Chapitre II. Les mariés de Nouvelle-Néerlande
L’encadrement du mariage, un outil de pouvoir colonial
p. 59-88
Texte intégral
1La coprésence de plusieurs peuples en Nouvelle-Néerlande est-elle une invite à repenser l’importance d’institutions telles que le mariage ? Lorsque les Européens sont confrontés aux populations autochtones, la question de leurs mœurs est centrale dans l’assignation d’une altérité. Si Johannes Megapolensis, premier pasteur en amont de la vallée de l’Hudson, déplore l’absence de mariage chez les Mohawks, Adriaen Van der Donck décrit un régime matrimonial marqué par une forme de fluidité, où hommes et femmes peuvent changer de partenaire à leur gré. Dans les deux cas, c’est à partir du mariage que l’on entreprend de caractériser l’autre. Cette construction de l’altérité ne se limite pas aux rapports avec les populations autochtones. Dans son récit de voyage, David de Vries décrit une expédition en Nouvelle-Angleterre voisine, dans l’actuelle vallée de la Connecticut. De passage à Fort Espérance, il rapporte un « incident comique » :
« Il y avait un jeune homme qui était marié depuis deux mois. Son frère l’accusait à l’église d’avoir forniqué avec la femme avant qu’ils ne se marient ; après quoi, ils furent convoqués tous les deux et fouettés, puis contraints de se séparer l’un de l’autre pour six semaines. Ces gens considèrent qu’ils sont les Israélites et que nous sommes les Égyptiens dans notre colonie, et que les Anglais de Virginie sont aussi des Égyptiens1. »
2Par l’analogie aux Hébreux, peuple élu de l’Ancien Testament, et aux Égyptiens, peuple païen et mécréant, de Vries souligne la façon dont les Anglais jugent à l’aune de la morale chrétienne les mœurs de Nouvelle-Néerlande ; en retour, l’ironie de cette anecdote de transgression sexuelle souligne l’étrangeté de la si puritaine Nouvelle-Angleterre. L’institution du mariage est ainsi un marqueur de civilisation, non seulement face à l’altérité autochtone, mais aussi face à des projets coloniaux concurrents. Une société policée, notamment sur le plan moral, est conçue comme une société où le pouvoir en place exerce un contrôle efficace sur sa population – et est supérieur à ses voisins et concurrents. Le fait colonial passe ainsi par l’importation d’institutions qui vont normer les relations sociales et de genre : l’encadrement du mariage apparaît comme un garant d’autorité et d’ordre social.
3Cela implique l’acceptation de ces normes de comportement par le plus grand nombre et, partant, la compréhension de la conformité ou de la déviance par rapport à celles-ci. En fonction de cela, le mariage est rapidement identifié comme un pivot de l’ordre social et sa régulation est un moyen pour le pouvoir colonial d’imposer, non seulement, un cadre pour la société nouvelle, mais aussi une forme de pouvoir sur les populations administrées et/ou dominées. Prise en charge directement par le conseil colonial, ou délégué à l’Église réformée néerlandaise, la régulation du mariage s’avère avoir un enjeu double. Dans un premier temps, il s’agit pour la WIC d’afficher l’équivalence de la société nouvelle vis-à-vis du vieux monde en termes d’encadrement. Dans un contexte de contact entre différentes cultures, le mariage permettrait également aux Européens d’échapper à ce qu’ils perçoivent comme une forme de sauvagerie, assignée aux populations autochtones, mais aussi d’imposer une culture dominante face à d’autres, minoritaires. Enfin, l’ouverture du mariage aux hommes et femmes d’origine africaine, quel que soit leur statut, aurait pour vocation de les inclure dans le corps social colonial. Dans ce contexte, la régulation matrimoniale apparaît comme partie prenante de l’arsenal de pouvoir mis en place par la WIC. Avec le temps, cependant, une véritable concurrence entre les institutions en présence permet de voir l’émergence et l’affirmation des autorités et de communautés locales : le mariage y opère alors comme un outil social permettant la formation de réseaux communautaires locaux et atlantiques, mais aussi comme un outil de négociation du pouvoir au niveau local.
Diversité, circulations et normes de genre dans la société coloniale
4Quel appareil normatif prévaut en Nouvelle-Néerlande ? Le pouvoir repose sur la WIC et le gouvernement colonial, ainsi que sur l’encadrement religieux assuré par l’Église réformée néerlandaise, la seule autorisée sur le territoire colonial. Dans ce contexte, le poids d’un ancrage normatif modelé sur les Provinces-Unies, qu’il s’agisse du droit ou de la religion, est indéniable.
5Ensemble républicain et composite formé de sept provinces, la république des Provinces-Unies est marquée par l’hégémonie économique, démographique et politique de la Hollande, et plus particulièrement d’Amsterdam2. Cette domination hollandaise s’appuie sur les principales villes portuaires où le pouvoir économique et politique est concentré entre les mains d’une poignée de familles qui forment, dans la deuxième moitié du xviie siècle, la classe des « régents », élite urbaine, souvent d’origine marchande. Le droit romain y est en vigueur : s’il n’existe pas de droit uniforme dans l’ensemble de la république, il y a une interaction entre les ordonnances propres à chaque province et des ordonnances plus locales où le droit coutumier reste influent. Le même fonctionnement existe en Nouvelle-Néerlande, notamment en termes d’encadrement du mariage où le droit est calqué sur celui en vigueur en Hollande et à Amsterdam3.
6Outre le cadre légal, on peut également souligner la circulation d’une culture humaniste européenne qui influence la compréhension des relations entre hommes et femmes. Aux Provinces-Unies, il existe toute une littérature moraliste cherchant à définir l’agencement de ces relations et à cadrer la place des femmes dans la société suivant les étapes de la vie. Cette littérature insiste particulièrement sur des prescriptions comportementales bâties sur un idéal de domesticité et de propreté qui trouve un écho en matière d’éducation en Nouvelle-Néerlande4. Ainsi le Zélandais Jacob Cats, dans son traité sur le mariage, Houwelick, paru en 1625, définit-il la féminité idéale en termes de soumission à un époux, dont le pouvoir viril se manifeste notamment par sa capacité décisionnelle ; cette caractérisation donne à voir, d’emblée, un ordre social bâti sur le genre et sur une hiérarchie entre hommes et femmes5. Quand bien même certaines provisions du droit amstellodamois sont porteuses d’une certaine autonomie économique pour les femmes, leur garantissant de fait une présence publique indéniable, leur rôle en société reste un objet de discussion important aux Provinces-Unies.
7Ces idées moralistes circulent-elles en Nouvelle-Néerlande ? L’inventaire après décès du propriétaire terrien Jonas Bronck, conduit auprès de sa veuve Teuntje Juriaens en 1643, révèle la possession de Bibles en plusieurs langues, dont l’allemand et le danois, d’écrits de Calvin et de Luther, mais aussi de « dix-huit pamphlets imprimés de divers auteurs, néerlandais et danois6 ». En soi, la mention est trop allusive pour affirmer qu’il y ait de la littérature moraliste parmi ces « pamphlets », mais l’hypothèse est permise. Nicolaes Van Wassenaer, dans son Récit historique en 1624, énonce le bien-fondé de l’entreprise coloniale en l’appuyant sur une maxime aristotélicienne citée en latin (« Homo est animal sociabile ») puis sur des exemples de l’antiquité gréco-romaine, s’appuyant pour cela sur l’ouvrage Italia Antiqua de son compatriote Cluverius7. Wassenaer, lui-même toujours resté sur le sol européen, s’est-il appuyé sur des comparaisons faites par des observateurs de première main ? D’autres colons mobilisent des références antiques ou bibliques pour chroniquer les premiers contacts avec les populations autochtones, les comportements jugés déviants de leurs congénères ou les événements marquants de la vie à la colonie – nous l’avons vu avec la guerre de Kieft associée par David de Vries à une perversion de l’honneur « romain ». Par ailleurs, Johannes Megapolensis, premier pasteur réformé à officier en amont de la vallée de l’Hudson, compare la prononciation de la langue mohawk au grec ancien8. Ce bagage humaniste chrétien peut ainsi avoir eu une incidence sur la conception des bonnes mœurs, non seulement des autochtones (Megapolensis compare, à plusieurs reprises, les Mohawks à des « diables9 »), mais aussi des colons.
8Du reste, dans les années 1620 et 1630, les premières descriptions de la vie sociale à la colonie insistent sur les mœurs dissolues des habitants, au fil du temps, un autre récit s’impose : celui d’une société où la règle doit primer. En 1661, l’auteur Jacob Steendam, considéré à partir du xixe siècle comme le « premier poète de Nouvelle-Néerlande », compose des vers vantant les mérites de la colonie. Il écrit ainsi : « Ce n’est pas l’Utopie, elle repose sur des lois ancrées/Qui, pour la liberté doivent établir une Règle fixe10. » À la même période, Henricus Selijns, pasteur à Breukelen à partir de 1660, compose le poème allégorique Bruydloft Toorts (la « torche matrimoniale »), à l’occasion du mariage entre Aegidius Luyck, le précepteur des enfants de Stuyvesant, et Judith Van Isendoorn. Il y confronte les horreurs des affrontements de 1663 entre les colons et le peuple Esopus11 à une image harmonieuse de répit assuré par la paix et la prospérité que procurerait un mariage bien agencé. Outre les circonstances matrimoniales associées à la composition du poème, on retrouve là une dichotomie classique sur les effets des bon et mauvais gouvernements. Le mariage y est érigé en pivot d’un bon gouvernement et d’une société bien agencée12.
9Cette exaltation de l’ordre est à mettre en dialogue avec la diversité de la société coloniale. Outre un ancrage hollandais indéniable, la Nouvelle-Néerlande est un creuset, ce qui contribue à confronter différentes conceptions des rôles de genre, et de ce qui fait norme ou transgression. Si l’élite amstellodamoise domine la WIC et préside à l’établissement d’un droit calqué sur celui de la Hollande, celles et ceux qui forment la société de Nouvelle-Néerlande ne viennent pas que de Hollande, tant s’en faut. Les premiers colons envoyés outre-Atlantique sont ainsi des réfugiés wallons ; il faut y ajouter, pour la population d’origine européenne, des foyers migratoires venus de France ou de l’Empire, mais aussi de Scandinavie, d’Angleterre et d’Irlande. Même au sein de la population venue des Provinces-Unies, beaucoup sont originaires de provinces moins urbanisées, notamment la Gueldre et la Groningue, où l’architecture sociale est différente de celle de Hollande – et où, entre autres, la noblesse continue de jouer un rôle important13.
10Le tout conduit à une mixité sociale et culturelle marquée, allant des riches propriétaires terriens et patroons aux engagés servant la WIC ou les plus riches familles. Il résulte de ces dynamiques migratoires une distribution sociale déséquilibrée par rapport aux sociétés de départ. Les personnes traversant l’Atlantique sont ainsi des agents au service de marchands plus importants restés en Europe, des marins, des employés de la WIC, soldats ou agriculteurs, et les femmes viennent en tant qu’épouses et filles, ou en tant qu’engagées – plus rarement comme agentes, comme ce fut le cas pour Margaret Hardenbroeck, devenue par la suite marchande14. Dans ce contexte, la formation de la société coloniale est l’occasion d’une redistribution sociale, alors que certaines familles s’affirment et acquièrent un statut social qu’elles n’avaient pas en Europe.
11Aux origines européennes variées s’ajoute enfin la diversité religieuse des habitants de la colonie. Luthériens, quakers et juifs sont présents dès les premières années d’existence de la colonie, parfois au grand dam des administrateurs coloniaux – l’hostilité de Stuyvesant et de Megapolensis à la venue de colons juifs échappés de la Nouvelle-Hollande déchue, en 1654, en témoigne15. Alors que le Pernambouc est repris par les Portugais en janvier 1654, ce sont en effet près de 150 familles séfarades qui fuient la colonie en direction des Antilles ou d’Amsterdam. Une partie d’entre eux, au nombre de 23, après de multiples péripéties dans la Caraïbe, arrive à La Nouvelle-Amsterdam à bord du St. Catrina en septembre 1654 pour être immédiatement poursuivis par le capitaine du navire, en raison de leur insolvabilité. Il s’ensuit un échange épistolaire tendu entre Stuyvesant, la WIC à Amsterdam, et les parnasim de la communauté séfarade d’Amsterdam. In fine la Compagnie autorise la présence juive dans la colonie en avril 1655, au corps défendant de son directeur général et de ses autorités religieuses. Si Stuyvesant manifeste son hostilité vis-à-vis de ceux qu’il désigne comme une « race trompeuse », il la connecte plus généralement à son hostilité vis-à-vis de la diversité religieuse : « Nous ne pourrons pas refuser les luthériens ni les papistes16. » Concernant les luthériens, en effet, s’ils s’accommodent des autorités ecclésiastiques en présence, ils font, à de multiples reprises, la demande d’un clergé propre : en 1654, Stuyvesant réitère son refus et est soutenu dans sa décision par la WIC17. En effet, la diversité religieuse n’est tolérée que dans une certaine mesure : si la coexistence entre plusieurs confessions chrétiennes est acceptée, la WIC n’autorise qu’une seule Église officielle, l’Église réformée hollandaise, qui joue ainsi un rôle de religion civile dans l’espace public18.
12En 1657, 12 quakers venus d’Angleterre s’installent parmi la population anglophone de Long Island. Dans ce groupe, deux femmes se rendent à La Nouvelle-Amsterdam et y prêchent en pleine rue. Pour les quakers, les femmes seraient considérées comme autant capables que les hommes de renaissance spirituelle, et donc tout autant habilitées à prêcher – une position défendue notamment par la prédicatrice Margaret Fell dans les années 166019. Ainsi, sur les 59 premiers prêcheurs venus en Amérique entre 1656 et 1653, 26 sont des femmes. Cela ressortirait à une conception plus profonde encore de la compréhension des hiérarchies de genre dans la doctrine quaker et son interprétation des textes bibliques – une compréhension critiquée déjà en Europe, où l’un des arguments contre cette dissidence religieuse réside dans les prêches féminins. Ceux-ci sont volontiers tournés en dérision en décrivant des femmes nues prêchant dans les églises, dans une inversion totale des codes moraux associant féminité et pudeur20.
13À La Nouvelle-Amsterdam, lorsque les deux quakeresses sont arrêtées, la réaction de Johannes Megapolensis, devenu pasteur de la capitale coloniale, témoigne de la commotion provoquée par ces prêches féminins.
« Nous avons récemment été troublés par [des quakers] […] Ils sont repartis en Nouvelle-Angleterre, ou plus spécifiquement, dans le Rhode Island, un lieu d’erreuristes [sic] et de fanatiques. Les Anglais eux-mêmes le qualifient de pot de chambre de la Nouvelle-Angleterre. Ils en ont laissé plusieurs derrière eux, qui ont travaillé à créer excitation et tumulte au sein du peuple – notamment deux femmes, l’une d’environ 20 ans, l’autre d’environ 28 ans. Elles étaient particulièrement outrageuses. Après examen, elles furent mises en prison, puis renvoyées21. »
14La mention des deux femmes et de leur âge ajoute au sentiment de défiance de l’autorité ecclésiastique, masculine et patriarcale, et la réponse à l’offense est à la mesure de sa gravité, puisque les deux femmes sont bannies. On peut voir là une instrumentalisation du prêche féminin pour discréditer la dissidence religieuse et renforcer l’impression de fanatisme.
15Dans quelle mesure cette diversité affecte-t-elle les attentes et les rapports de genre ? Si le droit est le même sur l’ensemble du territoire, les usages et interprétations qui en sont faits varient en fonction des populations en présence, de leur bagage culturel et religieux, et de leurs pratiques. La venue de colons ayant des pratiques différentes de celles prescrites par les autorités coloniales peut sembler être un affront à l’ordre que celles-ci cherchent à établir, comme en témoigne la réaction de Megapolensis face aux quakeresses. Enfin, la diversité de cette population est accentuée par les migrations et mobilités précédemment évoquées. Au fil du temps, on observe un décalage croissant entre une population de plus en plus ancrée sur le territoire colonial et qui aspire à faire société, d’une part, ce dont témoignent les écrits de Selijns ou de Steendam, et, d’autre part, une population de passage, faite de soldats, de marins, de marchands en circulation dans le monde atlantique, mais aussi d’engagées et d’engagés, issus la plupart du temps de milieux populaires et dont la présence sur le sol néo-néerlandais est bien souvent éphémère. Ce décalage et ces circulations contribuent à travailler les rapports sociaux et de genre, ce que les autorités coloniales entreprennent de réguler. Dans ce contexte, l’encadrement du mariage, cette « règle fixe », pour reprendre les mots de Selijns, garantit la stabilité de la société nouvelle.
Bâtir une société nouvelle : la régulation des pratiques matrimoniales
16Comme en témoigne la Torche matrimoniale, l’encadrement du mariage apparaît comme un outil important de structuration de l’ordre colonial pour les autorités. La WIC en détermine les modalités à partir d’un droit calqué sur les ordonnances préexistantes aux Provinces-Unies ; si le mariage, dans une société calviniste, est un contrat civil et non un sacrement, les pasteurs de l’Église réformée s’imposent rapidement comme des agents centraux dans la régulation des unions, aux côtés des représentants de la WIC. Pour le pouvoir colonial, la régulation du mariage vise, dans un premier temps, à faire de la Nouvelle-Néerlande un corps social dans le prolongement de celui qui existe aux Provinces-Unies, par le respect du droit. Plusieurs difficultés sont cependant à prendre en compte, liées non seulement à la distance par rapport aux Provinces-Unies et au centre de pouvoir que constitue la Chambre d’Amsterdam de la WIC, mais aussi, dans les premières années d’existence de la colonie, à la fragilité de l’encadrement institutionnel et ecclésiastique. Les cas de mariages litigieux et la façon dont ils sont sanctionnés par les autorités coloniales, révèlent une évolution, entre les années 1630 et les années 1660, vers une plus grande formalisation des pratiques matrimoniales. L’attention portée par le pouvoir au respect du droit change de nature.
L’encadrement du mariage en situation coloniale
17Au début de la période, la Nouvelle-Néerlande est principalement un avant-poste marchand centré autour de l’axe allant de La Nouvelle-Amsterdam à Fort Orange, et gouverné par les représentants de la WIC. Les unions sont alors célébrées directement par ces derniers – les plus anciennes étant, à vrai dire, célébrées juste avant l’arrivée sur le sol colonial, lorsque quatre couples sont « mariés en mer » à bord de l’Eendracht, d’après le témoignage fourni par Catlina Trico en 1688, probablement par le capitaine du navire, Arien Jorisen22. À la colonie, les mariages sont célébrés par les autorités civiles en place – le conseil colonial à Fort Amsterdam, puis les représentants locaux à mesure que les charges sont créées et que cette autorité est déléguée. Le premier mariage civil recensé dans les archives du Conseil colonial est ainsi celui des nommés Tomas de Coninc et Marritje Frans, le 22 septembre 1639 – auquel on peut ajouter un premier contrat de mariage entre Jan Jacobsen et Marritje Pieters, enregistré par le secrétaire colonial le 15 août de la même année23.
18La législation de la WIC à l’égard du mariage est, comme l’ensemble du droit appliqué à la colonie, calquée sur le modèle néerlandais. Si le droit romain est en vigueur aux Provinces-Unies, il s’agit en général de la combinaison et de l’interaction entre les ordonnances propres à chaque province, articulées à une influence persistante du droit coutumier et, pour les villes les plus importantes, à des ordonnances urbaines. La WIC fonctionne comme une province influencée dans sa législation sur le mariage par les Ordonnances politiques des États de Hollande du 1er avril 1580 et de Zélande, datée du 8 février 1583. Il faut y ajouter l’influence de la jurisprudence amstellodamoise, notamment d’une ordonnance sur le mariage émise en 1586, bien plus stricte que les ordonnances provinciales dans la prévention des crimes matrimoniaux24. Les prescriptions rejoignent largement celles que l’on trouve ailleurs en Europe : pour être autorisés à convoler, les époux doivent avoir un minimum de 12 ans pour les femmes, 14 ans pour les hommes, être sains de corps et d’esprit, ne pas être déjà mariés, ne pas excéder un certain degré de consanguinité et ne pas avoir commis d’adultère ensemble. Les fiançailles ont valeur d’engagement irrévocable et ne peuvent être rompues sans cause impérieuse. Par ailleurs, le consentement parental ainsi que la publication de bans pendant trois semaines successives sont requis, notamment pour les mineurs de 20 ans pour les femmes, 25 ans pour les hommes. Notons enfin que l’Ordonnance politique rend le mariage devant un magistrat civil obligatoire, tandis que le passage devant un représentant religieux n’est qu’optionnel25.
19En situation coloniale, faire respecter les provisions du droit sur le mariage était compliqué par l’éloignement vis-à-vis d’Amsterdam, siège de la WIC, et par la diversité de la population. Les prescriptions légales susmentionnées sont relayées par les administrateurs – parfois non sans difficultés. En avril 1648, dans le village anglais de New Flushing (ou Vlissingen), Thomas Newton, veuf de Dorothy Newton, demande la main de June, fille de Richard Smith, par l’entremise du bailli provisoire de Vlissingen, Willem Harck. Faisant fi du refus paternel de marier sa fille à Newton, le bailli prend la responsabilité de les faire convoler « par un genre de mariage jamais entendu jusqu’alors, dans sa maison, sans garantie d’aucune sorte, proclamation légale ou formalité matrimoniale26 », leur fournissant au passage un lit pour consommer immédiatement l’union. Cette initiative renvoie à l’idée, courante à l’époque, qu’un mariage pouvait être considéré comme effectif si deux personnes fiancées consommaient leur union27. Richard Smith porte plainte auprès de Stuyvesant, déplorant son autorité paternelle bafouée, Harck ayant rassuré les jeunes mariés en leur disant que Richard Smith, en dépit de son non-consentement, aurait un mot de réconfort et s’en remettrait au choix de sa fille28. Il en va donc de l’ordre social, Harck contrevenant sciemment à l’autorité du pater familias. D’autre part, le mariage a été administré par un officier provisoire dans un domicile privé, sans respect pour les usages officiellement reconnus par les pouvoirs civils européens, comme la publication des bans, « sans la moindre proclamation ou consentement spécial des autorités29 ». Il en va donc également d’une offense aux autorités et institutions politiques. Le Conseil colonial, dans son arrêt, rappelle être garant de l’autorité paternelle, et « que les enfants (ou les filles) d’honnêtes gens soient mariés contre la volonté et le consentement de leurs parents par des personnes non autorisées et non habilitées pourrait causer grande honte et porter préjudice à une famille entière30 ». Il déplore surtout que la fonction de bailli ait été dévoyée par Harck, ce qui « ne peut être souffert dans une cité civilisée où la loi et la justice sont administrées31 ».
20Par conséquent, alors que les autorités coloniales se montrent clémentes envers les époux fautifs en invitant Richard Smith à autoriser le mariage, l’officier, représentant d’un droit qu’il n’a pas fait respecter, est condamné à une amende de 600 florins, somme considérable pour l’époque et le lieu, avec emprisonnement jusqu’au règlement de la dette32. Le mariage est annulé le 3 avril, dans le but d’être célébré à nouveau quelques jours plus tard avec le consentement du père, préservant aussi bien l’autorité de ce dernier que l’honneur de sa fille. La sévérité de la sentence infligée au bailli fautif permet de mesurer la gravité de l’offense aux institutions coloniales et à leur autorité : Stuyvesant prend cette affaire comme un affront porté à son pouvoir, tant pour la façon dont le droit est contourné que parce que ce droit est contourné par un représentant (même provisoire) de la WIC.
21La double issue de ce litige permet de voir la façon dont le conseil maintient un équilibre ténu entre la préservation de l’honorabilité des colons et une affirmation de pouvoir visant à le positionner en équivalence avec les institutions européennes, une « cité civilisée », en dépit d’un encadrement défaillant.
22Ce litige reflète assez clairement les impasses d’un flou institutionnel mais aussi la volonté du pouvoir colonial de mettre un terme à cet état de fait. Stuyvesant présente sa réponse comme « un exemple pour les autres, afin de prévenir tout autre méfait avec de telles pratiques nuptiales33 ». En effet, si le consentement paternel peut être contourné, en cas extrême, en recourant directement au pouvoir colonial, ce dernier fait figure d’autorité suprême. À travers le mariage, ce sont le droit et les normes sociales imposées par la WIC qui sont en jeu ; à travers ces normes et la volonté de les faire respecter se manifeste un désir d’organiser socialement la colonie.
23Cela passe par un contrôle des institutions habilitées à sceller des mariages. Outre les représentants de la WIC, l’Église réformée néerlandaise est la seule officiellement reconnue sur le territoire colonial. Si la présence d’autres confessions religieuses est attestée dès la période néerlandaise, celles-ci sont, au mieux, tolérées par le gouvernement colonial mais ne sont pas habilitées à avoir leur Église – et donc à célébrer des unions. Par conséquent, les seules options sont de s’accommoder d’un mariage auprès des autorités civiles ou des pasteurs réformés, une interdiction que l’on retrouve d’ailleurs dans d’autres parties de l’Atlantique néerlandais : Deborah Hamer relève ainsi une interdiction similaire à l’égard des catholiques au Brésil hollandais, interdiction qui dénote un rapport de domination vis-à-vis de ceux-ci34.
24Outre la célébration des mariages, WIC et autorités ecclésiastiques veillent également à au respect de l’institution, ce qui en fait un outil de contrôle social. Dans un rapport à la WIC en septembre 1648, le consistoire d’Amsterdam exprime ainsi ses inquiétudes quant à la situation morale de la colonie, préconisant d’interdire le départ de couples dont le mariage n’est pas absolument attesté, craignant sans doute que la distance ne favorise l’entretien d’unions illicites35. Ce n’est pas le seul problème associé à la distance avec l’Europe. Attendre un consentement parental venu d’Amsterdam peut nécessiter plusieurs mois, un délai problématique quand il s’agit de préserver la vertu de jeunes fiancés. Le consentement familial n’est pas le seul paramètre soumis à la distance. Ainsi, l’autorisation de mariage accordée le 18 juillet 1647 au huguenot Jean de la Montagne et à Agneta Gillis ten Waert témoigne des contretemps générés par la situation coloniale. La mariée étant veuve, l’autorisation de mariage est soumise non seulement au délai réglementaire de veuvage, l’annus luctus, mais en outre à l’incertitude sur la mort en mer du précédent époux. Une enquête est ainsi menée pour s’assurer de ce fait. Le nouveau couple doit également faire une déclaration sous serment, afin d’obtenir l’autorisation de convoler36. En plus d’allonger les délais de circulation des informations, la distance facilite les situations de marge, comme en témoigne la requête de John Hickes, pour obtenir un divorce. Hickes invoque, pour justifier sa demande, la désertion de son épouse, mais aussi le remariage de cette dernière. Cette situation de bigamie de la part de l’épouse Hickes donne gain de cause au plaignant, quand bien même les divorces sont très rarement accordés. En outre, cela permet de voir comment la distance a pu faciliter un contournement des provisions du droit – une séparation, une nouvelle vie non sanctionnée par le mariage – et comment les acteurs sociaux pouvaient en jouer pour imposer de fait une décision qui n’aurait pas forcément été validée par les autorités37.
25Ce précédent cas n’empêche pas une attitude en général restrictive des administrateurs coloniaux à l’égard des dissolutions de mariage, ce qui témoigne de l’attachement à cette institution comme garante d’ordre social. Si des dissolutions sont légalement possibles, la façon dont les autorités coloniales traitent les mariages dysfonctionnels va dans le sens d’un maintien du lien marital à tout prix, au nom du bon agencement de la société. Seuls trois cas de divorce ont ainsi été recensés pour la période néerlandaise, dont celui de Hickes, à chaque fois pour motif de bigamie ou d’adultère ; l’historiographie a ainsi insisté sur l’influence de l’Église réformée dans le maintien de ces unions dysfonctionnelles38. Nous avançons qu’il en va également d’une exigence de maintien de l’ordre social. En témoigne l’union malheureuse entre les marchands néo-amstellodamois Nicolaes Boot et Maria Joris. La mésentente du couple ainsi que les écarts de boisson de cette dernière sont un objet de discussion et de moquerie notoires à La Nouvelle-Amsterdam. En février 1658, Boot se plaint du comportement de sa femme auprès de Paulus Leendertsen Van der Grift, un des deux bourgmestres de la ville. Si la plainte semble partir d’un échange privé, Van der Grift en fait une affaire publique et incite Boot à saisir les magistrats et à leur demander de « la réprimander pour sa vie irrégulière et, si elle ne s’amende pas, qu’ils les séparent l’un de l’autre39 ». Deux mois plus tard, c’est Joris qui formule la même demande mais la requête reste sans suite et est condamnée à une amende de 12 florins pour refus de coopérer avec les magistrats40.
26Cinq ans plus tard, Maria Joris est à nouveau poursuivie pour ivresse et violences sur la voie publique et son époux saisit l’opportunité pour demander à nouveau une séparation de corps et de biens : la cour estime que la mésentente ne constitue « pas de raison suffisante pour séparer les parties » et insiste pour un maintien du mariage en bonne intelligence41. Dans cette configuration, Boot se voit confier la responsabilité de canaliser les écarts de son épouse : le mariage serait alors un garant d’ordre social et l’époux est responsable de l’attitude déviante de sa femme en tant qu’il a autorité sur elle. Cette requête n’est pas bien éloignée de celle formulée en décembre 1659 par Nicasius de Sille, bailli de la ville. Marié avec Catrina Croegers (ou Crougers dans certains documents42) depuis 1655, il demande « un divorce et une séparation ». Il ne motive pas sa demande par la seule conduite dissolue de Croegers, dont l’alcoolisme est, ici aussi, source de scandale dans la ville : il la soupçonne de « gaspiller ses possessions à son insu » – la demande relève donc également d’un souci de préservation de son patrimoine. Les magistrats, plutôt que d’offrir un refus immédiat, font remonter la requête à Stuyvesant directement « par égard pour la qualité du pétitionnaire43 ». Néanmoins sans succès car in fine, Nicasius de Sille n’obtient une séparation de corps et de biens qu’en 1670, après le changement de souveraineté. Dans les deux cas, il s’agit d’une union dysfonctionnelle ; dans les deux cas, l’ivrognerie de l’épouse est citée comme motif de séparation ; dans les deux cas, les magistrats concluent à une injonction à une meilleure entente supposant la responsabilité du mari vis-à-vis du comportement de son épouse. La préservation du mariage apparaît ainsi, pour le gouvernement colonial, comme une protection de l’ordre social, y compris en ce qu’il permet la mise sous tutelle de femmes jugées déviantes.
27Pour la WIC et son directeur général en Nouvelle-Néerlande, le mariage apparaît donc comme un outil de pouvoir en situation coloniale. Le mariage est certes un marqueur de « civilisation » face à des populations, décrites comme « sauvages », où le mariage civil n’existe pas. Mais par ailleurs, la régulation des unions délictueuses permet de voir l’insistance de la WIC sur cette institution comme garante des bonnes mœurs, comme permettant une continuité entre l’ancien et le nouveau monde. Pour ce faire, l’appui sur l’Église réformée contribue à garantir l’encadrement moral et religieux de la colonie, un encadrement qui se structure au fil du temps.
Un quadrillage fragile du territoire : le cas des registres de mariage de l’Église réformée
28Bien que le mariage ne fût pas un sacrement en territoire calviniste, les directeurs s’en remettent aux ministres de l’Église réformée, présents précocement sur le terrain. La première congrégation religieuse est ouverte à La Nouvelle-Amsterdam dès 1626 et confiée à Jonas Michaëlius à partir de 162844. Le clergé dépend du consistoire d’Amsterdam et, par ce biais, du synode de Dordrecht et de son comité spécialisé dans les affaires coloniales, créé en 163845. Outre les ministres du culte, dans un premier temps en nombre insuffisant, l’encadrement ecclésiastique repose également sur des membres subalternes du clergé, comme les « siecken troosters » (ziekentroosters dans l’orthographe actuelle) des sortes d’aumôniers sans éducation théologique approfondie, mais habilités à administrer les prières matinales et vespérales de la congrégation dans laquelle ils officient46.
29La couverture ecclésiastique du territoire colonial reste ainsi inégale : il faut attendre 1642 pour qu’une deuxième congrégation soit créée à Rensselaerswijck et confiée à Johannes Megapolensis. Les congrégations suivantes sont créées à partir de 1654 au sud de Long Island puis à Wiltwijck, dans la vallée de l’Hudson (tableau 4). À partir de 1660, la communauté de Harlem pétitionne Stuyvesant pour la création d’une congrégation et la venue d’un pasteur. Hors de La Nouvelle-Amsterdam, l’organisation d’une vie ecclésiastique procède par étapes47.
Tableau 4. – Chronologie des prises de fonction et départs des ministres du culte réformé en Nouvelle-Néerlande.
1628-1633 | J. Michaëlius | |||
1633-1642 | E. Bogardus | |||
1642-1647 | J. Megapolensis | |||
1647-1649 | J. Backerus | |||
1649-1652 | J. Megapolensis | G. Schaets | ||
1652-1656 | J. Megapolensis S.Drisius | |||
1656-1660 | J. Th. Polhemus | |||
1660-1664 | J. Th. Polhemus H. Selijns | H. Blom | ||
La Nouvelle-Amsterdam | Rensselaerswijck/Fort Orange/Beverwijck | Breukelen/Midwout/ Amersfoort | Wiltwijck |
Sources : Samuel S. Purple, Records of the Reformed Dutch Church in New Amsterdam and New York, New York, Printed for the Society, 1890 ; Hugh Hastings et James A. Holden, Ecclesiastical Records, State of New York, Albany, J. B. Lyon, 1901.
30Les registres de l’Église réformée à La Nouvelle-Amsterdam constituent un bon marqueur pour mesurer la fragilité de l’encadrement des mariages au cours de la période néerlandaise. Les premières intentions de mariage recensées remontent au 11 décembre 163948. En tout, 451 mariages sont enregistrés entre cette date et le 27 décembre 1664, on observe une tendance globale à l’accroissement du nombre d’unions, qui fait écho à l’accroissement démographique de la colonie. Il y a néanmoins plusieurs ruptures et irrégularités (graphique 1).
Graphique 1. – Nombre annuel de mariages dans les registres de l’Église réformée néerlandaise (1639-1664).

Source : S. S. Purple, Records of the Reformed Dutch Church, p. 10-30.
31La croissance du nombre de mariages semble régulière jusqu’en 1642, après quoi un premier creux correspond aux guerres indiennes de Willem Kieft, en 1643-1645. Par la suite, le nombre de mariage reste irrégulier d’année en année et semble soumis à une conjoncture fragile. D’autres baisses significatives du nombre d’unions surviennent en 1648, en 1651, dans une moindre mesure en 1653-1654, en 1657-1658 et en 1661. En croisant ces données avec la liste des ministres du culte présents à la colonie et leurs dates de prises de fonctions (tableau 4), on peut observer que les creux suivis de pics importants correspondent à des crises d’encadrement religieux : le départ d’un ministre suivi de l’arrivée de son successeur.
32Par exemple, 1648 correspond à l’année lors de laquelle le pasteur Bogardus repart aux Provinces-Unies et se noie lors du naufrage du Princes. Après sa mort, Megapolensis est toujours présent à Fort Orange, et Johannes Backerus est envoyé de Curaçao pour suppléer à Bogardus à La Nouvelle-Amsterdam. Peu de temps après son arrivée, il décide, après en avoir informé le consistoire d’Amsterdam, de quitter la colonie, une décision qui coïncide avec la fin du contrat de Megapolensis. Ce n’est qu’en 1649 que ce dernier accepte de prendre en main la congrégation de La Nouvelle-Amsterdam49. Ce moment de latence permet de comprendre, au moins en partie, le moindre nombre d’unions enregistrées à La Nouvelle-Amsterdam en 1649 et donc une couverture religieuse inégale de la colonie, dans l’espace et dans le temps. En 1651, les trois mariages célébrés le sont en décembre, à la fin de l’année, si bien qu’aucune union n’a été formalisée par l’Église entre décembre 1650 et décembre 1651, une date qui correspond à une autre crise ecclésastique : le successeur de Megapolensis à Rensselaerswijck, Wilhelmus Grasmeer, est en effet accusé par sa congrégation d’origine d’avoir déserté son épouse, à Alkmaar en Hollande-Septentrionale, et démis de ses fonctions. Megapolensis se retrouve ainsi seul à devoir administrer l’ensemble de la colonie50. En 1652, il obtient alors du consistoire l’envoi d’un assistant, Samuel Drisius. Si, en début de période, l’encadrement religieux de la colonie reste fragile, tenant à un seul ou deux pasteurs, à partir des années 1650, cet encadrement de la colonie se resserre avec la formation de nouvelles congrégations sur Long Island et le long de l’Hudson à Breukelen, en 1654, d’abord sous la juridiction de Johann Theodorus Polhemus, puis avec le concours de Henricus Selijns à partir de 1660, ainsi qu’à Wiltwijck avec la venue de Hermanus Blom. Ces éléments témoignent, en plus de la croissance de la population sédentaire de la colonie, d’une demande de la part des habitants et des ministres de la colonie dans le sens d’une meilleure couverture du territoire, demande satisfaite dans la première moitié des années 165051.
33Ainsi, même si une présence religieuse est attestée dès les débuts de la formation coloniale, et si les ziekentroosters pouvaient être habilités à célébrer des unions en l’absence de pasteurs, il semblerait néanmoins que cette absence ait eu un effet sur le nombre d’unions célébrées. Les pics et creux matrimoniaux correspondent à l’adjonction d’un nouveau ministre du culte, puis à la formation de nouvelles congrégations52. Si le mariage religieux n’est pas nécessaire, les pasteurs réformés jouent néanmoins un rôle déterminant dans l’encadrement des populations, et le mariage est un des rouages de cet encadrement, qui se consolide au fil du temps. Assez révélateur de l’outil de contrôle que peut représenter le mariage, celui-ci est d’emblée rendu accessible aux populations noires, quel que soit leur statut.
L’ouverture du mariage aux esclaves : fluidité ou contrôle ?
34On a vu l’introduction précoce de captifs africains réduits en esclavage en Nouvelle-Néerlande. Dans leur majorité, ils sont mis au service de la Compagnie des Indes pour laquelle ils font des travaux de construction des infrastructures – ils participent ainsi à la construction de Fort Amsterdam, mais aussi de la première palissade au milieu des années 1640. Ils sont également mis au travail agricole de ravitaillement, pour la colonie et pour l’exportation dans l’Atlantique néerlandais. Les esclaves peuvent enfin être recrutés pour servir dans la milice, notamment lors des guerres contre les populations autochtones53. Logés à l’écart dans un premier temps, ils sont dotés d’une résidence rudimentaire à La Nouvelle-Amsterdam, le Slijcksteeg. L’octroi de cette résidence en ville pour les esclaves de la WIC témoigne d’une volonté de les inclure dans la communauté et de faciliter leur accès au service religieux54. À partir de 1643, Willem Kieft octroie des terres au nord de La Nouvelle-Amsterdam aux soldats noirs, afin, possiblement, de constituer un glacis protecteur au-delà du mur55. Un an plus tard, en 1644, 11 de ceux-ci demandent leur liberté et obtiennent une forme de semi-affranchissement : la liberté octroyée est conditionnée au maintien de travaux à effectuer pour la WIC, à quoi il faut ajouter que les enfants nés de ces anciens esclaves sont voués à naître dans la servitude, et donc à accroître la population servile de la colonie56. Outre le recours au travail servile, donc, on constate une double logique d’intégration et de mise sous tutelle de ces captifs africains. La politique matrimoniale à leur égard participe de cette logique.
35Un élément frappant en Nouvelle-Néerlande réside en effet dans la constitution précoce de familles noires sanctionnées par le mariage, donc autorisées voire encouragées par le pouvoir colonial57. On recense au total vingt-cinq mariages impliquant des Africains et Afro-descendants entre 1641 et 1664 dans les archives de l’Église réformée58. Ceux-ci sont identifiables par la précision de leur origine (graphique 2) et/ou la mention « neger » dans la dénomination.
Graphique 2. – Origines déclarées des Africains ou Afro-descendants mariés par l’Église réformée entre 1641 et 1664.

Source : S. S. Purple, Records of the Dutch Reformed Church, p. 10-30.
36Les premiers mariages ont lieu dès 1641, alors que les premiers affranchissements ne prennent effet qu’à partir de 1644. Être réduit en esclavage n’empêchait donc pas de se marier, sous réserve d’avoir l’accord de son maître et de voir cette union reconnue par les autorités ecclésiastiques et administratives de la colonie.
37Si le statut d’esclave ou de libre n’est quasiment jamais mentionné (une seule occurrence), cela n’empêche pas une démarche de différenciation dans les registres. Celle-ci passe par la mention de l’origine africaine ou associée : 23 des conjoints et conjointes sont désignés comme venant de la côte d’Angole – une région correspondant à la côte de l’Afrique au sud de l’embouchure du Congo, autour du comptoir de Luanda, et dont les Néerlandais avaient pris le contrôle entre 1630 et 1650. D’autres origines sont recensées, incluant le Cap-Vert (« Capoverde »), le Congo (« Chongo ») et les Antilles, soit par la précision de l’île d’origine, soit par la mention de la créolité (« Crioell » et « Criolyo »). Si, en soi, la mention des origines géographiques est classique dans les registres de mariage, dans le cas de ces entrées, cette mention en vient à jouer un rôle patronymique et à distinguer cette population du reste des colons mariés par l’Église réformée. En l’absence de l’évocation des origines, la différenciation passe par la mention « neger » ou « negerinne », citée à 23 reprises, à mi-chemin entre la couleur de peau, le patronyme et le statut, mention qui devient quasi-systématique après 1648, lorsque Megapolensis remplace Bogardus à La Nouvelle-Amsterdam – ce qui pourrait dénoter une politique différente des deux pasteurs à l’égard de cette différenciation.
38Il ressort ainsi que la Compagnie et l’Église ne conçoivent pas la fondation d’une famille comme incompatible avec l’institution esclavagiste. Le seul cas où le nom du maître est mentionné est celui, le 4 octobre 1659, de l’union entre Franciscus et Catharina, tous deux au service de Cornelis de Potter – ce qui indique la formation d’un lien matrimonial au sein d’une même maisonnée. Quant aux autres, si le propriétaire n’est pas explicitement mentionné, il s’agit souvent d’esclaves de la WIC, signe que celle-ci ne freinait pas ces unions59. La constitution d’un lien matrimonial ou intime, sanctionné par le mariage ou non, n’était donc pas vue avec défiance par ces propriétaires. Dès 1644, la pétition pour affranchissement du 25 février repose en partie sur la situation familiale des esclaves qui en font la demande :
« Ils ont tant d’enfants que, s’ils restent au service de la Compagnie, il leur sera impossible d’entretenir leurs épouses et leurs enfants comme ils en ont l’habitude60. »
39L’exigence d’entretien d’une famille est présentée comme primant sur le travail fourni pour la WIC ; la compagnie reconnaît cet état de fait en affranchissant les esclaves ainsi que leurs épouses. L’affranchissement s’appuie donc sur le développement pour les esclaves d’une vie matrimoniale et familiale sanctionnée par le pouvoir et compatible avec l’institution esclavagiste. Outre le fait que les enfants nés de ces unions peuvent à leur tour contribuer à accroître la population servile de la colonie, il y a, pour la WIC, un enjeu de stabilisation de la société coloniale par le cadre familial. Les premiers esclaves de la WIC étaient arrivés, pour certains, déjà mariés et, en parallèle du travail forcé effectué pour la Compagnie, ils pouvaient entretenir une activité de commerce ou d’agriculture et étaient autorisés, non seulement à vivre en famille, mais également à maintenir cette structure familiale en cas de revente. Il existe en outre plusieurs occurrences de vente d’esclaves où le nouveau propriétaire est invité à préserver des liens matrimoniaux existant entre des esclaves, par l’achat du conjoint ou par l’octroi d’un droit de visite. Jeremias Van Rensselaer, propriétaire terrien du nord de la vallée de l’Hudson évoque ainsi la façon dont, après avoir racheté un esclave de la WIC, il lui a été demandé par Stuyvesant, alors directeur général, d’acheter également l’épouse de cet esclave. Van Rensselaer précise que Stuyvesant les a mariés après l’achat de l’esclave homme – ce qui pourrait suggérer que le directeur général ait veillé activement à préserver un lien intime préexistant en le stabilisant par le mariage afin d’encourager Van Rensselaer à le préserver61. En 1663, le magistrat Govert Loockermans finance l’affranchissement d’une esclave de la WIC, Christina Emanùels, car elle était la compagne de l’un de ses propres esclaves, Swan Van Loange. L’historienne Andrea Mosterman suggère que la démarche de Loockermans visait à lui permettre de rester aux côtés de son époux, d’autant plus que leur mariage est recensé dans les archives de l’Église réformée le 9 février 166462. Enfin, lorsque la colonie est conquise par les Anglais, une initiative du gouvernement colonial est d’affranchir les esclaves de la WIC vivant dans la ferme de Stuyvesant, la bouwerie, renforçant ainsi la communauté noire libre de ce territoire colonial, organisée autour de liens familiaux sanctionnés par l’Église63. Cette intégration par le mariage révèle ainsi un attachement à la préservation des cellules familiales des Africains, réduits en esclavage comme libres.
40Il est difficile d’identifier les unions mixtes – bien que celles-ci ne fussent pas interdites. Nous avons recensé avec certitude celle de Harmen Janszen, originaire de Hesse, et Maria Malaet, originaire d’Angola, le 11 décembre 1650. Andrea Mosterman suggère également que l’union entre Jan « de Neger » et Annetje Abraham est une union mixte, une femme du même nom étant arrivée à la colonie à bord du Vergulde Bever en 166064. La diversité d’origines vient s’ajouter en effet à la diversité religieuse qui caractérise la société coloniale et avive des réflexions et des débats entre les représentants de la WIC et ceux de l’Église réformée. La législation en vigueur aux Provinces-Unies autorisait des mariages interconfessionnels mais interdisait toute union entre chrétiens et non chrétiens (non baptisés) ; la législation hollandaise étant transposée à la colonie, ces directives ont servi de modèle pour régler le problème des mariages mixtes, et notamment interraciaux, dans les colonies65.
41Une lettre du consistoire d’Amsterdam à Bogardus d’avril 1642 permet de voir que l’évangélisation des populations noires et autochtones est vivement souhaitée par les autorités ecclésiastiques : si celles-ci se félicitent des premières conversions au sein des captifs africains, la crainte des « pratiques idolâtres » des autochtones est réprouvée66. Dans ce contexte, les mariages incluant des Africains ou des Afro-descendants, y compris mixtes, apparaissent comme un outil de conversion. Du reste, le relevé des origines des mariés noirs permet de voir la place importante occupée par la côte d’Angole (graphique 2), une région christianisée depuis le xvie siècle67. Le choix de ces esclaves de se marier devant pasteur pourrait ainsi témoigner de référents chrétiens préexistant à leur captivité et la volonté de les perpétuer.
42L’historiographie a longtemps mis en avant une forme d’assimilation des captifs africains et afro-descendants dans le corps social colonial, notamment face aux populations autochtones, et une certaine forme de fluidité des autorités coloniales vis-à-vis de la population réduite en esclavage68. Alors même que la sauvagerie présumée des populations autochtones était associée à l’absence de normes matrimoniales structurant les rapports de genre, l’ouverture du mariage aux populations noires aurait permis de les intégrer à la société coloniale contre ce danger commun. Cette lecture de la « bienveillance » a évidemment largement été réévaluée69. Concernant le mariage, on peut ajouter que ces unions d’esclaves ou ex-esclaves de la WIC était accompagnées d’une différenciation, et ne changeaient en rien leur statut. Associées à l’octroi d’un terrain, elles permettaient ainsi le maintien d’une forme de contrôle et d’encadrement, éventuellement prolongée avec la semi-liberté octroyée par l’acte d’affranchissement de 1644.
43La régulation du mariage contribue ainsi à bâtir la société nouvelle : non seulement il s’agit d’une norme qui permet de cadrer les rapports sociogenrés et de définir l’inclusion ou non des populations dominées ; mais par ailleurs, le lien ainsi constitué permet de repenser les relations de part et d’autre de l’Atlantique. Au début de la période, l’enjeu principal pour les autorités est de s’assurer de la validité et de la conformité au droit des unions contractées dans la colonie, alors même que la distance et la situation périphérique de la colonie peuvent faciliter ces unions litigieuses. Au fil du temps, et avec le développement d’institutions locales pouvant occasionnellement se trouver en concurrence avec la WIC ou les pasteurs réformés, les litiges matrimoniaux révèlent des conflits au sein des autorités et des conceptions concurrentes de ce que représente le mariage pour la mise en place d’une société coloniale.
Vers un ancrage local des pratiques et de la régulation du mariage
44L’occupation hétéroclite du territoire, la diversité et les circulations de la population contribuent à redéfinir les comportements matrimoniaux par rapport à l’Europe moderne, où ils étaient informés par un ancrage local, familial et résolument endogame. La distance géographique éloigne les membres d’une même famille ou d’un réseau ; elle implique également un délai dans la circulation des nouvelles entre ceux-ci, conduisant à de nécessaires adaptations dans la gestion des rapports familiaux transatlantiques, notamment lors de la formation de couples. Alors même que la traversée de l’Atlantique prend deux mois, la distance et l’éloignement impliquent une redéfinition des relations avec les communautés de départ, notamment vis-à-vis de ces pratiques endogames. La question du déracinement ou non des migrants s’incarne ici dans l’affirmation, dans les pratiques matrimoniales, d’une communauté locale, ancrée et parfois en concurrence avec le pouvoir amstellodamois.
Des pratiques endogames remises en question
45Depuis les premiers travaux de démographie historique des années 1950-1960, la recherche a mis en évidence l’importance de l’endogamie géographique et sociale dans les pratiques matrimoniales des sociétés européennes de l’époque moderne, tant dans les milieux ruraux traditionnels, où l’on se mariait au sein de la paroisse dans la très grande majorité des cas, que dans les milieux bourgeois et nobles, où le mariage pouvait contribuer à la formation ou à la consolidation d’un réseau70. Concernant les Provinces-Unies, les pratiques matrimoniales aux xviie et xviiie siècles étaient également endogames, y compris au regard de la religion – ce qui ressort d’autant plus dans une région de refuge comme la Hollande, où coexistent des groupes religieux diversifiés. Les mariages interreligieux étaient rares, en dépit d’une importante minorité catholique (30 %) dans une Hollande officiellement calviniste. Si une tolérance institutionnelle prévalait de facto aux Provinces-Unies, dans la pratique, il existait dans la société une volonté de maintenir une identité religieuse propre, notamment par le mariage71.
46La migration outre-Atlantique affecte ces pratiques, dans un contexte marqué par le déséquilibre sexué précédemment évoqué, par la forte mortalité ou encore par la confrontation à l’altérité. L’historiographie a ainsi prêté attention à la façon dont la situation coloniale a pu travailler les pratiques et les normes européennes – à travers notamment la question des réseaux matrimoniaux constitués de part et d’autre de l’Atlantique ou encore celle des unions mixtes72. En Nouvelle-Néerlande, la diversité d’origines géographiques, culturelles et religieuses de la population migrante permet de voir la redistribution rapide du marché matrimonial alors que l’éloignement avec les sociétés de départ et l’apport migratoire récent redéfinissent les pratiques endogames qui pouvaient prévaloir en Europe.
47Un examen des registres de l’Église réformée permet de déterminer la façon dont l’endogamie se trouve perturbée par la migration. Sur 451 mariages entre le 11 décembre 1639 et le 27 décembre 1664, 325 précisent l’origine géographique déclarée par les époux, ce qui permet d’interroger leur ancrage de référence. Il en ressort une grande diversité de celles-ci, avec des degrés de précision tout aussi variables, allant de la mention d’un pays à celle d’un village précis. Ces origines couvrent un territoire très vaste englobant les Provinces-Unies, l’Empire, la Scandinavie, l’Angleterre, l’Écosse, la France, la Vénétie et d’autres aires coloniales (la Nouvelle-Angleterre, la Nouvelle-Néerlande, et jusqu’à Batavia), ainsi que certains territoires africains (le Congo et la côte d’Angole). Seuls 28 mariages voient des époux déclarer la même origine, à quoi on pourrait ajouter les 23 mariages entre esclaves ou noirs libres. Du reste, il arrive que cet ancrage déclaré masque des trajectoires migratoires complexes, ce qui rend difficile toute recension (notamment lorsqu’il s’agit d’Amsterdam ou de Londres, deux grands ports européens de refuge, ou lorsqu’un mariage unit deux générations différentes de migrants). En considérant l’ancrage linguistique plus que géographique, en dépit des difficultés de méthode que cela implique, on constate que seuls 102 mariages unissent des époux provenant de la même aire linguistique – néerlandophone, anglophone ou francophone, notamment73. Il apparaît ainsi que les origines très variées de la population européenne, combinées à la situation migratoire, ne permettent pas un maintien de pratiques endogames sur une base géographique.
48En termes de religion, des mariages interconfessionnels sont avérés. Si l’Église réformée est la seule autorisée et si la plupart des habitants de la colonie s’en accommodent, elle n’efface pas des origines confessionnelles diversifiées. Ainsi, le pasteur réformé Bogardus épouse la luthérienne Anneke Jans ; plus tard, la fille d’Anneke Jans, Sara Roelofs, épouse quant à elle Hans Kierstede, un luthérien, alors même qu’elle a grandi dans une maisonnée réformée – car si, comme l’historien Willem Frijhoff l’observe, l’union entre Anneke Jans et Everardus Bogardus est mixte dans ses origines, il était attendu que l’épouse du pasteur se conforme aux pratiques religieuses de son époux74. Le choix matrimonial de Sara, peut-être lié à l’éducation de sa mère, peut indiquer une situation plus complexe.
49La migration en Amérique et la formation de la société coloniale transforment donc les pratiques endogames en vigueur dans les sociétés de départ. Ceci peut s’expliquer notamment par l’étroitesse du marché matrimonial, dans une société où la population reste peu nombreuse et où les partis épousables sont en nombre encore plus restreint. Dans ce contexte matrimonial, la distance par rapport à la famille restée en Europe constitue un enjeu déterminant dans le choix des conjoints.
Un ancrage graduel en Nouvelle-Néerlande : une rupture avec les sociétés de départ ?
50La lecture de ces registres matrimoniaux permet également d’observer le déplacement, en cours de période, du référent géographique déclaré par les époux. Dès le 29 juin 1642, le mariage entre Hans Kierstede, chirurgien de la WIC « originaire de Magdebourg », et Sara Roelofs, « originaire d’Amsterdam », aux Provinces-Unies, précise que les époux « [vivent] tous deux à La Nouvelle-Amsterdam », ce qui rétablit une forme d’endogamie géographique.
51Graduellement, avec la cohabitation entre plusieurs générations de migrants et de colons nés en Nouvelle-Néerlande, un ancrage géographique local s’affirme au fil du temps. Alors qu’on ne relève que quelques mentions ponctuelles d’une résidence en Nouvelle-Néerlande au début de la période (11 entre 1639 et 1648), on en compte 17 entre 1649 et 1658, et 27 pour les seules années 1659-1664. Au total, dans les archives de l’Église réformée, ce ne sont pas moins de 90 conjoints qui déclarent cette origine locale. Dès la fin des années 1650, la colonie n’est plus seulement un lieu de transit ; la récurrence de ce référentiel géographique permet de voir l’émergence d’une société nouvelle de plus en plus ancrée. Certains travaux ont pu analyser cette formation sociale en termes de « communauté », entendue comme unité sociale où le lieu jouerait un rôle fondamental, et dont les membres sont unis par un projet de vie commun75. Pour prendre la mesure de cette formation communautaire, il est nécessaire de l’articuler à la formation de réseaux familiaux dans lesquels hommes et femmes jouent des rôles complémentaires, et redistribués, à la faveur de la distance avec l’Europe.
52Dans les milieux les plus fortunés, le lien transatlantique entre les membres d’une même famille est maintenu et participe d’une dynamique économique de réseau de commerce et d’approvisionnement : le départ à la colonie n’est donc pas synonyme de rupture avec l’Europe. La nuptialité montre cependant les difficultés posées par la distance, notamment dans la prise en compte du consentement de la famille lors du choix d’un conjoint ou d’une conjointe. En 1662, Jeremias Van Rensselaer, patroon de Rensselaerswyck, écrit à sa mère, Anna Van Wely, à Amsterdam, pour lui annoncer son mariage avec Maria Van Cortlandt, le 12 juillet 1662, sans l’avoir consultée :
« Vous estimerez sans doute qu’elle est un peu jeune et par conséquent inapte à tenir un foyer. Elle vient d’avoir 18 ans, mais néanmoins, nous nous entendons très bien… J’avais songé à en faire mon épouse il y a déjà un ou deux ans, quand je venais pour affaires aux Manahatans [sic]76. »
53Maria Van Cortlandt est la fille d’Oloff Stevensen Van Cortlandt, un soldat puis employé de la WIC qui, libéré de son contrat, avait ouvert une taverne et entrepris des activités marchandes lucratives. Il a par ailleurs épousé Anneke Loockermans, originaire de Turnhout, dans les Pays-Bas espagnols, et dont le frère, Govert, a également fait fortune à La Nouvelle-Amsterdam77. La mariée est donc issue d’une famille bien connectée à la société coloniale et à son élite naissante. De son côté, la famille Van Rensselaer est originaire de Gueldre, du côté de Nijkerk. Le patriarche, Kiliaen Van Rensselaer, avait eu de l’influence auprès de la Chambre d’Amsterdam quelques décennies plus tôt – sans toutefois être parvenu à s’intégrer au sein de l’élite des régents. C’est cette situation qui l’avait conduit à promouvoir une installation coloniale permanente et à acquérir les terres de Rensselaerswyck afin de mener à bien ce projet qui fut confié à son fils, Jeremias78.
54L’union semble donc équilibrée, mais les justifications de Jeremias Van Rensselaer indiquent que ces considérations ont été envisagées sans consulter Anna Van Wely, restée en Europe. Ce comportement est certes acceptable pour un homme de trente ans révolus, mais l’échange épistolaire permet de voir qu’il a néanmoins commis un impair aux yeux de la matriarche. De fait, Jeremias annonce d’abord son mariage à son frère, et le charge d’en informer leur mère, à qui il n’écrit directement que plus de cinq semaines après avoir convolé, arguant de la distance comme justification à l’absence de consultation. Celle-ci le laisse plusieurs mois sans réponse, un silence remarqué valant ici autant qu’un long reproche79. Cet incident familial révèle deux choses. Premièrement, le choix des époux témoigne d’une redistribution sociale à la colonie ; d’autre part, la prise en compte de l’autorité maternelle peut s’étioler à la faveur de la distance. L’on pourrait envisager cette prise de distance à l’aune d’une forme de pragmatisme, lié à la difficulté de communiquer rapidement avec la famille restée à Amsterdam. Néanmoins, un litige similaire, impliquant également des membres de l’élite sociale, donne à penser que la distance facilite une transgression délibérée de la volonté familiale.
55Quelques années plus tôt, en 1654, Johannes Van Beeck décide de convoler avec Maria Verleth. Fils d’un des directeurs de la WIC, Isaac Van Beeck, Johannes arrive à la colonie en 1653 à l’âge d’environ 33 ans où il fait partie des marchands libres de La Nouvelle-Amsterdam. Alors même que sa famille amstellodamoise désapprouvait toute union conclue en Amérique, son choix matrimonial signale un ancrage dans la société nouvelle, surtout lorsqu’il qualifie le refus des siens comme « sans motif » (« buyten reden80 »). Le père de la mariée, Caspar Verleth, était quant à lui un marchand en soie assez prospère à Amsterdam avant de migrer en Amérique fin 1650 à bord du Fortuyn81. Les archives montrent qu’il était propriétaire d’esclaves et qu’il faisait partie de l’élite bourgeoise de La Nouvelle-Amsterdam82. La sœur aînée de Maria, Jannitje, avait épousé Augustin Herman en 1651, un marchand bien intégré dans l’élite politique de la colonie ; deux ans après le mariage entre Johannes et Maria, le frère de cette dernière, Nicolaes, épouse la sœur de Pieter Stuyvesant83. Ces alliances montrent les connexions de la famille Verleth dans l’élite de Nouvelle-Néerlande : l’union intégrait Johannes Van Beeck dans un réseau familial devenu important à la colonie. Face au désaccord de la famille Van Beeck, les promis décident de publier leurs bans de mariage dans la communauté anglophone – sous contrôle néerlandais – de Gravesend, sur Long Island et de s’enfuir pour convoler dans la Nouvelle-Angleterre voisine, un contournement de la loi facilité par la distance transatlantique. Si la WIC déclare l’union nulle le 19 janvier 1654, c’est justement cet argument de la distance qu’avancent les magistrats de La Nouvelle-Amsterdam lorsqu’ils décident, malgré tout, et après pétition de Caspar Verleth et Johannes Van Beeck, de la valider un mois plus tard84. Cette union est à l’origine de plusieurs mois de litige sur la validité du mariage, puis de plusieurs années de lutte entre Maria Verleth et la famille Van Beeck après la mort de Johannes, en septembre 1655, tué par des Susquehannocks85. L’administration des biens de Johannes, confiée à la veuve de celui-ci, est en effet revendiquée par Joost Van Beeck, frère du défunt. Ce dernier conteste la validité du mariage, allant en cela à l’encontre de l’autorité des magistrats de La Nouvelle-Amsterdam, qui prennent alors le parti de Verleth86. Le litige se poursuit longtemps même après les remariages successifs de Maria Verleth. La querelle était matérielle, la fortune laissée par Johannes Van Beeck en était l’objet, mais à l’origine de ce litige était le choix d’un fils de passer outre l’accord de sa famille amstellodamoise pour se marier.
56Le fait que Jeremias Van Rensselaer et Johannes Van Beeck aient été conscients des réticences de leurs familles et n’en aient pas tenu compte signale que le départ à la colonie a facilité, pour eux, une prise de distance par rapport à l’encadrement familial du mariage typique de leur société de départ. Dans le cas de Van Beeck, la volonté du patriarche, bien que non nécessaire dans la mesure où Johannes avait environ 34 ans, a été explicitement bafouée ; Jeremias Van Rensselaer était, quant à lui, orphelin de père. Pour autant, le choix d’une conjointe s’appuyait sur une concertation entre les deux familles concernées et plaçait souvent les femmes au cœur des négociations : c’est bien de ce rôle matriarcal qu’a été privée Anna Van Wely, mère de Jeremias Van Rensselaer. Le rôle attribué aux parents restés en Europe se trouve donc repensé et adapté à la faveur de la configuration coloniale. Il n’y a pas de rupture avec Amsterdam – les liens épistolaires en témoignent ; en revanche, il y a bien une déstabilisation des rapports familiaux dont profitent l’un comme l’autre pour bâtir une vie à la colonie, dont le premier marqueur réside dans le choix d’une partenaire, la fondation d’un foyer, en dépit de la rareté des partis féminins, et l’insertion dans une élite coloniale naissante et dans des réseaux nouvellement formés sur place. Il en va de même des plus de 32 % de conjoints et conjointes qui se déclarent un ancrage Nouvelle-Néerlande.
57Cette tension entre le local et le transatlantique affecte également la façon dont les autorités coloniales régulent les unions litigieuses, et celle de Johannes Van Beeck et Maria Verleth est précisément au cœur des tensions entre les diverses institutions qui s’affirment dans la société nouvelle.
Le mariage comme terrain de négociation du pouvoir entre les autorités civiles
58En dépit des latences et marges de manœuvres rendues possibles par la distance avec la métropole, les administrateurs coloniaux durcissent la législation sur le mariage à partir des années 1650. Entre le litige concernant l’union, précédemment évoquée, entre Thomas Newton et June Smith en 1648 et celui concernant l’union entre Johannes Van Beeck et Maria Verleth en 1654, à peine six ans plus tard, le mode de règlement des conflits matrimoniaux témoigne non seulement de ce durcissement législatif mais aussi de la concurrence grandissante de plusieurs discours et attitudes vis-à-vis du mariage.
59Pour commencer, les unions contractées dans la colonie font l’objet d’un encadrement plus strict, à commencer par les fiançailles. En mars 1653, une rupture de fiançailles opposant Pieter Kock et Anna Van Vorst n’est pas validée par le gouvernement municipal de La Nouvelle-Amsterdam87. Si les fiançailles ont bien été scellées par un échange de présents, une mésentente entre les promis conduit Anna Van Vorst à demander une rupture des fiançailles. L’argument cité, resté allusif dans les archives, est celui d’une « certaine mauvaise conduite ». Cependant, la demande de rupture est restée orale, et il semble que Kock n’ait pas donné suite par écrit à cette promesse verbale. Les magistrats, face à ce désaccord, plaident en faveur de la sacralité du lien, arguant d’une promesse « faite devant Dieu » et du caractère engageant de l’échange de présents. L’enjeu pour ces derniers ici n’est pas tant de contrevenir au consentement des promis, mais de se prémunir contre tout risque de liaison tierce qui pourrait donner lieu à une forme de bigamie pour Kock ou pour Van Vorst, dans la mesure où les fiançailles ont valeur d’engagement. Quoi qu’il en soit, le jugement met en avant la nécessité d’en passer par les magistrats pour toute rupture consensuelle de fiançailles. Trois ans plus tard, en juillet 1656, Francoys Soleil souhaite, semblablement, rompre ses fiançailles avec Roose Jeele. Pour motiver sa demande il invoque deux arguments : l’« haleine fétide » de Jeele, d’une part, par quoi Soleil infère que Jeele est atteinte de tuberculose, une maladie qui la rendrait infertile et mettrait Soleil en danger de mort ; et un engagement précédent de celle-ci aux Caraïbes, laissant entendre une forme de bigamie qui rendrait caduque toute promesse de l’épouser – ce que cette dernière récuse, expliquant avoir rompu de précédentes fiançailles puis avoir été autorisée à épouser un autre homme dont elle est désormais veuve. Par ces deux arguments, Soleil souhaite faire valoir des empêchements dirimants, les seuls lui permettant de ne pas être immédiatement débouté. Si le conseil ordonne une enquête à cet effet, Soleil est incarcéré en attendant le verdict et, quelques semaines plus tard, il est enjoint à rester fidèle à son engagement et à épouser Jeele88.
60En janvier 1658, le bourgmestre et les échevins de La Nouvelle-Amsterdam rappellent un arrêt du Conseil sur le concubinage en vertu du « bon ordre et des coutumes de la mère patrie89 », rappelant ainsi une exigence d’équivalence en droit entre le nouveau et l’ancien monde. Les promis qui ne convoleraient pas après publication des bans seraient soumis à une amende de 10 florins après un mois, puis 20 florins par semaine supplémentaire. Les cas de concubinage avéré sont soumis, quant à eux, à une amende de 100 florins. Ces rappels législatifs répondent à des offenses précises – et récurrentes – qui sont autant d’occasions de rappeler le cadre légal qui régit la colonie et le non-respect de ces prérequis était passible d’amendes assez lourdes, voire d’emprisonnement.
61Si ces rappels du droit invitent avant tout à voir qu’il n’est pas respecté par les colons, l’attachement des autorités coloniales, locales comme amstellodamoises, à l’institution du mariage et à son efficacité comme marqueur d’ordre social est patent. Pour en revenir au litige relatif au mariage de Johannes Van Beeck et Maria Verleth évoqué précédemment, il en ressort des compréhensions divergentes de l’importance de la législation sur le mariage et des pratiques matrimoniales. Comme dans le cas, précédemment évoqué, de Thomas Newton et June Smith, les noces litigieuses ont, été rendues possibles grâce à une certaine marge de manœuvre facilitée par la configuration coloniale – aussi bien territoriale que légale. Les époux ont publié les bans de leur mariage à Gravesend, village anglais de Long Island dépendant de l’administration de la WIC. Ils espéraient ainsi jouer de la distance géographique et culturelle pour manipuler à leur avantage la législation, contournant ainsi les désaccords familiaux sur le sujet. Du reste, les délais de plusieurs mois dans la communication, qu’il s’agisse de l’expression d’un consentement ou d’un désaccord, servent de justification au contournement de la loi. En réaction à cela, l’union litigieuse est l’objet d’une production documentaire considérable visant à rappeler et à discuter les provisions du droit sur le mariage90. Stuyvesant publie le 18 janvier 1654 une mise à jour de la législation dans la colonie, rappelant que la publication des bans doit être faite dans la communauté dont dépendent les futurs époux et accompagnant cette mise à jour d’une lettre de remontrance aux magistrats de Gravesend91. Neuf mois plus tard, le 20 septembre 1654, Stuyvesant renvoie une lettre de remontrance à Gravesend, régulant les provisions nécessaires pour un mariage acceptable.
62Ce mariage révèle ainsi une tension institutionnelle entre la WIC et les magistrats locaux : si Stuyvesant ne valide pas ce mariage, étant épaulé dans cette décision par Megapolensis, conformément aux réticences de la puissante famille Van Beeck, les magistrats de Gravesend contestent l’autorité de Stuyvesant. Deborah Hamer rappelle ainsi qu’un conflit entre le directeur général et le village anglais durait depuis déjà plusieurs mois avant l’union litigieuse, suggérant que l’affaire des bans du mariage Verleth/Van Beeck puisse être un élément de plus à cet affrontement entre autorités locales et WIC. Une remontrance de décembre 1653 émise par les représentants de plusieurs villages de Long Island, dont Gravesend, dénonçait le pouvoir autocratique exercé par Stuyvesant et demandait une participation plus active aux institutions au niveau local92. La mise à jour de la législation proposée par Stuyvesant relativement à la publication des bans et au lieu d’habitation apparaît dans cette mesure comme une affirmation de l’autorité de la WIC sur les communautés locales.
63Outre Gravesend, c’est bien le gouvernement municipal de La Nouvelle-Amsterdam qui entérine l’union, court-circuitant, ici aussi, la prééminence du directeur général. En plus du consentement des époux, les bourgmestres et les échevins invoquent, pour justifier leur décision, le danger que représente le temps pris à obtenir le consentement de la famille et la nécessité d’éviter « la disgrâce des deux familles » – tout particulièrement celle de Maria Verleth, dans la mesure où l’union était réputée consommée93. Le gouvernement municipal évoque la distance avec la famille amstellodamoise de Johannes Van Beeck comme pouvant être une source de péché. Les bourgmestres et échevins préfèrent risquer l’ire de la famille Van Beeck que la perte de la réputation de Maria, elle-même fille d’une famille respectable de La Nouvelle-Amsterdam, ce qui véhiculerait l’image de la société coloniale comme un milieu où les jeunes filles peuvent perdre honneur et vertu. On voit là une dissonance entre les préoccupations des représentants directs de la WIC d’une part, et d’autre part des institutions municipales d’une ville dont les citoyens veulent préserver la cohésion sociale et l’honorabilité à titre individuel mais aussi collectif. Dans cette configuration, la réputation d’un couple est décrite comme pouvant rejaillir sur le groupe, à l’échelle de la ville mais aussi de la société nouvelle. La Nouvelle-Amsterdam apparaît, pour les administrateurs locaux, comme une communauté à part entière, fonctionnant avec sa propre armature sociale, et dont la cohésion participe largement au bon fonctionnement de la colonie. La réputation d’un couple peut en effet rejaillir sur la communauté dans son ensemble, surtout si ce couple fait partie d’une frange respectable de la société – un phénomène avéré en Europe également : aux Provinces-Unies, l’étude des archives judiciaires de Rotterdam et Delft révèle ainsi que, dans les cas de violences sexuelles et domestiques, les sentences dépendent du rejaillissement de ces offenses sur la communauté, tant en termes de désordre public que d’honneur du groupe94. Pour les administrateurs locaux, cette cohésion sociale prime sur l’autorité des directeurs de la WIC.
64L’importance accordée au mariage et à son encadrement signalent, pour les autorités de la WIC comme pour les autorités municipales, un besoin de faire société, c’est-à-dire de construire, d’organiser un monde social autour de normes de bon comportement – notamment matrimonial et genré. Pour autant, les divergences et la concurrence au sein des autorités coloniales à différentes échelles témoignent de préoccupations différentes en termes d’administration. Pour le directeur général et son conseil, qui répondent directement à la WIC et à la Chambre d’Amsterdam, l’enjeu principal est de s’assurer du respect scrupuleux du droit hollandais.
65Avec l’émergence et le développement d’institutions locales, religieuses et civiles, et sous l’influence de Stuyvesant, le directeur général à qui la WIC avait confié la tâche, en 1647, de remettre de l’ordre dans la gestion de la colonie, on peut observer un encadrement plus serré des populations, notamment sur les questions de mœurs. Cet encadrement se traduit également par une certaine polyphonie, ou « pluralisme juridique95 », sur le mariage. Parlant des sociétés de frontière, l’historienne Lauren Benton souligne ainsi que les représentants des empires ne pouvaient œuvrer seuls sur le territoire colonial, face à des populations ancrées localement dont les manœuvres politiques altéraient le fonctionnement des institutions, faisant de ces territoires coloniaux des espaces légalement complexes et bigarrés (plutôt qu’anomiques)96. Il s’ensuit un rapport de force institutionnel en fonction des enjeux que chacun y place, entre le pragmatisme des administrateurs locaux, les directives de la WIC et les prescriptions morales des autorités ecclésiastiques. L’institution du mariage apparaît ainsi comme un élément central de la construction d’une société coloniale, notamment dans la façon dont elle est porteuse de normes de bon comportement.
⁂
66En Nouvelle-Néerlande, la construction de la société nouvelle passe par l’identification plus ou moins tacite d’un système normatif genré. Le mariage n’est pas seulement un marqueur de civilisation par rapport à ceux que l’on qualifie de « sauvages » et de « païens » ; c’est aussi un outil par lequel le pouvoir colonial tente de prendre graduellement le contrôle sur la gestion des rapports de genre et des rapports sociaux d’une façon plus générale, en s’accommodant de la distorsion du territoire créée par les circulations atlantiques. Ainsi la régulation du mariage permet-elle de définir et construire un territoire de référence, non seulement, pour le pouvoir colonial, celui sur lequel le droit s’applique, mais aussi, pour les colons, celui qui définit leur identité au moment de convoler. Le mariage est, enfin, un mode d’inclusion des populations noires réduites en esclavage dans le corps social colonial, tout en maintenant un rapport de domination, faisant de cette institution un des socles de la vie en société. Les réglementations sur le mariage apparaissent ainsi comme un facteur d’ordre et de structuration sociale, et se renforcent notamment à partir des années 1650, à mesure que la société coloniale s’implante et se stabilise : la prise en main de sa régulation par les acteurs locaux à La Nouvelle-Amsterdam et ailleurs permet de voir l’affirmation d’une société nouvelle qui revendique, sinon son autonomie, du moins son existence face à une administration restée tributaire d’Amsterdam.
67Du reste, si le mariage est un outil de pouvoir et d’encadrement, c’est aussi une sécurité pour les femmes, rendues vulnérables par le déséquilibre sexué et le déracinement qu’impliquent la migration. La définition de normes et les hiérarchies de genre qui en découlent n’empêchent pas, voire éclairent un certain nombre des transgressions morales et sexuelles que colons et administrateurs tentent de réguler.
Notes de bas de page
1David Pietersz de Vries, Korte historiael ende journaels aenteyckeninge van verscheyden voyagiens in de vier deelen des wereldtsronde, als Europa, Africa, Asia, ende Amerika gedaen, La Haye, M. Nijhoff, 1911, p. 204.
2Catherine Denys et Isabelle Paresys, Les anciens Pays-Bas à l’époque moderne (1404-1815). Belgique, France du Nord, Pays-Bas, Paris, Ellipses, 2007 ; Christophe de Voogd, Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, Paris, Fayard, 2003, p. 67-136 ; Jan de Vries et Adriaen Van der Woude, The First Modern Economy: Success, Failure, and Perseverance of the Dutch Economy, 1500-1815, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.
3Deborah Hamer, Creating an Orderly Society: The Regulation of Marriage and Sex in the Dutch Atlantic World, 1621-1674, New York, PhD Diss., University of Columbia, 2014, p. 18-23.
4Wayne E. Franits, Paragons of Virtue: Women and Domesticity in Seventeenth-Century Dutch Art, Cambridge, Cambridge University Press, 1993 ; Kim Todt in Thomas A. Foster (éd.), Women in Early America, New York, New York University Press, 2015, p. 46-53.
5Jacob Cats, Houwelick, Middelburg, Jan Pietersz Van der Venne, 1625 ; voir également Frans R. E. Blom, « Montaigne and Jacob Cats », in Paul J. Smith et Karl A. E. Enenkel (éd.), Montaigne and the Low Countries (1580-1700), Leyde, Brill, 2007, p. 187-204.
6John Romeyn Brodhead, Berthold Fernow et Edmund Bailey O’Callaghan (éd.), Documents Relative to the Colonial History of the State of New-York: Procured in Holland, England, and France, Albany, Weed, Parsons & Co., 1853, vol. 14, p. 42-44.
7Philippus Cluverius, Italia Antiqua, Lyon, Lugduni Batavorum ex Officina Elseviriana, 1624 ; Nicolaes Van Wassenaer, Historisch verhael alder ghedenck-weerdichste geschiedenisse, die hier en daer in Europa, als in Duijtsch-lant, Vranckrijck, Enghelant, Spaengien, Hungarijen, Polen, Sevenberghen, Wallachien, Moldavien, Turckijen en Neder-Lant, van den beginne des jaers 1621… tot octobri, des jaers 1632, voorgevallen syn, Amsterdam, bij Ian Evertss. Cloppenburgh en Jan Janssen, 1633, p. 10 ; trad. John Franklin Jameson (éd.), Narratives of New Netherland, 1609-1664, New York, C. Scribner’s Sons, 1909, p. 74.
8Johannes Megapolensis, « A Short Account of the Mohawk Indians », in Dean R. Snow, Charles T. Gehring et William A. Starna, In Mohawk Country: Early Narratives of a Native People, Syracuse, Syracuse University Press, 1996 (1644), p. 38-46.
9Ibid.
10Jacob Steendam et Henry Cruse Murphy, Jacob Steendam, Noch Vaster: A Memoir of the First Poet in New Netherland, With His Poems Descriptive of the Colony, La Haye, Brothers Giunta d’Albani, 1861, p. 56-57.
11Les Esopus étaient une nation algonquienne qui vivait dans la vallée de l’Hudson au niveau des Catskills et de l’actuelle ville de Kingston. Leurs affrontements avec les colons entre 1659 et 1663, principalement pour des raisons foncières, sont désignés comme « les guerres Esopus ».
12Frans R. E. Blom, « Of Wedding and War: Henricus Selyns’s Bridal Torch (1663) with and edition and translation of the Dutch poem », in Margriet Bruijn Lacy, Charles T. Gehring et Jenneke A. Oosterhoff (éd.), From De Halve Maen to KLM: 400 Years of Dutch-American Exchange, Münster, Nodus Publikationen, 2008, p. 185-200 ; Simon Schama, L’Embarras de richesses. Une interprétation de la culture hollandaise au Siècle d’Or, Paris, Gallimard, 1991 ; Agnes Sneller, A. Th. Van Deursen in Els Kloek, Nicole Teeuwen et Marijke Huisman (éd.), Women of the Golden Age. An International Debate on Women in Seventeenth-Century Holland, England and Italy, Hilversum, Verloren, 1994, p. 20-38.
13Joyce D. Goodfriend, Before the Melting Pot: Society and Culture in Colonial New York City, 1664-1730, Princeton, Princeton University Press, 1992, p. 16 ; C. de Voogd, Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, op. cit., p. 87-88.
14Oliver A. Rink, Holland on the Hudson: An Economic and Social History of Dutch New York, Ithaca, Cornell University Press, 1986, 285 p.
15Noah Gelfand, « Jews in New Netherland: An Atlantic Perspective », in Martha Dickinson Shattuck, Explorers, Fortunes & Love Letters: A Window on New Netherland, Albany, New Netherland Institute/Mount Ida Press, 2009, p. 39-49.
16Lettre de Pieter Stuyvesant à la Chambre d’Amsterdam de la WIC, datée du 22 septembre 1654, éditée in Morris U. Schappes, Documentary History of the Jews in the United States, 1654-1875, New York, The Citadel Press, 1950, p. 1-2.
17United Lutheran Synod of New York Committee on Documentary History, The Lutheran Church in New York, 1649-1772: records in the Lutheran Church archives at Amsterdam, Holland, New York, New York Public Library, 1944, p. 39.
18Evan Haefeli, New Netherland and the Dutch Origins of American Religious Liberty, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2012 ; Jaap Jacobs, The Colony of New Netherland: A Dutch Settlement in Seventeenth-Century America, Ithaca, Cornell University Press, 2009, p. 167-171.
19Margaret Fell, Womens Speaking Justified, Proved and Allowed of by the Scriptures, Londres, 1666.
20Anne Dunan-Page, « Les dissidentes baptistes à travers les livres d’Église du xviie siècle anglais », L’atelier du Centre de recherches historiques, 4, 2009, [http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/acrh/1332] ; Mary Maples Dunn, « Saints and Sisters: Congregational and Quaker Women in the Early Colonial Period », American Quarterly, 30/5, 1978, p. 582-601 ; Amanda E. Herbert, « Companions in Preaching and Suffering: Itinerant Female Quakers in the Seventeenth- and Eighteenth-Century British Atlantic World », Early American Studies, 9/1, 2011, p. 73-113. Dunan-Page rappelle également que les Églises dissidentes, même si elles attirent un nombre conséquent de femmes, ne font pas l’économie d’une vision hiérarchisée des relations entre hommes et femmes et sont également promptes à discréditer ces dernières.
21Lettre des pasteurs Megapolensis et Drisius au consistoire (ou classis) d’Amsterdam, 25 octobre 1657, éditée dans : NNN, p. 400.
22Edmund Bailey O’Callaghan (éd.), The Documentary History of the State of New-York: Arranged Under Direction of the Hon. Christopher Morgan, Secretary of State, vol. 3, Albany, Weed, Parsons & Co., 1849, p. 49.
23NYSA A1809 vol. 4 doc. 50, trad. angl. Arnold J. F. Van Laer (éd.), Council Minutes 1638-1649, Baltimore, Genealogical Publishing Co., 1974, p. 61 ; Kenneth Scott (éd.), Register of the Provincial Secretary, 1638-1642, trad. Arnold J. F. Van Laer, Baltimore, Genealogical Publishing Co., 1974, p. 212-214 (original détruit).
24D. Hamer, Creating an Orderly Society, op. cit., p. 18-23 ; Edmund Bailey O’Callaghan (éd.), Laws and Ordinances of New Netherland, 1638-1674, Baltimore, Weed, Parsons & Co., 1868, p. iii-viii (préface d’Edmund Bailey O’Callaghan).
25Hugo Grotius, Inleiding tot de Hollandsche Rechts-geleertheid, La Haye, Hillebrand, 1631 ; trad. angl. : Hugo Grotius, The Jurisprudence of Holland, vol. 1: Text, Translation and Notes, Oxford, Clarendon Press, 1926 ; Robert Warden Lee, An Introduction to Roman-Dutch Law, Oxford, Clarendon Press, 1915, p. 64-102 ; Johannes Wilhelmus Wessels, History of the Roman-Dutch Law, Grahamstown, African Book Company, Ltd, 1908, p. 429-473 ; Ordonnantie… op’t stuck vande policie binnen Zeelandt, 1639.
26NYSA A1809 vol. 4 doc. 374-375.
27Arlette Farge et Natalie Zemon Davis, Histoire des femmes en Occident, vol. 3 : xvie-xviiie siècles, Paris, Plon, 1991, p. 89-92.
28NYSA A1809 vol. 4 doc. 374-375 ; trad. angl. : CM1, p. 502-506. Les orthographes de ces noms anglais, batavianisées dans l’original, ont été ré-anglicisées par mesure de lisibilité. Les noms des protagonistes sont en effet indiqués comme suit : Tomas Nuton, veuf de Dorite Nuton, Ritchert Smitt et Joon Smitt.
29Ibid. Doc. 375, p. 504.
30Ibid.
31Ibid.
32À titre de comparaison, la somme de 600 florins représentait le revenu moyen sur deux ans pour une famille amstellodamoise moyenne. Derek L. Phillips, Well-Being in Amsterdam’s Golden Age, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2008, p. 49.
33NYSA A1809 vol. 4 doc. 374, trad. angl. : CM1, p. 503.
34D. Hamer, Creating an Orderly Society, op. cit., p. 143.
35Hugh Hastings et James A. Holden (éd.), Ecclesiastical Records, State of New York, vol. 1, Albany, J. B. Lyon, State Printer, 1901, p. 240.
36NYSA A1809 vol. 4 doc. 316 ; trad. angl. : CM1, p. 411 ; J. W. Wessels, History Of The Roman-Dutch Law, op. cit., p. 449-450.
37NYSA A1809 vol. 6 doc. 49b ; trad. angl. : Charles T. Gehring (éd.), Council Minutes 1655-1656, Syracuse, Syracuse University Press, 1995, p. 52.
38Michael Gherke, Dutch Women in New Netherland and New York in the Seventeenth Century, Morgantown, PhD Diss., West Virginia University, 2001, p. 64-69 ; Matteo Spalletta, « Divorce in Colonial New York », New-York Historical Society Quarterly, 39, 1955, p. 422-425.
39NYMA RNA Box 1.2.2 doc. 187b ; trad. RNA, vol. 2, p. 335.
40NYMA RNA Box 1.2.2 doc. 230c ; trad. RNA, vol. 2, p. 374-375.
41NYMA RNA Box 1.2.3 doc. 239c ; trad. RNA, vol. 4, p. 304. Ce cas est discuté dans le chapitre suivant.
42Certains généalogistes ont inféré qu’il s’agissait de Catrina Cregier, la fille de Marten Cregier, un des magistrats de la ville. Néanmoins, l’hypothèse semble peu probable : née en 1643, Cregier aurait eu à peine 12 ans au moment de la noce, ce qui n’est certes pas impossible, mais surtout, Cregier épouse Christoffel Hooghlandt le 23 juin 1661, tandis que l’union avec Nicasius de Sille est toujours valide.
43NYMA RNA Box 1.2.2 doc. 422d ; trad. RNA, vol. 3, p. 90.
44Avant cela, le culte était administré par deux aumôniers (ou ziekentroosters) de fortune. Samuel S. Purple, Collections of the New-York Genealogical and Biographical Society, vol. 1: Records of the Reformed Dutch Church in New Amsterdam and New York, New York, Printed for the Society, 1890, p. iv.
45Bertrand Van Ruymbeke, L’Amérique avant les États-Unis. Une histoire de l’Amérique anglaise 1497-1776, Paris, Flammarion, 2013, p. 337.
46ER, p. 110, 114 ; Lukas Vischer, Christian Worship in Reformed Churches, Past and Present, Grand Rapids, Wm. B. Eerdmans Publishing, 2003, p. 180-184.
47James Riker, Harlem: Its Origins and Early Annals, New York, Ardent Media, 1970, p. 177-178.
48S. S. Purple, Records of the Reformed Dutch Church, op. cit., p. 10-30. Les registres d’intention de mariage de l’Église réformée ont été rassemblés et compilés dès 1682 par Henricus Selijns, devenu alors pasteur réformé de New York, puis ont connu plusieurs éditions successives.
49ER, p. 238-256.
50Ibid., p. 286 sqq.
51Randall Herbert Balmer, A Perfect Babel of Confusion: Dutch Religion and English Culture in the Middle Colonies, New York, Oxford University Press, 1989 ; Willem Frijhoff, Fulfilling God’s Mission: the Two Worlds of Dominie Everardus Bogardus, 1607-1647, Leyde, Brill, 2007 ; E. Haefeli, New Netherland and the Dutch Origins of American Religious Liberty, op. cit.
52Notons que les registres précisent « hier of buÿten dese Stadt New-Yorke », signalant un légendage postérieur à la période néerlandaise, mais une juridiction qui prend en compte le territoire au-delà de la ville-port. S. S. Purple, Records of the Reformed Dutch Church, op. cit., p. 10.
53Anne-Claire Faucquez, De la Nouvelle-Néerlande à New York : naissance d’une société esclavagiste, Paris, Les Indes Savantes, 2021, p. 164-171.
54Andrea C. Mosterman, Spaces of Enslavement: A History of Slavery and Resistance in Dutch New York, Ithaca New York, Cornell University Press, 2021, p. 35.
55Christopher Moore in Ira Berlin et Leslie M. Harris (éd.), Slavery in New York, New York, The New Press, 2005, p. 43. Moore argue que cette « terre des noirs » aurait eu pour vocation de protéger la ville d’attaques autochtones, un fait depuis débattu par l’historiographie.
56NYSA A1809 vol. 4 doc. 183 ; CM1, p. 212-213.
57Faute de sources, peu de travaux croisent genre et race en Nouvelle-Néerlande. Peter R. Christoph, « The Freedmen of New Amsterdam », Journal of the Afro-American Historical and Genealogical Society, 5/3-4, 1985, p. 109-118 ; Thelma Wills Foote, Black and White Manhattan: The History of Racial Formation in New York City, 1624-1783, Oxford, Oxford University Press, 2004 ; Joyce D. Goodfriend, « Black Families in New Netherland », Journal of the Afro-American Historical and Genealogical Society, 5/3-4, 1984 ; Vivienne L. Kruger, Born To Run: the Slave Family in Early New York, 1626 to 1827, New York, PhD Diss., Columbia University, 1985 ; Morton Wagman, « Corporate Slavery in New Netherland », Journal of Negro History, 65/1, 1980, p. 34-42 ; Susanah Shaw Romney, « Race, Gender and the Making of New Netherland », Oxford Research Encyclopedia of American History, Oxford, Oxford University Press, 2015.
58S. S. Purple, Records of the Reformed Dutch Church, op. cit., p. 10-30 ; A. P. G. Jos Van den Linde (éd.), Old First Dutch Reformed Church of Brooklyn, New York: First Book of Records, 1660-1752, Baltimore, Genealogical Pub. Co., 1983, p. 141. L’union de « Jan le Nègre » et Annetje Abrahams de la fin de l’année 1663 est recensée également dans le registre de l’Église réformée de Brooklyn, en faisant mention du mois de décembre, et non de novembre. Du reste, six d’entre eux étaient veufs ou veuves, donc n’en étaient pas à leur premier mariage reconnu par l’Église réformée – et possiblement officié par celle-ci.
59Sur les modalités de l’esclavage « corporatif », tel que pratiqué par la WIC : P. R. Christoph, « The Freedmen of New Amsterdam », art. cité ; M. Wagman, « Corporate Slavery in New Netherland », art. cité.
60LO, p. 36.
61Jeremias Van Rensselaer, Correspondence of Jeremias van Rensselaer, 1651-1674, Albany, University of the State of New York, 1932, p. 364-365 (lettre du 11/21 octobre 1664).
62A.C. Mosterman, Spaces of Enslavement, op. cit., p. 44.
63P. R. Christoph, « The Freedmen of New Amsterdam », art. cité.
64A. C. Mosterman, Spaces of Enslavement, op. cit., p. 45.
65LO, p. vi-vii.
66ER, vol. 1, p. 150.
67A. C. Mosterman, Spaces of Enslavement, op. cit., p. 42.
68P. R. Christoph, « The Freedmen of New Amsterdam », art. cité ; J. Jacobs, The Colony of New Netherland, op. cit., p. 172-173 ; Edgar McManus, A History of Negro Slavery in New York, Syracuse, Syracuse University Press, 1966 ; M. Wagman, « Corporate Slavery in New Netherland », art. cité.
69A.-C. Faucquez, De la Nouvelle-Néerlande à New York, op. cit., p. 17 ; A. C. Mosterman, Spaces of Enslavement, op. cit.
70Jacques Dupâquier, La population française aux xviie et xviiie siècles, Paris, Presses universitaires de France, 1979 ; Jacques Dupâquier, Alfred Sauvy et Emmanuel Le Roy Ladurie, Histoire de la population française, Paris, Presses universitaires de France, 1988 ; Marius Eppel, Luminita Dumanescu et Daniela Iarza (éd.), Intermarriage Throughout History, Cambridge, Cambridge Scholars Press, 2014 ; A. Farge et N. Zemon Davis, Histoire des femmes en Occident, op. cit. ; Jean-Louis Flandrin, Le sexe et l’Occident : évolution des attitudes et des comportements, Paris, Le Seuil, 1981 ; Jean-Marie Gouesse, « L’endogamie familiale dans l’Europe catholique au xviiie siècle. Première approche », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, Temps modernes, 89/1, 1977, p. 95-116 ; Lawrence Stone, Family, Sex and Marriage in England 1500-1800, New York, Harper and Row, 1977.
71Donald Haks, Huwelijk en gezin in Holland in de 17de en 18de eeuw: processtukken en moralisten over aspecten van het laat 17de en 18de-eeuwse gezinsleven, Utrecht, HES Uitgevers, 1985, p. 105-140. Donald Haks insiste ainsi sur l’importance de l’endogamie aussi bien géographique que sociale dans la Hollande du siècle d’or : « Het huwelijk was daarbij sociaal en geografisch sterk endogaam, elke desbetreffende statistiek bewijst dit. » À propos de la tolérance et de la diversité religieuse dans les Provinces-Unies : Ronnie Po-Chia Hsia et Henk Van Nierop (dir.), Calvinism and Religious Toleration in the Dutch Golden Age, Cambridge, Cambrige University Press, 2002.
72Kathleen M. Brown, Good Wives, Nasty Wenches and Anxious Patriarchs: Gender, Race, and Power in Colonial Virginia, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1996 ; Vincent Gourdon et François-Joseph Ruggiu, « Familles en situation coloniale », Annales de démographie historique, 122, 2011, p. 5-39 ; Vincent Gourdon et François-Joseph Ruggiu, « Mariages, unions informelles, métissages : au cœur des sociétés coloniales », Annales de démographie historique, 135/1, 2018, p. 11-20 ; Ann Marie Plane, Colonial Intimacies: Indian Marriage in Early New England, Ithaca, N.Y., Cornell University Press, 2002.
73S. S. Purple, Records of the Reformed Dutch Church, op. cit., p. 10-30. Ces données sont tirées des informations géographiques données par les époux et, quand celle-ci n’est pas équivoque, à l’onomastique. Toutefois, combiné à l’orthographe parfois hasardeuse des notaires et aux lacunes nécessaires de ces informations, ces données restent de l’ordre de l’hypothèse.
74W. Frijhoff, Fulfilling God’s Mission, op. cit., p. 364-371 ; J. Jacobs, The Colony of New Netherland, op. cit., p. 144-179.
75Karen Sivertsen, Babel on the Hudson: Community Formation in Dutch Manhattan, Durham, PhD Diss., Duke University, 2007.
76J. Van Rensselaer, Correspondence of Jeremias van Rensselaer, 1651-1674, op. cit., p. 300-301 (traduit de l’anglais).
77Willem Frijhoff, « Govert Loockermans (1617?-1671?) and His Relatives: How an Adolescent from Turnhout Worked His Way up in the New World », traduction de « Govert Loockermans (1617?-1671?) en zijn verwanten: Hoe een Turnhoutenaar zich wist op te werken in de Nieuwe Wereld », Taxandria, Jaarboek van de Geschied- en Oudheidkundige Kring van de Antwerpse Kempen, LXXXII, 2011, p. 5-68.
78Linda Briggs Biemer, Women and Property in Colonial New York: the Transition from Dutch to English Law 1643-1727, Ann Arbor, UMI Research Press, 1983, p. 118-130 ; M. Gherke, Dutch Women in New Netherland and New York in the Seventeenth Century, op. cit., p. 76-80.
79Janny Venema, Beverwijck: A Dutch Village on the American Frontier, 1652-1664, Albany, SUNY Press, 2003, p. 225-229.
80NYSA A1809 vol. 5 doc. 226, trad. angl. : Council Minutes 1652-1654, Baltimore, Genealogical Publishing Co., 1983, p. 121.
81« The Deposition of Judith Varlet », The New York Genealogical and Biographical Record, vol. 71, p. 117-119.
82NYSA A1809 vol. 5 doc. 61, CM2, p. 37.
83Records of the Reformed Dutch Church, op. cit., p. 10-30. Entrées du 10 décembre 1651 et du 14 octobre 1656.
84NYSA A1809 vol. 5 doc. 197, 224-226 ; trad. angl. : CM2, p. 108-109, 120-122. Voir également NYMA RNA Box 1. 2. 1 doc. 56, 193a, 203b-c, 502a, 505b, 506b, 521a ; Box. 1.2.2 doc. 156 ; trad. RNA, vol. 1, p. 37-38, 155, 163-164, vol. 2, p. 33-34, 36, 39, 50.
85Berthold Fernow et Walewyn Van der Veen (éd.), The Minutes of the Orphanmasters of New Amsterdam, 1655 to 1663, New York, F. P. Harper, 1902, p. 3. Il y est précisé que Johannes Van Beeck a péri « au cours du récent désastre », ce que l’éditeur identifie comme étant la guerre du Pêcher du 15 septembre 1655 qui avait opposé les Susquehannocks à Stuyvesant.
86Ibid. ; NYSA A1809 vol. 5 doc. 210, 224-226, 372-373 ; vol. 6, doc. 346a, 362a 363b, 368a, 371a ; trad. angl. : CM2, p. 112-113, 120-122, 183-184 ; CM3, p. 286, 300-302, 306, 308-309 ; NYMA RNA Box 1. 2. 1 doc. 56-57, 193a, 203b-c, 502a, 505b, 506b, 521502a, 505b, 506b, 521a ; trad. RNA, vol. 1, p. 155, 163-164, vol. 2 p. 33-34, 36, 39, 50.
87NYMA RNA Box 1. 2. 1 doc. 233e ; trad. RNA, vol. 1, p. 199-200.
88NYSA A1809 vol. 8 doc. 87-88, 102 ; trad. Charles T. Gehring et Janny Venema (éd.), Council Minutes 1656-1658, Syracuse, Syracuse University Press, 2018, p. 60-61, 68-69.
89NYMA RNA Box 1. 2. 2 doc. 156 ; trad. RNA, vol. 2, p. 304. Également NYSA A1809 vol. 8 doc. 647.
90NYSA A1809 vol. 5 doc. 197-199, 250 ; trad. angl. : CM2, p. 108-109, 112-113, 135 ; NYMA RNA Box 1. 2. 1 doc. 56, 193a, 203b-c, 502a, 505b, 506b, 521a ; Box. 1.2.2 doc. 156 ; trad. RNA, vol. 1, p. 37-39, 155, 163-164, vol. 2, p. 33-34, 36, 39, 50.
91NYSA A1809 vol. 5 doc. 197-198-199, trad. angl. : CM2, p. 108-109, 112-113.
92D. Hamer, Creating an Orderly Society, op. cit., p. 164-165.
93NYSA A1809 vol. 5 doc. 226, trad. angl. : CM2, p. 121.
94Manon Van der Heijden, « Women as Victims of Sexual and Domestic Violence in Seventeenth-Century Holland: Criminal Cases of Rape, Incest, and Maltreatment in Rotterdam and Delft », Journal of Social History, vol. 33, no 3, 2000, p. 623-644.
95Lauren A. Benton, A Search for Sovereignty: Law and Geography in European Empires, 1400-1900, Cambridge, Cambridge University Press, 2010, p. 37-38.
96Ibid.

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