Chapitre V. « Leurs femmes très ordinaires »
De la Nouvelle-Néerlande à New York, un processus genré de domination
p. 161-192
Texte intégral
1Le 5 septembre 1664, alors que la flotte anglaise mouille au large de Manhattan, le conseil municipal de La Nouvelle-Amsterdam envoie la pétition suivante à Stuyvesant1 :
« Nous sommes informés de source sûre que quatre frégates sont arrivées de Vieille Angleterre jusqu’à Boston ou ses environs en Nouvelle-Angleterre, équipées d’un nombre considérable de soldats avec pour intention, d’après les informations reçues, d’attaquer et envahir ces lieux et les districts avoisinants, tout particulièrement sur Long Island, et qu’elles seraient en ce moment même en chemin. Si tout cela devait être avéré, ces éléments requièrent d’organiser correctement la défense de ce lieu2. »
2L’assaut conjoint anglais et novanglais obéit à des logiques diplomatiques imbriquées. Au niveau local, la rivalité entre Nouvelle-Angleterre et Nouvelle-Néerlande, notamment pour le contrôle des communautés anglophones installées sur Long Island, s’articule à des logiques atlantiques, liées aux conflits anglo-néerlandais et à l’attention portée par le duc d’York à l’empire anglais en Amérique du Nord. Dès le lendemain de cette pétition, pourtant, les citoyens de La Nouvelle-Amsterdam adressent une remontrance au directeur-général, par laquelle ils signifient leur refus de combattre.
« Nous avons conclu, en ces temps particulièrement critiques, que nous ne pouvons en pleine connaissance des circonstances actuelles, envisager pour ce fort et cette cité de Manhattans [sic] […] autre chose que malheur, chagrin, flammes, déshonneur des femmes, meurtre des enfants dans leur berceau et, en un mot, la ruine complète et la destruction de quinze cents âmes innocentes, dont seulement 250 sont en mesure de se battre. […]
Nous sommes certains que vos honneurs […] conviendront, avec l’aide de Dieu, d’une capitulation raisonnable et honorable, telle que notre Seigneur dans sa mansuétude, accepte de nous obtenir. Amen3. »
3Entre-temps, Richard Nicolls, le commandant de l’expédition, a envoyé des articles de capitulation très conciliants. Les citoyens de la ville voient dans la reddition la possibilité de maintenir une vie et un commerce fructueux après un transfert de souveraineté qui aurait tout d’un changement de personnel. Le 8 septembre 1664, soit deux jours après cette remontrance, Stuyvesant se rend donc aux troupes anglaises sans combattre. Dans les semaines qui suivent il retourne à Amsterdam pour rendre compte de l’événement, puis revient à Manhattan où il finit ses jours. À l’échelle atlantique et mondiale, il faut attendre 1667 et le traité de Bréda pour que le territoire soit officiellement cédé à l’Angleterre, en échange du Suriname et de l’île de Run dans les Moluques. Et dans cet intervalle de trois ans, le changement de souveraineté n’est pas disputé à l’échelle internationale. Pour les Néerlandais, la Nouvelle-Néerlande n’a jamais vraiment été le cœur d’un empire atlantique ; pour les Anglais, cette conquête en pleine période de Restauration Stuart marque le début d’un processus d’étatisation impériale des territoires coloniaux placés sous le contrôle de la Couronne anglaise4.
4L’attitude conciliante des autorités anglaises vis-à-vis des habitants de Nouvelle-Néerlande a été traditionnellement mise en avant par la recherche, pour qui ce changement de souveraineté n’est pas une rupture brutale. Joyce Goodfriend invite ainsi à envisager une évolution progressive de la société coloniale, un « processus multiforme initié [par la prise de New York] qui a mis des décennies à se développer5 ». Néanmoins, ceci ne saurait effacer le fait que le changement de souveraineté implique, pour les populations nouvellement placées sous contrôle anglais, une situation de domination, laquelle passe notamment par de nouveaux rapports de pouvoir.
5Du point de vue des femmes, nous l’avons vu, l’historiographie a mis en avant les effets du changement de souveraineté sur les prérogatives économiques des femmes, du fait de l’imposition de la common law. Mais du reste, une rupture politique implique également une rupture dans l’exercice du pouvoir et dans les représentations de celui-ci. Le genre entre en compte dans l’affirmation du nouveau pouvoir colonial et constitue un observatoire particulièrement fécond d’une société et de ses conflits en situation de changement de souveraineté. Si ce transfert politique se fait en apparence sans heurt majeur, les tensions qui émaillent les premières années de domination anglaise jusqu’à la crise de 1673-1674 font ressortir les enjeux genrés inhérents à un nouveau rapport de domination, qu’il s’agisse des normes de genre à l’œuvre dans le rapport de pouvoir qui s’installe entre la nouvelle élite dirigeante et la population coloniale, ou des sociabilités genrées qui constituent un contre-pouvoir qui échappe à cette même élite. Les archives administratives ouvrent ainsi une fenêtre sur des litiges et des rivalités locales ainsi que sur les réponses apportées par les gouverneurs successifs : par leur approche du quotidien et des conflits locaux, la rupture politique est envisagée en se mettant au ras du sol, donnant à voir les formes de résistance locales à la domination anglaise6. Deux générations plus tard, les récits de voyage fournissent un aperçu de la façon dont la société coloniale était perçue et analysée par des membres de la nouvelle élite britannique au tournant du xviiie siècle. L’élaboration d’un discours sur les normes genrées en vigueur dans les milieux populaires néerlandais et assimilés révèle les modalités culturelles d’un rapport de domination persistant, plusieurs décennies après le changement de souveraineté.
Pouvoir anglais et crises de leadership : une confrontation genrée
6Si le changement de souveraineté a longtemps été présenté comme progressif et sans heurt majeur, l’acceptation de celui-ci n’est, pour autant, pas unanime ni uniforme. L’historienne Donna Merwick avait notamment attiré l’attention sur le suicide du notaire hollandais Adriaen Janse Van Ilpendam, en 1685 : elle analysait ce geste désespéré à la lumière d’un changement politique qui remet en question la raison d’être et le rôle social d’une main publique au service du pouvoir néerlandais7. Du reste, si le premier gouverneur anglais de New York, Richard Nicolls, s’avère populaire, il n’en va pas de même pour ses successeurs, Francis Lovelace ou le catholique Thomas Dongan. Avec eux, c’est aussi tout l’appareil de pouvoir anglais qui se trouve critiqué.
7Plusieurs épisodes d’intensité variable témoignent d’une contestation de la domination anglaise à la fin du xviie siècle. À la fin des années 1660 et au début des années 1670, les colons néo-néerlandais, au nombre de 5 000 à 6 000, représentent 70 à 80 % de la population coloniale et plusieurs de ces communautés se plaignent du comportement des soldats anglais. C’est le cas notamment à Kingston, dès 1667, mais aussi à Albany, pendant l’été 1669. La contestation se fait plus ouvertement politique lors de la reprise éphémère de la colonie en 1673, puis lors de la rébellion de Leisler, réplique new-yorkaise de la Révolution de 1688 en Angleterre. Sont en jeu les violences commises par les militaires anglais et la frustration de populations locales dépossédées de certaines de leurs prérogatives, à commencer par une position de leadership, ou d’autorité, au cœur du fait colonial. Cette autorité, de facto transférée entre les mains du pouvoir anglais, permet de voir l’importance d’un système de représentation genré du rapport de domination.
La mutinerie de Kingston en 1667 et l’imposition d’une domination sociogenrée
8En 1667, la communauté rurale de Wiltwijck, devenue Kingston, est au bord de la révolte en raison des mauvais traitements dont les habitants sont victimes par les troupes anglaises en garnison. Si les ressorts culturels et politiques de cette crise coloniale sont évidents, la dimension genrée de la confrontation donne à voir les mécanismes à l’œuvre dans l’imposition d’un rapport de domination aussi bien matérielle que symbolique.
9Installation secondaire établie dans la vallée de l’Hudson sur les décombres d’un poste de commerce détruit en 1652 par les Esopus, la communauté de Wiltwijck est initialement une étape sur la route de la traite des pelleteries, à mi-chemin entre Beverwijck et La Nouvelle-Amsterdam. Dès 1654, Johan de Hulter, un marchand de Beverwijck, fait l’acquisition d’un terrain désigné comme « Esopus » ; en 1658, l’installation est rebaptisée Wiltwijck. Par la suite, une occupation agricole des lieux contribue à l’établissement d’une communauté rurale aux origines diverses mais fortement influencée par une culture néerlandaise8. Après le changement de souveraineté, la ville est rebaptisée Kingston et la tutelle anglaise y est marquée par la présence d’une milice en garnison chez les habitants, placée sous le commandement du capitaine Daniel Brodhead, dont ceux-ci endurent les abus répétés. La frustration à l’égard des soldats anglais culmine en 1667, avec la « mutinerie d’Esopus », soulèvement des citoyens locaux.
10Dès le mois de février, les habitants de la communauté dénoncent des persécutions infligées par les soldats aux magistrats locaux dans une remontrance adressée au gouverneur Nicolls. Le document dresse un bilan de deux ans et demi d’occupation anglaise, avec ses griefs et ses frustrations à l’égard de ce nouveau pouvoir, ou du moins de ses agents. Un aubergiste, Louis DuBois, reproche à Brodhead de l’avoir brutalisé et d’avoir détruit sa marchandise après qu’il a refusé de le servir gratuitement ; un autre, Wallerand DuMont, déplore la façon dont la milice s’est introduite sans y être invitée chez lui ; un paysan a vu sa volaille saisie par les soldats ; à cela s’ajoutent de multiples arrestations en pleine rue, dont celle de notabilités locales comme Cornelis Barentsen Sleght, des coups portés sur des hommes et des femmes, dont certaines enceintes. La liste culmine avec la menace de la part des soldats anglais de « brûler la ville et de tuer tous ceux qui y sont9 ». En conséquence de cette première remontrance, Thomas Chambers et Evert Pels sont mandatés par le gouverneur comme médiateurs pour calmer ces troubles. Thomas Chambers était l’un des premiers colons installés dans la région en 1652 après achat du terrain aux Esopus. Quant à Evert Pels, originaire de Poméranie et arrivé en Nouvelle-Néerlande dès 1642, il était déjà magistrat de Wiltwijck à la fin de la période néerlandaise – en même temps que Cornelis Sleght et Aldert Heymans, deux des mutins10. Chambers et Pels, deux figures d’autorité depuis l’époque néerlandaise, recueillent des témoignages des soldats et des citoyens de la ville.
11Aux vexations des soldats répond la défiance des citoyens qui, lorsque des hommes en âge de combattre sont appelés à Albany en renfort des garnisons présentes dans le fort, refusent de prendre les armes et de « laisser nos ennemis à la maison », un soulèvement rapidement présenté comme une mutinerie contre le pouvoir anglais.
« George Hall – déclare sous serment que quand le capitaine Broadhead rassemblait certains des jeunes citoyens pour aller à Albany, il entendit Antonio Dalva dire “devons-nous aller combattre nos amis et laisser nos [blanc] ennemis à la maiso[n] ?”
À quoi Antonio Dalva, pour sa propre défense, répondit qu’il avait dit de “combattre pour leurs amis”, voulant parler des Hollandais à Albany qui, lors de la dernière guerre, avaient vendu de la poudre et de la meulière aux Indiens Sopes [Esopus] et “laisser leurs ennemis à la maison”, voulant dire les Indiens Sopes11. »
12Un procès a lieu le 3 mai 1667 et conduit au bannissement provisoire des instigateurs de la mutinerie, Aldert Heymans, Cornelis Barentsen Sleght et Anthony Dalva12. Le soulèvement n’a duré que quelques heures et Nicolls se montre clément à l’égard des rebelles ; toutefois, les circonstances de ces troubles mettent en évidence la conjonction entre crise de leadership liée à brutalité des soldats en garnison, rivalité anglo-néerlandaise et honneur genré.
13La dimension culturelle et sociale de ces troubles frappe, tout particulièrement dans l’accusation portée par Tjerk Claessen De Witt contre Brodhead pour mauvais traitements :
« Tyerk Clauson [sic] – Dit que la raison pour laquelle le capitaine Broadhead [sic] l’a brutalisé est parce qu’il voulait maintenir le jour de Noël au jour habituel pour les Hollandais, et non au jour correspondant à la tradition anglaise13. »
14Les calendriers hollandais et anglais sont en effet décalés de dix jours et le changement de souveraineté s’est accompagné d’une modification des temps de fêtes religieuses, le noël calviniste étant, conformément au calendrier grégorien, dix jours plus tôt que le noël anglican, qui suit le calendrier julien14. L’aspect ethnoculturel de l’affrontement est reconnu par les deux parties, et donne un tour tyrannique au rapport de domination qui se joue entre soldats anglais et habitants néo-néerlandais, qui voient leurs pratiques religieuses traditionnelles contestées. Les troubles entre la population locale et les soldats sont tels que des rumeurs circulent : celle d’un incendie de la ville par Brodhead motive la mutinerie des citoyens de la ville, qui déclarent vouloir protéger les leurs contre des « ennemis intérieurs ». Les témoignages mettent également en avant l’aspect anglophobe de ces troubles :
« Humphry Forgison [sic], sous serment, déclare qu’une fois, alors qu’il était chez Albert Hymens [sic] avec William Fisher, il entendit Albert dire que si les citoyens voulaient être dirigés par lui, il ne laisserait pas un Anglais vivant en ville, et qu’au moindre trouble, il engagerait lui-même des poursuites, que les Magistrats fassent ce qu’ils veulent,
Frederick Hussey, sous serment – il entendit Albert Hymans [sic] dire que si les Anglais se querellaient de nouveau avec eux, ils se mettraient à 4 ou 5 contre un Anglais, comme les Anglais avaient fait avec eux15. »
15Notons que les colons qui déplorent les pratiques de Brodhead viennent d’horizons européens variés – Heymans est originaire de Gueldre, Louis DuBois est un huguenot, Antonio « Dalva » ou d’Elba semble avoir des origines franco-italiennes catholiques (de l’île d’Elbe) et Humphrey Ferguson est écossais. Cette diversité, typique de la société de Nouvelle-Néerlande, peut être qualifiée de population néo-néerlandaise tant ces différents individus en viennent à constituer un groupe uni face à la présence anglaise – et s’apparente à ce que Joyce Goodfriend identifie comme la « cohorte de conquête » pour la ville de New York16. Les hommes de Kingston vivent ainsi la présence des troupes anglaises comme une situation d’oppression.
16La tournure de la première remontrance invite également à lire le comportement des soldats, tel qu’il est décrit par les habitants de Kingston, comme une remise en question et un dévoiement de normes viriles et, de ce fait, de bonne conduite. Brodhead est présenté comme un homme manquant de sobriété, mais aussi comme un voleur et comme manquant de respect aux figures d’autorité locales, en d’autres termes, comme un homme dévoyant et abusant du pouvoir dont il est investi. Quand il n’est pas directement incriminé, les habitants de Kingston précisent que le capitaine « aurait dû punir les méfaits commis par lesdits soldats17 », mais qu’il y a, au contraire, très largement participé. Parmi ces méfaits, et suivant un motif classique de domination, Brodhead est présenté comme un homme en situation de pouvoir brutalisant à plusieurs reprises des femmes, en général en présence de leurs époux rendus incapables de s’interposer :
« le capitaine Broadhead, venant à la maison de Lowies [sic] du Bois, prit une anker [un fût d’environ 38 litres] d’alcool, et la jeta à terre, parce que ledit Bois lui avait refusé l’alcool sans payer puis força ledit Bois à lui servir à boire […] l’épouse dudit Bois vint au domicile dudit Broadhead pour récupérer son argent et il chassa ladite épouse de chez lui avec un couteau18 ».
17Dans une déposition ultérieure, il est précisé que l’épouse de Louis DuBois n’échappe à la violence de Brodhead que parce qu’elle est enceinte, sans quoi « il l’aurait éventrée19 ». En plus de l’épouse de DuBois, il est fait mention de violences à l’encontre de l’épouse de Harmen Hendricksen, à l’occasion d’un rassemblement civique pour le jour de l’an :
« Il arriva au jour de l’an que Walran du Mont, alors qu’il recevait quelques amis et voisins à dîner chez lui, fut interrompu et maltraité par le capitaine Broadhead et n’étant pas satisfait de cela, prit l’épouse d’Harmen Hendrix et la conduisit en prison20. »
18Une nouvelle fois, la brutalité de Brodhead se fait en présence de l’époux. Brodhead justifie son comportement par une insulte faite à sa sœur, à l’origine de la querelle21. La remontrance insiste ainsi régulièrement sur la présence des épouses, mais aussi sur les lieux de ces brutalités – un dîner civique, la rue, le domicile ou l’échoppe des concernés, des lieux où ces hommes ont donc le pouvoir, soit comme chefs de feu, soit comme membres de l’élite locale, et s’en voient dépossédés. Les femmes sont à la fois des victimes collatérales – parfois directes – de ces violences, mais aussi des témoins potentiels. Si la présence des épouses est un facteur aggravant, c’est aussi parce que la position d’autorité de leurs maris, chefs de feu et citoyens respectables de la communauté, se trouve rabaissée par le comportement de Brodhead, ce qui remet en question leur identité virile. C’est notamment le cas pour l’arrestation de Cornelis Barentsen Sleght, ancien magistrat de la ville :
« Cornelis Barentsen Slegt [sic] fut maltraité dans sa propre maison par le capitaine Broadhead, et fut ensuite conduit de force en prison par ledit capitaine, ses armes furent confisquées de chez lui et sont toujours chez ledit capitaine Broadhead22. »
19Ainsi, non seulement Brodhead pervertit la position d’autorité dont il est investi, mais en outre, il affiche son mépris pour les officiers et magistrats locaux, issus de l’élite néo-néerlandaise. La confiscation des armes est une action à la fois matérielle et symbolique : en privant Sleght de sa capacité à avoir des armes, c’est sa position dirigeante qui se voit fragilisée. La dimension genrée des crises de leadership dans les colonies a notamment été soulignée à propos de la révolte de Nathaniel Bacon en Virginie, en 1676, véritable confrontation, en situation coloniale, de deux notions de masculinité, l’une définie par l’honneur viril, l’autre par la possession d’une arme et le droit de s’en servir. Il s’agit au départ d’une crise de leadership, liée au sentiment des « petits blancs » que les autorités centrales ne les protégeaient pas assez face aux populations autochtones ; cela a également été lu comme une remise en cause de l’autorité patriarcale, associée à un mécontentement général lié aux troubles économiques des années 1660-1670, et aux dissidences religieuses et sociales. La situation coloniale fait ainsi ressortir le jeu entre honneur viril et monopole de la violence légitime23. Dans le cas de Kingston, il n’est ainsi pas anodin que les auteurs de la remontrance et de la mutinerie soient tous des membres de l’élite locale, dont la position de leadership, une situation de puissance sociale et virile ici, se trouve niée par ce rapport de force.
20Quand la personne incriminée n’est pas Brodhead, c’est un de ses soldats, George Porter, qui se trouve au cœur d’accusations pour des méfaits survenus en 1665. L’une des vexations de ce dernier fait ressortir l’importance du contenu genré en jeu dans ces persécutions, lorsqu’il est accusé d’avoir agressé un nommé Dirck Hendricx : « ledit Porter tira son épée et la jeta à travers les hauts-de-chausse dudit Dirck Hendrix24 ». L’attaque de Porter évoque une tentative d’émasculation, du moins la façon dont celle-ci est décrite – un geste d’autant plus choquant au regard de la relation de pouvoir qui se joue entre le soldat anglais et le colon néerlandais, alors dans une situation récente de domination subie.
21Le comportement des soldats anglais tel qu’il est décrit pervertit les normes de masculinité vertueuse qui peuvent être attendues d’un dirigeant et de ses représentants ; ces attendus sont formulés dans plusieurs ouvrages de l’époque, nous avons ainsi évoqué le récit par David de Vries de la guerre de Kieft, et font clairement partie d’un discours sur le pouvoir en Nouvelle-Néerlande25. Avec les remontrances faites contre Brodhead et ses hommes, c’est une gouvernance défaillante qui est dénoncée. Francis Lovelace, le successeur de Richard Nicolls comme gouverneur de New York, répond en dénonçant le dévoiement des soldats et reproche à la hiérarchie militaire de ne pas les avoir assez encadrés. Il ajoute qu’« en plus de cette personne en particulier [Brodhead], [il ne peut] que remarquer les graves récriminations contre les soldats, accusés fréquemment d’ivresse, de débauche, de briser des fenêtres, de querelles avec tous, de s’exonérer de leurs propres méfaits, et de telles exubérances qui, pour parler franchement, sont plus dignes des gardes de Newgate [la principale prison londonienne] que de personnes en charge d’une vie stable et résolue26 ». Au-delà de cette affaire particulière, c’est donc l’attitude des soldats anglais dans leur ensemble qui pose problème.
22La crise de leadership anglo-néerlandaise qui frappe Kingston met en évidence les enjeux genrés de la gouvernance coloniale. C’est tout un système de représentation reposant sur la position sociale des hommes de la colonie qui se trouve remis en question. D’une manière plus générale, il en va aussi de l’organisation de la société coloniale, posant la question de la redéfinition des contours d’un gouvernement « domestique », pour reprendre la terminologie de l’historienne Carole Shammas27 : si, en situation coloniale, dans une configuration où le pouvoir politique est plus distant du fait de la configuration atlantique, l’essentiel du pouvoir revient aux chefs de maisonnées (household) vis-à-vis de leurs dépendants (épouse, enfants, engagés, esclaves), que se passe-t-il lorsqu’un nouveau pouvoir vient fragiliser cette autorité ? Au-delà des représentations et des hiérarchies de genre, ce sont aussi les réseaux de sociabilité qui se trouvent au cœur de l’imposition de ce nouveau pouvoir, ainsi qu’en témoigne le conflit qui anime Albany quelques années plus tard.
Garnison et habitants à Albany en 1669 : les réseaux familiaux et la parole féminine comme contre-pouvoirs
23Le conflit qui se déroule à Albany en 1669 met en évidence une confrontation entre l’autorité du nouveau pouvoir et l’architecture sociale préexistante, bâtie sur la réputation et des réseaux de connaissance où les femmes jouent un rôle prépondérant, dont la légitimité est niée par les soldats anglais.
24Le 31 juillet 1669 en soirée, Geertruyt Jeronimus, épouse de Jochem Wessells, boulanger (ou panetier) à Albany, s’assoit sur un banc devant chez elle pour un en-cas. William Patterson, marchand écossais et locataire résidant chez Wessells pendant la saison de traite, vient à sa rencontre et s’installe à ses côtés pour fumer sa pipe. De l’autre côté de la rue, John Baker, capitaine de la milice anglaise, sort de la taverne voisine et salue la femme avant d’invectiver Patterson. S’ensuit une altercation entre les deux hommes, à laquelle sont mêlés Jeronimus elle-même, ses domestiques et la milice28. Dans une déposition du 26 août 1669, elle décrit en ces termes les circonstances de la querelle :
« Mr. Paterson sortit de sa maison avec une pipe dans la bouche et vint s’asseoir à côté d’elle sur le pas de sa porte. À ce moment-là sortit de la taverne de Pieter Adriaentsz le capitaine Backer [sic], qui dit “Bonsoir, Dame Jocchums [sic], je sors de la taverne où je menais des affaires mais je ne pourrai pas finir avant demain.” Et il dit à Mr. Paterson “Espèce de canaille, tu t’assois ici ?” Celui-ci ne répondit rien. Capitaine Backer dit ensuite “Espèce de canaille, N’as-tu donc pas assez de la fille du pasteur, espèce de vagabond, en veux-tu toujours plus ?” Sur quoi Mr. Paterson répondit “Je n’ai pas plus eu à faire avec la fille du pasteur qu’avec votre épouse”29. »
25L’origine de la dispute serait la rumeur d’une liaison entre Patterson et la fille du pasteur Gideon Schaets, laquelle est déjà impliquée dans plusieurs rumeurs liées à des indiscrétions avec l’administrateur Arent Van Curler puis à une union dysfonctionnelle avec un certain Thomas Davidtsen Kikebull30. Baker infère de l’apparente connivence entre Patterson et sa logeuse une autre liaison adultérine qui le conduit à s’en prendre physiquement au marchand écossais et à diffamer la femme du boulanger :
« le capitaine Backer dit : “Espèce de canaille, si tu essaies de faire le malin, je commencerai par te faire couper les oreilles, et je te laisserai aller ainsi”, tout en frappant Mr. Paterson au visage ; ce dernier se leva et alla vers la porte, et la déposante s’interposa pour empêcher tout méfait et se tourna vers le capitaine Backer et dit : “Eh bien, capitaine Backer, qu’allez-vous faire ? Vous savez bien que c’est le soir”, lequel capitaine leva son bras au-dessus d’elle, et frappa de nouveau Mr. Paterson au visage. Après cela, Mr. Paterson attrapa le capitaine Backer, le jeta à terre, et le frappa. Après quoi, […] Mr. Paterson se leva et rentra dans la maison, et le capitaine Backer, dès qu’il se releva, tira son épée et la planta dans le bras de Mr. Paterson31 ».
26L’effusion de violence, en apparence très soudaine, de l’officier anglais dénote, outre sa probable ivresse, l’effet d’une tension sociale vis-à-vis de sociabilités de voisinage auxquelles il demeure étranger. Au cours de l’altercation physique qui s’ensuit, Baker s’introduit dans le domicile Wessells-Jeronimus pour s’en prendre physiquement à Patterson. Lorsque Geertruyt Jeronimus tente de s’interposer, Baker la fait arrêter et discrédite sa légitimité de maîtresse de maison en déclarant : « Ce ne sont pas tes affaires, catin, ce n’est pas ta maison », assortissant des coups aux insultes avant de la faire escorter en prison32. Baker dévalue son intervention en soulignant un rapport d’autorité qui la soumet à son époux, selon le droit anglais, reposant sur la coverture. L’affront est triple : à l’agression verbale, Baker ajoute la brutalité physique avant de rendre public le discrédit jeté sur Jeronimus en la faisant enfermer au fort par les soldats de sa garnison. Geertruyt Jeronimus souligne elle-même le caractère genré du traitement dont elle fait l’objet, puisqu’elle fait remarquer à Baker que son comportement aurait été différent « si Jochum [sic] avait été à la maison33 », laissant entendre que la présence d’un homme et chef de feu l’aurait protégée des violences de Baker. Le conflit qui se noue mobilise ainsi des conceptions divergentes des prérogatives accordées aux femmes mariées et semble compris comme tel par Jeronimus.
27Pour laver son honneur, celle-ci fait appel à des témoignages extérieurs : Maria Teller, propriétaire, marchande et épouse d’une des plus grosses fortunes d’Albany, et Agnietje Schaets, épouse du pasteur susmentionné et dont la fille est également diffamée par Baker. Les deux femmes sont, par leur position sociale, des figures d’autorité dans la société d’Albany, l’une par sa fortune et ses connections, l’autre par son statut social et moral en tant qu’épouse de dirigeant religieux. Maria Teller est la fille de Caspar Verleth, un des marchands les plus influents de la colonie, et veuve de Johannes Van Beeck (lui-même fils d’un des directeurs de la WIC), puis de Paulus Schrick, un homme de loi. Par ses deux premiers mariages, Maria a acquis une fortune personnelle conséquente et son mariage avec Teller ne fait que confirmer sa position d’autorité. Sa déposition, qui consiste simplement à « déclare[r] et atteste[r] la véracité [des] propos » de Geertruyt Jeronimus, vise moins à apporter des informations nouvelles qu’à constituer une attestation de bonne foi. Le reste de son témoignage répète ainsi peu ou prou celui de Geertruyt Jeronimus34. La déposition d’Agnietje Schaets est extrêmement similaire dans la forme et le contenu à celle de Maria Teller :
« Mère Schaets, déclare et atteste, d’après la même requête, qu’en entendant le bruit, elle vint aussi à la maison de Jocchum Wessels, où se trouvait le capitaine Backer, qui se comportait fort mal, et dit aux soldats : “Emmenez la putain au Fort”, parlant de l’épouse de Jocchum Backer35… »
28Son témoignage permet, lui aussi, de faire corroborer par une personnalité respectée de la communauté les propos de Geertruyt Jeronimus. Ainsi se manifeste l’importance de l’entraide et de la parole féminine dans la dénonciation du comportement des soldats anglais, reflétant un fonctionnement social par réseaux et sociabilités communes. L’incident témoigne de l’influence de figures féminines de l’élite comme autorité morale au sein de ces réseaux. Toutes deux sont des femmes de pouvoir néerlandaises, pouvoir économique ou pouvoir moral. Leur présence au secours de leur congénère dont la légitimité et la sécurité ont été bafouées par un soldat anglais témoigne d’une solidarité visant également à protéger leurs prérogatives de femmes dans la société coloniale.
29Le 3 août, le gouverneur Francis Lovelace en est notifié par un courrier des magistrats locaux qui incluent cette histoire à la fin de leur rapport d’activité, car « Backer [sic] a quitté la route de la justice36. » En réponse à cela, une cour martiale est convoquée à New York à la fin du mois d’août puis un procès civil est initié, occasion au cours de laquelle Jeronimus livre son récit le plus détaillé de la dispute et de l’agression dont elle est victime. Baker est jugé coupable et suspendu de ses fonctions, avant d’être condamné par la justice civile à une amende de 200 florins. En plus de cette amende, il doit présenter des excuses publiques et réparer l’honneur de Patterson37. L’attitude du gouverneur témoigne de la volonté du pouvoir de canaliser les écarts des soldats et d’éviter que la situation ne dégénère comme à Kingston. Le litige avec Jeronimus n’est que secondaire puisque c’est Patterson qui dépose plainte : mais le témoignage de son hôtesse et de ses soutiens vient appuyer la plainte du marchand écossais et donner une nouvelle dimension à l’affaire. La querelle qui se joue à Albany en vient ainsi à opposer ainsi un corps social ancré et ses réseaux, bâtis sur des sociabilités genrées, à un nouveau pouvoir, incarné par Baker, qui ne saisit pas totalement l’influence de ces réseaux, ce qui conduit à sa perte.
30On pourrait voir dans l’incident avec le capitaine Baker la brutalité d’un homme, et donc rien de plus qu’une querelle d’individus. Néanmoins, cet incident, conjugué aux circonstances de la querelle entre les colons de Kingston et la milice anglaise, permet de voir qu’il y a plus en jeu, entre l’expression diffuse d’un sentiment de défiance à l’égard du pouvoir anglais et la manifestation de solidarités locales face à une situation de domination mal acceptée. À Albany, l’expression de solidarités féminines révèle une architecture sociale qui échappe, du moins en partie, au nouveau pouvoir. Quelques décennies plus tard, alors que la présence anglaise semble bien ancrée, et alors que New York est devenue une colonie royale, la révolte menée par Jacob Leisler entre 1689 et 1691 dans le contexte de la Glorieuse révolution, voit ressurgir des frustrations similaires.
La rébellion de Leisler, confrontation de deux régimes de genre
31La rébellion de Leisler, épisode souvent crédité pour avoir façonné la politisation de l’élite new-yorkaise fait l’objet d’une abondante historiographie, particulièrement autour des travaux de David William Voorhees, curateur du « Jacob Leisler Papers Project » de New York University38. Voorhees a beaucoup insisté sur la place particulière des femmes dans cet épisode, qui peut être lu comme une réaction explicite au changement en droit vis-à-vis des femmes, et où les logiques familiales qui dominent la société de Nouvelle-Néerlande contribuent à cristalliser les réseaux factionnels qui s’affrontent alors. On peut ajouter que ce conflit s’ancre dans une culture contestataire éprouvée lors des épisodes de Kingston et surtout d’Albany, où l’on voit déjà des figures matriarcales intervenir contre l’occupant anglais.
32Il ne s’agit pas de la seule contestation ouverte du pouvoir anglais. Dans le contexte de la troisième guerre anglo-néerlandaise et de la guerre de course dans les Antilles anglaises, la colonie est brièvement reprise par les Néerlandais en 167339. Les récits de l’époque insistent sur l’accueil favorable des populations locales et sur l’absence d’effusion de violence lors de la prise de New York, rebaptisée Nouvelle-Orange, tant les colons néo-néerlandais nourrissaient de ressentiment à l’égard des soldats anglais. À Albany, le témoignage de Jeremias Van Rensselaer, patroon de Rensselaerswyck, évoque une réaction un peu plus vive, puis qu’il souligne que les Anglais sont traités « de façon très incivile par certains ». Anthony Colve, à qui la colonie est alors confiée, rétablit les institutions néo-néerlandaises dès le 17 août 1673. La charte de Colve, établie le 15 janvier 1674, restitue la plupart des éléments quintessentiels de la période néerlandaise, sous la forme de quinze articles. Dans ce contexte, le rôle moral des magistrats est rappelé, puisqu’il est de leur ressort de veiller à ce que « la juridiction soit nettoyée de tout vagabonds, bordels, maisons de jeux et toute autre impureté40 ». Ce rappel fait écho aux troubles survenus entre les habitants de la colonie et la milice anglaise fraichement installée, à Kingston comme à Albany. Toutefois, les États-Généraux des Provinces-Unies ne soutiennent pas Colve ni les colons de Nouvelle-Orange, qui ne représentent pas une priorité pour la République ; lors du traité de paix de février 1674, le territoire est définitivement cédé aux Anglais. Si la nouvelle est mal reçue à la colonie, et si certains la quittent pour le Suriname ou les Provinces-Unies, la majorité fait toutefois preuve de pragmatisme et s’adapte41.
33Survenue à partir de 1689, la rébellion de Leisler est, quant à elle, un avatar colonial de la « Glorieuse » Révolution de 1688 en Angleterre, qui conduit à la déposition de Jacques II. La province de New York, vingt-cinq ans après le changement de souveraineté, est désormais devenue une colonie royale et incluse depuis 1688 dans le Dominion de Nouvelle-Angleterre, créé en 1686, dans le but de renforcer et de structurer l’autorité anglaise dans la région. La révolte, menée par Jacob Leisler, vise à remplacer le gouvernement colonial nommé par Jacques II. Cette défiance n’est pas propre à New York : en avril 1689, un soulèvement à Boston met fin au Dominion avec la capture et l’emprisonnement de son gouverneur, Edmund Andros. À New York, la milice locale marche sur Fort James (l’ancien Fort Amsterdam) et en prend le contrôle. Entre 1689 et 1691, Leisler prend en charge la partie sud de la colonie, avec pour objectif affiché d’expulser les représentants de Jacques II, et s’octroie le titre de lieutenant-gouverneur avec le soutien des milieux populaires et de la milice, assurant un gouvernement provisoire autoproclamé au nom de Guillaume III et Marie II. Il est néanmoins arrêté en mars 1691 puis pendu et décapité deux mois plus tard pour trahison. Les ressorts politiques, ethno-culturels et religieux de la rébellion ont, de longue date, été mis en évidence42.
34Calviniste fervent, Leisler nourrit un ressentiment de plus en plus marqué à l’égard du roi catholique et de ses représentants. Par ailleurs, la population coloniale est divisée entre une élite marchande de plus en plus verrouillée, associée au pouvoir anglais, et une faction dissidente regroupant des milieux néo-néerlandais plus populaires de petits marchands et d’artisans, que Jacob Leisler entend représenter43. Marchand allemand arrivé en Nouvelle-Néerlande en 1660, il a épousé Elsie Tymens et se trouve, de ce fait, bien connecté à plusieurs familles de l’élite négociante de Nouvelle-Néerlande. Elsie est en effet la fille de Marritje Damen qui, en secondes noces, a épousé Govert Loockermans, un des marchands les plus fortunés et les plus influents de la colonie. Ce qui semble être un détail généalogique superflu est en réalité au cœur de la rivalité qui se joue en 1689, en raison d’une dispute à propos du patrimoine intestat de Loockermans partiellement revendiqué par Elsie Tymens. Le litige est travaillé par le décalage entre les droits hollandais et anglais à propos des pratiques successorales. Alors que le droit néerlandais garantit la transmission de la moitié du patrimoine entre les mains de la veuve, puis une répartition égale du reste entre les enfants, quel que soit leur sexe, le droit anglais a un fonctionnement patriarcal de transmission à l’héritier mâle : le litige pour le patrimoine Loockermans se greffe sur cette évolution du droit qui fragilise les prétentions d’Elsie Tymens (et donc de Jacob Leisler) dessus. Ces dispositions contribuent, par ailleurs, à fragiliser la situation de bien des veuves44 : le déclassement économique des femmes aurait ainsi accentué leur recours à des activités marchandes illégales et rendrait compte de leur ressentiment à l’égard du pouvoir anglais. De fait, l’administration Leisler restaure le droit hollandais vis-à-vis des femmes et les minutes de gouvernement font état de demandes répétées de veuves pour voir leur droit à l’administration du patrimoine de leur époux restitué45.
35La participation des femmes à la révolte constitue ainsi un élément structurel de la tension de pouvoir qui se joue alors, par leur rôle significatif dans l’organisation des factions rivales et dans la circulation de l’information, dénotant une politisation longtemps négligée par l’historiographie. Certaines d’entre elles sont à l’initiative du soulèvement, répondant en cela au phénomène relativement classique et courant dans l’Europe moderne des « évidentes émeutières46 ». Trijntje Jonas, épouse d’un juge de Kingston, s’en prend ainsi à Nicholas Bayard, un des membres du gouvernement colonial. Ce dernier la décrit par la suite comme une des instigatrices de la révolte47. Leur rôle ne se limite pas à la violence physique. Ces rivalités de factions ont longtemps été identifiées par leurs chefs de feu : Jacob Leisler du côté des dissidents, Nicholas Bayard et Jan Kierstede du côté loyaliste. Cependant, le point de départ d’une rivalité sororale opposant Elsie Tymens, l’épouse de Jacob Leisler, à Marritje et Jannetje Loockermans, épouses respectivement de Balthazar Bayard et Jan Kierstede, permet de voir également un ancrage matriarcal. Outre le litige successoral qui oppose ces dernières, elles en viennent à organiser de véritables réseaux par leurs connexions familiales, des réseaux recoupant les deux factions opposées lors de la révolte. Hypothèse a d’ailleurs été faite selon laquelle l’échec de Leisler et son exécution sont à envisager à la lumière de d’un non-respect de ces jeux de factions, alors qu’en janvier 1690, il fait emprisonner Nicolaes Bayard, Stephanus Van Cortlandt et William Nicolls48, des membres de son réseau familial étendu, le privant de la protection de celui-ci49. En dépit d’un changement en droit a priori désavantageux pour les femmes, l’influence dont certaines d’entre elles jouissent à l’échelle d’un réseau familial, parfois très étendu et puissant, reste inchangée. David Voorhees souligne ainsi que les femmes issues des familles pro-Leisler sont, une génération plus tard, au cœur des alliances matrimoniales au sein du camp whig50 au début du xviiie siècle.
36À la faveur de ce jeu de factions, de nombreuses femmes des familles restées loyales au pouvoir britannique s’opposent à Leisler, et agissent, soit en écrivant pour le compte de leurs époux, soit en facilitant la circulation des missives. C’est le cas de Geertruyt Schuyler, épouse du maire de New York Stephanus Van Corltandt ou Judith Verleth, épouse de Nicholas Bayard ; cette dernière est arrêtée en juin 1690 par le conseil de Leisler en possession de courrier destinés à l’opposition51. D’autres publient leurs propres pamphlets anti-Leisler. Les plus connus de ceux-ci sont ceux, saisis en janvier 1690, attribués à « l’épouse du batelier52 ». Après l’écrasement de la révolte, si Leisler et son gendre, Jacob Milborne, sont exécutés, leurs épouses sont également persécutées, voient leurs biens saisis, et sont réduites au dénuement le plus extrême. Après mai 1691, elles adressent des pétitions aux souverains pour demander leur protection : elles choisissent de s’adresser au gouvernement de Hollande – dont Guillaume d’Orange, devenu Guillaume III d’Angleterre, est également stadhouder –, signe d’une conscience que leurs droits seront plus facilement reconnus à Amsterdam qu’à Londres53.
37L’épisode Leisler témoigne ainsi, outre sa dimension religieuse ou politique, d’une résistance au changement en droit vis-à-vis des femmes, qui rendrait compte de leur frustration et de leur participation active à la révolte ; par ailleurs, le rôle de figures matriarcales dans l’organisation des réseaux factionnels rivaux, héritage de la période néerlandaise, permet de voir leur politisation précoce. Au-delà de ses ressorts politiques, cette crise coloniale permet de voir ainsi la confrontation de deux régimes de genre concurrents, qui trouvent leur expression dans le droit et les prérogatives légales des femmes, mais également dans le bouleversement de l’architecture sociale coloniale néo-néerlandaise et dans le réagencement des hiérarchies coloniales. La mise en perspective de cette crise avec d’autres moments de tension coloniale donne la profondeur de champ nécessaire pour comprendre les ressorts genrés du changement de souveraineté. Outre le droit, c’est bien tout un système de représentation des prérogatives dévolues aux hommes et aux femmes qui se trouve bouleversé et qui sert de justification à un rapport de domination.
38Le changement de souveraineté n’a donc pas été sans encombre. L’imposition du nouveau pouvoir colonial a d’emblée été médié par le genre, qu’il s’agisse de la mobilisation de sociabilités genrées ou de manipulation de normes de masculinité pour affirmer un nouveau pouvoir. Si la rébellion de Leisler est la dernière de ces crises coloniales, ce rapport de domination à l’égard de la population néo-néerlandaise est perpétué dans les décennies qui suivent et prend une coloration sociale et régionale, perceptible dans les jugements portés par l’élite new-yorkaise à l’égard de son arrière-pays rural et néo-néerlandais, dont un des éléments centraux de définition est l’assignation de comportements de genre spécifiques.
« Their women very ordinary » : situation de domination et construction genrée d’une altérité néerlandaise
39Le changement de souveraineté se traduit en premier lieu par une situation de domination coloniale d’une minorité anglaise sur une majorité néerlandaise. En 1664, les Néerlandais représentent 88 % de la population de la colonie, pour 7 % de huguenots francophones et environ 4,5 % d’Anglais. Quarante ans plus tard, lors du recensement de 1703, si les Néerlandais restent majoritaires, ils ne représentent plus que 52 % de la population de la ville, pour 36 % d’Anglais. L’élite néo-néerlandaise s’associe avec la nouvelle élite britannique, une alliance qui contraste avec les milieux populaires qui restent largement plus endogames. Il s’ensuit que la situation de domination est également sociale et médiée par le mariage mais aussi, d’une manière générale, par une appréciation des populations en fonction de leurs régimes de genre. Si la ville de New York a, de longue date, constitué un premier poste d’observation des recompositions de la population coloniale après 1664, dès que l’on quitte la ville, l’arrière-pays rural de la vallée de l’Hudson conserve une identité néo-néerlandaise plus marquée, identifiée comme telle jusqu’à la veille de la Révolution américaine54. En 1704, la veuve bostonienne Sarah Kemble Knight décrit les « Hollandaises » comme « relâchées dans leur manière55 » ; en 1760, Warren Johnson, frère de l’officier anglais William Johnson, les décrit comme « très ordinaires56 », dans des discours qui associent mépris de classe, ethnicité et genre.
40Nous sommes loin d’une domination essentialisée en termes de sauvagerie du peuple dominé, un paradigme présent dans la relation aux populations autochtones ou, avant cela, aux Irlandais57. De fait, les nombreux points de rencontre entre les cultures anglaise et néerlandaise (protestantisme, culture et aristocratie communes) ne le permettent pas. Cela n’empêche pas la construction d’une altérité néerlandaise, outil parmi d’autres de domination.
L’anglicisation progressive du port de New York
41Au cours de la période, la population de la colonie connaît une croissance marquée. D’approximativement 9 000 habitants en 1664, la population de la colonie double d’ici la fin du xviie siècle, passe les 40 000 habitants en 1723 puis les 60 000 habitants en 173758. Ceci s’explique non seulement par l’accroissement naturel, alors que la répartition sexuée de la population est désormais plus équilibrée, mais aussi par l’apport migratoire. Il est difficile toutefois d’évaluer l’origine géographique et ethnoculturelle des colons d’après les seuls recensements lorsque celle-ci n’est pas explicitement précisée. Joyce Goodfriend a recours à une analyse onomastique des listes d’habitants auxquelles elle a eu accès – souvent masculines, seul le nom du chef de feu apparaissant59. Cette méthode a ses limites, dans la mesure où certains noms peuvent être faussés, réorthographiés, anglicisés ou néerlandisés par un notaire en fonction de sa langue maternelle, voire cacher des trajectoires familiales européennes complexes. Par exemple, Jacques Cortelyou, fondateur de New Utrecht, vient d’une famille huguenote francophone installée à Utrecht depuis le début du xviie siècle. En dépit d’un nom français, son ancrage culturel est également néerlandais60. Ces précautions mesurées, des recompositions de la société new-yorkaise n’en sont pas moins observables.
42Au cours des décennies couvrant la fin du xviie siècle et le premier tiers du xviiie siècle, les îles Britanniques ne représentent pas, initialement, le premier foyer migratoire vers la colonie. À cette époque, les vagues migratoires les plus remarquables sont huguenote et palatine. En effet, après la révocation de l’Édit de Nantes en 1685, plus de 200 000 huguenots quittent la France pour trouver « Refuge » en Angleterre et aux Provinces-Unies ; de là, 2 000 à 2 500 d’entre eux émigrent en Amérique du Nord, dont 128 familles à New York, l’une des principales destinations61. Ces migrants se répartissent entre la ville de New York, où ils s’orientent vers le commerce, et son arrière-pays rural, dans la vallée de l’Hudson, notamment autour de New Paltz et de New Rochelle, ou sur Staten Island. Du reste, il est difficile d’avoir une appréciation numérique claire des huguenots peuplant la colonie : par le biais de mariages et d’alliances avec les populations néerlandaises et anglaises, ce groupe s’est dilué dans la population coloniale sans conserver une dynamique communautaire. Il faut y ajouter d’importantes migrations secondaires, qui se traduisent par le fait que près de deux tiers de ces huguenots quittent la ville de New York en deux générations, un contexte migratoire qui rend plus ardue la conservation d’archives62. Par ailleurs, fuyant les guerres qui agitent l’Europe à cette époque (guerre de la Ligue d’Augsbourg en 1689-1697, guerre de succession d’Espagne en 1702-1713) ainsi que les persécutions religieuses pour une partie d’entre eux, de nombreux migrants arrivent du Palatinat à New York, à partir de 1709 – 2 400 pour cette seule année63. Certains restent pour travailler sur le port, mais la plupart se dispersent ensuite le long des vallées de l’Hudson et de la Mohawk. En 1718, leur nombre dans la vallée de l’Hudson ou à l’ouest d’Albany, dans la communauté de Schoharie, est estimé à 1 60164. Du reste, les Provinces-Unies constituent de moins en moins un foyer migratoire : les migrants néerlandais arrivant à New York viennent ainsi en général de la vallée de l’Hudson ou du New Jersey nouvellement créé65.
43Pendant les trois premières décennies du xviiie siècle, des apports migratoires britanniques croissants contribuent à recomposer la population new-yorkaise. Cette évolution est particulièrement marquée dans la ville de New York, où arrivent Anglais, mais aussi Écossais et Irlandais, catholiques ou presbytériens. À ce foyer migratoire s’ajoute l’importance des migrations intra-impériales, ayant pour origine les provinces environnantes, mais aussi la Barbade et la Jamaïque66. Ainsi, dès 1703, on peut identifier, dans la capitale coloniale, des rues spécifiquement anglaises et des rues à dominante néerlandaise (carte 6).
Carte 6. – Répartition territoriale des Anglais et des Néerlandais dans la ville de New York en 1703.

Source : d’après Eric Homberger, The Historical Atlas of New York City: A Visual Celebration of 400 Years of New York City’s History, New York, Henry Holt and Company, 2005, p. 41.
44En fin de période, vers 1730, sur un total de 636 chefs de feu imposables dans la ville de New York, seuls 39,5 % sont néerlandais contre 49,5 % Britanniques et 8 % francophones. Cette période représente ainsi un tournant dans l’histoire de la ville : la culture et la langue principale cessent d’être exclusivement néerlandaises, même si les familles marchandes néo-néerlandaises continuent d’occuper le haut de l’échelle sociale67.
Une différenciation sociale et territoriale marquée entre le port et son arrière-pays
45À ces évolutions pour la ville de New York correspondent, pour le reste du territoire colonial, des dynamiques démographiques différentes, qui contribuent à la différenciation accrue entre le port et capitale coloniale d’une part, et ses arrière-pays restés plus homogènes démographiquement d’autre part.
46La vallée de l’Hudson reste plus uniformément néo-néerlandaise au cours de la période, renforçant le sentiment de spécificité culturelle dans ces régions. À sa création en 1683, le comté d’Albany compte 2143 habitants dont 157 noirs, et 500 habitants pour la seule ville d’Albany. Jusqu’en 1702, la ville conserve, d’après les témoignages contemporains, la plupart de ses caractéristiques néo-néerlandaises, à commencer par l’importante représentation des noms néerlandais dans les listes de la plupart des offices publics68. Les tables de recensement rendent également compte de ce maintien. Celui de 1698 permet notamment de prendre la mesure de la sous-représentation de la population anglaise. Outre les patronymes des chefs de feu, le notaire a fait figurer dans la marge un « E » pour signaler explicitement qui étaient les Anglais dans le comté (figure 3) – s’y ajoutent les mentions « F » pour les Français, « Sc » pour les Écossais, « I » pour les Irlandais et « Papist » pour les catholiques, l’initiale signalant l’altérité par rapport à un groupe numériquement dominant.
Figure 3. – Extrait de la liste des hommes, femmes et enfants dans la ville et le comté d’Albany en 1697.

Source : NYCP – NYSA A1894 vol. 42 doc. 34.
47Sur un total de 322 foyers, 13 chefs de feu anglais sont recensés comme tels, auxquels il faut ajouter deux chefs de feu français (Jan Rofie et Pieter Villeroy), un Écossais (Robert Livingston), un Irlandais (William Hogan) et trois catholiques. Les recensements ultérieurs ne nous permettent pas d’avoir accès à ces informations mais les commentaires de voyageurs de passage dans la région au cours du xviiie siècle permettent d’apprécier le caractère très néerlandais de la population locale. Ainsi, en 1744, Alexander Hamilton, médecin originaire du Maryland et auteur de l’Itinerarium, observe qu’« il y a environ 4 000 habitants [à Albany], principalement néerlandais ou d’origine néerlandaise69 ». À ce constat s’ajoute une observation sur le manque occasionnel d’échanges intellectuels, notamment pendant un voyage en bateau d’Albany à New York, remarquant qu’il n’avait entendu parler qu’en néerlandais. La vallée de l’Hudson, que ce soit dans ses tables de recensement ou dans les récits d’observateurs contemporains, conserve ainsi un substrat social néerlandais marqué.
48Par contraste, si Long Island présente un profil bien plus anglicisé, ce profil culturel remonte à la période néo-néerlandaise, à l’image de la colonie de Gravesend, fondée par l’anabaptiste anglaise Deborah Moody, venue du Massachusetts en 164370. Seul le comté de King’s se distingue : le recensement de 1698 liste 27 chefs de feu comme anglais (dont 17 dans la seule Gravesend) et 12 comme français (principalement à Boswijck/Bushwick) sur un total de 325 foyers, soit 12 % de foyers non néerlandais. Par contraste, la plupart des villages du comté de Suffolk sont des communautés anglaises installées depuis la période néerlandaise. À Southold, en 1698, sur 776 habitants, la quasi-totalité des foyers sont britanniques. Seuls cinq foyers ont un nom qui pourrait signaler une famille néerlandaise, ce qui correspond à 22 individus, auxquels il faut ajouter la famille Lhommedieu, d’origine huguenote, de quatre individus. Il en résulte une population à plus de 97 % anglaise ou britannique. À Southampton, la même année, sur 723 habitants quasiment tous semblent également britanniques – toujours d’après l’onomastique71. Ces évolutions démographiques distinctes conduisent à une différenciation culturelle de plus en plus marquée du territoire colonial.
49La population néo-néerlandaise connaît une évolution à deux vitesses suivant l’ancrage régional, mais aussi suivant le milieu social. Ces recompositions passent également par l’évolution des comportements matrimoniaux. Alors que l’ancienne élite coloniale se voit de plus en plus absorbée par une nouvelle élite britannique, les milieux plus populaires continuent à entretenir des pratiques strictement endogames, maintenant de fait l’existence d’une communauté néerlandaise, avec sa langue et ses pratiques culturelles. Les registres de l’Église réformée permettent ainsi de voir le maintien de circulations au sein de l’atlantique néerlandais et anglais, visibles dans la mention des origines des mariés au moins jusqu’en 1702, date après laquelle ces mentions se font moins systématiques avec les mariages par licence72. On observe, pour cette période, le maintien d’un fort ancrage culturel néerlandais, que l’on qualifierait moins d’endogame que d’endo-néerlandais. Ainsi, si des unions anglo-néerlandaises sont avérées, la plupart des mariages restent endogames au monde néerlandophone, les unions impliquant des mariés néerlandais déclarant des origines dans les diverses provinces de la République, mais aussi au Brésil anciennement néerlandais, à Curaçao ou encore Saint-Eustache ; par ailleurs, la mention de l’origine maintient un flou sur New York, désignée alternativement comme « N. Jorck » ou comme « Amsterdam », suivant la terminologie néo-néerlandaise, encore maintenue pendant une dizaine après le changement de souveraineté.
50L’historiographie insiste sur l’exogamie des hommes de l’élite anglaise, qui se marient parmi les riches familles de l’élite néo-néerlandaise, dans un jeu d’alliances stratégiques pour l’exercice du pouvoir : Robert Livingston épouse ainsi Alida Schuyler, issue d’une famille de l’élite néerlandaise et veuve de Nicolaes Van Rensselaer, patroon de Rensselaerswijck73. D’une manière générale, dans le dernier tiers du xviie siècle, sur un total de 58 mariages d’hommes britanniques, 36, soit 62 %, sont exogames, souvent avec le choix d’une épouse néo-néerlandaise. À l’inverse, les hommes néo-néerlandais restent largement endogames pendant cette période, un comportement facilité par leur nombre : sur 219 mariages, 217 sont endo-néerlandais. Dans le premier tiers du xviiie siècle, la tendance exogame des Anglais se poursuit et contribue à forger, dans les deux centres urbains de New York et d’Albany, une culture élitaire double, où la langue et la religion réformée néerlandaises sont maintenues par les épouses et mères, tandis que la langue des échanges économiques, commerciaux et civiques devient graduellement l’anglais74. Les élites marchandes de New York sont également plus promptes à abandonner les pratiques héritées de l’époque néerlandaise, surtout à partir des années 1720 – notamment les pratiques testamentaires désignant explicitement l’épouse comme héritière, dans le prolongement d’un fonctionnement néerlandais75. Outre ces implications culturelles, ces reconfigurations démographiques et matrimoniales permettent de voir émerger une société coloniale de plus en plus stratifiée socialement et en fonction de jeux d’alliances.
51Ces associations entre l’ancienne élite néo-néerlandaise et la nouvelle élite anglaise révèlent une différenciation sociale marquée, manifeste lors de la rébellion de Leisler. De nombreux membres de l’élite, associés au pouvoir anglais, restent loyaux, au premier chef desquels Nicolaes Bayard et Oloff Stevensen Van Cortlandt. Au cours du conflit, alors qu’il est emprisonné sur ordre de Leisler, Bayard justifie ses contacts avec les chefs de file du camp anti-Leisler par des connexions familiales – lesquelles incluent les principales familles patriciennes de l’époque néerlandaise, mais aussi des familles anglaises, depuis intégrées dans ces réseaux. Accusé d’avoir participé au soulèvement d’Albany contre Leisler, Bayard se dédouane en ces termes :
« certains esprits malicieux souhaitant sa destruction l’ont accusé [d’envoyer des lettres séditieuses] car le demandeur n’a, depuis son départ d’Albany, écrit à personne là-bas, hormis M. Peter Schuyler et M. Levinston [sic], à l’occasion de sa première disgrâce, le contenu des lettres n’étant rien de plus qu’un remerciement pour leur civilité […] les lettres furent envoyées par son cousin Casper Teller, et une à son frère Teller relatant ses affaires privées, et le remerciant lui et sa famille pour la gentillesse dont il fut l’objet là-bas, c’est tout ce que le demandeur a écrit à qui que ce soit dans les comtés d’Albany et d’Ulster […]76 ».
52Pieter Schuyler est maire d’Albany et sa sœur, Alida, veuve de Nicolaes Van Rensselaer, a épousé Robert Livingston, marchand anglais devenu membre du gouvernement colonial à Albany : Bayard est lié à ceux-ci par une alliance matrimoniale entre son fils et la fille de Stephanus Van Cortlandt et Geertruyt Schuyler, une autre sœur de Pieter Schuyler (figure 4), toutes ces familles dominant l’architecture sociale de la province mais résidant par ailleurs à Albany. Bayard présente ainsi ses échanges avec deux des personnalités les plus centrales de la faction anti-Leisler comme de simples échanges de civilités avec des membres de son réseau étendu. Les Teller font également partie de son réseau familial du côté de sa femme, Judith Verleth, dont la sœur, Maria, a épousé Willem Teller en troisièmes noces, et vit à Albany avec les enfants du couple, parmi lesquels Casper Teller. D’une part, les liens familiaux lui permettent de justifier ses échanges épistolaires avec les principaux responsables de la sédition d’Albany, d’autre part, Bayard souligne ainsi l’importance de connexions qui révèlent des alliances avec le pouvoir anglais, mais aussi des réseaux entre les deux centres urbains de la province.
Figure 4. – Arbre généalogique partiel de Nicolaes Bayard.

Source : d’après les collections de la New-York Genealogical and Biographical Society.
53Le factionnalisme au cœur de la révolte, traditionnellement mis en avant par l’historiographie, donne ainsi à voir les circulations entre élite anglaise et néerlandaise, et le mécontentement croissant de milieux plus modestes ayant conservé une identité néo-néerlandaise forte77.
54Dans la vallée de l’Hudson, en effet, la population reste plus largement néerlandaise et uniforme d’un point de vue socioculturel. Des travaux sur les communautés, notamment du comté d’Ulster, à proximité de Kingston, mettent en lumière la vie quotidienne de communautés restreintes, plus modestes socialement et cultturellement hétérogènes, tout en ayant conservé un fond néo-néerlandais fort, de plus en plus déconnecté de la société urbaine new-yorkaise. L’évolution de l’Église réformée hollandaise est à ce titre très éloquente : alors même qu’une mouvance orthodoxe est peu à peu absorbée par le pouvoir colonial anglais, un clergé piétiste prend racine dans la vallée de l’Hudson et incarne les divisions croissantes au sein du substrat néo-néerlandais de la colonie78.
55On observe ainsi un décalage croissant entre New York et son arrière-pays rural et, dans une société qui s’anglicise de plus en plus, une construction intellectuelle teintée de mépris des populations rurales néo-néerlandaises voit le jour. Cette altérité néerlandaise, identifiée par le gentilé englobant « the Dutch », est de plus en plus mise en avant par les observateurs anglais, de passage dans la région. Un des traits caractéristiques de cette construction se traduit par l’assignation de caractéristiques féminines néo-néerlandaises spécifiques.
Récits de voyage et caractérisation pittoresque des rapports de genre néo-néerlandais
56Après le changement de souveraineté, la tradition littéraire des récits de voyage s’étoffe peu à peu, pour New York, d’un nouveau passage obligé. Les populations rurales néo-néerlandaises font l’objet de descriptions mettant en avant leur altérité. La démarche emprunte à une tradition littéraire européenne, où les mœurs des Hollandais, et surtout des Hollandaises, faisaient déjà l’objet d’une fascination pour les auteurs étrangers en visite à Amsterdam79.
57L’historienne Els Kloek rappelle ainsi comment certains visiteurs étrangers s’étonnent des manières et des prérogatives des Amstellodamoises, citant pour cela le récit fait par Sir William Montague en 1696 :
« C’est une chose tout à fait remarquable ici que de trouver plus de femmes que d’hommes dans les échoppes et en affaires ; elles ont la conduite de la bourse et du commerce, le gèrent très bien, elles sont précautionneuses et industrieuses, capables de commerce (autres que domestique), ayant une éducation adéquate et un génie pleinement adapté à celui-ci80. »
58L’étonnement de Montague témoigne des attentes sociales d’un gentilhomme anglais vis-à-vis des femmes de son rang et illustre un décalage avec celles des milieux élitaires amstellodamois, marchands et bourgeois, notamment en matière d’éducation. Il y a là un topos narratif de plus en plus courant à la fin du xviie siècle, alors que la littérature de voyage accorde de plus en plus d’importance aux anecdotes divertissantes et pittoresques qu’à un projet d’information et d’érudition81 : la construction de clichés exotiques ou d’un sentiment d’étrangeté, ici de la femme amstellodamoise, relève de ce changement de paradigme, que l’on retrouve également outre-Atlantique. Un médecin bostonien devenu magistrat, Benjamin Bullivant, publie ainsi un journal, en 1697, dans lequel il évoque les mœurs des Néo-Néerlandais en insistant également sur l’apparence des femmes néerlandaises :
« Les enfants de riches parents sont en général sans chaussures et sans bas et les jeunes filles (plus particulièrement néerlandaises) sont en tenue d’intérieur toute la journée et vont pieds nus. En effet, je ne puis pas dire que les Néerlandais sont correctement vêtus, bien que souvent assez riches pour porter ce qu’ils souhaitent. Ils sont un peuple parcimonieux et dépensent peu pour leur confort de vie, ce qui fait qu’ils ont en général beaucoup d’argent et qu’ils payent bien82. »
59L’apparence vestimentaire est commentée, son absence d’apparat dénote une culture originale, façonnée par le calvinisme et par le poids d’une élite marchande plutôt que nobiliaire, détachée de toute forme de gentilité, voire inconvenante83. Le sens de ce sentiment d’étrangeté est en outre refaçonné par la situation coloniale, où l’abondante littérature de voyage, à New York comme ailleurs, accordait déjà la part belle à des descriptions des populations autochtones. Selon un procédé assez répandu, la plupart des chroniques de Nouvelle-Néerlande puis de New York reprennent des développements d’autres chroniqueurs sans parfois que leurs auteurs n’aient posé le pied en Amérique. Ainsi la description de la Nouvelle-Néerlande par Adriaen Van der Donck a-t-elle été reprise, traduite, réappropriée en Europe, y compris par des auteurs anglais, au cours des décennies qui ont suivi la publication de sa Description en 165584.
60Après le changement de souveraineté, les populations néo-néerlandaises, notamment rurales, de la colonie deviennent également des populations dont la description crée de l’étrangeté, du dépaysement mâtiné de sentiment de supériorité. Les Néo-Néerlandaises sont décrites, non pas comme des femmes disponibles sexuellement, à la manière des femmes autochtones, mais comme des femmes manquant d’élégance, un contre-exemple à ne pas suivre pour les Anglaises. Un contre-exemple qui vient confirmer la supériorité sociale et morale anglaise, et donc une domination coloniale présentée comme légitime.
61De passage à New York depuis la Nouvelle-Angleterre, la veuve et marchande bostonienne Sarah Kemble Knight décrit ainsi les femmes de la ville en termes peu élogieux. Alors qu’elle affirme avoir une impression « plaisante » de New York, qu’elle déclare quitter à regret au bout de deux semaines, elle ajoute être choquée par les manières des Néerlandaises :
« Les Anglaises sont très élégantes dans leur habillement. Mais les Néerlandaises, tout particulièrement dans les milieux modestes, sont très différentes de nos femmes, relâchées dans leurs manières, elles portent des chaperons français, qui sont comme une coiffe et un bandeau en même temps, laissant leurs oreilles à nu, lesquelles sont ornées de bijoux en grand nombre et d’une taille imposante. Et leurs doigts sont ornés de bagues, certaines serties de grosses pierres multicolores, semblables à celles qui pendent à leurs oreilles, et que l’on peut voir portées par de très vieilles femmes autant que par des jeunes85. »
62Cette même insistance sur le vêtement est loin d’être anodine : avoir la tête dénudée ou faire montre de trop de joaillerie était caractéristique du manque de modestie d’une femme de mauvaise vie. L’autrice de ces remarques affirme ici une conscience de son statut social par un regard condescendant vis-à-vis de milieux qu’elle estime inférieurs au sien. Le « relâchement » vestimentaire est un véritable stigmate pour une femme issue de la bonne société qui y voit un signe d’infériorité par rapport à la rigueur de classe attribuée aux femmes anglaises. Mais si le commentaire est social, il est aussi culturel.
63Peu après Bullivant et quelques années avant Madam Knight, une des plus précoces descriptions de la province pendant la période anglaise est celle du révérend Charles Wolley, un chapelain anglican qui séjourne à New York entre 1678 et 1680, et en publie un récit, A Two Years Journal in New-York, vingt ans après son retour en Angleterre86. Celui-ci consacre également quelques passages aux manières des Néo-Néerlandais, en y adjoignant un commentaire social. La première évocation de ces derniers passe par une insistance sur les valeurs domestiques des femmes, à partir de l’observation, ici aussi, de leurs pratiques vestimentaires :
« Puisque je parle de chaussures indiennes, je ne peux m’abstenir d’informer le lecteur d’avoir rarement vu les femmes néerlandaises porter autre chose que des mules chez elles et en dehors, ce qui me rappela ce que j’ai lu chez le Dr. Hamond à propos de la 6e épitre aux Ephésiens, que les vierges égyptiennes n’avaient pas le droit de porter de chaussures, c’est-à-dire qu’elles n’étaient pas prêtes à sortir87. »
64C’est la description des autochtones qui suscite, chez Wolley, la première évocation des habitants néerlandais de la colonie, tels des seconds autochtones, et la comparaison de ceux-ci au peuple juif biblique n’est pas sans rappeler le recours à de semblables métaphores bibliques pour parler des premiers. Dans le même temps, la référence biblique renvoie à l’imagerie des femmes hollandaises du siècle d’or, telle qu’on peut la trouver chez les poètes moralistes comme Johan Van Beverwijck88 à propos du rôle domestique des femmes, ce qui, sous la plume d’un Anglais, se charge d’une forme d’inconvenance. La description des colons néo-néerlandais est ainsi au croisement de deux traditions narratives productrices d’une forme de dépaysement : le recours à des descriptions appuyant sur la différence, il évoque ainsi des festivités funéraires étrangement enjouées pour un gentilhomme anglais, ou encore sur le recours à des termes néerlandais au sein du texte anglais – boer et vrouw, mais aussi mijnheer pour les hommes de l’élite, pour qualifier ces habitants et les distinguer des Anglais :
« Je ne peux pas dire que j’ai constaté quelque juron ou querelle qui ne soit facilement réconciliée et abjurée par une légère réprimande, hormis une fois, entre deux Boors [sic] néerlandais (dont le juron habituel est “sacrement”), ce qui ne fut pas une scène déplaisante, nonobstant le langage peu châtié. Aussitôt qu’ils se rencontrèrent (ce qui eut lieu après qu’ils eurent alarmé le voisinage), ils se saisirent par les cheveux avec les orteils, et se retrouvèrent à terre, leurs Vrows [sic] et familles hurlaient, ne pouvant les séparer, laquelle rixe se déroulant sous ma fenêtre, je fis appel à une de mes connaissances et lui ordonnai d’aller chercher un baquet d’eau et de le vider sur eux, ce qui calma immédiatement leur hardiesse, et relâcha leur prise : nous avions l’habitude de séparer nos dogues de la sorte en Angleterre89. »
65Wolley dépeint des hommes querelleurs et violents, ainsi qu’une perte de contrôle sur la violence caractéristique, au xviie siècle, de ce qui est perçu comme une masculinité dévoyée90. Il est difficile de distinguer entre la réaction d’un Anglais face à des Néerlandais et une réaction de classe. La déshumanisation des querelleurs, comparés à des chiens, relève en effet du mépris social d’un homme d’Église lettré observant une rixe populaire opposant deux boers, c’est-à-dire deux paysans, ou deux rustres, dans un sens plus général du mot. Wolley s’avère moins condescendant avec ses pairs sur l’échelle sociale, évoquant avec admiration la culture biblique d’un pasteur calviniste et d’un pasteur luthérien dans d’autres passages de son récit. Mais précisément, l’utilisation du lexique néerlandais invite à penser le recoupement entre l’identité ethno-culturelle, la classe et le genre, une équation qui apparaît récurrente dans les récits de voyage des décennies suivantes, où les populations rurales de l’arrière-pays sont décrites en fonction de leur identité néerlandaise.
66Pour autant, l’identification d’une altérité néerlandaise n’est pas uniquement classiste, chez Wolley, et ne relève pas seulement de la représentation d’une virilité dégradée. Ses échanges avec les notables new-yorkais sont également l’occasion pour lui de s’attarder sur les différences institutionnelles entre régime néerlandais et anglais. Un passage notamment témoigne de son étonnement face aux pratiques successorales néerlandaises. À ce sujet, il souligne ainsi que les Néerlandais « s’en tiennent plus à la nature qu’à la nomenclature » :
« Les Néerlandais de New York observent cette coutume, que je me souviens avoir observée chez un certain Frederick Philips, le plus riche Mijn Heer [sic] de ces lieux, qui possédait, d’après la rumeur, des quantités de monnaie indienne, ou Wampam [sic], et ayant fils et fille, j’admirais la quantité de richesse dont le fils allait profiter, à quoi un Néerlandais répondit que la fille devrait en avoir la moitié, car c’était la façon de faire parmi eux, puisqu’ils s’en tiennent à la nature, plus qu’à la nomenclature ; puisque la racine communique avec toutes ses branches, il devait en être ainsi pour un parent avec toute sa descendance, telles les branches d’olivier autour de sa table91. »
67En d’autres termes, le sang l’emporte sur le sexe. Cette pratique surprend d’autant plus le pasteur anglais qu’elle contraste fortement avec les lois britanniques qui « ont aboli la coutume de Gavelkind, qui voulait que les terres d’un père fussent divisées équitablement entre tous les fils92 » : la référence au gavelkind, une loi coutumière où le système d’héritage d’un bien foncier est bâti sur la division équitable (masculine), permet à Wolley d’insister sur son remplacement par la primogéniture masculine. Le droit hollandais sur la succession, auquel s’ajoute une absence de prise en considération des distinctions de genre, renvoient pour lui à une question de dénomination, et n’en est que plus spécifique. Dès la fin du xviie siècle, les pratiques néerlandaises à l’égard des femmes sont donc présentées comme un élément fort de leur culture. Reste que l’identification de cette spécificité n’est présente que chez Wolley. La plupart des récits anglais insistent surtout sur des commentaires moraux et sociaux.
68Territorialement, le commentaire social sur les milieux populaires néerlandais désigne la vallée de l’Hudson et autour d’Albany, où cette population est la plus présente. Plusieurs décennies plus tard, dans les années 1740, le médecin Alexander Hamilton passe par New York au cours de son « itinéraire » entre Annapolis et Boston. Semblablement à ses prédécesseurs, il brosse un portrait assez négatif des manières néo-néerlandaises, insistant notamment sur leur manque de raffinement et leur cupidité. Sa rencontre avec un certain Van Bummil, lors d’un trajet de New York à Albany, est notamment l’occasion de quelques développements particulièrement sarcastiques sur son inculture et sa manipulation de la langue anglaise. Du reste, Hamilton identifie clairement une différence entre New York et son arrière-pays, à partir des femmes. Alors qu’il identifie les New-Yorkaises comme élégantes et belles, les femmes d’Albany sont décrites comme « les plus mal loties qu’[il ait] pu voir. Leurs vieilles femmes sont coiffées de couvre-chefs risibles, d’énormes pendentifs, de petits jupons et elles vous regardent comme des sorcières93 ».
69En 1760-1761, soixante ans après les premiers récits, un autre observateur anglais propose, à son tour, une description des populations néo-néerlandaises de la vallée de l’Hudson. Warren Johnson, gentilhomme anglais et frère de Sir William Johnson, l’un des principaux stratèges de la guerre de Sept Ans dans la région de New York, identifie dans son journal les mœurs de la population de cette région comme typiques d’un caractère néerlandais : « les Néerlandais sont une espèce étrange et terrible, et il est impossible de leur faire confiance94 », commence-t-il par déclarer. Ce manque de bonnes manières est culturel et attribuable, selon lui, à l’absence de notion de déférence parmi les Néerlandais95. Outre le caractère néerlandais, Johnson porte le regard d’un gentilhomme anglais sur une population coloniale jugée fruste. Lorsque, de passage à Schenectady, il est question des femmes, celles-ci apparaissent comme grossières, rustres, et oublieuses des bonnes manières :
« Les dames hollandaises [Dutch ladies] vivant à la campagne emmènent avec elles leurs jeunes enfants quand elles sont en visite, et les laissent s’asseoir sur leurs genoux à table, elles sont ordurières et désagréables, et manquent de modestie dans leurs discours96. »
70La perception des populations néo-néerlandaises est, ici encore, chargée d’une condescendance de classe, informée par le milieu rural dans lequel vivent les populations décrites par Johnson. La désignation en termes de « dutchness » invite à concevoir une altérité non seulement sociale mais aussi culturelle de ces « dames » de Schenectady, qui les distingue des femmes issues de sociétés anglophones. Un amalgame entre le rural et le néerlandais est donc assigné aux sociétés de l’arrière-pays new-yorkais, et cette assignation, médiée par un jugement du comportement public des femmes, repose sur une compréhension de normes de genre.
71En reprenant la comparaison avec les descriptions faites des populations autochtones, si une partie de leur exotisme était bâti sur l’assignation d’un système de genre différent des normes et des pratiques européennes, la description par Johnson des Néo-Néerlandaises va dans un sens similaire. S’il ne les présente pas comme un objet de convoitise sexuelle, contrairement aux femmes autochtones, leur manque supposé de modestie et leurs manières ordurières, associées à leur caractère industrieux, contribuent semblablement à bâtir une forme d’altérité et à installer une comparable perversion des attentes de genre d’un gentilhomme anglais. Dans cette mesure, ces descriptions construisent une hiérarchie morale, sociale et culturelle entre un groupe dominant, anglais et urbain, et un groupe dominé, néo-néerlandais et rural. Les marges du territoire colonial sont donc définies en fonction de comportements genrés jugés grossiers. Les manières des femmes de l’arrière-pays rural de la vallée de l’Hudson ou même des quartiers populaires du port de New York servent un discours d’affirmation du pouvoir de l’élite anglaise.
72Cette construction à la fois ethno-culturelle, sociale et genrée est à mettre en regard de l’évolution culturelle que connaît l’élite new-yorkaise à partir du xviiie siècle : alors même que le caractère fruste des milieux ruraux néo-néerlandais est essentialisé, une culture de la gentilité se développe au sein de l’élite urbaine. Cette culture passe par l’affirmation de nouvelles normes de genre, façonnées par les bonnes manières, qui distinguent l’élite du reste de la population coloniale97. Dans un contexte où, de plus en plus, les circulations dans le monde atlantique et les nouvelles fortunes liées au commerce colonial remettent en question les hiérarchies sociales, surtout dans les sociétés portuaires, l’élite urbaine new-yorkaise en vient à accorder de plus en plus d’importance à des marqueurs de richesse et de statut tels que la possession de biens de luxe et surtout les sociabilités d’élite et les prescriptions de comportement qui y sont associées. Cette culture, qui prend pour modèle la culture de cour britannique, contribue à inclure l’élite new-yorkaise dans un Atlantique britannique par le biais de référents communs. Serena Zabin a étudié le développement de cette culture de gentilité, notamment à travers le parcours des maîtres de danse en charge d’apprendre aux élites coloniales les bonnes manières des cours européennes. Alors que la circulation de l’argent rend les produits de luxe facilement accessibles à tous, les bonnes manières, procurées par ceux-ci permettent de marquer la distinction de cette élite coloniale issue des alliances entre la vieille élite néo-néerlandaise et les nouveaux dirigeants britanniques. Cette culture est documentée dès les premières décennies du xviiie siècle : à partir des années 1710-1720, la présence de ces maîtres de danse est attestée et sert les bals donnés par les gouverneurs successifs pour célébrer des événements politiques importants – fin de la Deuxième Guerre intercoloniale, anniversaire du roi, etc. Cette culture refaçonne les normes de masculinité et de féminité en marquant la distinction entre ceux qui se comportent en gentilshommes et en gentes dames et le reste de la population.
73Dans ce contexte, l’existence d’un discours stéréotypé sur les milieux ruraux néo-néerlandais apparaît comme un enjeu de classe et de pouvoir. Le genre sert alors d’outil rhétorique pour caractériser un manque de « raffinement98 » et affirmer la domination d’une élite anglaise – ayant assimilé l’élite néo-néerlandaise d’antan – sur des milieux populaires et ruraux d’héritage néo-néerlandais, mais aussi déconnectés de l’Europe et de sa culture de gentilité.
⁂
74À partir de 1664, le changement de souveraineté à New York, s’il se fait dans un premier temps sans combat, ne constitue pas moins l’affirmation d’un nouveau rapport de domination, entre le pouvoir anglais et la population coloniale néo-néerlandaise. Cela se traduit, dans les dernières décennies du xviie siècle, par une série d’épisodes conflictuels marqués par des tensions entre Anglais et Néo-Néerlandais qui culminent avec la rébellion de Leisler en 1689-1691 ; ces tensions sont politiques et culturelles, mais l’imposition d’un nouveau pouvoir est également une remise en question genrée de la position de pouvoir occupée par les hommes de Nouvelle-Néerlande. Au cours du xviiie siècle, cette confrontation se traduit par l’assignation d’un régime de genre spécifiquement néerlandais qui définirait la population de Nouvelle-Néerlande de l’arrière-pays rural et ses descendants. Alors qu’une nouvelle élite britannique s’associait à l’ancienne élite néo-néerlandaise, les milieux plus populaires sont de plus en plus stigmatisés pour leurs mœurs – l’altérité apparaissant bien souvent définie par l’assignation de comportements genrés déviants par rapport aux normes de l’élite britannique. La question de la masculinité, de la féminité et des rôles et des relations qui y sont associés est ainsi au cœur du processus de domination et d’imposition d’un ordre colonial. Un siècle plus tard, c’est cette même survivance culturelle dans la vallée de l’Hudson que croque et réinvestit Washington Irving, prenant appui sur un folklore rural néo-néerlandais identifié comme tel99. Sous la plume d’Irving, outre les manières rustaudes des femmes, l’indolence et la langueur des hommes est aussi narrée, et rendrait compte de leur impuissance à conserver la colonie face à l’énergie conquérante britannique.
75Cette cohabitation anglo-néerlandaise n’est cependant qu’un aspect d’un appareil de domination anglaise, qui contribue à renforcer les différenciations régionales sur le territoire colonial, notamment entre New York et la vallée de l’Hudson. Outre la rupture politique que constitue le changement de souveraineté, il faut y voir également le résultat d’un processus graduel de changement d’échelle de la société coloniale, avec une population plus nombreuse, plus diverse, où les rapports sociaux se trouveraient, de fait, complexifiés. Il est difficile de dissocier les deux tant le changement politique a refaçonné l’inclusion de la colonie dans un Atlantique britannique, ouvrant également sur de nouvelles vagues migratoires, volontaires et forcées. Entre 1664 et 1730, la société coloniale de New York connaît ainsi d’importantes transformations, tant démographiques que sociales et culturelles. Face à cela, le nouveau pouvoir assoit sa légitimité par la reprise en main de la régulation des rapports sociaux et de genre, tant vis-à-vis des Néo-Néerlandais que vis-à-vis des populations subalternes serviles et autochtones. Mais au cœur de ces rapports de genre se trouve également l’évolution du droit, de ses provisions vis-à-vis des femmes, et de son influence sur l’économie marchande de la province après 1664.
Notes de bas de page
1Notons que suivant l’origine des documents, le calendrier varie, les Anglais ayant conservé le calendrier julien, plaçant ces événements entre le 25 et le 28 août, tandis que les Néerlandais avaient adopté le calendrier grégorien (qui place ces événements entre le 5 et le 8 septembre).
2NYMA RNA Box 1.2.4 doc. 440c ; trad. RNA, vol. 5, p. 104-107.
3Edmund Bailey O’Callaghan, History of New Netherland: Or, New York Under the Dutch, vol. 2, New York, D. Appleton & Company, 1855, p. 527-529.
4Wim Klooster, The Dutch Moment: War, Trade, and Settlement in the Seventeenth-Century Atlantic World, Ithaca, Cornell University Press, 2016, p. 1-10 ; Lou H. Roper, « The Fall of New Netherland and Seventeenth-Century Anglo-American Imperial Formation, 1654-1676 », The New England Quarterly, 87/4, 2014, p. 666-708.
5Joyce D. Goodfriend, Before the Melting Pot: Society and Culture in Colonial New York City, 1664-1730, Princeton, Princeton University Press, 1992, p. 3 ; Jaap Jacobs, The Colony of New Netherland: A Dutch Settlement in Seventeenth-Century America, Ithaca, Cornell University Press, 2009, p. 251-254 ; Mike Wallace et Edwin G. Burrows, Gotham: A History of New York City to 1898, Oxford, Oxford University Press, 1999, p. 76-80.
6L’incendie du Capitole d’Albany en 1911 a ainsi conduit à la destruction d’une partie des archives du conseil (New York Council Minutes), notamment les cartons correspondant au début du xviiie siècle, et la conservation et l’accessibilité des archives judiciaires, tant pour New York que pour Albany, est extrêmement variable. Ainsi, celles d’Albany sont disponibles entre 1668 et 1685 ; celles de New York sont disponibles de 1664 à 1674, puis il faut composer ensuite avec la stratification du système judiciaire, notamment entre la Mayor’s Court et la court of sessions.
7Donna Merwick, Death of a Notary: Conquest and Change in Colonial New York, Ithaca, Cornell University Press, 2002.
8Andrew Brink, Invading Paradise: Esopus Settlers at War with Natives, 1659 1663, Bloomington, Xlibris Corporation, 2003 ; Theodore Dietz, Dutch Esopus/Wiltwyck/Kingston Memories, Pittsburgh, Dorrance Publishing, 2012, p. 109-111 ; Marc B. Fried, The Early History of Kingston & Ulster County, N.Y., Marbletown, Ulster County Historical Society, 1975, 206 p. ; Marius Schoonmaker, The History of Kingston, New York, New York, Burr Printing House, 1888.
9NYCP – NYSA A1894 22:22 – trad. angl. : Peter R. Christoph (éd.), Administrative Papers of Governors Richard Nicolls and Francis Lovelace, 1664-1673, Baltimore, Genealogical Publishing Co., 1980, p. 41-43.
10Augustus H. Van Buren, « Wiltwyck Under the Dutch », Proceedings of the New York State Historical Association, vol. 11, 1912, p. 128-135.
11NYCP – NYSA A1894 22:28 – trad. angl. : Nicolls/Lovelace Papers, p. 50-52. La ligne de défense de Dalva s’appuie sur les relations conflictuelles entre les colons de Wiltwijck/Kingston a et les Esopus voisins dans les années qui précèdent ces minutes (la destruction du poste colonial initial en 1652, puis deux guerres en 1659 et 1663).
12NYCP – NYSA A1894 22:22-31 – trad. angl. : ibid., p. 41-55 ; Peter R. Christoph, Kenneth Scott et Kenn Stryker-Rodda, New York Historical Manuscripts: Dutch Kingston Papers, Baltimore, Genealogical Publishing Co, 1976.
13NYCP – NYSA A1894 22:28 – trad. angl. : Nicolls/Lovelace Papers, op. cit., p. 50-52.
14La Hollande et la Zélande, bien que calvinistes, adoptent le calendrier proposé par le pape Grégoire XIII dès 1582 ; l’Angleterre et ses colonies ne l’adoptent qu’à partir de 1750 avec le Calendar Act, qui devient effectif en 1752.
15NYCP – NYSA A1894 22:28 – trad. angl. : Nicolls/Lovelace Papers, p. 50-52.
16J. D. Goodfriend, Before the Melting Pot, op. cit., p. 62.
17NYCP – NYSA A1894 22:22 – trad. angl. : Nicolls/Lovelace Papers, p. 42.
18Ibid.
19NYCP – NYSA A1894 22:28 – trad. angl. : Nicolls/Lovelace Papers, p. 50-52.
20NYCP – NYSA A1894 22:22 – trad. angl. : ibid., p. 42.
21NYCP – NYSA A1894 22:28 – trad. angl. : ibid., p. 50-52.
22NYCP – NYSA A1894 22:22 – trad. angl. : ibid., p. 42.
23Kathleen M. Brown, Good Wives, Nasty Wenches and Anxious Patriarchs: Gender, Race, and Power in Colonial Virginia, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1996, p. 137-186 ; John Gilbert McCurdy, « Gentlemen and Soldiers: Competing Visions of Manhood in Early Jamestown », in Thomas A. Foster (éd.), New Men. Manliness in Early America, New York, New York University Press, 2011, p. 9-30.
24NYCP – NYSA A1894 22:22 – trad. angl. : Nicolls/Lovelace Papers, p. 42.
25Voir chapitre i.
26Lettre adressée au sergent Berrisford, écrite le 25 juillet 1669 à Fort James. Peter R. Christoph et Florence A. Christoph, New York Historical Manuscripts: English; Books of General Entries of the Colony of New York 1664-1673, Baltimore, Genealogical Pub. Co., 1982, p. 283.
27Carole Shammas, A History of Household Government in America, Charlottesville, University of Virginia Press, 2002.
28NYCP – NYSA A1894 22:78-94, éd. : Nicolls/Lovelace Papers, op. cit., p. 103-118.
29NYCP – NYSA A1894 22:88 – trad. angl. : ibid., p. 113.
30Des sources secondaires postérieures évoquent par ailleurs une liaison entre Anneke Schaets et Arent Van Curler, qui aurait précipité son mariage à Davidsen pour l’éloigner d’Albany. Cette liaison aurait terni la réputation d’Anneke Schaets, ce qui transparaît dans les propos de Baker. John T. Palmer, The Schaets (Skaats, Skaates, Skates) family in the Netherlands (1400-1652) and in America (1652-1983), Hancock, J. M. Skaates Associates, 1983, p. 16.
31NYCP – NYSA A1894 22:88 – trad. angl. : Nicolls/Lovelace Papers, p. 113.
32Déposition de Michel Collier – NYCP – NYSA A1894 22:82 – trad. angl. : ibid., p. 108.
33Ibid.
34NYCP – NYSA A1894 22:85 – trad. angl. : ibid., p. 110.
35Ibid. Un troisième témoignage, celui de John Isaacs, un soldat anglais, vient compléter la liste des témoins à charge. À la différence des deux précédents, celui-ci ne répond pas à une requête de Jeronimus.
36NYCP – NYSA A1894 22:86 – trad. angl. : ibid., p. 111.
37NYCP – NYSA A1894 22:87, 89, 91b – trad. angl. : ibid., p. 112-113, 114-116.
38David William Voorhees, “In behalf of the true Protestants religion”: the Glorious Revolution in New York, New York University, New York, 1988 ; « “Hearing… What Great Success the Dragonnades in France Had”: Jacob Leisler’s Huguenots Connections », de Halve Maen, 67, 1994 ; « “How ther poor wives do, and are dealt with”: Women in Leisler’s Rebellion », de Halve Maen, 40, 1997, p. 41-48 ; « “All Authority turned upside downe”: The Ideological Origins of Leislerian Political Thought », in Jaap Jacobs et al., Leisler’s Atlantic World in the Later Seventeenth Century: Essays on Religion, Militia, Trade and Networks, Berlin, LIT Verlag, 2009, p. 89-118 ; « Family and Faction: The Dutch Roots of Colonial New York’s Factional Politics », in Martha Dickinson Shattuck, Explorers, Fortunes & Love Letters: a Window on New Netherland, Albany, New Netherland Institute/Mount Ida Press, 2009, p. 129-147.
39M. Wallace et E. G. Burrows, Gotham, op. cit., p. 82-83.
40Jeremias Van Rensselaer, Correspondence of Jeremias van Rensselaer, 1651-1674, Albany, University of the State of New York, 1932, p. 465 ; Charles Zebina Lincoln, William H. Johnson et Ansel Judd Northrup (éd.), The Colonial Laws of New York from the Year 1664 to the Revolution: Including the Charters to the Duke of York, the Commissions and Instructions to Colonial Governors, the Duke’s Laws, the Laws of the Dongan and Leisler Assemblies, the Charters of Albany and New York and the Acts of the Colonial Legislatures from 1691 to 1775 Inclusive, vol. 1, Albany, J. B. Lyon, state printer, 1894, p. 101-104.
41J. Jacobs, The Colony of New Netherland, op. cit., p. 251 ; M. Wallace et E. G. Burrows, Gotham, op. cit., p. 82-83.
42Randall Balmer, « Traitors and Papists: The Religious Dimensions of Leisler’s Rebellion », New York History, 70/4, 1989, p. 341-372 ; Peter R. Christoph, « Social and Religious Tensions in Leisler’s New York », de Halve Maen, 67, 1994, p. 87-92 ; J. Jacobs et al., Leisler’s Atlantic World in the Later Seventeenth Century: Essays on Religion, Militia, Trade and Networks, op. cit. ; Donna Merwick, « Being Dutch: An Interpretation of Why Jacob Leisler Died », New York History, 70/4, 1989, p. 373-404 ; John Murrin, « English Rights as Ethnic Aggression: The English Conquest, the Charter of Liberties of 1983, and Leisler’s Rebellion in New York », Authority and Resistance in Early New York, New York, 1988, p. 56-94.
43Thomas Archdeacon, New York City (1664-1710): Conquest and Change, Ithaca, Cornell University Press, 1976 ; Kees-Jan Waterman, « Leisler’s Rebellion, 1689-1690: Being Dutch In Albany », Maryland Historian, 22/2, 1991, p. 21-40.
44Firth Haring Fabend, « “According to Holland Custome”: Jacob Leisler and the Loockermans Estate Feud », de Halve Maen, 67/1, 1994, p. 1-8 ; David Narrett, Inheritance and Family Life in Colonial New York City, Ithaca, Cornell University Press, 1992.
45D. W. Voorhees, « “How ther poor wives do” », art. cité, p. 44-45.
46Arlette Farge et Natalie Zemon Davis, Histoire des femmes en Occident, vol. 3 : xvie-xviiie siècles, Paris, Plon, 1991, p. 481.
47Extrait du journal de Nicholas Bayard, reproduit dans John Romeyn Brodhead, Berthold Fernow et E. B. O’Callaghan, Documents Relative to the Colonial History of the State of New York, vol. 3, Albany, Weed, Parsons and Co., 1853, p. 604. Cité par D. W. Voorhees, « “How ther poor wives do” », art. cité, p. 41.
48Edmund Bailey O’Callaghan, The Documentary History of the State of New-York: Arranged Under Direction of the Hon. Christopher Morgan, Secretary of State, vol. 2, Albany, Weed, Parsons & Company, 1849, p. 36-37.
49P. R. Christoph, « Social and Religious Tensions in Leisler’s New York », art. cité.
50Le camp libéral sur l’échiquer politique britannique.
51DHNY, op. cit., p. 148.
52Cité in D. W. Voorhees, « “How ther poor wives do” », art. cité, p. 47.
53Ibid.
54Thomas S. Wermuth, Rip Van Winkle’s Neighbors: The Transformation of Rural Society in the Hudson River Valley, 1720-1850, Albany, State University of New York Press, 2001.
55Sarah Kemble Knight, The Journal of Madam Knight, Chester, Applewood Books, 1992, p. 54-55.
56Le journal de Warren Johnson, conservé à la New York State Library, est édité dans Milton Hamilton (éd.), The Papers of Sir William Johnson, vol. XIII, Albany, University of the State of New York, 1962.
57Nicholas Patrick Canny, The Elizabethan Conquest of Ireland: a Pattern Established 1565-76, Hassocks, Harvester Press, 1976 ; Making Ireland British, 1580-1650, Oxford, Oxford University Press, 2001.
58Evarts Boutell Greene et Virginia Draper Harrington (éd.), American Population Before the Federal Census of 1790, Baltimore, Genealogical Publishing Company, 1993, p. 88-105 ; DHNY1, p. 237-247, 395-405, 465-475.
59J. D. Goodfriend, Before the Melting Pot, op. cit., p. 61-80.
60Voir la notice généalogique établie par John Van Zandt Cortelyou, The Cortelyou Genealogy: A Record of Jaques Corteljou and of Many of His Descendants, Providence, Brown Printing Service, 1942.
61Mickaël Augeron, Didier Poton et Bertrand Van Ruymbeke, Les huguenots et l’Atlantique, Paris, Les Indes Savantes/Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2009 ; Jon Butler, The Huguenots in America: A Refugee People in New World Society, Cambridge, Harvard University Press, 1983 ; Bertrand Van Ruymbeke, « The Walloon and Huguenot Elements in New Netherland and Seventeenth Century New York: Identity, History and Memory », in Joyce D. Goodfriend (éd.), Revisiting New Netherland: Perspectives on Early Dutch America, Leyde, Brill, 2005, p. 41-55 ; Bertrand Van Ruymbeke et Randy J. Sparks (éd.), Memory and Identity: The Huguenots in France and the Atlantic Diaspora, Columbia, University of South Carolina Press, 2003.
62Joyce Goodfriend, « The Huguenots of Colonial New York City: A Demographic Profile », in B. Van Ruymbeke et R.J. Sparks (éd.), Memory and Identity, op. cit., p. 241-254.
63Philip Otterness, Becoming German: The 1709 Palatine Migration to New York, Ithaca, Cornell University Press, 2004.
64DHNY3, p. 470.
65J. D. Goodfriend, Before the Melting Pot, op. cit., p. 133-154.
66Ibid.
67Ibid., p. 155-186.
68Kees-Jan Waterman, “To Do Justice to Him & Myself”: Evert Wendell’s Account Book of the Fur Trade with Indians in Albany, New York, 1695-1726, Philadelphie, American Philosophical Society Lightning Rod Press, 2008, p. 8.
69Alexander Hamilton, The Itinerarium of Dr. Alexander Hamilton, 1744, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 1948.
70Linda Briggs Biemer, Women and Property in Colonial New York: the Transition from Dutch to English Law 1643-1727, Ann Arbor, UMI Research Press, 1983, p. 22-75.
71NYCP – NYSA A1894 vol. 42 doc. 34, 52-62.
72Samuel S. Purple, Collections of the New-York Genealogical and Biographical Society, vol. 1: Records of the Reformed Dutch Church in New Amsterdam and New York, New York, Printed for the Society, 1890, p. 30-168.
73Linda Briggs Biemer, « Business Letters of Alida Schuyler Livingston, 1680-1726 », New York History, 63/2, 1982, p. 182-207 ; J. D. Goodfriend, Before the Melting Pot, op. cit., p. 94 ; D. Narrett, Inheritance and Family Life in Colonial New York City, op. cit.
74J. D. Goodfriend, Before the Melting Pot, op. cit., p. 81-110, 187-216. Données collectées, pour la fin du xviie siècle, par Joyce Goodfriend d’après les listes d’imposition de 1695 et 1699 et le recensement de 1703.
75D. Narrett, Inheritance and Family Life in Colonial New York City, op. cit.
76« Papers Relating to the Administration of Lieut. Gov. Leisler. 1689-1691 », in DHNY2, p. 37-39.
77K.-J. Waterman, « Leisler’s Rebellion, 1689-1690: Being Dutch In Albany », art. cité.
78Randall Herbert Balmer, A Perfect Babel of Confusion: Dutch Religion and English Culture in the Middle Colonies, New York, Oxford University Press, 1989 ; Firth Fabend, « The Reformed Dutch Church and the Persistence of Dutchness in New York and New Jersey », in Roger Panetta (éd.), Dutch New York: the Roots of Hudson Valley Culture, Yonkers, Fordham University Press, 2009, p. 137-138 ; Gajus Scheltema et Heleen Westerhuijs (éd.), Exploring Dutch New York, New York, Museum of the City of New York Publications, 2011, 254 p. ; T. S. Wermuth, Rip Van Winkle’s Neighbors, op. cit.
79Els Kloek, « De geschiedenis van een stereotype. De bazigheid, ondernemingszin en zindelijkheid van vrouwen in Holland (1500-1800) », Jaarboek Centraal Bureau voor Genealogie, 58, 2004, p. 5-25 ; Els Kloek, Nicole Teeuwen et Marijke Huisman (éd.), Women of the Golden Age. An International Debate on Women in Seventeenth-Century Holland, England and Italy, Hilversum, Verloren, 1994, p. 9-69 ; Simon Schama, L’Embarras de richesses. Une interprétation de la culture hollandaise au Siècle d’Or, Paris, Gallimard, 1991, p. 501-635.
80William Montague, The Delights of Holland: Or, a Three Months Travel About That and the Other Provinces. with Observations and Reflections on Their Trade, Wealth, Strength, Beauty, Policy, &c. Together with a Catalogue of the Rarities in the Anatomical School at Leyden. by William Mountague, Esq., Londres, John Sturton, 1696 ; cité par Els Kloek, « De zaak Judith Leyster: uitzonderlijk of representatief? », in James Welu et Pieter Biesboer (éd.), Judith Leyster. Schilderes in een mannenwereld, Zwolle, Waanders Uitgevers, 1993, p. 55-68.
81C. D. Van Strien, « Thomas Penson: Precursor of the Sentimental Traveller », in Z. R. W. M. Von Martels, Travel Fact and Travel Fiction: Studies on Fiction, Literary Tradition, Scholarly Discovery, and Observation in Travel Writing, Leyde, Brill, 1994, p. 194-206.
82Benjamin Bullivant, « A Journall [sic], With Observations on My Travail [sic] from Boston in N.E. to N.Y., New Jersies [sic], & Philadelphia in Pensilvania [sic], A.D. 1697 », édité in Wayne Andrews, « A Glance at New York in 1697: The Travel Diary of Dr. Benjamin Bullivant », The New-York Historical Society Quarterly, 40/1, 1956, p. 55-73.
83Une culture analysée par Simon Schama in S. Schama, L’Embarras de richesses, op. cit.
84Adriaen Van der Donck, A Description of New Netherland, trad. D. W. Goedhuys, Lincoln, University of Nebraska Press, 2008 ; Daniel Denton, A Brief Description of New-York, Formerly Called New-Netherlands with the Places Thereunto Adjoyning: Together with the Manner of Its Scituation, Fertility of the Soyle, Healthfulness of the Climate, and the Commodities Thence Produced: Also Some Directions and Advice to Such as Shall Go Thither…: Likewise a Brief Relation of the Customs of the Indians There, Londres, Printed for John Hancock and William Bradley, 1670 ; John Ogilby et Arnoldus Montanus, America: Being the Latest, and Most Accurate Description of the New Vvorld Containing the Original of the Inhabitants, and the Remarkable Voyages Thither, the Conquest of the Vast Empires of Mexico and Peru and Other Large Provinces and Territories: With the Several European Plantations in Those Parts: Also Their Cities, Fortresses, Towns, Temples, Mountains, and Rivers: Their Habits, Customs, Manners, and Religions, Their Plants, Beasts, Birds, and Serpents: With an Appendix Containing, Besides Several Other Considerable Additions, a Brief Survey of What Hath Been Discover’d of the Unknown South-Land and the Arctick Region: Collected from Most Authentick Authors, Augmented with Later Observations, and Adorn’d with Maps and Sculptures, Londres, Printed by the author, 1671. Une analyse des emprunts d’un récit à l’autre est proposée par Frans Blom. Frans R. E. Blom, « Picturing New Netherland and New York. Dutch-Anglo Transfer of New World Information », in Siegfried Huigen, Jan L. de Jong et Elmer Kolfin (éd.), The Dutch Trading Companies As Knowledge Networks, Leyde, Brill, 2010, p. 103-126.
85S. K. Knight, The Journal of Madam Knight, op. cit., p. 54-55.
86Charles A. M. Wolley, A Two Years Journal in New-York: And part of its Territories in America, Londres, John Wyat, 1701 ; rééd. : « A Two Years Journal in New-York: And part of its Territories in America (1701) », Faculty Publications. UNL Libraries, 26, 2006, p. 34.
87C. A. M. Wolley, « A Two Years Journal in New-York », art. cité, p. 34.
88S. Schama, L’Embarras de richesses, op. cit., p. 512, 522-523.
89C. A. M. Wolley, « A Two Years Journal in New-York », art. cité, p. 38, 40.
90Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine et Georges Vigarello, Histoire de la virilité de l’Antiquité aux Lumières, vol. 1 : L’invention de la virilité, Paris, Le Seuil, 2011, p. 181-189.
91C. A. M. Wolley, « A Two Years Journal in New-York », art. cité, p. 42-43. Il s’agit de Frederick Philipse, l’époux de Margaret Hardenbroeck et plus grosse fortune de la colonie.
92Ibid.
93A. Hamilton, Itinerarium, op. cit., p. 253.
94The Papers of Sir William Johnson, op. cit., p. 187.
95Ibid., p. 201.
96The Papers of Sir William Johnson, op. cit., p. 193.
97Richard L. Bushman, The Refinement of America: Persons, Houses, Cities, New York, Knopf, 1992 ; Serena R. Zabin, Dangerous Economies: Status and Commerce in Imperial New York, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2009, p. 81-105 ; Zabin cite, à propos de la masculinité, Philip Carter, Men and the Emergence of Polite Society, Britain, 1660-1800, Harlow, Pearson Education, 2001.
98R. L. Bushman, The Refinement of America: Persons, Houses, Cities, op. cit.
99Philip Lopate, « The Days of the Patriarchs: Washington Irving’s A History of New York », in R. Panetta (éd.), Dutch New York, op. cit., p. 191-221.

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