Chapitre VI. Entre assistance sociale et croisade morale : une action polymorphe
p. 175-214
Texte intégral
1« Il faut se replacer à la fin de la guerre civile, avec des dizaines de milliers de gosses, dont le père était parti ou avait été tué ; ils vivaient vaguement avec leur mère, laquelle était souvent dans une misère effroyable. Le marché noir, la contrebande… Tout ce qu’une guerre implique. Quand ils arrivaient au centre (à l’Asilo Durán), leurs mères leur apportaient parfois des colis. Elles étaient bonnes à tout faire et faisaient les colis avec des restes de repas ou de nourriture qu’elles prenaient sur leur propre part : des petits bouts de pain, trois quarts d’une orange pelée1 ». C’est en ces termes que Michel del Castillo décrit la situation extrêmement précaire dans laquelle se trouvent nombre de pensionnaires internés, comme lui, à l’Asilo Durán au début des années 1940. C’est alors l’Espagne tout entière qui souffre de la misère, de la pénurie et de la faim. La paupérisation touchant la société espagnole est le résultat de trois ans de combats acharnés mais aussi de choix politiques. L’autarcie est le modèle économique choisi par le régime franquiste. Typique des régimes autoritaires, elle s’inscrit dans une longue tradition espagnole protectionniste et conforte en même temps l’idéologie nationaliste de la dictature. Elle permet de réduire le commerce extérieur de 50 % par rapport au niveau de 1935. Mais du fait des carences de l’économie espagnole, elle entraîne aussi une baisse très importante du produit intérieur brut et du niveau de vie, qui ne retrouve son niveau de 1936 qu’au début des années 1950.
2La dégradation brutale et durable des conditions de vie de la majorité de la population espagnole conditionne pour partie les motifs d’envoi en maison de redressement, comme nous l’avons vu dans le chapitre iv : les vols de matériaux et de nourriture sont les symptômes de la « vie fragile » des mineurs qui les commettent. Dans cette conjoncture économique, sociale et démographique très difficile, le régime franquiste fait l’objet de critiques croissantes. La question du mal-être des milieux populaires devient l’un des problèmes qui préoccupe le plus les dirigeants2. Une propagande est menée autour de la question de la « justice sociale », essentielle pour l’image que le « Nouvel État » veut projeter de lui-même. Dans ce contexte, quelle place occupent les maisons de redressement dans le dispositif d’assistance, à la fois formel et informel, mis en place par le régime franquiste ? Quelle est la fonction socio-économique d’institutions théoriquement chargées de protéger les mineurs en danger tout en « redressant » la jeunesse dangereuse ? Le lien intrinsèque entre ces deux missions, la protection et le redressement, institué dans les années 1910, renforcé sous la Dictature de Primo de Rivera et maintenu par la suite, amène à considérer la place des maisons de redressement dans l’entreprise de « Reconquête », de « nouvelle Croisade » à laquelle la guerre civile a été assimilée dans le camp « nationaliste ». Car si le régime franquiste tente d’asseoir durablement sa domination par une répression féroce, qui a pour but d’empêcher les vaincus de pouvoir se relever un jour, l’idéologie nationale et catholique des vainqueurs doit également l’emporter sur le terrain des mœurs. Pour mettre fin au délabrement moral dont aurait été synonyme la période républicaine, la dictature promeut une société dont la famille est le paradigme et incarnant la permanence de la civilisation hispanique. À ce modèle de société conservateur et catholique doit adhérer, au besoin par la contrainte, l’ensemble de la nouvelle « communauté nationale ».
Les maisons de redressement pendant les « années de la faim »
Se nourrir et se soigner
L’obsédante question de l’alimentation, condition de la survie
3Les villes et les villages espagnols mettent longtemps à effacer les stigmates de la guerre civile que sont la saleté, les bâtiments éventrés, les tas de décombres et les usines abandonnées. Le cinéma a capté ce climat de la Posguerra, peignant les murs criblés de balles, la pauvreté, la maigreur des individus et la mauvaise qualité de leurs vêtements3. Les romans de Camilo José Cela ou de Juan Marsé sont peuplés d’enfants aux cheveux rasés, faméliques, souffrant d’engelures et jouant, dans des refuges antiaériens, avec des détonateurs ou des bombes n’ayant pas encore explosé4. À cause du conflit, de la répression politique et de l’autarcie économique, d’amples secteurs de la société sont fragilisés et placés au bord de la marginalité, voire plongés dans la misère. Les dossiers personnels montrent qu’au cours des années 1940 et jusqu’au début des années 1950, les enfants et les adolescents envoyés en maison de redressement sont souvent confrontés à une situation économique et sociale critique. Gabriel, par exemple, est orphelin de mère et vit avec sa famille dans le quartier barcelonais du Carmel. En 1942, son père travaille toute la journée et ses sept enfants, livrés à eux-mêmes, « vont moitié nus, sont couverts de crasse et n’ont aucune hygiène5 ». En 1949 en Espagne, 400 000 personnes sont sans emploi, surtout dans le secteur de l’agriculture et de la construction6. En 1942, les salaires journaliers sont à un niveau équivalent à ceux qui prévalaient en 1936. En 1948-1949, le pouvoir d’achat des salariés est égal à la moitié du niveau de 1936. Les ouvriers ont besoin de tout, de nourriture, de vêtements, de chaussures, d’un logement… En 1948 par exemple, Ángeles, ses parents et ses trois frères et sœurs dorment dans une seule pièce, à même le sol7. En 1942, José, son frère, sa mère et le compagnon de cette dernière vivent dans une seule pièce, dans des conditions d’hygiène désastreuses. La maison abrite vingt familles au total, disposant chacune d’une pièce unique8. La misère que connaît une large frange de la population espagnole tarde à disparaître : en 1950, Manuela et sa famille vivent encore à Valence « dans une misère effroyable9 ».
4Dans les années 1940, une portion non négligeable des pensionnaires de maison de redressement souffre de malnutrition. En 1948, Alonso, qui vit dans le Barrio Gótico, l’un des quartiers de la vieille ville de Barcelone, est sale, très pauvrement vêtu et a l’air malade tant il ne mange pas assez10. Manuela et sa famille sont tous « squelettiques11 ». Cette situation dramatique s’explique par l’effet catastrophique des mesures autarciques. Le système est complètement perturbé par l’intervention de l’État dans l’économie, la fixation des prix, le contrôle du commerce et des transports, ainsi que par la mise en place « provisoire » du rationnement des denrées alimentaires de base. Adopté le 14 mai 1939, il est successivement prolongé jusqu’en 1952. La production agricole descend à des niveaux qui prévalaient avant la guerre, qui ne sont atteints à nouveau qu’en 1950. Dans ce contexte, une quantité très importante de marchandises sont cachées et passent au marché noir (estraperlo), dans un contexte d’augmentation du coût de la vie et de chute des salaires12. Les conséquences sont dévastatrices pour l’alimentation de nombreux Espagnols. Pour ceux qui en ont les moyens, le marché noir est le seul recours possible pour éviter la faim, la dénutrition et son cortège de maladies et de mort. Les quantités individuelles de nourriture fixées par le gouvernement dans le cadre du rationnement, correspondant à moins de 1 000 calories par personne et par jour, sont en effet insuffisantes pour nourrir correctement la population. Durant l’après-guerre, 30 % de la population espagnole ne satisfait pas ses besoins caloriques journaliers, estimés à environ 2 250 calories13. Au milieu des années 1940, une famille constituée d’un couple d’ouvriers et de trois enfants doit, pour atteindre le nombre de calories journalières dont leurs organismes ont besoin, compléter le rationnement en achetant au marché noir un supplément de pain de 1 500 grammes. Mais étant donné qu’ils n’ont pas les moyens d’en acheter plus de 500 grammes, tous se trouvent dans un état d’insuffisance alimentaire sévère14. En 1955 encore, la consommation calorique moyenne est inférieure de 10 % à celle de 1935. La nourriture tourne autour de la vesce (algarroba), du pain noir, des lentilles, de bouillies ou de « farinettes » (crêpes épaisses).
5Des personnes meurent de faim, notamment dans le sud de la péninsule : c’est dans les régions de Murcie, d’Ancienne Castille, d’Andalousie et d’Estrémadure que les diplomates britanniques signalent le plus de décès par inanition15. On ne dispose pour l’instant pas de chiffre fiable : Stanley Payne estime que 200 000 personnes au moins sont mortes de malnutrition ou de maladies qui en découlent mais sans dire d’où provient son estimation16. Les études les plus sérieuses dont on dispose portent sur la seule période 1939-1942 ; elles établissent une fourchette allant de 194 00017 à 600 000 victimes18. Jusqu’au milieu des 1950 au moins, le manque d’aliments de base, la pratique fréquente de la mendicité et l’existence de maladies liées à la malnutrition constituent des réalités visibles dans de nombreux endroits de la péninsule. Cela explique que la période 1939-1951 ait reçu une appellation spécifique, celle d’« années de faim », marquant la mémoire de plusieurs générations19. Dans la mémoire collective des Valenciens, les années de l’après-guerre sont par exemple celles « du pain noir, des coupons de rationnement, des poux, de la tuberculose et des mille manifestations de la misère. En un mot, celles de la faim [fam en valencien]20 ». Les historiens travaillant sur des sources orales soulignent combien la cherté de la vie et le manque d’aliments peuplent aujourd’hui encore les souvenirs des témoins, surtout si ces derniers sont issus de milieux modestes et de familles qui étaient républicaines21. Miguel Ángel del Arco Blanco estime même qu’il convient d’utiliser le terme de « famine » pour qualifier la situation espagnole, comme dans les cas irlandais et ukrainien22.
6Dans ce contexte dramatique, l’alimentation devient un critère à l’aune duquel on évalue la qualité d’un travail. La domesticité, qui est l’un des principaux débouchés pour les pensionnaires de la section pour filles de la Colonia San Vicente Ferrer, est selon la directrice un métier fatigant mais qui présente l’incommensurable avantage de pouvoir manger à sa faim chez ses employeurs. Rosa voudrait trouver une place « pour manger plus et mieux23 ». Isabel, orpheline de père, vit avec sa mère et ses trois frères et sœurs dans le quartier portuaire du Grao. En mars 1952, son état de santé l’oblige à quitter la maison dans laquelle elle travaillait comme domestique « même si elle y mangeait bien24 ». Durant la décennie 1950 en effet, si on assiste à un démontage progressif de la politique d’autarcie économique et la croissance économique est réelle, l’alimentation des Espagnols ne connaît qu’une amélioration lente. La fraction la plus modeste de la population n’en a pas fini avec la faim : le problème n’est plus tant l’absence d’aliments que l’impossibilité d’y accéder, alors que d’autres difficultés persistent comme la pénurie de logements ou le chômage25. Si l’on considère la quantité de calories ingérées quotidiennement par chaque habitant, ce n’est qu’en 1956 que l’on retrouve les niveaux de 1936 (2 590 calories journalières) ; on consomme alors en moyenne seulement 72 grammes de protéines par jour. Mais la distribution n’est pas égale au sein de la population : dans les années 1950 encore, l’alimentation des plus pauvres est encore bien loin de correspondre à leurs besoins en calories26.
Assurer la subsistance des pensionnaires des maisons de redressement
7La correspondance du directeur de la Colonia San Vicente Ferrer indique que l’approvisionnement et l’alimentation sont des motifs d’inquiétude permanente, dans un contexte d’urgence alimentaire : en 1943 en Espagne, 1,2 millions d’enfants âgés de moins 2 ans ne reçoivent pas une ration alimentaire journalière dont ils ont besoin. Le personnel et les pensionnaires de l’institution cultivent un jardin, élèvent des volailles, des lapins et même une vache : en 1939, la pénurie est telle que le vol de quatre poules est considéré comme un événement fâcheux. En octobre 1940, il est de plus en plus difficile de nourrir les pensionnaires27. Avouant leur impuissance, le gouverneur civil de la province et le chef des services provinciaux d’approvisionnement ont conseillé au président du tribunal pour mineurs d’obtenir de la Direction générale des prisons que la maison de redressement soit assimilée à un établissement pénitentiaire, présentant ainsi comme une solution le fait de revenir sur un acquis fondamental de la loi de 1918, qui visait à bannir les mineurs des prisons. En 1942, « l’augmentation extraordinaire du coût de la vie », et notamment le prix « exagéré » des vêtements et des chaussures, a poussé le tribunal pour mineurs de Valence à vendre les valeurs qu’il détenait à la Banque d’Espagne28. Au tout début des années 1950, l’alimentation des pensionnaires constitue encore un problème : le prix de la farine a augmenté ; or le pain constitue la base de l’alimentation des mineurs (400 grammes par jour). Toujours enclin à dénoncer le manque de moyens dont il dispose, le président du tribunal pour mineurs de Valence n’hésite pas à dire que cette hausse fait couler l’économie des institutions auxiliaires29.
8Les problèmes d’approvisionnement rencontrés par les maisons de redressement ne permettent pas de nourrir correctement les pensionnaires, comme l’indiquent les entretiens oraux : presque tous les témoins insistent avec vigueur sur le fait que la nourriture qu’on leur servait était insuffisante en quantité comme en qualité. Pour ceux qui ont connu l’Asilo Durán pendant la décennie 1940, la faim reste le souvenir le plus prégnant et le plus aigu. José Antonio Bosch Fernández raconte que le déjeuner était alors constitué de pois chiches ou de haricots verts avec du riz, mais jamais d’autres légumes30. Selon Alejandro Figueras Onofre, interné en 1955, on servait au petit-déjeuner quelque chose qui ressemblait à du chocolat ; le pain, lui, ne manquait pas. Les féculents constituaient la base de l’alimentation mais ils étaient de mauvaise qualité : on trouvait systématiquement des cailloux et des insectes dans les lentilles31. Entre les pensionnaires de l’institution barcelonaise, un proverbe avait cours : « En el Asilo Durán dan poco pan y en la calle Vilana se pasa mucha gana32 ». Dans le contexte de pénurie que connaît la totalité du pays, l’aide apportée par les familles des pensionnaires est vitale. José María, interné à l’Asilo Durán en 1943, demande à ses parents de lui apporter quelques figues et un peu de pain lors de leur prochaine visite33. Josep Soria Mor, lui, n’avait pas la chance d’avoir des proches en mesure de l’aider. Devenu adulte, il garde encore un souvenir horrifié de la faim qu’il a connue (« on avait faim, très, très, très faim ») ; il mangeait tout, même la peau des bananes, des pastèques et des melons34. Selon Michel del Castillo, « la faim est le souvenir numéro un parce qu’on avait faim tout le temps, du matin au soir35 ». Ernesto Abello García raconte que lorsque sa tante a constaté qu’il était « aussi squelettique », probablement au cours d’une visite, elle a immédiatement décidé de le faire sortir de l’Asilo Durán : il ne lui restait alors « que les oreilles et les cheveux36 ».
Des organismes affaiblis et vulnérables
9Les pensionnaires de la Colonia San Vicente Ferrer souffrent de la faim mais aussi du manque d’hygiène et, en hiver, du froid. En février 1943, le directeur signale l’arrivée d’enfants qui n’ont aucun vêtement. Deux ans plus tôt, le médecin de l’établissement alertait sa hiérarchie : en raison du manque de soins et d’hygiène, dû à la rareté du savon, le nombre de pensionnaires atteints de lésions de la peau avait beaucoup augmenté, jusqu’à représenter 45 % de la population totale. Près de la moitié des jeunes garçons souffraient d’engelures et de pyodermite. Alors que pour lutter efficacement contre ces affections de la peau, des bains chauds réguliers auraient été nécessaires, les pensionnaires ne se lavaient qu’à l’eau froide37. En 1949, une quinzaine d’enfants sont infectés par la teigne, une infection de la peau et des cheveux causés par un champignon microscopique attaquant le cuir chevelu. En mars 1952 et en avril 1954, Marín et Antonio doivent quitter la CSVF pour cette raison car le médecin craint un risque de contagion38. L’entassement, le manque d’hygiène et l’alimentation très pauvre ouvrent aussi le chemin au paludisme, à la diphtérie ou au typhus exanthématique, communément appelé le « pou vert » : plusieurs épidémies se propagent après la guerre, l’une d’elles faisant 1 654 morts en 1941. Les foyers de l’infection sont les prisons, les asiles, les écoles, les camps de concentration, les logements insalubres et surpeuplés ; les maisons de redressement ne sont pas épargnées. En septembre 1946, Valentín est atteint de typhus exanthématique : il est transféré à l’hôpital pour éviter tout risque de contagion39.
10Mais la maladie qui symbolise la paupérisation des années 1940 tant elle devient alors endémique, c’est la tuberculose. En interne, les autorités franquistes reconnaissent que l’augmentation du nombre de cas s’explique par exemple par l’ingestion d’aliments peu recommandés par la santé mais nécessaires pour survivre, comme l’herbe40. Entre 1941 et 1945 à Barcelone, la tuberculose est la cause de la mort de 9 % des hommes et de 6,8 % des femmes41. Elle fait des ravages parmi les pensionnaires de maison de redressement et leurs familles. En 1948, Rosa, 15 ans, s’occupe de tous et de tout à la maison car son père a la tuberculose et sa mère doit aller gagner de quoi nourrir la famille ; en février 1952, celle-ci tombe malade à son tour. « Pauvres gens ! », conclut la directrice de la CSVF42. Maladie de la misère, la tuberculose s’abat sur les organismes sous-alimentés. En 1945, vu la prédisposition de María à la tuberculose, le médecin de l’établissement valencien prescrit un traitement spécial : « suralimentation, heures de repos et injections de calcium43 ». En juin 1948, une radiographie révèle des taches sur les poumons de María de la Encarnación, une Valencienne âgée de 19 ans. Mais le coût des injections de calcium et de vitamines prescrites par le médecin est trop élevé pour la mère de la jeune fille, qui est veuve et vit dans une maison en ruines avec ses cinq enfants44. Dans les quartiers pauvres des grandes villes, la faim, la misère et la maladie conduisent souvent à la mort. Neuf des frères et sœurs de Tomasa sont décédés45. En avril 1945, Fermín, envoyé à l’Asilo Durán par la mairie de Barcelone, meurt des « complications d’une pneumonie46 » ; Luis, le 30 novembre 1946, d’une « double pneumonie fulgurante47 » ; Amalia, en janvier 1951, des « suites d’une pneumonie48 ». En février 1948, Teresa, atteinte d’une maladie pulmonaire, quitte l’hôpital car les médecins estiment qu’ils ne peuvent plus rien pour elle49.
La gestion sociale des conséquences de la pénurie
11Dans ce contexte, l’assistance sociale dispensée par l’État et par des organismes privés est vitale : en octobre et en novembre 1939, à Barcelone, 140 000 personnes ont besoin de la bienfaisance pour survivre. Manuela et sa famille vivent à Mislata, près de Valence, dans une misère effroyable : n’ayant pas de toit, ils doivent dormir chez qui veut bien les accueillir. En août 1950, sa mère essaie donc de placer la jeune fille, âgée de 15 ans, pour lui éviter d’avoir à passer chaque nuit dans un endroit différent50. En septembre 1947, la mère de Gabriela porte plainte auprès du tribunal pour mineurs de Valence : elle souhaite faire interner son fils, âgé de neuf ans, « dans un asile, quel qu’il soit » car elle n’a pas les moyens de le nourrir51. Dans le contexte de pénurie et de misère de l’après-guerre civile, divers organismes interviennent sur le terrain de la bienfaisance, comme les comités de protection des mineurs ou l’Auxilio Social. En décembre 1941, lorsque l’enquête montre que la famille de Gabriel vit dans la misère, c’est vers le comité de protection des mineurs de la province que le tribunal pour mineurs de Barcelone oriente la mère, désireuse d’envoyer ses jeunes enfants dans une garderie52. En 1942, le petit frère de Manuel, âgé de huit ans, fréquente un réfectoire de l’organisation phalangiste, situé dans l’avenue José Antonio Primo de Rivera de Barcelone. Son père est mort de maladie en septembre 1937 et sa mère peine à payer le loyer, qui s’élève pourtant à 25 pesetas seulement53. En 1942, María de la Encarnación et son petit frère sont orphelins. Ils ont été recueillis par leurs grands-parents et vont manger dans un réfectoire de l’Auxilio Social, à Valence54. L’Auxilio Social est un instrument efficace de propagande, destiné à montrer visage plus aimable d’un État répressif ; il entre directement en concurrence avec l’Église dans le domaine de la prise en charge de l’enfance nécessiteuse. L’Action catholique, notamment, est active dans les quartiers populaires et dans les bidonvilles des grandes villes55. En 1946, Manuela vit dans la misère et son état de santé est fragile. L’Action catholique de la paroisse valencienne dans laquelle elle vit porte secours à sa famille56. Le père de Rosa est mort de la tuberculose ; en 1944, sa mère se trouve dans un sanatorium car on a découvert qu’elle avait une tache au poumon. En avril 1948, c’est l’Action catholique qui apporte à la famille l’aide et les médicaments dont celle-ci a besoin57.
12Les archives montrent que des parents se trouvant dans le dénuement cherchent à faire interner leurs enfants dans une institution dans laquelle ces derniers recevront le gîte et le couvert et qu’en définitive, le type d’établissement et l’organisme dont ce dernier dépend importe peu. Dans le contexte de misère, de faim et de maladie que connaît l’Espagne pendant la Posguerra, les maisons de redressement en viennent ainsi à constituer un recours pour les plus démunis. Elles remplissent ainsi une mission qui devrait théoriquement être celles d’autres institutions dépendant du Comité supérieur de protection des mineurs, les comités de protection des mineurs (Juntas de proteccion de menores). En septembre 1939, le directeur écrit que nombre de pensionnaires de la CSVF ont quitté leur famille car celle-ci ne pouvait plus les nourrir58. Après la mort de sa mère et l’emprisonnement de son père, Josep Soria Mor a été recueilli par son oncle et sa tante. Mais ceux-ci avaient déjà cinq enfants et n’avaient pas de quoi nourrir leur neveu ; par conséquent, « ils ont cherché une maison de redressement, une école59 ». La mère d’Ernesto Abello García, qui élève seule son fils, a en juillet 1950 « l’opportunité » de l’interner à l’Asilo Durán : l’envoi en maison de redressement est alors perçu non comme une sanction ou une obligation, mais comme une solution apportée à une situation précaire60.
13Dans de telles circonstances, les parents peuvent livrer une description exagérée de l’indiscipline de leur progéniture, ou même inventer des défauts ou des délits pour obtenir l’internement en maison de redressement. En décembre 1950, les parents de Francisca se plaignent du comportement de leur fille et souhaiteraient la faire interner à nouveau à la CSVF. La déléguée à la liberté surveillée note : « c’est possible ; mais il est également envisageable que ce soit le manque de moyens qui pousse la famille à vouloir avoir une bouche de moins à nourrir. Pour l’instant, aucun motif grave ne pourrait expliquer son internement61 ». En mai 1942, la famille de Juana porte plainte auprès du tribunal pour mineurs de Valence, prétextant l’indiscipline, mais les autorités ne sont pas dupes : c’est un prétexte pour résoudre, en partie au moins, une situation précaire. Juana est orpheline et sa famille, miséreuse, ne peut compter que sur les revenus de l’oncle, photographe ambulant de son état62. La réaction de l’institution est intéressante : même si le tribunal pour mineurs est conscient du caractère fallacieux des arguments avancés par la famille, il décide d’envoyer Juana à la CSVF le 25 juin 1942. La jeune fille y reste quatre ans et demi. Il semble ainsi que dans le contexte d’urgence démographique, sanitaire, alimentaire et sociale que connaît l’Espagne dans l’après-guerre, les tribunaux pour mineurs et les maisons de redressement acceptent de remplir une mission qui n’est théoriquement pas la leur, mais qui vise à extraire des enfants ou des adolescents de la misère et à leur épargner une mort possible. Ces établissements correctifs de redressement deviennent en définitive des institutions charitables parmi d’autres. En 1949, le constat du directeur de la section pour garçons de la CSVF est révélateur : il souligne que « le cas de la Colonia San Vicente Ferrer est différent de celui des autres institutions de bienfaisance63 ». La directrice de la section pour filles indique quant à elle que les anciennes pensionnaires « reviendraient à l’École seulement à cause de la nourriture qu’on leur y donnait64 ». De fait, même si nous avons noté que dans les maisons de redressement, la nourriture servie dans les années 1940 était insuffisante en qualité comme en quantité, les repas restent réguliers, ce qui permet à des enfants que leurs parents peinaient à alimenter de survivre et même de grossir : en une année passée à la CSVF durant la première moitié des années 1950, Dolores a pris cinq kilos65 et Pilar, douze66.
14Nous avions vu dans le chapitre v que les archives des maisons de redressement « cachaient » beaucoup plus la répression politique qu’elles ne la montraient. Mais elles invitent à voir autre chose, comme la misère et la faim. La toile de fond de cette étude, et dont l’ombre portée est gigantesque, ce sont les années extrêmement difficiles de l’après-guerre civile, synonymes dans la mémoire d’un grand nombre d’Espagnols de faim, de misère et de violence. La logique d’assistance se double alors non seulement d’une logique répressive, mais aussi d’une logique d’urgence : urgence démographique, sanitaire, alimentaire. Et, dans un contexte d’urgence sociale, l’alimentation et l’hébergement constituent des outils remarquablement efficaces. Pour Miguel Ángel del Arco Blanco, le contexte brutal de la « famine espagnole » a même renforcé le pouvoir de la dictature. La faim constitue un élément démobilisateur dans la mesure où les classes populaires, habituellement identifiées à la République et au mouvement syndical, centrent leurs efforts sur leur propre survie. La survie de beaucoup de familles de vaincus se trouve entre les mains des autorités, qui se transforment en véritables gestionnaires de la faim par le biais d’un système de punitions et de récompenses destiné à renforcer leurs appuis sociaux et à neutraliser ceux qui sont perçus comme leurs ennemis67. Par la force des choses, les maisons de redressement s’insèrent dans la multitude d’organisations, publiques ou privées, qui portent assistance aux vaincus, aux pauvres et aux marginaux. Elles constituent un maillon de la chaîne de répression politique et de contrôle social mise en place par la dictature pour punir, encadrer et contrôler les milieux populaires. Pour des familles confrontées à la précarité, à la marginalisation et à la misère, les institutions éducatives constituent une solution conjoncturelle et un expédient nécessaire à la survie comme peuvent l’être le vol, le marché noir ou la prostitution. Ainsi, les reformatorios contribuent à pallier les nécessités nées de la guerre et les conséquences désastreuses de la politique d’autarcie économique mise en place par le régime, mais aussi à rechercher l’acceptation et le consentement des masses. En effet, si la répression et le contrôle social ont toujours été au cœur de la dictature franquiste, celle-ci a aussi développé un discours fraternel célèbre l’appartenance à la communauté nationale, autour de la devise « España, una ». Enfants de la même « mère Patrie », tous les Espagnols ont des obligations mais aussi des droits, parmi lesquels des mesures présentées comme la preuve d’une « justice sociale ». Le discours relatif à la politique sociale est devenu un point de référence politique du régime franquiste, ainsi que l’un de ses instruments de propagande préférés68. L’Œuvre de protection des mineurs s’insère parfaitement dans cette logique, soit par le biais des comités de protection des mineurs, soit par celui des tribunaux et de leurs institutions auxiliaires, revenant ainsi à leur fonction originelle de protection de l’enfance abandonnée et délinquante. La Colonia San Vicente Ferrer avait en effet été créée dans les années 1920 pour porter secours à « l’enfance abandonnée et délinquante » ; ses promoteurs indiquaient alors qu’il s’agissait de rendre moins lourde la charge pesant sur les prisons, les asiles et les hôpitaux. Mais ce discours social est une image que le régime veut renvoyer de lui-même, image qui ne coïncide pas forcément avec la réalité des politiques effectivement menées. Carme Molinero estime que l’une des raisons de l’échec de cette politique sociale est à chercher du côté de la compétition exercée par l’Église catholique69. Cette dernière cherche en effet à occuper tous les espaces de socialisation et de sociabilité, surtout dans les quartiers populaires des grandes villes. Cette volonté se mesure dans la concurrence qui s’exerce dans le champ de la bienfaisance et le secours apporté à l’enfance en danger. Elle s’exprime aussi dans le domaine de la moralité et des mœurs, comme nous allons le voir.
Les croisés de la morale : redresser les jeunes déviants, surveiller leurs familles
Former des femmes pures : « de la maison à l’église, et de l’église à la maison70 »
15Le séjour dans la section pour filles de la Colonia San Vicente Ferrer a pour but d’inculquer des normes de comportement aux mineures pour que celles-ci deviennent des femmes pures, centrées sur la famille et le foyer. Dans le cadre d’exercices de piété, les pensionnaires travaillant à l’extérieur de l’institution doivent se demander : « Ai-je gardé la modestie nécessaire lorsque je m’habillais et me déshabillais ? […] L’une de mes amitiés me fait-elle courir le risque de pécher ? […] Ai-je tenu une conversation immorale ? […] Me suis-je laissée aller à éprouver un désir maladroit ou à avoir des pensées malhonnêtes71 ? » Les jeunes filles qui sont placées en liberté surveillée sont tenues de respecter les règles de la moralité chrétienne : leur tenue, leur coiffure ou leur maquillage doivent rester discrets. La société espagnole bien-pensante de l’après-guerre réglemente en effet la longueur de la jupe, bannit décolletés et maillots de bain72. La Section féminine de la Phalange conseille à ses adhérentes de « s’habiller chrétiennement » car avoir des mœurs saines, c’est servir la patrie73. Les femmes appartenant à l’Action catholique ne portent que des vêtements à manches longues. Dans une pastorale publiée en juillet 1944, l’archevêque de Valence Prudencio Melo y Alcalde indique que les vêtements féminins ne doivent pas être moulants pour ne pas souligner les formes du corps. La jupe doit obligatoirement couvrir le genou tandis que, pour entrer dans une église, le port des bas est obligatoire74. Les mineures placées en liberté surveillée ne doivent pas assister à des spectacles menaçant leur intégrité morale comme les bals ou les concerts. Il leur est strictement interdit d’aller à la piscine75.
16Le personnel de la maison de redressement suit ainsi à la lettre les directives de l’archevêque de Valence, qui affirme que tant que des horaires spécifiquement destinés à chaque sexe ne seront pas mis en place dans les piscines publiques, « la présence des catholiques [dans de tels lieux] constituera une abomination exécrable aux yeux de Dieu et de l’Église76 ». L’Église est également obsédée par le danger que présenteraient les plages. Au cours de l’été 1939, de jeunes phalangistes lancent dans plusieurs grandes villes une « croisade de la pureté », qui les conduit à raser les cheveux des jeunes Valenciennes portant un costume de bain « immodeste » et des Madrilènes qui vont les jambes nues77. En 1941, le ministère de l’Intérieur exige que dans toutes les piscines et sur toutes les plages du pays, les baigneurs portent un peignoir s’ils ne se trouvent pas dans la zone située la plus proche de l’eau, où la séparation des sexes est par ailleurs instituée. Une amende de 500 pesetas punit les contrevenants78. En 1957 encore, l’épiscopat espagnol dénonce pêle-mêle le relâchement du mariage, le manque de chasteté, l’absurdité du féminisme qui éloigne les femmes du devoir de maternité ainsi que la mode, cette arme de Satan. « Souvenez-vous en effet que, dans l’histoire de l’humanité, le serpent maléfique profite toujours des faiblesses féminines79 ».
17Ces normes de comportement sont en adéquation avec l’archétype féminin promu tout à la fois par l’Église et par la Section féminine de la Phalange, pour qui la femme espagnole des années 1940 doit être la femme « de toujours », soumise, pieuse, pure, chaste, centrée sur le foyer et la famille80. Adopté en mars 1938, le Fuero del Trabajo a notamment eu pour but d’exclure les femmes du marché du travail pour « libérer les femmes mariées de l’atelier et de l’usine ». Mais les femmes travaillent – dans des commerces, des marchés, des usines… Celles qui appartiennent aux classes populaires doivent gagner de l’argent pour faire vivre leur famille, d’autant que beaucoup sont seules en raison de l’emprisonnement ou de la mort de leur mari durant la guerre ou l’après-guerre81. L’image idéale que leur renvoie la « Nouvelle Espagne » est celle d’un corps féminin spirituel, lumineux et dépourvu de toute fonction sexuelle, proche de la Vierge Marie et de sainte Thérèse, patronne de la Section féminine depuis 1937. Son exact contraire est le corps érotique et sexuel des « vamps » mises en scène par le cinéma étranger, femmes fatales dont le regard, les lèvres et la manière de fumer éveillent le désir et la passion82. En 1948, la mère de Felisa, une femme au foyer de la province rurale de Huesca, reproche à sa fille d’être attirée par les garçons, de se déshabiller devant eux, de fuguer et de « ressembler en tous points à Gilda », l’héroïne rousse et flamboyante immortalisée par Rita Hayworth83. Le film de Charles Vidor a fait scandale lors de sa sortie en Espagne, en 1947 : des groupes de jeunes de l’Action catholique ont jeté des bidons d’encre sur les affiches représentant la sculpturale actrice, pendant que les évêques espagnols s’insurgeaient contre cet « instrument de l’hérésie collective de l’Occident84 ».
18Le catholicisme joue un rôle essentiel dans la définition de cette « femme franquiste85 ». La religion fournit en effet une théorie de la sexualité et de la reproduction humaine sur laquelle se fonde la définition des comportements masculins et féminins : les rôles assignés « naturellement » aux hommes et aux femmes dans la procréation conditionnent les codes de conduites et requièrent un traitement différencié. L’éducation des filles a pour prémisse une supposée infériorité féminine qui trouve ses racines dans le péché originel : « la » femme est impure, comme ses menstruations viennent le lui rappeler chaque mois. L’enseignement dispensé est donc qualitativement et quantitativement différent de celui des garçons et a pour but ce qui devrait être l’ambition première de chaque femme : faire de la maison l’extension de sa personne. Par ailleurs, ce sont surtout les habitudes et les modes de vie de la population féminine qui sont affectés par la morale catholique rigide en vigueur puisque pour elle, il n’existe pas de salut en dehors du mariage et de la maternité86. L’Église défend l’idée selon laquelle il est nécessaire de rester vierge durant la période des fiançailles afin d’éviter le stigmate social que représenterait le fait de ne plus être « pure » et le risque de se retrouver fille mère dans le cas où la grossesse ne déboucherait pas sur un mariage. Tout change ensuite lorsque la femme est mariée puisqu’elle doit alors soumettre au « devoir conjugal », l’idée d’une satisfaction mutuelle se faisant jour dans les années 195087.
19La dimension morale et sexuelle de l’inconduite féminine préoccupe particulièrement les autorités franquistes : plus de la moitié des dossiers personnels des mineures ouverts par le tribunal de Valence abordent la question de la moralité des jeunes filles ou de leur famille. Le personnel a pour mission de collecter des informations sur les prétendants éventuels des pensionnaires88. Au début des années 1940, la directrice de la Colonia San Vicente Ferrer signale au président du tribunal de Valence que deux jeunes filles ont été demandées en mariage. Elle s’est renseignée sur le compte de chaque aspirant et a pu « autoriser les relations, qui se poursuivent dans le respect des règles morales imposées par notre Sainte Religion89 ». La déléguée est chargée de rendre compte du comportement des mineures placées en liberté surveillée à la directrice, qui signale à son tour toute entorse au règlement au président du tribunal. En 1948 par exemple, Florentina confie à la déléguée qu’elle est très amoureuse de Rafael, le garçon qu’elle fréquente. Celui-ci est convoqué et sermonné dans les bureaux du tribunal de Valence pour qu’il comprenne qu’il est nécessaire de « protéger » la jeune fille dans le cadre de leur relation amoureuse90. La surveillance des jeunes filles prises en charge par les tribunaux pour mineurs peut s’exercer jusqu’à l’autel : Julia, qui avait eu des relations sexuelles régulières sans être mariée, se marie en août 1948 ; la déléguée à la liberté surveillée est son témoin91. Ce contrôle étroit ne concerne pas les seules adolescentes placées sous la tutelle des tribunaux pour mineurs : un ancien ouvrier des chantiers navals valenciens raconte à Ismael Saz que si, dans les années de l’après-guerre, un jeune couple s’embrassait trop fougueusement en public, on pouvait couper les cheveux à la jeune fille ou lui faire avaler de l’huile de ricin92.
« Le sexe et l’effroi93 »
20La volonté institutionnelle de réprimer certains comportements sexuels a pour corollaire une mise en discours du sexe, permettant la divulgation des normes morales « idéales » et la stigmatisation des comportements déviants. Le discours officiel franquiste vise à introduire une rupture forte avec la Seconde République, perçue comme une période de permissivité sexuelle intolérable94. Pendant les années 1920 et 1930, on a en effet commencé à parler d’union libre, de séparation des relations sexuelles et de la procréation, de contrôle de la natalité, d’éducation sexuelle, de prostitution, d’homosexualité… Ce climat imprégnait la pratique des acteurs intervenant alors dans la prise en charge de la déviance juvénile. Ainsi, les éducateurs accueillant les nouveaux pensionnaires arrivant à la Colonia San Vicente Ferrer devaient, en 1938 (Valence était encore sous contrôle républicain), répondre aux questions suivantes : « Le mineur est-il instruit sexuellement ? A-t-il été initié au fonctionnement des organes sexuels ? Pratique-t-il le féminisme ou l’inversion95 ? » De telles rubriques sont radicalement absentes des dossiers personnels postérieurs, produits durant la dictature franquiste. Dans les 142 dossiers personnels qui évoquent de manière développée la sexualité des mineurs ou des membres de leur famille (soit 6 % de l’ensemble), diverses expressions sont utilisées pour désigner les relations sexuelles : souvent euphémistiques, elles traduisent une certaine pudibonderie et sont autant d’échos de la morale rigide en vigueur. Comme le note Michel Foucault, il ne s’agit pas d’évacuer la sexualité sous le couvert d’un langage épuré de manière à ce qu’elle n’y soit plus nommée directement, bien au contraire : le sexe est pris en charge, et comme traqué, par un discours prétendant ne lui laisser ni obscurité ni répit96. On évoque la façon dont les pensionnaires se comportent dans le « domaine sensuel » (aspecto sensual) ou leur « tendance à la sensualité » (tendencia a lo sensual), de « petites fautes immorales » (pequeñas faltas de inmoralidad), des « actes immoraux » (actos inmorales) ou « indécents » (actos deshonestos) de façon tellement vague qu’on ne sait si les faits en question relèvent de l’attouchement, de la masturbation ou de relations sexuelles complètes, de l’homosexualité ou de l’hétérosexualité. Les mots « contacts » et « actes charnels » (contactos, actos carnales) sont utilisés assez fréquemment, le recours au champ lexical de la chair montrant que dans la façon dont on évoque alors le sexe, le péché capital de luxure n’est jamais loin. D’autres vocables plus neutres sont utilisés, mais de manière moins fréquente : « cohabiter » (cohabitar), « passer la nuit » (pernoctar), « coucher avec » (acostarse), « réaliser le coït » (realizar el coito). Notons que l’expression aujourd’hui relativement neutre de « relations sexuelles » (relaciones, actos sexuales) n’est que très peu utilisée, et qu’il n’est guère fait de place aux sentiments : l’expression « faire l’amour » apparaît une seule fois, dans la bouche de la mère de José María qui a surpris son mari et sa maîtresse dans une situation compromettante97.
21La façon dont les autorités parlent de sexualité contraste avec les propos des plaignants et des accusés défilant devant les tribunaux pour mineurs de Barcelone et de Valence98. La mère de Rafael ne prend pas exemple pas de gants pour convaincre l’instance valencienne que son fils ne se conduit pas bien : en avril 1952, elle déclare que le garçon a « introduit son pénis dans la bouche d’une petite voisine, âgée de 3 ans à peine99 ». Accusé par le père de Rosa d’avoir couché avec la jeune fille alors qu’il n’était pas son mari, Jorge se défend en rapportant les propos qu’aurait tenus l’adolescente : « si ce n’est pas toi qui me prends, c’est quelqu’un d’autre qui le fera100 ». Le langage enfantin a aussi sa place, certains mineurs contant leur méfait ou les abus qu’ils ont subis en utilisant des expressions imagées, parfois plus directes et plus crues que celles des autorités : « zizi » (« pilila »), « jouer au docteur » ou « au papa et à la maman » (« jugar a médicos y maridos »), usage du terme « cul » pour désigner le sexe féminin. Soledad, 14 ans, a ainsi ordonné à un garçon de son âge de la suivre dans un terrain vague situé derrière chez elle, lui lançant : « touche-moi le cul ou je t’en colle une101 ». La présence de termes euphémistiques et pudibonds dans la bouche d’enfants ou d’adolescents montre que l’on a appris à ces derniers à châtier leur langage. Miguel, accusé d’avoir violé une petite fille de 10 ans sa cadette, reconnaît les faits et confesse avoir réalisé par ailleurs des « cochonneries » (« porquerías ») avec un garçon102. De la même façon, María de la Encarnación, 14 ans, avoue qu’elle et son petit ami sont restés dans une rue sombre et peu passante jusqu’à 1 h 30 du matin, mais qu’il n’y a pas eu « d’immoralité entre eux ou de “chose laide”103 ». Les paroles trop précises et trop crues n’ont de toute façon pas droit de cité dans la salle d’audience du tribunal pour mineurs de Barcelone, comme le montre l’exemple d’Eduardo, 11 ans. Le 21 mars 1943, le jeune garçon comparaît et raconte les abus dont il a été victime : « il l’a obligé à commettre des actes indécents de toute sorte, il lui a fait quitter son pantalon et lui a “mouillé” la partie de derrière ; il lui a ensuite fait d’autres choses répugnantes avec la bouche. Il lui a donné 10 douros et un mouchoir en papier pour qu’il se sèche après ces saletés ». Les détails supplémentaires fournis par Eduardo sont trop crus pour le greffier, qui se refuse à consigner des faits « aussi répugnants104 ».
22Les propos des mineurs, de leurs parents ou des témoins sollicités par le tribunal font entrevoir tout un continent, celui de la sexualité réelle et vécue par les jeunes Espagnols. Les propos de José María laissent ainsi entendre que contrairement à ce que prescrit l’Église catholique, les contacts rapprochés entre garçons et filles se produisent dès avant le mariage. L’adolescent indique à l’enquêteur envoyé par le tribunal de Valence qu’il a plusieurs fois dormi dans le même lit que sa petite amie et qu’ils n’ont eu aucun contact charnel hormis les caresses qui, selon lui, sont habituelles dans de telles circonstances105. Les dossiers personnels font également apparaître une dimension bannie du discours officiel sur la sexualité : le plaisir. Pilar a été internée à deux reprises à la CSVF ; en 1953, elle est convoquée devant le tribunal pour mineurs de Valence car sa mère a appris qu’elle fréquentait un homme marié. La jeune fille, âgée de 17 ans, ne parvient pas à expliquer les raisons pour lesquelles elle entretenait une relation aussi inconvenante, sinon qu’elle appréciait le fait de sortir avec cet homme-là106. Le plaisir surgit parfois là où on ne l’attend pas : Leoncia est envoyée à la Colonia San Vicente Ferrer en janvier 1945 car elle a été violée par son père. Elle confesse devant le tribunal pour mineurs que les abus ont été répétés parce qu’elle a chaque fois éprouvé une sensation de plaisir, qui l’a conduite à rester soumise aux désirs paternels107.
Hors du mariage, point de salut
23De façon consciente ou non, le régime franquiste fait du sexe un enjeu politique108. La reproduction devient une affaire d’État et les jeunes Espagnoles ont en quelque sorte une obligation à la maternité : l’adultère, l’avortement, la vente et la publicité autour des contraceptifs sont réprimés. De façon comparable au Code pénal italien, la Ley del aborto, adoptée en 1941, fait de l’avortement un crime d’État en tant qu’il représente une atteinte à la race. L’État se charge de défendre la famille, considérée comme la cellule de base du corps social. Le Fuero de los Españoles fait de la famille une institution naturelle ayant des prérogatives spécifiques, allant plus loin que le droit humain109. Pour un régime soucieux du destin de la « race » espagnole, hanté par la peur du dépeuplement, il s’agit de prendre des mesures massives visant le corps social tout entier, afin par exemple de favoriser la natalité. Jusqu’en 1950 au moins, la théorie chrétienne des rapports sexuels reste très négative : pas d’amour en dehors du mariage, infériorité très nette des femmes, méfiance fondamentale du plaisir (pas de fantaisies, pas trop d’ardeur, pas de jeux incertains). Faire l’amour entre personnes libres, non engagées dans le mariage, cela s’appelle forniquer, et la fornication n’est jamais bonne. La luxure est divisée en plusieurs catégories, suivant la nature du partenaire et la façon dont on la pratique : la fornication (coït entre personnes non mariées), le stupre (avec une vierge), le rapt (idem, mais avec violence), l’adultère (avec une personne mariée), l’inceste (avec un parent) et le sacrilège (avec une personne consacrée). Le psychiatre Antonio Vallejo Nágera soutient l’idée selon laquelle la « dégénération de la race » provient de la décadence et de la perversion de l’environnement moral (crise de la nuptialité, travail féminin, amour libre, divorce…). Beaucoup plus que par une sélection biologique, la « régénération » raciale passe par un retour à des valeurs traditionnelles comme la défense de la famille, le rejet du divorce et des méthodes de contraception110.
24Ces positions s’inscrivent à rebours d’un certain nombre de mesures adoptées sous la Seconde République : le divorce et le mariage civil avaient été autorisés en 1932 (lois du 2 mars et du 28 juin), rêve pour les uns, cauchemar pour les autres d’une société laïque marginalisant l’Église et se dotant de ses propres rites111. En sécularisant le mariage, l’État prenait en effet le contrôle de l’état-civil et remplaçait l’Église comme ultime autorité sur les questions de vie familiale. Les parents de María, née dans les environs de Valence en 1928, avaient ainsi entamé en 1936 une procédure de divorce devant un tribunal de première instance112. Mais dès le 2 mars 1938, de telles démarches sont suspendues dans la zone occupée par les « nationaux » afin de réparer l’offense faite aux principes traditionnels et fondateurs de l’Espagne113. De la même manière, en mars 1938, la loi sur le mariage civil du 28 juin 1932 est abolie afin de mettre fin à « l’une des agressions les plus fourbes commises par la République contre les sentiments catholiques des Espagnols114 ». Le mariage religieux devenant le seul type d’union possible, tous les mariages civils contractés pendant ce laps de temps sont annulés : du jour au lendemain, de nombreux couples tombent dans l’illégalité. Les parents de José María, par exemple, divorcent en 1936. Le père se remarie peu après, civilement puisque c’est le seul type d’union alors autorisé en Catalogne, restée fidèle à la République. Mais en 1943, l’enquêteur envoyé par le tribunal pour mineurs de Barcelone souligne que ce deuxième mariage est désormais « nul » : José María, âgé de 15 ans, est envoyé à l’Asilo Durán115. La législation adoptée par les vainqueurs punit sévèrement les personnes ne respectant pas les nouvelles règles édictées : le fait de se remarier sans avoir fait annuler l’union précédente est un délit de « bigamie », passible d’une peine de prison. Le père de Marín est dans ce cas puisqu’en 1940, il a cessé de vivre avec sa femme, qu’il avait épousée civilement en 1934 dans leurs Asturies natales ; il s’est ensuite marié avec une autre femme, à l’église cette fois, mais sans avoir fait annuler l’union antérieure116.
25Pour que la nouvelle législation soit efficace, il est nécessaire de contrôler son application ; à cette mission participent les tribunaux pour mineurs de Barcelone et de Valence, ainsi que leurs institutions auxiliaires. Les enquêteurs signalent les cas de parents ne s’étant pas mariés religieusement, comme en 1943 la mère de María de la Encarnación, qui vit dans un quartier populaire situé près du port de Valence117. Les autorités judiciaires tentent de convaincre les couples de se marier à l’église s’ils n’ont toujours pas validé leur union civile. Le policier chargé d’enquêter sur la famille de Juan, âgé de 16 ans et accusé en 1948 d’avoir commis plusieurs vols de métaux, indique dans son rapport au président du tribunal que si des démarches étaient entreprises, il pense que les parents de l’adolescent pourraient se marier religieusement. Le président du tribunal suit l’avis de l’enquêteur et les convoque le 1er juin 1948 pour « leur faire part des avertissements d’usage et leur signifier qu’il conviendrait de se marier religieusement118 ». De fait, dans les faubourgs de Barcelone et de Valence, nombreux sont les couples vivant en concubinage. Dans les dossiers personnels fleurissent les expressions décrivant cet état de fait, plus ou moins péjoratives : « concubinage », « vie maritale avec un homme marié », « relations illicites et immorales », « célibataire vivant en concubinage et de moralité plus que douteuse », « vie illégale »… Jugeant que le fait de vivre en concubinage constitue un « exemple corrupteur » pour l’enfant, le tribunal pour mineurs peut décider de « protéger » ce dernier en l’envoyant en maison de redressement. Ainsi, Nicolás est interné à l’Asilo Durán en 1945 car son père vit avec une autre femme que sa mère119. C’est aussi le cas de Rafael, envoyé dans la même institution en 1959 car « sa mère vit avec un homme120 ». Les autorités judiciaires disposent ainsi d’un moyen de faire pression sur les parents pour qu’ils « régularisent » leur situation. La mère d’Eduardo, né à Barcelone en 1929, vit en concubinage avec un homme qui bat son fils. En 1944, le tribunal suspend son droit de garde et d’éducation et interne l’enfant à l’Asilo Durán. Cinq ans plus tard, l’enquêteur ne voit pas d’inconvénient à ce qu’Eduardo retourne avec chez lui, à la condition que sa mère et son concubin se marient à l’église121. De la même façon, en 1942, le tribunal de Barcelone interne la petite Angelita à l’Asilo del Buen Pastor à cause de la mauvaise conduite morale de sa mère, qui vit en concubinage. Elle se marie le 22 décembre 1950 et demande donc qu’Angelita lui soit rendue122.
« L’Église et l’État vont entamer la reconquête. Et vous, que ferez-vous123 ? »
26Durant toute la période durant laquelle s’exerce la tutelle du tribunal sur un mineur, ce dernier a besoin d’informations : le regard doit pouvoir se porter au cœur du quartier portuaire du Grao ou dans les ruelles de la vieille ville de Valence, dans les bidonvilles de Montjuïc, de Can Baró ou se faufiler dans les entrailles du Barrio Chino barcelonais. On compte sur des « connaissances », des « personnes de confiance » et « dignes de foi » qui informent par exemple la déléguée à la liberté surveillée que Josefa a commis un faux pas avec son petit ami et qu’elle est tombée enceinte124. Lorsqu’un dossier de protection est ouvert car on soupçonne la mère de Manuel d’être un « exemple corrupteur » pour son fils, un policier va interroger des personnes vivant dans la même cage d’escalier et apprend qu’elle reçoit de fréquentes visites masculines, ce qui laisse penser qu’elle exerce clandestinement la prostitution125. Les rapports d’enquête ne permettent pas toujours d’identifier la source des informations rassemblées par le policier, ce qui donne l’impression d’un regard omniscient qui couvrirait les adolescents, sans que la part de la rumeur et de la médisance puisse être établie. Ainsi, on sait seulement que l’amie de Rosa, une jeune fugueuse de 17 ans, « a été vue à plusieurs reprises dans le Barrio Chino, au bras d’un vieil homme qui paraissait être son amant126 ». Il arrive aussi que la Garde civile soit mise à contribution, comme celle de la commune du Grao : c’est elle qui a interrogé les voisins de Pilar et informé la directrice de la Colonia San Vicente Ferrer du fait que la jeune femme, âgée de 18 ans, recevait chez elle des hommes de tous âges, avec l’accord de ses parents127. La tâche du personnel du tribunal est plus aisée en milieu rural, où le contrôle social informel est beaucoup plus fort qu’en ville. Le voisinage y est le tribunal de la réputation, selon les termes de Michelle Perrot : des mots ou des demi-mots chuchotés à la fontaine ou au lavoir, hauts lieux d’échange et de censure, peut naître l’opprobre128. Ainsi, la mère de Pilar se plaint du fait qu’à partir du jour où elle a été emprisonnée pour avoir vendu du riz au marché noir et où ses enfants, orphelins de père, se sont retrouvés seuls, « le village a commencé à murmurer contre la pudeur de sa fille129 ». Depuis longtemps, le père de Ramón a très mauvaise réputation dans le village de Gavá : quand, en 1934, il avait installé chez lui l’une de ses maîtresses alors que sa femme était partie à la maternité pour accoucher, l’indignation avait été unanime dans le village130. Certains lieux sont plus favorables à l’espionnite, comme l’église, « lieu panoptique du village131 ». On observe la fréquence de la communion, l’assistance à la messe : en 1946, la directrice de la Colonia San Vicente Ferrer a été informée par des « personnes prestigieuses de Sedavi » qu’on ne voit guère le père de Pilar à l’église132. Il est d’ailleurs fréquent qu’à la campagne, le curé soit désigné comme délégué à la liberté surveillée : le prêtre de la paroisse de La Vadella (Serchs), chargé de rendre compte au tribunal pour mineurs de Barcelone de la conduite de Ramón, déplore que le jeune garçon, âgé de 17 ans, aille peu à la messe et pratique peu les sacrements133.
27Le désir de surveillance des adolescents atteint parfois une acuité étonnante. La directrice de la Colonia San Vicente Ferrer cherche à avoir des yeux partout afin que rien ne lui échappe, sans que l’on sache si cette obsession est le signe d’un contrôle effectif ou un vœu pieux dont la réitération signe justement l’inefficacité. Les femmes sont épiées puisqu’elles sont celles par qui la honte arrive et les regards se concentrent sur un point sensible, leur ventre. Gare aux visages qui s’épaississent, aux tailles qui s’alourdissent et subitement se dégonflent… Lorsque la mère d’Ángeles vient rendre visite à sa fille, internée à la CVSF, la directrice note qu’elle est pomponnée et a pris plusieurs kilos alors que la situation économique de la famille ne s’est pas améliorée. La religieuse charge un policier du tribunal de mener l’enquête pour savoir si la mère d’Ángeles est tombée enceinte et dans ce cas, qui est le père134. Les soupçons naissent, le doute règne lorsque l’on sent la présence du péché : pendant plusieurs mois, on cherche à confondre la mère de Josefina, soupçonnée d’avoir des mœurs légères. La directrice charge une « dame de l’Action catholique », habitant dans la même rue, de « surveiller les allées et venues de la mère afin de déterminer sa conduite, une bonne fois pour toutes135 ». Ce souci de contrôle frise parfois la paranoïa : les doutes ne sont pas vérifiés, les craintes subsistent… on rend donc visite en pleine nuit à un couple soupçonné de vivre en concubinage pour le surprendre dans le même lit. Une précédente visite avait en effet mis la puce à l’oreille de l’enquêteur, qui avait trouvé le père de Luis en bras de chemise à l’heure du dîner au domicile de sa maîtresse supposée136. En définitive, la préservation de la moralité est un sujet de préoccupation tellement constant qu’il entraîne une polarisation du discours autour de cette question. Cela intensifie la conscience d’un danger incessant, qui relance à son tour l’incitation à en parler. Étrange paradoxe : la Tertiaire capucine qui dirige la section pour filles de la CSVF finit ainsi par ne parler que de « ça ».
28Une coalition de causes unit plusieurs « entrepreneurs de morale » (H. S. Becker) dans cette croisade contre l’immoralité. Aux côtés des tribunaux pour mineurs et de leurs institutions auxiliaires, l’Église participe activement au contrôle de la moralité des classes populaires. Cette intervention s’inscrit dans le contexte plus large des rapports que l’Église catholique entretient avec le « Nouvel État », perçu comme un rempart contre le libéralisme et la diffusion du matérialisme, la persécution religieuse, les luttes sociales, la misère et l’apostasie des masses137. La promotion d’un modèle familial traditionnel et l’obsession pour la morale publique constituent des signes de sa position hégémonique retrouvée. Dans la région valencienne, les années 1945-1955 constituent une décennie prodigieuse pour l’Église : multiples campagnes de christianisation, pèlerinages à Saint-Jacques-de-Compostelle, célébration d’innombrables fêtes religieuses, croissance de l’Action catholique espagnole (ACE)138… C’est cette dernière organisation qui apparaît le plus régulièrement dans les archives judiciaires et éducatives. Créée à la fin du xixe siècle dans la veine du catholicisme social, l’Action catholique devait permettre de défendre les positions de l’Église dans le contexte d’un État séculier et libéral. Elle s’est structurée dans les années 1920, lorsque Pie XI a appelé à organiser l’apostolat laïc afin de « reconquérir spirituellement la société déchristianisée139 ». À tous les niveaux, l’ACE est structurée en quatre branches, respectivement destinées à coordonner l’action des hommes, des femmes, des jeunes garçons et des jeunes filles140. De 1921 à 1946, les effectifs de la branche féminine passent de 50 000 à 125 000. Durant les années 1940, ces militantes laïques s’engagent pleinement dans le programme de restauration de la famille, de recatholicisation et de moralisation, promu par les vainqueurs141.
29Dans les quartiers populaires assimilés à des terres de mission, on les voit agir aux côtés du tribunal pour mineurs et des maisons de redressement pour baptiser les enfants et leur faire faire leur première communion. À Barcelone, il s’agit surtout des communes de la ceinture industrielle, dans lesquelles les logements bon marché, construits à la va-vite, peinent à absorber les vagues de l’immigration intérieure, comme Santa Coloma de Gramanet. C’est là qu’Antonio, interné à l’Asilo Durán en 1955 car il fait l’école buissonnière, a fait sa première communion suite aux démarches entreprises par l’Action catholique142. À Valence, on voit l’Action catholique intervenir dans les ruelles délabrées du centre-ville ou dans des zones situées autour du port du Grao, majoritairement peuplées de pêcheurs, d’immigrés et de gitans. La déléguée de l’Action catholique basée dans la rue de l’Encarnación, dans le centre ancien, signale ainsi à la directrice de la CSVF que le frère de Teresa fera sa première communion le dimanche 20 juin 1943143. Pour convaincre les couples des vertus du mariage religieux, une structure spéciale est même créée au sein de l’Action catholique : le Secrétariat des mariages (Secretariado de Matrimonios) mène l’enquête et aide les couples déviants à « normaliser leur vie chrétienne144 ». Lorsqu’ils comparaissent devant le tribunal pour mineurs de Valence, Pilar et son petit ami affirment qu’ils ont décidé de se marier et ont pris contact, à cet effet, avec l’Action catholique qui les aide à accomplir les formalités administratives145. L’organisation signale au tribunal pour mineurs les couples qui ne sont pas mariés car on estime que leurs enfants courent un grand danger moral. En 1951 par exemple, la personne chargée des questions de moralité au sein de l’Action catholique de la paroisse de San Valero informe le tribunal de Valence les parents de María, 12 ans, vivent en concubinage146. De leur côté, la paroisse ou le diocèse n’hésite pas à stigmatiser les couples qui vivent en concubinage, dans l’espoir que la mise au ban de la communauté pousse les contrevenants à régulariser leur situation. Le nom des parents de Claudio, qui vivent à l’Hospitalet de Llobregat, dans la ceinture industrielle de Barcelone, figure en mars 1950 dans la rubrique des « admonestations matrimoniales » du bulletin du diocèse de San Lorenzo, à côté de celui d’autres couples qui ne sont pas mariés religieusement147.
30En milieu rural, le franquisme et la morale ultra-conservatrice qu’il promeut encouragent les processus de contrôle social intracommunautaire qui existaient avant 1936, créant un climat « pseudo-policier et d’autosurveillance148 ». Les enfants et les adolescents déviants sont sous les feux croisés du maire du village, du curé de la paroisse, de la Garde civile et de la Phalange, dont la collaboration efficace a fait ses preuves dans la répression menée contre le camp républicain. Teresa est par exemple envoyée à la Colonia San Vicente Ferrer en mars 1942 pour « vie licencieuse » parce qu’une « divulgatrice rurale » de la Section féminine de Catarroja, un village de la région de la Huerta valencienne, a dénoncé la conduite irrégulière de la jeune orpheline149. En août 1943, le maire de Castellar del Vallés demande au tribunal pour mineurs de Barcelone d’enfermer José, 13 ans, dans une maison de correction : les efforts de la Garde civile, de la délégation locale de la Phalange et du curé pour faire en sorte que l’adolescent change de comportement n’ont pas été couronnés de succès150. En 1941, c’est aux « autorités du village, civiles et ecclésiastiques » de Caldas de Montbui que s’adressent la tante et le père de Luis pour faire interner leur enfant, âgé de 9 ans, qui fugue sans arrêt et passe parfois deux semaines entières hors de chez lui151.
31Dans les quartiers populaires des grandes villes, l’Auxilio Social, l’organisation de bienfaisance phalangiste, participe lui aussi à l’entreprise de contrôle des enfants pauvres. José María, né en 1938 et Federico, né en 1943, ont été baptisés dans un centre dépendant de l’institution. Rafael, né en 1949 à Gérone, a fait sa première communion dans un foyer de Sabadell tenu par l’organisation. Violeta et sa famille sont soumises à la surveillance conjointe de la femme d’un procureur du tribunal, habitant elle aussi dans la rue Caballeros, dans le centre de Valence, et d’un collaborateur de l’Auxilio Social, qui a confirmé à la directrice de la CSVF que la mère de Violeta vivait en concubinage avec un certain Jaime, arnaqueur et vendeur au marché noir152. La présence de l’Auxilio Social montre le lien étroit qui peut unir la bienfaisance, l’évangélisation et la répression, l’objectif des foyers de cette organisation étant de convertir les rejetons de républicains en enfants acquis au régime franquiste153. Un déjeuner ou un dîner constitue en effet une bonne occasion pour diffuser les principes de la « Nouvelle Espagne », parmi lesquels le catholicisme154. Une grande attention est ainsi apportée à l’aménagement des réfectoires : sur les photographies des foyers pour enfants diffusées par l’Auxilio Social, le portrait de José Antonio Primo de Rivera, fondateur de la Phalange et « martyr » assassiné par les républicains le 20 novembre 1936, occupe une place équivalente à celle du Christ, avec toutes les connotations idéologiques que cela suppose. En 1942 ont lieu, grâce à l’Auxilio Social, 1 556 baptêmes d’adultes, 850 légalisations de mariages civils et 51 115 premières communions155. Diverses sont donc les « fantastiques organisations qui servent la Patrie », selon les termes de l’archevêque de Madrid, Leopoldo Écho Garay, et participent au contrôle social qui s’exerce sur les milieux populaires dans l’après-guerre civile156.
Une modification effective des processus de régulation sociale ?
Rapport de forces, rapport de classes
32Dès avant la guerre civile, la géographie religieuse de l’Espagne faisait apparaître deux mondes culturels antagonistes, de catholiques pratiquants et d’anticléricaux convaincus. L’industrialisation, la croissance urbaine et l’augmentation des conflits sociaux qu’avait connues le pays pendant les trois premières décennies du xxe siècle ont entraîné des changements importants. Au tout début des années 1930, avant même la proclamation de la République, le prolétariat des grandes villes qu’étaient Madrid, Barcelone, Valence, Séville ou les mineurs des Asturies et de Biscaye n’allait quasiment jamais à l’église et ignorait les rites catholiques157. L’Église et ses affaires étaient étrangères à la classe ouvrière urbaine, ce qui faisait dire au chanoine Arboleya que l’Espagne faisait face à une « apostasie des masses158 ». Le constat n’était pas propre aux grandes villes : les curés d’Andalousie ou d’Extrémadure ne manquaient pas de signaler à leur hiérarchie l’hostilité croissante de nombreux travailleurs journaliers vis-à-vis de l’Église, « contaminés » par les idées socialistes et anarchistes159. Du point de vue de la pratique religieuse et de la place de la religion dans la vie quotidienne, la différence était grande entre les régions « décatholicisées » ou que l’Église n’avait pas conquises, et le monde rural du nord de l’Espagne. En Vieille-Castille, en Aragon et dans les provinces basques, on allait naturellement à l’église une fois par semaine, voire une fois par jour lorsque l’on était une femme. Schématiquement, on comptait plus de catholiques dans le Nord que dans le Sud, parmi les propriétaires que chez les gens de peu, chez les femmes que chez les hommes. Le fossé séparant ces deux mondes, catholique pratiquant et anticlérical, s’est encore creusé pendant la période républicaine, et la guerre civile n’a fait qu’ajouter de profondes fractures aux clivages économiques, sociaux et religieux existants.
33Les enfants et les adolescents envoyés en maison de redressement dans les années 1940 et 1950 sont issus des couches inférieures de la société espagnole, fragilisées par la guerre civile et la répression, et pour certaines placées à la limite de la marginalité. Leur monde s’oppose à celui des entrepreneurs de morale que sont les membres des tribunaux pour mineurs, le personnel des maisons de redressement, l’Action catholique, l’Auxilio Social, la police, le curé… Cette dichotomie est analysée en termes simples par l’évêque de Madrid-Alcalá, Leopoldo Écho Garay : riches/pauvres, les premiers devant secourir les seconds en faisant œuvre de charité, lavant par là leurs péchés. À cette conception traditionnelle de la pauvreté et de la charité s’ajoute une dimension nouvelle : le sacrifice des martyrs pendant la « guerre de libération » ne doit pas être vain160. Plusieurs romans de Juan Marsé sont fondés sur l’opposition entre deux mondes qui se côtoient, se croisent parfois mais ne s’interpénètrent jamais, le peuple miséreux des quartiers populaires et la bourgeoisie catalane : la figure de cette « fille au regard de chat » fréquentant un centre de l’Action catholique, « [qui] pourrait venir aussi bien du Guinardó, de Casa Baro ou du Carmelo, personne ne sait, on ne l’a jamais vue à la paroisse », fait face à celle de la dame patronnesse dont « on sentait à son attitude si naturelle et élégante, dans son tailleur violet, qu’elle était habituée à rendre visite aux pauvres161 ». Pour les autorités judiciaires et le personnel des maisons de redressement, la pauvreté et l’irréligion vont de pair. Concepción, qui est née en 1930 et habite au Grao, près du port de Valence, « vit dans un environnement d’indifférence religieuse totale et de grande pauvreté162 ». Le beau-père de María, interné à la Colonia San Vicente Ferrer pour insoumission, a une formation religieuse déficiente. Le cas est répandu parmi « la classe des humbles », affirme en 1946 la déléguée à la liberté surveillée163. Pour la majorité des travailleurs prévalent encore les idées diffusées par la propagande anticléricale : le clergé est un parasite, et l’Église est associée aux valeurs et aux intérêts des classes riches. Cet anticléricalisme populaire a pour originalité d’être autant urbain que rural. Un silence glacial accueillerait le curé lorsque ce dernier se présente chez une famille d’ouvriers, pénétrant dans un monde qui relève pour une bonne part de l’inconnu164. Dans cet univers fait de pauvreté, de travail, de maladie, les autorités redoutent pêle-mêle la promiscuité des âges et des sexes dans des lieux fermés, la cohabitation des ouvriers et des ouvrières dans les ateliers et les usines, les relations prématurées entre les jeunes filles et les jeunes hommes, la liberté tolérée dans leurs relations, dans la rue par exemple165… Par conséquent, la déléguée à la liberté surveillée exerce une surveillance constante sur Lucinia, 15 ans, qui travaille dans le garage appartenant à son oncle et côtoie des hommes, sans autre présence féminine166.
34Il s’agit de « rendre plus sains des quartiers dont l’hygiène morale laisse grandement à désirer167 ». En avril 1939, le président et le vice-président du tribunal pour mineurs de Séville sont décrits comme des avocats jouissant d’un grand prestige social et politique, et dont la profondeur des racines catholiques et espagnoles est hors de doute168. Les classes dominantes, généralement placées par la guerre du côté des vainqueurs, tentent d’imposer leurs normes de comportement aux milieux populaires. Elles sont conscientes que la chose ne doit pas être faite de façon trop brutale pour ne pas humilier les familles en leur donnant l’impression qu’on leur fait la charité169. La tentation est pourtant grande, pour la dame patronnesse croquée par Jacques Brel, de « tricoter tout en couleur caca d’oie, ce qui permet le dimanche à la grand-messe de reconnaître ses pauvres à soi170 ». Le jugement de valeur, la dépréciation et la stigmatisation sont parfois exprimés explicitement : la mère de Francisco, Natividad, est serveuse dans un bar et se prostitue. Elle fait partie de ces pauvres femmes qui n’ont pas l’esprit de sacrifice et préfèrent se lancer dans la vie galante plutôt qu’exercer un travail honorable, en gagnant leur vie sans se fatiguer171. Chacun doit rester à sa place : en avril 1955, Enriqueta fréquente un décorateur ; « c’est là une profession qui convient à sa classe172 ». Le but de l’entreprise d’évangélisation des quartiers populaires est l’intégration par les familles de la pratique et des rites religieux catholiques, mais ceux-ci doivent de surcroît s’exprimer d’une façon bien déterminée. Le frère d’Antonio, né en 1937 en zone républicaine, n’a pas été baptisé. Ses parents souhaitent que cela soit fait au début des années 1940 mais on leur signifie que le baptême d’un enfant de cinq ans et qui n’a pas été élevé dans la foi catholique, contrairement à « l’obligation morale imposée par la société chrétienne espagnole », ne doit pas se dérouler avec « pompe, ostentation et fanfaronnerie173 ». La façon exubérante dont les milieux populaires vivent parfois leur foi froisse les autorités religieuses, qui voient là une marque de paganisme. Lorsqu’approche la période des premières communions, au mois de mai, des affiches sont placardées sur la porte des églises pour pousser les parents à la retenue : « Parents ! Le corps de votre enfant sera un sanctuaire le jour de sa Première Communion. Habillez-le avec simplicité. Ne le profanez pas avec des luxes païens. […] N’amenez pas votre enfant déguisé à l’Autel. Pensez qu’il n’y a pas de place pour le Carnaval dans les actes religieux174 ».
35La lutte contre l’immoralité menée dans les années 1940 et 1950 doit être replacée dans le temps long des entreprises de moralisation des pauvres, mises en place pour gommer certains des effets les plus criants de la révolution industrielle. À partir de la fin des années 1830 en Espagne, l’exercice de la charité et de la bienfaisance était l’une des quelques activités publiques que les femmes de l’aristocratie et de la bourgeoisie pouvaient exercer sans être la cible de la réprobation sociale. Disposant de temps et d’argent, ces dames s’investissaient dans des institutions de bienfaisance comme les hôpitaux, les asiles ou les écoles du dimanche, où l’on enseignait la lecture, l’écriture et le catéchisme aux petites filles de la classe ouvrière. L’Espagne ne constituait pas à cet égard un cas particulier175. Au début du xxe siècle, les expériences sont multiples qui persuadent beaucoup de pauvres vivant en ville de l’existence d’un lien étroit entre la religion et les autorités, et d’une vaste coalition répressive structurant leur vie quotidienne : contact avec le personnel religieux dans les prisons et les maisons de redressement, discipline draconienne imposée dans les écoles religieuses sur les enfants pauvres, engagement des syndicats catholiques dans le fait de briser des grèves, présence récurrente des forces de l’ordre dans les processions religieuses, pouvoir apparemment sans limite de l’Église sur les rites individuels de passage et l’espace public, usage par le personnel religieux de la charité et de la bienfaisance comme d’un mécanisme disciplinaire pour maintenir la passivité et l’uniformité religieuse et idéologique176… Dans les années 1940, les centres paroissiaux constituent l’un des terrains d’action des membres de la branche féminine de l’Action catholique, essentiellement issues des classes moyennes, qui souhaitent poursuivre la lutte pour la « reconstruction nationale » en participant aux projets sociaux et politiques de l’État franquiste et de l’Église rechristianisatrice. Seules des femmes peuvent remplir cette tâche, la bienfaisance et la moralisation leur étant traditionnellement réservées ; pour leur part, elles trouvent ici des espaces de sociabilité, dans un contexte social et politique limitant considérablement la présence et l’action publiques des femmes177. Au-delà des permanences et du temps long, ce qui est en revanche spécifique à la lutte contre l’immoralité menée dans l’Espagne franquiste, c’est la situation d’urgence démographique, sanitaire, économique et sociale dans laquelle se trouve le pays durant les terribles années de l’après-guerre. Dans ce contexte, l’aide sociale et l’alimentation constituent des armes terriblement efficaces. Une organisation catholique cherche à construire un réfectoire à La Ventilla, l’un des quartiers les plus pauvres de Madrid, pour porter assistance aux enfants sous-alimentés, souvent atteints de tuberculose. Les repas et les goûters vont de pair avec l’éducation religieuse et patriotique178.
Entre diffusion des pratiques et des rites catholiques, résistances et quant-à-soi
36Il est difficile de savoir dans quelle mesure la croisade menée par les entrepreneurs de morale franquistes conduit à une intégration réelle des normes par le public visé puisque nous perdons la trace des mineurs et de leur famille à partir du moment où cesse la tutelle du tribunal. Adela Alfonsi a montré qu’à Málaga, la nouvelle législation et les campagnes de « légalisation » des unions illégitimes avaient entraîné une augmentation significative du nombre de mariages religieux à partir du moment où la ville est passée sous contrôle franquiste, en février 1937. De façon générale, l’arrivée des troupes franquistes dans une région, qui implique l’application de la législation dite « nationale », a induit une augmentation du nombre de mariages religieux et de baptêmes. Il n’est ainsi pas anodin que Luis et son frère aient été tous les deux baptisés en juin et en juillet 1939 dans le village catalan de Caldas de Montbui, après la victoire franquiste ; ils étaient alors respectivement âgés de 7 et 3 ans179. Les historiens s’accordent à dire que l’Espagne franquiste s’est progressivement homogénéisée, dans le sens d’une diffusion des pratiques catholiques. Le concubinage a reculé dans les zones rurales de Galice, d’Andalousie et de la province de Murcie. Les mœurs apparaissent plus conservatrices à la fin des années 1950 qu’elles ne l’étaient dans les années 1930 : les couples ont désormais tendance à se marier à l’église avant de s’installer, et à avoir leur premier enfant au moins neuf mois après. Ce constat vaut également dans les quartiers peuplés de pauvres et d’immigrants intérieurs, dans lesquels la pratique anarchiste consistant à vivre avec son conjoint (compañero) sans être marié était courante avant-guerre180. L’obligation imposée au lendemain de la « Croisade » de respecter les préceptes extérieurs de la religion de l’État explique pour beaucoup un changement superficiel accepté par peur, prudence ou opportunisme. Mais si dans les archives des tribunaux pour mineurs, des signes témoignent de cette progressive moralisation des pratiques religieuses et sexuelles des milieux populaires, ils semblent cependant moins nombreux que ceux qui indiquent une résistance à l’application de cette norme. La pénétration du message moral officiel n’est peut-être pas aussi uniforme et profonde que les autorités l’affirment. Prêtres et missionnaires reconnaissent d’ailleurs que les quartiers populaires des grandes villes constituent des microcosmes dotés de leurs propres traditions et de codes spécifiques, qui ne concordent pas forcément avec la vision catholique officielle181.
37Les archives font apparaître une gamme de réactions plus ou moins négatives, allant de l’indifférence à l’hostilité déclarée. On rejoint ici les débats historiographiques qui tournent autour de la réception des pratiques de pouvoir dans un cadre dictatorial, et se sont cristallisés autour de la notion de consentement182. Carme Molinero et Pere Ysàs insistent pour leur part sur la très grande variété des attitudes observées, qui vont du désenchantement à l’hostilité et à la protestation, et souligner les distinctions qu’il faut établir en fonction du milieu social, de la région observée et du moment de la dictature que l’on considère183. Ceci posé, l’indifférence vis-à-vis de la religion semble être le comportement le plus répandu parmi les familles des mineurs envoyés en maison de redressement à Barcelone et à Valence. Ainsi, la déléguée à la liberté surveillée note que dans le cas de Soledad comme dans beaucoup d’autres, c’est la famille qui détruit rapidement le travail éducatif réalisé entre les murs de la maison de redressement, par ignorance, par inculture et par indifférence religieuse : les « bonnes » habitudes se perdent vite184. Ce type d’attitude peut se doubler d’une dimension politique : le garçon que fréquente Rosa, internée à la Colonia San Vicente Ferrer en 1942 pour « vie licencieuse », est « indifférent en matière de religion ». « Sous la domination rouge et séparatiste », il a par deux fois rejoint le front pour prêter main-forte à l’armée républicaine, sans l’accord de ses parents. L’enquêteur du tribunal note que son père, lui aussi indifférent à la religion, appartenait à la CNT et a éduqué son fils « à la moderne185 ». L’un des signes les plus visibles de la réserve que peuvent avoir les familles populaires vis-à-vis de la religion est de ne pas aller à la messe le dimanche. Car « si le monde est divisé en deux, entre ceux qui comprennent la nécessité d’aller à la messe et les autres », force est de constater que les ouvriers appartiennent prioritairement à la seconde catégorie186. Magín, qui vit dans un quartier populaire de Barcelone, La Salut, confie aux religieux de l’Asilo Durán que son père ne va jamais à la messe187. Dans la ville voisine de Mataró, en 1955, un habitant sur trois assiste à la messe le dimanche, en comptant les enfants188. Cet état de fait peut traduire une conception différente de la religion : la mère d’Alonso, une prostituée internée dans un camp de concentration à Gérone, affirme « qu’il n’y a pas besoin d’aller à l’église pour croire en Dieu ». Elle dit cependant avoir des idées « nationales » (franquistes, donc) car « les hommes de l’Espagne nationale sont plus propres189 ». Si l’opposition à la religion se manifeste de manière aiguë, elle concerne presque toujours des individus de sexe masculin. Le frère de Vicenta est marié, il vit avec sa belle-mère et un beau-frère célibataire dans une idéologie antireligieuse allant jusqu’au blasphème190. Le fait d’insulter « Dieu, la Vierge ou les Saints » est puni par le Code pénal de 1944 (l’article 239 indique que celui qui blasphème et cause un grave scandale public doit payer une amende de 1 000 à 5 000 pesetas). Malgré tous ses efforts, la mère de Lino, né en 1930 à La Roda, dans la province d’Albacete, ne peut empêcher que ses enfants entendent blasphèmes, gros mots et imprécations prononcés par leur père lorsque ce dernier rentre saoul le soir. Son mari ne respecte ni Dieu, ni ses parents défunts, reconnaît la mère de Lino, « honteuse », devant le tribunal pour mineurs de Valence191. En Espagne comme en France à la même époque, le dimorphisme sexuel de la pratique religieuse, qui concerne majoritairement les femmes, est très net. María, internée à la CSVF en 1941 pour « vie licencieuse », doit aller à la messe en cachette car son père s’y oppose ; sa mère, elle, la soutient192. Amparo n’a jamais reçu le baptême car son père s’y est toujours opposé193.
38Le public visé par la croisade morale menée par les autorités peut refuser d’adopter les codes de comportement qu’on propose : la mère de Pedro, une habitante du quartier barcelonais de San Andrés, s’est remariée quand la législation républicaine était encore en vigueur, « n’a pas fait valider leur mariage et n’a pas l’intention de le faire194 ». Les remontrances presque mensuelles du curé de la paroisse de La Vadella, située dans l’intérieur de la province de Barcelone, n’y font rien : Ramón ne va pas à la messe tous les dimanches195. On peut refuser l’application de la norme en vigueur pour des motifs beaucoup plus prosaïques que moraux : le père de Julio, sergent dans l’armée franquiste, est mort le 13 juin 1937 sur le front de Biscaye. En 1945, sa femme vit en concubinage avec un barbier, à Badalona. Elle ne se remarie pas pour ne pas perdre le bénéfice d’une pension s’élevant à 300 pesetas par an196. Les couples que le tribunal pour mineurs pousse fermement à se marier à l’église ne manquent pas de ressources : on se fait passer pour une personne mariée lorsque cela est nécessaire ou on explique que pour des raisons administratives ou économiques, le mariage n’est pas possible. De fait, la documentation exigée par les autorités est parfois difficile à réunir : pour des individus déracinés, elle suppose une inhabituelle correspondance et de coûteuses démarches. Le problème des personnes « disparues » pendant la guerre, dont on n’a plus aucune nouvelle sans pouvoir prouver qu’elles sont décédées, est réel ; or sans certificat de décès, il est impossible de se remarier. Par exemple, en septembre 1950, le tribunal pour mineurs de Barcelone suspend le droit de garde et d’éducation du père de José : ce dernier vit en concubinage avec une jeune femme de 22 ans, avec qui il a eu des enfants. Le père affirme qu’ils n’ont pas pu « légaliser » leur situation car il n’est pas parvenu à prouver le décès de sa femme, la mère de José197. Il arrive également que les registres d’état-civil aient été détruits pendant la guerre198.
39Par ailleurs, les dépenses qu’engagent un baptême ou un mariage – achat de la toilette, constitution du trousseau, honoraires de messe, dépense entraînée par la publication des bans et le repas de noce – font reculer nombre de candidats. En janvier 1950, Tomasa et son petit ami souhaitent se marier mais ils doivent prendre leur mal en patience car même s’ils travaillent tous les deux, ils n’ont pas encore assez d’argent pour s’acheter meubles et vêtements199. Dans son enquête sur le quartier madrilène de Pacífico, Jesús María Vázquez souligne que la date du baptême est souvent retardée jusqu’au jour de la paie afin de pouvoir couvrir les dépenses induites par la fête200. Le fait que les familles déviantes, aux yeux des autorités, refusent d’adopter les codes de comportement qu’on leur prescrit, tient principalement au fait que leurs propres normes morales sont irréductiblement différentes. L’écart est parfois considérable entre ce que les autorités judiciaires, civiles et ecclésiastiques, et la population observée jugent indécent ou immoral. Un couple qui vit en concubinage mais qui est établi de façon stable et sans faire de scandale peut passer pour un couple marié. C’est le cas de la mère de Miguel : elle vit depuis longtemps en concubinage, raison pour laquelle le tribunal pour mineurs de Barcelone lui a retiré la garde de son fils, en 1947. En 1961, la tante du mineur, qui a été désignée comme tutrice, pense pourtant que « cela fait tellement d’années qu’ils vivent ensemble que maintenant, ils sont un couple marié201 ». C’est aussi le raisonnement que tient la mère d’Isabel : certes, elle reconnaît devant le tribunal pour mineurs de Valence que cela fait dix ans qu’elle vit en concubinage mais puisque sa conduite et celle de son compagnon sont bonnes, elle pense que « l’exemple corrupteur » qu’elle donne à ses filles est tout à fait relatif202. La réaction de la mère d’Antonio est beaucoup plus virulente. Le tribunal pour mineurs de Barcelone lui a retiré son droit de garde et d’éducation car elle vit en concubinage avec un homme marié par ailleurs, et qui a trois filles. Dans une lettre écrite à Antonio en 1943, elle raconte qu’elle est allée au tribunal le jour de Noël pour demander qu’on lui rende son fils. Mais « ces canailles, ces crapules, ces maudites gens » ont rejeté sa requête sous prétexte qu’elle n’était pas mariée. Elle a copieusement insulté le personnel, qui a menacé d’appeler la police203.
40Les signes d’indifférence, de désaffection ou de rejet plus ou moins marqué sont donc plus fréquents que les manifestations d’une adhésion réelle, ce qui montre les effets limités de la croisade morale menée par les tribunaux pour mineurs et les organisations avec lesquelles ils collaborent, essentiellement religieuses. Ces résultats sont en adéquation avec les résultats des enquêtes menées dans les années 1950, qui montrent que le taux d’assistance à la messe dominicale reste faible dans les quartiers ouvriers de Madrid, de Barcelone, de Valence et de Bilbao. En 1957, il n’est que de 0,3 % dans le bidonville de Montjuïc. Une grande enquête menée par l’Action catholique montre que sur 15 941 ouvriers interrogés dans tout le pays, seuls 7,6 % vont à la messe de façon régulière204. La recatholicisation touche surtout la haute bourgeoisie, les classes moyennes et les paysans. Les acteurs disposent, dans les microcosmes que constituent les quartiers populaires, d’une réelle marge de manœuvre : fataliste, le policier qui a enquêté sur la famille d’Antonio constate que dans ce cas « comme dans tous les dossiers de protection, l’enfant est interné depuis longtemps et sa famille est immorale, sans qu’il y ait de solution à son cas205 ». Les conclusions de José Ramón Rodríguez Lago pour la Galice vont dans le même sens : l’auteur estime que les résultats obtenus par l’Église en termes de religiosité et de participation des fidèles au message catholique constituent un échec clair206. Dans la région de la ría de Bilbao, en Biscaye, les politiques d’incitation à avoir plus d’enfants par famille ne se sont pas révélées aussi efficaces que l’auraient voulu les autorités, malgré l’intense pression idéologique et religieuse exercée par l’État et l’Église : de la fin de la guerre civile et jusqu’à la fin des années 1950, les pratiques contraceptives ont été largement utilisées. Si « babyboom » espagnol il y a, il se produit seulement au milieu des années 1960, parallèlement à la croissance économique que connaît le pays207. Dans les quartiers ou les villes à forte composante ouvrière, comme El Puerto de Sagunto, près de Valence, la politique de conquête de nouveaux fidèles ne parvient pas à faire pièce à l’indifférence religieuse héritée de la culture politique de gauche pré-franquiste208. Toutefois, la croisade morale menée par l’État et l’Église ne donne lieu que très marginalement à des manifestations de rejet ouvert, et aucune protestation collective n’est mentionnée. On peut donc, comme Ismael Saz le fait à propos de la façon dont le régime franquiste est perçu par les ouvriers, parler à la fois d’échec et de réussite. Entre l’adhésion inébranlable et l’opposition militante, entre le blanc et le noir, s’étale une vaste palette de gris, d’attitudes nuancées mais qui ont en commun la passivité209. Si la dictature et l’Église ne sont pas parvenues à pénétrer de manière significative les milieux sociaux qui les rejetaient, si elles n’ont pas généré une vague d’enthousiasme parmi les jeunes ayant grandi après la guerre civile, elles ont tout de même réussi à faire prévaloir le gris sur le noir, la passivité sur la révolte.
Conclusion
41Le contrôle social fort exercé par les autorités judiciaires et éducatives, s’articulant autour de la stigmatisation et de la répression des comportements jugés antisociaux, relève de la disciplinarisation sociale. En la matière, la spécificité de l’Espagne franquiste tient à plusieurs éléments. Les normes morales que souhaitent faire appliquer les tribunaux pour mineurs se trouvent aussi être celles des vainqueurs de la guerre civile quand le public ciblé appartient, pour partie au moins, au camp des vaincus. Le caractère dictatorial du régime issu du conflit implique que ce dernier n’hésite pas à employer la coercition pour arriver à ses fins, les tribunaux retirant par exemple à des parents le droit de garde de leur enfant parce qu’ils ne sont pas mariés. Enfin, l’idéologie nationale-catholique de l’État franquiste explique le caractère « fondamentaliste » de ce dernier en matière de moralité210. Les cibles privilégiées de cette croisade morale sont les adolescentes et leurs mères, leurs sœurs, leurs tantes, leurs amies. Cette stigmatisation s’intègre à la politique systématique de discrimination, de subordination et de relégation des femmes au sein du foyer menée en Espagne jusqu’à la transition démocratique211. La dictature de Franco se caractérise en effet par une répression continue et systématique des femmes, qui passe par l’abrogation des droits égalitaires et de citoyenneté introduits par le Seconde République. Ce régime de genre très rigide et la redéfinition du rôle des femmes qu’il instaure (position subalterne des femmes/privilèges masculins) constitue un élément-clé de la machinerie répressive et de l’imposition d’une société patriarcale et nationale-catholique212.
42Comment ont été reçues les tentatives destinées à consolider la famille patriarcale traditionnelle et à introduire un code de conduite morale puritain ? S’il est indéniable que les comportements évoluent, le mécanisme d’intégration et d’imitation, combinant à la fois coercition et internalisation des comportements, est toutefois limité. Les réactions négatives émanant tant des jeunes que de leurs familles, qui vont de l’indifférence à l’hostilité déclarée, trouvent un élément d’explication dans l’existence de deux systèmes de valeurs différents, se recoupant partiellement mais ne s’identifiant pas : le code culturel traditionnellement en vigueur dans les quartiers populaires des grandes villes et le code de conduite catholique. Si ces derniers ne concordent pas pour ce qui concerne les questions morales et religieuses (nécessité d’aller régulièrement à la messe, de faire baptiser ses enfants, de se marier à l’église), ils se recoupent en revanche à propos du rôle des femmes dans la cellule familiale : ce sont elles qui doivent s’occuper « du linge, du ménage, de la cuisine et du reste213 ». En 1950, le père de Josefa recourt au tribunal pour mineurs de Valence car sa fille ne se conduit pas bien : elle ne veut pas s’occuper des tâches ménagères alors que cette responsabilité lui incombe, puisque sa mère est souffrante. C’est le chef de famille qui doit, en rentrant du travail, se préparer le repas et s’occuper de la maison, inversion des rôles sociaux de genre qui lui paraît intolérable214. Par ailleurs, en cas de grossesse hors mariage, au milieu des années 1950, certaines familles demandent que leur fille soit cachée dans un couvent jusqu’à la naissance215. En 1947, une mère de famille exige même que le résultat de l’examen médical montrant que sa fille est vierge soit écrit à la craie sur un tableau, pour faire taire les rumeurs insistantes qui courent dans le quartier216.
43Dans la prise en charge de la jeunesse dangereuse et en danger, la justice des mineurs profite des réseaux de l’Église et de son implantation traditionnelle à l’échelle de la paroisse ; en retour, l’Église peut mener la politique de rechristianisation des quartiers populaires qu’elle appelle de ses vœux, la promotion du modèle familial traditionnel et l’obsession pour la morale publique étant l’un des signes de son influence retrouvée. On peut s’interroger sur les raisons qui poussent la justice des mineurs et, au-delà, le régime, à adhérer à cette croisade morale. Guy Bechtel pense que l’Église ne veut pas supprimer le sexe mais le rendre honteux, car la confession et la surveillance induites lui permettent de contrôler la population et d’assurer l’ordre, en « tenant » les pauvres. Le fait de se confesser permet ainsi à l’individu de se purger et de l’aider à être ce qu’il est, mais corrobore aussi l’organigramme social217. Existe également une dimension nette d’essentialisation de l’ordre social : il s’agit d’aider les milieux populaires à bien agir, à se conformer à l’image que l’on attend d’eux (de « bons » pauvres), en leur portant assistance lorsqu’ils sont dans le besoin ; mais on attend surtout d’eux qu’ils restent à leur place et n’introduisent pas de ferment de désordre dans la nouvelle « communauté nationale ». En l’espèce, le franquisme s’inspire d’un modèle antérieur, celui du régime de la Restauration monarchique (1875-1931), qui s’était servi de la religion officielle comme d’un instrument de contrôle social destiné tout à la fois à conserver les hiérarchies sociales et à contrôler les classes subalternes. Pour ce faire, il a « capturé » le catholicisme espagnol pour le rendre ultraconservateur et homogène en gommant la diversité des catholicismes qui existaient en Espagne au début du xxe siècle, quand des catholiques sociaux progressistes et des prêtres proches des ouvriers côtoyaient une hiérarchie ecclésiastique conservatrice218. À la vision traditionnelle de l’aide sociale évoquée plus haut, perçue comme un outil de contrôle et d’essentialisation de l’ordre social, vient s’ajouter le contexte politique et idéologique de l’après-guerre civile : les jugements moraux traditionnels sur les pauvres fusionnent avec les préjugés politiques des vainqueurs219. Les autorités veulent empêcher l’ancien ennemi de se relever et l’Église prête son concours au Caudillo : cette symbiose faisant de la religion un élément naturel de la vie sociale produit un contrôle social fort et justifie la répression des comportements qui vont à l’encontre de « l’État national220 ». Le discours religieux pénètre la machinerie législative et répressive de l’autorité civile, en même temps qu’il se met à sa disposition pour rendre la société plus cohérente221. Dans ces circonstances, l’Espagne atteint le niveau de cléricalisation le plus haut qu’ait connu un pays occidental à l’époque contemporaine222.
44L’importance de la moralité dans le domaine de la prise en charge de la déviance juvénile montre que « c’est avec du vieux qu’on fait du neuf », pour reprendre les mots de Jacques Brel définissant la parfaite dame patronnesse223. La Seconde République apparaît comme une parenthèse qu’il est nécessaire de refermer pour renouer non pas avec la période antérieure à la guerre civile, mais avec « le temps d’avant », sans que l’on sache exactement quel moment historique constitue le référent des entrepreneurs de morale étudiés. La façon dont agissent les tribunaux pour mineurs et les maisons de redressement de Barcelone et de Valence montre que ces derniers ont admis que cette parenthèse républicaine, honnie, ne peut se clore immédiatement : on prend en compte le fait que le corps social est un navire qui se meut lentement. Il faut arracher les mauvaises herbes pour que l’hydre libérale, démocratique et anticléricale ne ressurgisse pas : on utilise, à côté du canal de la répression politique, la voie du contrôle social pour que les jeunes et leurs familles intègrent les normes morales et les codes de comportements des vainqueurs. Les enfants et les adolescents peuvent constituer un moyen de pression voire de chantage car au-delà d’eux, ce sont les milieux populaires dans leur ensemble que l’on veut atteindre. Le cas de Carmen montre que cette stratégie peut fonctionner : après son séjour en maison de redressement, la jeune fille a honte du comportement de sa tante, qu’elle qualifie désormais « d’immoral » (cette dernière vit en concubinage et a eu plusieurs enfants avec son compagnon)224. Dans ce contexte, le catholicisme devient l’outil de reconstruction d’une Espagne éternelle dans laquelle la tension ne sera plus nécessaire puisque les enfants et, à travers eux, leurs parents, auront d’eux-mêmes intégré les normes de contrôle inculquées par le biais de cette « pédagogie de la peur225 ».
Notes de bas de page
1Entretien avec M. del Castillo (03-06-2010).
2Molinero M. et Ysàs P., « El malestar popular por las condiciones de vida. ¿Un problema político para el régimen franquista? », Ayer, 2003, no 52, p. 255-280.
3Citons par exemple Brigada criminal (1950) d’Ignacio Iquino, Los peces rojos (1955), de Nieves Conde, Apartado de correos 1001 (1950) de Julio Salvador ou Distrito quinto (1955) de Julio Coll.
4Voir Cela C. J., op. cit., 1958 [1951] et Marsé J., Enfermés avec un seul jouet, op. cit. ; Teresa l’après-midi, op. cit. ; L’Obscure histoire de la cousine Montsé, Paris, C. Bourgois, 1989 ; Un jour, je reviendrai, Paris, C. Bourgois, 1997 ; Les nuits de Shanghai, Paris, C. Bourgois, 1995.
5Rapport datant de novembre 1942, ATTMBcn, dossier no 16875-2/1940.
6Cazorla Sánchez A., Fear and progress, op. cit., p. 57.
7ATTMVal, dossier no 790/1945.
8Formulaire d’antécédents datant du 17-06-1942, ibid., dossier no 325/1942.
9Rapport datant de janvier 1950, ibid., dossier no 540/1945.
10Rapport datant de 1948, ibid., dossier no 7315b/1948.
11Rapport datant de mars 1950, ibid., dossier no 540/1945.
12Barciela C. et López Ortiz M. I., « El fracaso de la política agraria del primer franquismo, 1939-1959 », Barciela C. (dir.), Autarquía y mercado negro: el fracaso económico del primer franquismo, 1939-1959, Barcelone, Crítica, 2003, p. 55-94.
13Cussó i Segura X., Gamboa Jiménez G. et Pujol-Andreu J., « El estado nutritivo de la población española. 1860-2010: una aproximación a las diferencias de género y generacionales », Historia agraria, 2018, vol. 35, p. 341-346.
14Santiago Díaz G., « Cuando el hambre no solo mata: trastornos y enfermedades alimenticias en la España de los años cuarenta », del Arco Blanco M. Á. (dir.), Los « años del hambre »: historia y memoria de la posguerra franquista, Madrid, Marcial Pons Historia, 2020, p. 274.
15Del Arco Blanco M. Á., « Famine in Spain During Franco’s Dictatorship, 1939-1952 », Journal of Contemporary History, 2020, vol. 56, no 1, p. 3-27.
16Payne S., The Franco Regime, 1936-1975, Madison, The University of Wisconsin Press, 1987, p. 267.
17Ortega J. et Silvestre J., « Las consecuencias demográficas », Martín Aceña P. et Martínez Ruiz E. (dir.), La economía de la guerra civil, Madrid, Marcial Pons, 2006, p. 53-105.
18Maluquer de Motes i Bernet J., « La incidencia de la Gran Depresión y de la Guerra Civil en la población de España (1931-1940): una nueva interpretación », Revista de Demografía Histórica – Journal of Iberoamerican Population Studies, 2007, vol. 25, no 2, p. 131-166.
19Ó Gráda C., Famine: A Short History, Princeton, Princeton University Press, 2009.
20Palacio Lis I. et Ruiz Rodrigo C., Infancia, pobreza y educación en el primer franquismo (Valencia 1939-1951), Valence, Universitat, 1993, p. 16.
21del Arco Blanco M. Á., « Introduction », del Arco Blanco M. Á. (dir.), Los « años del hambre »… op. cit., p. 11.
22del Arco Blanco M. Á., « Las hambrunas europeas del siglo xx y el lugar del “los años del hambre” », ibid., p. 37.
23Rapport datant de février 1950, ATTMVal, dossier no 646/1946.
24Rapport datant de mars 1952, ibid., dossier no 185/1948.
25del Arco Blanco M. Á., « ¿Se acabó la miseria? La realidad socioeconómica en los años cincuenta », del Arco Blanco M. Á. et Hernández Burgos C., Esta es la España de Franco, op. cit., p. 49-72.
26Cussó i Segura X., Gamboa Jiménez G. et Pujol-Andreu J., « El estado nutritivo de la población española…, op. cit.
27Lettre datant du 26 octobre 1940, ACSPM, carton no 907.
28Lettre du président du TTM de Valence au secrétaire général du CSPM, 26/1/1942, ibid., carton no 894.
29Lettre datée du 28-04-1952, ibid., carton no 967.
30Entretien réalisé avec J. A. Bosch Fernández (22-06-2009).
31Entretien avec V. Marques i Sanmiguel (09-11-2009).
32« À l’Asilo Durán, le pain est rare et dans la rue Vilana, on a très faim. » Entretien réalisé avec F. Ferre Ignacio (04-11-2009).
33Lettre non datée, AAD.
34Entretien avec J. Soria Mor (20-06-2008).
35Entretien réalisé avec M. del Castillo (03-06-10).
36Entretien réalisé avec E. Abello García (19-06-2009).
37Rapport datant du 19 décembre 1940, ADIRCSVFgarçons, année 1940.
38ATTMVal, dossier no 524/1950 et dossier no 95/1954.
39AAD.
40Hernández Burgos C., « El discurso de la miseria: relatos justificativos y percepciones populares del hambre durante la posguerra », del Arco Blanco M. Á. (dir.), Los « años del hambre »…, op. cit., p. 154.
41Molinero Ruiz C. et Ysàs P., « El malestar popular por las condiciones de vida. ¿Un problema político para el régimen franquista? », art. cit., p. 268.
42Rapports datant d’octobre 1948, de septembre 1950 et de février 1952, ibid., dossier no 646/1946.
43Fiche psycho-médico-pédagogique, ibid., dossier no 669/1943.
44Rapport datant de mars 1950, ibid., dossier no 215/1944.
45ATTMVal, dossier no 439/1942.
46AAD.
47Ibid.
48Rapports datant du 8 et du 13-01-1951, ATTMVal, dossier no 231/1948.
49Rapport datant de février 1948, ibid., dossier no 106/1942.
50Rapport datant d’août 1950, ibid., dossier no 540/1945.
51Formulaire d’antécédents daté du 11-09-1947, ibid., dossier no 584/1947.
52Rapport de comparution datant de décembre 1941, ATTMBcn, dossier no 18601/1941.
53Rapport datant de 1942, ibid., dossier no 19143/1942.
54Rapport datant de 1942, ATTMVal, dossier no 247/1942.
55Montero F., « Asistencia social, catolicismo y franquismo: la actuación de Acción Católica en la posguerra », Mir Curcó C., Agustí i Roca C. et Gelonch J. (dir.), op. cit., p. 113-138.
56Rapport datant de 1946, ATTMVal, dossier no 735/1942.
57Rapport datant d’avril 1948, ibid., dossier no 484/1940.
58Lettre du 16 septembre 1939, ADIRCSVFgarçons, année 1939.
59Entretien avec J. Soria Mor (20-06-2008).
60Entretien réalisé avec E. Abello García (19-06-2009).
61Rapport datant de décembre 1950, ATTMVal, dossier no 390/1946.
62Rapport datant du 01-05-1942, ibid., dossier no 199/1942.
63ADIRCSVFgarçons, année 1949.
64Rapport datant de juin 1948, ATTMVal, dossier no 474/1945.
65Document datant du 24-06-1950, ibid., dossier no 540/1949.
66Fiche datée du 28-06-1954, ibid., dossier no 502/1953.
67el Arco Blanco M. Á., « Hunger and the Consolidation of the Francoist Regime (1939-1951) », European History Quarterly, 2010, vol. 40, no 3, p. 458-483.
68Molinero C., La captación de las masas, op. cit., p. 12.
69Ibid., p. 212.
70Marsé J., Des lézards dans le ravin, Paris, C. Bourgois, 2001, p. 29.
71« Reglamento sobre piedad que han de observar las menores que salgan a trabajar fuera de la Escuela », janvier 1942, ATTMVal, carton no 577.
72Pelka A., « Mujer e ideología en la posguerra española: feminidad, cuerpo y vestido », Historia social, 2014, no 79, p. 23-42 ; Prieto Borrego L., Mujer, moral y franquismo: del velo al bikini, Málaga, Universidad de Málaga, 2018.
73Domingo C., Coser y cantar, Barcelone, Lumen, 2007, p. 13.
74Melo y Alcalde P., Sobre la moralización de las costumbres, Pampelune, s. n., 1945.
75« Normas para las menores en situación de libertad vigilada », sans date, ATTMVal, carton no 577.
76Melo y Alcalde P., op. cit.
77Hermet G., Les Catholiques dans l’Espagne franquiste, op. cit., p. 129.
78Ecclesia, 52, 11-07-1942, p. 14, cité par de Santa Olalla Saludes P. M., De la victoria al concordato: las relaciones Iglesia-Estado durante el « primer franquismo » (1939-1953), Barcelone, Laertes, 2003, p. 130.
79« Instrucción sobre la moral pública », 31-05-1957, citée par Iribarren J., Documentos colectivos del Episcopado español, 1870-1974, Madrid, La Editorial Católica, 1974, p. 302-316.
80Domingo C., Coser y cantar, op. cit., p. 55.
81Nash M., Treballadores: un segle de treball femení a Catalunya (1900-2000), Barcelone, Generalitat de Catalunya, 2010 ; idem, Represión, resistencias, memoria: las mujeres bajo la dictadura franquista, Grenade, Comares, 2013.
82Roca i Girona J., De la pureza a la maternidad: la construcción del género femenino en la postguerra española, Madrid, Subdirección General de Museos Estatales, 1997, p. 24.
83ATTMVal, dossier no 490/1948.
84Kinder M. (dir.), Refiguring Spain: Cinema, Media, Representation, Durham, Duke University Press, 1997, p. 50.
85Gallego Méndez M. T., Mujer, falange y franquismo, Madrid, Taurus, 1983.
86Otero González U., « La mujer en el primer franquismo: la construcción de un modelo de género », González Madrid D. (dir.), La Historia: lost in translation?, Tolède, Ediciones de la Universidad de Castilla-La Mancha, 2017, p. 553. Voir aussi Di Febo G., « La cuna, la cruz y la bandera ». « Primer franquismo y modelos de género », Morant I. (dir.), Historia de las mujeres en España y América Latina. Del siglo xx a los umbrales del xxi, Madrid, Cátedra, 2006.
87García Fernández M., « Entre la norma y el deseo. Amor, género y sexualidad en la España de los años cincuenta », del Arco Blanco M. Á. et Hernández Burgos C. (dir.), Esta es la España de Franco, op. cit., p. 227-248 ; idem, « Sexualidad y armonía conyugal en la España franquista. Representaciones de género en manuales sexuales y conyugales publicados entre 1946 y 1968 », Ayer, 2017, no 105, p. 215-238.
88« Normas para el personal de la Escuela de reforma, Sección de niñas », début des années 1940 ; ATTMVal, carton no 577.
89Lettre datant du début des années 1940, ibid.
90Rapport rédigé le 16 février 1948, ibid., dossier no 594/1945.
91Rapport datant de décembre 1948, ibid., dossier no 274/1946.
92Saz I., « Trabajadores corrientes: obreros de fábrica en la Valencia de la posguerra », op. cit., p. 201.
93Quignard P., Le sexe et l’effroi, Paris, France, Gallimard, 1994.
94Roca i Girona J., De la pureza a la maternidad, op. cit., p. 47.
95Formulaire d’antécédents datant du 27-09-1938, ATTMVal, dossier no 1015/1938.
96Foucault M., Histoire de la sexualité I. La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 30.
97Rapport datant d’août 1944, ATTMBcn, dossier no 123/1942.
98Les travaux d’Anne-Marie Sohn ont depuis longtemps montré la richesse des archives judiciaires pour étudier le discours et les pratiques sexuelles des milieux populaires. Cf. Sohn A. M., Du premier baiser à l’alcôve: la sexualité des Français au quotidien, Paris, France, Aubier, 1996.
99Comparution du 28-04-1952, ATTMVal, dossier no 168/1952.
100Comparution du 24-05-1941, ibid., dossier no 358/1927.
101Rapport datant du 12-01-1940, ibid., dossier no 657/1938.
102Rapport de police, 16-08-1949, ATTMBcn, dossier no 8721b/1949.
103Fiche personnelle, ATTMVal, dossier no 215/1944.
104Comparution du 21-03-1943, ATTMBcn, dossier no 4640b/1945.
105Rapport datant du 03-12-1955, ATTMVal, dossier no 179/1944.
106Comparution du 07-10-1953, ibid., dossier no 348/1945.
107Feuille d’antécédents, ibid., dossier no 494/1940.
108Pour le nazisme, voir Mailänder E., Amour, mariage, sexualité: une histoire intime du nazisme,1930-1950, Paris, Éditions du Seuil, 2021.
109Nash M., « Vencidas, represaliadas y resistentes: las mujeres bajo el orden patriarcal franquista », Casanova J. (dir.), Cuarenta años con Franco, op. cit., p. 126.
110Vallejo Nágera A., Antes que te cases…, Madrid, Plus Ultra, 1946.
111Casanova J., La Iglesia de Franco, Madrid, Temas de Hoy, 2001, p. 196.
112ATTMVal, dossier no 378/1930.
113BOE, 05-03-1938.
114Orden del 12 de marzo de 1938, BOE, 21-03-1938.
115Rapport datant du 05-02-1943, ATTMBcn, dossier no 1560b/1943.
116Rapport datant de 1950, ibid., dossier no 9544b/1950.
117Rapport datant du 03-06-1943, ATTMVal, dossier no 215/1944.
118Rapport de comparution datant du 01-06-1948, ibid., dossier no 7275b/1948.
119Ibid., dossier no 1489b/1943.
120AAD.
121Rapport datant de mai 1949. ATTMBcn, dossier no 2687b/1944.
122Lettre du président du TTM de Barcelone au président du CSPM datée du 18-03-1952, ACSPM, carton no 852.
123Brochure de l’Escuela de formación familiar y social éditée par la branche féminine de l’ACE, sans date, ibid., carton no 620.
124Rapport datant du 15-05-1953, ATTMVal, dossier no 532/1947.
125ATTMBcn, dossier no 1179b/1942.
126Rapport datant du 19-02-1943, ATTMVal, dossier no 715/1939.
127Rapport datant du 21-04-1949, ibid., dossier no 1057/1946.
128Perrot M., « Sortir », Duby G. et Perrot M. (dir.), Histoire des femmes en Occident. 4. Le xixe siècle, Paris, Plon, 1991, p. 535-574.
129Rapport de comparution datant du 06-03-1943, ibid., dossier no 667/1942.
130Rapport datant de 1935, ATTMBcn, dossier no 10130/34.
131Duby G. et Perrot M. (dir.), Histoire des femmes en Occident, 5 : le xxe siècle, Paris, Plon, 1992, p. 159.
132Rapport datant de février 1946, ATTMVal, dossier no 485/1941.
133Rapport des 19-10-1944 et 26-06-1945, ATTMBcn, dossier no 10130/34.
134Rapport datant du 11-07-1955, ATTMVal, dossier no 790/1945.
135Rapports de février et de mars 1943, ibid., dossier no 156/1940.
136Rapport datant du 05-10-1942, ibid., dossier no 322/1934.
137Guía de la Iglesia y de la Acción Católica Española, Madrid, Secretariado de publicaciones de la Junta técnica nacional de la ACE, 1943, p. 371.
138Reig R., Feixistes, rojos i capellans: església i societat al País Valencià (1940-1977), Valence, Publicacions de la Universitat de València, 2004, p. 73.
139Guía de la Iglesia y de la Acción Católica Española, op. cit., p. 371.
140Montero García F., La Acción Católica y el franquismo: auge y crisis de la Acción Católica Especializada en los años sesenta, Madrid, UNED, 2000, p. 28-30.
141Blasco Herranz I., Paradojas de la ortodoxia: política de masas y militancia católica femenina en España (1919-1939), Saragosse, Prensas Universitarias de Zaragoza, 2003, p. 308-310.
142AAD.
143Lettre de Carmen Clos Artal à la directrice de la CSVF, 18-06-1943, ATTMBcn, dossier no 418/1941.
144Alfonsi A., « La recatolización de la moral sexual en la Málaga de la posguerra », Arenal: Revista de historia de las mujeres, 1999, vol. 6, no 2, p. 368.
145Rapport de comparution datant du 01-06-1953, ATTMVal, dossier no 532/1947.
146Lettre d’Esperanza Marco, 21-03-1951, ibid., dossier no 239/1951.
147Rapport datant du 24-03-1950, ATTMBcn, dossier no 7830b/1948.
148Román Ruiz G., « “La tranquilidad en los pueblos es un mito”. El franquismo como régimen de control moral en el mundo rural andaluz de los cincuenta », del Arco Blanco M. Á. et Hernández Burgos C. (dir.), Esta es la España de Franco, op. cit., p. 207-226.
149Lettre de la délégation provinciale de la Section féminine de Catarroja, datant du 12-02-1942. ATTMVal, dossier no 106/1942.
150Lettre du maire de Castellar del Vallés, 25-08-1943, ATTMBcn, dossier no 2301b/1943.
151Rapport datant d’octobre 1941, ibid., dossier no 18177/1941.
152Rapport datant du 23-08-1946, ATTMVal, dossier no 222/1944.
153Cenarro Lagunas Á., La sonrisa de Falange, op. cit.
154Sur les rapports entre le national-catholicisme et la Phalange, voir par exemple Saz I., « Entre el nacionalcatolicismo y el fascismo. Las religiones del franquismo », art. cit.
155Jiménez Aguilar F., « “No son unos comedores más”… », op. cit., p. 210.
156Carta pastoral del Excmo. y Rvmo. Sr. Dr. D. Leopoldo Écho Garay, obispo de la diocésis de Madrid-Alcalá, sobre la caridad fraternal cristiana, Madrid, Ed. la Católica, 1942. ACSPM, carton no 620, p. 25.
157Lannon F., Privilegio, persecución y profecía: la Iglesia Católica en España, Madrid, Alianza Editorial, 1990, p. 33.
158Arboleya Martínez M., La apostasía de las masas, Barcelone, Miguel A. Salvatella, 1934.
159Casanova J., La Iglesia de Franco, op. cit., p. 26-27.
160Carta pastoral del Excmo. y Rvmo. Sr. Dr. D. Leopoldo Eijo Garay, obispo de la diócesis de Madrid-Alcalá, sobre la caridad fraternal cristiana, Madrid, Ed. la Católica, 1942, p. 5-6, 9.
161Marsé J., Adieu la vie, adieu l’amour, op. cit., p. 91.
162Rapport datant de juin 1946, ATTMVal, dossier no 169/1943.
163Rapport datant du 24-06-1946, ibid., dossier no 733/1944.
164Centre d’études Sociales Godefroy Kurth, La descristianización de las masas obreras, Bilbao, Desclée de Brouwer, 1958, p. 13.
165Vázquez J. M., op. cit., p. 274.
166Rapport datant de 1943, ATTMVal.
167Rapport datant de mai 1943, ibid., dossier no 156/1940.
168Correspondance du TTM de Séville, ACSPM, no 894.
169« Reglamento de auxiliares visitadoras y enfermeras visitadoras de suburbios », Madrid, Huerta, sans date, p. 5 ; ibid., carton no 620.
170Brel J., La dame patronnesse, 1959.
171Rapport datant du 03-11-1934, ATTMVal, dossier no 560/1934.
172Rapport datant d’avril 1955, ibid., dossier no 826/1946.
173Rapport datant du 04-07-1940, ATTMBcn, dossier no 8136/1932.
174Vázquez J. M., op. cit., p. 220.
175On peut penser aux enquêtes sociales en France dans la première moitié du xixe siècle (Gueslin A., Gens pauvres, pauvres gens dans la France du xixe siècle, Paris, Aubier, 1997). Voir aussi, pour l’Angleterre, Hall C., « Sweet Home », Duby G. et Perrot M., op. cit., p. 64.
176Thomas M., « Twentieth-Century Catholicisms »…, op. cit., p. 31-21.
177Blasco Herranz I., op. cit., p. 318.
178« Junta coordinadora del Apostolado de los suburbios », diocèse de Madrid-Alcalá, 1941 ; ACSPM, carton no 620.
179Rapport datant d’octobre 1941, ATTMBcn, dossier no 18177/1941.
180Cazorla Sánchez A., op. cit., 143-144.
181Ibid., p. 145.
182Cf. Cobo Romero F., « Los apoyos sociales a los regímenes fascistas y totalitarios de la Europa de entreguerras. Un estudio comparado », art. cit. ; Hernández Burgos C., Franquismo a ras del suelo, op. cit. ; Hernández Burgos C. et Fuertes Muñoz C., « Conviviendo con la dictadura. La evolución de las actitudes sociales durante el franquismo (1936-1975) », art. cit. ; Saz I., « Entre la hostilidad en el consentimiento. Valencia en la posguerra », Saz I. et Gómez Roda J. A., op. cit., p. 11-17.
183Molinero C. et Ysàs P., El règim franquista: feixisme, modernització i consens, Vic, Eumo, 1992.
184Rapport datant du 21-07-1942, ATTMVal, dossier no 280/1941.
185Rapport datant du 19-02-1943, ibid., dossier no 715/1939.
186Centre d’études Sociales Godefroy Kurth, op. cit., p. 6.
187AAD.
188Duocastella R., Mataró, 1955. Estudio de sociología religiosa sobre una ciudad industrial española: Tesis doctoral, Madrid, Centro de Estudios de Sociología Aplicada Barcelona, 1961.
189Rapport datant du 24-12-1942, ATTMBcn, dossier no 524b/1942.
190Rapport datant du 20-02-1947, ibid., dossier no 13/1941.
191Compte rendu comparution du 11-04-1949, ATTMVal, dossier no 503/1940.
192Rapports datant de 1943 et de juin 1944, ibid., dossier no 287/1941.
193Rapport établi par la directrice de la CSVF le 21-12-1945, ibid., dossier no 267/1945.
194ATTMBcn, dossier no 245b/1942.
195Rapport datant du 19-10-1944, ibid., dossier no 10130/34.
196Rapport datant de 1948, ATTMBcn, dossier no 7875b/1948.
197Accord du 04-09-1950, ibid., dossier no 8239b/1955.
198Compte rendu de comparution devant le tribunal, ibid., dossier no 733/1944.
199Rapport de janvier 1950, ATTMVal, dossier no 1019/1944.
200Vázquez J. M., op. cit., p. 202.
201Rapport datant du 12-06-1961, ATTMBcn, dossier no 6120b/1947.
202Compte rendu de comparution datant du 30-08-1941, ATTMVal, dossier no 141/1931.
203ATTMBcn, dossier no 8136/1932.
204« Encuesta sobre la práctica religiosa en Gerona », Ecclesia, 26 (1316), 1966, p. 37 ; « Hechos », El Ciervo, 7(61), 1958, p. 8.
205Rapport datant du 10-04-1945, ATTMBcn, dossier no 8136/1932.
206Rodríguez Lago J. R., « La batalla eclesial por Madrid (1923-1936). Los conflictos entre Eijo Garay y Federico Tedeschini », Hispania Sacra, 2012, vol. 64, p. 527.
207Zarraga Sangroniz K. et Pareja Alonso A., « Propagande et réalité des politiques familiales et natalistes sous le franquisme. Le cas de la Biscaye dans le Nord de l’Espagne (1940-1970) », Annales de démographie historique, 2014, vol. 128, no 2, p. 109-138.
208Simeón Riera J. D., « La política recatolitzadora de l’Església al País Valencià a la postguerra: Xàbia i el Port de Sagunt », L’Avenç, no 24, 2000, p. 78-81.
209Cf. Saz I., « Entre la hostilidad en el consentimiento. Valencia en la posguerra », Saz I. et Gómez Roda J. A., op. cit., p. 33.
210Cazorla Sánchez A., Fear and progress, op. cit., p. 140.
211Voir par exemple Ruiz Franco R., ¿Eternas menores? Las mujeres en el franquismo, Madrid, Biblioteca Nueva, 2007.
212Nash M., « Vencidas, represaliadas y resistentes: las mujeres bajo el orden patriarcal franquista », Casanova J. (dir.), Cuarenta años con Franco, op. cit., p. 191.
213Rapport de juillet 1955 et de 1950, ATTMVal, dossier no 820/1950.
214Rapport datant de 1950, ibid., dossier no 559/1949.
215Rapport datant d’octobre 1955, ibid., dossier no 291/1950.
216Rapport datant du 12-09-1947, ibid., dossier no 416/1945.
217Bechtel G., La chair, le diable et le confesseur, Paris, Plon, 1993, p. 390.
218Thomas M., « Twentieth-Century Catholicisms…», op. cit., p. 15.
219Anderson P., The Age of Mass Child Removal in Spain, op. cit., p. 193.
220de Santa Olalla Saludes P. M., op. cit., p. 133.
221Roca i Girona J., op. cit., p 21.
222La Parra López E. et Manuel Suárez Cortina M. (dir.), El anticlericalismo en la España contemporánea: para comprender la laicización de la sociedad, Madrid, Biblioteca Nueva, 2007, p. 308.
223« Pour faire une bonne dame patronnesse / Il faut organiser ses largesses /Car comme disait le duc d’Elbeuf: / “C’est avec du vieux qu’on fait du neuf” ». Brel J., op. cit.
224ATTMVal, dossier no 890/1944.
225C’est ainsi que Bartolomé Bennassar avait décrit l’une des méthodes d’intimidation utilisées par l’Inquisition. Bennassar B. (dir.), L’Inquisition espagnole xve-xixe siècles, Paris, Hachette, 1979.
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