Chapitre III. Bourgmestres, pasteurs et femmes de mauvaise vie
Le genre au cœur de l’ordre social
p. 89-120
Texte intégral
1Entre octobre 1638 et avril 1639, Grietje Reyniers, épouse d’Anthony Jansen, dit « le Turc1 », est l’objet d’un nombre impressionnant de témoignages accablants auprès du secrétaire provincial et du conseil colonial. L’accumulation de détails hauts en couleurs quant à ses manières et à sa moralité contribue à véhiculer l’image d’un personnage particulièrement scandaleux.
2Tout commence en octobre 1638, lorsque Lysbet Dircks, la sage-femme de Fort Amsterdam, se rend devant le secrétaire de la colonie pour relater l’accouchement de Reyniers quelques mois plus tôt. La parturiente lui aurait demandé si l’enfant ressemblait plutôt à son époux ou à un autre homme, reconnaissant implicitement une liaison adultérine. Le jour suivant, Philippe du Trieux (de Truy dans les archives) est convoqué pour raconter comment, cinq ans plus tôt, en 1633, il avait été témoin d’une rixe entre la même Grietje Reyniers et l’équipage du navire Soutbergh. Les marins auraient qualifié Reyniers de « putain » (hoer) et celle-ci y aurait répondu en soulevant son jupon, une offense gestuelle sexuée courante dans les sociétés néerlandaises à cette époque. Une femme pouvait signaler son mépris en montrant ses fesses, parfois en les frappant ou en urinant – le geste, en attirant l’attention sur l’obscène et le bas corporel, devient une forme d’agression2 ; dans le cas de Reyniers, elle invective les marins en même temps qu’elle se frappe le postérieur. L’affaire du Soutbergh est d’ailleurs confirmée par le témoignage d’un maître d’école. Tous deux décrivent une femme adultère, ivrogne, dissolue. Est également évoquée une de ses déclarations dans Fort Amsterdam : « J’ai été la putain des aristocrates suffisamment longtemps ; désormais, je serai la putain de la racaille3. » Entre 1633 et 1638, pourtant, les offenses visiblement répétées de Reyniers n’avaient jamais semblé perturber l’ordre public au point de nécessiter de saisir le gouvernement colonial4.
3C’est que l’origine de la querelle est moins à chercher dans des outrages de 1633 que dans un antagonisme de 1638 impliquant une personnalité influente de la société en formation. Anthony « le Turc », l’époux de Reyniers, doit de l’argent à Everardus Bogardus, pasteur de la colonie. Lorsque le premier tarde trop à régler sa dette de 319 florins au second, il est condamné par le conseil et contre-attaque en signalant que le pasteur lui doit de l’argent sur une dette de boisson et l’accuse de parjure5. Mais si cette accusation est un déclencheur du litige qui suit, comme le souligne Willem Frijhoff, c’est bien l’action de Bogardus qui donne à cette querelle sa dimension scandaleuse6. Il paraît nécessaire de mettre en avant la dimension genrée de ce conflit, par la façon dont les offenses de Grietje Reyniers sont mobilisées pour construire une féminité dévoyée.
4Reyniers s’implique dans la querelle avec Bogardus et renchérit sur l’accusation de parjure le 14 octobre 1638. Une semaine plus tard, une dispute entre elle et Anneke Jans, l’épouse de Bogardus, est également portée à l’attention du secrétaire et du conseil. Anneke Jans, veuve de Roeloff Janssen, a épousé le pasteur six mois plus tôt, en mars 1638. Reyniers l’accuse alors de « soulever son jupon », toujours dans cette gestuelle réputée ordurière, et d’avoir eu un comportement inapproprié auprès d’autres hommes de La Nouvelle-Amsterdam. Bogardus entreprend de protéger l’honneur de son épouse et, partant, le sien propre, dans une démarche relevant de la solidarité entre époux sur le plan réputationnel. Il opère en deux temps : il convoque d’abord un certain nombre de témoins, dont la sage-femme et Philippe du Trieux, pour attester de l’immoralité de Grietje Reyniers. Ensuite, il fait venir plusieurs hommes honorables de la colonie pour témoigner de la bonne moralité d’Anneke Jans, qui n’aurait soulevé son jupon que pour éviter de trébucher – un geste à l’intention bien différente de celle dénoncée par Reyniers.
5L’affaire n’en reste pas là : six mois plus tard, le 7 mars puis le 15 mars 1639, deux disputes pour dettes impliquant Reyniers et son époux font également l’objet de plaintes auprès des autorités coloniales7. Des échanges d’insultes sont rapportés, puis au fil des semaines, les plaines pour disputes s’accumulent et, avec celles-ci, les témoignages se succèdent pour ajouter des informations relatives au passé sulfureux de Grietje Reyniers. À Amsterdam, elle aurait été chassée de l’auberge où elle travaillait comme femme de chambre, pour cause de prostitution auprès de soldats de haut rang. Son employeuse aurait ainsi déclaré : « Je croyais avoir affaire à une honnête femme, mais ce n’est qu’une vilaine catin qui doit partir avant demain matin. » L’adultère et la dispute avec les marins du Soutbergh refont surface, avec de nouveaux détails accablants. On apprend ainsi que Reyniers prenait plaisir à « débrailler les marins » et que, chez elle, elle aurait « mesuré le membre viril de trois marins avec son balai ». Cette accumulation d’offenses et de détails scabreux conduisent au bannissement du couple Reyniers/Jansen. Avec cette condamnation, le directeur général déclare vouloir rétablir la paix sociale : les mœurs dissolues de Reyniers en font une personnalité considérée comme perturbatrice dans la société coloniale8. La sentence n’est que temporaire cependant, puisque Jansen et Reyniers finissent leur vie à la colonie, et leur présence semble n’avoir plus fait l’objet de troubles aussi remarqués.
6Dans cette affaire, tous les témoignages sont explicitement requis par Bogardus. Alors même que, par son accusation de parjure, Reyniers a terni la réputation d’un des hommes les plus honorables de la colonie par sa fonction, celui-ci répond par ce qui semble être une entreprise méticuleuse de damnation sociale. Par la collecte et l’exposition de toutes les informations les plus scandaleuses à propos de Reyniers, il la construit comme l’opposé d’une femme vertueuse. Détruire la réputation de Reyniers devant des représentants officiels du pouvoir vise à protéger la sienne et celle de son épouse et, de cette manière, celle de l’élite d’une société en formation. Si, comme le souligne le sociologue Howard Becker, « le caractère déviant ou non d’un acte dépend de la manière dont les autres réagissent », les mœurs de Reyniers n’ont posé problème qu’à partir du moment où elle s’en est pris à un homme influent de la colonie, lequel a utilisé et manipulé des offenses passées pour se défendre. L’entreprise a eu, du reste, un succès plus pérenne qu’il ne l’aurait probablement envisagé : Grietje Reyniers est progressivement restée célèbre dans les mémoires collectives comme « la première prostituée de Manhattan9 ».
7Ce mécanisme de damnation donne à voir l’importance de la réputation dans les conflits survenant dans la société coloniale – une importance également soulignée en Amérique anglophone et en Amérique ibérique10. Dans la Nouvelle-Angleterre voisine, l’historiographie a montré les principales cibles d’accusations de sorcellerie étaient des femmes moins bien connectées et réputées comme ne se conformant pas au rôle assigné à leur genre (soit qu’elles fussent trop puissantes, trop autonomes ou trop agressives)11. Si une bonne réputation protège contre les indications de culpabilité, une mauvaise réputation facilite l’accusation et donne plus de poids aux témoignages accablants. Ces logiques réputationnelles ont un ancrage social, mais il faut y ajouter une dimension genrée qui informe largement leur construction et leur manipulation. Dans le cas de Grietje Reyniers, point de sorcellerie, l’accusation n’existant pas en Nouvelle-Néerlande ; mais la corrélation entre genre et réputation est tout de même patente. Les témoins convoqués par Bogardus sont eux-mêmes des figures honorables de la société coloniale, maître d’école ou marchands influents – et, à une exception près, des hommes. La dimension genrée de la querelle transparaît dans la nature des faits reprochés à Reyniers : Bogardus entend démontrer que Reyniers pervertit tout ce qui est attendu d’une femme vertueuse et honorable. Elle est une mauvaise épouse car adultérine, une mauvaise mère (d’après une des dépositions, elle aurait menacé de brutaliser un bébé), elle manque de pudeur, elle est agressive, elle ment et, pour finir, elle a un passé de prostituée. Le fait qu’elle soit issue d’un milieu populaire, combiné à son comportement outrageux, la rend vulnérable ; le fait d’avoir tenté de ternir la réputation et l’autorité d’un des hommes les plus respectables de la société a conduit ce dernier à vouloir la remettre à ce qu’il considérait être sa place légitime.
8Avoir et conserver une bonne réputation était plus difficile pour une femme considérée comme grossière, issue d’un milieu populaire que pour un homme puissant et influent, eût-il par ailleurs une tendance aux excès de boisson. En cela, ce conflit témoigne de l’importance accordée à l’honneur dans les sociétés de départ européennes au xviie siècle, mais aussi dans la société coloniale, pour les hommes comme pour les femmes, et ce dès les périodes les plus précoces d’installation. Cette affaire montre que jouer sur l’honneur d’une personne peut perturber ou, au contraire, rétablir un ordre social préétabli et sert d’outil de domination, ici sociale et sexuée.
9L’affaire Grietje Reyniers n’est qu’un des nombreux litiges moraux qui ont contribué à véhiculer l’image d’une Nouvelle-Néerlande violente, brutale, où les transgressions, monnaie courante, seraient le signe d’un désordre social qui fragilisait, selon certains administrateurs, jusqu’à la survie de la colonie – notamment face à des ennemis extérieurs et autochtones, qui profiteraient de cette forme de vulnérabilité. Ces litiges nous sont connus via les archives administratives de la WIC et les archives judiciaires des communautés locales qui sont progressivement dotées d’institutions propres, et témoignant, au contraire, d’institutions de plus en plus stratifiées visant à cadrer les rapports sociaux. L’attention portée à l’ordre social et aux normes, notamment de genre, qui le cadrent, passe également par l’analyse des comportements jugés suffisamment transgressifs ou déviants pour faire l’objet de poursuites et de sanctions12. L’abondance des archives judiciaires nous renseignant sur ces crimes et déviances ayant trait aux mœurs et reposant sur des normes de comportements définies par le genre, témoigne de l’existence d’un système judiciaire qui se construit et se renforce rapidement, en réponse aux complaintes des premiers administrateurs coloniaux. Au-delà de ce renforcement institutionnel, c’est également l’usage que font les colons de ce système judiciaire qu’il faut souligner, en ce qu’il traduit, en dépit des transgressions, la reconnaissance et l’aspiration à un ordre sociogenré davantage que l’absence totale de celui-ci.
Servantes perdues, veuves bafouées, marins volages : des « années barbares » ?
10Évoquant les premières décennies du xviie siècle et les sociétés coloniales dans leur premier âge, l’historien Bernard Bailyn parle d’époque « barbare », remarquant même avec amusement le décalage entre les mœurs brutales des habitants de La Nouvelle-Amsterdam et leur société d’origine, l’une des plus sophistiquées d’Europe13. Témoins de l’époque et historiographie insistent sur la dissolution des mœurs dans la colonie. Les interactions quotidiennes entre hommes et femmes telles qu’elles apparaissent dans les archives administratives, puis judiciaires, donnent à voir un monde social brutal, où les violences sont quotidiennes, qu’elles soient physiques ou verbales, symboliques ou réelles. Liaisons adultérines, séduction, prostitution, violences sexuelles : les archives judiciaires, nécessairement biaisées, font état d’une déclinaison des rapports de genre jouant particulièrement sur les frontières de la légalité et des unions extraconjugales14. La plupart de ces déviances nous sont connues précisément par l’utilisation que font colons et magistrats de la justice et du droit15. Cette image d’une société violente et dissolue doit être lue à l’aune de l’aspiration croissante du pouvoir, mais aussi d’une partie significative des acteurs sociaux, à façonner une société « bien régulée ». Cela passe par un cadre institutionnel dont l’évolution permet de voir la structuration précoce d’un corps politique et, partant, d’un ordre social identifié.
Rendre la justice en Nouvelle-Néerlande
11La régulation des rapports sociaux s’appuie sur des institutions judiciaires qui se structurent et s’affirment dans les premières décennies d’existence de la colonie. L’historiographie des sociétés coloniales insiste sur la grande connaissance par le public du fonctionnement de la justice, conduisant à un recours répété à celle-ci – et par là même, dévoilant une multitude de situations sociales quotidiennes, des rapports de force et des jeux d’influence entre une multitude d’acteurs sociaux à travers les litiges et les témoignages qui les accompagnent16. En Nouvelle-Néerlande, l’ancrage de plus en plus local de ces institutions judiciaires favorise l’accès à ces interactions sociales du quotidien.
12Le processus de développement d’institutions administratives et judiciaires y prend appui et modèle sur les formes existantes aux Provinces-Unies. À Amsterdam, le système judiciaire est entre les mains de plusieurs magistrats : le schout, ou bailli, chargé du maintien de l’ordre public, et les schepenen, ou échevins. Le bailli est responsable des poursuites, aidé de plusieurs officiers adjoints, et fait office de procureur. Il encadre les actions légales initiées par des tiers et il peut également initier des poursuites et faire arrêter des suspects, notamment en cas de trouble à l’ordre public (les cas de querelles, de diffamation, par exemple) ; il peut enfin avoir un rôle infrajudiciaire de médiation avant de recourir à l’arrestation et à l’action légale. C’est par ailleurs le bailli qui, pendant les procès, est responsable des interrogatoires. Les échevins, quant à eux, siègent et sont chargés de rendre leur verdict à l’issue des témoignages et interrogatoires. Ces offices sont transposés à la colonie dès la formation des premiers gouvernements locaux17.
13Dans un premier temps et en l’absence d’institutions locales, jugées alors non nécessaires, la justice coloniale est prise en charge par l’administration de la WIC et le directeur général qui lui sert de relais, se modelant sur un mélange entre justice maritime et justice telle qu’elle était pratiquée aux Provinces-Unies. La mise en place des institutions coloniales est confiée à trois entités : les Dix-Neuf Seigneurs de la WIC à Amsterdam, le directeur général de la colonie, et le conseil qui l’assiste à partir de 1647. Ce conseil, autour duquel est organisée l’administration coloniale, est composé du directeur général (ou commandeur dans les premières années d’existence de la colonie), d’un vice-directeur ou premier conseiller, d’un secrétaire, d’un fiscael (chargé du maintien des droits de la WIC, il agit comme procureur, veille à l’exécution des sentences et fait office de bailli jusqu’aux années 1650), et d’autres conseillers au rôle plus secondaire. Avec la croissance du personnel administratif, une hiérarchisation graduelle s’opère entre les responsables de la politique générale de la colonie et les responsables de petites tâches administratives et exécutives. Les poursuites judiciaires s’opèrent alors en deux temps : le secrétaire général de la colonie, qui fait office de notaire, enregistre les informations litigieuses. Une fois un nombre suffisant de témoignages recueillis, une plainte est déposée auprès du directeur général de la colonie et de son conseil, qui rend son verdict18.
14Dès les années 1630, les prérogatives de la WIC et des premières autorités locales évoluent. Avec une première charte des libertés et exemptions (vryheden ende exempties) en 1629, les autorités coloniales locales commencent à être investies de responsabilités directes. Plus important, l’introduction du système manorial dans la colonie et, notamment, le succès de Rensselaerswijck conduisent à l’introduction d’une première forme d’administration décentralisée. Un kleine bank van justitie, ou petite cour de justice est ainsi accordé à Kilian Van Rensselaer. Un bailli est assigné dès 1632 à son manoir, chargé de la gestion quotidienne du territoire, et prenant en charge cinq échevins. Son rôle est de s’assurer que la gestion du manoir est en accord avec la charte de 1629. Typique des cours manoriales des Provinces-Unies à la même époque, celle de Rensselaerswijck exerce une administration civile et criminelle du territoire manorial19. À partir d’avril 1652, une proclamation du directeur général et du conseil de Nouvelle-Néerlande conduit à l’institution d’une cour à Fort Orange et Beverwijck, indépendante de celle de Rensselaerswijck. La création de cette cour coïncide à peu près avec la fin des registres de Rensselaerswijck.
15Le système judiciaire en Nouvelle-Néerlande évolue dans les années 1640-1650 vers la mise en place d’institutions locales et vers un partage des tâches graduel entre l’administration de la WIC et ces instances. Dès 1641, une nouvelle charte des libertés et exemptions est accordée, réévaluant les rôles respectifs de la WIC et des autorités locales et instaurant de nouvelles colonies de peuplement. La WIC est alors dépossédée de son monopole sur la traite des pelleteries et devient essentiellement un organe de gouvernement – pour encourager les migrations vers la colonie20. Ce changement d’orientation de la WIC marque un tournant dans l’administration de la Nouvelle-Néerlande. Désormais, les États Généraux et la Compagnie doivent composer avec les velléités de colons qui s’installent de plus en plus définitivement et ont des demandes en termes de pouvoir politique, suscitant un antagonisme croissant entre ceux-ci et les Dix-Neuf Seigneurs. La charte de 1641 permet ainsi la mise en place d’institutions locales de justice et de gouvernement, sur Long Island dès les années 1640 (dans les communautés anglaises de Heemstede, Vlissingen, Gravesend puis à Breukelen en 1646) et dans d’autres villages en amont de la rivière du Nord (actuelle Hudson) dans les années 1650. Les magistrats sont nommés par le directeur général et ne sont sollicités que pour les affaires locales et mineures, lors de sessions régulières tous les quinze jours. En revanche, les affaires plus graves restent du domaine du directeur général et du conseil, qui en rendent compte directement à la WIC et aux États Généraux, et le directeur général est chargé de ratifier toutes les décisions prises par les gouvernements locaux. Initialement, il y avait peu de différence entre les institutions de La Nouvelle-Amsterdam et celles des autres communautés de la colonie, mais graduellement, la ville est dotée d’un véritable gouvernement municipal exerçant des fonctions aussi bien judiciaires qu’administratives, la présence de bourgmestres marquant son affirmation comme le centre urbain de la colonie.
16Cela passe par l’obtention, en février 1653, d’une charte municipale qui permet la formation d’un gouvernement composé de deux bourgmestres (burgemeesters), et de cinq échevins et d’un bailli – suivant le modèle en vigueur dans la province de Hollande. Dans un premier temps, la charge de bailli est occupée par le fiscael de la colonie, et ce n’est qu’en 1660, à l’issue de longues négociations avec la WIC qu’elle devient autonome. Les premiers bourgmestres et échevins sont nommés par Stuyvesant et son conseil sans processus de sélection préalable par les habitants puis graduellement, un processus sélectif est adopté : les magistrats élaborent directement une liste, par la suite soumise à la décision finale du directeur général et du conseil21. Ce collège de magistrats forme donc une cour municipale se réunissant chaque lundi, d’abord à Fort Amsterdam, puis dans une taverne convertie pour l’occasion en Hôtel de Ville à partir du 24 février 165322, pour régler des questions relatives à l’administration de la ville, comme par exemple l’érection du mur au nord de Fort Amsterdam, et pour arbitrer les litiges entre les habitants.
17La mise en place graduelle de ces institutions coloniales locales et la façon dont les colons les utilisent permettent de voir la naissance d’une société nouvelle, où La Nouvelle-Amsterdam, dotée d’une plus grande autonomie, joue un rôle déterminant, non seulement dans la régulation des rapports sociaux au niveau municipal, mais aussi, dans une certaine mesure, dans l’organisation du territoire colonial. Ce sont ainsi les bourgmestres et les échevins qui saisissent Stuyvesant en janvier 1657 et déplorent « la multitude d’Écossais qui viennent ici chaque année dans les navires de la mère-patrie, mais refusent pour la plupart de vendre leurs marchandises, se rendent immédiatement à Fort Orange [en amont de l’Hudson] ou ailleurs, puis leur commerce fini repartent à la première occasion, si bien que ce lieu ne tire aucun profit de ces personnes, et la communauté en souffre23 ». La Nouvelle-Amsterdam, nœud des échanges marchands, doit en effet faire face aux migrations éphémères accrues par l’abandon du monopole de la WIC sur la traite des pelleteries. Quelques mois plus tard, en avril 1657, quelque 226 résidents de Manhattan se voient reconnaître un statut de citoyen (burgerrecht) leur garantissant le contrôle sur la circulation des marchandises et l’accès au port. De cette manière, la ville et son élite marchande affirment une position stratégique au cœur des circulations de marchandises entre le territoire colonial et le monde atlantique24.
18Outre ces négociations entre le pouvoir local et la WIC, au quotidien, deux types de litiges sont traités : ceux introduits directement par les plaignants et les poursuites menées par le bailli, chargé de faire respecter la loi. Les bourgmestres et échevins sont chargés de statuer sur les affaires de justice civile concernant des litiges financiers d’un montant inférieur à 100 florins et des crimes mineurs. À partir de 1656 cette autorité judicaire est étendue à toutes les affaires criminelles, à l’exception des crimes capitaux.
19Au cours de la période néerlandaise, les institutions judiciaires se stratifient donc : d’un système administré uniquement par un directeur général suivant des instructions amstellodamoises, le développement d’instances locales de justice permet de voir l’affirmation d’une élite locale qui entreprend de s’approprier le pouvoir, tandis que les colons dans leur ensemble participent plus directement à l’encadrement des rapports sociaux. Cette mise en place précoce d’instances de justice vise à encadrer la vie quotidienne des habitants de la colonie, et ceux-ci y ont un recours quotidien, notamment pour la régulation des rapports sociaux. Le développement d’un système judiciaire de plus en plus local signale donc une volonté de poser les bases d’une société pour les colons, désireux de prendre en charge leurs affaires courantes plutôt que d’en laisser le seul pouvoir de décision aux autorités amstellodamoises, et ce notamment pour les litiges moraux.
La vulnérabilité exacerbée des femmes en situation coloniale
20Les archives judiciaires éclairent tout particulièrement les rapports de genre à la colonie. La vulnérabilité des femmes seules y apparaît exacerbée par les sollicitations dont elles peuvent faire l’objet, dans un monde social très masculin.
21Rares sont les femmes qui arrivent seules à la colonie. La plupart viennent en famille, en tant qu’épouses ou filles sous tutelle d’une figure paternelle, voire se marient dès la traversée de l’Atlantique, ainsi qu’en témoigne Catlina Trico : outre son propre mariage quelques jours avant le départ, le juge Morris, chargé de prendre sa déposition en 1685, précise qu’elle mentionnait la présence de quatre femmes célibataires sur le navire qui l’avait emmenée en Nouvelle-Néerlande, lesquelles furent « mariées en mer25 ». Ces unions peuvent ainsi être vues comme une stratégie de protection pour des femmes entreprenant une migration outre-Atlantique. Le mariage apparaît alors comme une forme de sécurité sur une terre étrangère. Si la proportion de femmes disponibles, non mariées ou veuves, va croissant au fil des années en raison de l’excédent naturel et de l’évolution des flux migratoires vers la colonie, les femmes disponibles, largement inférieures en nombre, se trouvent très vite sollicitées, par ou en dehors de l’institution du mariage – dans ce dernier cas, au grand dam des administrateurs coloniaux.
22Ainsi l’âge au premier mariage est-il inférieur à une moyenne européenne d’environ 23-26 ans pour les femmes ; pour la Nouvelle-Angleterre, l’historienne Laurel Ulrich évoque ce contraste avec l’Europe en soulignant que toutes les femmes en âge d’être mariées l’étaient, quand 10 % restaient célibataires en Europe26. Pour la Nouvelle-Néerlande, les registres de mariage ne font pas figurer l’âge des époux. En les recoupant cependant avec d’autres données démographiques, pour les dix premières années de tenue de ces registres, entre 1639 et 1649, pour 45 premières unions – sans mention explicite de veuvage de la mariée – l’âge moyen des jeunes filles au mariage est de 19,7 ans. Parmi celles-ci, on peut noter que les trois premières filles de Catlina Trico et Joris Rapalje, Sara, Maria et Janneke, convolent avant même l’âge de 15 ans. Sara Rapalje première enfant européenne née en Nouvelle-Néerlande le 9 juin 1625, aurait épousé Hans Hansen Bergen à l’âge de 14 ans. Quant à Maria, née en 1627, elle épouse Michiel Paulus le 18 novembre 1640 à l’âge de 13 ans. Enfin, Janneke Rapalje épouse Remmet Janszen, de dix ans son aîné, le 11 décembre 1642, à l’âge de 13 ans également. D’une manière générale, sur ces 45 unions recensées (où l’âge est identifiable), dans 24 cas, les mariées n’ont pas encore 20 ans27. Dans une situation de déséquilibre démographique, cet âge plus précoce au mariage dans la colonie témoigne de ce que les femmes, voire les filles, sont l’objet de sollicitations dès le plus jeune âge, que celles-ci soient consenties ou non. Ces sollicitations trouvent également le chemin des archives judiciaires, via des affaires de violences sexuelles et de séduction.
23Peu de cas de viols sont, à vrai dire, répertoriés dans les archives judiciaires. En cela, la situation n’est pas bien différente de ce que l’on trouve dans les archives européennes, tant l’accusation de viol risquait surtout de déshonorer la femme qui en était victime par le soupçon de consentement et de débauche qui pouvait ensuite lui être associé. Elle pouvait être considérée partiellement responsable en raison d’un appétit sexuel supposément intrinsèque à la nature féminine, ou en inférant un consentement plus ou moins tacite si une victime était jugée ne s’être pas assez défendue28. Il en résulte un faible nombre de plaintes, conditionné par la probabilité pour les victimes d’obtenir gain de cause. En 1655, Anna, épouse de Wolfert Webber, est victime d’une tentative de viol par Jan Van Leyden29. Si l’agresseur est condamné, il est précisé que le témoignage d’Anna Webber est rendu plus crédible par le fait que le reste de la population de La Nouvelle-Amsterdam confirme que Jan Van Leyden est un fauteur de troubles, et par le fait que, quelques heures plus tôt, il avait agressé physiquement un officier :
« alors que tous, ou une partie importante des habitants, savent depuis longtemps que ledit Jan van Iselsteyn [ou Van Leyden] est un individu querelleur et perturbateur, ce qui peut être prouvé de bien des manières, par conséquent la plainte de l’épouse de Wolfert Webber est plus crédible30… ».
24Mais par définition, Anna Webber, en tant que femme, ne pouvait être crue sur parole. Van Leyden avait d’ailleurs commencé par la discréditer en l’accusant de prostitution, et plus spécifiquement d’avoir « gagné 7,40 florins en adultère31 ». Bien que prouvant son agression par des ecchymoses, Anna Webber pâtit initialement d’une présomption morale de consentement, commune à toutes les femmes. Une dizaine d’années plus tôt, Weyntje Teunes, demande, le 13 décembre 1646, réparation contre Adam Roelantsen après que celui-ci s’est introduit chez elle et a tenté de la violer ; elle comparaît accompagnée de son époux pour demander justice. Là encore, un témoignage concordant vise à souligner sa bonne foi, et Roelantsen est emprisonné32. Mais d’une manière générale, si le viol est considéré comme un crime très grave, il reste peu poursuivi à moins de pouvoir prouver l’innocence de la victime. Le 18 février 1648, c’est le viol d’une fillette, Maria Barents, âgée de 11 ans, qui est rapporté auprès de Stuyvesant et de son Conseil. La jeunesse de la victime est mise en avant, lorsqu’il est précisé que l’agresseur, Willem Gilfoort, 30 ans, n’a pas pu aller jusqu’au bout de son acte, en raison de son anatomie encore trop juvénile :
« Willem Gilfoort s’est laissé aller, en mai dernier, chez Isaack Allerton, à dévêtir avec force et violence une fille nommée Maria Barents, âgée de onze ans, à la jeter à terre dans la cave et, ayant déboutonné son pantalon, à venir entre les jambes de ladite fille, essayant pendant un quart d’heure d’avoir un rapport charnel avec elle, mais, la fille étant trop jeune, fut rendu impuissant à accomplir son méchant dessein […]33. »
25L’accent mis la jeunesse de la victime permet de souligner son innocence et sa virginité, des circonstances aggravantes pour l’agresseur. Quelques années plus tard, en 1652, c’est une fillette de 7 ans qui est agressée sexuellement à Beverwijck : l’agresseur, Frans Gabrielszen, est condamné à être publiquement fouetté34. L’historiographie rappelle ainsi que les cas de pédocriminalité – même si le terme est contemporain – sont les plus susceptibles de trouver le chemin de la justice dans la mesure où la jeunesse permet de contrevenir au soupçon de consentement. En Europe, sur 306 cas de viol dans les archives judiciaires londoniennes entre 1674 et 1800, plus de la moitié concerne des filles de moins de quatorze ans, et le même constat peut être fait pour la France35. Cependant, pour en revenir au cas de Maria Barents, il est précisé par la suite que la fillette a connu physiquement d’autres hommes, ce qui conduit à une réduction de peine pour l’agresseur, en réactivant ce même soupçon de consentement, en dépit de son très jeune âge :
« considérant le fait qu’il est apparu au directeur et au conseil que, peu après ledit crime, un certain Willem Gerritsz Wesselsz, avec le consentement de ladite Maria Barents, a eu un rapport avec elle, le délinquant est subséquemment libéré, sous réserve qu’il souffre la punition et le bannissement sus-mentionnés36 ».
26Gilfoort est ainsi condamné à être fouetté et banni, quand bien même il mériterait « une punition plus importante et plus lourde ». L’acte du Conseil colonial à propos de cette affaire souligne le besoin de protéger « les enfants d’honnêtes gens » d’être « déshonorés et déviés du chemin de la vertu37 », rappelant à quel point l’ordre social repose sur des prescriptions morales. Plus récurrentes sont les affaires de séduction, où le flou autour du consentement féminin n’est pas interrogé, mais où la vulnérabilité de certaines catégories sociales est évidente.
27Dans un cadre colonial, les groupes sociaux féminins les plus vulnérables et les plus isolés, notamment les servantes et les veuves démunies, le sont encore plus. Le contexte portuaire de La Nouvelle-Amsterdam, la précarité des conditions de vie et l’intensité des sollicitations masculines accentuent des schémas sociaux traditionnels en Europe38.
28La séduction pose le problème des enfants naturels qui en naissent, et sont à la charge de la communauté, ce que les bourgmestres et échevins de La Nouvelle-Amsterdam essaient de réguler à partir de 1653. En 1661, Geertruyt Wingers cherche à obtenir de Geleyn Verplanck l’assistance qu’il lui doit pour l’avoir mise enceinte sous fausse promesse de fiançailles. Geertruyt demande l’aide de la cour afin d’éviter que Verplanck ne parte à Fort Orange sans honorer sa promesse ou lui donner de compensation. Un an plus tôt, Maria Besems cherchait à faire valoir des droits similaires sur les biens laissés par Boudewijn Van Nieuwlandt afin de subvenir aux besoins de l’enfant naturel qu’elle a eu avec ce dernier, mort en mer après l’avoir séduite39. Ces deux cas donnent à voir la façon dont les mobilités de part et d’autre de l’Atlantique facilitent certaines transgressions.
29C’est ainsi également qu’une veuve, Jannitje Martens, s’en réfère au conseil colonial le 17 octobre 1642, pour avoir été séduite par le marin Jan Van Meppelen, alors en transit en Nouvelle-Néerlande, après la promesse que celui-ci l’emmènerait et l’épouserait à Curaçao :
« Jannitjen Martens, veuve de feu Jan Tomasz Mingal, déclare que Jan de Meppelen, capitaine du Sevenster, a promis de l’épouser, devant Dieu, et a, sous cette condition, eu une relation charnelle avec elle, avec la promesse de van Meppelen qu’il ne la quitterait jamais et que les bans seraient publiés ici et qu’à leur arrivée à Curaçao, il l’épouserait là-bas40. »
30Jan Van Meppelen a pu jouer de sa mobilité pour échapper à une promesse de mariage importune – il offre ainsi de l’épouser à Curaçao tout en publiant les bans à La Nouvelle-Amsterdam, espérant sans doute que la distance sème la confusion dans sa promesse à la veuve. Outre cela, une précision quant à l’échange entre les deux amants est révélatrice de la situation de Jannitje Martens :
« Jan van Meppelen dit que le premier soir, quand il a demandé à partager la couche de Jannitjen Mertens, elle a demandé “As-tu l’intention de m’épouser ?” À quoi il a répondu “Penses-tu que j’aie d’autres intentions ?” ; n’ayant rien à lui offrir41. »
31Le fait de n’avoir « rien à lui offrir » témoigne de l’absence de cadeau qui viendrait sceller la promesse de mariage – anneau, ruban ou autre – et donc, soit de la pauvreté, soit de l’impréparation de Jan Van Meppelen qui se serait contenté d’une promesse orale. La requête de Jannitjen révèle un besoin de se prémunir du risque de déshonneur associé à la séduction, et d’une disponibilité liée à son veuvage qui peut être assortie d’une forme de détresse matérielle.
32La fréquence et la rapidité des remariages des veuves témoignent en effet de l’impact de la configuration coloniale sur celles-ci. Anna Metfoort, veuve de Willem Quick, fait part au conseil de son dénuement extrême le 20 juin 1641, au point de renoncer à tout l’héritage légué par son époux, biens comme dettes, à une époque où vivre à la colonie pouvait être synonyme de banqueroute. Elle est décrite comme « une veuve chagrinée en terre étrangère démunie des moyens de satisfaire ses créditeurs et ne sachant même pas où loger ou trouver un morceau de pain42 ». Dans ces conditions, la nécessité de se remarier au plus vite pouvait être particulièrement pressante, et les cas de remariages très peu de temps après le veuvage montrent qu’une femme seule ne le restait pas longtemps. En témoigne le cas de Catharine Lethie, qui subit les remontrances du Consistoire de Breuckelen en juin 1663 pour s’être remariée trop vite après le décès de Pieter Praa, son époux, sans avoir respecté l’annus luctus, le délai traditionnel de veuvage. Elle répond à cette accusation en arguant, elle aussi, de son extrême dénuement43.
33L’indigence et la vulnérabilité qui l’accompagnait pouvaient conduire certaines veuves à enfreindre la loi et la moralité, et à rechercher des partenaires souvent temporaires, comme en témoignent plusieurs affaires de séduction et de rupture de fiançailles, à l’image du litige entre Jan Van Meppelen et Jannitje Martens. Le 6 juillet 1645, Marry Willems, veuve de Willem Willemsz, se présente ainsi devant le Conseil afin de contraindre le père présumé de son nouveau-né, Jan Haes, de prendre ses responsabilités vis-à-vis de l’enfant. Haes se défend en signalant que Willems avait été coupable de promiscuité avec plusieurs autres hommes. Il s’ensuit que, si Haes doit verser une somme assez modeste pour l’entretien de l’enfant, Marry Willems est bannie de la colonie44. La multiplicité d’amants dont elle est créditée, ajoutée à la séduction de Haes, témoigne des multiples sollicitations dont il était concevable qu’elle ait été l’objet suite à son veuvage. La compagnie physique d’autres hommes peut être associée, d’une part à sa soudaine disponibilité dans un monde où les femmes épousables sont peu nombreuses par rapport aux hommes célibataires ; d’autre part, on peut envisager, pour elle, l’espoir de noces rapides, source de sécurité et de stabilité tant sur le plan matériel que social – pour reprendre l’idée selon laquelle le mariage constitue la « meilleure forme de sécurité sociale » pour une femme45.
34Les servantes se trouvent également dans une situation précaire. Près d’un cinquième des engagés de la colonie sont en effet des engagées, des jeunes femmes placées sous la dépendance d’un maître dans l’espoir d’acquérir une certaine autonomie par la suite46. Les cas de servantes séduites après une promesse de mariage, réelle ou feinte, sont ainsi avérés. Il en va ainsi de Willemmeyntie Jansen, servante de Cornelis de Potter, séduite et déflorée par Ralph Clarck en 1652. Alors que Potter présente le cas au conseil colonial en sa qualité de chef de feu, l’affaire est transférée aux autorités ecclésiastiques afin de procéder à un mariage, du moins Willemmeyntje l’espère-t-elle47. Les sources sont pourtant muettes sur ce point, ce qui pourrait confirmer l’hypothèse d’une séduction sans suite. Certaines, au contraire, obtiennent gain de cause. Échapper à un engagement aliénant est en effet un enjeu majeur pour les jeunes servantes comme pour leurs familles et le mariage est le moyen le plus rapide d’y parvenir. Rebecca Raetse, épouse de Jan Brent et accusée d’adultère en septembre 1641, reconnaît ainsi avoir précisément épousé Brent dans le but d’échapper à sa condition d’engagée, avec pour projet d’ensuite prendre la fuite :
« Margriet Fransum déclare que Rebecka [sic] lui a dit avant d’être mariée qu’elle voulait jouer un tour à son époux et qu’elle ne resterait pas avec lui et que le mariage qui avait eu lieu dans cette église n’avait aucune valeur48. »
35Le mariage de Rebecca Raetse apparaît comme un outil d’émancipation de l’engagement, une stratégie, pour une femme, de sortie d’une situation de vulnérabilité.
36Si les cas de séduction apparaissent comme autant de transgressions à une norme matrimoniale et familiale, le contexte colonial invite à y voir aussi des stratégies pour, au contraire, accéder au mariage et à la stabilité sociale qu’il pouvait procurer. L’apparente dissolution des mœurs pourrait ainsi être perçue comme une forme d’aspiration à un ordre social perturbé par la migration et la vie dans un territoire nouveau.
« Punir avec bienveillance » : une faible criminalisation des offenses morales ?
37Fréquents sont les témoignages de l’époque insistant sur la brutalité et l’amoralité des colons de Nouvelle-Néerlande. Dans sa lettre à la Chambre d’Amsterdam du 23 septembre 1626, deux ans après l’arrivée des premiers colons de l’Unité, Isaac de Rasière, secrétaire colonial de Nouvelle-Néerlande, s’en émeut :
« La population ici est désormais sans foi ni loi, en raison du mauvais gouvernement actuellement en exercice. […] Une plus grande attention devra être apportée à l’avenir, sous la supervision et la direction de personnes sobres et industrieuses, dont, puisse Dieu améliorer cette situation, nous manquons grandement ici49. »
38La raison de cette situation est attribuée par Rasière à Willem Verhulst, premier directeur général de la WIC en Nouvelle-Néerlande, dont il juge le gouvernement violent et injuste. Rasière demande l’envoi d’administrateurs plus compétents et à même d’organiser et structurer la société coloniale. Il mentionne l’oisiveté des colons mais aussi la brutalité et les mœurs dissolues de cette société, impliquant des rapports de genre déviants. Après lui, dans les décennies suivantes, les dirigeants se succèdent, mais les rappels à l’ordre se ressemblent dans la description d’un spectacle dissolu, où les déviances morales sont multipliées et déclinées50. Il est aisé de confirmer ce portrait collectif à charge.
39Les voies publiques de La Nouvelle-Amsterdam, principalement Heere Wech (l’actuelle Broadway), apparaissent ainsi comme le théâtre d’une promiscuité et d’une sexualité illégale, à commencer par la prostitution, aussi courante que dans toute société portuaire51. Le gouvernement municipal fait ainsi part des « choses très indécentes et disgracieuses perpétrées sur la Grand Rue de cette ville par certaines femmes », demandant que le directeur général et le Conseil réagissent. Marie du Trieux (Maria de Truy), Cristina Greverat et Geertje Jacobsen sont ainsi poursuivies en mai 1654 pour prostitution et risquent le bannissement. Peu de temps après, Anna Tchuys est surprise sur la même voie en plein acte adultérin qui, sans être précisé comme tarifé, montre que le lieu, à proximité du Fort, est un endroit relativement connu pour la promiscuité et les pratiques jugées dissolues qui y règnent : elle est condamnée au pilori ainsi qu’à une forte amende52. À part cela, la prostitution ne fait, à vrai dire, l’objet que d’un nombre relativement restreint de poursuites, notamment à La Nouvelle-Amsterdam, alors que les marins en transit en constituent une clientèle privilégiée.
40Certains hommes ne sont pas installés définitivement dans la colonie et restent mariés ailleurs dans le monde atlantique, ayant recours à une ou plusieurs concubines, autochtones ou européennes, ce qui entretient parfois des rumeurs de polygamie. Ainsi, lorsqu’en octobre 1642, Elsie Jans, fille d’Engeltie Jans et servante de Cornelis Melijn, s’enfuit avec Adriaen Pietersen pour l’épouser, un conflit émerge entre sa mère, Engeltie, et les époux Melijn. L’épouse de Melijn utilise alors une rumeur selon laquelle Pietersen avait déjà femme et enfants en Hollande et qu’il était en outre fiancé par ailleurs en Nouvelle-Néerlande afin de dissuader la jeune fille de contracter cette union53.
41L’adultère ou la séduction de femmes européennes étaient passibles de poursuites graves, pouvant aller jusqu’au bannissement de la colonie, en écho à l’importance accordée à l’institution du mariage comme élément structurant le corps social. La condamnation la plus lourde pour le crime d’adultère concerne indéniablement le double adultère d’Ytie Jansen et Laurens Duijts avec Jan Parcell et Geesje Jansen respectivement, le 25 novembre 165854. Laurens Duijts est ainsi accusé d’avoir forcé son épouse, Ytie, à avoir une liaison avec Parcell en échange de l’effacement d’une dette de 500 florins due à ce dernier ; Duijts lui-même a une liaison avec Geesje Jansen, l’épouse de Jan Jansen Smit. Si la liaison entre Ytie Jans et Jan Parcell relève d’une transaction non consentie et tarifée, initialement, elle conduit par la suite à une relation suivie, donnant naissance à plusieurs enfants pour le couple qui, quelques semaines après la condamnation, pétitionne le conseil pour le droit de se marier. Cette démarche laisse entrevoir une séparation informelle du couple Ytie Jans/Laurens Duijts, où chacun aurait refait sa vie sans passage devant magistrat et au mépris du droit en vigueur55. In fine, Duijts est banni pour cinquante ans ; la sentence de Parcell est plus légère puisque son bannissement est limité à vingt ans, quant à Geesje Jans, elle est bannie pour 30 ans. Tous sont également condamnés à être fouettés en place publique, et Duijts se voit mutilé d’une oreille : la sévérité et le caractère spectaculaire des sentences permet d’en déduire leur vocation à l’exemplarité face à l’accumulation des transgressions, afin de dissuader les habitants de la colonie de contrevenir à l’ordre matérialisé par les liens du mariage.
42Ce type de sentence reste néanmoins isolé et n’empêche pas cette sexualité illicite d’être courante, marins et marchands jouant de leur mobilité pour échapper aux responsabilités d’un mariage forcé consécutif à la séduction d’une femme célibataire en repartant en mer. Les magistrats sont avant tout sévères lorsque la communauté peut être fragilisée. Nous avons évoqué le cas de Boudewijn Van Nieuwlandt, marin ayant séduit Maria Besems, puis mort en mer quelques mois plus tard. Accusant Besems d’infidélité prémaritale, Nieuwlandt avait rompu ses fiançailles en août 1660. C’est en raison de la naissance d’un enfant naturel que Besems cherche à faire valoir, à partir de janvier 1661, ses droits sur les biens laissés par Nieuwlandt ; elle exige ainsi de se voir remettre un chargement de tabac payé par Nieuwlandt à Gerrit Van Tright, un de ses associés, en guise de compensation. La nouvelle du décès de Nieuwlandt relance ce litige financier six mois plus tard et la cour tranche en faveur de Maria Besems afin de la dédommager pour l’enfant qu’elle a eu de Nieuwlandt – et ce en dépit des dettes dues par ce dernier à ses associés56. La résolution de cette affaire est révélatrice des priorités des magistrats : l’assurance qu’aucun enfant naturel ou orphelin ne sera à la charge de la société prime, ici. Outre le coût pour la communauté en cas d’enfant illégitime, la punition est plus grave quand l’honneur d’un chef de feu, époux, père ou maître, est en jeu. Ainsi Gerrit Tides doit-il faire face, le 27 octobre 1654, à une amende de 300 florins ainsi qu’à un châtiment corporel pour avoir séduit et défloré une servante de Stuyvesant, mettant en cause l’honneur du directeur général de la colonie57.
43Bref : un constat de dissolution des mœurs vient facilement et est resté dans les mémoires collectives et l’historiographie, alimentant le postulat selon lequel les sociétés nouvelles étaient caractérisées par leur anomie58. Mais plus encore que les multiples exemples de comportements déviants tels qu’ils sont retranscrits dans les archives judiciaires, la relative clémence des autorités contribue à maintenir cette image déréglée. Pour déviantes que certaines de ces situations puissent paraître aux yeux de la loi et des administrateurs, les condamnations graves pour crimes moraux s’avèrent peu courantes et les cas de réduction de peine n’étaient pas rares. Dans la plupart des cas, les peines étaient des amendes plus ou moins élevées, rarement assorties d’un bannissement – et lorsqu’il y avait bannissement, celui-ci était la plupart du temps temporaire. Ainsi, quand bien même en 1639 Grietje Reyniers et Anthony Jansen sont condamnés au bannissement après avoir mis en cause la réputation du pasteur Bogardus et de son épouse, leur présence est à nouveau documentée des années plus tard, en 1654 et 1674, pour réclamer des dettes de boisson à des mauvais payeurs59. D’une manière générale, il ressort une volonté de passer par des peines plutôt légères.
44Par ailleurs, avoir été condamné n’entache pas nécessairement une position sociale de façon indélébile. Hillegont Joris est reconnue coupable d’adultère le 14 juillet 1644 et confesse en couches le nom du père de son enfant, suivant une pratique courante à l’époque moderne. On pensait en effet que la souffrance de l’accouchement, comparable à une forme de torture, empêchait une femme adultère de mentir sur l’identité du père60. Onze ans plus tard, la même Hillegont Joris remplace pourtant Tryn Jonas comme sage-femme de la colonie61. Ironiquement, cette fonction la plaçait en première ligne pour interroger et déterminer l’honorabilité des femmes en couches et impliquait de fait une certaine confiance morale de la part des dirigeants de la colonie ! Un tel revirement de situation est évidemment dû au faible nombre de femmes disposant du savoir-faire de Tryn Jonas ou Hillegont Joris.
45Faut-il donc y voir une inefficacité du système judiciaire, alors même que celui-ci est en cours de consolidation ? Au contraire, les condamnations autant que les mesures de clémence obéissent au même impératif, celui de faire société. Plus qu’une institution inefficace, il faut voir le droit comme un outil de négociation et de mise en place des normes nécessaires au fonctionnement social. Dans sa lettre de septembre 1626, Isaac de Rasière demande aux Dix-Neuf Seigneurs d’envoyer un directeur général capable de punir « avec bienveillance » les offenses, afin de « garder le contrôle » sur la population et de mettre fin aux « mauvaises habitudes », plus que réprimer celles-ci trop durement62. Les rappels du droit et de la norme visent à redonner un cadre à cette société en formation ; dans le même temps, le refus de bannir des individus dont l’utilité pourrait être précieuse dans une société nouvelle et encore peu peuplée relève d’une forme de pragmatisme. Hillegont Joris a bien été coupable d’adultère ; dans le même temps, le besoin d’une sage-femme l’emporte sur celui d’une sanction trop sévère ou d’une réticence morale liée à son adultère passé.
46La Nouvelle-Néerlande a hérité d’une réputation délétère, caractérisée par la violence des rapports sociaux, par les déviances morales, augmentées par la tonitruance de femmes qui n’hésitent pas à invectiver leurs congénères au moindre litige. Néanmoins, la fréquence des affaires de mœurs témoigne moins d’un mépris du droit de la part de colons oublieux des sanctions auxquelles ils sont exposés que d’un usage des institutions à leur disposition. Le recours fréquent au droit permet de voir que les acteurs sociaux, hommes comme femmes, administrateurs comme servantes ou marins, avaient pleine connaissance des options légales s’offrant à eux et de leur possibilité de saisir la justice63. La loi, même si elle n’est pas appliquée dans toute sa dimension restrictive, sert de repère qui peut être mobilisé dans la pratique quotidienne par les populations elles-mêmes. Ainsi une importante judiciarisation n’est-elle pas nécessairement synonyme de pacification des rapports sociaux et le recours à la justice peut être une arme parmi d’autres dans la négociation de ceux-ci et la gestion des conflits.
Société nouvelle, genre et honorabilité : logiques collectives et contrôle social
47Les sociétés modernes sont caractérisées par l’importance qu’y joue l’honneur, « reconnaissance sociale d’une attitude vertueuse64 ». En Europe, la définition de cette attitude vertueuse est éminemment sexuée : elle implique pour les femmes de protéger leur virginité et, une fois mariées, la descendance de leur époux, et pour les hommes de faire preuve de virilité dans la défense et la protection de ce patrimoine symbolique. Du reste, ce n’est pas tant le comportement d’un sujet que la façon dont celui-ci est perçu en société qui est central. Se conformer à un comportement socialement prescrit est une chose, voir cette conformité reconnue en est une autre, parfois plus cruciale, qui contribue à hiérarchiser la société : plus on est haut dans la hiérarchie sociale, plus la réputation et la protection de celle-ci sont importantes. L’honneur est donc à la fois un « capital collectif65 » et contribue à façonner la réputation d’un individu dans une société donnée. La protection de l’honneur et de la réputation peut faire l’objet de litiges plus ou moins violents, tant verbalement que physiquement, pour protéger ou au contraire mettre en cause un individu ou un groupe. Cette violence est de plus en plus poursuivie par les autorités judiciaires à partir du xviie siècle66. D’un point de vue genré, l’honneur repose sur l’affirmation de l’autorité paternelle et maritale, ce qui en fait un outil de domination masculine légitimant des pratiques comme le droit de correction ou les crimes d’honneur. Outre ces derniers, les litiges réputationnels, en général résultant d’une effusion de violence verbale et d’injures, sont également courants67.
48Outre-Atlantique, les procès pour diffamation, récurrents dans les archives judiciaires de La Nouvelle-Amsterdam et de Beverwijck, relèvent de cette dernière catégorie et témoignent de l’importance de la réputation dans une société nouvelle, non seulement au niveau individuel, mais aussi pour le pouvoir qui prend en charge la régulation de l’ordre social.
Genre et réputation en Nouvelle-Néerlande : une affaire marchande ?
49La fréquence des poursuites judiciaires pour diffamation témoigne de l’importance attachée à la réputation, à sa protection et à son contenu, révélant la complexité des rapports de genre dans la vie quotidienne. Une réputation entachée conduit ainsi la partie plaignante à exiger une réparation, laquelle relève de la formule stéréotypée : l’accusé ne « connaît rien qui ne soit pur et vertueux » concernant la personne diffamée68. Les autorités concluent usuellement en enjoignant les parties à vivre en bonne intelligence afin que l’ordre ne soit plus perturbé « dans une communauté bien régulée ».
50L’historiographie nord-américaine s’est depuis longtemps intéressée à ces litiges réputationnels69. Clara Ann Bowler relève des cas de diffamation dès septembre 1634 en Virginie, montrant que ce type d’offense fait l’objet d’une attention particulière dans la mesure où la succession d’insultes et de mise en cause de la réputation d’autrui est perçue par la justice comme perturbatrice de la paix sociale ; pour les magistrats, l’enjeu principal est moins de redresser un tort que de maintenir la paix et la concorde sociale entre les parties. L’accent est ainsi mis sur des excuses publiques et une réparation de caractère plutôt que sur une condamnation pécuniaire70. Le maintien d’une cohésion sociale apparaît ainsi particulièrement fragile en situation de frontière et cet enjeu renforce l’importance accordée aux conflits d’honneur et à la diffamation. Dans la région d’Accomack-Northampton, plus reculée, sans milice organisée pour maintenir l’ordre et sans encadrement institutionnel suffisamment ancré, la perturbation provoquée par ces litiges est particulièrement prise au sérieux71. Cette récurrence des procès en diffamation comme mécanisme de défense de l’honneur relève d’un contrôle social autrement absent. Ces litiges sont également révélateurs des hiérarchies sociales, mais aussi de genre, qui se mettent en place dans une situation coloniale. Travaillant sur Le Cap, en Afrique australe, Nigel Worden souligne la centralité du recours à la justice civile et au procès en diffamation plutôt qu’à l’effusion de violence pour réguler les litiges réputationnels et, partant, cadrer une société nouvelle72. Prêter attention aux affaires de diffamation à La Nouvelle-Amsterdam et Beverwijck permet d’y voir un semblable moyen d’imposer des normes, de formaliser la société pour le pouvoir colonial mais aussi pour les habitants.
51Si le contenu de la réputation d’un individu est soumis à des variations en fonction du lieu, du niveau social ou des origines culturelles, ces valeurs sont également très marquées par le genre. De part et d’autre de l’Atlantique, l’historiographie rappelle que les femmes voient leur vertu sexuelle mise en cause, tant l’honorabilité féminine repose sur leur devoir d’épouse et de mère ; quant aux hommes, leur honorabilité reposerait sur leur honnêteté en affaires73. Ainsi, les interactions les plus significatives des femmes avec les hommes seraient d’ordre sexuel et non économique, expliquant ainsi les attentes de bon comportement sexuel à leur égard ; en revanche, les attentes à l’égard des hommes relèvent de leur comportement vis-à-vis des autres hommes, en l’occurrence leurs interactions économiques et marchandes et leur fiabilité. Mary-Beth Norton, à propos du Maryland des années 1654-1671, parle d’une « ligne de partage cruciale » entre hommes et femmes dans les pratiques diffamatoires quand Elaine Crane, à propos de La Nouvelle-Amsterdam, suggère au contraire que, du fait de la présence des femmes dans l’économie coloniale néo-néerlandaise, l’injure sexuelle est plus à renvoyer à une mise en cause de la fiabilité des femmes en tant que partenaires marchandes74. Faut-il y voir une exceptionnalité néerlandaise ?
52À La Nouvelle-Amsterdam, on retrouve cette ligne de partage en fonction du genre. L’injure la plus fréquente visant les femmes est « hoer » ou « putain », à quoi il faut associer d’autres injures liées au lexique de la prostitution (être tenancière, allusion à la clientèle, etc.) – dans 26 cas sur les 40 relevés (tableau 5)75.
Tableau 5. – Nature et récurrence des insultes adressées aux femmes à La Nouvelle-Amsterdam (1653-1674).
Insulte * | Traduction | Mentions |
hoer | prostituée | 20 |
joodse hoer | prostituée à clientèle juive | 1 |
dieffege, diefraghtige (adj.) | voleuse | 7 |
vercken/swijn | truie | 4 |
caranie | femme de petite vertu | 2 |
gerieff | maquerelle | 1 |
moeder van de hoeren | maquerelle (impliqué) | 1 |
cappelaarster | maquerelle | 1 |
beest | bête (sauvage) | 1 |
verclickster | délatrice | 1 |
droncken (adj.) | ivrogne | 1 |
* L’orthographe utilisée pour la première occurrence du terme est reproduite et peut différer de l’orthographe néerlandaise contemporaine.Source : NYMA – RNA Box 1.2.1 – 1.2.4.
53Les hommes sont, quant à eux, insultés suivant les lignes du vol, du brigandage ou de la malhonnêteté – dans 40 cas sur les 60 insultes recensées – l’insulte pouvant être néanmoins renforcée par un qualificatif renvoyant à une maladie vénérienne (tableau 6).
Tableau 6. – Nature et récurrence des insultes adressées aux hommes à La Nouvelle-Amsterdam (1653-1674).
Insulte | Traduction | Mentions |
schelm | maraud | 14 |
schelm der schelmen | maraud en chef | 1 |
pockige schelm | maraud vérolé | 1 |
dieff | voleur | 9 |
ophouder van dieven | qui entretient des voleurs | 2 |
guyt | fripon | 4 |
oneerlyck (adj.) | malhonnête | 3 |
hoorenbeest cournoede * (sic) | cocu | 3 |
leugenaar | menteur | 2 |
bedriger | tricheur | 2 |
valsaris | faussaire | 2 |
hoere kindt | enfant de putain | 2 |
hondts jongen | fils de chien | 1 |
mordenaar | assassin | 1 |
mordernaar der mordernaren | assassin en chef | 1 |
schebbejack | bandit | 1 |
slegel | bandit | 1 |
scheuder | spoliateur | 1 |
bloetsuyger | sangsue | 1 |
hont | chien | 1 |
bastaard (adj.) | bâtard | 1 |
fielt | vilain | 1 |
spitter baart | barbe de paysan ** | 1 |
rycke bedelaar | riche mendiant | 1 |
wilden hondt | chien indien | 1 |
duyvelse jood | juif diabolique | 1 |
bloedt beulingh | boudin noir | 1 |
* Insulte traduite par « cocu » dans l’édition en anglais, par équivalence avec hoorenbeest. Le terme ne renvoie pas à un terme existant en néerlandais. On peut supposer qu’il s’agit d’une transcription par un notaire néerlandophone du terme français « cornu », dans la mesure où l’un des incriminés, Jan Vigne, est francophone. NYMA RNA Box 1.2.1 doc. 78j-79a ; trad. RNA, vol. 1, p. 51.
** Insulte non traduite dans l’édition anglaise des archives judiciaires de La Nouvelle-Amsterdam et disparue aujourd’hui du vocabulaire néerlandais. Le verbe spitten signifie « bêcher », ce qui évoquerait une insulte visant le statut social, alors que le litige concerné oppose deux hommes s’invectivant mutuellement, l’un de « chien indien », l’autre de « spitter baard ». NYMA RNA Box 1.2.2 doc.183d ; trad. RNA, vol. 2, p. 332.
Source : NYMA – RNA Box 1.2.1 – 1.2.4.
54Bien que la diffamation des hommes touche plus rarement à des accusations d’ordre sexuel, celles-ci renvoient à une remise en cause de leur virilité et de leur autorité en tant que chefs de feu. En mars 1653, Joost Goderis saisit les magistrats de La Nouvelle-Amsterdam pour ce qui semble être une mauvaise plaisanterie, lorsqu’un groupe de citoyens le raille en suggérant que sa femme entretient une relation adultérine avec Allard Anthony, un des échevins de la ville. Ils le qualifient alors de « cornu » (hoorenbeest), ou cocu. Pareillement, en août 1658, Philip Schoof poursuit Anneke Sibout et Breghtlande Van de Graaf après que ces dernières ont invectivé sa fiancée, Jannetje Teunis Kray, le jour de leur mariage, suggérant que l’union avait déjà été consommée. Comme dans le cas de Joost Goderis, il semble qu’une réflexion paillarde soit à l’origine du litige, présentée par les accusées comme une mauvaise plaisanterie faite à une bonne connaissance ; pourtant, Schoof demande réparation, au moins autant pour l’honneur de son épouse que pour le sien propre. La défense de l’honneur est un moyen de réaffirmer une autorité virile, et donc une hiérarchie de genre bafouée, au sein de la société coloniale76.
55Cet éventail lexical correspond à peu près aux injures les plus courantes à la même époque aux Provinces-Unies, et notamment à Amsterdam77. En écho à la situation amstellodamoise, injurier les femmes par la référence à la prostitution constitue un ensemble de sens fort pour désigner sans doute moins une activité sexuelle tarifée qu’une absence générale de sens moral, de piété et d’honorabilité. On note en effet que, sur les 14 cas où l’injure est proférée, elle est, dans huit cas, assortie d’un litige sur une dette. Dans un seul cas, le terme est associé à une accusation spécifique d’activité sexuelle tarifée : le 19 août 1659, Tryntje Van Haarlem est poursuivie pour avoir fait circuler la rumeur selon laquelle Anneke Van Ruttenbeck avait passé du temps dans la Spinhuis, purgatoire notoire des prostituées amstellodamoises78. Inversement, lorsque le 3 janvier 1662, Jacobus Vis et Geertje Teunis se disputent et qu’il la qualifie de « putain », la source de leur querelle est une dette de boisson que celui-ci refuse de régler à Teunis. Alors qu’elle le qualifie de « maraud », lui répond par « putain », une insulte qui relèverait du même registre de sens79.
56Si l’honneur dépend en effet dans une large mesure du comportement sexuel, cela participe d’une réputation de fiabilité. L’inverse peut conduire à la perte de la bonne réputation et à l’exclusion de réseaux marchands. Ce constat fait écho à l’importance revêtue par l’honneur à Amsterdam, alors considérée par les observateurs étrangers comme une capitale du vice et de la prostitution, au point de devenir une véritable attraction touristique dans la seconde moitié du xviie siècle80. La réputation d’un individu pouvait y être perdue en étant condamné, emprisonné ou mis au pilori, au vu et au su de tous. Les archives amstellodamoises révèlent ainsi la façon dont prostituées, tenancières de maisons closes et policiers manipulaient le danger d’être vu en train de fréquenter un de ces commerces pour faire chanter des clients pris sur le vif, ces derniers payant pour éviter la prison et l’exposition de leur crime81.
57Alors : ligne de partage genrée ou réputation marchande ? Il ne semble pas pertinent de distinguer les deux tant la mise en cause de l’honnêteté d’un individu s’ancre dans la dénonciation d’une incapacité à se conformer aux attentes liées à son genre. Pour les femmes, si les accusations de prostitution sont un ressort économique, la question de leur moralité sexuelle est indissociable de leur honnêteté en affaires, ce qui n’est pas le cas pour les hommes, et ajoute un surcroît de discrédit pour celles-ci. Le recours à ce levier signale donc une hiérarchie de genre dans la participation aux échanges marchands. D’une manière générale, en dépit de la mixité des lieux publics et des sociabilités, et parce que « l’honneur des femmes est un souci unanimement vécu et théorisé82 », le contenu des insultes est un rappel constant qu’au moindre litige, une femme, peu importe son rang, verra non seulement son honnêteté, mais également sa vertu et donc son honorabilité être remises en question.
58Outre le contenu des insultes, l’historiographie a insisté sur l’importante présence féminine dans ces litiges réputationnels, notamment en tant que plaignantes. Les femmes étant exclues de la vie civique au xviie siècle, la circulation de rumeurs est un moyen important de contrôle social et de protection contre les abus du reste de la communauté, ce qui explique cette surreprésentation. Il apparaît également que ces conflits sont informés par leur statut marital ainsi que par le statut social si celui des deux parties est différent. Mary-Beth Norton a également attiré l’attention sur la non-mixité pratiques diffamatoires : des femmes voient ainsi leur réputation salie par d’autres femmes en conséquence de pratiques relevant du commérage. À l’inverse, les hommes s’insultent entre eux, et les cas d’insultes d’hommes par des femmes sont extrêmement rares dans le Maryland83.
59Les affaires de diffamation en Nouvelle-Néerlande révèlent au contraire une certaine mixité des disputes sur la voie publique et des affaires de diffamation qui s’ensuivent. Un examen des 90 cas de disputes liées à des insultes verbales ou physiques recensées à La Nouvelle-Amsterdam entre 1653 et 1664 permet de voir que les disputes opposant des hommes et des femmes représentent plus de 56 % des conflits recensés. On peut y voir un reflet de la mixité des rapports sociaux dans un milieu qui s’urbanise progressivement, favorisant l’émergence d’un monde social où les circulations et les interactions franchissent plus facilement les frontières du genre. En amont de l’Hudson, à Rensselaerswijck, Beverwijck et Fort Orange, sur 26 disputes recensées entre 1648 et 1660, 20 font état de sociabilités mixtes84. Les femmes restent surreprésentées dans ces disputes – nonobstant les affaires réglées en infrajudiciaire et les lacunes des archives, notamment pour l’année 1657 à La Nouvelle-Amsterdam. Pour les deux terrains étudiés, des femmes seules sont à l’origine de la moitié ou plus des conflits et représentent près de 45 % des victimes, une proportion qui prend toute son ampleur une fois ramenée au déséquilibre démographique signalé précédemment qui caractérise la population coloniale encore dans les années 1650.
60La surreprésentation des femmes dans ces litiges permet de voir qu’elles sont, plus souvent que les hommes, confrontées à des situations de négociation de leur réputation. Ces moments, largement inclus dans des sociabilités mixtes, sont associés à des lieux précis : une taverne, la rue, le pas d’une porte, des espaces, à une échelle locale, particulièrement ouverts à des négociations d’ordre social. « Lieux de vie intense », juxtaposant des « seuils qui sont autant de frontière mouvantes85 », il y circule et coexiste des acteurs et des actrices d’ancrages sociaux et géographiques divers, mais ce sont également, à ce titre, des espaces de négociation de pouvoir et de la légitimité de chacune et de chacun à mener ses activités. Le recours à la justice est alors un outil parmi d’autres dans la gestion de ces rapports sociaux localisés, et les normes de genre contribuent à définir les modalités de la mixité de ces espaces.
61La récurrence des procès pour diffamation permet donc de voir l’importante judiciarisation des pratiques des colons, dès la formation de la société coloniale. Le recours au droit y apparaît moins comme un instrument de pacification pour les acteurs qui l’utilisent que comme une arme parmi d’autres dans la négociation de rapports sociaux conflictuels. On peut en outre envisager cette pratique comme participant d’une logique collective fondamentale pour comprendre la société coloniale. À l’image de l’Europe où, notamment dans les milieux populaires, priment des réseaux de solidarité resserrés autour de la famille et du voisinage, la réputation de l’individu rejaillit sur l’ensemble du groupe, et l’honneur est, à ce titre, collectif. Dans une société nouvelle, alors même que le collectif est en construction, la hiérarchie genrée constamment travaillée et rappelée lors de ces procès fait partie du faisceau de normes régissant l’ordre social et l’attachement à l’honneur reflète autant l’importance de la réputation d’un individu qu’un idéal d’ordre social.
Honneur et genre en situation coloniale : une affirmation d’ordre et de hiérarchie
62Ainsi que le soulignait Arlette Jouanna, derrière l’honneur et la réputation c’est le bon agencement d’une société qui est en jeu, du moins pour les autorités86. La récurrence des poursuites pour diffamation permet de voir également qui est habilité à juger et régir les rapports de genre dans la société coloniale. En effet, s’il existe des formes de contrôle social populaire, la prise en charge de ces questions d’honneur par le gouvernement colonial peut aller dans le même sens ou opposer une possible concurrence à ces sociabilités informelles.
63La connexion entre conflits d’honneur et maintien de l’ordre transparaît dans le fait que 16 des disputes recensées à La Nouvelle-Amsterdam sont décrites explicitement comme se déroulant sur la voie publique et perturbant la paix sociale. Outre le lieu, la fonction des individus incriminés est centrale. À Fort Orange, au moins cinq affaires de diffamation remettent en question l’autorité d’une figure dirigeante, commissaire, pasteur ou représentant du patroon à Rensselaerswijck87 ; c’est le cas notamment en février 1655, lorsque Herman Jansz Van Valckenburgh est accusé, entre autres crimes, d’avoir raillé un officier local, inférant que son épouse le trompait. Comme, précédemment, pour Goderis, il en va de la virilité et de l’autorité du commissaire, qui demande réparation, et Valckenburgh est condamné au pilori avec un panneau sur lequel est affiché « Calomniateur », puis à être banni pendant six ans. Si la sentence porte sur un ensemble de transgressions de la part de Valckenburgh, elle singularise la calomnie de l’officier et sa réparation88. En mai 1656, à La Nouvelle-Amsterdam, Cornelis Schutt est accusé d’avoir diffamé Stuyvesant auprès d’un des directeurs de la WIC, à Amsterdam, dans un courrier envoyé en novembre 1654. Le domicile de Schutt est perquisitionné à la recherche de son registre de correspondance – que l’accusé semble dissimuler. Devant la gravité de l’accusation, il est mis aux arrêts chez lui, ce qu’il déplore comme une humiliation faisant de lui « la risée » des Néo-Amstellodamois : il semble qu’il faille faire un spectacle public de la gravité qu’il y a à incriminer le directeur général qui déclare voir son honneur terni « pas tant ici qu’à Amsterdam ». Finalement, un arbitrage permet à Stuyvesant de verbaliser la gravité de l’accusation et à Schutt de faire amende honorable89. Dans ces cas de figure, ce n’est pas seulement la réputation d’un individu qui est mise en cause, mais également l’institution qu’il représente, ici la WIC. Le lien entre injure publique et ordre social n’en est que plus patent.
64À La Nouvelle-Amsterdam, à l’automne 1656, une affaire en particulier fait l’objet de poursuites et d’enquêtes qui s’étalent sur plusieurs mois et permettent de voir, non seulement les mécanismes de construction d’une rumeur, mais aussi le lien fait par les officiers locaux entre un honneur individuel au contenu genré et celui de la communauté. Tout part d’un récit anonyme : on raconte en effet qu’une femme et un homme ont été surpris par un marin en pleine rencontre sexuelle derrière des bosquets. Pour ajouter à l’infamie, la femme serait mariée. Rapidement, les conjectures vont bon train et, au fil d’ajouts successifs, on incrimine Cornelis Steenwyck et l’épouse – non nommée – de Willem Beeckman. L’anecdote haute en couleurs devient alors une accusation très grave : Beeckman est un membre du gouvernement municipal et Steenwyck en bonne position pour le devenir également. Les personnes calomniées, principalement Beeckman, exigent une réparation d’honneur, tant leur position politique et sociale dans la colonie pourrait être fragilisée par la diffamation et par l’injure. Beeckman compte ainsi remonter à l’origine de la rumeur et punir gravement le ou la responsable.
65Cette recherche permet de voir l’écheveau complexe de sociabilités qui a pu conduire à l’élaboration de la rumeur. Les premiers coupables désignés sont Geurt Coerten, un fermier au service de la WIC, et son épouse, Geertje Jacobsen90. Si Coerten est, a priori, un colon sans histoire, il n’en va pas de même pour Jacobsen, poursuivie par le passé pour prostitution91. La défense du couple suit deux lignes directrices : la première consiste à dire qu’ils ne sont pas les seuls à avoir parlé de cette affaire et donc à l’avoir propagée. Jacobsen cite trois autres femmes, Wijntje Elbertsen, Marretie Pietersen et Marie du Trieux, laquelle a également, par le passé, été condamnée pour prostitution. Ce premier schéma de propagation de la rumeur suit des sociabilités féminines, posant la question du crédit accordé en fonction du genre des personnes incriminées. Les travaux sur la place des femmes dans les sociétés anglaises insistent sur le rôle de régulation des rapports sociaux qu’elles jouent lors d’accusations collectives. Dans les procès pour adultère, ou dans les procès pour diffamation, les femmes sont souvent les principales accusatrices et délatrices d’autres femmes. L’enjeu est pour elles de faire respecter un rôle d’épouse dévouée pour ne pas mettre en péril la communauté. Celle-ci serait mise en danger dans la mesure où, en étant infidèle à son époux, une femme remet en cause la distribution sexuée des rapports sociaux92. À ceci près que dans la présente affaire, la moitié des accusatrices a un passé de prostitution fort peu honorable, posant, d’une part, la question de leur crédibilité pour les magistrats, mais ajoutant également l’humiliation à la diffamation pour les personnes calomniées. Cette première ligne de défense par la responsabilité collective échoue devant le refus des supposées comparses de Jacobsen de comparaître, fuyant leur domicile pour échapper à la convocation du messager officiel de la cour93.
66Une autre ligne de défense est alors envisagée par Geertje Jacobsen qui déclare, cette fois, n’être pas à l’origine de la rumeur. Elle cite comme sa source un nommé Jan Adamsen, qui aurait surpris puis rapporté le spectacle d’un « marin » en compagnie d’une femme. La rumeur serait donc bien loin de viser un potentiel magistrat de la ville. La femme incriminée aurait acheté le silence d’Adamsen avec du sewant94 et un baiser « si fougueux qu’il n’en retrouvait plus ses esprits ». Le marin aurait ajouté que la femme était mariée et que personne ne l’aurait soupçonnée. Si Geertje reconnaît avoir fait des conjectures avec d’autres, c’est son époux, Geurt Coerten, qui rapporte avoir entendu qu’il s’agissait de l’épouse Beeckman et de Cornelis Steenwyck, déformant ainsi l’histoire de départ95.
67Les autres membres de la communauté qui ont participé, d’après les accusés, à la propagation de la rumeur leur font successivement défaut. Ces défauts témoignent de la réticence de ceux-ci à mettre en cause un échevin de la ville, figure d’une élite coloniale naissante. Le couple est dans un premier temps condamné à une peine dont la sévérité met en évidence la gravité de l’offense et l’influence des victimes de la calomnie96. Willem Beeckman insiste en effet pour une punition exemplaire : le couple est banni et condamné par le gouvernement municipal à une amende de mille florins le 18 décembre 1656. Deux jours plus tard, le 20 décembre, Coerten et son épouse demandent la clémence de Stuyvesant et font amende honorable, ce qui pourrait ouvrir sur une résolution de l’affaire.
68Celle-ci prend néanmoins un nouveau tour en janvier 1657 : le 10 janvier, Wijntie Albertsen, un des témoins cités par Geertje Jacobsen, comparaît finalement et confirme que Jan Adamsen est à l’origine de la rumeur. Ce dernier est alors convoqué, et la cour obtient de Stuyvesant et de son conseil un pouvoir discrétionnaire total pour en mener l’interrogatoire – notamment pour avoir recours à des pratiques réservées à la WIC, comme la question97. L’affaire devient alors celle de Jan Adamsen, qui est arrêté le 26 janvier, puis interrogé et menacé de torture. Faute de sources, nous ne disposons pas de la conclusion de ce cas : les archives judiciaires entre le 31 janvier 1657 et le 4 janvier 1658 ont en effet disparu. D’autres documents nous permettent néanmoins de voir que Geertje Jacobsen a été bannie de la colonie en mai 1658 pour sa « vie dissolue98 ».
69Dans cette affaire, plusieurs éléments témoignent de l’importance de la gestion des rapports de genre dans la construction de la société coloniale. Tout d’abord, la rumeur s’est propagée par le biais de sociabilités de classe mais aussi de genre. Des réseaux genrés émergent à partir des personnes nommées par les accusés – Geertje Jacobsen cite des femmes, tandis que Jan Adamsen aurait partagé son histoire avec Jan Hibou et Cristiaen, un soldat de la WIC, pendant qu’un esclave, Bassin, leur servait de l’alcool, révélant un moment d’échange masculin. Ce sont surtout des sociabilités de classe, associées à un lieu, la taverne, dans les deux cas. Si la taverne est un lieu défini par sa mixité au xviie siècle, les circulations et les sociabilités y apparaissent très codifiées suivant des lignes de genre. La seule forme de sociabilité mixte semble, dans ce contexte, y être de l’ordre de l’intime – entre époux ou entre une prostituée et son client. Ce litige et ses ramifications révèlent le fonctionnement d’une communauté non seulement assez restreinte, où tout le monde connaît tout le monde, mais aussi où la circulation d’une rumeur semble à même de bouleverser la hiérarchie sociale.
70Le statut social des calomniés est en effet au cœur de l’affaire. La première réaction de Geertje Jacobsen est de chercher par tous les moyens à savoir qui sont les adultérins, quitte à faire des conjectures hasardeuses. Avant de désigner Steenwyck et l’épouse Beeckman, elle désigne Engeltie Mans et Francis Rombouts comme coupables supposés. Cette conjecture est la cause de premières poursuites. Engeltie Mans en personne demande réparation de son honneur devant la cour, en janvier 1657, ce qu’elle obtient assez rapidement de la part de Geertje Jacobsen et l’affaire ne fait pas plus grand bruit que cela99. En revanche, lorsque deux figures de l’élite coloniale sont mises en cause, le retentissement de la rumeur est bien plus grave, car c’est la hiérarchie sociale et politique, et donc sa légitimité, qui sont menacés. Un attirail institutionnel bien plus conséquent est mis en place et ébranle toute une communauté de colons qui fuient leur domicile pour ne pas témoigner et ne pas risquer d’être mêlés à cette affaire. Ainsi, la principale victime n’est ni « Mevrouw » Beeckman, ni même Cornelis Steenwyck, pourtant directement incriminés, mais Willem Beeckman, figure d’autorité occupant ou ayant occupé de multiples charges, dont la remise en question de l’autorité domestique rejaillit sur sa légitimité politique. Beeckman est alors échevin et brigue la charge de bourgmestre ; il a, par le passé, également été membre du conseil colonial en tant que trésorier, membre d’un premier corps représentatif local en 1652, puis un des cinq premiers échevins de La Nouvelle-Amsterdam en 1653 ; par la suite, il cumule également ses fonctions municipales avec des charges dans des communautés voisines, comme Esopus, où il est bailli, ou la vallée de la Delaware, où il est nommé vice-directeur général. L’insistance à désigner son épouse par « Mevrouw », soit « Dame », dans les minutes de l’affaire invite d’ailleurs à voir une façon de marquer sa supériorité sociale et donc à renforcer l’indignité de la rumeur. Cette affaire permet de voir l’affirmation d’une élite coloniale, entérinée depuis quelques années seulement par des responsabilités locales, notamment celles d’échevin et de bourgmestre à La Nouvelle-Amsterdam. Il en va de l’impératif de préserver cette élite pour maintenir un ordre social hiérarchisé100. Il y a là une évolution du pouvoir commune aux sociétés européennes au cours du xviie siècle, une période au cours de laquelle le contrôle des rapports de mœurs et de la violence qu’ils peuvent susciter sont repris en main par les autorités politiques101.
71Il en va enfin de la parole féminine et de son respect de normes de modestie. À ce sujet, Deborah Hamer évoque le bannissement, en mai 1658, d’une nommée Magdalena Dircx, en même temps que Geertje Jacobsen, pour ce même motif de « vie dissolue ». Un an plus tôt, elle aurait insulté un garde-feu de la ville venu chez elle en mai 1657, en disant : « il y a un ramoneur à la porte, la cheminée est bien ramonée102 », une allusion possiblement graveleuse à des pratiques sexuelles impropres. Comme Jacobsen, elle avait pu, par le passé, être accusée de mener une vie dissolue ; mais c’est bien sa parole qui l’a conduite au bannissement. Le dénigrement de représentants officiels de la WIC remettait en question la compétence de Stuyvesant en tant que directeur général et expliquerait la dureté de la sentence – quand bien même la Chambre d’Amsterdam la révoque quelques semaines plus tard103. La réputation de représentants du pouvoir ne pouvait être contestée par des femmes, qui plus est des femmes à la morale notoirement douteuse.
72Au cours de la même période, le gouvernement colonial entreprend de durcir les sanctions relatives aux effusions de violence verbale et physique dans la rue. Bien entendu, ce durcissement souligne avant tout un échec à canaliser ces transgressions : la décision s’appuie sur le constat selon lequel les régulations précédentes n’avaient qu’un pouvoir de dissuasion limité, les habitants préférant s’accommoder d’une amende – jugée légère – et continuer de recourir aux injures physiques et verbales comme mode de gestion des rapports sociaux. Le montant des amendes est alors quadruplé104. La peine encourue pour insulte ou bagarre publique passe ainsi d’une livre flamande (soit l’équivalent de 20 schillings) à 25 florins (soit l’équivalent de 87 schillings). Si l’efficacité d’une telle mesure n’est pas plus attestée que précédemment, la démarche reste révélatrice d’une volonté de la part du pouvoir colonial de reprendre le contrôle des relations de mœurs dans la colonie.
73À ce titre, la façon dont les prérogatives du gouvernement de Stuyvesant et celui, plus local, de La Nouvelle-Amsterdam s’articulent dans la gestion de l’affaire Beeckman est intéressante. Les accusés, une fois condamnés, ont recours au directeur général et à son conseil pour faire appel et obtenir, dans un premier temps, une peine plus légère. Néanmoins, en janvier 1657, les bourgmestres et échevins obtiennent un pouvoir discrétionnaire total. Cet octroi signale à quel point les magistrats locaux voient dans l’affaire une remise en cause du bon fonctionnement interne de la société néo-amstellodamoise, un fonctionnement sur lequel ils veulent avoir le contrôle, sans interférence, ni de rumeurs informelles venues des bas-fonds de la société, ni des autorités amstellodamoises de la WIC. Avec l’honneur d’un des magistrats bafoué, c’est l’ensemble de l’élite politique locale qui se trouve fragilisée ; le transfert de compétence octroyé par Stuyvesant indique ainsi l’affirmation de ce pouvoir local, mais également la validation par le directeur général de la nécessité de frapper fort.
74La prise en charge par le pouvoir colonial des affaires de diffamation et son attachement au respect des vertus morales qui les sous-tendent témoignent de ce que ces éléments sont compris comme des outils de maintien de l’ordre, et donc de pouvoir, en raison de hiérarchies sociales et genrées. Parfois, l’enjeu explicité dépasse la simple question du maintien d’un ordre moral, mais relève de la survie du corps social. En février 1656, lors de la guerre « du pêcher », les raids esopus, wappinger et susquehannock sur La Nouvelle-Amsterdam sont interprétés comme un châtiment divin contre une population coloniale débauchée et ses « péchés haïssables105 » ; la confrontation avec d’autres populations et d’autres systèmes de genre apparaît comme un facteur de trouble et de remise en question des rôles assignés à chacun et de l’ordre social de la colonie. Il s’agit alors bien d’honneur et de moralité collectives. Cette rhétorique est par ailleurs récurrente : quatre ans plus tard, en mars 1660, Stuyvesant fait des perturbations de l’ordre public la cause principale des malheurs qui frappent la colonie – il fait alors référence à des affrontements contre les Esopus :
« [Dieu] a mis fin à [ces menaces] espérant, sans doute, notre repentance et renoncement à ces péchés tels que la profanation publique de Son Sabbat, la profanation de Son Nom par les jurons, notre torpeur et notre apathie concernant Son service, notre ivrognerie, notre débauche, notre lascivité, nos luxures, nos tromperies, et bien d’autres péchés publics en vogue parmi nous, au désarroi de nos voisins chrétiens et des barbares natifs de ces terres106. »
75Le maintien – souhaité plus qu’avéré – de normes de comportement strictes, bâties sur la morale et des attentes liées au genre des individus, apparaît comme un rempart contre les dangers auxquels est confrontée la société coloniale, et notamment la présence de populations autres. La régulation des rapports de genre et l’affirmation de normes par les colons via leur attachement à l’honneur, mais aussi par le pouvoir colonial avec la régulation des mœurs et du mariage, apparaissent, dans le discours du pouvoir, comme des outils de stabilisation et de survie de la société coloniale.
⁂
76La formation d’une société nouvelle passe par l’identification plus ou moins tacite de valeurs qui contribuent à organiser les rapports sociaux. En Nouvelle-Néerlande, l’attention portée aux institutions chargées de réguler ces rapports sociaux permet de voir l’importance de normes de genre. Pour les administrateurs, la conformité et le respect de ces normes, associées à des hiérarchies sociales, étaient conçus comme un garant d’ordre, et ce tout particulièrement dans la mesure où, en situation coloniale, le désordre pouvait être synonyme de vulnérabilité face à une menace extérieure – autochtone, notamment. Quant aux colons, leur usage des outils judiciaires à leur disposition témoigne de leur compréhension, voire de leur attachement à cet ordre sociogenré bâti sur l’honneur et sur la réputation. Cette observation permet de nuancer l’image de violence et de dissolution de cette société en en réinterprétant le sens. La transgression apparaît paradoxalement plus comme une aspiration à la norme que comme un rejet de celle-ci. Une aspiration qui doit composer avec la dilatation d’un espace atlantique, où les circulations facilitent les promesses non tenues, les liens distendus, et la latence dans l’accès à certaines informations qui, dans un contexte européen traditionnel, étaient sues de tous et de toutes dans des communautés de taille et d’ancrage territorial restreints. La vulnérabilité des actrices sociales impliquées dans des affaires de séduction signale le besoin de voir un cadre social appliqué. À cette dilatation au niveau macro doit être articulée une échelle plus régionale : les négociations et les institutions qui les permettent contribuent en effet à structurer le territoire colonial autour de centres dépositaires d’une autorité au niveau local. C’est bien la « complexité légale107 » plus que l’anomie qui ressort, ici, alors que les colons transgressent et font usage du droit et de la justice pour s’assurer une place dans le corps social, que ce soit par les connexions qu’ils et elles créent, ou par la réputation.
77Les connexions procurées par le mariage et par une bonne réputation ne sont pas seulement un argument politique de survie du corps social ; elles sont, pour les hommes et les femmes concernées, le cadre de bon fonctionnement des échanges marchands à l’origine des entreprises coloniales en Nouvelle-Néerlande.
Notes de bas de page
1Par ailleurs désigné comme originaire de Salé, cité corsaire à proximité de l’actuelle Rabat, au Maroc ; les historiens sont partagés quant à savoir si ce sobriquet dit quelque chose de son identité ethnique. Reyniers l’épouse le 15 décembre 1629, à bord du Soutbergh. Stadsarchief Amsterdam: DTB 435 p. 8.
2Lotte Van de Pol, The Burgher and the Whore: Prostitution in Early Modern Amsterdam, trad. Liz Waters, Oxford, Oxford University Press, 2011, p. 49-50.
3NYSA A1809 vol. 4 doc. 39 ; trad. angl. : Arnold J. F. Van Laer (éd.), Council Minutes 1638-1649, Baltimore, Genealogical Publishing Co., 1974, p. 46-47.
4NYSA A1809 vol. 4 doc. 21-23, 39-40 ; trad. angl. : CM1, p. 26-29, 46-47 ; NYSA A0270 vol. 1 doc. 49-52, 76-80 (détruits) ; trad. angl. : Kenneth Scott (éd.), Register of the Provincial Secretary, 1638-1642, trad. Arnold J. F. Van Laer, Baltimore, Genealogical Publishing Co., 1974, p. 66-71, 102-122 (détail éloquent quant au travail d’édition des archives : l’invective de Reyniers a été jugée trop offensante pour Van Laer, qui choisit d’en laisser la lettre [« blaes mij daer achterin »] dans la langue originale).
5NYSA A1809 vol. 4 doc. 9 ; trad. angl. : CM1, p. 13.
6Willem Frijhoff, Fulfilling God’s Mission: the Two Worlds of Dominie Everardus Bogardus, 1607-1647, Leyde, Brill, 2007, p. 469.
7NYSA A0270 vol. 1 doc. 76 ; trad. angl. : RPS1, p. 102 (original en néerlandais détruit).
8NYSA A0270 vol. 1 doc. 78-80, 89 ; trad. angl. : RPS1, p. 103-107, 122 (original détruit).
9Bill Greer, Sex and the City: The Early Years. A bawdy look at Dutch Manhattan, New York, Bill’s Brownstone, 2009, p. 2 ; Russell Shorto, The Island at the Center of the World: The Epic Story of Dutch Manhattan and the Forgotten Colony that Shaped America, New York, Doubleday, 2004 ; Marie E. Velardi et Michael Pollak, « Good Words for Grietje », The New York Times, 25 novembre 2011, [http://www.nytimes.com/2011/11/27/nyregion/good-words-for-grietje.html].
10Cornelia Hughes Dayton, Women Before the Bar: Gender, Law, and Society in Connecticut, 1639-1789, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1995 ; Tamar Herzog, Rendre la justice à Quito (1650-1750), Paris, Harmattan, 2001, p. 283-302 ; Mary Beth Norton, « Gender and Defamation in Seventeenth-Century Maryland », The William and Mary Quarterly, 44/1, 1987, p. 3-39.
11Carol F. Karlsen, The Devil in the Shape of a Woman: Witchcraft in Colonial New England, New York, Norton, 1987 ; Richard Godbeer, Escaping Salem: The Other Witch Hunt of 1692, New York, Oxford University Press, 2005 ; Richard Godbeer, The Salem Witch Hunt: A Brief History with Documents, Boston, Bedford/St. Martin’s, 2017.
12Howard S. Becker, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985, p. 25-26, 32-38.
13Bernard Bailyn, The Barbarous Years. The Peopling of British North America: The Conflict of Civilizations, 1600-1675, New York, Knopf, 2012, p. 234.
14Un panorama de ces offenses est proposé pour la Nouvelle-Néerlande par James Homer Williams, « Coerced Sex and Gendered Violence in New Netherland », in Merril D. Smith (éd.), Sex Without Consent: Rape and Sexual Coercion in America, New York, New York University Press, 2001, p. 61-80. Pour d’autres territoires coloniaux d’Amérique du Nord, Richard Godbeer, Sexual Revolution in Early America, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2002.
15Concernant ces règlements infra-judiciaires des conflits, Michel Nassiet, La violence, une histoire sociale: France, xvie-xviiie siècles, Paris, Champ Vallon, 2011, p. 83 sqq.
16Elaine Forman Crane, Witches, Wife Beaters, and Whores: Common Law and Common Folk in Early America, Ithaca, Cornell University Press, 2011 ; C. H. Dayton, Women before the bar, op. cit. ; T. Herzog, Rendre la justice à Quito (1650-1750), op. cit., p. 227-250.
17Jaap Jacobs, The Colony of New Netherland: A Dutch Settlement in Seventeenth-Century America, Ithaca, Cornell University Press, 2009, p. 62-105 ; L. Van de Pol, The Burgher and the Whore, op. cit., p. 93-94.
18Ces documents nous sont partiellement parvenus et sont conservés aux archives de l’État de New York. Certains cartons ont été détruits lors de l’incendie du Capitole d’Albany en 1911, notamment le premier volume d’archives du secrétaire colonial, dont il ne nous reste plus que la traduction ; dès le xixe siècle, ces documents ont été édités et traduits, par E. B. O’Callaghan puis Arnold Van Laer dans un premier temps, puis par le New Netherland Project depuis les années 1970. NYSA A0270, A1809 ; trad. angl. : Kenneth Scott (éd.), Register of the Provincial Secretary, vol. 1-3, trad. Arnold J. F. Van Laer, Baltimore, Genealogical Pub. Co., 1974 ; Arnold J. F. Van Laer (éd.), Council Minutes, 1638-1649, Baltimore, Genealogical Publishing Co., 1974 ; Arnold J. F. Van Laer (éd.), Council Minutes, 1652-1654, Baltimore, Genealogical Publishing Co., 1983 ; Charles T. Gehring (éd.), Council Minutes 1655-1656, trad. Charles T. Gehring, Syracuse, Syracuse University Press, 1995.
19Ce fonctionnement nous est connu par le Gerechtsrolle der Colonie Rensselaerswijck pour les années 1648-1652, alors que les institutions de Rensselaerswijck sont sous le contrôle de Brant Van Slichtenhorst. Édité et traduit par Arnold J. F. Van Laer, Minutes of the Court of Rensselaerswijck, 1648-1652, Albany, University of the State of New York, 1922.
20Simon Middleton, « Order and Authority in New Netherland: The 1653 Remonstrance and Early Settlement Politics », William and Mary Quarterly, 67/1, 2010, p. 31-68.
21J. Jacobs, The Colony of New Netherland, op. cit., p. 62-105.
22NYMA RNA Box 1.2.1 doc. 77b, 83 ; édité et traduit par Berthold Fernow (éd.), The Records of New Amsterdam from 1653 to 1674 Anno Domini, vol. 1, New York, Knickerbocker Press, 1897, p. 49.
23NYSA A1809-78 vol. 8 : 427 ; NYMA RNA Box 1.2.2 doc. 125a ; trad. RNA, vol. 2, p. 272-273.
24Dennis Maika, « Securing the Burgher Right in New Amsterdam: The Struggle for Municipal Citizenship in the Seventeenth-Century Atlantic World », in Joyce D. Goodfriend (éd.), Revisiting New Netherland: Perspectives on Early Dutch America, Leyde, Brill, 2005, p. 93-128.
25Edmund Bailey O’Callaghan (éd.), The Documentary History of the State of New-York: Arranged Under Direction of the Hon. Christopher Morgan, Secretary of State, vol. 3, Albany, Weed, Parsons & Co., 1849, p. 49.
26Olwen Hufton in Arlette Farge et Natalie Zemon Davis, Histoire des femmes en Occident, vol. 3 : xvie-xviiie siècles, Paris, Plon, 1991, p. 25-63 (rééd. Perrin, coll. « Tempus », 2002) ; Laurel Thatcher Ulrich, Good Wives: Image and Reality in the Lives of Women in Northern New England, 1650-1750, New York, Knopf, 1982, p. 6.
27Samuel S. Purple, Collections of the New-York Genealogical and Biographical Society, vol. 1: Records of the Reformed Dutch Church in New Amsterdam and New York, New York, Printed for the Society, 1890, p. 133-194. Le mariage de Sara Rapalje ne figure pas dans les registres ecclésiastiques mais est documenté a posteriori via des généalogies plus tardives : Teunis G. Bergen, The Bergen Family ; Or: The Descendants of Hans Hansen Bergen, One of the Early Settlers of New York and Brooklyn, L. I., New York, J. Munsell, 1876, p. 22.
28Sharon Block, Rape and Sexual Power in Early America, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2006, p. 16-52 ; R. Godbeer, Sexual Revolution in Early America, op. cit., p. 56-66, 103-104.
29NYMA RNA Box 1.2.1 doc. 366c ; trad. RNA, vol. 1, p. 334-335.
30NYMA RNA Box 1.2.1 doc. 390a ; trad. RNA, vol. 1, p. 356.
31NYMA RNA Box 1.2.1 doc. 366c ; trad. RNA, vol. 1, p. 334-335.
32NYSA A1809 vol. 4 doc. 277 ; trad. angl. : CM1, p. 350.
33NYSA A1809 vol. 4, doc. 361-362 ; trad. angl. : CM1, p. 483.
34NYSA A1809 vol. 5 doc. 64 ; trad. angl. : CM2, p. 40 ; Charles T. Gehring (éd.), Fort Orange Court Minutes, 1652-1660, trad. Charles T. Gehring, Syracuse, Syracuse University Press, 1990, p. 27-28. Le reste de la sentence, enregistré dans le « registre des sentences » a disparu.
35Maëlle Bernard, Histoire du consentement féminin. Du silence des siècles à l’âge de rupture, Paris, Arkhê, 2021 ; Dorothea Nolde, « Les violences sexuelles faites aux enfants. Un état des recherches », Clio. Femmes, Genre, Histoire, 52, 2020, p. 137-161 ; Georges Vigarello, Histoire du viol (xvie-xxe siècle), Paris, Le Seuil, 1998 ; Manon Van der Heijden, « Women as Victims of Sexual and Domestic Violence in Seventeenth-Century Holland: Criminal Cases of Rape, Incest, and Maltreatment in Rotterdam and Delft », Journal of Social History, 33/3, 2000, p. 623-644.
36NYSA A1809 vol. 4, doc. 361-362 ; trad. angl. : CM1, p. 483-484.
37Ibid.
38A. Farge et N. Zemon Davis, Histoire des femmes en Occident, op. cit., p. 100-106 ; Els Kloek, Nicole Teeuwen et Marijke Huisman (éd.), Women of the Golden Age. An International Debate on Women in Seventeenth-Century Holland, England and Italy, Hilversum, Verloren, 1994, p. 87-102.
39NYMA RNA Box 1.2.3 doc. 27a, 38b, 67i, 119b, 137a, 142c, 146a, 186b, 186c, 200c, 206f, 211c, 227a, 245b, 273a, 284c, 290a, 298a, 300b, 308c, 310a, 314a, 392a, 505a, 518c, 528c, 534d, 536d ; trad. RNA, vol. 3, p. 197, 217, 233, 251, 262-263, 267, 269-270, 297-298, 307-308, 312, 315, 326, 337-338, 355, 361, 364-365, 369-370, 377, 379, 382, 427-429 ; vol. 4, p. 82-83, 100, 103-104, 105.
40NYSA A1809 vol. 4 doc. 143 ; trad. angl. : CM1, p. 167-168.
41Ibid.
42NYSA A1809 vol. 4 doc. 96 trad. angl. : CM1, p. 113-115.
43Old First Reformed Church, « First Book of Records of the Dutch Reformed Church of Brooklyn, New York (1660-1719) », Yearbook of the Holland Society of New-York, 1897, p. 133-194.
44NYSA A1809 vol. 4 doc. 227 ; trad. angl. : CM1, p. 271.
45Arie Th. Van Deursen, Plain Lives in a Golden Age: Popular Culture, Religion and Society in Seventeenth-Century Holland, Cambridge, Cambridge University Press, 1991.
46Les femmes représentent 20 % des engagés dans la colonie d’après J. Jacobs, The Colony of New Netherland, op. cit., p. 51.
47NYSA A1809 vol. 5 doc. 55, 95 ; trad. angl. : CM2, p. 34, 59.
48NYSA A1809 vol. 4 doc. 136, 137, 139 ; trad. angl. : CM1, p. 159-160, 162.
49Arnold J. F. Van Laer (éd.), Documents relating to New Netherland, 1624-1626, in the Henry E. Huntington library, San Marino, Calif., The Henry E. Huntington library and art gallery, 1924, p. 171-251.
50NYMA RNA Box 1.2.1 doc. 1, 7, 28 ; trad. RNA, vol. 1, p. 1-2, 5-8, 18-19.
51Concernant la prostitution dans l’Europe moderne : Erica Marie Benabou, La Prostitution et la police des mœurs au xviiie siècle, Paris, Perrin, 1987 ; Tony Henderson, Disorderly Women in Eighteenth-Century London: Prostitution and Control in the Metropolis, 1730-1830, Londres, Longman, 1999 ; Beate Schuster, Die freien Frauen: Dirnen und Frauenhäuser im 15. und 16. Jahrhundert, Francfort, Campus Verl., 1995 ; Tessa Storey, Carnal Commerce in Counter-Reformation Rome, Cambridge, Cambridge University Press, 2008 ; L. Van de Pol, The Burgher and the Whore.
52NYMA RNA Box 1.2.1 doc. 227c ; trad. RNA, vol. 1, p. 192 ; NYSA A1809 vol. 5 doc. 253, 344, trad. angl. : CM2, p. 137, 173.
53NYSA A1809 vol. 4 doc. 143-144 ; trad. angl. : CM1, p. 165-166.
54NYSA A1809 vol. 8 doc. 1049-1057, vol. 8 ; trad. Charles T. Gehring et Janny Venema (éd.), Council Minutes 1656-1658, Syracuse, Syracuse University Press, 2018, p. 584-588.
55NYSA A1809 vol. 8 doc. 1060-1061 ; trad. ibid., p. 590-591. Ytie Jans et Jans Parcell demandent conjointement la clémence du Conseil et le droit de se marier, agissant au nom de leurs enfants, ce qui permet de voir la constitution d’une famille hors des liens du mariage, le conseil leur donne un délai de 3 mois pour passer l’hiver mais leur intime de vivre séparément.
56NYMA RNA Box 1.2.3 doc. 27a, 38b, 90d, 119b, 137a, 142c, 391c, 392a, 536d ; trad. RNA, vol. 3, p. 197, 217, 251, 262-263, 269-270, 297-298, 312.
57NYSA A1809 vol. 5 doc. 404-405, trad. angl. : CM2, p. 196.
58Bernard Bailyn, The Barbarous Years, op. cit ; Russell Shorto, The Island at the Center of the World, op. cit., p. 83-84 ; James Homer Williams, « Coerced Sex and Gendered Violence in New Netherland ».
59NYMA RNA 1.2.1 doc. 209d ; Box 1.2.5 doc. 386a ; trad. RNA, vol. 1, p. 171 ; vol. 7, p. 82.
60Merry E. Wiesner, « The Midwives of South Germany and the Public/Private Dichotomy », in The Art of Midwifery: Early Modern Midwives in Europe, New York, Routledge, 1993, p. 85-88.
61NYSA A1809 vol. 4 doc. 195 ; vol. 6 doc. 33 ; trad. angl. : CM1, p. 227-228 ; CM3, p. 35-36.
62Documents relating to New Netherland, 1624-1626, p. 171-251.
63Une idée qui peut être rapprochée de la notion de « règne du droit » introduite par E. P. Thompson, La guerre des forêts. Luttes sociales dans l’Angleterre du xviiie siècle, trad. Christophe Jaquet, Paris, La Découverte, 2014, p. 102.
64Diego Venturino in Hervé Drévillon et Diego Venturino, Penser et vivre l’honneur à l’époque moderne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 11.
65Michel Nassiet, in ibid., p. 71.
66Arlette Jouanna, « Recherches sur la notion d’“honneur” au xvie siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 15/10, 1968, p. 597-623 ; concernant les sociétés néerlandaises : L. Van de Pol, The Burgher and the Whore, op. cit., p. 46-50.
67Arlette Farge, Un ruban et des larmes. Un procès en adultère au xviiie siècle, Paris, Éditions des Busclats, 2011 ; Robert Muchembled, Une Histoire de la Violence. De la fin du Moyen Âge à nos jours, Paris, Le Seuil, 2008 ; M. Nassiet, La violence, une histoire sociale, op. cit., p. 127-177, 289-290.
68À titre d’exemple : NYMA RNA Box 1.2.5 doc. 131a ; trad. RNA, vol. 5, p. 327.
69Clara Ann Bowler, « Carted Whores and White Shrouded Apologies: Slander in the County Courts of Seventeenth-century Virginia », The Virginia Magazine of History and Biography, 85/4, 1977, p. 411-426 ; M. B. Norton, « Gender and Defamation in Seventeenth-Century Maryland », art. cité.
70C. A. Bowler, « Carted Whores », art. cité.
71Ibid., p. 422.
72Nigel Worden, « Public Brawling, Masculinity and Honour », in Cape Town Between East and West: Social Identities in a Dutch Colonial Town, Johannesburg, Jacana Media, 2012 ; « “Unbridled Passions”, Honour and Status in Late Eighteenth-Century Cape Town », in Carolyn Strange, Robert Cribb et Christopher E. Forth (éd.), Honour, Violence and Emotions in History, Londres, Bloomsbury, 2014, p. 89-106.
73Michel Nassiet, Penser et vivre l’honneur à l’époque moderne, op. cit., p. 75 ; M. B. Norton, « Gender and Defamation in Seventeenth-Century Maryland », art. cité.
74E. F. Crane, Witches, Wife Beaters, and Whores, op. cit., p. 17-45. Ayant aidé Elaine Crane dans sa traduction des minutes hollandaises qu’elle utilise dans son chapitre, certaines analyses de ce chapitre doivent à nos discussions à propos de certains cas. Je tiens à lui exprimer ma gratitude pour ces échanges fructueux.
75Les registres de Fort Orange font état d’un vocabulaire similaire, mais nous avons choisi de partir de ceux de La Nouvelle-Amsterdam car nous disposons des originaux en néerlandais.
76NYMA RNA Box 1.2.1 doc.78j-79a, 82a-b, 87a-88d ; trad. RNA, vol. 1, p. 51-61.
77L. Van de Pol, The Burgher and the Whore, op. cit., p. 43-66.
78Anne Hallema, Geschiedenis van het Gevangeniswezen Hoofzakelijk in Nederland, La Haye, Staatsdrukkerij-en uitgeverijbedrijf, 1958, p. 117-186 ; Thornsten Sellin, Pioneering in Penology : The Amsterdam Houses of Correction in Sixteenth and Seventeenth Centuries, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1944 ; L. Van de Pol, The Burgher and the Whore, p. 97-102. Littéralement « maison de filage », la Spinhuis avait ouvert en 1597 et était la maison de correction réservée à celles qu’on considérait comme des filles perdues.
79NYMA RNA Box 1.2.2 doc. 328a ; Box 1.2.3 doc. 401a ; trad. RNA, vol. 3, p. 25-26, vol. 4, p. 3-4.
80‘t Amsterdamsch Hoerdom behelsende de listen en strecken, daar sich de Hoeren en Hoere-wardinnen van dienen ; beneven der selver maniere leven, dwaaze bygeloovigheden en in ‘t algemeen ‘t geen by dese Juffers in gebruyk is, Amsterdam, 1681 ; trad. fr. : Le putanisme d’Amsterdam, Bruxelles, 1883 ; Simon Schama, L’Embarras de richesses. Une interprétation de la culture hollandaise au Siècle d’Or, Paris, Gallimard, 1991, p. 614-635 ; L. Van de Pol, The Burgher and the Whore, op. cit.
81Pieter Spierenburg, Written in Blood: Fatal Attraction in Enlightenment Amsterdam, Columbus, Ohio State University Press, 2004, p. 1-20.
82Diego Venturino, in H. Drévillon et D. Venturino, Penser et vivre l’honneur à l’époque moderne, op. cit., p. 16.
83M. B. Norton, « Gender and Defamation in Seventeenth-Century Maryland », art. cité ; voir également Patricia U. Bonomi, The Lord Cornbury Scandal: The Politics of Reputation in British America, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2000, p. 99-127.
84Disputes consultées dans leur version traduite : A. J. F. Van Laer, Minutes of the Court of Rensselaerswyck, 1648-1652, op. cit. ; Charles T. Gehring (éd.), Fort Orange court minutes, 1652-1660, Syracuse, Syracuse University Press, 1990.
85Danielle Tartakowsky, Histoire de la rue de l’Antiquité à nos jours, Paris, Tallandier, 2022, p. 12.
86A. Jouanna, « Recherches sur la notion d’“honneur” au xvie siècle », p. 621.
87A. J. F. Van Laer, Minutes of the Court of Rensselaerswijck, 1648-1652, p. 52, 115 ; FOCM, p. 175-181, 285.
88FOCM, p. 176-181.
89NYMA RNA Box 1.2.2 doc. 574a-579a ; RNA, vol. 2, p. 102-107.
90Carl Boyer, Ship Passenger Lists, New York/New Jersey (1600-1825), Heritage Books, 2007, p. 98.
91NYSA A1809 vol. 5 doc. 253 ; trad. angl. : CM2, p. 137.
92Susan Dwyer Amussen, An Ordered Society: Gender and Class in Early Modern England, New York, Blackwell, 1988 ; Sara Mendelson et Patricia Crawford, Women in Early Modern England, 1550-1720, Oxford, Clarendon Press, 1998, p. 202-255.
93NYMA RNA Box 1.2.2 doc. 28b, 32c ; trad. RNA, vol. 2, p. 184-185, 186.
94Le sewant, ou wampum, est une des monnaies locales, et consiste en un collier de coquillages confectionnés par les autochtones.
95NYMA RNA Box 1.2.2 doc. 46c ; trad. RNA, vol. 2, p. 200-201.
96NYMA RNA Box 1.2.2 doc. 98b, 100b ; trad. RNA, vol. 2, p. 240, 244.
97NYMA RNA Box 1.2.2 doc. 127a-c ; trad. RNA, vol. 2, p. 275.
98NYSA A1809 vol. 12, doc. 80 ; édité et traduit par Charles T. Gehring (éd.), Correspondence, 1654-1658: Volume XII of the Dutch Colonial Manuscripts, Syracuse, Syracuse University Press, 2003, p. 175.
99NYMA RNA Box 1.2.2 doc. 130c ; trad. RNA, vol. 2, p. 277.
100La cour des bourgmestres et échevins n’est en effet instituée qu’à partir de mars 1653 et avant cela, seuls des conseils ponctuels à partir de la fin des années 1640 permettaient d’entendre des représentants locaux dans la colonie. J. Jacobs, The Colony of New Netherland, op. cit., p. 87-89.
101Norbert Elias, La civilisation des moeurs, Paris, Calmann-Lévy, 1973 ; R. Muchembled, Une Histoire de la Violence, op. cit. ; M. Nassiet, La violence, une histoire sociale, op. cit.
102NYMA RNA Box 1.5.1 doc. 8a ; trad. RNA, vol. 7, p. 146.
103Deborah Hamer, Creating an Orderly Society: The Regulation of Marriage and Sex in the Dutch Atlantic World, 1621-1674, New York, PhD Diss., University of Columbia, 2014, p. 127-128.
104NYMA RNA Box 1.2.1 doc. 52 ; trad. RNA, vol. 1, p. 35-36.
105NYMA RNA Box 1.2.1 doc. 513a ; trad. RNA, vol. 2, p. 40-42.
106NYMA RNA Box 1.2.2 doc. 515d-e ; trad. RNA, vol. 3, p. 148-149.
107Lauren A. Benton, A Search for Sovereignty: Law and Geography in European Empires, 1400-1900, Cambridge, Cambridge University Press, 2010, p. 37-38.

Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les Premiers Irlandais du Nouveau Monde
Une migration atlantique (1618-1705)
Élodie Peyrol-Kleiber
2016
Régimes nationaux d’altérité
États-nations et altérités autochtones en Amérique latine, 1810-1950
Paula López Caballero et Christophe Giudicelli (dir.)
2016
Des luttes indiennes au rêve américain
Migrations de jeunes zapatistes aux États-Unis
Alejandra Aquino Moreschi Joani Hocquenghem (trad.)
2014
Les États-Unis et Cuba au XIXe siècle
Esclavage, abolition et rivalités internationales
Rahma Jerad
2014
Entre jouissance et tabous
Les représentations des relations amoureuses et des sexualités dans les Amériques
Mariannick Guennec (dir.)
2015
Le 11 septembre chilien
Le coup d’État à l'épreuve du temps, 1973-2013
Jimena Paz Obregón Iturra et Jorge R. Muñoz (dir.)
2016
Des Indiens rebelles face à leurs juges
Espagnols et Araucans-Mapuches dans le Chili colonial, fin XVIIe siècle
Jimena Paz Obregón Iturra
2015
Capitales rêvées, capitales abandonnées
Considérations sur la mobilité des capitales dans les Amériques (XVIIe-XXe siècle)
Laurent Vidal (dir.)
2014
L’imprimé dans la construction de la vie politique
Brésil, Europe et Amériques (XVIIIe-XXe siècle)
Eleina de Freitas Dutra et Jean-Yves Mollier (dir.)
2016