voisinage et relations marchandes. L’informel s’appuie, plus encore que les activités marchandes formelles, sur la famille autre que le chef de feu, celle dont la condamnation pourrait être plus clémente et surtout moins dommageable pour le foyer. Au niveau local, les interactions avec les nations autochtones reposent sur cette fluidité favorisée par le lien familial, culturel, mais aussi par le genre.
Les enjeux intersectionnels des échanges marchands
70L’historiographie sur l’Europe a montré que le dynamisme des échanges marchands repose sur des réseaux de connaissance : en situation coloniale, ces réseaux incluent également les populations autochtones et, occasionnellement, d’origine africaine86. Les poursuites contre Temperance Loveridge, Grietje Borsboom et d’autres femmes pour contrebande de pelleteries à Albany permettent en outre de voir que les réseaux sur lesquels repose le commerce ne sont pas uniquement européens87. L’envoi des enfants dans les maisons autochtones des abords d’Albany souligne ainsi un rapport de voisinage bâti sur une grande connivence avec ses habitants et le maintien de relations pacifiques et suivies avec les nations environnant Albany. La constitution d’un marché, formel comme informel, implique que ses participants disposent d’un réseau hors de la population blanche, rendant possible, entre autres, l’exposition des éléments les plus vulnérables d’une famille.
71D’une manière générale, la région d’Albany est caractérisée par des relations cordiales entre Européens et populations autochtones environnantes – Mohicans et Haudenosaunees – qui échangent, outre des pelleteries, une grande variété de ressources mais aussi des techniques agricoles. Le 5 janvier 1684, Teunis Dirksen décrit l’acquisition par Tryn Claes d’une grande quantité de maïs auprès de deux squaws à Potik, et comment la quantité de maïs fut mesurée par « une vieille squaw », garante des deux autres – montrant ainsi un réseau structuré pour la redistribution des ressources. Par la suite, le maïs acquis par Tryn Claes est transporté par trois hommes dans une carriole afin d’être convoyé à Albany. On voit donc une répartition des rôles où c’est une femme qui est chargée de la transaction avec d’autres femmes88. Le livre de comptes d’Evert Wendell, couvrant les années 1695 à 1726, permet également de voir cette même mixité des réseaux marchands à l’échelle d’une famille. Evert Wendell est intégré dans l’oligarchie mercantile d’Albany, avec beaucoup de connexions locales dans les réseaux étendus de vingt familles participant à la traite des pelleteries. Par ailleurs, son activité de traite implique son frère, Harmanus, mais aussi sa sœur Hester. Enfin, ce réseau s’étend également aux interlocuteurs autochtones de la fratrie89.
72La mixité des acteurs et actrices autochtones dans les échanges, observée pour la période néerlandaise, reste avérée à la fin du siècle : dans leur récit de voyage, Jasper Danckaerts et Pieter Sluyter évoquent les activités marchandes de femmes mohawks et surtout les métissages qui en découlent. Ils évoquent ainsi leur rencontre avec Eltie ou Illetie, une femme de mère mohawk et de père européen :
« Elle était née d’un père chrétien et d’une mère indienne, des tribus Mohawk. Sa mère était restée vivre parmi les Mohawks et elle vivait avec elle, de la façon dont les Indiens vivent ensemble. […] parfois, elle accompagnait sa mère faire du commerce et des achats avec les Chrétiens, ou les Chrétiens venaient parmi eux […]90. »
73Il ressort de son récit que sa décision de se convertir et de s’installer à Albany est une conséquence de circulations régulières entre société mohawk et société coloniale :
« La femme qui a élevé Illetie, la femme indienne […] est plus sage que dévote bien que son savoir ne soit pas extensif et ne surpasse pas celui des femmes de Nouvelle-Néerlande. C’est véritablement une femme mondaine, fière et présomptueuse, avec un sens aiguisé du commerce avec les sauvages comme avec les apprivoisés, comme je les appelle pour ne pas les qualifier de Chrétiens […] Elle a un époux, son second et il est, je crois, Papiste. Il reste à la maison pendant qu’elle parcourt la région pour entretenir son commerce. En définitive, elle est une de ces commerçantes hollandaises qui comprennent si bien leur commerce91. »
74Illetie a été recueillie par une femme qui a les mêmes origines qu’elle, qui lui a appris le Néerlandais – au point qu’Illetie devient une interprète – et intègre sans doute le réseau marchand auquel appartenait sa mère. Elle est décrite comme une femme suffisamment aguerrie aux pratiques européennes pour être comparée à une « commerçante hollandaise ». Cette trajectoire donne à voir l’existence d’un réseau bâti sur les échanges marchands, mais aussi sur le genre : le départ d’Illetie de son milieu mohawk d’origine est facilité par la présence de femmes mohawks vivant parmi les Européens et servant d’intermédiaires. Les échanges marchands sont au cœur de ces circulations : la liaison qui a donné naissance à Illetie peut avoir été conséquence d’une transaction marchande. Illetie s’est, quant à elle, impliquée dans le commerce du fait de sa position d’interprète. Enfin, un de ses neveux mohawks a été recueilli par un oncle installé à proximité d’Albany car ce dernier avait besoin d’un intermédiaire pour aller chercher les pelleteries dans les bois. L’existence de ces réseaux autochtones et métisses et leur mixité explique que près la moitié des 325 à 330 partenaires commerciaux autochtones listés dans le livre de comptes d’Evert Wendell soient des femmes, venues aussi bien des Cinq-Nations Haudenosaunee que des Mohicans. Elles représentent ainsi plus de 47 % d’un total de 400 comptes ouverts entre 1695 et 172692 – seules ou bien accompagnées d’un homme, dans un rôle d’interprète ou d’escorte.
75Du reste, les Wendell avaient tendance à noter les noms des hommes plus souvent que ceux de leurs interlocutrices féminines. Parmi les interlocuteurs non nommés, près de 93 % sont des femmes93. Cela permet d’envisager une possible sous-documentation des sources vis-à-vis de cette présence féminine autochtone dans les échanges marchands. Ceci est très révélateur des modalités de cette participation, où une position de subalterne, ou jugée telle par des interlocuteurs européens se traduit par un silence dans les sources. Le simple fait qu’elles ne soient pas nommées montre que Wendell pouvait les percevoir comme des interlocutrices secondaires par rapport à leurs homologues masculins.
76Ces circulations avec les nations autochtones environnantes contribuent également au maintien d’échanges avec la Nouvelle-France voisine, entretenant une rivalité commerciale qui prend la forme de pratiques de contrebande, mais aussi d’affrontements et de raids impliquant notamment les Hurons et les Haudenosaunees, dès la fin du xviie siècle. Ainsi, 142 hommes, 68 femmes et 209 enfants ont quitté le comté d’Albany pour échapper à la guerre entre 1689 et 1698 – soit une perte de plus de 27 % de la population. En mars 1692, les départs sont tels que le gouvernement ordonne aux habitants en âge d’être en armes ayant quitté Albany « par peur ou tout autre malentendu » à revenir sous quinze jours et leur interdit de quitter la ville et le comté ; la vie sur la frontière est ainsi présentée en termes de « poste à tenir » et la fuite en termes de « désertion », et la notion de courage viril est placée au cœur de la possibilité de maintien de l’installation coloniale94. Quelques années plus tard, le 23 octobre 1711, Daniel Kettle, vivant à Albany, explique ainsi avoir vu ses terres brûlées et avoir perdu une grande partie de sa famille aux mains des Hurons : deux enfants, deux frères et une sœur sont tués et sa femme a été capturée ; il demande donc l’autorisation d’aller au Canada au secours de son épouse, en échange de ses services au combat95. Ces tensions sont également décrites par Robert Livingston, dans une lettre au gouverneur Sloughter en juin 1691. Après s’être entretenu avec Taonnochrio, un Mohawk, il avertit le gouverneur de tentatives françaises d’interrompre le commerce de pelleteries vers Albany. Taonnochrio revient alors tout juste de Mont Réal avec avec trois « Squaes » à Albany, et avertit Livingston d’un raid imminent d’Outaouais contre les Senecas, information obtenue par les trois femmes – dont l’une est sa sœur96. Il ne s’agit là que d’une des nombreuses péripéties de ces tensions entre Français et Anglo-Néerlandais, mais l’échange témoigne des circulations d’informations permises par les allées et venues des Mohawks entre Nouvelle-France et New York, des connexions locales qui en résultent et de leur effet, non seulement sur les relations diplomatiques, mais aussi sur les échanges marchands.
Genre, réseaux et crédit : l’intégration dans des circulations impériales et interimpériales
77Au xviiie siècle, l’essor de l’économie de marché à New York repose largement des pratiques de consommation renouvelées et des réseaux formels et informels d’échanges97. L’importance de ces réseaux, familiaux et d’interconnaissances, est déterminante pour comprendre également les circulations transimpériales de marchandises. Outre les coureurs de bois, certains marchands installés en Nouvelle-France entretiennent des activités de contrebande avec l’Amérique anglaise à partir de réseaux familiaux ou diasporiques – l’historienne Leslie Choquette a notamment travaillé sur le cas de Gabriel Bernon et son activité clandestine entre Nouvelle-France et Nouvelle-Angleterre, rappelant ainsi la porosité des frontières entre les Empires98. Dans le cas de New York, le dynamisme de ces réseaux de confiance est avéré dès le xviie siècle.
78Les réseaux de familles et d’interconnaissances sont des éléments déterminants du fonctionnement politique et social de New York dès les décennies qui suivent 166499. Les rivalités de pouvoir en jeu dans la rébellion de Leisler en témoignent : cette révolte d’une partie de l’ancienne élite néo-néerlandaise agit comme un révélateur des jeux de factions qui marquent la société coloniale après le changement de souveraineté100. Politiquement parlant, celui-ci donne une importance nouvelle aux solidarités familiales constituées pendant la période néerlandaise : certains s’allient avec le nouveau pouvoir par mariage, d’autres marquent leur défiance.
79D’un point de vue économique, l’importance des réseaux de famille et de sociabilité permet également de comprendre, notamment pour le xviiie siècle, l’existence d’une oligarchie marchande dans les principales villes de la colonie, et aussi le rôle qu’y tiennent des figures féminines, étudié par Serena Zabin101. Alida Schuyler était ainsi la fille de Philip Schuyler et la sœur de Pieter Schuyler, premier maire d’Albany, et de Geertruyt Schuyler qui, par mariage, s’était alliée à une autre puissante famille négociante de l’élite coloniale, la famille Van Cortlandt. Alida, quant à elle, en épousant Robert Livingston, permet à cette famille de l’élite coloniale néerlandaise de s’allier avec la nouvelle élite anglaise, et à Robert Livingston de trouver un appui dans la vieille élite coloniale. Sa fille, Margaret Vetch, dite « la veuve Vetch », bénéficie également de ce réseau étendu. Semblablement, Mary Provoost Alexander, fille de Maria Schrick Praat et petite-fille de Cornelia de Peyster, bénéficie des réseaux de ces deux femmes réputées pour leur carrière marchande et la fortune acquise par leurs familles dans le négoce ; elle connaît une carrière prospère dans les années 1710-1760 à la tête de l’entreprise Emporium. Au cours de cette période, elle est feme covert de 1711 à 1719, puis à partir de 1721, mais s’impose pourtant comme une femme d’affaires majeure de New York, notamment grâce au solide réseau dans lequel elle est intégrée. Ces réseaux familiaux procèdent du statut de dépendance des femmes, mais leur procurent néanmoins le patrimoine et l’éducation nécessaires à la conduite d’une activité de commerce, ainsi qu’un réseau étendu de relations. Dans ce contexte, la coverture apparaît comme l’élément structurant la participation des femmes aux échanges marchands, bien plus que comme un facteur de restriction.
80Les dernières décennies du xviie siècle sont celles au cours desquelles les continuités, en dépit des transformations du droit, permettent le mieux d’apprécier les modalités d’insertion et de participation des femmes dans ces réseaux. La prise en compte d’un legs néerlandais permet de comprendre l’éducation reçue par les femmes de l’élite négociante et l’héritage culturel d’une partie de la colonie. S’il est vrai que la coverture permet, autant qu’elle restreint, la participation des femmes aux échanges économiques et marchands, il est fondamental de prendre en compte la façon dont ce système s’articule à un substrat culturel néerlandais déterminant dans la formation d’une oligarchie féminine marchande, de taille certes réduite, mais néanmoins influente également au xviiie siècle. Les cas de Margaret Hardenbroek ou d’Alida Schuyler sont les plus documentés. À Albany, les « épouses de » Jeronimus Ebbink et Willem Teller sont également particulièrement actives. Bien que de plus en plus dénommées par leur statut d’épouse et le nom de leur mari, leur place dans la hiérarchie sociale locale tient largement à leur activité de femmes d’affaires.
81« Juffrouw » Ebbink était née Johanna de Laet, fille de Johannes de Laet, géographe resté célèbre et un des directeurs de la WIC à Amsterdam ; elle était veuve, par un premier mariage, de Johan de Hulter, lui-même un négociant très actif en Nouvelle-Néerlande102. Pendant la période néerlandaise, alors qu’elle est connue comme la « veuve d’Hulter », elle est active dans le commerce de briques et de tuiles, pour lesquelles elle possède une briqueterie103. Elle se remarie par la suite à Jeronimus Ebbink et maintient une activité marchande, gérant aussi bien son commerce que son domaine situé aux alentours d’Albany, entre Rensselaerswijck et Esopus. Lors de transactions officielles, c’est Jeronimus Ebbink qui est tenu responsable et destinataire des transactions menées par sa femme : en 1676, lorsque Johanna vend à Juriaen Teunisen une ferme située à Rensselaerswijck pour la somme de 1 500 peaux de castor, c’est à Jeronimus que Teunisen établit une reconnaissance de dette104. Cela ne signifie pas pour autant que la marge de manœuvre économique et marchande de Johanna se trouve réduite : elle comparaît à plusieurs reprises devant les magistrats, munie de ses livres de comptes, pour justifier ses transactions et dettes, et à d’autres reprises, elle apparaît être en bonne intelligence commerciale avec d’autres figures importantes de la colonie, comme Margaret Hardenbroek105. Le cas de Johanna de Laet est typique de celui d’une femme de l’élite marchande néerlandaise : issue d’une famille très active dans le grand commerce depuis plusieurs générations, d’abord depuis Anvers, puis Amsterdam, elle avait reçu une éducation en ce sens. À côté de cet héritage familial, il faut ajouter l’alliance entre Johannes de Laet et Kiliaen Van Rensselaer, une alliance qui se retrouve dans les intérêts fonciers de Johanna à Rensselaerswijck. Cela témoigne de son insertion dans des réseaux régionaux, au niveau local à Rensselaerswijck, mais aussi au niveau provincial avec d’autres familles puissantes de la colonie.
82« Juffrouw Teller » n’est autre, quant à elle, que Maria Verleth, fille de Caspar Verleth, marchand à La Nouvelle-Amsterdam au réseau étendu. Déjà croisée dans les chapitres précédents notamment pour sa première union avec Johannes Van Beeck, fils d’un des directeurs de la WIC, elle a ensuite épousé Paulus Schrick ; ces deux unions, ainsi que ses connexions familiales, la placent au cœur d’un réseau familial et territorial lui procurant une grande influence dans la société coloniale. Deux de ses enfants ont pour parrain et marraine Cornelis Van Ruyven, un des secrétaires coloniaux, et Anna Stuyvesant, la sœur de Pieter Stuyvesant (et dont le fils, Nicolaes Bayard, est marié à Judith Verleth, sa sœur)106, témoignant des ramifications politiques de ces connexions familiales. Un de ses fils avec Paulus Schrick épouse Maria de Peyster, matérialisant également un lien avec une autre puissante famille marchande. Elle épouse Willem Teller, un ancien administrateur de la WIC et important propriétaire terrien, en 1664. De ses premiers mariages et de son père, Maria hérite également d’un patrimoine conséquent à Manhattan et Long Island, qu’elle gère en même temps que le domaine de son époux à Albany. Les archives judiciaires la montrent régulièrement entre Albany et New York, où elle règle les comptes en instance de Paulus Schrick encore dix ans après sa mort, lesquels font état de la variété des produits vendus à l’époque : ainsi, Jacob Kip lui doit 600 coudées de toile d’Osnaburg107 ; à la mort de Jan Jacob, un capitaine de navire, elle demande le règlement d’une dette en pelleteries et en tabac due à Schrick ; il faut en outre ajouter les biens fonciers de Schrick qu’elle conserve en bail à New York. Au cours d’un de ses passages à New York en 1665, elle est accusée de vol, à propos du patrimoine de Caspar Verleth, une accusation pour laquelle elle demande une réparation de réputation nécessaire à la conduite de son activité marchande108. Pour ces deux femmes, outre leurs connexions familiales et leur savoir-faire, la situation coloniale s’avère pourvoyeuse d’opportunités qui rendent compte de leur pouvoir économique : mariages et remariages les connectent à l’élite locale, et surtout leur carrière repose sur l’exploitation des ressources locales et la redistribution de marchandises dans l’ensemble de la colonie. Le réseau ne repose pas que sur la famille mais aussi sur un ancrage régional et local.
83À des niveaux plus modestes et plus locaux de la société coloniale, l’existence de réseaux familiaux et de connaissances est en outre cruciale pour comprendre l’implication active de groupes subalternes dans des réseaux marchands. Lorsque Catryn Meuws, Anna Ketelheym, Anna Van Valkenburg, Marritje « épouse de Zacharias » ou Claes Ripse sont poursuivis pour s’être rendus dans les « petites maisons indiennes109 », le quartier autochtone aménagé aux portes d’Albany, pour y acquérir directement des pelleteries, l’importance de réseaux bâtis sur le voisinage est patente. En effet, les cinq individus sont poursuivis collectivement par le shérif :
« [P]uisque le plaignant a trouvé les accusés ou leurs enfants dans lesdites maisons indiennes à de nombreuses reprises, il ne peut se contenter d’une amende unique, mais demande que les accusés soient condamnés à payer, chacun, au moins une amende double, conformément à l’ordonnance110. »
84Si l’amende est précisée comme individuelle et double, probablement pour garantir son effet dissuasif, l’accusation s’appuie sur un fonctionnement collectif et répété de cette traite de contrebande.
85Par contraste avec la région d’Albany, caractérisée par des circulations liées à la proximité du territoire haudenosaunee, la ville New York est caractérisée par son économie portuaire. L’importance toujours significative des procès pour diffamation jusqu’en 1675 y signale aussi l’importance que peuvent revêtir des réseaux de sociabilité dans la conduite d’activités marchandes. Nous avons précédemment identifié le contenu genré des insultes pour lesquelles les colons demandaient réparation. Au moins deux affaires de diffamation permettent ici de voir l’importance de sociabilités féminines dans le maintien d’une bonne réputation marchande. La première affaire est celle qui oppose Lysbet Ackermans à Grietje Pieters, puis à d’autres femmes de la communauté new-yorkaise en mars 1665. Cliente à la taverne tenue par Pieters et tavernière elle-même, Ackermans est accusée par celle-ci de lui avoir volé une peau de castor. Voyant son honnêteté et, partant, son intégrité marchande mises en cause, Ackermans saisit la justice municipale, mais l’affaire prend de l’ampleur quand la rumeur du vol se répand dans New York. S’ensuit une série de poursuites contre plusieurs femmes de la communauté, dont principalement Grietje Pieters, mais aussi Maria Pia, Sara Teunis puis Josyntje Verhagen, témoignant de l’importance de la médisance dans la destruction de sa réputation marchande. Par ailleurs, Grietje Pieters et Josyntje Verhagen sont toutes deux tavernières (de façon informelle pour Verhagen) et la rumeur part de ce lieu, épicentre de la vie marchande et véritable médiation de la participation des femmes à celle-ci, ce qui peut présupposer une forme de rivalité. Deux ans plus tard, le 27 mars 1667, Anna Reinart, originaire de (la nouvelle) Haarlem, se plaint à la cour municipale de New York d’avoir été « faussement accusée de vol par trois femmes de votre ville ». Le 3 avril 1667, elle nomme Sara Teunis – dont on peut penser qu’il s’agit de la même que celle impliquée dans la rumeur contre Lysbet Ackermans –, Maeyke Oblinus et Tryntje Pietersen comme les instigatrices de la rumeur111. Ces affaires de diffamation font ressortir l’importance d’un solide réseau de sociabilités locales genrées, nécessaire au maintien d’une bonne réputation. Les réseaux sont en général envisagés avant tout sous l’angle du patrimoine et des contacts qu’ils procurent aux marchands les plus influents. À un niveau plus modeste, on peut voir qu’un réseau de sociabilités contribue à façonner la participation des femmes à la société marchande.
86Ainsi, hommes comme femmes, Européens et Autochtones circulent et échangent quotidiennement sur les places publiques, dans les tavernes et autres lieux traditionnels de transactions. Cela ne signifie pas que tous jouissent des mêmes prérogatives ni de la même position de pouvoir, mais que les provisions du droit structurent plus qu’elles ne restreignent la participation des uns et des autres. On observe également que la connivence de genre – partager une expérience de femme en charge d’un foyer – peut faciliter des échanges par-delà des frontières culturelles.
87Du commerce d’envergure atlantique aux interactions quotidiennes dans les espaces de frontière, les échanges marchands frappent par leur mixité ; l’articulation des hiérarchies de genre, de classe et de race apparaît comme garante de la fluidité des échanges dans la mesure où cette articulation facilite des transactions à la limite de l’informel et d’importance variable.
⁂
88En dépit d’un changement, certes graduel, mais inéluctable, du droit, les modes de participation des femmes à l’économie marchande maintiennent des continuités évidentes de part et d’autre du changement de souveraineté, ne serait-ce que par la persistance d’un fonctionnement par réseaux de confiance et de crédit, à tous les niveaux de l’économie coloniale. En revanche, la judiciarisation de cette participation est en très nette baisse. Les questions posées sont ainsi autant celles du poids culturel et juridique d’un legs néerlandais à New York que celles d’une évolution structurelle et commune à d’autres territoires coloniaux dans la judiciarisation des femmes en cas de litige économique. Au xviiie siècle, Deborah Rosen argue que New York passe d’une économie basée sur la confiance et les réseaux de connaissance à une économie contractuelle, ce qui peut avoir fragilisé le rôle marchand des femmes, un phénomène indéniable ; néanmoins, avec la prise en compte d’actrices économiques n’appartenant pas forcément au monde des affaires, nous constatons le maintien d’une participation souvent plus informelle et moins représentée dans les sources, permettant des liaisons territoriales encore trop peu explorées, notamment en amont de l’Hudson, dans les espaces de contact avec les territoires haudenosaunees et la Nouvelle-France. Si les femmes apparaissent moins dans les archives, notamment judiciaires, elles restent des rouages importants de la vie économique et marchande de la province, selon des modalités différentes, en tant qu’épouses invisibilisées par les présupposés de la coverture et de la communauté de biens, parfois en tant qu’actrices actives de réseaux de contrebande.
89L’influence marchande de certaines femmes s’était construite, pendant la période néerlandaise, à la faveur de réseaux locaux et atlantiques, des réseaux qui restent très vivaces après le changement de souveraineté et s’appuient sur des hiérarchies de classe, mais aussi de race et de genre. Si le régime juridique anglais de la coverture s’avère plus restrictif dans son texte, notamment en termes de prérogatives économiques, la souplesse de son application permet à certaines femmes de réellement prospérer dans le négoce au xviiie siècle, comme en témoignent les carrières de Mary Spratt, épouse Provoost puis Alexander, ou encore d’Ann Elizabeth Schuyler112. En dépit d’un statut juridique contraignant, les femmes apparaissent comme des intermédiaires nécessaires au sein de réseaux marchands aussi bien locaux qu’atlantiques, jouant de leurs relations familiales ou allant à la rencontre de populations subalternes. En effet, si le changement de souveraineté oppose un nouveau pouvoir anglais à l’ancien, néerlandais, et ce dans tous les domaines, le plus évident des rapports de force qui se joue alors repose sur un processus de racialisation qui façonne de plus en plus la société coloniale.
Notes de bas de page
1Linda Briggs Biemer, Women and Property in Colonial New York: the Transition from Dutch to English Law 1643-1727, Ann Arbor, UMI Research Press, 1983 ; Joan R. Gunderson et Gwen Victor Gampel, « Married Women’s Legal Status in Eighteenth-Century New York and Virginia », The William and Mary Quarterly, 39/1, 1982, p. 114-134 ; David Narrett, Inheritance and Family Life in Colonial New York City, Ithaca, Cornell University Press, 1992 ; Deborah A. Rosen, Courts and Commerce: Gender, Law, and the Market Economy in Colonial New York, Columbus, Ohio State University Press, 1997 ; Martha Dickinson Shattuck, « Women and Trade in New Netherland », Itinerario, 18/2, 1994, p. 40-49 ; la notion de « marginalisation », utilisée par Deborah Rosen, renvoie à Cornelia Hughes Dayton, Women Before the Bar: Gender, Law, and Society in Connecticut, 1639-1789, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1995, p. 69-104.
2Jeanne Boydston, « The Woman Who Wasn’t There: Women’s Market Labor and the Transition to Capitalism in the United States », Journal of the Early Republic, 16/ 2, 1996, p. 185.
3D. A. Rosen, Courts and Commerce, op. cit. ; C. H. Dayton, Women before the bar, op. cit. ; Ellen Hartigan-O’Connor, The Ties That Buy: Women and Commerce in Revolutionary America, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2011 ; Peter Charles Hoffer, Law and People in Colonial America, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1998 ; Marylynn Salmon, Women and the Law of Property in Early America, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1989, p. 11, 28-30.
4Doug Catterall et Jodi Campbell (éd.), Women in Port: Gendering Communities, Economies, and Social Networks in Atlantic Port Cities, 1500-1800, Leyde, Brill, 2012 ; Sara T. Damiano, To Her Credit: Women, Finance, and the Law in Eighteenth-century New England Cities, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2021 ; E. Hartigan-O’Connor, The Ties That Buy, op. cit. ; Cathy D. Matson, Merchants & Empire: Trading in Colonial New York, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1998 ; Bernard Michon et Nicole Dufournaud (éd.), Femmes et négoce dans les ports européens (fin du Moyen Âge-xixe siècle), Berne, Peter Lang, 2018 ; Serena R. Zabin, Dangerous Economies: Status and Commerce in Imperial New York, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2009.
5Lauren A Benton, A Search for Sovereignty: Law and Geography in European Empires, 1400-1900, Cambridge, Cambridge University Press, 2010. Benton parle ainsi de « variegated legal spaces ».
6George Rodgers Howell (éd.), Colonial records. General entries, vol. I. 1664-65, Albany, University of the State of New York, 1899, p. 23.
7D. Narrett, Inheritance and Family Life in Colonial New York City, op. cit.
8New York Council Papers, 1664-1781 (NYCP) – NYSA A1894 vol.22 doc.129 – trad. angl. : Peter R. Christoph (éd.), Administrative Papers of Governors Richard Nicolls and Francis Lovelace, 1664-1673, Baltimore, Genealogical Publishing Co., 1980, p. 175.
9Charles Zebina Lincoln, William H. Johnson et Ansel Judd Northrup (éd.), The Colonial Laws of New York from the Year 1664 to the Revolution: Including the Charters to the Duke of York, the Commissions and Instructions to Colonial Governors, the Duke’s Laws, the Laws of the Dongan and Leisler Assemblies, the Charters of Albany and New York and the Acts of the Colonial Legislatures from 1691 to 1775 Inclusive, vol. 1, Albany, J. B. Lyon, state printer, 1894, p. 7-100.
10Ibid., p. xii ; John Romeyn Brodhead, Berthold Fernow et E. B. O’Callaghan (éd.), Documents Relative to the Colonial History of the State of New-York: Procured in Holland, England, and France, vol. 3, Albany, Weed, Parsons & Co., 1853, p. 390.
11Résolution de l’Assemblée générale du 24 avril 1691 – Colonial Laws of New York, op. cit., p. xix.
12La notion d’anglicisation a été introduite notamment par : John Murrin, Anglicizing an American Colony: The Transformation of Provincial Massachusetts, thèse de doctorat, New Haven, Yale University, 1966 ; Timothy H. Breen, « An Empire of Goods: The Anglicization of Colonial America », The Journal of British Studies, 25/4, 1986, p. 467-499. Question abordée à propos de New York in Joyce D. Goodfriend, Before the Melting Pot: Society and Culture in Colonial New York City, 1664-1730, Princeton, Princeton University Press, 1992.
13T. E., The Lawes Resolutions of Womens Rights, or, The Lawes Provision For Woemen: A Methodicall Collection of Such Statutes and Customes, With the Cases, Opinions, Arguments, and Points of Learning in the Law, as Doe Properly Concerne Women, Londres, Assignes of John More, 1632. Ce traité (anonyme) d’explication du droit commun concernant les femmes est le premier d’une série de quatre traités, les suivants datant du xviiie siècle. La charge contraignante du droit à l’endroit des femmes transparaît dans le titre du quatrième de ces traités, The Hardships of the English Laws. In Relation to Wives, un traité vraisemblablement rédigé par une femme en 1735.
14Colonial Laws of New York, op. cit., p. 114-115, 150-151.
15The Lawes Resolutions of Womens Rights, op. cit. Texte reproduit sur The Norton Anthology of English Literature, [http://www.wwnorton.com/college/english/nael/17century/topic_1/laws.htm], consulté le 8 janvier 2014.
16L. B. Biemer, Women and property in Colonial New York, op. cit. ; M. D. Shattuck, « Women and Trade in New Netherland », art. cité ; D. Narrett, Inheritance and Family Life in Colonial New York City, op. cit. ; J. R. Gunderson et G. V. Gampel, « Married Women’s Legal Status in Eighteenth-Century New York and Virginia », art. cité.
17Anne Laurence, « How Free Were English Women in the Seventeenth Century? », in Els Kloek, Nicole Teeuwen et Marijke Huisman (éd.), Women of the Golden Age. An International Debate on Women in Seventeenth-Century Holland, England and Italy, Hilversum, Verloren, 1994, p. 133.
18Mary Prior, « Freedom and Autonomy in England and the Netherlands: Women’s Lives and Experience in the Seventeenth Century », in E. Kloek, N. Teeuwen et M. Huisman (éd.), Women of the Golden Age, op. cit., p. 137-140.
19Anne Laurence, « How Free Were English Women in the Seventeenth Century? », in Els Kloek, Nicole Teeuwen et Marijke Huisman (éd.), Women of the Golden Age, op. cit., p. 133.
20William Blackstone, Commentaries on the Laws of England, Oxford, Clarendon Press, 1765 ; voir l’analyse faite par Amy Louise Erickson, Woman and Property in Early Modern England, Londres, Routledge, 1993, p. 21-45.
21L. B. Biemer, Women and property in Colonial New York, op. cit.
22NYMA RNA Box 1.2.4, 1.2.5, 1.2.6 ; trad. : Berthold Fernow (éd.), The Records of New Amsterdam from 1653 to 1674 Anno Domini, vol. 1-7, New York, Knickerbocker Press, 1897 ; Kenneth Scott (éd.), Minutes of the Mayors Court of New York, 1674-1675, Baltimore, Genealogical Pub. Co., 1983. Le reste des registres de la cour municipale pour les années 1690-1760 est conservé à la New York State Supreme Court Courthouse, à New York ; notons l’édition partielle de ces minutes in Richard B. Morris (éd.), Select Cases of the Mayor’s Court of New York City: 1674-1784, Washington, D.C., American Historical Association, 1935. Pour Beverwijck/Albany : Charles T. Gehring (éd.), Fort Orange Court Minutes (1652-1660), Syracuse, Syracuse University Press, 1990, 591 p. ; Arnold J. F. Van Laer (éd.), Minutes of the Court of Albany, Rensselaerswijck and Schenectady (1668-1673), vol. 1, Albany, University of the State of New York, 1926 ; Arnold J. F. Van Laer (éd.), Minutes of the Court of Albany, Rensselaerswijck and Schenectady (1673-1680), vol. 2, Albany, University of the State of New York, 1926 ; Arnold J. F Van Laer (éd.), Minutes of the Court of Albany, Rensselaerswyck and Schenectady 1680-1685, vol. 3, Albany, University of the State of New York, 1932.
23Dettes sur un patrimoine familial, dettes de commerce (relatives à une échoppe ou à une activité de négoce) ou activités commerciales délictueuses (de contrebande, par exemple), sans prise en compte des défauts ; les comparutions multiples pour une même affaire ne sont comptabilisées qu’une fois.
24NYMA Box 1.2.4 doc. 616c, 617b ; trad. : Peter R Christoph et Florence A Christoph, New York Historical Manuscripts: English; Books of General Entries of the Colony of New York 1664-1673, Baltimore, Genealogical Pub. Co., 1982, p. 92-94.
25Alden Chester et Edwin Melvin Williams, Courts and Lawyers of New York: A History, 1609-1925, Clark, The Lawbook Exchange, Ltd., 1925, p. 301-367.
26Colonial Laws of New York, op. cit., p. 125-128.
27MCARS, vol. 3, p. 7-9.
28D. A. Rosen, Courts and Commerce, op. cit., p. 95-110 ; S. R. Zabin, Dangerous Economies, op. cit., p. 32-56.
29A. Chester et E. M. Williams, Courts and Lawyers of New York, op. cit., p. 301-397.
30Select Cases of the Mayor’s Court of New York City, op. cit. ; Minutes of the Mayors Court of New York, 1674-1675, op. cit.
31D. A. Rosen, Courts and Commerce, op. cit., p. 153.
32Ibid., p. 111-134.
33T. E., The Lawes Resolutions of Womens Rights, op. cit.
34Lois Green Carr et Lorena S. Walsh, « The Planter’s Wife: The Experience of White Women in Seventeenth-Century Maryland », The William and Mary Quarterly, 34/4, 1977, p. 542-571 ; C. H. Dayton, Women before the bar, op. cit. ; Allan Kulikoff, Tobacco and Slaves: the Development of Southern Cultures in the Chesapeake, 1680-1800, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1986 ; Daniel Blake Smith, Inside the Great House: Planter Family Life in Eighteenth-Century Chesapeake Society, Ithaca, Cornell University Press, 1986.
35Joanne Bailey, « Favoured or Oppressed? Married Women, Property and Coverture in England, 1660-1800 », Continuity and Change, 17/ 3, 2002, p. 351-372 ; Merridee L. Bailey, Tania M. Colwell et Julie Hotchin, Working for Women: Experiences, Relationships and Cultural Representation in Pre-Modern Europe, Farnham, Ashgate, 2016 ; A. L. Erickson, Woman and Property in Early Modern England, op. cit., p. 99-150 ; Anthony Fletcher, Gender, Sex, and Subordination in England, 1500-1800, New Haven, Yale University Press, 1995, p. 223-256 ; Susan Kingsley Kent, « Gender Rules: Law and Politics », in Teresa A. Meade et Merry E. Wiesner (éd.), A Companion to Gender History, Malden, Blackwell Publishing, 2004, p. 94 sqq. ; François-Joseph Ruggiu, « Les Anglaises et le droit à l’époque moderne », La femme dans la cité. Entre subordination et autonomie. Normes et Pratiques. Textes réunis et présentés par Jean-Paul Barrière en Véronique Demars-Sion, Lille, Centre d’histoire judiciaire, 2003, p. 113-131.
36Sheryllynne Haggerty, The British-Atlantic Trading Community, 1760-1810: Men, Women, and the Distribution of Goods, Leyde, Brill, 2006 ; David Pennington, Going to Market: Women, Trade and Social Relations in Early Modern English Towns, C. 1550-1650, Farnham, Ashgate, 2015.
37S. T. Damiano, To Her Credit, op. cit. ; Serena R. Zabin, Dangerous Economies: Status and Commerce in Imperial New York, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2011, p. 36-48.
38À ce sujet, Ellen Hartigan O’Connor suggère d’ailleurs de repenser le lexique, suggérant que le terme « foyer » (home), s’il permet de mesurer la dimension relationnelle des échanges, « obscurcit le travail requis pour nour nourrir, nettoyer et subvenir aux besoins des corps ». Ellen Hartigan-O’Connor, « The Personal Is Political Economy », Journal of the Early Republic, 36/2, 2016, p. 335-341.
39NYMA RNA Box 1.2.5 doc.353c ; trad. : RNA, vol. 6, p. 93.
40MCARS, vol. 2, p. 78, 111-112 (doc. 21, 61).
41Ibid., p. 315-316 (doc. 321-322).
42Ibid., p. 467, 473 (doc. 486, 490).
43Contrat du 4 août 1662 puis acte de vente du 5 août 1662 in Jonathan Pearson et Arnold J. F. Van Laer (éd.), Early Records of the City and County of Albany and Colony of Rensselaerswyck, vol. 2, Albany, University of the State of New York, 1869, p. 17 ; Early Records of the City and County of Albany, and Colony of Rensselaerswyck, vol. 3, Albany, University of the State of New York, 1869, p. 170-171.
44ERAR, vol. 1, p. 456 ; vol. 2, p. 93.
45Cette part est de l’ordre de 28-29 % pour 1664-1665, puis est d’en moyenne 22 % pour les années suivantes.
46Arnold J. F. Van Laer (éd.), Minutes of the Court of Albany, Rensselaerswijck and Schenectady, 1668-1685, 3 vol., Albany, University of the State of New York, 1926-1932.
47D. Narrett, Inheritance and Family Life in Colonial New York City, op. cit.
48« William Churcher et ux. ver John Theobalds », M.C.M., 1695-1704, fos 460-462 ; édité in R. B. Morris (éd.), Select Cases of the Mayor’s Court of New York City, op. cit., p. 198-199.
49D. A. Rosen, Courts and Commerce, op. cit., p. 96-100. Ses conclusions sont similaires pour les comtés ruraux pour lesquels elle a eu accès aux sources (Dutchess, Ulster, Westchester).
50Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, « La femme seule à l’époque moderne : une histoire qui reste à écrire », Annales de démographie historique, 2000/2, 2001, p. 127-141 ; Scarlett Beauvalet-Boutouyrie, Être veuve sous l’Ancien Régime, Paris, Belin, 2001 ; André Lespagnol, « Femmes négociantes sous Louis XIV. Les conditions complexes d’une promotion provisoire », Populations et cultures. Études réunies en l’honneur de François Lebrun, Rennes, AFL, 1989, p. 463-470 ; Nicole Pellegrin (éd.), Veufs, veuves et veuvage dans la France d’Ancien Régime. Actes du colloque de Poitiers, 11-12 juin 1998, Paris, Champion, 2003 ; Richard Wall, « Women Alone in English Society », Annales de démographie historique, 1981/1, 1981, p. 303-317.
51D. Narrett, Inheritance and Family Life in Colonial New York City, op. cit.
52« Thomas Millard ver John Wytt et ux », M.C.M., 1715-1718, fos 131-133, édité in R. B. Morris (éd.), Select Cases of the Mayor’s Court of New York City, op. cit., p. 205-208.
53MCARS, vol. 3, p. 506 (doc. 628).
54Ibid., p. 459-460 (doc. 558).
55MCARS, vol. 1, p. 23-25 (doc. 12-13).
56S. R. Zabin, Dangerous Economies, op. cit., p. 43-48.
57NYMA RNA Box 1.2.4 doc. 448a, 572a ; trad. RNA, vol. 6, p. 149, 227-228.
58Ibid.
59Edmund Bailey O’Callaghan (éd.), Documents Relative to the Colonial History of the State of New-York: Procured in Holland, England, and France, vol. 2, Albany, Weed, Parsons and Co., 1853, p. 699. La liste d’imposition de 1674 montre ainsi que la fortune de Philipse est largement supérieure aux autres notables de la colonie – une fortune imputable à ses commerces propres, mais aussi aux affaires menées par son épouse.
60Linda Briggs Biemer, Women and property in Colonial New York, op. cit, p. 89.
61Lettre de John Werden au gouverneur de New York, Edmund Andros. DRHNY 3, p. 247.
62Ibid., p. 165-166.
63Le statut du mariage de Margaret Hardenbroek et Frederick Philipse est évoqué lorsque celui-ci adopte la fille que Margaret avait eue lors de son précédent mariage avec Pieter Rudolphus de Vries. Berthold Fernow et Walewyn Van der Veen (éd.), The Minutes of the Orphanmasters of New Amsterdam, 1655 to 1663, New York, F. P. Harper, 1902, p. 203-204.
64D. A. Rosen, Courts and Commerce, op. cit., p. 115.
65Jasper Danckaerts, Journal of Jasper Danckaerts, 1679-1680, New York, Scribner’s Sons, 1913, p. 36-37.
66Ibid., p. 29-30.
67Ibid., p. 54.
68Ibid., p. 42.
69DRHNY 3, p. 305.
70Ibid., p. 178.
71Doove Hester, un sobriquet hérité des conséquences d’une période de captivité parmi les Esopus, en 1663.
72MCARS, vol. 1, p. 302 (doc. 303).
73ERAR, vol. 1, p. 347.
74FOCM, p. 259, 370 (doc. 1 : 302, 2 : 40). La famille Fonda a fait l’objet d’importants travaux généalogiques dans la deuxième moitié du xxe siècle : « Old Dutch Families: Fonda Family », de Halve Maen, 1945 ; « A Career Woman in 17th Century New York (Hester Jans) », The New York Genealogical and Biographical Record, 95/5, 1964, p. 129-137 ; Marion Getman Fonda, Fonda Family Genealogy, Montgomery County Dept. of History & Archives, Fonda, NY, 1971 ; Howard A. McConville, « The Dutch Settlers Society of Albany Yearbook: The Fonda Family », The Dutch Settlers Society of Albany, 48, 1981, p. 17-20 ; Howard A. McConville, « The Dutch Settlers Society of Albany Yearbook: The Fonda Family », The Dutch Settlers Society of Albany, 49, 1984, p. 28-36 ; Richard D. Cadier, Fonda, A Family in the Hudson River Valley, New York, 1985 ; Robert G. Jr. Cooney, « Amsterdam Records of the Fonda Family », New York Genealogical and Biographical Record, 119/1, 1988, p. 1-5.
75MCARS, vol. 1, p. 141-142 (doc. 123) ; MCARS, vol. 2, p. 351-352 (doc. 364).
76Roger Wallice v. Elizabeth Fairday – MCM 1715-18, fos 262-268 ; James Renaudet Ver Elizabeth Fairday – MCM 1715-18, fos 241-243 ; Henry Swift v Elizabeth Fairday – MCM 1715-18, fos 257-259 ; édité in R. B. Morris (éd.), Select Cases of the Mayor’s Court of New York City, op. cit., p. 208-217.
77Gilles Havard, Histoire des coureurs de bois : Amérique du Nord, 1600-1840, Paris, Les Indes Savantes, 2016.
78MCARS, vol. 1, p. 293-294 (doc. 294) ; MCARS, vol. 3, p. 198, 403-404 (doc. 215, 478).
79NYMA RNA Box 1.2.5 doc. 347d, 364d, 435d ; trad. : RNA, vol. 6, p. 90, 100, 142.
80Sur la définition de l’informel, voir Alejandro Portes et Manuel Castells, « World Underneath: the Origins, Dynamics and Effects of the Informal Economy », The Informal Economy, Studies in Advanced and Less Developed Countries, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1989, p. 11-37 ; M. Estellie Smith, « The Informal Economy », in Stuart Palmer (éd.), Economic Anthropology, Stanford, Stanford University Press, 1989, p. 292-317 ; le rôle des femmes dans ce type d’économie a été souligné notamment in Laurence Fontaine et Florence Weber, Les paradoxes de l’économie informelle. À qui profitent les règles ?, Paris, Karthala, 2010 ; Olwen Hufton, The Poor of Eighteenth-Century France 1750-1789, Oxford, Clarendon Press, 1974 ; Penelope Lane, « Work on the Margins: Poor Women and the Informal Economy of Eighteenth and Early Nineteenth Century Leicestershire », Midland History, 22, 1997, p. 85-99 ; Merry E. Wiesner, « Paltry Peddlers or Essential Merchants? Women in the Distributive Trades in Early Modern Nuremberg », Sixteenth-Century Journal, 12, 1981, p. 3-13 ; S. R. Zabin, Dangerous Economies, op. cit., p. 57-80.
81MCARS, vol. 2, p. 345-346 (doc. 355, 356).
82Ibid.
83MCARS, vol. 2, p. 353-354 (doc. 365-366).
84« economy of makeshift » en anglais : O. Hufton, The Poor of Eighteenth-Century France 1750-1789, op. cit., p. 109.
85MCARS, vol. 2, p. 468-469 (doc. 487) ; MCARS, vol. 3, p. 169-170 (doc. 180).
86Olivier Pétré-Grenouilleau, Les Négoces maritimes français xviie-xxe siècle, Paris, Belin, 1997. L’auteur évoque ainsi un « capitalisme relationnel ».
87Voir supra.
88MCARS, vol. 3, p. 502-503.
89Kees-Jan Waterman, “To Do Justice to Him & Myself”: Evert Wendell’s Account Book of the Fur Trade with Indians in Albany, New York, 1695-1726, Philadelphie, American Philosophical Society Lightning Rod Press, 2008, p. 1-44.
90J. Danckaerts, Journal, op. cit. p. 201-216.
91Ibid., p. 201-216.
92K.-J. Waterman, « To Do Justice to Him & Myself », art. cité, p. 46-47.
93Ibid.
94NYCP – NYSA A1894 vol. 38 doc. 85.
95NYCP – NYSA A1894 vol. 56 doc. 139.
96Cité in Linda Breuer Gray, Narratives and Identities in the Saint Lawrence Valley, 1667-1720, Montréal, PhD Diss., McGill University, 1999, p. 135-142.
97E. Hartigan-O’Connor, The Ties That Buy, op. cit. ; D. A. Rosen, Courts and Commerce, op. cit. ; S. R. Zabin, Dangerous Economies, op. cit. ; à titre de comparaison, l’importance des lignages familiaux dans la structuration du commerce a été mis en évidence pour le cas français de Saint-Malo dans André Lespagnol, Messieurs de Saint-Malo. Une élite négociante au temps de Louis XIV, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011.
98Leslie Choquette, « Note de recherche. “Cela m’est de la dernière conséquence que le tout soit fait en secret” : le commerce clandestin entre la Nouvelle-France et la Nouvelle-Angleterre dans la correspondance de Gabriel Bernon, marchand huguenot », Revue d’histoire de l’Amérique française, 75/1-2, 2021, p. 89-103.
99Patricia U. Bonomi, A Factious People: Politics and Society in Colonial New York, New York, Columbia University Press, 1971.
100David William Voorhees, « “How ther poor wives do, and are dealt with”: Women in Leisler’s Rebellion », de Halve Maen, 40, 1997, p. 41-48 ; David William Voorhees, « Family and Faction », Explorers, Fortunes & Love Letters: a Window on New Netherland, Albany, New Netherland Institute/Mount Ida Press, 2009, p. 129-147.
101S. R. Zabin, Dangerous Economies, op. cit., p. 39-46.
102Johannes de Laet, Nieuwe wereldt ofte Beschrijvinghe van West-Indien, uit veelderhande schriften ende aen-teeckeninghen van verscheyden natien by een versamelt door Ioannes de Laet, ende met noodighe kaerten ende tafels voorsien, Leyde, Elsevier, 1625.
103FOCM, p. 458.
104Charles T. Gehring (éd.), Fort Orange Records, 1656-1678, Syracuse, Syracuse University Press, 2000, p. 194-196.
105Voir par exemple MCARS, vol. 1, p. 200 (doc. 187).
106Thomas Grier Evans (éd.), Collections of the New York Genealogical and Biographical Society, vol. II: Baptisms From 1639 to 1730 in the Reformed Dutch Church, New York, New York, Printed for the Society, 1901.
107L’osnaburg est un tissu de type toile de jute et lin fréquemment utilisé en milieu marin, venu initialement d’Osnabrück.
108NYMA RNA Box. 1.2.5 doc. 89a, 90a, 94b, Box 1.2.6 doc. 229c ; trad. : RNA, vol. 5, p. 307-309, 310 ; vol. 7, p. 11.
109Voir supra.
110MCARS, vol. 2, p. 356 (doc. 346).
111NYMA RNA Box 1.2.4 doc. 547e, 556a, Box 1.2.5. doc. 14b, 176a, trad. RNA, vol. 5, p. 192-194, 197, 246-247, 260, 265, 272-273 ; voir aussi Elaine Forman Crane, Witches, Wife Beaters, and Whores: Common Law and Common Folk in Early America, Ithaca, Cornell University Press, 2011, p. 40-42.
112S. R. Zabin, Dangerous Economies, op. cit., p. 32-56.

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