Chapitre V. Poursuivre la guerre civile par d’autres moyens ?
p. 139-174
Texte intégral
1« Tous les enfants vivaient dans la terreur ; mais nous, en plus, on nous stigmatisait et on nous marginalisait parce que nos parents étaient rouges. On ne permettait pas à un enfant de rouge de jouer avec les enfants des parents dits “décents”. […] J’ai connu le Tribunal de tutelle des mineurs et les établissements correctionnels. Et j’ai dû subir les injustices brutales, les tortures que l’on infligeait aux petits garçons et aux petites filles dont les parents étaient républicains1. » En 1939, l’écrivaine Rosa Regàs et ses trois frères et sœurs sont placés sous la tutelle du tribunal pour mineurs de Barcelone à la demande de leur grand-père, un franquiste fervent. Franco vient d’arriver au pouvoir et une répression impitoyable vise le camp des perdants de la guerre civile, ainsi que tout opposant réel ou potentiel. En qualifiant l’ennemi vaincu d’« anti-Espagne » et en proclamant que la lutte contre l’ennemi intérieur continue après la fin du conflit, le franquisme se construit sur l’exclusion systématique d’une partie de la population. Dans ce contexte, l’étude de la prise en charge de la déviance juvénile montre-t-elle qu’une logique répressive est mise en place qui touche avant tout les enfants des perdants de la guerre civile ? En d’autres termes, l’envoi en maison de redressement constitue-t-il, pour les autorités franquistes, une façon de rééduquer les enfants de « rouges » et de leur inculquer les valeurs des vainqueurs ?
2Cette approche politique des institutions de prise en charge de la jeunesse, qui est à l’origine de ce travail de recherche, a été inspirée par l’historiographie espagnole du franquisme, qui c’est initialement et prioritairement intéressée à la répression visant les républicains défaits2. Les historiens ont montré combien la dictature de Franco s’enracinait dans la guerre civile, qui a profondément marqué tant sa nature, sa trajectoire que les instruments qu’elle a utilisés pour se maintenir au pouvoir et se consolider3. L’ampleur de la répression politique est désormais documentée grâce à de nombreuses études, souvent menées à une échelle locale qui portent sur les prisons, les camps de concentration, les juridictions spéciales4… Les historiens s’accordent à dire que la violence était structurelle et constituait la moelle épinière du régime5. Les vainqueurs mènent en effet une guerre d’extermination pour que leurs adversaires ne puissent plus se relever, plusieurs décennies plus tard. À côté de la violence vengeresse et arbitraire, de laquelle découlent assassinats et procès sommaires, s’exerce une terreur institutionnalisée par la législation répressive des vainqueurs : « l’État de terreur » constitue le prolongement de « l’État de guerre6 ». La société espagnole et la vie quotidienne, dictée par des pratiques coercitives, de punition et de peur, sont transformées7. Le but est ici d’analyser la place du système de prise en charge de la déviance juvénile dans l’entreprise de terreur, de contrôle et de marginalisation sociale mise en place par la dictature. Pour ce faire, nous chercherons d’abord à savoir si les maisons de redressement accueillent de préférence des enfants de « rouges », puis si elles constituent un instrument de répression politique permettant aux vainqueurs de forger des « hommes nouveaux », avant d’examiner leur place dans le dispositif répressif et de contrôle social mis en place par la dictature.
« Une après-guerre interminable, une victoire omniprésente, une dictature de près de 40 ans8 »
3Officiellement, la guerre s’est terminée le 1er avril 1939 avec la déclaration de victoire de Franco sur l’armée « rouge » (républicaine), mais la vague de violence continue à toucher certains secteurs de la population civile9. Depuis le coup d’État du 17-18 juillet 1936, la dictature a gardé l’usage de la violence explicite comme un instrument de gouvernement. La terreur règne jusque dans les années 1940 car les objectifs poursuivis par Franco et sa coalition ne pouvaient être atteints avec le seul renversement de la République : le désir de reconfiguration est beaucoup plus profond. La mémoire et les moyens de la guerre coloniale sont déployés dans la péninsule contre des secteurs de la population civile et plus spécifiquement contre ceux qui, durant les années 1930 notamment, avaient contesté les formes anciennes de hiérarchies sociales et politiques. L’objectif du franquisme est d’éradiquer toute forme de culture politique et d’identité collective allant à l’encontre d’un ordre traditionnel fondé sur le pouvoir de l’armée, de l’Église et de l’élite terrienne. Socialistes, anarchistes, communistes, républicains, libéraux, Basques, Catalans… ont en commun le fait de porter en eux la possibilité du changement social. C’est pour cette raison que la dictature les a collectivement désignés comme « rouges » en dépit des différences considérables qui existaient entre eux : tous deviennent des ennemis de l’intérieur, incarnation de l’anti-Espagne qu’il est nécessaire d’exterminer. En février 1937, Franco avait déclaré à Emilio Faldella, conseiller militaire italien qui tentait de le convaincre des avantages d’une guerre rapide : « dans une guerre civile, il est préférable d’occuper systématiquement le territoire en menant un nettoyage nécessaire, plutôt que d’assister à une défaite rapide des armées ennemies, qui laisse le pays infesté d’adversaires10 ». Paul Preston évalue à 200 000 le nombre de morts sur le champ de bataille, dont la moitié de soldats « rouges11 ».
4Parallèlement à ce processus d’élimination « naturelle » de l’ennemi, une politique d’extermination systématique est mise en place dans les territoires franquistes : exécutions de masse, y compris par des moyens quasi-judiciaires (exécutions après passage en cour martiale), et assassinats extra-judiciaires menés par des escadrons de la mort composés de citoyens ordinaires, qui étaient parfois les voisins des victimes, menés de concert avec des officiers et la Garde civile12. Alejandro Quiroga et Helen Graham estiment que le régime a assassiné et incarcéré une partie de sa population « à une échelle surpassant tout ce que l’État nazi avait mis en place dans l’espace compris à l’intérieur de ses frontières d’avant 193813 ». La guerre civile constitue la genèse et la raison d’être de la dictature : si les pratiques de violence politique étaient profondément enracinées au sein de l’État, de la politique et de la société bien avant la proclamation de la Seconde République, en 1931, la guerre civile change tout. C’est un truisme que le dire mais il convient néanmoins de le répéter sans cesse, selon Helen Graham : le franquisme s’est constitué dans la guerre – une guerre qui lui a donné une base sociale radicalisée et mobilisée, et dont découlent tant la légitimité de Franco que celle du régime qu’il a fondé14. Ce sont l’expérience et la mémoire communes de la guerre qui font fusionner la coalition hétéroclite constituant le camp des « nationalistes » autour d’un projet nouveau et totalitaire15. Aux vainqueurs, bénéfices et prébendes ; aux vaincus, répression et désespoir. Si les grands perdants du conflit sont les classes sociales subalternes, les vainqueurs appartiennent, comme dans les cas allemand et italien, à une alliance ample de groupes sociaux. Le régime franquiste développe en effet une capacité innée à rassembler autour de son projet politique des groupes sociaux hétérogènes et fait montre d’une grande flexibilité à l’heure de coopter son personnel politique16. En Andalousie orientale, par exemple, Miguel Ángel del Arco Blanco met en évidence l’arrivée de nouveaux cadres politiques intermédiaires : ces hommes jeunes, marqués par l’expérience de la guerre civile mais sans passé politique, en général liés à la Phalange, appartiennent aux classes moyennes rurales liées à la propriété terrienne, à l’agriculture, au commerce ou à la fonction publique17.
5La guerre et l’après-guerre ne sont pas séparées : au contraire, on poursuit une politique d’exécutions ciblées entamée durant la guerre, visant les ennemis intérieurs considérés comme « irrécupérables ». Sur ceux qui sont toujours vivants et dont on considère qu’ils peuvent être sauvés même s’ils ont été trompés par la République et ses idées fallacieuses, s’exercent des formes de contrôle social brutal : ségrégation, punition, rééducation par la force ou, dans le discours catholique, conversion. En d’autres termes, il s’agit de « détruire ou soumettre18 ». Sur les vaincus s’abattent de longues peines de prison, qui permettent de soumettre les prisonniers à une intense rééducation sous la férule de l’Église catholique, à l’origine du programme franquiste de « rédemption sociale19 ». 500 000 personnes partent en exil en 1939, en France notamment20. Tout un arsenal légal est mis en place, qui ségrégue et exclut les vaincus : épuration, discrimination économique, contrôle social dans de nombreux aspects de la vie quotidienne21. Un fossé sépare les vainqueurs et les vaincus dans tous les villages et les villes, qui peut être ressenti dans tous les gestes du quotidien. Marcher dans la rue, faire la queue pour acheter à manger ou à la porte des prisons… constitue l’occasion d’être insulté ou frappé en toute impunité, quand on n’est pas forcé à chanter l’hymne de la Phalange ou à faire le salut fasciste. Les femmes sont soumises à une violence genrée, comme dans d’autres pays d’Europe. Cette humiliation constante, rappelée chaque jour, devient l’une des méthodes de torture psychologique les plus sophistiquées et efficaces dans le vaste arsenal d’après-guerre du régime, également mis en œuvre « par le bas ». Des dizaines de milliers d’Espagnols ordinaires ont en effet soutenu la dictature avec enthousiasme et sont devenus complices de la répression en dénonçant des voisins, des amis et même des membres de leur propre famille22.
Rééduquer les enfants de « rouges » ?
La répression du militantisme politique juvénile est ailleurs
6Le 15 février 1939, le camp « nationaliste » déclare l’illégalité du gouvernement de la République. C’est cette illégalité qui aurait été la cause du coup d’État du 17-18 juillet 1936, présenté comme nécessaire. Par conséquent, toute opposition au coup d’État devient un délit de rébellion militaire. Toute personne n’ayant pas appuyé ce « glorieux soulèvement national » ou qui se serait opposé à lui est considéré comme un « rebelle marxiste ». Le corpus légal sur lequel se fonde cette décision est le Code de justice militaire de 1890, appliqué à la population civile par la Junte de défense nationale depuis le 28 juillet 1936. L’état de guerre prévaut en Espagne jusqu’au 7 avril 1948. En complément, un ensemble de lois est adopté, qui accentue encore la division entre vainqueurs et vaincus : Loi de responsabilités politiques (9 février 1939), Loi d’épuration des fonctionnaires (19 février 1939), Loi de création de colonies pénitentiaires (8 novembre 1939), Loi contre la franc-maçonnerie et le communisme (1er mars 1940), Loi de sécurité intérieure de l’État (29 mars 1941)… Les délits à caractère politique ne sont pas traités par la justice ordinaire mais par des juridictions militaires. De 1936 à 1945, les attributions de ces dernières sont en effet élargies de façon spectaculaire pour mener une répression plus rapide, plus efficace et plus expéditive. La propagande, la réunion, l’association politique ou la grève sont assimilées à des actions commises contre le nouveau régime, et donc à des délits de rébellion militaire qui sont jugés au cours de procès dits « très sommaires » (sumarísimos) n’offrant aucune garantie de procédure. En novembre 1939, les Conseils de guerre permanents se multiplient ; ils fonctionnent jusqu’en 1945, même si leur activité diminue23.
7La « Loi de responsabilités politiques » (Ley de responsabilidades políticas) a pour but de « reconstruire spirituellement et matériellement la Patrie » : les insurgés estiment que le moment est venu d’établir les responsabilités et de punir ceux qui ont participé à la « subversion rouge » et se sont opposés au « Mouvement National24 ». L’application de la loi est rétroactive : le texte vise les personnes ayant suscité ou participé à un acte de « subversion » entre le 1er octobre 1934 (grève dans les Asturies) et le 18 juillet 1936 (date du coup d’État militaire), ainsi que celles qui se sont ensuite opposées au « Mouvement National » (article 1). Les mineurs âgés de plus de 14 ans ayant commis un délit politique sont pénalement responsables et sont, à ce titre, traités comme des adultes et traduits devant des cours martiales (article 5). Cette disposition est particulièrement sévère dans la mesure où l’âge de la majorité pénale est fixé à 16 ans, même si le fait d’être âgé de moins de 18 ans constitue néanmoins une circonstance atténuante (article 6). À rebours de la philosophie du modèle protecteur qui a conduit à la création des tribunaux pour mineurs au début du xxe siècle, ces derniers s’effacent devant les cours martiales, c’est-à-dire devant d’autres juridictions d’exception à qui on octroie une tâche plus urgente et importante que la séparation, devant la justice, des mineurs et des adultes : solder les comptes de la période républicaine et de la guerre civile. Cela explique le fait que, sur 2 310 pensionnaires de l’Asilo Durán et de la Colonia San Vicente Ferrer, nous n’ayons retrouvé que 4 dossiers ayant été ouverts pour des faits à caractère politique ou religieux. Ces quatre cas relèvent des articles 142 à 148 du Code pénal, qui concernent des faits commis contre la personne du chef de l’État (attentat, séquestration, insulte…) – délits déjà consignés dans le texte de 1932 et ne constituant donc pas une innovation franquiste. Josefa, 13 ans, est par exemple arrêtée par la police à la fin des années 1940 : elle a volé des chiffons et des espadrilles dans l’enceinte du port de Valence, et aurait traité Franco de « connard » et de « fils de pute25 ». Si le militantisme politique existe chez des mineurs âgés de plus de 14 ans mais n’est sanctionné que par un internement en maison de redressement (et qu’il apparaît donc dans les dossiers que nous avons consultés), c’est qu’il est limité. En 1940, Antonio, par exemple, passe six mois à la CSVF pour « provocation envers le gouvernement » : sur une ambulance abandonnée par les « forces rouges » sur la route qui va d’Ademuz à Valence, le jeune garçon a écrit au crayon un texte détournant l’hymne de la Phalange, Cara al sol. « Face au soleil avec la chemise neuve / que tu brodas de rouge hier […] / Debout, légions, courez à la victoire / Qu’une aube nouvelle se lève sur l’Espagne » est devenu « Face au soleil, je suis malade, le médecin ne veut pas venir me voir, tant pis, tant pis si le médecin ne vient pas, le docteur Negrín, lui, viendra, il libèrera les prisonniers et donnera du pain et du travail à l’ouvrier, vivent les rouges, ils vaincront bientôt26 ». Gertrudis et María de la Encarnación sont quant à elles envoyées en maison de redressement en juin 1940 par le tribunal des mineurs de Valence, qui avait été saisi car la justice militaire avait estimé en septembre 1939 que les faits qui leur étaient reprochés n’étaient pas graves. Certes, l’enquête a montré que les deux sœurs avaient des idées de gauche mais pas qu’elles avaient appartenu à un parti politique ou commis un délit. Selon l’un de ses anciens employeurs, Gertrudis était par exemple « partisane du gouvernement rouge, faisait partie des Jeunesses libertaires, parlait toujours très mal de l’Espagne nationale et de ses Généraux, persuadée que les rouges allaient l’emporter » ; elle aurait dit qu’elle préférait mourir plutôt que de voir les franquistes entrer à Valence27.
Une présence minoritaire des enfants de « rouges » parmi les pensionnaires de maison de redressement
Les conséquences de la guerre, les mécanismes de la répression
8L’environnement familial de nombre de pensionnaires de l’Asilo Durán et de la Colonia San Vicente Ferrer est durablement marqué par la guerre et la répression. Par exemple, les disparitions sont nombreuses, pendant et après le conflit militaire : pères et oncles paraissent s’être évaporés dans la tourmente de la guerre sans que les familles parviennent à savoir ce qui leur est arrivé. Le dossier de Luis mentionne simplement que le père du jeune garçon, né en 1935 à Valence, « a disparu pendant le Mouvement », c’est-à-dire pendant la guerre civile28. Depuis 1939, le père de Juan ne sait plus rien de sa seconde femme, qui a disparu en abandonnant ses enfants ; d’après des membres de sa belle-famille, elle serait morte29. Pendant la guerre civile, 300 000 hommes perdent la vie alors qu’ils sont au front. Près de 200 000 personnes sont assassinées loin du terrain des affrontements militaires, soit qu’elles aient été exécutées après un procès, soit de façon extrajudiciaire. Après la victoire finale des franquistes à la fin du mois de mars 1939, environ 20 000 républicains sont assassinés. Beaucoup d’autres meurent de faim et de maladie dans les prisons et les camps de concentration surpeuplés30. 109 pensionnaires de l’Asilo Durán sont des enfants ayant perdu leur père et/ou leur mère pour une raison directement liée au conflit militaire : ils ont été internés entre 1939 et 1950 à la demande de l’Œuvre nationale de protection des orphelins de la révolution nationale et de la guerre (Obra nacional de protección a los huérfanos de la Revolución Nacional y de la Guerra)31. Cet organisme, créé en novembre 1940, est placé sous l’autorité du ministère de l’Intérieur et dépend de la Direction générale de la bienfaisance et des œuvres sociales. Le fait d’être un orphelin de guerre étant considéré comme un service rendu à la patrie, s’apparentant au sacrifice de « Ceux qui sont tombés » (« Caídos »), des mutilés de guerre et des anciens combattants, l’État franquiste considère qu’il lui revient de protéger et d’éduquer ces enfants dans le but d’en faire « un jour les serviteurs actifs d’une Espagne juste, à laquelle ils ne manqueront pas d’offrir [à leur tour] leur sacrifice32 ». L’Œuvre nationale de protection des orphelins de la révolution et de la guerre « protège » les enfants de différentes façons : en allouant une pension à leur mère ou en les confiant à des personnes constituant un environnement « irréprochable du point de vue religieux, éthique et national », à l’Auxilio Social de la Phalange ou à des établissements de bienfaisance (article 3 du décret du 23 novembre 1940), comme l’Asilo Durán. Dans 25 des 109 cas que nous avons recensés dans le corpus, les pensionnaires ne savent pas ce que leur père est devenu. Cette disparition peut être volontaire et avoir pour but d’éviter la répression : le père de Manuel a été appelé dans l’armée républicaine et envoyé sur le front de l’Èbre, disparaissant ensuite sans laisser de trace. Mais en août 1943, il réapparaît subitement : il est désormais infirmier à l’hôpital San Pablo de Barcelone, où il avait été interné trois ans plus tôt car il souffrait d’une bronchite chronique. Sa femme connaissait sa situation mais l’avait cachée au tribunal pour mineurs de Barcelone33. Mais c’est au cours d’opérations militaires, alors qu’ils étaient engagés dans l’armée franquiste ou dans le contingent républicain, qu’ont péri la majorité des pères de famille (34 cas). Les victimes civiles sont également nombreuses et révèlent le coût humain d’un conflit qui ne s’est pas limité aux seuls affrontements militaires. Dans une dizaine de cas, le père des enfants a été exécuté de façon sommaire (fusillé le plus souvent) : une seule personne a été tuée par des franquistes, quatre par des républicains.
9Les conséquences de la guerre et de la répression sont en effet nombreuses et dramatiques : elles vont de l’exil à la mort, en passant par la prison ou le camp de concentration. Au début du mois de mars 1939, 440 000 Espagnols sont réfugiés en France34. Le père de José María, qui passe neuf mois à l’Asilo Durán en 1945, est l’un d’entre eux : il a fui en France, où il vit toujours35. Le père de José a lui aussi quitté l’Espagne au moment de la défaite des troupes républicaines en Catalogne ; il se trouve toujours à Lyon lorsqu’il meurt d’une maladie de la poitrine en août 194036. Les prisons et les camps de concentration sont l’expression la plus immédiate de la politique d’exclusion sociale massive menée, envers les vaincus, par le Nouvel État. Le père de Luis se trouve ainsi à la prison Modèle de Barcelone37 ; le père de José María, lui, purge une peine de douze ans de prison à Orense, en Galice38. Du dossier personnel de Luis transparaît l’idée que la répression politique s’exerçant à l’encontre des vaincus est impitoyable et destinée à durer : en 1942, le jeune garçon déclare au tribunal pour mineurs de Barcelone que son père « est à la prison Modèle et va y rester encore longtemps39 ». Les chiffres officiels, sous-évalués, indiquent qu’en 1939, 270 719 prisonniers sont entassés dans les prisons franquistes (pour 20 000 places seulement) ; en 1940, 233 373 ; en 1942, 124 42340. Les prisons débordent et l’on crée des lieux de détention dans des monastères, des lieux publics… L’administration finit par s’alarmer de cet engorgement qui fait des prisons des foyers d’épidémies (typhus, tuberculose…), entraîne une paralysie du système et favorise une insubordination grandissante. Plusieurs mesures sont adoptées pour faire décroître la surpopulation carcérale. Le 9 octobre 1945, les délits politiques commis entre 1936 et 1939 sont par exemple prescrits. Le père de Daniel a été condamné à trente ans de prison à la fin de la guerre, mais n’a passé que sept ans derrière les barreaux : en 1945, il est placé en liberté surveillée41. Néanmoins, la répression sévit encore au début des années 1950 : le père d’Emiliano est incarcéré à la prison Modèle de Barcelone en 1953 à cause de « délits politiques commis pendant la période marxiste42 ».
10L’univers pénitentiaire ne se limite pas aux murs de la prison ou aux barbelés du camp de concentration : il est en relation directe avec ce qui se passe en dehors de l’institution carcérale, dans la mesure où l’action punitive de l’État s’exerce aussi sur la famille des prisonniers, ce qui démontre la cohérence de la politique répressive franquiste. Cette dernière avait non seulement pour objectif de soumettre le prisonnier mais aussi sa famille, comme le montrent les cas de Luis43 ou de Magdalena44, respectivement internés à l’Asilo Durán et à la CSVF à la demande du Patronage de remise de peines par le travail (Patronato de Redención de Penas por el Trabajo). Cette instance a été créée en octobre 1938 par un jésuite, Pérez de Pulgar, pour donner la possibilité aux prisonniers politiques de racheter des jours de peine par des jours de travail en étant placés, selon la gravité de la peine, dans des détachements pénaux, des camps de concentration ou avec des ouvriers libres. Le Patronage est présenté comme l’expression de la charité chrétienne des vainqueurs mais a pour but affiché « d’extirper des prisonniers et de leurs familles le venin des idées haineuses et antipatriotiques, pour le remplacer par l’amour mutuel et la solidarité étroite devant unir les Espagnols45 ». Des assemblées locales sont mises en place dans les villages dans lesquels résident les femmes et les enfants des prisonniers politiques. C’est par ce biais que Magdalena fréquente l’école des religieuses Doctrineras d’Alacuás, près de Valence. Mais la petite fille, âgée de neuf ans, est très indisciplinée : elle refuse d’aller à la messe avec les autres pensionnaires, reste au lit aussi longtemps qu’elle le souhaite et n’obéit à aucun des ordres donnés par les religieuses, menaçant même de se jeter du haut d’un balcon ou de quitter l’école lorsqu’on la réprimande. En juin 1946, elle est internée à la CSVF pour « insoumission46 ».
Une présence marginale des enfants de « rouges »
11Si les dossiers personnels donnent à voir l’ombre portée écrasante de la guerre civile et de ses conséquences sur les pensionnaires et leurs familles, l’une des questions cruciales consiste à mesurer la proportion de pensionnaires dont on peut affirmer qu’ils sont issus de famille « rouges », pour savoir si les maisons de redressement ont ou non constitué un instrument privilégié de répression politique. Pour ce faire, nous reprenons les critères établis par les autorités franquistes dans la Loi de responsabilités politiques, visant les personnes qui, entre le 1er octobre 1934 et le coup d’État du 18 juillet 1936, ont « créé ou aggravé la subversion » régnant alors en Espagne, ainsi que celles qui se sont opposées au « Mouvement National », c’est-à-dire au camp des militaires insurgés (article 1). Tous les partis politiques et les syndicats de gauche ou régionalistes ayant adhéré au Front populaire sont déclarés hors-la-loi (article 2)47. Nous reprenons cette catégorisation de façon littérale en considérant comme « rouges » les personnes ayant appartenu à l’une de ces organisations de gauche ou s’étant engagées volontairement dans l’armée républicaine, ainsi que celles ayant été touchées par la répression franquiste (exil, emprisonnement ou internement dans un camp de concentration, exécution sommaire). L’analyse qualitative précise des documents contenus dans les dossiers personnels (rapports de comparution, rapports de polices, enquêtes de voisinage…), en ôtant les dossiers personnels des enfants envoyés par l’Œuvre nationale de protection des orphelins de la révolution et de la guerre, donne le chiffre suivant : seulement 39 pensionnaires de l’Asilo Durán et de la CSVF sur 2 310 sont issus de familles que l’on peut avec certitude qualifier de républicaines selon les critères établis ci-avant, soit 1,7 % du corpus. Un chiffre aussi réduit invite bien sûr à la prudence. Les dossiers personnels des maisons de redressement sont en effet lacunaires ; tous ne peuvent être croisés avec ceux des tribunaux pour mineurs, plus diserts, ou avec des sources orales. Par ailleurs, nous sommes dépendants des informations rassemblées par l’agent du tribunal chargé de l’enquête (souvent un ancien officier de police) ou le délégué nommé pour suivre le mineur, qui interroge les membres de la famille du mineur ainsi que les voisins et des « personnes de confiance », souvent recrutées parmi les membres de l’Action catholique dans le cas des filles, à Valence. Il est évident qu’une partie des familles d’opposants politiques tiendront à taire leurs convictions ou à cacher leur activisme passé, et que des voisins hostiles aux « vainqueurs » ne livreront probablement pas d’informations sur les convictions politiques des parents du mineur, si celles-ci étaient républicaines.
12Reste que cette étude montre que les maisons de redressement ne constituent pas un moyen privilégié pour le régime franquiste d’exercer une répression envers les vaincus de la guerre civile, comme aurait pu le laisser croire de prime abord l’historiographie de la répression franquiste. Ce constat est à mettre en perspective avec les conclusions auxquelles ont abouti d’autres historiens travaillant sur la prise en charge de la jeunesse sous le « premier franquisme ». Alberola Such, qui préside le président du tribunal pour mineurs de Madrid dans l’immédiat après-guerre et que cite Peter Anderson, estime que la majorité des enfants qui arrivent devant sa juridiction « appartiennent presque toujours à des familles d’ouvriers rouges48 », sans fournir pour autant de chiffres précis. Carme Agustí i Roca estime pour sa part que la photographie du mineur typique pris en charge par le tribunal pour mineurs de Lérida (Catalogne) est un enfant de 14 ans arrêté par la police pour vol, un délit commis à cause de la situation économique délicate dans laquelle se trouvait le mineur, « possiblement orphelin de père ou de mère à cause de la guerre ou fils de vaincu ». Tout réside dans le terme « possiblement » : on peut supposer la présence des enfants de vaincus parmi les mineurs pris en charge par les tribunaux, mais les archives ne montrent pas forcément la prédominance de ce type de public49. Elena Rafols, María Verdú et Neus García affirment quant à elles que les enfants envoyés dans les établissements de bienfaisance dépendant des comités de protection pour mineurs (Juntas de protección de menores) devaient être rééduqués, « surtout s’ils étaient fils ou filles de “rouges”, c’est-à-dire républicains50 ». Dans le cas des maisons de redressement, ce « surtout » ne vaut pas. Plusieurs travaux menés sur l’Auxilio Social, pourtant fondé par des phalangistes pendant la guerre civile, aboutissent au même constat. L’étude d’Antonieta Jarne Mòdol ne révèle étonnamment pas une prédominance des enfants de « rouges » parmi les individus pris en charge par l’Auxilio Social en Catalogne intérieure51. Ángela Cenarro Lagunas questionne quant à elle une hypothèse trop rapidement admise, qui voudrait que l’Auxilio Social ait servi à « recueillir » et à « régénérer » les enfants de républicains. Grâce aux sources orales, l’historienne montre que si cette hypothèse vaut pour l’immédiat après-guerre (1939-1940), elle n’est pas valide pour le reste des années 1940 : les témoins racontent qu’ils ont alors été internés pour des raisons économiques et non politiques, liées à la pénurie, la misère et à la maladie régnant alors en Espagne. Après les « enfants de rouges », ce sont désormais les « enfants de la misère » qui sont la cible de l’assistance sociale phalangiste52. Le constat vaut pour les maisons de redressement, qui dépendent de l’Œuvre de protection des mineurs et sont gérées par des congrégations religieuses, mais aussi pour une organisation phalangiste comme l’Auxilio Social : dès les années 1940, les jeunes pensionnaires ne sont pas internés en fonction de l’appartenance politique de leurs parents, mais bien plus à cause des répercussions du conflit et des conséquences indirectes de la répression, de nature économique et sociale.
L’appartenance politique des parents n’est pas une cause première de l’internement en maison de redressement
13La politique répressive mise en place par les vainqueurs transforme la société espagnole : des familles entières sont détruites tandis que la vie quotidienne des Espagnols est envahie par des pratiques coercitives et punitives53. La précarité et la marginalisation sont des conséquences de la répression politique. Il arrive que des familles déjà très modestes ne puissent disposer de leurs biens au moment où elles en ont le plus besoin car ces derniers ont été saisis au titre de la Loi de responsabilités politiques, qui prévoit aussi des sanctions économiques54. Les enfants dont les parents sont en prison ou n’ont pas pu partir en exil n’ont d’autre choix que de se diriger vers la charité catholique ou la bienfaisance publique, ou de tomber dans l’illégalité. Lorsqu’un père est absent (soit qu’il soit mort sur le front ou ait été exécuté, soit qu’il soit emprisonné ou interné en camp de concentration), c’est la mère qui doit faire vivre la famille : elle travaille le plus possible pour nourrir sa famille mais n’a alors plus le temps de s’occuper de sa progéniture. Moins encadrés, parfois livrés à eux-mêmes, ces enfants et ces adolescents sont plus exposés à l’indiscipline et à la délinquance, raison pour laquelle ils peuvent par suite être envoyés en maison de redressement. Ainsi, le père d’Antonio est emprisonné en mai 1940 « à cause de son action douteuse pendant la période rouge55 ». Sa mère travaille comme domestique sans parvenir à gagner assez d’argent : en juillet 1941, la famille est sur le point d’être expulsée du logement qu’elle sous-loue dans le Barrio Chino. Antonio et son frère, qui vont manger dans un réfectoire de l’Auxilio Social, s’étaient toujours bien comportés mais ils ne sont désormais plus scolarisés et vagabondent avec d’autres petits voyous, chapardant dans les marchés et les magasins. Antonio est interné à l’Asilo Durán en février 1941 pour vol aggravé, son frère en novembre 1942 pour vol simple. La mère de Carlos, dont le mari a été fusillé en novembre 1940, ne gagne que trois pesetas par jour en faisant des ménages et a donc dû faire appel à des organismes de bienfaisance pour faire vivre sa famille : Carlos et son frère, Justo, ont tous deux été internés dans des foyers de l’Auxilio Social, situés au pied du Tibidabo et à La Harinera56. Le recours à des illégalismes comme la vente au marché noir ou la prostitution constituent des expédients fréquents, abandonnés ensuite si la situation de la famille s’améliore. Ainsi, la mère de Jorge a longtemps pratiqué la vente au marché noir de tabac et de nourriture (son mari s’est exilé en France en 1939), ce qui lui a valu trois arrestations. Mais depuis que ses quatre enfants ont trouvé du travail, elle fait des ménages, gagnant 35 pesetas par semaine57.
14Un constat fondamental s’impose : l’activité politique des parents ne constitue jamais la cause première de l’internement d’un mineur en maison de redressement58. Pour qu’un enfant de républicain soit envoyé à l’Asilo Durán ou à la CSVF, il doit avoir commis un délit ou être considéré comme déviant, ou bien se trouver dans une situation personnelle et familiale délicate. Ainsi, Esteban est interné à l’Asilo Durán en décembre 1949 car il a arraché des branches d’arbres appartenant à l’Institut botanique de Barcelone pour fabriquer une crèche de Noël. Le fait que sa famille soit « rouge » (son beau-père a des idées de gauche et a été syndiqué à la CNT) ne constitue en aucun cas le motif avancé pour justifier l’internement59. Juan est envoyé dans la même institution en janvier 1950 car il a volé des matériaux dans des maisons en construction (ferraille, tubes de plomb), qu’il a ensuite revendus à un chiffonnier. Ses parents ont des idées « catalanistes et de gauche » mais cela ne constitue pas un problème pour les autorités dans la mesure où ils ne se font pas remarquer60. La dénonciation est un autre canal par lequel des enfants de « rouges » peuvent être pris en charge par des tribunaux pour mineurs et éventuellement envoyés en maison de redressement. Le 28 novembre 1945, c’est un certain « J. Alzina » qui indique à la juridiction barcelonaise que Jorge traîne, vole et ne va pas à l’école ; sa mère ne s’occupe pas de lui et son père « a fui en France61 ». De la même façon, ce sont des voisins qui portent plainte contre la mère de Miguel, accusant cette dernière de ne pas observer la retenue digne d’une veuve. L’enquête menée par l’agent du tribunal en 1945 montre que ces accusations sont mensongères et que les voisins de Miguel cherchent avant tout à régler des comptes personnels : les hommes qui se rendaient au domicile de la mère de l’adolescent, peu de temps après le décès de son époux, n’étaient pas des clients mais des amis venus lui présenter leurs condoléances. Nous croisons Miguel dans les archives de l’Asilo Durán par accident : certes, son père avait eu des « activités sociétaires », l’un de ses oncles était franc-maçon et l’autre était un officier républicain et un membre directif du POUM. Mais ce garçon indiscipliné, qui a commis des dégradations dans l’escalier de son immeuble, est interné en maison de redressement en juillet 1945 parce qu’à cause de la répression politique qui s’est exercée contre sa famille, la mère n’a plus les moyens d’utiliser les instruments de lutte contre l’indiscipline juvénile qui étaient de mise dans son ancienne classe sociale : l’envoi chez les Salésiens. Elle a dû vendre presque tous les meubles de l’appartement dans lequel elle vit mais elle tente de sauver les apparences : l’enquêteur mandaté par le tribunal note qu’elle est « toujours teinte en blonde62 ».
Un « Nouvel État » mais des logiques anciennes : les maisons de redressement, un outil de contrôle social plutôt que de répression politique
Qu’est-ce-qu’un enfant de « rouge » ?
15Le franquisme fait de la « terreur rouge » l’une de ses principales sources de légitimité politique : les souffrances et le sang versé par les Espagnols auraient servi à effacer les péchés commis par et pendant la démocratie républicaine. La liberté et l’égalité sociale seraient en effet les deux canaux par lesquelles l’assassinat, le vol, le sacrilège, la dégénération sexuelle, la maladie vénérienne et l’atavisme ont contaminé et envahi l’espace public. Les criminels rouges porteraient les marques du désordre et de la dégénération dans leur caractère, leur corps et leur conduite63. Le préambule de la loi du 1er mars 1940 sur la répression de la franc-maçonnerie et du communisme évoque « les calomnies les plus atroces commises contre la vraie Espagne » et « les crimes perpétrés par les rouges ». Dans la loi du 4 décembre 1941 relative aux enfants rapatriés et abandonnés apparaissent « les enfants que les rouges ont obligés à quitter l’Espagne64 ». Mais alors qu’il sature certains textes législatifs, le terme « rouge » n’apparaît que rarement dans les dossiers personnels des pensionnaires. Le personnel des tribunaux pour mineurs et celui des maisons de redressement utilisent plutôt le mot « marxiste » (« son père a fui en France avec les marxistes65 », « son père a été arrêté plusieurs fois à cause de son action marxiste66 »). Le terme « rouge » désigne la période de la Seconde République (« pendant l’époque rouge, il a appartenu à la tristement célèbre Columna de hierro67 », « il a passé sept ans en prison à cause de son action pendant la période rouge68 »), le gouvernement ou l’armée républicains (« lorsque cette ville était encore dominée par le gouvernement rouge69 », « son père était volontaire dans l’armée rouge70 »), ou encore l’un des deux camps de la guerre civile (« il a été fusillé par les rouges71 », « il a été mobilisé par les rouges et a disparu pendant la retraite vers la France72 »), l’autre camp étant alors désigné comme celui des « nationaux » (« il a été fusillé par les nationaux à Carthagène73 »).
16Paradoxalement, il n’est pas aisé de savoir ce que le personnel des tribunaux pour mineurs ou des maisons de redressement entend par « vaincu » de la guerre civile, « opposant au nouveau régime » ou « rouge ». Les critères que l’on devine ne reprennent en tout cas pas forcément ceux qu’énumère la Loi de responsabilités politiques. Par exemple, tout ouvrier n’est pas « rouge » ou considéré comme suspect : il existe de bons ouvriers, comme les membres de la famille de Violeta, qui travaillent tous et forment une famille assez honorable aux yeux de la déléguée à la liberté surveillée74. Le fait d’avoir été volontaire dans l’armée républicaine ne fait pas non plus forcément d’un homme un « rouge ». Le père de Juan, par exemple, est indifférent en matière de religion ; « politiquement, en dehors du fait d’avoir été volontaire rouge, on ne lui connaît pas de faits délictueux et il ne s’est pas distingué. » Il est travailleur, touche un salaire régulier et n’entretient pas de « relation intime avec des femmes ». Ses deux enfants fréquentent des écoles religieuses et il ne craint pas de faire appel aux autorités franquistes pour faire corriger l’un d’entre eux75. En revanche, le fait d’avoir été militaire dans une unité d’élite comme la Columna de Hierro est très suspect aux yeux des autorités76. Par ailleurs, le fait d’avoir appartenu à un parti ou à un syndicat de gauche, ou d’avoir été franc-maçon, ne fait pas toujours porter le stigmate de « rouges » aux personnes concernées. Par exemple, le père d’Evelio « est indifférent en matière de religion et a des tendances de gauche » (sous la République, il a appartenu à la CNT). « Cependant », mentionne le rapport d’enquête – et c’est cette réserve qui est importante –, cet homme sait lire et écrire, il est travailleur et bien considéré par ses voisins77.
17L’idée prévaut que pour être considéré comme « rouge », il faut avoir fait quelque chose de grave. Ainsi, si le père de Luis est en prison depuis que les troupes franquistes sont arrivées en Catalogne, les voisins et les autorités locales affirment en 1943 que cela tient au fait qu’il a « trop parlé pendant la période rouge78 », même s’il n’a rien fait de grave. L’expression « se distinguer » (destacarse) revient souvent dans les dossiers personnels, comme si le fait d’avoir des convictions de gauche ou un engagement passé pour la cause républicaine n’était pas forcément stigmatisé et puni, pourvu que l’individu en question se tienne tranquille et respecte les préceptes de la vie publique et privée promus par les vainqueurs, organisés autour du travail et de la bonne moralité. Pendant l’après-guerre, « rouge » est ainsi une étiquette ne stigmatisant « pas seulement l’affiliation politique de gauche de naguère, mais une sorte de “saleté”, le fait d’être différent, d’être un paria79 ». Le père de Juan, un ouvrier vivant à Sabadell à la fin des années 1940, n’est pas mal vu par l’enquêteur du tribunal pour mineurs alors qu’il a des idées de gauche et est catalaniste80. Étonnamment, un individu peut même avoir été condamné à 30 ans de prison et être « un bon garçon », qui ne constitue pas un mauvais exemple pour son fils81. Un vrai « rouge » est un « rouge » dangereux, qui ne vit que pour prendre sa revanche. C’est là l’une des hantises des vainqueurs de la guerre civile, et l’une des raisons pour lesquelles la répression politique est aussi brutale. Le père de José est le seul cas qui corresponde à ce profil et inquiète réellement les autorités. Cet homme violent, « sans religion, sans morale et sans scrupules », est un ancien membre de la CNT. Il a fui la Catalogne au tout début de l’année 1939 devant l’avancée des troupes franquistes, dans la voiture la plus puissante de l’entreprise dans laquelle il travaillait (« une 100HP ») pour rallier la France. « Malgré son activité en tant que rouge, avec un cynisme sans égal ou l’inconscience d’une personne anormale », le père de José revient en Catalogne au début du mois de février 1939 : il est arrêté le 25 février 1939, emprisonné et jugé. En mai 1942, il est placé en liberté conditionnelle : l’enquêteur du tribunal s’inquiète du fait qu’il soit en train de consigner les noms des employés de son entreprise qui ont refusé de le réintégrer à son poste en février 1939. Cela fait de lui « un rouge dangereux qui désire qu’une autre occasion se présente, comme celle de 1936 par exemple, pour prendre sa revanche82 ».
Quelle réalité familiale, sociale et politique derrière le non-dit et le non-signalé ?
18Pour les vainqueurs du conflit, religion, politique et structure sociale sont intimement mêlées. Tout ce qui questionne cette unité religieuse, politique et sociale est le symptôme d’un désordre profond83. Les enquêteurs mandatés par les tribunaux pour mineurs sont chargés de vérifier la conduite « politique, sociale et morale » des personnes considérées. Mais il est difficile de savoir ce qu’ils entendent exactement par « environnement moral néfaste », « indifférence religieuse », « absence de principes moraux et sociaux », « propos peu édifiants »… Comment savoir s’il s’agit là de milieux sociaux hostiles au régime ? Par exemple, Manuel Ramos Ripoll, l’agent de police rattaché au tribunal pour mineurs de Valence note en juillet 1946 que la formation religieuse du père de María de la Encarnación est « déficiente » et que cette attitude est courante dans les milieux populaires84. Cette remarque sous-entend-elle que María de la Encarnación vient d’une famille de gauche, ayant apporté son soutien au camp républicain pendant la guerre et se caractérisant ensuite par son hostilité à la dictature ? Elle révèle en tout cas que l’aspect politique de la conduite du père de María de la Encarnación n’intéresse pas prioritairement l’enquêteur. De la même façon, lorsque la directrice de la Colonia San Vicente Ferrer se rend au domicile d’Elisa, en février 1947, elle est frappée par l’irréligion régnant au sein du foyer familial et non par les convictions politiques éventuelles des membres de la famille : « le beau-frère d’Elisa est marié et vit avec sa belle-mère et un beau-frère célibataire, dans une discorde totale et une idéologie antireligieuse allant jusqu’au blasphème85 ». Dans les faits, un autre acteur que la Tertiaire capucine aurait-il qualifié cette famille de « rouge » ? Comment interpréter le langage des autorités et savoir quelle réalité familiale, sociale et politique se cache derrière le non-dit, le non-signalé ? L’irréligion est-elle un corollaire de l’hostilité au régime franquiste, et réciproquement ?
19Les effets non quantifiables de la répression (peur, surveillance, humiliation, marginalisation…) jouent incontestablement un rôle, conduisant certaines familles républicaines à taire leurs convictions politiques86. La prudence naît de la peur et/ou de la recherche prioritaire de sécurité matérielle87. On a vu précédemment que nombre de pensionnaires de la CSVF étaient issus des quartiers populaires des Poblats Marítims, dont les habitants adoptent souvent une attitude d’hostilité passive vis-à-vis du régime franquiste qui s’explique tout à la fois par l’aspiration à un retour à l’ordre, par la peur de la répression et par la lutte quotidienne pour la survie. Dans ce contexte, même si un enquêteur mandaté dans le quartier par le tribunal pour mineurs ne consignera pas forcément dans son rapport l’existence d’un sentiment d’opposition politique fort, cela ne veut pas dire que les familles interrogées ne se sentiront pas appartenir au camp des vaincus plutôt qu’à celui des vainqueurs. « La majorité des travailleurs sont rouges », constatent les documents officiels étudiés par Ramiro Reig88. Dans la mémoire collective de la population ouvrière des Poblats Marítims, l’idée selon laquelle Valence a été punie parce qu’elle était rouge, républicaine et révolutionnaire est largement partagée. Les ouvriers de l’UNL interviewés par Ismael Saz, traumatisés par la guerre civile, la violence qui s’est déchaînée pendant la retraite républicaine et la répression terrible qui a suivi, sont « rouges » et antifranquistes parce que c’est ainsi qu’ils se sentent et comme cela qu’on les traite89. Ce constat vaut probablement pour une partie des familles des pensionnaires des maisons de redressement, celles qui appartiennent à une population ouvrière à l’identité forte et aux traditions revendicatives bien ancrées. Dans ce contexte, le fait que seulement une minorité de personnes soient apparues républicaines aux yeux du personnel des tribunaux pour mineurs et des maisons de redressement peut être interprété comme un succès de la dictature. En effet, le régime franquiste est ainsi parvenu à imposer, dans les couches inférieures de la société, l’idée selon laquelle la normalité devait être apolitique. Le sentiment général est que payer le prix de la défaite, c’est l’accepter. On ne trahit pas ses convictions, mais l’oubli est une stratégie de survie. Paradoxalement, cette passivité des familles populaires constitue aussi un échec retentissant : l’absence d’une adhésion consciente et positive montre que le régime n’est pas parvenu à pénétrer les milieux qui le rejetaient de manière significative.
20En dehors des personnes souffrant le plus de la répression, pourchassées, réduites au silence, et exclues par la dictature, le reste de l’Espagne qui a fait partie du camp des vaincus s’est adapté, de façon graduelle et avec apathie et peur, à un régime qui défendait l’ordre, l’autorité, une vision traditionnelle de la famille, un conservatisme catholique inflexible ainsi que des sentiments nationalistes et d’hostilité au communisme90. Beaucoup de citoyens ont revu à la baisse leurs attentes sociales et politiques en échange d’un retour au travail et à une vie passée près de leur famille. Le gros de la population espagnole est constitué d’hommes et de femmes moins politisés et dont les attitudes, hétérogènes et difficilement classifiables, les situent dans une zone « grise91 ». Ana Cabana estime qu’il est difficile de classer les Espagnols en fonction de s’ils sont favorables au régime ou opposés à lui car « au ras du sol, les types idéaux se brouillent92 ». En effet, en dehors des adhésions inconditionnelles à la dictature, il est souvent difficile de séparer les signes d’acquiescement et de conformité des actions de résistances quotidiennes, qui sont des signes de mal-être et de mécontentement. Les frontières sont perméables et diffuses, et les attitudes individuelles peuvent être commandées par la peur, la nécessité, l’envie de revenir à une certaine normalité après la guerre civile, le risque de toute attitude d’opposition politique, le respect des autorités locales, les responsabilités familiales et les liens avec le voisinage…
21En définitive, la perception d’une personne « rouge » est vraiment négative si cette dernière affiche ses idées publiquement, fait montre d’activisme (« se distingue ») et révèle ainsi sa dangerosité. Les simples convictions politiques ne suffisent pas à susciter la méfiance des enquêteurs, des autorités judiciaires et du personnel des maisons de redressement. En aucun cas, les dossiers personnels des pensionnaires de l’Asilo Durán et de la Colonia San Vicente Ferrer ne font apparaître une ère du soupçon permanent et de la traque politique insatiable. Les historiens ont montré que les épouses, les veuves et les mères de républicains étaient jugées aussi coupables que ceux qui avaient participé activement à la guerre civile. Les femmes de gauche sont assimilées à des monstres, des traînées, des suceuses de sang93. Un témoin raconte que lorsque sa mère et sa femme sont allées à l’Auxilio Social, elles ont été insultées, menacées, accusées, d’être immorales et d’avoir tué des religieuses et des prêtres94. Si de telles pratiques sont en vigueur dans la société espagnole d’après-guerre, elles n’irriguent pas la langue administrative dans laquelle sont rédigés les dossiers personnels des pensionnaires de maison de redressement. Il ne s’agit pas de nier ici la prégnance de la division vainqueurs/vaincus dans la société espagnole de la Posguerra ou l’ampleur et la dureté de la répression politique, qui ont abondamment été décrites et prouvées par des travaux scientifiques nombreux et rigoureux. Selon Ángela Cenarro Lagunas, l’expression « enfant de rouge » est une expression galvaudée qui désigne finalement tout individu devant être régulé, surveillé, contrôlé, venant d’une famille pauvre ou déstructurée, indépendamment du profil politique des parents95. Que l’on parle de « rouge », de « vaincu », de pauvre ou de délinquant, on désigne probablement un public similaire. Au fond, ce ne sont pas les termes qui importent et ce n’est pas la politique qui compte : la guerre civile et la victoire militaire servent à réactualiser, à justifier et à renforcer une longue domination sociale des notables sur les pauvres, un temps remise en question par la République et le Front populaire. Qu’ils soient actifs durant le « premier franquisme » ou au début du xxe siècle, les acteurs de la protection de l’enfance décrits par Peter Anderson, souvent catholiques, qui militent pour la protection et le placement d’enfants et d’adolescents, sont convaincus que les pauvres sont des révolutionnaires potentiels, dont l’immoralité profonde constitue un environnement pernicieux : leurs idées sont renforcées et radicalisées par la guerre civile96. Des « rouges » revanchards comme le père de Miguel, évoqué plus haut, ne peuvent trouver leur place dans la nouvelle « communauté nationale » car ils remettent en cause un ordre social et politique que la République avait nié. La tentative radicale d’exterminer les vaincus s’explique par une politique de classe, déguisée derrière la dénonciation d’ennemis supposés, intérieurs ou extérieurs97. Les « chacals syphilitiques » et les « hommes-singes » ont toujours été là, cachés derrière le masque de la servitude ou tapis dans les faubourgs impénétrables et mystérieux des grandes villes. C’est la République qui les a libérés, en leur ôtant les entraves qui permettaient de les garder sous contrôle. Là réside le grand crime de la République et de ceux qui l’ont dirigée : l’anti-Espagne a non seulement apporté la laïcité, la démocratie et l’égalité ; elle a aussi détruit l’équilibre social et mental garantissant l’ordre. La mission du bon Espagnol et du bon catholique est de tenir le démon éloigné ou de le contrôler. Seules la religion et la dictature exercée sur les classes inférieures peuvent permettre d’y parvenir98.
Un formidable outil de contrôle social
22Lorsqu’un mineur est interné en maison de redressement sur décision de justice, les tribunaux ne donnent pas l’impression d’être particulièrement soupçonneux dès qu’il est question de politique ou de guetter le moindre indice tendant à montrer que la famille et le quartier sont des repères de « rouges ». Ainsi, lorsque l’agent du tribunal pour mineurs de Valence enquête sur la famille de Rosa, en juin 1946, il signale que l’adolescente a été internée plusieurs fois à la Miséricorde, une institution charitable, « quand son père avait été arrêté à cause de son action marxiste ». On ne saura pas pour quel délit politique le père de Rosa a été emprisonné ; il paraît plus important pour l’enquêteur d’indiquer que « la famille est moralement bien considérée et [que] sa formation religieuse est mauvaise99 ». Le cas d’Esteban montre également que bien plus que la politique, c’est la morale qui intéresse les religieux encadrant les pensionnaires de maisons de redressement et le personnel des tribunaux pour mineurs. L’enfant vit à Casa Antúnez avec sa mère, qui est vendeuse, son beau-père, scieur de son état, ses deux frères et sa demi-sœur. Quand il est pris en charge par le tribunal pour mineurs de Barcelone, en 1946, l’enquêteur s’attarde sur la « mauvaise conduite morale » de la mère de l’adolescent : celle-ci a eu trois fils avec un homme avec qui elle vivait en concubinage et s’est ensuite mariée avec un homme qui a tenté de violer l’une de ses nièces, âgée de dix ans. La mère d’Esteban est « une femme sale et négligée » ; ses idées politiques sont nettement à gauche ; elle est indifférente en matière de religion100. Elle entretient aussi « des relations illicites » avec un autre homme, avec qui elle a eu une fille. Si, dans les années 1940, la personne chargée de l’enquête familiale et sociale apprend que le père d’un mineur est en prison ou en camp de concentration, ou qu’il est mort au front, elle le signale dans son rapport. L’information est un élément décrivant la situation familiale. Mais ce qui importe pour les autorités judiciaires et éducatives, c’est de savoir s’ils prennent soin de leurs enfants et si le milieu familial est « moral ». Au début des années 1940, c’est la « conduite immorale » de la mère de Manuel qui pose problème (ses voisins l’accusent d’exercer la prostitution clandestine) et entraîne une mesure de protection, pas la couleur politique de son père. Ce dernier était en effet militaire dans l’armée républicaine101. Le discours traditionnel sur la prétendue immoralité des familles pauvres, qui a servi de base à l’élaboration des politiques étatiques de protection de l’enfance et de création des tribunaux pour mineurs, fusionne avec les préjugés politiques de la période de l’après-guerre102.
23La prédominance de la moralité sur la politique, du contrôle social sur la répression contre les vaincus est l’un des signes de l’influence considérable que possède l’Église catholique dans l’Espagne de l’après-guerre. C’est elle, et non la Phalange, qui occupe le terrain de la prise en charge de la déviance juvénile. L’organisation fasciste est un parti unique depuis le 19 avril 1937 et l’adoption du « Décret d’unification des partis », qui a institué la « Phalange espagnole traditionaliste et des Juntes d’offensive nationale » (FET y de las JONS). Elle a connu une période de fascisation intense durant la Seconde Guerre mondiale, qui a surtout touché les sphères de la propagande, du contrôle, de l’encadrement et de la mobilisation des masses. Même si l’influence de la Phalange a diminué lorsqu’a pâli l’étoile de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste, plusieurs auteurs soulignent qu’il ne faut pas aller trop vite en besogne en considérant qu’elle n’aurait été qu’un simple élément décoratif ayant servi à l’adulation du dictateur ou un instrument utilisé par le régime durant ses seules premières années d’existence103. Le parti unique a constitué une réelle structure de pouvoir et a contribué à la vie politique de la dictature jusqu’à la fin de celle-ci, au milieu des années 1970. Le « Mouvement » est en effet l’unique force légale capable de compter sur une masse structurée de militants, un encadrement tentaculaire et un réseau s’étendant sur tout le territoire, avec de puissants outils de captation et de contrôle social104. Le Front de jeunesses, la Section féminine (SF), le Syndicat espagnol universitaire (SEU) et l’Organisation syndicale espagnole (OSE) exercent en effet un monopole sur les politiques mises en place vis-à-vis de la jeunesse, des femmes, des étudiants et des travailleurs.
24Dans les dossiers personnels des pensionnaires de maison de redressement, la Phalange apparaît essentiellement en milieu rural, aux côtés des autres « autorités » que sont le maire, les représentants de la Garde civile et le curé. Elle est chargée de dresser des rapports de moralité sur la famille des mineurs issus de ces régions rurales. En août 1943, elle indique par exemple que les parents de José, qui vivent à Castellar del Vallés, sont « indifférents en matière de politique et de religion ». Le comportement moral de la mère est bon et sa mise est plutôt soignée105. La place occupée par la Phalange dans un village est telle que c’est parfois à elle que l’on s’adresse, par erreur, pour demander l’internement en maison de redressement d’un enfant turbulent. En février 1942, l’oncle et la tante de Teresa, qui vivent à Catarroja, un village situé à une dizaine de kilomètres de Valence, signalent à la Section féminine de la Phalange l’indiscipline de leur nièce, qui vole tout ce qui est à sa portée, emprunte de l’argent en leur nom et s’enfuit parfois pendant plusieurs jours. L’internement de Teresa à la Colonia San Vicente Ferrer, qui intervient un mois plus tard, a précisément été demandé au tribunal de mineurs de Valence par la Section féminine106. En ville, la Phalange est absente du secteur de la prise en charge de la déviance juvénile, quadrillé par les organisations catholiques. Elle encadre en revanche la jeunesse dite « normale », à travers le Front de jeunesses (Frente de Juventudes). Les jeunes volontaires sont répartis en trois groupes ou « légions », en fonction de leur âge : les « Flèches » (de 10 à 13 ans), les « Cadets » (de 14 à 16 ans) et les « Guides » (de 17 à 20 ans). Luis, par exemple, est « chef des cadets107 ». La Phalange est alors en concurrence avec l’Église dans les quartiers populaires : une école de « Flèches » est implantée près du port de Valence, dans le quartier de la Malvarrosa, dont sont originaires nombre de pensionnaires de la CSVF108. José ne respecte pas les ordres qu’on lui donne au Front de jeunesses, au grand dam de son père qui, en avril 1944, se plaint de l’indiscipline de l’adolescent devant le tribunal pour mineurs de Valence109. La compétition est en effet féroce entre phalangistes et catholiques réactionnaires, qui cherchent chacun à imposer leur projet national110. Dans certains domaines précis, comme celui de la bienfaisance, la Phalange parvient à se faire une place, par le biais de l’Auxilio Social. Mais si l’Église perd ici du terrain, elle récupère toute l’influence qu’elle avait sur la prise en charge de la déviance juvénile, une fois la guerre terminée. Au sein des tribunaux pour mineurs, les catholiques réactionnaires emmenés par Gabriel Ybarra y de la Revilla parviennent à repousser l’influence des idées professées par la Phalange111. Au niveau institutionnel, la composition du Conseil supérieur de protection des mineurs montre l’intimité des liens que ce dernier entretient avec l’Église : l’évêque de Madrid-Alcalá est un membre de droit, aux côtés du gouverneur civil de Madrid ; en revanche, aucun représentant de la Phalange ne siège au conseil112. L’heure de la reconquête a sonné : à chaque échelon ou presque de l’encadrement et de la prise en charge de la jeunesse, l’Église catholique intervient. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles « l’Église s’ajuste à la perfection avec la dictature, qu’elle soit fasciste ou non113 ». Assimilé à une « croisade », la guerre civile a en effet fait disparaître définitivement l’idée d’une séparation de l’Église et de l’État dans le camp nationaliste : dans cette Espagne-là, tout le monde devait être catholique ; on ne pouvait pas ne pas être catholique114. Mais en même temps, le fascisme devient un élément de référence à tel point que parmi les « nationalistes », tout le monde pouvait s’identifier comme fasciste ; dans cette Espagne-là, on ne pouvait pas ne pas être fasciste115.
Un maillon de l’appareil répressif et de contrôle social de la dictature
Les pensionnaires des maisons de redressement sont-ils des « enfants perdus du franquisme » ?
25Pourquoi les enfants de « rouges » sont-ils minoritaires parmi les pensionnaires de maison de redressement ? En bonne part parce que d’autres institutions, comme l’Auxilio Social, ont pour mission de porter secours et d’encadrer les enfants des opposants politiques116. La genèse de l’Auxilio Social, que les BD autobiographiques de Carlos Giménez ont rendu familier au lectorat français, remonte à l’ouverture d’un réfectoire destiné aux enfants le 30 octobre 1936 à Valladolid, dans le camp des insurgés117. Le projet, au départ modeste, est présenté par ses fondateurs, les phalangistes Mercedes Sanz Bachiller et Javier Martínez de Bedoya, comme une tentative destinée à pallier les nécessités nées du coup d’État et de la guerre. Mais quelques mois plus tard, le 19 avril 1937, il s’est converti en cette « œuvre magnifique » que Franco réserve aux plus pauvres, la Delegación nacional de Auxilio Social. Dans le contexte de la guerre, la protection des plus nécessiteux n’est pas une tâche humanitaire, idéologiquement neutre ou à la marge du projet politique des militaires. Bien au contraire, elle est au cœur même du processus de constitution de la « Nouvelle Espagne » : elle est un instrument efficace de propagande, destiné à montrer un visage plus protecteur de l’État répressif. Réfectoires, centres d’accueil et colonies de repos visent à porter secours aux enfants, aux mères et aux réfugiés. En 1939, 4 408 réfectoires fonctionnent, qui distribuent des repas à pas moins d’un million de personnes, tous âges confondus118. Si l’Auxilio Social aide tout le monde, il est principalement destiné aux plus jeunes : les foyers pour enfants deviennent leurs institutions phare. On en compte 19 en 1938, une centaine en 1943 : ce sont alors plus de 10 000 mineurs qui sont pris en charge. La précarité économique et la marginalisation sociale, conséquences fréquentes de la répression politique, amènent de nombreux enfants de « rouges » dans les rets de l’Auxilo Social.
26On voit apparaître des enfants pris en charge par l’Auxilio Social dans les dossiers personnels des maisons de redressement s’ils ont commis un acte déviant ou délictuel, ou doivent être protégés par rapport à leur milieu familial. José, par exemple, est né en 1935 à Baza, dans la province de Grenade. Son père est mort de maladie et depuis 1940, sa mère vit avec ses six enfants dans un immeuble de la Colonia Taxonera à Barcelone, sans payer de loyer car personne ne sait à qui le logement appartient. Trois des enfants mangent dans un réfectoire de l’Auxilio Social situé dans le quartier d’Horta119. À la fin de la guerre civile, le père de María de la Encarnación a été emprisonné ; « se retrouvant sans ressource », sa mère s’est mise à exercer la prostitution. Elle a envoyé ses deux filles dans une garderie de l’Auxilio Social à Muñoz120. L’Auxilio Social est à la fois une organisation de bienfaisance, un outil de contrôle social et un vecteur d’imposition des valeurs des vainqueurs. C’est ainsi par l’entremise de l’organisation phalangiste que José María121 et Federico122 sont baptisés ou que Rafael fait sa première communion, dans un foyer de Sabadell123. María de la Encarnación et son petit frère sont orphelins, et vivent avec leurs grands-parents et leur oncle à Valence. En 1942, ils vont manger dans un réfectoire de l’Auxilio Social. En 1943, la déléguée à la liberté surveillée chargée de suivre María de la Encarnación note que l’adolescente se conduit bien mais que « comme elle vit dans un environnement d’indifférence religieuse, [elle l’a] recommandée aux dames de l’Action catholique pour qu’elles lui fassent suivre le catéchisme124 ». Les enfants pauvres, dont le père ou la mère peut avoir été la cible de la répression politique menée par les vainqueurs, sont ainsi pris dans les filets d’organisations étatiques ou privées, qui sont à la fois en lien et en concurrence les unes avec les autres. Chacune veut conserver sa clientèle mais toutes partagent bien le même but : surveiller et neutraliser les pauvres, souvent « rouges » et presque toujours athées, qui avaient osé défier l’ordre social et s’éloigner de la religion à la faveur de la parenthèse républicaine.
27L’État franquiste a également mis en place un système de prise en charge des enfants de prisonniers politiques, des enfants de « rouges » au sens strict. Cet édifice n’a pas vocation à recouper celui de l’Œuvre de protection des mineurs : c’est la raison fondamentale de la présence marginale, dans les maisons de redressement, de mineurs issus de familles ayant été la cible de la répression politique menée par les vainqueurs. Ricard Vinyes a étudié le sort réservé aux « enfants perdus du franquisme » : c’est l’ordonnance du 30 mars 1940 qui permet de transférer les enfants nés en prison, de mères condamnées pour des délits politiques, des centres pénitentiaires vers les « espaces de tutelle » créés par l’État125. Selon le psychiatre franquiste Antonio Vallejo Nágera, il s’agit par là de « combattre la propension dégénérative des enfants ayant grandi dans un environnement républicain ». En novembre 1940 est adopté un décret relatif aux orphelins dont le père a été fusillé ou a disparu, c’est-à-dire qui est parti en exil ou s’est réfugié dans la clandestinité : les parents perdent alors leur droit de tutelle au profit de l’État. La loi du 4 décembre 1941 prescrit quant à elle que tous les enfants ne se rappelant pas de leur nom, ayant été rapatriés ou dont les parents ne peuvent pas être localisés peuvent être inscrits sur les registres de l’état-civil sous un nom différent, ce qui ouvre un espace facilitant le changement de nom des enfants de prisonniers, des fusillés ou des exilés et ouvre le chemin à des adoptions irrégulières. À partir de 1943, c’est le Patronage national des prisonniers et des personnes condamnées (Patronato Nacional de Presos y Penados de España), qui devient en 1945 le Patronage de saint Paul (Patronato de San Pablo), qui incarne le versant de bienfaisance du système pénitentiaire126. Cet organisme, placé sous la tutelle du ministère de la Justice, permet aux autorités « d’exercer une protection permanente sur les familles des reclus en veillant à leur élévation morale, sans négliger la garde des mineurs » : l’enfance est en effet « une masse divine qui permet de rectifier les erreurs des adultes127 ». Les enfants des prisonniers sont placés dans des écoles publiques ou privées, dépendant d’organismes de bienfaisance, des séminaires, des sanatoriums, des établissements pour enfants handicapés… De 1944 à 1954, 30 960 enfants sont accueillis dans 258 centres différents. En 1948, 12 000 mineurs sont envoyés dans 350 écoles privées ou publiques128. Il s’agit donc d’un projet de rééducation massive destiné aux plus fragiles, aux enfants issus de familles sans défense, menacées par la situation créée par la victoire et dont la capacité de réaction est pratiquement nulle129.
28Au cours de la décennie 1940, des personnes condamnées pour des délits politiques sortent progressivement de prison : plusieurs mesures de grâce sont adoptées, entraînant des réductions de peine, ce qui est une manière de faire diminuer la surpopulation carcérale. Des enfants qui étaient pris en charge par le Patronage national des prisonniers et des personnes condamnées voient leurs parents sortir de prison : en mai 1946, une ordonnance dispose qu’ils dépendront désormais de l’Œuvre de protection des mineurs (article 1)130. Il revient aux comités de protection des mineurs (Juntas de protección de menores), elles aussi chapeautées par le Conseil supérieur de protection des mineurs, et aux tribunaux pour mineurs de voir au cas par cas si ces enfants peuvent être remis à leur famille ou s’ils doivent continuer à être « protégés » par l’État (article 3). Ce texte montre, d’une part, la complémentarité des différents maillons de la chaîne. Il prouve aussi que l’Œuvre de protection des mineurs n’a jamais eu vocation à prendre en charge des enfants dont les parents ont été emprisonnés pour des raisons politiques, c’est-à-dire des enfants de « rouges » au sens strict. Il est donc logique que cette population ne représente qu’une part infime de la population internée dans les maisons de redressement. Les rôles sont théoriquement définis clairement entre les différentes entités supervisées par le ministère de la Justice : au Patronage de saint Paul revient la tutelle des enfants de prisonniers politiques ; aux comités de protection des mineurs revient l’assistance aux pauvres et aux orphelins ; les tribunaux pour mineurs et leurs institutions auxiliaires sont quant à eux chargés d’accueillir les enfants faisant l’objet d’une mesure judiciaire de redressement ou de protection. Le principe affiché est celui de la « division du travail » : en 1948, le Patronage de saint Paul pour les prisonniers et les personnes condamnées indique qu’il ne peut remplir sa mission que grâce à une collaboration étroite avec l’Action catholique, l’Auxilio Social, le Front de jeunesses de la Phalange, le Patronage de protection de la femme et les tribunaux pour mineurs131.
Un faible degré d’adhésion des acteurs à l’idéologie du « Nouvel État »
29La loi du 10 février 1939 a fixé le cadre normatif de l’épuration des fonctionnaires132. Les personnes ayant adhéré au « Glorieux mouvement national » doivent pouvoir poursuivre leur travail pour assurer la continuité de l’activité des services administratifs ; mais ceux qui « ont contribué à la subversion et ont prêté une assistance inexcusable à ceux qui se sont emparés, par la violence, des postes de commandement dans l’administration » doivent être punis. Chaque ministère doit statuer sur les responsabilités des fonctionnaires qu’il dirige (article 1). Ces derniers doivent prêter serment devant une commission et indiquer s’ils ont adhéré au « Mouvement national » ou au « Gouvernement marxiste » et aux « autorités rouges », à quels partis politiques et à quelles organisations ils ont pu appartenir (article 3). Les fonctionnaires sont soit réadmis à leur poste, soit sanctionnés (article 5) sachant que l’éventail des sanctions va de la mutation forcée, avec interdiction de solliciter un poste pendant une durée d’une à cinq années, à l’exclusion définitive de l’administration (article 10). Lorsque la Catalogne est occupée, à la fin de la guerre, seuls 753 fonctionnaires sur 15 860 conservent leur poste133. Le personnel laïque de la Colonia San Vicente Ferrer n’est pas épargné : en avril 1941, un instituteur qui faisait la classe aux pensionnaires depuis seulement dix jours est remercié.
30Le 31 mai 1939, pour accélérer le traitement des dossiers d’épuration, le Conseil supérieur de protection des mineurs nomme un juge spécial devant lequel tous les fonctionnaires doivent prêter serment134. Le sort des onze membres du tribunal pour mineurs de Valence, situé en zone républicaine jusqu’à la toute fin de la guerre civile, est fixé en septembre 1939 : sept personnes sont réadmises sans aucune sanction. Parmi elles, on trouve Mariano Ribera Cañizares : cet avocat né en 1871 retrouve le poste de président du tribunal qu’il avait occupé du 27 novembre 1924 au 16 août 1936, date à laquelle il avait été destitué par le gouvernement républicain (on lui avait alors reproché d’avoir adhéré à la Seconde République par opportunisme, en avril 1931, et d’être « un monarque récalcitrant, un ennemi masqué du régime et du gouvernement135 »). Mariano Ribera Cañizares avait été nommé membre du Conseil supérieur de protection des mineurs en juillet 1936 et avait continué à exercer cette charge au sein du Conseil national de tutelle des mineurs, qui se trouvait en zone républicaine durant la guerre civile ; mais le juge spécial prend en compte le fait qu’il n’a pas participé aux délibérations. Francisco Vives Villamazares, lui, est âgé de 40 ans ; il a occupé la fonction de secrétaire du tribunal pour mineurs à partir de 1926 à 1936 « à la satisfaction complète de ses chefs, adaptant sa conduite, tant publique que privée, aux normes et aux doctrines fondamentales qui sont celle d’un monsieur catholique et espagnol136 ». Francisco Vives Villamazares avait été destitué après le coup d’État et le début de la guerre, le 16 août 1936, passant ensuite un concours en août 1938 pour retrouver son poste. Mais pour le juge spécial, cette nomination, qui n’a pas entraîné de promotion dans l’échelon administratif, n’a que relativement bénéficié à l’impétrant (article 2g de la loi du 10 février 1939), qui est donc maintenu à son poste. Le vice-secrétaire habilité, Bautista Mompó Mauponey, réintègre lui aussi son poste une fois les franquistes arrivés au pouvoir ; il l’avait déjà occupé de 1929 à 1936, avant d’être victime de l’épuration républicaine. En revanche, Dioscorides Leive García, qui avait été nommé dans un service administratif par le « Gouvernement rouge », est en prison : sa désaffection au « Glorieux Mouvement National » étant prouvée, il est exclu de son poste. Peter Anderson observe des continuités similaires au sein du tribunal pour mineurs de Madrid après la guerre civile. Par exemple, le président du tribunal, Alberola Such, est en poste pendant plus de 25 ans, de la fin de la guerre civile à 1966. Il a « un pedigree de catholique monarchiste » : il avait vigoureusement protesté contre la Seconde République, jugée anticléricale, ce qui lui a valu d’être incarcéré à la prison Modèle de Madrid et d’échapper de peu à une exécution, le 22 août 1936137.
31Au-delà de l’alternance politique et des épurations successives, la continuité du personnel est frappante et la fin de la guerre civile signifie tout sauf l’appel à du sang neuf et à des « hommes nouveaux », phalangistes convaincus par exemple. Nous rejoignons ici des auteurs comme Damián A. González Madrid qui, à propos d’autres acteurs, ont nuancé l’idée d’une rupture nette et souligné l’existence d’une cohabitation entre les élites traditionnelles et le nouveau personnel politique de la dictature138. Non seulement Mariano Ribera Cañizares a été président du tribunal de Valence de 1924 à 1936, puis à nouveau de 1939, mais il était investi dans la protection de l’enfance depuis 1909 et figurait parmi les membres du patronage qui avait impulsé la création d’une maison de redressement à Burjasot, qui deviendra la Colonia San Vicente Ferrer. Il est difficile d’évaluer le degré d’adhésion de ces acteurs au « Nouvel État » ; il est en revanche certain qu’ils auront tendance à remplir leur mission de la même manière qu’ils le faisaient au début de leur carrière, dans la première moitié des années 1930, voire dans les années 1920 et 1910. Dans ce contexte, comment s’étonner de la part des permanences et du temps long dans la façon dont les jeunes déviants sont pris en charge après la guerre civile ? Les maisons de redressement sont plus un instrument de contrôle social des milieux populaires qu’un outil de répression politique : un notable, un homme d’ordre, un catholique convaincu comme Mariano Ribera Cañizares continue d’autant plus à travailler comme il le faisait de 1924 à 1936 que la législation n’est retouchée qu’à la marge par les vainqueurs, avec un durcissement possible des positions suite à la guerre civile. Il en va de même de Ramón Albó y Martí, qui a été l’un des promoteurs de la loi créant les tribunaux pour enfants en 1918 et qui préside le tribunal pour mineurs de Barcelone après la guerre, ainsi que de Javier Ybarra y de la Revilla, actif dès les années 1900 dans le domaine de la protection de l’enfance. Ainsi, Alberola Such, le président du tribunal pour mineurs de Madrid évoqué plus haut est, comme Ramón Albó, convaincu que « l’origine de toute la criminalité juvénile réside dans les mauvais exemples fournis par les parents » : il n’y a pas de criminel né, seulement des mauvais parents. Seuls les principes portés par l’Église catholique peuvent permettre de rééduquer les jeunes déviants139.
32Cette continuité du personnel est l’un des éléments expliquant pourquoi l’Œuvre de protection des mineurs est aussi peu perméable aux catégories de pensée des vainqueurs. La Phalange est en pointe dans la révolution linguistique : des devises telles que « Au nom de Dieu, de l’Espagne et de sa révolution national-syndicaliste » ou « Pour l’empire et pour Dieu » figurent dans chaque lettre envoyée par un membre de l’organisation140. Au contraire, les considérations idéologiques sont pratiquement absentes de la correspondance du directeur de la section pour garçons de la Colonia San Vicente Ferrer et s’effacent largement derrière des préoccupations quotidiennes, matérielles et très concrètes. Le directeur n’utilise jamais, dans ses échanges avec le président du tribunal pour mineurs, la langue de bois du régime. En revanche, le contexte politique et idéologique est explicitement invoqué dans des lettres échangées avec des personnes extérieures au dispositif de prise en charge de la jeunesse en danger. En juin 1940 par exemple, le directeur demande l’aide du maire de Burjasot car il n’a plus de tabac à distribuer aux pensionnaires majeurs les plus méritants. Il croit bon d’insister sur le fait « le système de récompenses [qu’il] a mis en place dans cet établissement permet, beaucoup plus que les punitions, d’obtenir des résultats magnifiques dans le travail patriotique que nous menons ici141 ». Lorsque le directeur demande au président de la fédération de football de Valence des places gratuites pour les pensionnaires les plus méritants, il affirme que ce serait là une contribution « au travail patriotique et chrétien qui est réalisé dans cette Maison142 ». Les particuliers qui s’adressent au personnel des tribunaux pour mineurs et des maisons de redressement utilisent beaucoup plus fréquemment qu’eux la langue du « Nouvel État » : « Que Dieu vous garde pendant de nombreuses années, pour le bien de l’Espagne et de sa Révolution National-Syndicaliste », écrit le père d’Alfredo à la fin de la lettre dans laquelle il demande l’internement de son fils, en octobre 1941143. La fugue d’Alfredo « du foyer paternel en août 1937, alors qu’il n’avait que neuf ans, [s’explique] sans doute à cause des mauvais exemples et de l’enseignement dispensés dans notre ville pendant la période rouge144 ». De la même manière, afin de mettre le maximum de chances de son côté et d’obtenir le retour de sa fille à la maison, la mère de María de la Encarnación écrit : « Franco, Franco, Franco, Viva Espana [sic], Ariva [sic] España145 ». La langue des vainqueurs contamine même le langage des enfants : dans une lettre adressée à l’une de ses amies, et dans le but peut-être d’éviter la censure, Rosa écrit des « arriba Franco » à côté d’un cœur transpercé (voir ci-contre)146. On parle à l’État dans sa langue à lui, que celui-ci soit républicain ou franquiste. En septembre 1936, le Comité de Front Populaire de Cullera témoigne de la « ferveur républicaine » de la mère de Vicenta devant le tribunal de Valence147. Trois ans plus tard, en octobre 1939, le même tribunal mais dans lequel siègent désormais des personnes proches du régime franquiste, affirme que la mère de Vicenta est « totalement acquise à la cause nationale et [que] son père milite à FET y las JONS (la Phalange)148 ».
Un traitement spécifique des pensionnaires issus de familles « rouges » ?
33L’un des buts du coup d’État du 18 juillet 1936 était de stopper le processus de changements politiques et sociaux qui s’étaient produits pendant les années 1930 ; la purge est autant sociale que politique : la guerre civile est l’occasion, pour les gens d’ordre et pour ceux qui ont du pouvoir et de l’autorité au sein de la communauté, de se débarrasser des « indésirables », des « animaux », des rebelles. Dans ce contexte, comment le personnel religieux de l’Asilo Durán et de la Colonia San Vicente Ferrer se comporte-t-il vis-à-vis des enfants dont les parents sont républicains ? Entre les murs de la maison de redressement, évoque-t-on le passé proche de la guerre civile et celui, plus éloigné, de la période républicaine ? La documentation écrite est très peu diserte sur ce point. Les sources orales sont précieuses mais elles manquent de fiabilité, dans la mesure où la reconstruction du passé est permanente. Les entretiens nous placent entre deux extrêmes. Pilar Escalera Pelejero estime qu’en classe, à la CSVF, « on ne parlait jamais de politique149 ». Francisco Castro Villena raconte quant à lui que l’un des professeurs qui faisait cours aux pensionnaires de l’Asilo Durán, mutilé de la guerre, parlait toujours de Franco et lançait de vigoureux « ¡arriba España! ». Selon lui, les religieux étaient encore plus friands de ce type de discours150. Les anciens pensionnaires de l’Asilo Durán ne sont pas tous d’accord sur la question de savoir si on leur faisait ou non chanter l’hymne de la Phalange, Cara al sol. La réponse est non pour Agustín Rincón Rubio : il affirme que le parti unique n’était absolument pas présent entre les murs de la maison de redressement et que « les curés avaient plus de pouvoir que le pouvoir politique151 ». De la même manière, les entretiens révèlent des opinions contrastées quant à la question de savoir comment les religieux de l’Asilo Durán se comportaient vis-à-vis des pensionnaires issus de familles républicaines : une minorité se sentait traitée comme des fils de rouges, quand une majorité affirme qu’il n’était jamais question de politique. « C’est vrai, ouvertement on ne parlait pas de politique », affirme Michel del Castillo. « Cela ne se disait pas. Si d’anciens pensionnaires vous disent qu’ils avaient ce sentiment, c’est certainement parce qu’ils étaient plus sensibles au non-dit ». De fait, les témoins dont les parents avaient été la cible de la répression politique affirment tous qu’ils sentaient qu’ils appartenaient au camp des vaincus et les religieux, au camp des vainqueurs, même si le personnel n’insistait pas perpétuellement sur cette question. « Ils savaient que l’on venait d’un camp, de celui qui avait perdu. C’était très clair152 ». Les religieux de la congrégation San Pedro Ad Víncula disaient souvent à Michel del Castillo qu’il était un fils de « rouge » mais parce qu’il lisait beaucoup : « ça, ils n’aimaient pas. Et puis ma situation leur paraissait très ambiguë : si j’avais quitté l’Espagne avec ma mère après la guerre, c’est donc qu’elle était rouge, elle avait dû me former de cette façon. Mais c’était plus les livres, et je crois qu’ils ont très vite flairé chez moi la révolte intérieure. On m’avait à l’œil, ils devaient se dire que je n’étais pas un élément sûr. Mais ça n’allait pas plus loin. Il n’y avait pas de discours militant proprement dit ». L’écrivain raconte qu’à son âge, il ne ressentait pas vraiment la répression qui s’exerçait contre les vaincus de la guerre civile entre les murs de la maison de redressement. « J’avais pourtant le sentiment que c’était normal qu’en tant que fils de rouge, je me trouve là-dedans. Ça ne me paraissait pas surréaliste. Mais il n’y avait rien de revendicatif dans tout cela, cela me paraissait être un fait acquis : je n’appartenais pas au camp des vainqueurs153 ».
34Viçens Marqués Sanmiguel raconte que dans le pensionnat catholique Corazón de María, à Sabadell, « si les curés savaient que tu étais un fils de républicains, tu passais un sale quart d’heure ». Les religieux punissaient plus durement les fils de « rouges » et, « en classe, ils disaient devant tout le monde que c’étaient “des fils de rouges, des dépravés”154 ». Julián Casanova souligne que pour le militaire, le fonctionnaire ou le curé moyens, les vaincus devaient payer leur audace. Autour d’un discours consistant à dire « rien ne vous appartient », ce sont l’humiliation, la négation de la personnalité et l’exclusion sociale absolue que l’on recherche155. Si les religieux de la congrégation San Pedro Ad Víncula n’ont visiblement pas élaboré un programme de rééducation spécifique pour les enfants de républicains, l’hypothèse d’une perception spécifique de ces enfants, assignés au camp des vaincus quand les religieux se sentent appartenir au camp des vainqueurs, s’exprimant au moins de manière implicite et tacite, est à notre sens probable pour une raison fondamentale. Les membres de la congrégation San Pedro Ad Víncula et les Tertiaires capucins ont été traumatisés par les exactions commises par les républicains contre les religieux. « Ça paraît un peu surréaliste de parler de cela [aujourd’hui], car on a l’impression de quelque chose qui aurait été l’enfer… C’était très dur, mais l’époque était très dure. Et pour eux aussi, les frères, qui sortaient de la guerre. Il y avait eu des massacres de religieux ; ils étaient dans un état de sur-défense par rapport à tout ce qui pouvait s’appeler des rouges156 ». Sans l’ensemble du territoire républicain, 6 832 membres du clergé ont été tués157. Ces assassinats se passent la plupart du temps durant les six premiers mois du conflit, avant que le gouvernement républicain ne reprenne le contrôle sur appareil d’État158. Cette violence anticléricale a conforté la hiérarchie ecclésiastique dans son soutien explicite aux rebelles. Les « martyrs » de l’Église « persécutée » sont désormais placés au cœur d’un récit mythique de la guerre civile, construit tant par l’Église que par le régime. Celui-ci passe sous silence le fait que dans la zone républicaine, de nombreux prêtres ont été sauvés en raison de l’action quotidienne qu’ils avaient menée au sein de leur communauté ou parce qu’ils n’avaient pas soutenu explicitement le coup d’État. Le gouvernement républicain et ses soutiens, capables de telles atrocités et de crimes anti-chrétiens, sont présentés comme bestiaux, barbares et inhumains159. De façon binaire, les « martyrs » de l’Église sont décrits comme des individus irréprochables et héroïques, ayant souffert pour sauver l’Espagne. Ils sont célébrés dans une littérature remplie d’histoires atroces, d’exagérations sur le nombre de victimes et de descriptions de « cruautés sauvages » commises par des hommes « saouls et animés d’une haine satanique ». Cette image dichotomique constitue un élément clé au sein de la nation franquiste qui est en train de se forger160. Selon les archives de la congrégation San Pedro Ad Víncula, des « foules révolutionnaires [auraient mis] à sac ses deux plus beaux établissements et assassiné les religieux les plus jeunes et les plus courageux161 » : « neuf religieux simples et faisant preuve d’abnégation, qui servaient les enfants confiés par la bienfaisance publique, [seraient] entrés dans l’immortalité, teintés de pourpre par leur sang162 ». Cet épisode dramatique occupe une place centrale dans l’histoire et la mémoire de l’ordre, comme en témoigne la plaque commémorative apposée sur le bâtiment dans lequel vivaient encore les derniers membres de la congrégation San Pedro Ad Víncula à la fin des années 2000, près de l’ancien Asilo Durán, et le dépôt d’un dossier de béatification des neuf « martyrs tombés pour le Christ » auprès du Saint-Siège163. Le même phénomène existe au sein de la congrégation des Tertiaires capucins, au sein de laquelle une importante production littéraire et hagiographique est dédiée aux événements advenus pendant la guerre civile164. « 22 martyrs qui se [seraient] sacrifiés pendant la persécution religieuse de 1936 » ont été béatifiés le Saint-Siège. Les béatifications de ces « martyrs » espagnols victimes de la violence anticléricale avaient débuté à la fin des années 1980, les autorités religieuses étant sur la défensive depuis que les socialistes étaient au pouvoir. Elles se poursuivent aujourd’hui, signe que les récits fossilisés du franquisme n’ont jamais été réellement remis en question par les échelons supérieurs de la hiérarchie catholique espagnole165.
Conclusion
35La question de savoir si les maisons de redressement constituaient un instrument de répression politique était à l’origine de ce travail de recherche. Il apparaît qu’elles ne visent pas à « redresser » de jeunes opposants politiques car dans le système érigé dès avant la fin de la guerre civile dans le camp des militaires rebelles, ce sont des cours martiales et des juridictions spéciales qui sont chargées de cette mission. Par ailleurs, un nombre infime de pensionnaires de l’Asilo Durán et de la Colonia San Vicente Ferrer sont issus de familles que les dossiers personnels permettent de façon certaine de qualifier de républicaines ; ils ne sont de plus jamais internés à cause de l’appartenance politique de leurs parents. Ce sont d’autres institutions (Auxilio Social, Œuvre nationale de protection des orphelins de la révolution et de la guerre, Patronage de remise des peines par le travail puis Patronage de saint Paul…) qui sont chargées d’encadrer les enfants des opposants politiques. Les mécanismes traditionnels de l’asile et de la prison sont ainsi réactualisés avec la guerre civile et mis au service de l’exclusion du délinquant, du pauvre et du « rouge », qu’il faut contrôler et rééduquer. La tentative radicale d’exterminer les vaincus s’explique par une politique de classe, déguisée derrière la dénonciation d’ennemis supposés : les mineurs pris en charge par les tribunaux sont des enfants de pauvres avant d’être des enfants de « rouges ». Le champ lexical de la répression politique est absent des archives des maisons de redressement et des tribunaux pour mineurs car ce qui importe, c’est de contrôler et convertir les masses qui se sont éloignées de l’ordre et de l’Église. La prédominance de la moralité sur la politique, du contrôle social sur la répression contre les vaincus est l’un des signes de l’immense poids de l’Église catholique dans l’Espagne de l’après-guerre, et tout particulièrement au sein de la prise en charge de la déviance juvénile. Avec les tribunaux pour mineurs et les maisons de redressement, la dictature dispose en effet d’un appareil judiciaire et éducatif plongeant ses ramifications dans les quartiers populaires des grandes villes, dans les Barrios Chinos miteux, dans les bidonvilles de Barcelone et de Valence, peuplés d’une population marginalisée et fragilisée par la guerre et la misère, comptant de nombreux immigrants illégaux. Constatant qu’elles ne parviennent pas à pénétrer réellement les milieux populaires, les autorités cherchent d’autres voies : la prise en charge de la déviance juvénile en est une, qui permet d’imposer une norme nationale et catholique. Il s’agit de surveiller et d’évangéliser ceux qui ont osé défier l’ordre social établi et s’éloigner de l’Église sous la Seconde République. L’ampleur de la surveillance et du contrôle sont à la mesure de la terreur qui s’est emparée des gens d’ordre et de l’Église catholique.
Notes de bas de page
1Regás R., « El pozo del miedo », Silva Barrera E., Pancho S., Esteban Recio M. S. A. et Castán Lanaspa J. (dir.), La memoria de los olvidados: un debate sobre el silencio de la represión franquista, Valladolid, Ámbito, 2004, p. 69-74.
2Pour un état de la question synthétique, que l’on reprend partiellement ici, voir Sánchez Recio G., « Dictadura franquista e historiografía del franquismo », Bulletin d’Histoire Contemporaine de l’Espagne, 2017, no 52, p. 71-82.
3Casanova J. (dir.), Morir, matar, sobrevivir: la violencia en la dictadura de Franco, Barcelone, Crítica, 2002 ; Espinosa Maestre F., La columna de la muerte: el avance del ejército franquista de Sevilla a Badajoz, Barcelone, Crítica, 2003.
4Acosta Bono G., El canal de los presos (1940-1962). Trabajos forzados: de la represión política a la explotación económica, Barcelone, Crítica, 2004 ; Molinero Ruiz C., Sala M., Sobrequés et Callicó J. (dir.), Una inmensa prisión: los campos de concentración y las prisiones durante la guerra civil y el franquismo, Barcelone, Crítica, 2003 ; Núñez Díaz-Balart M. (dir.), La gran represión: los años de plomo de la posguerra (1939-1948), Barcelone, Flor del Viento, 2009 ; Rodrigo J. (dir.), Cautivos: campos de concentración en la España franquista, 1936-1947, Barcelone, Crítica, 2005.
5Aróstegui J. (dir.), Franco, la represión como sistema, Barcelone, Flor del Viento, 2012.
6Casanova J. (dir.), Morir, matar, sobrevivir, op. cit., p. xi.
7González Duro E., El miedo en la posguerra. Franco y la España derrotada: la política del exterminio, Madrid, Oberón, 2003 ; Martín Jiménez I., La posguerra en Valladolid (1939-1950). La vida en gris, Valladolid, Ámbito, 2002 ; Sevillano Calero F., Exterminio: el terror con Franco, Madrid, Oberon, 2004 ; Vega Sombría S., La política del miedo. El papel de la represión en el franquismo, Barcelone, Crítica, 2011.
8Casanova J. (dir.), Cuarenta años con Franco, Barcelone, Crítica, 2015, p. 53.
9Le développement ci-dessous se fonde sur Marco J., « States of War: “Being Civilian” in 1940s Spain », Graham H. (dir.), Interrogating Francoism…, op. cit., p. 159-178.
10Casanova Julián, España partida en dos: breve historia de la guerra civil española, Barcelone, Crítica, 2022, p. 173.
11Preston P., El holocausto español: odio y exterminio en la Guerra Civil y después, Barcelone, Debate, 2011, p. xi.
12Juliá S., Víctimas de la Guerra Civil, Madrid, Temas de Hoy, 1999, p. 411 ; Espinosa Maestre F., « La represión franquista: un combate por la historia y la memoria », Espinosa Maestre F. (dir.), Violencia roja y azul: España, 1936-1950, Barcelone, Crítica, 2010, p. 17-80.
13Quiroga A. et Graham H., « After the Fear Was Over? What Came after Dictatorships in Spain, Greece and Portugal », Stone D. (dir.), The Oxford Handbook of Postwar European History, Oxford, OUP, 2012, p. 502-525.
14Graham H., « Writing Spain’s Twentieth century (in)to Europe », Graham H. (dir.), Interrogating Francoism…, op. cit., p. 17.
15Viñas A., « Natural Alliances: the Impact of Nazism and Fascism on Franco’s Domestic Policies », ibid.
16Canales Serrano A. F., Las otras derechas, Madrid, Marcial Pons, 2006 ; idem, « Las lógicas de la victoria. Modelos de funcionamiento político local bajo el primer franquismo », Historia social, 2006, no 56, p. 111-130.
17del Arco Blanco M. Á., Hambre de siglos: mundo rural y apoyos sociales del franquismo en Andalucía oriental (1936-1951), Grenade, Comares, 2007.
18Semelin J., « What is “Genocide”? », European Review of History, 2005, vol. 12, no 1, p. 81-89.
19Rodrigo J. (dir.), Cautivos, op. cit., p. 127-146 ; Gómez Bravo G. et Marco J. (dir.), La obra del miedo: violencia y sociedad en la España franquista (1936-1950), Barcelone, Península, 2011, p. 65-69, p. 269-291 ; Graham H., The War and its Shadow: Spain’s Civil War in Europe’s Long Twentieth Century, Brighton, Sussex Academic Press, 2012, p. 103-124.
20Dreyfus-Armand G., L’exil des républicains espagnols en France : de la guerre civile à la mort de Franco, Paris, Albin Michel, 2012.
21Aróstegui J. (dir.), Franco, la represión como sistema, op. cit.
22Anderson P., The Francoist Military Trials: Terror and Complicity, 1939-1945, Londres, Routledge, 2010, p. 63-119.
23Anderson P., ibid. ; Chaves Palacios J., Justicia militar y franquismo: radiografía de los consejos de guerra, Ediciones Ambroz, 2017.
24Préambule de la Ley de Responsabilidades Políticas du 09-02-1939, BOE, no 44, 13-02-1939, p. 824.
25Document datant du 12-02-1948, ATTMVal, dossier no 532/1947.
26Juan Negrín a dirigé le gouvernement républicain durant la guerre civile, de mai 1937 à mars 1939. Ibid., dossier no 490/1940.
27Déclaration de Ramón Zamorano Llorens, boulanger, datant du 30-08-1939, ibid.
28Ibid., dossier no 532/1948.
29Rapport datant de 1946, ATTMBcn, dossier no 5054b/1946.
30Preston P., El holocausto español: odio y exterminio en la Guerra Civil y después, Barcelone, Debate, 2011, p. 17.
31Le jeune « Michel Janicot del Castillo » est l’un d’entre eux. AAD.
32Préambule, Decreto de 23 de noviembre de 1940 sobre protección del Estado a los huérfanos de la Revolución Nacional y de la Guerra, BOE no 336, 01-12-1940.
33Document datant d’août 1943, ATTMBcn, dossier no 1179b/1942.
34Vilanova i Vila-Abadal F., « En el exilio: de los campos franceses al umbral de la deportación », Molinero C., Sala M. et Sobrequés J. (dir.), Una inmensa prisión…, op. cit., p. 82.
35AAD.
36Rapport datant du 10-02-1942, ATTMBcn, dossier no 19040/1942.
37Ibid., dossier no 8548b/1949.
38ATTMVal, dossier no 812/1938.
39Rapport de comparution datant de 1942, ATTMBcn, dossier no 1342b/1942.
40Álvarez Junco J. et Shubert A. (dir.), Nueva historia de la España contemporánea (1808-2018) op. cit., p. 187.
41Rapport de comparution datant du 04-09-1947, ATTVal, dossier no 493/1947.
42Rapport datant de 1959, ATTMBcn, dossier no 9793b/1950.
43Ibid., dossier no 1342b/1942.
44ATTMVal, dossier no 740/1944.
45Cenarro Lagunas Á., « La institucionalización del universo penitenciario franquista », Molinero C., Sala M. et Sobrequés J. (dir.), op. cit., p. 153-154.
46Document datant du 09-09-1944, ATTMVal, dossier no 740/1944.
47Les organisations concernées sont par exemple Action républicaine, la Confédération nationale du travail (CNT), l’Union générale des travailleurs (UGT), le Parti communiste (PCE), le Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM), le Parti socialiste unifié de Catalogne (PSUC), le Parti nationaliste basque, la Gauche catalane…
48Tribunal Tutelar de Menores de Madrid, Memoria, 31 de marzo de 1940, p. 31. Cité par Anderson P., The Age of Mass Child Removal in Spain, op. cit., p. 185.
49Agustí i Roca C., « “Golfillos de la calle”… », art. cit.
50Ràfols Yuste E., Verdú Guinot M. et Garcia Ràfols N., « Las instituciones de protección de menores y benéficas: centros de menores femeninos de Barcelona y provincia (1939-1959) », communication présentée au colloque Memorial democràtic. Polítiques publiques de la memòria, Barcelone, 10/2007.
51Jarne Mòdol A., « Niños “vergonzantes” y “pequeños rojos”: La población marginal infantil en la Cataluña interior del primer franquismo », Hispania Nova: Revista de historia contemporánea, 2004, no 4.
52Cenarro Lagunas Á., Los niños del Auxilio Social, Pozuelo de Alarcón, Espasa, 2009, p. 80.
53Casanova J., « Disremembering Francoism: What is at Stake in Spain’s Memory Wars? », Graham H. (dir.), Interrogating Francoism…, op. cit., p. 214.
54Álvarez Junco J. et Shubert A. (dir.), Nueva historia de la España contemporánea (1808-2018), op. cit., p. 195.
55Rapport datant du 16-07-1941, ATTMBcn, dossier no 17374/1941.
56Ibid., dossier no 3862b/1945.
57Rapport datant de 1946, ibid.
58Peter Anderson dresse le même constat pour le tribunal pour mineurs de Madrid durant l’immédiat après-guerre. Anderson P., The Age of Mass Child Removal in Spain, op. cit., p. 16.
59Rapport datant du 10-09-1946, ATTMBcn, dossier no 5533b/1946.
60Ibid., dossier no 7275b/1948.
61Lettre datant du 28-11-1945, ibid., dossier no 4729b/1945.
62Rapport datant de 1945, ibid., dossier no 4065b/1945.
63Cazorla Sánchez A., Fear and progress, op. cit., p. 293.
64Ley sobre represión de la masonería y del comunismo, BOE, no 62, 02-03-1940.
65Rapport datant de 1946, ATTMBcn, dossier no 4729b/1945.
66Rapport datant du 17-06-1946, ATTMVal, dossier no 646/1946.
67Ibid., dossier no 307/1939. Les volontaires de la Columna de Hierro, originaires de Valence, Sagunto, Alcoy, Segorbe et d’autres villes valenciennes, ont combattu sur le front de Teruel, en Aragon. On comptait environ 3 000 combattants réguliers.
68Rapport datant du 17-07-1947, ATTMBcn, dossier no 3575b/1944.
69Rapport datant du 15-05-1943, ibid., dossier no 1832b/1943.
70Rapport datant du 04-07-1940, ibid., dossier no 8136/1932.
71AAD.
72ATTMBcn, dossier no 8306b/1949.
73Ibid., dossier no 7437b/1948.
74Rapport datant de janvier 1955, ATTMVal, dossier no 759/1948.
75Rapport datant de 1946, ATTMBcn, dossier no 5054b/1946.
76ATTMVal, dossier no 307/1939.
77Rapport datant du 19-02-1943, ibid., dossier no 715/1939.
78Rapport datant du 10/0/4/1943, ATTMBcn, dossier no 1709b/1943.
79Richards M., Un tiempo de silencio…, op. cit., p. 51.
80Rapport datant du 27-04-1948, ATTMBcn, dossier no 7275b/1948.
81Rapport datant du 14-08-1947, ibid., dossier no 493/1947.
82Rapport datant du 11-03-1944, ibid., dossier no 2807b/1944.
83Cazorla Sánchez A., « Patria Mártir: los españoles, la nación y la guerra civil en el discurso ideológico del primer franquismo », Moreno Luzón J. (dir.), Construir España: nacionalismo español y procesos de nacionalización, Madrid, Centro de estudios políticos y constitucionales, 2007, p. 292.
84Rapport datant du 24-07-1946, ATTMVal, dossier no 733/1944.
85Rapport datant du 20-02-1947, ibid., dossier no 13/1941.
86Ryan L., « The Sins of the Father: The Destruction of the Republican Family in Franco’s Spain », The History of The Family, 2009, vol. 14, p. 245-252.
87Richards M., « Remembering Spain’s War: Violence, Social Change and Collective Identity since 1936 », Anderson P. et del Arco Blanco M. Á. (dir.), Mass Killings and Violence in Spain, 1936-1952: Grappling With the Past, Londres, Routledge, 2015, p. 195-209.
88Reig R., « Repertorios de la protesta: una revisión de la posición de los trabajadores durante el primer franquismo », Saz I. et Gómez Roda J. A., op. cit., p. 37.
89Saz I., « Trabajadores corrientes: obreros de fábrica en la Valencia de la posguerra », ibid., p. 33.
90Casanova J. (dir.), Cuarenta años con Franco, op. cit., p. 12.
91Font i Agulló J., « “Nosotros no nos cuidábamos de la política”: fuentes orales y actitudes políticas en el franquismo. El ejemplo de una zona rural, 1939-1959 », Historia social, 2004, no 49, p. 49-68.
92Cabana Iglesia A., « Realismo, conveniencia, providencia. Una indagación sobre las expresiones de adhesión al régimen de Franco (1940-1960) », Barrio Alonso Á. (dir.), Nuevos horizontes del pasado. Culturas políticas, identidades y formas de representación: actas del X Congreso de la Asociación de Historia Contemporáneas, Santander, Editorial de la Universidad de Cantabria, 2011, p. 73.
93Joly M., « Dire la guerre et les violences : femmes et récits pendant la guerre d’Espagne », Mélanges de la Casa de Velázquez, 2007, no 37-2, p. 199-220.
94Sevillano Calero F., Exterminio: el terror con Franco, Madrid, Oberón, 2004, p. 45.
95Cenarro Lagunas Á., Los niños del auxilio social, op. cit., p. 190-191.
96Anderson P., The Age of Mass Child Removal in Spain, op. cit., p. 12.
97Molinero C., Sala M. et Sobrequés i Callicó J. (dir.), op. cit., p. xx.
98Cazorla Sánchez A., Fear and progress, op. cit., p. 297.
99Rapport datant du 17-06-1946, ATTMVal, dossier no 646/1946.
100Rapport datant du 10-09-1946, ATTMBcn, dossier no 5533b/1946.
101Ibid., dossier no 1179b/1942.
102Anderson P., The Age of Mass Child Removal in Spain, op. cit., p. 193.
103Sanz Hoya J., « Fascismo después del fascismo. El proyecto falangista en los años cincuenta », del Arco Blanco M. Á. et Hernández Burgos C. (dir.), Esta es la España de Franco, op. cit., p. 161-186.
104Sanz Hoya J., « Fue el franquismo un régimen autoritario, conservador y tradicional? », Cardona F. A., Sanz J. et Xavier Andreu X. (dir.), Contra los lugares comunes: historia, memoria y nación en la España democrática, Madrid, Los Libros de la Catarata, 2022, p. 111.
105Rapport datant du 11-09-1943. ATTMBcn, dossier no 2301b/1943.
106ATTMVal, dossier no 106/1942.
107AAD.
108Rapport de comparution datant du 19-01-1951, ATTMVal, dossier no 517/1950.
109Ibid., dossier no 746/1939.
110Le constat vaut encore dans les années 1950. Saz I., España contra España: los nacionalismos franquistas, Madrid, Marcial Pons Historia, 2003.
111Anderson P., The Age of Mass Child Removal in Spain, op. cit., p. 161.
112Livre II, article 7 du décret du 2 juillet 1941.
113Casanova J., « Una dictadura de cuarenta años », Casanova J. (dir.), Morir, matar, sobrevivir, op. cit., p. 39.
114Di Febo G., « La Cruzada y la politización de lo sagrado. Un Caudillo providencial », Tusell J. (dir.), Fascismo y franquismo cara a cara: una perspectiva histórica, Madrid, Biblioteca Nueva, 2004, p. 83-97.
115Saz I., « Entre el nacionalcatolicismo y el fascismo. Las religiones del franquismo », art. cit.
116Cf. les différents ouvrages sur la question d’Ángela Cenarro Lagunas; « Beneficiencia y asistencia social en la España franquista: el Auxilio Social y las políticas del régimen », art. cit. ; La sonrisa de Falange, op. cit. ; Los niños del Auxilio Social, op. cit.
117Giménez C., Paracuellos : l’intégrale, Paris, Fluide glacial, 2009.
118Jiménez Aguilar F., « “No son unos comedores más”. Auxilio Social, biopolítica y hambre en el primer franquismo », del Arco Blanco M. Á. (dir.), Los « años del hambre »…, op. cit., p. 200.
119Rapport datant de 1949, ATTMBcn, dossier no 7411b/1948.
120Rapport de comparution du 05-01-1949, ATTMVal, dossier no 6/1949.
121AAD.
122Ibid.
123Ibid.
124Rapport datant de 1943, ATTMVal, dossier no 247/1942.
125Vinyes R. et Armengou M., Los niños perdidos del franquismo, Barcelone, Plaza & Janés, 2002 ; Vinyes R., Irredentas: las presas políticas y sus hijos en las cárceles de Franco, Madrid, Temas de Hoy, 2002.
126Decreto por el que se crea el Patronato Nacional de Presos y Penados de España, 26-07-1943, BOE, no 216, 04-08-1943 puis Ordonnance du 10-12-1945.
127Ministerio de Justicia, Crónica del Patronato Nacional de San Pabo (1943-1947), Madrid, 1948, p. 155.
128Cárceles españolas, Madrid, Oficina Informativa Española, 1948, p. 51.
129Vinyes R. et Armengou M., op. cit., p. 165.
130Orden de 8 de mayo por la que se dispone que los niños acogidos por el Patronato Nacional de Presos y Penados pasarán a depender de la Obra de Protección de Menores, BOE, no 133, 13-05-1946.
131Cárceles españolas, op. cit., p. 50.
132Ley fijando normas para la depuración de funcionarios públicos, 10-02-1939, BOE, no 45, 14-02-1939.
133Preston P., El holocausto español, op. cit., p. 618.
134ACSPM, carton no 907.
135Informe de las personas que componen el Tribunal Tutelar de Menores de Valencia, ibid., carton no 908.
136Document datant du 31-05-1939, ibid.
137Anderson P., The Age of Mass Child Removal in Spain, op. cit., p. 183.
138González Madrid D. A., Los hombres de la dictadura: personal político franquista en Castilla-La Mancha, 1939-1945, Ciudad Real, Almud, 2007.
139Anderson P., The Age of Mass Child Removal in Spain, op. cit., p. 183.
140Lettre datant du 07-03-1946, ATTMVal, dossier no 733/1944 ; ibid., dossier no 42/1941.
141Lettre du 20 juin 1940, ADIRCSVFgarçons.
142Lettre du 24 décembre 1941, ibid.
143Lettre datant du 15-10-1941, ATTMBcn, dossier no 13800/1938.
144Lettre datant du 11-12-1941, ibid.
145Lettre datant du 31-12-1946, ATTMVal, dossier no 70/1946.
146Ibid., dossier no 715/1939.
147Lettre datée du 07-09-1936, ibid.
148Lettres datant du 05-09-1936 et du 25-10-1939, ibid., dossier no 59/1936.
149Entretien avec P. Escalera Pelejero (02-06-2009).
150Entretien avec F. Castro Villena (07-11-2009).
151Entretien avec A. Rincón Rubio (05-11-2009).
152Entretien avec J. Soria Mor (20-06-2008).
153Ibid.
154Entretien avec V. Marques i Sanmiguel (09-11-2009).
155Casanova J. (dir.), Morir, matar, sobrevivir, op. cit., p. xx.
156Entretien avec M. del Castillo (03-06-2010).
157Cazorla Sánchez A., « Beyond “They Shall Not Pass”. How the Experience of Violence Reshaped Political Values in Franco’s Spain », Journal of Contemporary History, 2005, vol. 40, no 3, p. 508.
158Montero Moreno A., Historia de la persecución religiosa en España, 1936-1939, Madrid, La Editorial Católica, 1961, p. 762.
159Di Febo G., « De la victoria incondicional a la no reconciliación: el discurso de la propaganda (1937-1939) », Lorenzo Pinar F. J. (dir.), Tolerancia y fundamentalismos en la Historia. XVI Jornadas de Estudios Históricos, Salamanque, Ediciones Universidad de Salamanca, 2007, p. 253.
160Thomas M., « Twentieth-Century Catholicisms… », op. cit., p. 37.
161Roux E., Biografía del canónigo Carlos Fissiaux, fundador de la Congregación de San Pedro ad Víncula Padre E. Roux, S. P. ad V. ; traducida del francés por un padre de la misma congregación, Barcelone, 1958, p. 237.
162Bustillo M., Signados por el martirio, Barcelone, Claret, 2008, p. 11.
163Ibid., p. 5.
164González A. et Vives Aguilella J. A., Mártires amigonianos, Valence, Terciarios Capuchinos, 2001, p. 13.
165Thomas M., « Twentieth-Century Catholicisms… », op. cit., p. 40.
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