De Gaulle, Monnet et le Marché commun
Une ambiguïté constructive aux sources de l’Europe actuelle (1955-1969)
p. 59-74
Texte intégral
1Si Jean Monnet et Charles de Gaulle ont puissamment influencé la politique européenne de la France, ils ne se sont pas passionnés pour le Marché Commun créé en 1957, alors que ce dernier est à l’origine de l’Union européenne actuelle. Le Traité de Rome créant la Communauté économique européenne (CEE), le nom officiel du « Marché commun », reste en effet à la base du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), l’un des deux volets du Traité de Lisbonne de 2007, toujours en vigueur aujourd’hui. Or Jean Monnet était surtout préoccupé par l’autre Traité de Rome, celui consacré à la fondation d’Euratom, la communauté européenne sur l’énergie atomique, tandis que le général de Gaulle était tout entier mobilisé par le drame algérien, la réforme constitutionnelle et la crise financière. Monnet consacra la majeure partie de son énergie à promouvoir Euratom, tandis que de Gaulle, qui vitupérait contre la Communauté européenne de défense quelques années plus tôt (1952-1954), ne s’exprima pas sur le Marché commun avant son retour au pouvoir en juin 19581. Pour tous, le « Marché commun » est au départ secondaire par rapport à des accords plus ambitieux, concernant le domaine militaire ou de l’énergie nucléaire, surtout dans un contexte de crise algérienne et de la guerre froide2.
2Il importe donc de comprendre pourquoi ces deux personnages, partant de prémisses opposées, se sont retrouvés progressivement autour de la défense du Traité de Marché commun, qui, du fait de son ambiguïté et de sa flexibilité, permit de réunir partisans d’une Europe fédérale et défenseurs d’une Europe des États. Monnet défendait la première acception même s’il ne la définissait pas ainsi. Il croyait à la nécessité absolue d’ériger des institutions européennes puissantes, capables de s’imposer face aux États, même si ces derniers n’étaient pas appelés à disparaître, et pour dépasser les pulsions nationalistes. Au contraire, de Gaulle plaçait les nations éternelles, et donc les États traduisant leur expression, au centre de sa réflexion. Il soutenait la coopération européenne de manière active, étant conscient des interdépendances dans lesquelles la France se trouvait, mais toujours dans le respect absolu de la souveraineté nationale.
3La chronologie est bien connue : réunis à Messine du 1er au 3 juin 1955, les ministres des Affaires étrangères des six pays de la Communauté économique du charbon et de l’acier (CECA) décident de relancer les discussions sur l’intégration par les communautés européennes3. Après une première phase de négociations techniques, le rapport Spaak d’avril 1956, du nom du ministre belge des Affaires étrangères Paul-Henri Spaak, synthétise les discussions et propose une première ébauche. Elle sert de base de travail à la deuxième phase des négociations, plus politique, qui s’engage à partir de mai 1956 jusqu’à la signature des deux Traités de Rome le 25 mars 1957. Ces derniers sont appliqués sur le plan institutionnel à partir du 1er janvier 1958, alors que les premières clauses économiques sont mises en œuvre à partir du 1er janvier 1959, avec une première diminution de droits de douane à cette échéance. Cette dynamique est contemporaine de l’étiolement de la IVe République, enferrée dans ce qui était alors appelé les « évènements d’Algérie ». Ils provoquent le retour au pouvoir de Charles de Gaulle le 1er juin 1958, qui dirige la France comme président du Conseil puis comme président de la République jusqu’à son départ après l’échec au référendum du 28 avril 1969. Pendant toute cette période courant de 1955 à 1969, Monnet n’a pas de fonction officielle mais il crée en octobre 1955 puis préside le Comité d’action pour les États-Unis d’Europe, une association proeuropéenne influente composée de leaders politiques et syndicaux de différents pays.
4Le Traité de Rome créant la Communauté économique européenne est signé pour des raisons politiques, le soutien à l’idée européenne, le déclin de l’Europe accentué encore par la crise de Suez de 1956 et économiques, la conclusion d’un grand marché étant perçue comme génératrice de gains d’efficacité et donc d’une richesse accrue. Contrairement à la zone de libre-échange proposée à la même époque, par les Britanniques, le Marché commun n’est pas fondé uniquement sur la libération des échanges entre ses membres, mais aussi sur l’harmonisation de certaines politiques économiques et sociales afin d’éviter les fortes perturbations suscitées par une concurrence débridée. Paris obtient ainsi un régime spécial pour l’agriculture, pour ses territoires ultramarins, et des clauses sociales ponctuelles. Pour certains Français et singulièrement pour le général de Gaulle, la construction européenne peut être aussi un levier de puissance géopolitique, permettant à la Vieille Europe, conduite par la France, de peser dans le monde face aux superpuissances américaines et soviétiques. En somme, le Traité de Rome constitue un compromis entre une dynamique de libéralisme régulé dominante, des éléments de solidarité et des velléités de puissance4.
5En s’appuyant sur les archives d’époque et sur les études publiées5, et en se concentrant sur le Marché commun au sens strict, les projets nucléaires et les plans Fouchet étant couverts par les contributions respectives de Frédéric Gloriant et de Gérard Bossuat, il est possible de distinguer trois temps dans cette conversion surprenante au compromis du Marché commun : d’abord, Jean Monnet est au centre des négociations menant aux deux Traités de Rome, et porte un intérêt croissant au Marché commun (1955-1958) malgré sa focalisation initiale sur un autre modèle d’Europe. Ensuite, Charles de Gaulle émerge de son silence en 1958 et, à la surprise de certains observateurs, impose le Marché commun face à l’alternative britannique de la Zone de libre-échange. Cela n’élude pas, enfin, les profondes divergences entre Monnet et de Gaulle dans la mise en œuvre du Traité de Rome au cours des années soixante.
Jean Monnet : le Marché commun à défaut de l’intégration sectorielle
6Rédacteur de la Déclaration Schuman du 9 mai 1950, puis premier président de la Haute Autorité de la CECA, Jean Monnet est très attaché à la voie sectorielle de l’intégration européenne. Lorsque la relance des négociations européennes à Six se profile au printemps 1955, il plaide naturellement pour une extension de la logique de la CECA, consacrée au charbon et à l’acier, à d’autres secteurs connexes, comme les transports et l’énergie atomique civile. Cette dernière suscite alors de nombreux espoirs en Europe, et notamment en France, d’autant que ses conséquences négatives en termes d’irradiation sont alors sous-estimées. La crise de Suez de la fin 1956, et la fermeture du canal de Suez en résultant, relance encore l’intérêt pour ce type d’énergie alternative au pétrole, qui semble menacé par les conflits au Moyen-Orient. On sait aujourd’hui qu’il faut attendre le choc pétrolier de 1973 pour que l’industrie nucléaire civile connaisse un essor, alors que les années soixante sont marquées par l’explosion de l’usage du pétrole, mais cette évolution n’était pas anticipée en 1955-1957, lors de la négociation du Traité de Rome.
7L’extension progressive de l’intégration européenne à un nombre de secteurs toujours plus important est désignée par la métaphore de l’« engrenage ». Elle a été théorisée en 1958 par un politiste américain, Ernst Haas, sous la forme du néofonctionnalisme dans son célèbre ouvrage intitulé The Uniting of Europe, 1950-19576 qui s’appuyait justement sur l’exemple de la CECA. Il y anticipait un élargissement progressif des prérogatives des Communautés européennes par un processus de « débordement » (spill-over) vers des domaines voisins de plus en plus variés.
8En avril-mai 1955, Jean Monnet plaide auprès des ministres des Affaires étrangères français Antoine Pinay, italien Gaetano Martino et belge Paul-Henri Spaak, ainsi que du chancelier allemand Konrad Adenauer pour un élargissement des compétences de la Communauté aux transports et aux autres énergies que le charbon, notamment nucléaire7. Mais un autre projet d’intégration européenne est alors discuté en parallèle, celui d’une intégration non pas sectorielle mais générale. Il s’appuie sur le « Plan Beyen » de 1952 proposé alors par le ministre des Affaires étrangères néerlandais Jan-Willem Beyen8. Ce dernier avait alors proposé d’organiser l’Europe par une union douanière, qui reposerait sur l’abolition des barrières commerciales entre les partenaires, et sur la création d’un tarif extérieur commun, que Beyen imaginait bas, et avec des clauses d’harmonisation de certaines législations. Le Plan Beyen était soutenu par les petits pays du Benelux, par nature libre-échangistes. Le mémorandum des pays du Benelux, diffusé le 6 mai 1955 afin de préparer la rencontre de Messine des 1er au 3 juin 1955, réalise une synthèse entre les deux approches, l’intégration générale par le marché commun de Beyen et l’intégration sectorielle de Monnet. Dans ses mémoires, Monnet observe d’ailleurs : « J’étais d’accord sur ces propositions qui, à certains égards, allaient un peu plus loin que les miennes9. » Dès mai 1955, il avait déclaré publiquement : « Certains pensent que cette intégration plus étendue doit se faire en mettant en commun de nouveaux secteurs, d’autres pensent qu’il est nécessaire d’entreprendre progressivement une intégration économique générale. Nous pensons pour notre part, qu’il n’y a pas opposition entre ces deux méthodes10. » Finalement, les ministres des Affaires étrangères des six pays membres de la CECA décident à la réunion de Messine de mettre à l’étude les deux projets, un marché commun général, et une communauté sectorielle de l’énergie atomique, assez rapidement désignée sous le vocable d’Euratom.
9L’influence de Jean Monnet passe alors essentiellement par la création du Comité d’action pour les États-Unis d’Europe en octobre 195511. Association sommitale, elle réunit des représentants des partis politiques et des syndicats afin de promouvoir l’Europe communautaire. Au départ, Monnet concentre l’action du Comité essentiellement sur l’Euratom. Ses mémoires12, comme les biographies de François Duchêne et d’Éric Roussel13, ou le témoignage postérieur de Christian Pineau (ministre des Affaires étrangères français en 1956-1957)14, confirment la claire priorité donnée à l’Euratom. Les archives britanniques corroborent ce choix, et livrent la vision d’un Jean Monnet décrit comme obsédé par les besoins énergétiques européens, en particulier dans le cadre de la compétition avec l’URSS15.
10Dès janvier 1956, la première session du Comité d’action adopte une résolution donnant la priorité à Euratom16. En août 1956, en séjour à la montagne, il écrit dans une note personnelle : « Nous devons poursuivre l’Euratom parce qu’avec la CECA nous aurons ainsi des points fixes. Nous devons continuer à parler du Marché commun et dans la mesure du possible à le réaliser pour le début au moins17. » Monnet n’est donc pas hostile au Marché commun, mais sceptique quant à sa réalisation rapide. Il est vrai qu’à l’époque, une majorité du patronat et des responsables administratifs et politiques français doutent de la capacité de la France à s’adapter au libre-échange international.
11En septembre 1956, Jean Monnet tente de convaincre le chancelier Adenauer, avec lequel il entretient une bonne relation, de la nécessité d’accélérer la négociation d’Euratom18, pour conclure ce Traité avant celui du Marché commun, alors bloqué par la divergence entre le très libéral Ludwig Erhard, le ministre de l’Économie allemand, et les Français, plus protectionnistes19. Toutefois, Adenauer, en rencontrant Monnet le 30 septembre, lui fait comprendre que ce projet de Marché commun est indispensable pour les Allemands, ainsi que pour les autres pays libre-échangistes comme ceux du Benelux20. Le risque existe que ces derniers se détournent de la coopération européenne avec la France pour lui préférer des projets plus libéraux promus dans d’autres cadres. Ainsi, à la fin du mois d’octobre 1956, devant le blocage des négociations à six lié à l’antagonisme économique franco-allemand, Ludwig Erhard propose de privilégier la Zone de libre-échange britannique plutôt que le Marché commun21. Or la Zone de libre-échange est un accord bien plus libéral et moins intégré, qui concerne d’ailleurs l’ensemble de l’Europe occidentale. Adenauer impose cependant la solution communautaire, mais l’alternative purement libérale demeure.
12À Paris, si les décideurs français sont moins européistes que Jean Monnet, ils établissent aussi le même ordre de priorité. Les responsables français, politiques, administratifs et économiques, sont globalement très sceptiques envers le Marché commun en 1955, et demeurent réticents en 1956 malgré l’engagement proeuropéen du nouveau gouvernement de Guy Mollet arrivé au pouvoir le 1er février 195622. Par contre, Paris se montre intéressé par Euratom car cette coopération pourrait faciliter la recherche nucléaire civile française, sans brider son programme militaire. Le gouvernement français obtient d’ailleurs des assurances à ce propos23. Finalement, les deux traités, du « Marché commun » et de l’Euratom, sont signés en même temps à Rome le 25 mars 1957. L’intérêt de Monnet persiste pour Euratom : deux de ses plus proches collaborateurs, Max Kohnstamm et Jacques Van Helmont, quittent d’ailleurs le Comité d’action pour cette nouvelle communauté de l’énergie atomique en 195824.
13Jean Monnet n’est certes pas hostile au Marché commun comme on l’a vu25, mais il s’y intéresse plus tardivement, et sous l’influence de deux proches collaborateurs qui sont aussi des économistes, Pierre Uri et Robert Marjolin26. Uri est un professeur de philosophie, contraint d’interrompre son activité sous Vichy à cause du Statut des Juifs. Devenu économiste, il entre au service de Monnet au commissariat au Plan puis à la CECA, où il est directeur de la division Économie générale de 1952 à 1959. Il occupe donc une place essentielle dans les institutions communautaires, et y déploie une réflexion favorable au Marché commun européen, seul moyen de relever le défi de la concurrence des États-Unis et de l’Union soviétique. Cette idée est d’ailleurs reprise dans un film d’actualité de janvier 1957 présentant les débats sur le futur Traité de Rome : les États-Unis mais aussi l’Union soviétique y sont présentés comme des États intrinsèquement efficaces et puissants du fait de la taille de leur marché intérieur27. La démonstration de l’intérêt du Marché commun dépasse donc la simple adhésion aux théories économiques néoclassiques, ce qui est logique pour le socialiste Uri. Uri sert ensuite de conseiller pour Spaak, pour qui il rédige, avec l’expert allemand Hans von der Goeben, le rapport Spaak d’avril 1956. De son côté, Marjolin est également un personnage original : travaillant très jeune du fait de contraintes familiales, il ne passe pas le baccalauréat mais reprend ses études sur le tard et devient professeur d’économie28. Il rencontre Jean Monnet en 1940. Américanophile comme ce dernier (sa femme est américaine), Marjolin travaille sous sa direction, comme chef de la mission d’achat aux États-Unis en 1943, puis comme commissaire-adjoint au Plan, avant de devenir secrétaire général de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE), la première organisation européenne. Comme Uri, il occupe une place centrale dans les négociations du Traité de Rome, comme conseiller pour les affaires européennes du ministre des Affaires étrangères, le socialiste Christian Pineau, en 1956-1957. À ce poste, il plaide inlassablement pour le Marché commun face à un personnel politique et administratif divisé, au début méfiant, puis graduellement convaincu de son intérêt, surtout face à la menace du projet britannique de Zone de libre-échange, bien plus menaçant car ne comprenant aucune des clauses de régulation et d’atténuation du libéralisme présentes dans le Traité de Rome29. Marjolin s’appuie sur Guy Mollet, le chef du gouvernement, et Maurice Faure, le secrétaire d’État aux Affaires étrangères. Tous deux sont membres du Comité d’action de Monnet.
14Après la signature du Traité de Rome en mars 1957, Uri et Marjolin convainquent Monnet de mobiliser le Comité d’action en 1957 pour obtenir une ratification rapide des Traités de Rome, afin d’éviter les errements de la Communauté européenne de la défense, dont le Traité avait été signé en 1952, puis rejeté en 1954 lors du débat de ratification30. À partir de l’automne 1957, Monnet devient même plus méfiant envers la Zone de libre-échange britannique alors que les négociations européennes se tendent : Paris demande en effet des clauses de régulation des échanges proche de celles obtenues dans la Communauté européenne, alors que Londres attaque cette dernière à l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), l’organisation chargée du commerce international. Alors que le Royaume-Uni avait présenté sa Zone de libre-échange comme complémentaire du Marché commun, elle apparaît de plus en plus comme une concurrente : grande Europe libérale ou petite Europe intégrée, telle est la question. Monnet s’en inquiète auprès de ses correspondants britanniques31. Il anticipe un échec possible de ce projet de Zone de libre-échange, surtout si cette dernière menace la Communauté européenne. Monnet suit ainsi la voie tracée auparavant par Marjolin : privilégier le Marché commun, dont l’équilibre entre les dynamiques libérales et sociales offre la meilleure opportunité de croissance et de modernisation pour l’économie française, et de poursuite de la dynamique européenne.
De Gaulle impose le Marché commun contre la Zone de libre-échange
15De son côté, de Gaulle partage le souci modernisateur de l’équipe Monnet, mais l’insère dans une conception interétatique de la construction européenne, qui l’amène pourtant à jouer un rôle déterminant dans le succès du Marché commun face à la Zone de libre-échange. Il importe tout d’abord de souligner l’intérêt ancien du leader de la France libre pour une construction européenne fondée sur le caractère central et intangible des nations et de leur expression première, les États. Il n’a jamais parlé d’« Europe des patries » sauf pour en rejeter la paternité, mais d’une Europe des peuples et des États32. Dès le 18 mars 1944, de Gaulle évoque la nécessité de construire « un groupement occidental prolongé par l’Afrique et dont la Manche, le Rhin, la Méditerranée seraient comme les artères, [qui] paraît pouvoir constituer un centre capital dans une organisation mondiale des productions, des échanges et de la sécurité ». Comme les autres dirigeants français, il pense d’abord à une Europe franco-britannique, avant d’évoluer face aux réticences de Londres. Il soutient le Pacte Atlantique mais critique vigoureusement la CECA et surtout la CED au nom de l’hostilité au fédéralisme européen. Le 21 décembre 1951, il précise : « La communauté doit être une Confédération. Oui, une confédération d’États constituant entre eux un pouvoir confédéral commun, auquel chacun délègue une part de sa souveraineté. Ceci, en particulier, dans la matière économique, dans la matière de la défense, et dans la matière de la culture33. » Pour bâtir cette communauté, il faut que « la France soit debout » et que l’Allemagne soit encadrée grâce à une entente entre France et Allemagne, condition non remplie selon lui. Dans sa conférence de presse du 25 février 1953 dénonçant l’« Inspirateur », en réalité Jean Monnet, il ne s’oppose ni à la construction européenne ni au réarmement allemand, mais à une Europe fédérale et atlantique personnifiée par la CED34.
16Face au Marché commun pourtant, son opinion est plus ambiguë. De Gaulle ne s’est pas exprimé sur cette Communauté car sa création prend place lors d’une période de silence médiatique imposée, entre 1955 et le 19 mai 195835. Lorsqu’il revient au pouvoir en juin 1958, l’urgence est d’abord au rétablissement de l’autorité de l’État alors que la sédition militaire guette en Algérie. Ses intentions en matière européenne ne sont pas connues. Les Américains anticipent en toute logique qu’il rejette la Communauté européenne, dont les institutions sont en partie supranationales, pour lui préférer la Zone de libre-échange, beaucoup plus modeste et donc intergouvernementale. Pourtant les archives attestent que de Gaulle étudie la question dès juin 1958 et qu’il accepte la CEE car il l’assimile à un « traité de commerce », expression qui revient à de nombreuses reprises au début des années 196036. Pour de Gaulle, la Communauté est à la fois utile sur le plan économique, afin de stimuler les milieux économiques français qui cèdent trop facilement aux sirènes du protectionnisme, et inoffensive sur le plan politique. Sans doute s’appuie-t-il sur l’exemple précédent de la CECA, dont les institutions supranationales n’eurent qu’une influence finalement assez limitée malgré les ambitions initiales de Monnet. Enfin, même si Euratom ne menace pas le programme nucléaire militaire français, qui se poursuit discrètement sous tous les gouvernements de l’époque, de Gaulle repousse cette communauté dans la mesure où elle touche à un domaine stratégique.
17Au-delà, l’Europe des Six représente un cadre utile pour ses projets de coopération politique, qu’il évoque dès le 7 août 1958 avec le président du Conseil italien Amintore Fanfani venu à Paris, puis dans une note du 13 août 195837. Il y affirme :
« L’Europe doit devenir pratiquement une réalité sur les plans politique, économique et culturel. Dans cet esprit, la mise en œuvre des traités du Marché commun et d’Euratom sera poursuivie. À partir de la base ainsi établie, la coopération pourra être développée dans un cadre plus vaste que celui des Six en évitant, toutefois, que l’évolution provoque des difficultés graves dans tel ou tel pays. […] Pour atteindre les objectifs mentionnés ci-dessus, des consultations régulières auront lieu entre les gouvernements intéressés. Ce mécanisme de consultations pourra prendre un caractère en quelque sorte organique au fur et à mesure qu’il se développera. »
18La note montre ainsi l’ancienneté des réflexions conduisant au Plan Fouchet de 1960-1962. La construction européenne s’insère dans le projet gaullien de rétablissement de la puissance française en constituant non pas une finalité mais l’un des outils, comparables à la réforme de l’OTAN (qu’il demande dès septembre 1958) ou à la Communauté française à l’échelle de l’Empire français38.
19Par la suite, de Gaulle opère deux choix cardinaux pour la construction européenne : non seulement, il soutient le Marché commun mais bien plus encore il met la France en capacité de respecter complètement ses engagements européens par un puissant plan de libéralisation, le Plan Rueff, tout en rejetant le projet britannique de Zone de libre-échange, symbole du libéralisme non régulé qu’il veut éviter39. Paradoxalement, ces deux décisions occupent une place mineure dans les histoires de la construction européenne, alors qu’elles sont essentielles pour orienter l’organisation du continent vers le modèle de la Communauté, celui d’un libéralisme régulé, adossé à des éléments de solidarité, au détriment du libre-échange pur des Britanniques.
20Le Plan Rueff résulte d’un constat du déclin de la France lié à sa crise financière. En 1956-1957, la France est le seul pays riche du bloc occidental à demander une suspension de ses obligations de libération des échanges, en l’occurrence l’impératif, accepté dans le cadre de l’OECE (créée en 1948 pour appliquer le Plan Marshall), de supprimer la grande majorité des quotas (la limitation des importations à une quantité fixe à ne pas dépasser). Les déficits de la balance commerciale liés à un manque de compétitivité, et du budget en raison des dépenses croissantes de ce qui est alors appelé les « évènements d’Algérie », provoquent des fuites de capitaux. Douze années après la fin de la guerre, Paris doit quémander des fonds à ses partenaires à l’hiver 1957-1958, aux Américains bien sûr mais aussi, humiliation suprême, aux Allemands de l’Ouest. Les bons offices de Jean Monnet sont d’ailleurs sollicités par le gouvernement français, dirigé alors par Félix Gaillard, un ancien chef de cabinet de Monnet en 1944, pour faciliter la négociation40.
21Impossible pour de Gaulle de prétendre mener une politique de Grandeur si la France ne rétablit pas sa pleine souveraineté financière. Il réunit donc une commission d’expert présidée par l’économiste libéral Jacques Rueff, par ailleurs juge à la Cour de Justice des Communautés européennes et soutien de la construction européenne. Rueff préconise un plan radical fondé à la fois sur des mesures d’économie budgétaire, une dévaluation du franc et surtout une libéralisation des échanges. Cette dernière doit permettre à la France de respecter ses obligations européennes, celle de l’OECE mais aussi celle du Traité de Marché commun qui prévoit une première baisse de 10 % des droits de douane au premier janvier 1959. Cette mesure doit permettre de rétablir l’autorité politique du pays : en appliquant ses engagements de libération des échanges, la France montre qu’elle est un partenaire fiable. En ouvrant progressivement son marché, elle peut influencer la construction européenne, en privilégiant le Marché commun sur la Zone de libre-échange. En interne, la libération des échanges doit stimuler l’économie française, engourdie dans le protectionnisme, tout en bénéficiant du cadre régulé du Marché commun. De Gaulle accepte le Plan Rueff et le met en œuvre malgré une large opposition de ses ministres, de ses hauts fonctionnaires, et des milieux économiques, inquiets de la sortie de la gangue protectionniste41. Dans ses mémoires, de Gaulle insiste sur le caractère politique de cet enjeu :
« C’est là une révolution ! Le plan nous conseille, en effet, de faire sortir la France de l’ancien protectionnisme qu’elle pratique depuis un siècle […] Sans cet effort et ces sacrifices, nous resterions un pays à la traîne, oscillant perpétuellement entre le drame et la médiocrité. Au contraire, si nous réussissons, quelle étape sur la route qui nous mène vers les sommets42. »
22Tout est dit : sans la libération des échanges, la France est condamnée au déclin, à un retour au passéisme vichyste.
23Le corollaire de ce rétablissement interne est le rejet de la Zone de libre-échange britannique. Il intervient en novembre 1958, juste avant le Plan Rueff de décembre 1958 qui permet de restaurer définitivement la crédibilité française, et donc d’enterrer définitivement le projet britannique. À l’origine, Paris avait été favorable à ce projet qui semblait compléter naturellement le Marché commun : à la Petite Europe intégré à Six, venait s’ajouter une Grande Europe plus lâche. Mais bientôt, en 1957-1958, les négociations menées, ainsi que l’agressivité britannique au GATT contre le Marché commun, montrent que les Britanniques veulent en réalité menacer ce dernier, en le vidant de son contenu. En effet, si une Zone de libre-échange purement libérale, fondée sur la suppression des droits de douane entre ses partenaires sans aucune mesure d’harmonisation, voyait le jour, alors la Communauté européenne serait menacée, les libéraux comme Erhard pouvant choisir de se concentrer sur la Zone plus que sur une Petite Europe trop influencée à leurs yeux par le dirigisme français. Les observateurs de l’époque parlaient de dissoudre la Communauté européenne dans la Zone, comme le sucre se mélange au thé.
24Par une habile diplomatie défensive, qui s’appuie en partie sur la jeune Commission européenne née en janvier 1958, qui ferraille également contre la Zone, Paris irrite Londres. Le négociateur britannique suspend alors les discussions le 15 novembre 1958. De Gaulle en profite pour les interrompre complètement. Il obtient d’abord l’accord des Allemands, puis des Six, autour d’un accord fondé sur une association entre l’application pleine et entière du Marché commun, donc y compris la libéralisation des échanges, et le rejet de la Zone de libre-échange à court terme. Le Plan Rueff décidé peu après lui permet de satisfaire cette promesse. Les Six se concentrent sur le Marché commun et Londres, dépitée, se replie sur l’Association européenne de libre-échange fondée en 1960, une Europe des Sept plus libérale.
25Ainsi, partant de prémisses différentes de ceux de Monnet, même si le souci de modernisation économique et de pacification structurelle des relations franco-allemandes les rassemble, de Gaulle en vient lui aussi à soutenir le Marché commun sur le tard. Il joue même un rôle cardinal en concrétisant son caractère central dans l’organisation du continent, en repoussant l’alternative de la Zone de libre-échange.
Deux projets rivaux d’Europe
26L’intérêt porté au Marché commun par Monnet et de Gaulle réside dans leur commune analyse de l’intérêt structurel de la France pour une Europe caractérisée par un équilibre entre une dynamique de marché dominante, complétée par des éléments de solidarité et de puissance43. Mais les deux hommes ont des analyses divergentes des institutions.
27Pour de Gaulle, l’Europe doit être interétatique, les possibilités fédérales du Marché commun doivent donc être tuées dans l’œuf. Ainsi se comprennent les offensives du Plan Fouchet (1960-1962) et de la crise de la Chaise vide (1965-1966). Le Plan Fouchet s’inscrit dans une offensive pensée dès 195944 pour encadrer le Marché commun par une organisation politique de l’Europe de nature interétatique, qui préviendrait toute velléité fédérale communautaire. Il échoue en 1962. Au contraire, la crise de la Chaise vide est déclenchée en réaction à un contexte menaçant, en l’occurrence le plan du président de la Commission européenne, l’Allemand Walter Hallstein, présenté en mars 1965, visant à accroître les prérogatives des institutions supranationales45. Elle s’inscrit dans une volonté gaullienne de plus long terme de sanctionner une Commission européenne perçue comme trop ambitieuse et d’imposer une interprétation interétatique du Traité de Rome. Paris retire alors ses représentants du Conseil des ministres et pratique donc la « Chaise vide », jusqu’à ce que la Commission fasse amende honorable. L’étude des archives de la période montre toutefois que le contact n’a jamais été rompu entre la France et ses partenaires européens. La première a continué d’appliquer la législation européenne, tandis que les seconds se sont abstenus de prendre à Cinq des décisions importantes sans la France. Le compromis de Luxembourg du 29 janvier 1966 sanctionne le retour de la France dans les Communautés car Paris obtient que le vote à la majorité qualifié au Conseil, prévu par le Traité de Rome, ne soit pas appliqué (ce qui a été le cas jusqu’en 1986). À défaut de pouvoir renégocier le Traité de Rome, de Gaulle en a obtenu une interprétation intergouvernementale.
28Mais en parallèle, de Gaulle soutient les approfondissements économiques du Marché commun s’ils correspondent à l’intérêt immédiat de la France. Ainsi, Paris non seulement applique les mesures de libération des échanges prévues dans le Traité de Rome de 1957, mais accepte aussi leur mise en œuvre anticipée. Les résultats positifs de la balance commerciale française facilitent cette conversion au libéralisme. Le pouvoir gaullien soutient aussi la démarche communautaire dans les négociations commerciales internationales conduites au GATT : les Six font ainsi front uni face aux États-Unis dans le Kennedy Round, la première grande négociation de libéralisation commerciale internationale tenue après-guerre, entre 1964 et 1967, qui débouche sur des baisses de droit de douane de 35 % environ. Paris soutient constamment la démarche communautaire dans ce difficile débat transatlantique, y compris pendant la Chaise vide de 1965-196646.
29Au-delà de l’Europe du marché, de Gaulle obtient des concessions importantes en matière d’Europe solidaire, la Politique agricole commune (PAC) en 1962 tout d’abord, et des fonds pour les territoires français métropolitains et les anciennes colonies d’Afrique à travers les accords de Yaoundé de 196347. Ces deux éléments constituaient déjà des priorités pour les négociateurs français de 1956-1957, mais de Gaulle transforme ces projets en réalité tangible, ce qui était loin d’être évident considérant les oppositions qu’elles généraient, notamment en Allemagne.
30Enfin, le pouvoir gaullien soutient l’ambition d’Europe puissance dans le domaine économique à travers deux projets. Le premier concerne la politique industrielle européenne et se fonde sur la promotion de dispositifs d’encouragement à la coopération des entreprises lancés en 1965 pour relever le défi de la concurrence internationale. Mais ces mesures n’ont eu aucun succès puisque la crise de la Chaise vide survenue à l’été 1965 paralyse tous les débats. La seconde concerne la politique monétaire et émane de l’« hypergaulliste » Michel Debré, devenu ministre de l’Économie et des Finances en 1966. Il lance alors une offensive à Six contre les États-Unis dans le débat sur la réforme du Système monétaire international48. Debré veut profiter de l’effet de levier de la CEE pour s’opposer à Washington en la matière, mais sans succès. Si ces deux projets ont échoué et demeurent interétatiques, ils n’en témoignent pas moins de l’intérêt du pouvoir gaullien pour une construction européenne certes non fédérale, mais néanmoins affirmée.
31Au contraire, les projets de Monnet et de ses proches sont plus supranationaux. Dans les années soixante, Jean Monnet concentre ses forces sur les développements du Marché commun dans le domaine monétaire. En relation avec l’économiste belgo-américain Robert Triffin, critique précoce des déséquilibres du Système monétaire international, et avec son ancien adjoint Robert Marjolin, devenu vice-président de la Commission européenne, en charge de l’économie et aux finances, il lance plusieurs projets de fonds de réserve. Ils visent à compléter le Traité de Rome par des dispositions permettant d’aider un pays souffrant d’une crise de la balance des paiements. Une solidarité financière et monétaire européenne se manifesterait ainsi concrètement, rendant inutile la sollicitation d’institutions internationales ou de mécanismes de crédits bilatéraux. Profitant de la crise financière française de 1957-1958, Triffin et Monnet lancent un premier projet de fonds de réserve dès 1957, tandis que Marjolin, devenu commissaire européen, propose à deux reprises de renforcer la solidarité monétaire européenne en 195849. Par la suite, Monnet reprend ces idées dans le cadre du Comité d’action pour les États-Unis d’Europe, avec des résolutions en 1959 et 1961 notamment. Les cibles évoluent : la France n’est plus sujette à des crises graves, et même celle de 1968 se déroule sans assistance internationale majeure. C’est maintenant l’Italie qui fait face à une crise en 1964, puis le Royaume-Uni qui est confronté à la faiblesse de la livre à partir de 1967. Certes, Londres reste en dehors de la Communauté mais l’anglophile Jean Monnet veut l’arrimer solidement au Marché commun. Marjolin promeut également un renforcement de la coopération monétaire européenne à Bruxelles, au sein de la Commission européenne, en l’insérant dans le cadre de son projet plus global de politique économique à moyen terme, une sorte d’adaptation de la planification indicative française à l’échelle européenne50. Ces projets échouent mais démontrent bien les potentialités supranationales du Marché commun pour Monnet et ses proches.
Conclusion
32Partant de deux prémisses opposées, Jean Monnet et Charles de Gaulle se rejoignent finalement dans un soutien commun à la Communauté économique européenne, dont la flexibilité explique le succès. Les prémisses sont différentes car Monnet cherche avant tout à ancrer la France dans une organisation puissante de l’Europe de l’Ouest et du monde atlantique, alors que de Gaulle voit dans la construction européenne un levier pour magnifier la puissance nationale. Monnet s’est d’abord passionné pour Euratom plus que pour le Marché commun, avant de comprendre rapidement l’intérêt de ce dernier et de le soutenir. Il mobilise son Comité d’action en faveur des deux Traités, mais il ne joue pas un rôle direct décisif dans la négociation du Marché commun. De Gaulle joue un rôle encore plus négligeable dans le façonnage de ces deux traités, éloigné qu’il était du pouvoir, mais il influence considérablement leur application, consignant Euratom aux oubliettes de l’histoire, et imposant au contraire la Communauté économique européenne comme l’instance majeure d’organisation économique du Continent.
33Les deux hommes voient dans cette Communauté un accord imparfait mais utile. Pour Monnet, l’accord ne donne pas assez de prérogatives aux institutions supranationales, en particulier sur le plan sectoriel, mais il permet de relancer la construction européenne après l’échec de la CED, et de poursuivre l’œuvre de modernisation entreprise au Commissariat au Plan. Pour de Gaulle au contraire, le Traité est trop supranational mais le nouveau dirigeant français s’en inquiète peu : après tout, le Traité de Paris accordait des prérogatives théoriques importantes à la Haute autorité de la CECA, qui n’a pas pu s’en saisir. Le Marché commun est voué selon lui à rester un simple « traité de commerce » autorisant une ouverture progressive de l’économie française à la concurrence internationale dans un cadre régulé, et avec des contreparties directes (l’agriculture, les accords avec les pays et territoire d’Outre-Mer).
34Symétriquement, les deux rejettent finalement la Zone de libre-échange britannique en 1958 alors qu’en théorie, elle aurait pu correspondre à leurs préférences, celles de renforcer le bloc atlantique pour Monnet, celles d’organiser l’Europe exclusivement par les États, sans institutions supranationales, pour de Gaulle. Mais le libéralisme pur, non régulé, promu par les Britanniques heurtait les intérêts économiques et géopolitiques français, fondés sur un équilibre entre les logiques de marché, de solidarité et de puissance.
35En somme, l’Inspirateur comme le Connétable ont vu dans la Communauté de Rome un traité flexible, tant sur le plan institutionnel que sur le plan économique. Les deux hommes ont ensuite cherché à faire prévaloir leurs conceptions du Traité de Rome dans les années 1960, Monnet en soutenant d’ambitieux projets d’Europe monétaire, de Gaulle en imposant une conception plus minimale d’un libéralisme régulé, complété d’accords en faveur des productions agricoles et ultramarines. Finalement, le paradoxe d’un Marché commun ignoré au départ, puis point de convergence entre Monnet et de Gaulle s’explique par la flexibilité du Traité de Rome. Ce dernier a pu accommoder les deux projets modernisateurs monnetiste et gaullien et s’imposer jusqu’à aujourd’hui.
Notes de bas de page
1Sur les conceptions respectives de Jean Monnet et de Charles de Gaulle, nous renvoyons dans le présent ouvrage à l’introduction, ainsi qu’aux articles introductifs d’Éric Roussel et de Gérard Bossuat. Au sein de la vaste littérature consacrée aux conceptions internationales du général de Gaulle, distinguons la synthèse historique complète de Maurice Vaïsse et l’étude très précise d’Edmond Jouve : Vaïsse Maurice, La Grandeur. Politique étrangère du général de Gaulle, 1958-1969, Paris, Fayard, 1998 ; Jouve Edmond, Le général de Gaulle et la construction de l’Europe (1940-1966), Paris, LGDJ, 1967.
2Sur la guerre froide, voir Soutou Georges-Henri, La guerre de cinquante ans, Paris, Fayard, 2001 ; la période est marquée en 1956 par les crises hongroises et de Suez, en 1957 par l’envoi du Spoutnik qui entretient la peur d’une supériorité soviétique dans le domaine des missiles balistiques, entre 1958 et 1963 par la crise de Berlin, et en 1962 par la crise de Cuba. Est également lancée en 1957 une discrète coopération nucléaire franco-allemande qui s’interrompt en 1958.
3Nous renvoyons ici aux classiques, les plus complets étant Gerbet Pierre, La construction de l’Europe, Paris, Armand Colin, 2007 ; Bossuat Gérard, L’Europe des Français, Paris, Publications de la Sorbonne, p. 261-395.
4Warlouzet Laurent, Europe contre Europe. Entre liberté, solidarité et puissance, Paris, CNRS Éditions, 2022.
5Cette étude s’appuie essentiellement sur la thèse de doctorat de l’auteur, fondée sur les archives française (archives nationales, diplomatiques et du ministère des Finances) et européennes (Fondation Jean Monnet de Lausanne, archives de l’Union européenne à Bruxelles et Florence). L’ensemble a été publié sous forme d’un livre en accès libre sur le site Open Edition : Warlouzet Laurent, Le choix de la Communauté économique européenne par la France (1955-1969), Paris, Igpde, 2011, accessible sur [https://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/igpde/160].
6Haas Ernst, The Uniting of Europe: political, social, and economic forces, 1950-1957, Stanford, Stanford UP, 1958.
7Bossuat Gérard, L’Europe des Français, op. cit., p. 266-269.
8Harryvan Anjo et Kersten Albert, « The Netherlands, Benelux and the Relance européenne, 1954-1955 », in Serra Enrico (dir.), La relance européenne et les traités de Rome, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 131 et 142.
9Monnet Jean, Mémoires, vol. 2, Paris, Fayard, coll. « Livre de poche », 1976, p. 599.
10Archives de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe de Lausanne, AMH 69/1/1, discours de Jean Monnet prononcé devant l’Assemblée consultative du Pool charbon-acier à Strasbourg, « La relance de l’Europe », Rabat, 21 mai 1955, cité in Grin Gilles, « Jean Monnet, le Comité d’action pour les États-Unis d’Europe et la genèse des traités de Rome », Relations internationales, no 136, 2008, p. 22.
11Voir notamment Grin Gilles, op. cit., p. 21-32 ; Fontaine Pascal, Le Comité d’action pour les États-Unis d’Europe de Jean Monnet, Lausanne, Centre de recherches européennes, 1974.
12Monnet Jean, Mémoires, Paris, Fayard, coll. « Livre de poche », vol. 2, 1976, chapitre xvi : « Le Comité d’action pour les États-Unis d’Europe (1955-1975) », p. 603-644.
13Duchêne François, Jean Monnet, The first statesman of interdependence, New York/Londres, WW Norton&Company, 1994, p. 292 et 306 ; Roussel Éric, Jean Monnet, Paris, Fayard, 1996, p. 689 et 709.
14Christian Pineau in Serra Enrico (dir.), La relance européenne, op. cit., p. 282.
15Archives nationales britanniques, FO 371/122029/24, note sur un entretien de Maclay (MP) avec Jean Monnet le 6 juin 1956, note du 22 juin 1956.
16Monnet Jean, Mémoires, Fayard, coll. « Livre de poche », vol. 2, 1976, p. 622-628.
17Jean Monnet, note écrite à Vulpera, Grisons, Suisse, le 5 août 1956, in Rieben Henri, Camperio-Tixier Claire et Nicod Françoise, À l’écoute de Jean Monnet, Lausanne, Fondation Jean Monnet pour l’Europe, 2004, p. 105.
18Wilkens Andreas, « Jean Monnet, Konrad Adenauer et la politique européenne de l’Allemagne fédérale, convergences et divergences, 1950-1957 », in Bossuat Gérard et Wilkens Andreas (dir.), Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la Paix, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, p. 200-201.
19Duchêne François, Jean Monnet, op. cit., p. 297.
20Wilkens Andreas, « Jean Monnet, Konrad Adenauer… », op. cit., p. 200-201 ; sur la conversion du SPD, voir aussi Roussel Éric, Jean Monnet, op. cit., p. 612-614.
21Löffler Bernhard, Soziale Marktwirtschaft und administrative Praxis, Stuttgart, Franz Steiner, 2002, p. 563.
22Warlouzet Laurent, Le choix de la CEE par la France (1958-1969), op. cit., chap. i.
23Bossuat Gérard, L’Europe des Français, 1943-1959, Paris, Publications de la Sorbonne, 1996, p. 312.
24Duchêne François, Jean Monnet, op. cit., p. 310.
25Voir de nombreuses références supplémentaires montrant le soutien de Monnet au Marché commun dans les années 1955 et 1956 in Grin Gilles, « Jean Monnet, le Comité d’action pour les États-Unis d’Europe et la genèse des traités de Rome », Relations internationales, no 136, 2008, p. 26-28.
26Sur Uri, Monnet Jean, Mémoires, op. cit. p. 594-596 ; Sur Marjolin, Duchêne François, Jean Monnet, op. cit., p. 291.
27« Le marché commun, 160 millions de clients », 23 janvier 1957, film d’actualité disponible sur le site web [http://www.ina.fr].
28Sur Marjolin, voir ses mémoires : Marjolin Robert, Le travail d’une vie (1911-1986), Paris, Robert Laffont, 1986 ainsi qu’un colloque : Académie des Sciences morales et politiques (éd.), Robert Marjolin : colloque du mardi 9 décembre 2003, Paris, Institut de France, 2004.
29Sur le débat entre Communauté européenne et Zone de libre-échange, voir Warlouzet Laurent, Le choix de la CEE par la France, op. cit., p. 60-217.
30Roussel Éric, Jean Monnet, op. cit., p. 715.
31Archives nationales britanniques, FO 371/ 128365, note de D. Eccles, Board of Trade, 21 octobre 1957 : « M. Jean Monnet’s Views on FTA ».
32Conférence de presse de Charles de Gaulle du 15 mai 1962.
33Gaulle Charles de, Mémoires d’espoir suivi d’un choix d’allocutions et messages, Paris, Plon, 1999, p. 527-528.
34Ibid., p. 652-653.
35Jouve Edmond, Le général de Gaulle et la construction de l’Europe, op. cit., p. 252-253.
36AMAE, PA-AP 314, vol. 1, compte rendu d’une réunion du 10 juin 1958 chez de Gaulle sur les questions internationales ; sur les années soixante : Gaulle Charles de, Lettres, notes et carnets, t. IX, Plon, Paris, 1986, p. 48-49 : « apostille sur une note du Premier ministre à propos de la politique européenne », 27 février 1961 ; Peyrefitte A., C’était de Gaulle, t. II, op. cit., p. 335, entretien du 20 novembre 1963 entre Peyrefitte et de Gaulle.
37Gaulle Charles de, Mémoires d’espoir. Le renouveau, 1958-1962, Paris, Plon, 1970, p. 202 ; Gaulle Charles de, Lettres, notes et Carnets, t. VIII : Juin 1958-décembre 1960, Paris, Plon, 1985, p. 73.
38Sur la réforme de l’OTAN, voir Soutou Georges-Henri, La guerre de cinquante ans, op. cit. ; sur la Communauté française, voir Turpin Frédéric, La France et la francophonie politique. Histoire d’un ralliement difficile, Paris, Les Indes savantes, 2018.
39Sur le Plan Rueff et la Zone de libre-échange, voir une étude fondée sur une consultation extensive des archives françaises et britanniques : Warlouzet Laurent, Le choix de la CEE par la France, op. cit., p. 167-207 ; Institut Charles de Gaulle (dir.), 1958 : la faillite ou le miracle économique. Le plan de Gaulle-Rueff, Economica, Paris, 1986.
40Sur ces démarches, conduites, par Jean Monnet, Félix Gaillard, Robert Marjolin et Wilfried Baumgartner entre autres, voir Monnet Jean, Mémoires, op. cit., p. 639 ; Bossuat Gérard, Les aides américaines économiques et militaires à la France, 1938-1960. Une nouvelle image des rapports de puissance, Paris, Cheff, 2001, p. 354 ; Feiertag Olivier, Wilfried Baumgartner. Un grand commis des finances à la croisée des pouvoirs (1902-1978), Paris, Cheff, 2006, p. 530-533 ; Warlouzet Laurent, Le choix de la CEE par la France, op. cit., p. 102-104.
41Sur cette opposition, voir Warlouzet Laurent, Le choix de la CEE par la France, op. cit., p. 172-186.
42Gaulle Charles de, Mémoires d’espoir, op. cit., p. 150 et 154.
43Sur cette tripartition, Warlouzet Laurent, Europe contre Europe, op. cit.
44Lettre à Debré, 31 juillet 1959 ; Directives pour Debré sur l’Europe politique, 30 septembre 1960, in Gaulle Charles de, Lettres, notes et Carnets, t. VIII : Juin 1958-décembre 1960, Paris, Plon, 1985, p. 244 et 398-399. Pour plus de détails sur le plan Fouchet, voir la contribution de Gérard Bossuat dans le présent volume.
45Sur la crise de la Chaise vide, Warlouzet Laurent, Le choix de la CEE par la France, op. cit., p. 247-254.
46Coppolaro Lucia, The Making of a World Trading Power. The European Economic Community (EEC) in the GATT Kennedy Round Negotiations (1963-1967), Aldershot, Burlington, 2013.
47Sur la France et la PAC, Warlouzet Laurent, Le choix de la CEE par la France, op. cit., p. 236-242 ; Sur la France, l’Afrique et l’Europe, Migani Guia, La France et l’Afrique sub-saharienne, 1957-1963 : histoire d’une décolonisation entre idéaux eurafricains et politique de puissance, Bruxelles, Peter Lang, 2008.
48Sur Debré « hypergaulliste », Soutou Georges-Henri, « Michel Debré, une vision mondiale pour la France », in Bernstein Serge, Milza Pierre et Sirinelli Jean-François (dir.), Michel Debré, Premier ministre, Paris, PUF, 2005, p. 403 ; voir aussi Frank Robert, « Michel Debré et l’Europe », in ibid., p. 297-313 ; sur cette offensive monétaire, Warlouzet Laurent, « L’Europe monétaire face au dollar : l’offensive Debré (1966-1968) », Histoire Politique, no 19, 2013, p. 114-127.
49Bossuat Gérard, « Jean Monnet et l’identité monétaire européenne », in Bossuat Gérard et Wilkens Andreas (dir.), Jean Monnet, l’Europe et les chemins de la Paix, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, p. 370 ; Warlouzet Laurent, Le choix de la CEE, op. cit., p. 360-366.
50Sur ce projet planificateur, Warlouzet Laurent, Le choix de la CEE, op. cit., p. 342-356 ; Warlouzet Laurent, « The EEC/EU as an Evolving Compromise between French Dirigism and German Ordoliberalism (1957-1995) », Journal of Common Market Studies, vol. 57, no 1, 2019, p. 77-93.
Auteur
Sorbonne université (Sirice).
Laurent Warlouzet est professeur d’histoire à Sorbonne université (Sirice) et président du Conseil scientifique de l’Institut Jean Monnet. Il a publié en 2022 un manuel – Histoire de la construction européenne depuis 1945 (Repères, 2022) – et un essai sur l’histoire de l’intégration européenne de 1945 à nos jours intitulé : Europe contre Europe. Entre liberté, solidarité et puissance (CNRS Éditions, 2022, qui a reçu le prix Mayrisch). Il a été postdoctorant à l’Institut universitaire européen de Florence et à la London School of Economics (LSE).

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