Chapitre IV. Entre les murs : le fonctionnement des maisons de redressement
p. 95-138
Texte intégral
1« Je peux m’en aller, maintenant ? Vous ne m’emmenez pas au commissariat ? Je vous promets de ne plus emmener de filles dans l’abri, je ne veux pas qu’on m’enferme à l’Asilo Durán, oh non, là-bas les gens deviennent des criminels et ils attrapent la vérole1 ». Le romancier Juan Marsé peint ici une image sombre des maisons de redressement, ces « bagnes d’enfants » aux mains de religieux omnipotents, et notamment de la plus sévère d’entre elles, l’Asilo Durán. Les religieux de la congrégation San Pedro Ad Víncula eux-mêmes reconnaissent que l’institution qu’ils dirigent est, pour les enfants barcelonais, pire que le Père Fouettard (« el Coco »). Mais les sources manquent pour cerner la réalité du fonctionnement de ces établissements. En effet, les dossiers personnels ne donnent guère d’informations à cet égard et, lorsqu’elles ont été conservées, les archives des congrégations religieuses livrent une vision fragmentaire et partiale de la vie quotidienne dans les établissements. Dans ce chapitre, nous tenterons malgré tout de franchir les murs des « institutions totales » que sont les maisons de redressement, c’est-à-dire « [des lieux] de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans une même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et rigoureusement réglées2 ». Dans cette perspective, il conviendra de voir sur quels préceptes la rééducation est fondée, comment la vie quotidienne est organisée (place du travail, de l’enseignement, de la religion, des loisirs…) et à quelles règles répond le régime disciplinaire. On cherchera notamment à savoir si le caractère dictatorial et réactionnaire du régime franquiste influe sur les méthodes employées. Les choix effectués par Gabriel María de Ybarra y de la Revilla au lendemain de la guerre civile, à rebours des tentatives républicaines visant à réformer les maisons de redressement dans un sens laïque et scientifique, permettent-ils effectivement de rééduquer les jeunes dangereux et en danger ? Nous verrons que l’étude de la marche quotidienne des institutions et de la façon dont on prétend « redresser » une fraction de la jeunesse offre, au-delà du discours officiel, un éclairage sur le fonctionnement réel du régime franquiste.
L’organisation des institutions
La population des deux maisons de redressement : effectifs et répartition
2Les pensionnaires de l’Asilo Durán sont répartis entre différentes sections en fonction de leur âge (« petits », « moyens » et « grands »), qui occupent chacune une partie différente du bâtiment situé dans la rue Vilana, sur les hauteurs de Barcelone, et n’entretiennent que des contacts très limités avec les autres. L’établissement barcelonais accueille un nombre considérable de mineurs : 560 en 1940, plus de 450 au cours de la décennie 1940 et jamais moins de 400 durant les années 19503. Au début de l’année 1950, Andrés ne peut être interné car il n’y a pas de place vacante4. Il faut attendre le milieu des années 1960 pour que les effectifs décroissent (310 individus en 1964, autour de 200 à la toute fin de la décennie). Au début des années 1970, la prise en charge se fait enfin de façon moins massive et indifférenciée : on compte alors entre 50 et 100 pensionnaires.
3La Colonia San Vicente Ferrer est quant à elle située à Burjassot, à une petite dizaine de kilomètres au nord-ouest du centre-ville de Valence. Elle est au service exclusif de la juridiction locale alors que l’Asilo Durán reçoit des mineurs envoyés par la mairie de Barcelone, le Gouverneur civil de la province ou des particuliers. La particularité de l’établissement valencien, qui en fait une exception en Espagne, est d’accueillir des mineurs des deux sexes : la section pour garçons, créée en 1923, est administrée par les Tertiaires capucins ; la direction et la gestion de la section pour filles, créée en 1929, sont confiées aux Tertiaires capucines. À la fin du mois de février 1942, la section pour garçons compte 123 pensionnaires – chiffre qui, de l’avis du directeur, excède les capacités réelles de l’établissement5. Les chiffres disponibles pour le reste de la période sont parcellaires. Sur une photographie de groupe datant de 1947, on compte par exemple quelque 150 pensionnaires. En 1961, la section est en mesure d’accueillir 150 mineurs6 mais à la toute fin de la période, cette capacité a été réduite à une centaine d’individus. De fait, en 1974, la section compte 55 pensionnaires seulement7.
Ill. 1. – Vue de la façade du bâtiment de la section pour garçons de la Colonia San Vicente Ferrer (1947).
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Reportage photographique portant sur le nouveau pavillon de la section pour garçons de la CSVF (9 février 1947). ACSPM, carton no 1037.
4Les sections masculine et féminine fonctionnent de manière indépendante mais sont néanmoins calquées sur le même modèle. Les pensionnaires ne sont pas répartis en fonction de leur âge, comme à l’Asilo Durán. Ils sont distribués entre trois groupes, correspondant au stade du séjour : le « groupe d’observation » (grupo de observación), le « groupe de redressement » (grupo de reforma) et le « groupe de liberté surveillée » (libertad vigilada)8. Pour les filles, un quatrième groupe accueille les mineures séjournant en « maisons de famille » (casas de familia). À leur arrivée, les mineurs sont théoriquement placés en observation. Pendant quatre mois, on étudie leur « état physique, moral et intellectuel », leur niveau d’instruction, leurs « tendances au vice » et leurs aptitudes. S’il apparaît que les raisons ayant conduit au délit sont conjoncturelles et que le milieu familial est bon, l’enfant ou l’adolescent est rendu à sa famille ; sinon, il est transféré dans la « section de redressement ». Dans la pratique, la procédure ne se déroule pas toujours de façon aussi rigoureuse. Marina, 15 ans, est provisoirement internée dans la section pour filles le 13 février 1948 car elle vagabondait sur le port de Valence ; son placement dans la section d’observation intervient ensuite, le 3 juin9. L’organisation de la section pour garçons évolue à la toute fin de la période lorsqu’est mise en place une division par âges : la « famille des enfants » regroupe les pensionnaires âgés de 10 et 11 ans ; celle des « adolescents » rassemble les garçons âgés de 12 et de 13 ans ; les pensionnaires ayant entre 14 et 16 ans font quant à eux partie de la « famille des jeunes10 ».
L’organisation du personnel de la Colonia San Vicente Ferrer11
5La règle en vigueur est que le personnel éducatif est composé de religieux pouvant être suppléés, de manière ponctuelle et exceptionnelle, par des laïcs. En 1942, la section pour garçons est encadrée par un directeur, un sous-directeur, un médecin, quatre « correcteurs » et deux « auxiliaires » laïcs, deux autres pouvant leur prêter main-forte de manière ponctuelle12. Même ainsi, ce ne sont que dix personnes au total qui s’occupent de plus de 120 pensionnaires. En octobre 1962, le directeur embauche provisoirement deux laïcs, dont les compétences sont limitées : si Roberto Cantos Segura est instituteur, Ernesto Ferrer Ferrer est titulaire du baccalauréat et étudie l’agronomie13. Chez les filles également, le niveau de formation du personnel éducatif est faible : le plus important paraît être « la connaissance de Notre Seigneur Jésus-Christ par l’intermédiaire des Évangiles, et notamment l’étude de son amour du prochain et de sa Charité14 ». De fait, la question de la formation du personnel n’est pas neuve et avait été particulièrement débattue et clivante au sein du Conseil supérieur de protection des mineurs dans les années 1920 et 1930. Les exigences contenues dans les textes normatifs sont limitées : avoir fourni la preuve que l’on a assisté à des cours de spécialisation (dont le contenu et le niveau ne sont pas précisés) pour le personnel de direction ; avoir fait montre de sa vocation et de son zèle pour le personnel éducatif. Aucune formation n’est prévue pour les délégués à la liberté surveillée. Ce n’est qu’au début des années 1970 que l’on commence mollement (« dans la mesure du possible ») à exiger des laïcs exerçant dans les maisons de redressement qu’ils aient « un titre pédagogique et une certaine maturité en tant qu’éducateurs15 ».
6Selon les informations dont nous disposons, quatre « correctrices » (correctoras), un surveillant de nuit et une concierge travaillent dans la section pour filles de la CSVF au début des années 1940. Tous sont placés sous l’autorité de la directrice, Amparo Rodríguez Estellés, et de la sous-directrice, Elisa Gallego16. La première est chargée de l’organisation générale de l’établissement, va régulièrement dans les trois foyers de semi-liberté dépendant de la CSVF et rend visite aux mineures placées en liberté surveillée. Elle se présente comme une mère de substitution, veillant à ce que les pensionnaires remplissent leurs devoirs moraux et religieux, et dispensant des conseils à propos de leurs « fréquentations », du mariage et de la vie matrimoniale. Le dimanche, elle accueille les anciennes pensionnaires désireuses de garder un lien avec l’établissement. Quant aux « demoiselles » (señoritas) placées à la tête d’un foyer de semi-liberté, elles sont tout à la fois chargées de surveiller et d’éduquer les jeunes filles en entretenant la formation acquise durant le séjour en maison de redressement17. Mais l’aspect sur lequel les textes réglementaires insistent le plus est la religion : tous les jours, les « demoiselles » doivent commenter un « texte formateur » avec les jeunes filles et diriger les prières du matin, celles du soir, les bénédictions et les actions de grâces, avant et après le repas ; elles doivent lire le rosaire avec les pensionnaires ; commenter les Évangiles le samedi, accompagner les mineures à la messe le dimanche…
7Ces éducatrices qui n’en sont pas au sens strict (la profession n’est pas encore structurée) jouent le rôle de maîtresses de maison parfaites et à la moralité irréprochable, dont les mineures sont censées s’inspirer. En adéquation avec l’archétype féminin traditionnel promu par le franquisme, elles doivent avoir une mise correcte, être économes, aimer les travaux domestiques, vouvoyer leurs collègues et parler en castillan, non en valencien. Elles encadrent une équipe de pensionnaires dont elles partagent le gîte et le couvert, à la façon d’une mère de famille ou d’une grande sœur. Les « demoiselles » se trouvent de fait dans une situation proche de celle des pensionnaires, comme l’a montré Anne Thomazeau pour les éducatrices exerçant dans des internats de rééducation pour filles en France18. Elles n’ont qu’une journée libre par semaine et leur emploi du temps est très rempli : accompagnement des mineures à la messe et au petit-déjeuner, formation professionnelle (reprisage, travaux manuels), cours de solfège, de chant, de danses régionales et de gymnastique rythmique… Ce n’est qu’après s’être rendues au réfectoire avec leur groupe qu’elles peuvent dîner et se reposer. Comme les pensionnaires, les « demoiselles » sont soumises à un contrôle très strict de leur hiérarchie. Elles ne peuvent par exemple choisir elles-mêmes le lieu de la promenade ou donner des conseils de lecture de leur propre chef. Elles doivent se contenter de soumettre à la directrice des suggestions « concernant le bien physique, moral et religieux des mineures ». Mais la nécessité de rappeler dans les textes réglementaires l’obéissance attendue vis-à-vis de la direction indique probablement que le personnel des foyers de semi-liberté, tous situés à une dizaine de kilomètres de l’institution, prend dans les faits un certain nombre d’initiatives. Reste qu’on peut en définitive se demander si des éducatrices quasi enfermées dans un monde presque exclusivement féminin et tenues dans une situation proche des élèves peuvent rééduquer les mineures et les préparer à s’insérer dans la société. Les contraintes professionnelles sont en effet telles que la totalité des « demoiselles » sont célibataires (« de vieilles filles », selon Pilar Escalera Pelejero19), jouant ainsi le rôle paradoxal de mères vierges.
« Modeler les esprits, forger les âmes20 » : les principes et les modalités de la rééducation
Le travail, le premier pôle de la rééducation
8En 1975, selon son directeur, la Colonia San Vicente Ferrer a pour but de « redresser » les jeunes dangereux et en danger en leur inculquant « un bon bagage de principes moraux, d’école, de santé, de formation professionnelle et de sport », qui leur permettra de s’intégrer à la société, d’être des personnes honnêtes et des citoyens patriotes21. De fait, toutes les archives dont on dispose montrent que la rééducation des pensionnaires tourne autour de « deux pôles, la Religion et le Travail22 », sans évolution fondamentale au cours de la période franquiste. On considère que le travail a deux vertus : il permet aux mineurs d’oublier leur « passé irrégulier » mais aussi de produire des citoyens actifs, intégrés et méritants grâce à l’apprentissage d’un métier23. La période d’observation permet au personnel de détecter les pensionnaires qui n’auraient pas d’aptitudes manuelles : Virgilio et José Juan sont ainsi envoyés en cuisine24, Vicenta est placée comme domestique25. En 1946, la section pour garçons de la CSVF dispose de deux ateliers (fabrication d’espadrilles et menuiserie) ; d’autres sont progressivement mis en place comme la mécanique en 195026, la serrurerie et l’ajustage en 196427. Les filles apprennent quant à elles à coudre, à tricoter, à repriser ou à taper à la machine. Silvia est une élève appliquée ; elle fait beaucoup d’efforts pour pouvoir accéder à la section de dactylographie, qui l’attire beaucoup et représente une forme de progression professionnelle28. Les mineures peuvent également travailler comme femmes de ménage ou domestiques. Le partage des tâches entre filles et garçons, reflétant la répartition traditionnelle des rôles de genre, est institué dans le fonctionnement même de l’établissement : les membres de la section féminine lavent et repassent le linge des membres de la section masculine. À l’Asilo Durán, au début des années 1950, les pensionnaires travaillent six heures par jour dans les cinq ateliers que compte l’institution : transformation de matières plastiques, rempaillage de chaises, métallurgie, imprimerie et menuiserie. Les conditions de travail sont parfois difficiles et dangereuses : José Antonio Bosch Hernández a un jour été brûlé au front, à la poitrine et au pied par du métal en fusion ayant jailli d’un creuset29. Alors que les textes réglementaires indiquent que les pensionnaires de maison de redressement ne peuvent en aucun cas être utilisés à des fins commerciales30, Alejandro Figueras Onofre juge qu’il a été « exploité » dans les ateliers de l’Asilo Durán31. Felipe Ferré Ignacio, qui a fréquenté l’établissement en 1958-1959, estime que les religieux profitaient du travail accompli par les pensionnaires32. De fait, les pensionnaires constituent un réservoir de main-d’œuvre bon marché. Le contrat signé en 1959 entre la direction de la CSVF et un entrepreneur en menuiserie stipule que celui-ci doit verser une petite somme d’argent aux mineurs, destinée à stimuler l’ardeur au travail et le sens de l’épargne : il s’agit d’un pourboire plus que d’un salaire. Pour cinq heures de travail, les « apprentis » touchent cinq pesetas par jour et les « aspirants », deux pesetas ; les pensionnaires « stagiaires », eux, travaillent gratuitement.
9Si le travail est un principe cardinal de la philosophie éducative, la réalité des faits montre que les moyens mis en œuvre ne sont pas à la hauteur des ambitions. Après la guerre civile, tous les pensionnaires ne reçoivent pas de formation professionnelle. Certaines maisons de redressement ne disposent d’aucun atelier, comme celle de Las Palmas (Canaries), dont le directeur estime que se contenter d’inculquer au « petit délinquant analphabète » des rudiments de culture générale sans lui apprendre un métier, c’est accepter d’en faire « un futur délinquant éclairé33 ». Juste après la guerre civile, le directeur de la section pour garçons de la CSVF ne cesse de se plaindre du fait que son établissement ne dispose d’aucun atelier, l’Armée de l’air occupant encore une partie des locaux34. Dans ces conditions et étant donné que le nombre de pensionnaires est trop élevé, le directeur n’hésite pas à prononcer des sorties anticipées comme celle de José, le 22 mai 1941, interné seulement onze jours plus tôt pour avoir volé sept poules et un lapin chez un particulier35. Il est convaincu du caractère pernicieux de l’inactivité et de l’ennui induits par l’absence de formation professionnelle : pour lui, c’est là qu’il faut chercher la cause de la fugue, en mai 1940, de plusieurs pensionnaires de confiance qui avaient pourtant de « l’affection pour l’École36 ». Dans les années qui suivent, plusieurs partenariats sont établis, avec un fabricant de céramique par exemple, mais en mai 1975, la direction de l’établissement parle encore de « mise en marche de la formation professionnelle37 ». La CSVF n’est pas la seule maison de redressement dans ce cas : au milieu des années 1960, il n’y a toujours pas d’ateliers dans tous les établissements ; on ne laisse pas les pensionnaires choisir un métier à leur goût ou offrant de réels débouchés, les filières étant très peu diversifiées38. La formation professionnelle fonctionne donc mal, signe de l’incapacité des autorités à mettre en application un principe pourtant essentiel de la théorie rééducative.
Ill. 2. – Atelier de menuiserie de la Colonia San Vicente Ferrer (1947).
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La centralité de la religion
10Pour les autorités, le mineur dévié du droit chemin est une cire molle qui doit être endurcie moralement et corrigée chrétiennement. On cherche à le modeler selon une norme propre à le rendre acceptable par la société de la « Nouvelle Espagne » ; il faut lui en inculquer le style et le sens catholiques. Par conséquent, la vie quotidienne de la maison de redressement s’organise autour de la religion : symboliquement, le Sacré-Cœur de Jésus trônant dans le bureau du directeur constitue « le cœur vital » de la CSVF39. Les célébrations religieuses sont les moments forts de la vie collective : fêtes en l’honneur de la patronne de Valence, Nuestra Señora de los Desamparados, de San Vicente Ferrer, de Marie Madeleine, Semaine sainte, fête du Corpus Christi et, bien sûr, Noël40. Pas de manifestation officielle sans bénédiction religieuse : célébrations politiques, patriotiques et catholiques sont toujours mêlées. L’inauguration du nouveau pavillon de l’Asilo Durán, le 24 juin 1951, prévoit ainsi une messe et la communion à 7 h 30, une bénédiction du nouveau bâtiment à 12 h 30, les vêpres et les mâtines à 16 heures, le rosaire et une autre bénédiction à 17 h 3041.
11Les cours de religion sont omniprésents : pour Josep Soria Mor, « il ne servait à rien d’être un génie en mathématiques42 ». Les pensionnaires de la section pour filles de la CSVF doivent suivre des leçons de catéchisme, des cours « d’histoire sacrée », des commentaires de textes « d’éducation morale et sociale », apprendre les éléments essentiels de la liturgie, des chants religieux, assister à la messe43. La place de la religion catholique dans le déroulement des activités quotidiennes et les préoccupations du personnel est telle que l’un des objectifs prioritaires du « redressement » paraît être la conversion des pensionnaires, au-delà de toute considération éducative. On attend en effet de ces derniers qu’ils intègrent des habitudes et des convictions auxquelles beaucoup sont au départ étrangers. Teresa, 14 ans, n’a eu aucune pratique religieuse mais c’est le cas de « la majorité des filles qui viennent d’arriver44 ». On ne voit pas souvent les parents d’Eulalia à l’église du village de Vinalesa, dans les environs de Valence45. Dans ces conditions, le séjour en maison de redressement, dont la durée dépend légalement du bon vouloir des autorités (il ne s’achève que lorsque l’on considère que le mineur est effectivement « redressé » ou n’a plus besoin d’être « protégé »), est une occasion rêvée pour les congrégations religieuses de façonner les âmes d’un public captif. Il s’agit d’ancrer assez profondément les nouveaux schèmes de comportement pour qu’ils perdurent une fois l’enfant ou l’adolescent revenu chez lui. On rejoint ici la pensée médicale et raciste d’Antonio Vallejo Nágera, un psychiatre renommé, antidémocrate et anticommuniste qui pense que la « race » doit être régénérée par le biais de la morale et des bonnes mœurs, beaucoup plus que par une sélection biologique46. La pression morale, l’organisation familiale, une société chargée de « valeurs morales élevées », dont l’éducation est contrôlée par l’Église catholique, suffisent pour que chaque groupe social s’élève moralement et donne le meilleur de lui-même. Pour ce faire, l’individu doit être « continuellement submergé dans une atmosphère saturée de moralité, dans une grande tension éthique, afin que ses émanations s’incrustent dans le “phénotype” et se transforment en forces instinctives susceptibles de se transmettre de manière héréditaire ». Théoriquement, l’assistance à la messe quotidienne, la pratique de la confession et de la communion sont laissées à l’appréciation des pensionnaires47. On peut cependant douter que des mineurs puissent refuser de manière réitérée de se rendre à la messe tant l’entreprise de conversion est systématique. Un « bulletin mensuel » est par exemple remis aux jeunes filles pour que celles-ci indiquent si elles ont bien accompli tous les actes de piété personnelle que l’on attend d’elles (« prières et méditation du matin, Sainte Messe, communion, lecture spirituelle, visite au Très Saint, rosaire, prières et méditation du soir, examen particulier ») et obéi aux exigences de « mortification, pauvreté, chasteté, obéissance, charité fraternelle, obligations, travail, étude, apostolat, silence, modestie, confession, retraite spirituelle…48 ». Le personnel religieux fait tout pour baptiser les pensionnaires ou leur faire faire la première communion49. Les cas sont en effet nombreux de mineurs qui ont reçu leur baptême pendant leur séjour à l’Asilo Durán ou à la CSVF, ou y ont fait leur première communion. Faute d’informations suffisantes fournies au préalable par le tribunal pour mineurs de Valence, il est d’ailleurs arrivé que l’on donne le baptême à des pensionnaires qui l’avaient en fait déjà reçu50.
12Les dossiers personnels ne permettent pas de réaliser une étude sérielle qui permettrait d’évaluer si les pensionnaires de l’Asilo Durán et de la CSVF ont majoritairement intégré les normes catholiques que l’on cherche à leur inculquer. Quelques cas émergent qui montrent que les efforts du personnel religieux ont pu être couronnés de succès. Ainsi Rafael, fils d’un républicain fusillé à Madrid, continue à « pratiquer les sacrements » après son séjour à l’Asilo Durán, entre 1947 et 195551. Si le cas de Juan doit correspondre au souhait le plus cher des religieux de la congrégation San Pedro Ad Víncula (il décide en novembre 1949 d’entrer au séminaire de Tiana, dans le Maresme), il est isolé52. Mais l’omniprésence de la religion dans le quotidien des pensionnaires ne fait pas forcément de ceux-ci des pratiquants convaincus : en avril 1968, la piété d’Agustín, interné à l’Asilo Durán un an plus tôt, est jugée « routinière et médiocre53 » ; María dénigre ouvertement la religion devant ses camarades54 ; Antonio, interné à la CSVF en janvier 1953, va très peu à la messe et quand c’est le cas, il s’ennuie ostensiblement et ses lèvres se ferment au moment de la prière. En juin 1954, le directeur confie qu’il n’espère plus d’amélioration « sauf si Dieu intervient expressément55 ». Mais pour parodier la pensée de Fissiaux, fondateur de la congrégation Saint-Pierre-ès-Liens, « un jeune que l’on redresse », c’est en quelque sorte « plusieurs générations que l’on sauve ». À travers la jeune fille pécheresse et à travers le jeune garçon chapardeur, il s’agit d’évangéliser et de conquérir des milieux ouvriers dont la guerre civile a montré qu’ils n’étaient décidément pas acquis à la cause de l’Église et du conservatisme. On met ici le doigt sur l’une des spécificités profondes de la prise en charge de la déviance juvénile sous le franquisme, à savoir la collaboration étroite entre le Conseil supérieur de protection des mineurs et les congrégations religieuses. Le « Nouvel État » a suivi un axe idéologique fondamental : « espagnol » veut nécessairement dire « catholique ». Pour Antonio Vallejo Nágera, le manque de foi religieuse et de sentiment patriotique ne constitue-t-il pas la cause fondamentale de la délinquance et du désordre social56 ?
Ill. 3. – Chapelle de l’Asilo Durán (1952).
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L’enseignement et les loisirs : la portion congrue
13Une enquête ordonnée par le Conseil supérieur de protection des mineurs en 1947 montre que l’enseignement n’est alors pas dispensé de manière satisfaisante dans les maisons de redressement : les professeurs ne sont pas toujours qualifiés ; dans les établissements pour filles, les personnes chargées de faire cours n’ont parfois aucune formation scientifique ou pédagogique57. C’est dans le sillage de cette enquête qu’une ordonnance ministérielle est adoptée58. Désormais, les écoles dépendant du CSPM passent sous la tutelle du ministère de l’Éducation, qui fournira des instituteurs destinés à remplacer les religieux. Mais l’application de la loi est lente : en 1964, ce sont toujours des religieux qui font la classe aux pensionnaires de la section pour garçons de la Colonia San Vicente Ferrer59. À la toute fin de la période, la situation évolue enfin. En 1974, quatre classes sont créées dans la section pour garçons et deux dans la section pour filles, dans lesquelles enseignent des fonctionnaires60.
14À l’Asilo Durán en 1952, les pensionnaires vont en classe seulement 2 h 30 par jour61. En 1974, les garçons de la CSVF âgés de plus de 14 ans, et que la loi autorise à travailler, vont en classe soit de 13 à 15 heures, soit 18 h 30 à 20 heures. Pour les pensionnaires de la section pour filles, les heures de classe alternent avec les heures passées à l’atelier, mais elles ne constituent pas l’essentiel des activités.
Tableau 3. – Déroulement de la journée des pensionnaires de la section pour filles de la Colonia San Vicente Ferrer (1956).
Horaires | Activités |
7 h 30 | Lever et toilette |
8 h | Messe |
8 h 45 | Petit-déjeuner |
9 h 15 | Mise en ordre des dortoirs |
9 h 30 | Atelier ou classe ; d’autres pensionnaires font le ménage |
12 h | Fin de la classe, début du travail à l’atelier |
13 h 45 | Fin du travail à l’atelier, récréation |
14 h | Déjeuner puis récréation ou repos, selon la saison |
15 h 45 | Toilette personnelle puis début du travail à l’atelier/de la classe |
17 h 45 | Goûter et récréation dans le parc |
18 h 15 | Atelier ou classe ; prière du rosaire |
20 h | « Visite du Très Saint » et bénédiction |
20 h 30 | Dîner et récréation (en été) |
21 h 30 | Coucher |
« Descripción, situación, organización, personal y resultados de la Escuela de Reforma de Burjassot. Sección Niñas », avril 1956, ATTMVal, carton no 577.
15L’enseignement dispensé aux pensionnaires est d’un niveau élémentaire62 : « j’ai appris un peu à lire, mais pas beaucoup63 » ; « tout ce qui était enseigné, je le connaissais déjà ; c’était de l’enseignement primaire64 ». Si les mineurs analphabètes ou ne sachant pas compter peuvent, au cours du séjour, apprendre à lire et à acquérir des notions d’arithmétique, le niveau scolaire moyen est très bas. Vicenç Marques i Sanmiguel, qui passe 15 jours à l’Asilo Durán durant l’été 1959, affirme que les cours se limitaient à l’enseignement de la lecture et des nombres65. L’enseignement n’est clairement pas une priorité : les moyens mis en œuvre sont insuffisants et la volonté politique manque. Dans ce contexte, il n’est pas rare de voir des pensionnaires faire eux-mêmes cours à leurs camarades. Quand il arrive à l’Asilo Durán, en 1958, Felipe Ferre Ignacio a toujours été scolarisé et a donc « presque le niveau scolaire le plus élevé ». Il n’a que 12 ans mais il lui arrive de faire la classe à des pensionnaires presque majeurs, qui ne savent toujours pas lire : « Ça, c’est un A. Ça, c’est un B. P et A font “pa”, M et A font “ma”66 ». Michel del Castillo lit très souvent pendant son séjour ; Dostoïevski et Gogol sont suspects aux yeux des religieux, mais on exploite les capacités de ce pensionnaire si cultivé. « Je lisais en classe le matin, pendant que les autres gamins ânonnaient quelques syllabes. Ils sortaient aussi ignorants qu’ils étaient entrés67 ». Le fait de pallier le manque de personnel éducatif en déléguant certaines heures d’enseignement à des pensionnaires plus instruits que la moyenne n’est pas un épiphénomène : dès son arrivée à l’Asilo Durán, on consigne sur la fiche personnelle de Luis que ce dernier « est compétent pour assurer l’enseignement primaire68 ».
Ill. 4. – Sortie des pensionnaires au Tibidabo, entre 1957 et 1959 (photographie prêtée par Agustín Rincón Rubio).
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16L’essentiel des loisirs semble se résumer au sport. Dans le discours officiel, l’éducation physique est considérée comme un puissant moyen de fortifier la jeunesse, de cultiver une hygiène physique et morale, de domestiquer les comportements. Mais dans les faits, peu de temps est consacré aux activités physiques et récréatives, comme le montre l’emploi du temps de la Colonia San Vicente Ferrer présenté plus haut. À l’Asilo Durán, les témoins ont le souvenir d’avoir participé à des courses à pied ou joué au football. La maison de redressement barcelonaise avait même sa propre équipe de football, dans laquelle Agustín Rincón Rubio jouait comme défenseur. Cette équipe participait à un championnat mais jouait toujours à domicile car les pensionnaires n’avaient pas le droit de quitter l’établissement. Même un loisir nécessitant peu d’investissements comme la lecture n’est pas très répandu. Les pensionnaires de la section pour filles de la CSVF n’ont pas le droit de lire que le dimanche et les jours fériés, et seulement des lectures « autorisées », tirées de la bibliothèque de l’école69. Par ailleurs, les sorties de l’établissement sont peu nombreuses. À la fin des années 1950, Felipe Ferre Ignacio n’est sorti qu’une seule fois de l’établissement, à l’occasion d’une excursion organisée à Las Planas, au nord de Barcelone70. Agustin Rincón Rubio, pourtant interné à l’Asilo Durán à la même période, affirme pour sa part s’être rendu plusieurs fois au Tibidabo, à l’occasion de la fête du Sagrado Corazón de Jesús (cf. ci-contre)71.
Redresser les corps
Le corps encadré
17On sait, depuis Michel Foucault, que le corps est un des éléments centraux et récurrents des tentatives d’objectivation et de contrôle des déviances. Les établissements de redressement font partie de cet « ordre disciplinaire » dans lequel le pouvoir consiste en « une prise exhaustive du corps, des gestes, du temps, du comportement de l’individu72 ». Encadré, discipliné, réprouvé dans sa dimension charnelle est sexuelle, le corps est un extraordinaire objet de contrôle, de contrainte et de discipline d’une population déviante, en même temps qu’il est l’instrument d’un programme de normalisation. Erwin Goffman a qualifié de « techniques de mortification » les humiliations, les dégradations et la profanation de la personnalité subies par les « reclus » à leur arrivée dans une « institution totale », comme par exemple la coupe des cheveux et le port de l’uniforme. On coupe en général les cheveux des enfants et des adolescents lorsque ceux-ci entrent dans la maison de redressement : tête rasée pour les garçons, coupe au carré ou au bol pour les filles. « On nous rasait la tête à tous, je m’en souviens, dès l’arrivée. Ils te faisaient une coupe en brosse, ou même plus courte encore73 ». Les raisons d’hygiène viennent ici renforcer la volonté de nivellement et d’uniformisation. Dans les années 1940, Michel del Castillo affirme que par la suite, lorsque les cheveux repoussaient, une hiérarchie s’établissait entre les pensionnaires tondus régulièrement et les « kapos » qui, eux, gardaient leurs cheveux74. Les entretiens tendent à montrer que la pratique systématique et régulière de la coupe des cheveux à ras à l’entrée dans la maison de redressement reflue évolue à la fin des années 1950 : dans un contexte d’évolution et de modernisation relative, les maisons de redressement espagnoles se débarrassent progressivement de leurs oripeaux pénitentiaires.
18Si l’uniforme peut servir à manifester l’attachement au groupe et la séparation par rapport au commun, le manque de moyens et la pénurie généralisée ont dans le cas des maisons de redressement espagnoles une traduction concrète : les pensionnaires ne portent pas tous un uniforme, ou alors une tenue grossière, mal taillée et informe, qui ne signe absolument pas la splendeur du « Nouvel État » ou la puissance retrouvée de l’Église catholique. Sur les photographies d’identité agrafées à 62 dossiers personnels de l’Asilo Durán, qui datent toutes des années 1939-1946, la moitié des pensionnaires portent une tenue similaire, faite d’une épaisse veste taillée dans une toile grossière et sombre, avec un col et de gros boutons, de couleur foncée. Tous les témoins qui ont été internés dans cette institution dans les années 1950 s’accordent à dire le port de l’uniforme ne leur pas été imposé. « J’ai dû changer de vêtements en arrivant. On m’en a donné d’autres, qui étaient vieux, pour pouvoir travailler ; on attachait le pantalon avec un cordon75 ». « On n’a jamais porté d’uniforme. Ils te donnaient des vêtements normaux, pour travailler. Les beaux habits étaient pour le dimanche76 ». Viçenc Marqués Sanmiguel affirme qu’à l’Asilo Durán, il portait des « vêtements normaux et vieux » et non un uniforme comme celui des écoles catholiques qu’il avait fréquentées (un pantalon et un haut rayé, flanqué d’un écusson portant les initiales « CM », pour « Colegio de María »). L’Asilo Durán constitue donc une exception car jusqu’au milieu des années 1960, le port de l’uniforme est la norme dans de nombreuses institutions même si cette dernière commence à être décriée en raison de la massification qu’elle entraîne77.
19Le « redressement » des corps des pensionnaires passe par la régularité et l’uniformité des activités imposées. Les journées se suivent et se ressemblent : tous les jours de la semaine, sauf le dimanche, sont organisés sur un modèle identique, ne laissant que très peu de place à l’improvisation. Felipe Ferre Ignacio raconte : « se lever, faire le lit, petit-déjeuner, courir un peu dans la cour, travailler. Manger, s’amuser un peu, travailler. Puis un peu de récréation, et la classe. C’était une routine78 ». Pendant 14 heures, entre le lever et le coucher, le programme de la journée des pensionnaires de la section pour filles de la CSVF est minutieusement réglé. Le temps est partagé entre la classe, le travail, la prière et le repos. À grand renfort d’activités harassantes, il s’agit de mater les corps afin de mieux dominer les esprits indisciplinés. La toilette est collective et minutée. L’habillage et le déshabillage se font en commun et doivent être tout à la fois décents et rapides : un corps dénudé ne doit pas être exposé trop longtemps à la vue des autres79. On réglemente jusqu’à la façon de dormir : Michel del Castillo raconte que les surveillants tenaient absolument à ce que les pensionnaires gardent les bras de long du corps durant leur sommeil. « Je me souviens d’un copain ; c’était un hiver, il avait froid, il avait mis les mains sous la couverture ; et là le religieux l’a tirée d’un seul coup, parce qu’avoir les mains sous les couvertures pouvait être un signe du fait qu’on les avait là où il ne fallait pas80 ».
Ill. 6. – Vue d’un dortoir de la section pour garçons de la CSVF (1947).
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Reportage photographique portant sur le nouveau pavillon de la section pour garçons de la CSVF (9 février 1947). ACSPM, carton no 1037.
Le corps discipliné
20Entre les murs de la maison de redressement, le règlement intérieur, ensemble de prescriptions et d’interdictions fixant les principales exigences auxquelles le reclus doit plier sa conduite, devrait théoriquement tenir une place essentielle. Pourtant, il est absent des archives consultées : nous disposons d’un seul texte, relatif à la section pour filles de la Colonia San Vicente Ferrer. Ce « silence disciplinaire » n’est pas seulement lié aux contraintes documentaires : il est la manifestation du peu de cas que l’Œuvre de protection des mineurs et le ministère de la Justice font du sort des jeunes dangereux et en danger. Durant la décennie 1960, le Conseil supérieur de protection des mineurs exige toujours que chaque maison de redressement soit dotée d’un règlement intérieur ; la réitération de cette consigne montre qu’elle n’est pas respectée partout. À Valence par exemple, il faut attendre le mois de septembre 1966 pour que figure, pour la première fois, l’obligation de rédiger un règlement intérieur dans le contrat signé entre le président du tribunal pour mineurs et le supérieur provincial de la congrégation des Tertiaires capucins. Pendant une bonne partie de la période, le fait d’avoir enfermé les jeunes dangereux et en danger, de les avoir isolés de leur milieu familial et « neutralisés » semble suffire : on laisse les congrégations religieuses encadrer et discipliner les jeunes comme elles l’entendent, en faisant confiance au savoir-faire traditionnel de l’Église dans ce domaine.
Récompenser
21L’exemplaire du règlement intérieur de la section pour filles de la CSVF dont nous disposons prévoit un système de notes pour évaluer la conduite des pensionnaires : chaque semaine, le personnel calcule la moyenne obtenue dans trois domaines : la conduite, le travail et l’application. « Chaque demoiselle avait un livret. Si tu ne voulais pas travailler ou étudier, elle te mettait une mauvaise note81 ». Les récompenses sont ensuite de plusieurs types : octrois de « bons » (vales), autorisation de quitter temporairement la maison de redressement, le dimanche par exemple, ou pour partir en excursion (« ça, c’était une sacrée récompense, parce qu’aller à Valence et voir des garçons…82 »). À la fin de la période étudiée, les séjours au sein des familles sont plus fréquents et plus longs : en juin et en décembre 1969, le directeur de la section pour garçons de la CSVF Ferrer transmet à son supérieur, le président du tribunal, la liste des pensionnaires méritant d’aller passer les vacances d’été et de Noël chez leurs parents83. On récompense aussi les pensionnaires en leur octroyant des responsabilités : on parle de « postes de confiance » (puestos ou cargos de confianza). En 1940, Rafael est « sous-chef de la zone numéro 5 des jardins » et chargé du dortoir numéro 6, dans lequel dorment trois pensionnaires ; on l’envoie aussi faire des commissions à l’extérieur84. La direction de l’établissement cherche ainsi à pallier le manque de personnel : presque tous les mineurs du contingent de 1942 occupent des « postes de confiance ». Ainsi, en février 1940, Ángel est à la tête des dortoirs numéros 7 et 8, « où il remplit avec efficacité la fonction de correcteur85 » ; les pensionnaires font office de concierge, prêtent main-forte à l’infirmerie ou accomplissent des tâches administratives dans les bureaux de l’institution.
Punir
22Les pensionnaires sont soumis à un large éventail de punitions, plus ou moins sévères, normées ou non. En cas d’infraction bénigne, le personnel délivre des remarques ou des conseils considérés comme « affectueux ». C’est de cette manière que les éducatrices ont tenté de faire évoluer le comportement de Pilar, qui n’avait pas de tendance au vice mais était paresseuse et avait une forte personnalité86. Le système de notation décrit dans le règlement intérieur de la section pour filles de la CSVF sanctionne des comportements incorrects mais peu graves : Sara a eu de mauvaises notes car elle a désobéi et s’est montrée paresseuse87. On prive également les pensionnaires de choses auxquelles ils tiennent comme la récréation, le dîner, la promenade ou l’entrevue dominicale avec leur famille. Ce type de punition, sévère dans la mesure où les pensionnaires n’ont le droit de voir leur famille qu’une fois par mois, tend à s’adoucir au fil de la période : en mars 1953, la visite dominicale des parents de Ramón est écourtée, et non supprimée88. Le règlement intérieur de la section pour filles de la CSVF prescrit que les manifestations de désordre et d’indiscipline dans l’établissement doivent être « punies avec sévérité » mais sans que ces sanctions sévères soient détaillées89. Une assez grande latitude est donc laissée au personnel éducatif même si celui-ci n’a théoriquement pas le droit d’insulter ou de frapper les pensionnaires90. Les témoins affirment que les punitions en vigueur à l’Asilo Durán consistaient à aller au piquet (en classe ou dans la cour), à rester les bras en croix, des livres dans chaque main91, à manger à genoux dans le réfectoire, face aux autres congénères.
23En cas de faute très grave, on rase la tête du pensionnaire : ainsi distingué des autres, le fauteur arbore le poids de sa faute pendant plusieurs semaines. Pilar Escalera Pelejero raconte qu’en cas de fugue ou après avoir passé plusieurs jours en compagnie d’un garçon, la pensionnaire voyait ses cheveux entièrement rasés par l’infirmière, devant toutes ses camarades : « elle avait ensuite le crâne rose comme la paume de la main92 ». Aussi dure qu’elle soit, cette punition n’est cependant pas toujours efficace. Manuela est indisciplinée, insolente et rebelle, et même considérée par la directrice comme un cas désespéré. Elle a écopé de plusieurs punitions avant d’avoir la chevelure rasée mais cette mesure n’a pas eu plus d’effet que les autres93. La tonte des cheveux n’est pas réservée aux femmes. Julián, 16 ans, fugue en mars 1940 de la CSVF et vole le portefeuille d’une dame sur le marché de Burjasot. Il est arrêté par la Garde civile : « on l’a amené à la caserne, où on lui a tondu les cheveux en forme de croix. On lui a accroché un écriteau sur la poitrine et un autre dans le dos, sur lesquels était écrit “parce que je suis un voleur”. Il a été exhibé dans les rues de Burjasot avant d’être conduit à la maison de redressement94 ».
24L’existence du « mitard » (celda) permettant de mettre les mineurs à l’isolement est attestée dans les deux sections de la CSVF (ni les dossiers personnels, ni les sources orales ne font état d’une telle pratique à l’Asilo Durán). Dans la section pour filles de la CSVF, l’envoi au mitard sanctionne en général des actes d’indiscipline grave comme le vol ou la tentative de fugue. Tomasa est ainsi envoyée trois fois au cachot car elle s’est montrée insoumise, a volé et, surtout, a tenté de s’échapper95. La durée de la période d’isolement n’est pas toujours indiquée. On sait qu’elle dure quatre jours pour Teresa, une jeune domestique qui dérobait des aliments chez ses employeurs ou gardait pour elle une partie de l’argent des courses à pied96. Claudio passe lui aussi plusieurs jours au cachot car il s’est très mal comporté, poussant le personnel à agir « vigoureusement97 ». Pilar Escalera Pelejero raconte qu’il y avait quatre cellules d’isolement dans la section pour filles, dans lesquelles on trouvait une paillasse faite de feuilles de maïs et un seau en céramique avec deux anses, destiné aux besoins personnels. La cellule était fermée par une porte de fer, dotée d’une petite fenêtre ne faisant quasiment pas passer la lumière du jour : « quand tu sortais de là, tu étais aveugle98 ». Dans des cas extrêmes, comme à la maison de redressement de Las Palmas (Canaries) qui fait l’objet d’une enquête diligentée par le CSPM, « un mineur [est] totalement nu, mort de froid et recroquevillé dans un coin, à même le sol ; il n’a été nourri que d’eau et de potage99 ». Deux ans auparavant, un mineur enfermé au cachot s’est pendu et n’a été sauvé que de justesse. Si les modalités de la mise à l’isolement évoluent au cours de la période, la pratique perdure. En 1969, dans la section pour filles de la CSVF, on trouve une « cellule individualisée » conçue comme « un lieu d’isolement temporaire et transitoire pour les élèves dont la conduite empêche vie avec autres ; la sensation de claustrophobie est surmontée grâce à l’ouverture sur un patio intérieur indépendant, ensoleillé et paisible ». En 1974, dans la section pour garçons, une durée maximale d’isolement est fixée (de dix à quinze jours) et on tente d’encadrer le dispositif : le pensionnaire placé au cachot est surveillé par un éducateur, pour éviter les tentatives de suicide, et le directeur lui rend visite régulièrement ; on tâche de l’occuper en lui donnant des livres ou un travail à faire100. La pratique perdure mais une justification est désormais nécessaire : la punition doit être utile et constituer une étape du processus de rééducation.
L’épineuse question de la violence physique
25La question de savoir si une violence physique était ou non exercée à l’encontre des pensionnaires, et avec quelle fréquence, est délicate à traiter. Les rares textes réglementaires dont nous disposons ne l’autorisent pas : si le personnel éducatif frappe les enfants et les adolescents, il n’en fait donc probablement pas état dans la documentation écrite. Par ailleurs, le contrôle exercé par les tribunaux pour mineurs est lâche et les inspections, si elles sont théoriquement obligatoires, restent sporadiques101. Il est donc difficile de savoir si les rapports consultables dans les archives administratives, rares et irréguliers, sont représentatifs. Les sources orales sont plus disertes mais leur interprétation pose également problème, dans la mesure où le récit des faits est conditionné par le vécu et l’expérience de chacun. La perception du système disciplinaire en vigueur dans l’établissement dépend par exemple du milieu duquel on vient : la maison de redressement est toujours apparue comme un havre de paix et de sécurité à Pilar Escalera Pelejero, battue comme plâtre par ses parents102.
26L’essentiel des témoignages tend à montrer que la violence avait cours dans les années 1940 et 1950, tout du moins à l’Asilo Durán, qui était, il est vrai, l’un des établissements les plus durs du pays. Vicenç Marques i Sanmiguel, qui y a passé quinze jours en 1959, estime que la violence physique faisait partie du quotidien. Il parle de « râclées » et de coups de poing, administrés de telle sorte qu’ils ne laissaient pas de marque103. Les témoins évoquent des gifles, données à des enfants avec autant de force que s’il s’était agi d’adultes, des coups de ceinturon, de bâton, de matraque ou de verge. La violence semble être l’apanage de certains religieux, particulièrement violents ou sadiques. « Il y en avait un, un blond, qui avait très mauvais caractère ; il nous battait beaucoup104 ». Michel del Castillo raconte : « vous étiez appelé le soir, vous vous mettiez à poil devant les autres ; avec beaucoup de sadisme, le frère laissait les verges tremper dans l’eau. 50, 60 coups ; on avait très vite des poussées de fièvre [consécutives aux blessures]105 ». Les coups sont l’un des souvenirs les plus marquants qu’il garde de son séjour à l’Asilo Durán : « c’était une violence terrible, mais qui était à plusieurs degrés ». Les coups avaient pour but de casser et de mater les pensionnaires qui étaient « très, très durs ». Une fois devenus « kapos », ces jeunes renvoyaient la violence qu’ils avaient reçue sur les autres, « c’était une sorte de cascade ». La violence du religieux dirigeant la division était, elle, statutaire, hiérarchique et intervenait pour punir des délits, comme la fugue ou la vente d’objets au marché noir. « La violence grave était instituée d’une façon presque solennelle, avec beaucoup de sadisme parce que même nous, on l’attendait ; souvent ils faisaient durer le plaisir ». Selon Michel del Castillo, la violence était tellement présente qu’elle était le seul prisme à travers lequel les pensionnaires percevaient les religieux : « mes copains et moi regardions le monde de l’institution en fonction des mauvais traitements. Donc celui qui tapait fort était plus abruti que celui qui était plus distrait ».
27Plusieurs indices montrent pourtant que les pratiques évoluent entre les années 1940 et 1970, même si ces changements ont été longs et lents. L’attitude du Conseil supérieur de protection des mineurs face à des cas de violence aiguë est à cet égard révélatrice, même si les archives administratives ne donnent à connaître que des cas exceptionnels, assez graves pour remonter jusqu’au sommet de l’édifice institutionnel. À la fin des années 1940, quand il est fait mention de coups qui sont plus appuyés et violents que des gifles, portés par exemple avec un bâton, le CSPM considère que la personne responsable s’est laissée aller : il ne rejette donc pas la violence en tant que telle mais seulement au-delà d’un certain grade. Il proscrit en revanche avec vigueur « les punitions cruelles ou offensantes », jugeant qu’il s’agit là d’un « fonctionnement déficient, portant préjudice aux mineurs » : il est nécessaire d’employer des « méthodes pédagogiques et éducatives adéquates106 ». « L’affaire del Castillo », qui secoue le CSPM en 1957-1958, est révélatrice à plus d’un titre107. À l’hiver 1958-59, quand paraît le roman Tanguy en Espagne, dans lequel Michel del Castillo dénonce notamment les mauvais traitements subis par les pensionnaires de la part de religieux comparés à des SS, le CSPM est affolé mais il ne sait pas lui-même si les faits dénoncés dans le roman sont vrais ou non. Cela illustre de façon flagrante l’absence d’inspections régulières et la latitude laissée aux religieux administrant les maisons de redressement. L’enquête qui est diligentée montre qu’à l’Asilo Durán, les châtiments corporels ont baissé de façon radicale : d’après le président du tribunal de Barcelone, « les vieilles méthodes sont en grande partie [révolues] » suite notamment au renouvellement du personnel religieux. Désormais, les familles n’ont plus à protester contre l’administration de punitions sévères, qui laissaient des traces sur le corps des pensionnaires108. Plus de dix ans après, lorsque des faits « lamentables » ont été commis dans un établissement, la présidence du CSPM juge inacceptables de telles « déviances » quand les mineurs doivent « fondamentalement être éduqués, corrigés et respectés109 ».
Qualifier le régime disciplinaire
28Caractériser le régime intérieur des maisons de redressement à l’époque franquiste n’est pas chose aisée car les informations sont lacunaires. Les sources orales constituent une somme de points de vue individuels, exprimés à travers le filtre de la mémoire et de la subjectivité : une témoin estime avoir passé les meilleures années de sa vie entre les murs protecteurs de la maison de redressement, mais il s’agit il est vrai d’un cas isolé ; d’autres assimilent l’institution à une prison ou à un camp de concentration. De fait, il faut tenir compte ici du fait que les personnes ayant massivement refusé nos demandes d’entretien (90 % des celles qui avaient été contactées) ne voulaient probablement pas évoquer une expérience qui avait pu être traumatisante – peut-être en raison de la violence subie. Enfin, les pratiques disciplinaires doivent être remises en contexte : le seuil de tolérance vis-à-vis de la violence infligée aux enfants n’était pas le même dans l’Espagne de l’après-guerre que dans celle des années 1970. L’encadrement strict de la vie de groupe, le caractère routinier des activités, la surveillance constante exercée par le personnel, l’absence d’intimité, la discipline sévère et même la violence sont des éléments essentiels de l’organisation « d’institutions totales » comme les pensionnats ou les orphelinats. Un témoin qui, avant d’être interné à l’Asilo Durán, a été scolarisé dans un pensionnat catholique, souligne cependant que cette violence permanente et ritualisée n’était pas une spécificité de la maison de redressement. « Les curés ont toujours frappé, toujours. Et les bonnes sœurs, aussi. Le curé a toujours frappé, même chez les Maristes, les Salésiens, dans des écoles qualifiées d’élitistes110 ». Dans les écoles primaires sous le « premier franquisme », la discipline est également sévère, conformément à l’adage « la letra con la sangre entra », voulant que l’on apprenne dans la douleur : la violence physique est le souvenir le plus vif que gardent les anciens élèves interrogés par Gloria Román Ruiz et Alba Martínez Martínez111. D’autres anciens pensionnaires comparent la discipline de la maison de redressement à celle qu’ils ont connue, plus tard, lorsqu’ils ont fait leur service militaire. « On se mettait en rang pour aller manger, pour aller à la messe… C’était une discipline quasiment militaire112 ». « La discipline était très stricte, comme à l’armée. Quand tu fais ton service militaire, tu es adulte, tu commences à avoir ta propre conscience. Mais là-bas [à la maison de redressement], pas encore. On avait terriblement peur. Lorsque je suis arrivé, ceux qui étaient déjà là étaient plus tranquilles. Mais moi, j’avais affreusement peur. Je restais dans mon coin, personne n’arrivait à m’en tirer. C’est très strict. C’était affreux113 ». Reste qu’à l’Asilo Durán plus qu’à la CSVF, la violence paraît être un élément important de la gestion de la population recluse ; elle semble omniprésente, arbitraire et extrême. Comparant la vie à l’Asilo Durán avec celle dans un pensionnat catholique, Viçenc Marqués Sanmiguel raconte : « La discipline chez les Salésiens n’avait rien à voir avec celle de l’Asilo Durán. À l’Asilo Durán, ils te frappaient pour rien. Chez les Salésiens, la violence était plus justifiée (une erreur dans la table de multiplication) et il s’agissait de petites tapes, de coups de règle sur la main. Les dortoirs n’avaient rien à voir : chez les Salésiens, on avait des draps propres, un couvre-lit et un pyjama. On mangeait très bien, comme à la maison. On apprenait aussi beaucoup plus de choses114 ». Dans l’esprit de son directeur, l’Asilo Durán n’est pas « une école classique ou un orphelinat ». Les punitions sont ainsi inhérentes aux maisons de redressement et spécialement à celle-ci, « dont l’esprit et le régime sont éminemment correctifs » et qui rend service aux autres institutions en accueillant leurs pensionnaires les plus « rebelles115 ». En 1960, le président du tribunal pour mineur d’Ávila souhaite ainsi faire interner Esteban, un « multirécidiviste » ayant fugué de plusieurs maisons de correction et qui a besoin d’un « régime [disciplinaire] très fort116 ». Si le CSPM souhaite que cette mission de délestage des cas les plus problématiques perdure, le régime disciplinaire ne peut être « mollasson », selon l’enquêteur chargé d’évaluer le fonctionnement de l’établissement barcelonais durant « l’affaire del Castillo » : en la matière, le romantisme n’est pas de mise117.
Le corps réprouvé : la sexualité
29La sexualité, réelle ou supposée, constitue une véritable obsession pour le personnel des maisons de redressement même si la question est souvent abordée de façon allusive et prude dans la documentation. On sait que certains pensionnaires sont punis à cause d’une « faute morale », sans que l’on sache exactement ce qu’il s’est passé (attouchements ? masturbation ? homosexualité ?)118. Toute infraction à la morale catholique est pourchassée avec vigueur et avec crainte. La masturbation est l’une des hantises du personnel : un contrôle permanent et obsessionnel s’exerce sur les jeunes gens pour l’éviter. Le passage aux sanitaires est jugé dangereux : « lorsqu’on allait aux toilettes, ils comptaient le temps qu’on y passait. Si on mettait trop longtemps, ils nous versaient un seau d’eau froide dessus. De toute façon, la porte ne pouvait pas être fermée de l’intérieur, pour éviter qu’on se masturbe119 ». Vicenç Marques i Sanmiguel indique que si les religieux de l’Asilo Durán surprenaient un pensionnaire en train de se masturber, ils le punissaient et lui ordonnaient de se confesser en affirmant qu’il risquait de devenir tuberculeux ou aveugle, ou aller directement en enfer. « De manière générale, tout ce qui donnait du plaisir au corps humain (fellation, onanisme), ils disaient que c’était mal120 ». Les pensionnaires qui, comme Pilar, « se laissent aller à des confidences sensuelles », sont sévèrement punies par les Tertiaires capucines. Cette jeune femme, âgée de 18 ans, constitue l’exact contrepoint de la pensionnaire modèle : elle est coquette et parle librement, d’une façon « qui démontre de manière très claire son immoralité » ; elle n’est pas travailleuse ; la religion ne l’intéresse pas. Le personnel surveille de près la jeune femme car celle-ci n’est plus vierge (elle a été violée par son petit ami)121. Les relations sexuelles avant le mariage sont prohibées chez les filles et tolérées chez les garçons, pour lesquels on considère que la fréquentation des prostituées constitue une étape nécessaire de l’éducation sexuelle. Les filles sont clairement soumises à un traitement particulier. Tomasa a presque 19 ans lorsqu’elle est internée à nouveau à la CSVF, en mars 1948. Puisqu’on la soupçonne d’avoir eu des relations sexuelles avec le garçon qu’elle fréquente, le médecin l’examine « pour s’assurer de son intégrité physico-sexuelle122 ». S’il est avéré que des pensionnaires ont eu un comportement « immoral », ils sont immédiatement isolés pour éviter toute contagion, réelle ou supposée. C’est le cas de Pilar Escalera Pelejero lorsqu’elle revient à la maison de redressement car elle n’est plus vierge : « je ne devais pas apprendre aux autres pensionnaires ce que je ne devais pas leur apprendre123 ». Claudio, lui, a fugué de la section pour garçons le 24 janvier 1940 mais est réinterné cinq jours plus tard. Quand le personnel se rend compte qu’il a contracté une blennorragie, il « le transfère immédiatement pour écarter le danger moral et matériel que représente actuellement sa présence dans l’établissement124 ». Luis quitte l’institution pour la même raison, en février 1951125. Mais pour les garçons, le péril est sanitaire, pas moral.
30Aucun témoin n’a constaté de faits d’homosexualité au sein des maisons de redressement, mais presque tous évoquent des rumeurs. Viçenc Marqués Sanmiguel dit par exemple avoir « entendu » l’homosexualité la nuit (soupirs, paroles). Même si l’homosexualité n’apparaît que de manière sporadique et allusive dans les dossiers, il est hautement probable qu’elle ait été répandue dans ces institutions fermées et rassemblant un nombre important d’adolescents. Les religieux évoquent, eux, de dangereuses « amitiés particulières », comme celles qu’entretient Pilar, 15 ans, qui « cherche toujours à échapper à la surveillance de la demoiselle126 ». Ce n’est qu’à partir des années 1960 que l’on commence à parler un peu plus ouvertement et un peu plus souvent de l’homosexualité, dans les motifs d’envoi par exemple. Luis est interné à l’Asilo Durán pour « fugue du foyer familial et homosexualité », Rafael parce qu’il est « inverti ». Les informations transmises par la police en août 1968 indiquent que ce jeune garçon, âgé de 17 ans, « se barbouille les joues et les lèvres avec du maquillage127 ». Il est envoyé à l’Asilo Durán car le personnel des Écoles professionnelles, dépendant aussi du tribunal pour mineurs de Barcelone, ne savait pas comment réprimer et corriger sa manière d’être. En effet, l’homosexualité gêne au plus haut point l’institution. En 1965, le colloque portant sur « l’enfance en danger moral » constate que « l’augmentation des cas d’homosexualité parmi les pensionnaires [garçons] des Établissements est un fait avéré… » mais qu’on ne sait ni déceler, ni résoudre ce « problème ». On envisage donc la création d’une commission d’experts chargée « d’unifier les critères conduisant au diagnostic et au traitement de l’homosexualité128 ».
31La question des abus sexuels commis par des religieux sur des pensionnaires est, comme celle des mauvais traitements, difficile à saisir par le biais des archives dont on dispose. La documentation administrative ne se fait quasiment jamais l’écho de telles pratiques, sauf si elles sont trop graves et avérées pour pouvoir être étouffées. En 1965, par exemple, la Casa tutelar San Francisco de Asís de Torremolinos, près de Málaga, est accusée par le CSPM d’être « un centre de corruption homosexuelle129 ». Certains témoins font état de rumeurs, mais sans avoir assisté à de tels actes. « Un autre curé te mettait la main à la braguette130 ». « Il se disait qu’il y avait des curés qui profitaient des enfants de chœur, qui étaient bien vus et qu’on ne frappait jamais. Certains religieux touchaient les enfants, assez souvent131 ». « Je n’ai jamais assisté à un viol, mais on en parlait. Il y avait aussi beaucoup d’invention et de rumeurs132 ». Aucune archive émanant des congrégations religieuses ne fait état d’abus commis par les membres. Mais des investigations indépendantes menées dans d’autres pays et portant sur des institutions similaires, elles aussi confiées au secteur privé, ont montré que les abus sexuels n’étaient pas rares133. Dans la société espagnole, l’emprise de l’Église sur les esprits a pendant longtemps été trop forte pour que des sujets aussi polémiques soient publiquement évoqués. Les choses sont peut-être en train de changer, comme en témoigne la création d’une rubrique ad hoc par le quotidien El País (« Abus sexuels au sein de l’Église catholique »), visant notamment à recueillir des témoignages de victimes134. On est néanmoins encore très loin du travail mené en France durant deux ans et demi par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE), dont le rapport a été rendu en octobre 2021135.
Des jeunes effectivement « redressés » ?
La réception du traitement éducatif
Comment les mineurs perçoivent-ils l’enfermement et le redressement ?
32Les sources orales ayant été difficiles à collecter, l’essentiel du matériau relatif à la question de la réception de l’enfermement et de la rééducation est produit par l’institution, qu’il s’agisse du personnel des maisons de redressement ou des tribunaux pour mineurs. Ceux-ci n’informent leur hiérarchie que dans les cas situés à l’extrémité du spectre : pensionnaires modèles ou, au contraire, manifestant ouvertement leur opposition ; néanmoins, on peut esquisser une étude tentant de cerner la façon dont les pensionnaires réagissent à l’enfermement et au traitement éducatif. La documentation fait apparaître une palette de réactions diverses, entre le rejet et la rébellion, l’adhésion et la reconnaissance, la tactique la plus fréquente étant probablement de « se tenir peinard136 ».
33Une partie des pensionnaires, réduite dans l’échantillon, estiment être mieux traités à la maison de redressement que chez eux et perçoivent donc l’internement non comme un enfermement, mais comme une possibilité d’isolement par rapport à un milieu familial hostile, voire dangereux. Au début des années 1970, José est battu par sa mère et rejeté par toute sa famille : il affirme qu’il « est mieux à l’Asilo137 ». La maison de redressement est également synonyme, pour certains mineurs, de précarité moins grande et d’instruction. En 1948, même si la guerre civile est terminée depuis près de dix ans, la situation économique et alimentaire de la famille de Trinidad est critique et l’état de santé de la jeune fille est alarmant. Selon la directrice de la Colonia San Vicente Ferrer, elle fait partie de ces mineures « qui reviendraient à notre École seulement pour la nourriture qu’on leur y donnait138 ». D’autres mineurs se réjouissent d’acquérir un niveau d’instruction qu’ils n’avaient pas, comme Asunción, internée à la CSVF de 1945 à 1949139. Manuel est content d’être à l’Asilo Durán car il veut commencer à travailler, dans l’électronique ou l’imprimerie140. Le personnel ne manque pas de faire état des marques d’affection que certains mineurs témoignent à l’institution, sans que l’on puisse évaluer le degré de représentativité de telles réactions. En août 1946, Rosa veut « retourner à sa maison », la CSVF, où on lui prodiguait de l’affection et où elle est sûre que l’on pourra lui trouver du travail141. Alors que d’autres pensionnaires sont obsédées par l’idée de quitter l’institution valencienne, Tomasa fond en larmes au moment de sortir « car elle sait que cela ne va plus être comme à l’École142 ».
34À l’autre bout du spectre, à travers le regard également réducteur et déformant de l’institution, des voix parviennent qui montrent que l’internement est aussi perçu de façon très négative. La critique se concentre sur des points particuliers de la vie quotidienne comme la discipline, la faim ou les rapports avec le personnel. Mais ce que les jeunes ont en général le plus de mal à vivre et à accepter, c’est la privation de liberté. Ramón a l’impression d’être « enfermé » à l’Asilo Durán143. « Oui, je l’ai mal vécu. Ils te prennent ta liberté et toi, ce que tu aimes, c’est être libre, ne pas être attaché144 ». Certains pensionnaires vivent très mal leur séjour : Adelia ne pense qu’à une chose, sortir145 ; Evelio implore ses parents de le « sortir de cet enfer ». Chez les jeunes filles, le choc de l’internement peut entraîner une aménorrhée, comme dans le cas d’Ana146. Mais les archives ne disent rien du chagrin et de la douleur éprouvés par l’enfant ou l’adolescent lorsque les parents s’en vont et qu’il est confronté à la solitude, à l’enfermement, à la promiscuité, à une discipline et à des conditions de vie qu’il n’a jamais connus. Ernesto Abello García ne garde presqu’aucun souvenir de son internement à l’Asilo Durán (il avait « quatre ans peut-être » et n’y a passé qu’un mois), sauf le fait d’avoir vu s’éloigner sa mère et d’avoir pleuré à chaudes larmes parce qu’elle était en train de l’abandonner147. D’autres, traumatisés par la discipline en vigueur à l’Asilo Durán, évoquent une « prison » qui n’était surpassée, dans l’horreur, que par la Prison Modèle de Barcelone, archétype de la prison politique sous la dictature148. La privation de liberté a pour corollaire l’obsession de la sortie, d’autant plus difficile à vivre que les pensionnaires ne savent pas quand ils pourront quitter l’institution. Certains pensionnaires ne supportent pas ce régime de sanction indéterminée et optent pour la fugue ; d’autres décident d’adopter un comportement exemplaire. Josefa, 15 ans, a été internée à la CSVF à la demande de son père, en mai 1940. En décembre, la directrice note que l’adolescente, peu expansive, se comporte du mieux possible car elle a très envie de sortir149. Adelia est elle aussi obsédée par l’idée de quitter la maison de redressement : elle prend garde à ne commettre aucune irrégularité150.
Fuir
35Chez certains pensionnaires, le désir de s’échapper devient obsessionnel. Les données semblent indiquer qu’à la CSVF, un peu plus d’une fugue environ a lieu chaque mois151, mais la direction signale-t-elle tous les cas d’évasion à sa hiérarchie, au risque de donner l’impression de ne pas diriger correctement l’établissement ? Pilar Escalera Pelejero raconte qu’au cours de son séjour dans l’institution de redressement valencien, de 1948 à 1958, entre sept et huit filles s’échappaient chaque année152. À l’Asilo Durán, les fugues sont courantes, au début des années 1960 tout du moins153. Felipe Ferré Ignacio, qui a séjourné dans cette institution d’août 1958 à février 1959, affirme que « tous les quatre matins, quelqu’un fuguait ; il y avait parfois même une fugue par jour154 ». Les causes des fugues sont diverses, mais plusieurs pensionnaires se plaignent de mal manger et d’être mal habillés155. La lassitude liée à l’internement, la volonté de travailler et de gagner sa vie156 ou le fait de devoir aller aider ses proches157 sont également des motifs avancés pour justifier une fugue. Après des vacances ou un week-end passé en famille, le jeune garçon ou la jeune fille peut décider de ne pas revenir à la maison de redressement. Les autorités ne semblent pas déployer alors des efforts importants pour réinterner ces fugueurs « de fait ». D’autres fugues prennent en revanche la forme d’évasions rocambolesques. En février 1941, en pleine nuit, Rafael s’échappe par la fenêtre de la maison d’observation de Valence en s’aidant de plusieurs draps noués ensemble158. Le 4 avril 1947, María, 18 ans, est envoyée au mitard car le personnel de la CSVF a eu vent d’un projet d’évasion. Mais elle brise la petite porte par laquelle on lui habituellement fait passer la nourriture et casse le cadenas de la fenêtre de l’autre cellule pour libérer sa comparse, Palmira. Les deux adolescentes sortent par le toit, profitant du fait que l’une des fenêtres du couloir, qui doit être réparée, n’est pas fermée, et s’enfuient en courant. Les poursuites ne donnent rien : les adolescentes sont libres159.
36Lorsque le personnel se rend compte qu’un mineur vient de fuguer, il alerte généralement la police. Si la poursuite peut être tragique, provoquant par exemple la mort de Francisco le 1er juin 1942160, la police n’est visiblement guère active. En 1972, le directeur de la CSVF s’en désole : « les pensionnaires se rendent parfaitement compte qu’ils ne sont pas recherchés très activement ; ils en parlent entre eux, ce qui a pour effet de stimuler leur envie de fuguer161 ». Mais lorsque l’alerte est donnée, le personnel de la maison de redressement utilise d’abord les ressources présentes sur place, à savoir les autres pensionnaires. José, par exemple, « a personnellement procédé à l’arrestation de plusieurs mineurs qui avaient fugué de cet établissement162 ». Si l’évasion réussit, les fugueurs doivent ensuite échapper à la police malgré leurs vêtements et leur présence suspecte dans l’espace urbain. « Dans la rue, si mal habillés… on les attrapait tout de suite163 ». Dans ces conditions, les « bas quartiers » comme le Barrio Chino de Barcelone offrent à la fois un refuge et une source de distractions infinies. Juan Jorge, 15 ans, a fugué deux fois entre 1965 et 1967 ; il en a chaque fois profité pour rejoindre des homosexuels164. Après son évasion, le 5 juillet 1959, Viçenc cherche lui aussi à se rendre dans le Barrio Chino car il sait qu’il pourra s’y cacher. « Là-bas, la racaille du quartier m’a aidé : on m’a donné à manger, on m’a laissé dormir dans un lit, on m’a laissé me laver… Je n’ai pas croisé la police entre l’Asilo Durán et le Barrio Chino parce que c’était la nuit et que je connaissais la ville. Je savais que toutes les rues planes étaient parallèles à la mer et que toutes les rues en pente descendaient jusqu’à la mer. Si je prenais une rue qui descendait, je savais que tôt ou tard, j’arriverais à la mer, sur les Ramblas ou dans le Barrio Chino. Là-bas, des prostituées m’ont aidé. Évidemment, elles connaissaient l’Asilo Durán parce que certaines avaient un fils qui était là-bas165 ». Quelques jours plus tard, le jeune garçon est arrêté. Son père vient le chercher au poste de police de la Via Laietana et le ramène chez lui, après lui avoir administré une paire de gifles.
Quelle efficacité du traitement éducatif ?
37L’internement en maison de redressement permet-il de rééduquer les jeunes dangereux ou en danger ? Pour répondre correctement à cette question, il conviendrait de réaliser une étude sérielle du parcours des mineurs une fois qu’ils ont quitté la maison de redressement pour savoir si leurs parents les ont trouvés moins indisciplinés, s’ils ont facilement trouvé un travail, s’ils ont commis d’autres délits ou connu la prison… Mais les dossiers personnels sont clos une fois le séjour terminé ou la tutelle du tribunal levée, ce qui ne permet pas de suivre la trace des jeunes garçons et des jeunes filles. Le personnel éducatif estime pour sa part que certains pensionnaires sont totalement rééduqués : de son point de vue, l’internement est dans ces cas-là tout à fait efficace. Durant son séjour à la CSVF, Leoncia a porté tant d’intérêt à sa rééducation et a si attentivement écouté les conseils qu’on lui a donnés que la directrice croit qu’elle est désormais rééduquée166. Valentín est lui aussi un ancien pensionnaire modèle : il est obéissant, respectueux et très travailleur167. L’efficacité du traitement éducatif peut être mesurée à l’aune de la reconnaissance exprimée par les parents. Leoncia est tout à fait différente depuis qu’elle est revenue de la maison de redressement : c’est une « bonne fille », désormais « soumise et obéissante168 ». La mère de Violeta est venue remercier la directrice de la CSVF car sa fille se conduit mieux de jour en jour169. María de la Encarnación est l’un des succès de l’institution valencienne : elle est devenue une femme au foyer parfaite, qui reste « formelle » dans ses relations amoureuses. Sa mère ne cesse d’encenser le travail accompli par le tribunal pour mineurs170. Ces quelques cas montrent que pour certains parents en tout cas, la CSVF a accompli sa mission : « une fille pouvait sortir de l’école en étant une femme faite171 ». Mais pour ces récits élogieux, combien de critiques ne sont pas parvenues jusqu’à nous ?
38Même si la direction de la CSVF et celle de l’Asilo Durán n’ont guère intérêt à faire remonter jusqu’à leur hiérarchie des critiques mettant en cause leur travail, des indices montrent cependant que pensionnaires et familles s’opposent parfois frontalement à l’institution. Cette agentivité importante des familles face aux tribunaux pour mineurs a été mise en évidence par Peter Anderson pour la période 1926-1945 et le tribunal pour mineurs de Madrid172. Lorsqu’elle est à nouveau internée à la CSVF, en janvier 1945, María de la Encarnación remercie ironiquement la directrice : sa vie sera « vraiment différente » lorsqu’elle sortira173… Les parents ne sont pas toujours convaincus de l’efficacité de la formation professionnelle dispensée dans l’établissement. En juillet 1946, la mère de Francisco a trouvé une place de mécanicien pour son fils, qui voudrait exercer ce métier plus tard. Elle souhaite qu’il quitte l’Asilo Durán car selon elle, « il n’[y] apprendra jamais rien174 ». Mais la raison fondamentale pour laquelle certains parents ne veulent pas interner leur enfant en maison de redressement ou souhaitent les en faire sortir, s’il a été interné sur décision de justice, est celle qui amène plusieurs pensionnaires à considérer le séjour comme une expérience totalement négative : l’établissement correctif serait une « école de la délinquance ». Vicenç Marques i Sanmiguel assène : « la maison de redressement, c’est comme la prison, ça ne régénère personne, au contraire175 ». Le mélange des populations a en effet une influence pernicieuse : les pensionnaires sont divisés entre différentes sections en fonction de leur âge et non de leur motif d’internement. Les mineurs « protégés » par le tribunal, les enfants miséreux et les adolescents indisciplinés côtoient ainsi des délinquants multirécidivistes, dont certains ont connu la prison. Cela entre en contradiction avec l’un des principes fondateurs de la justice des mineurs qui, au début du xxe siècle, visait à faire en sorte que les mineurs n’aillent plus en prison. Mais dans la lignée du Code pénal adopté en 1944, l’âge de la majorité pénale est fixé à 16 ans, celui de la responsabilité pénale atténuée à 18 ans. Un délinquant âgé de 16 à 18 ans est en général traduit devant un tribunal ordinaire, mais voit sa peine atténuée d’un ou deux degrés par rapport à la peine prévue par la loi. Il est alors possible de remplacer cette peine par un internement dans une institution rééducative pour une période indéterminée, jusqu’à ce que le coupable soit « corrigé » (article 65 du Code pénal). Les cas sont par conséquent nombreux de pensionnaires âgés de 16 à 21 ans faisant des allers-retours fréquents entre l’Asilo Durán et la prison. Respectivement en octobre 1939 et en mai 1943, Vicente et José arrivent de la Prison Modèle ; Pablo provient quant à lui de la prison cellulaire en août 1941176. Vicente, qui est né le 24 juin 1927 à Llobregat, est interné à deux reprises à l’Asilo Durán. Il a déjà effectué plusieurs séjours en prison et, lorsqu’il quitte définitivement la maison de redressement, le 13 mai 1943, c’est pour être à nouveau incarcéré177. En avril 1944, José est même envoyé à l’Asilo Durán par le tribunal pour mineurs de Salamanque car il ne peut plus rester en prison : « sa conduite laisse beaucoup trop à désirer178 ». Le mélange de populations différentes est source de tension et de malaise : plusieurs témoins soulignent la différence entre eux et les « durs », ces jeunes délinquants habitués aux mauvais coups et dont ils cherchaient à s’éloigner au maximum. Reste que dans ces conditions, il est facile d’apprendre à voler une moto, à fracturer une voiture et à cambrioler une maison. « J’étais un âne en entrant, un cheval en sortant », raconte l’un des témoins179. Au milieu des années 1970, l’adage en vigueur dans les prisons espagnoles à la fin du xixe siècle semble donc toujours de mise, ce qui constitue un immense aveu d’échec au bout de près d’une décennie de prise en charge spécifique de la délinquance juvénile : « ici, celui qui est bon devient mauvais ; celui qui est mauvais devient encore pire180 ». Le constat dressé dans le dossier personnel de Luis est sans appel : « pensionnaire de maison de redressement typique, qui finira en prison si aucune évolution ne se produit181 ». Il faut dire que le fonctionnement des institutions connaît des problèmes tellement profonds et récurrents que ces derniers obèrent pour une bonne part l’efficacité du traitement éducatif dispensé.
Des dysfonctionnements importants, dus à un manque de moyens chronique
Un public et des établissements pas toujours adaptés
39Deux problèmes se posent : certains pensionnaires séjournent en maison de redressement alors que ce type d’institution ne correspond pas à leur profil ; des jeunes que l’on souhaite rééduquer ne sont pas internés en maison de redressement, par manque de places. Les cas ne sont pas rares de mineures envoyées à la section pour filles de la Colonia San Vicente Ferrer alors que leur situation ne le nécessitait pas. La fréquentation d’une école classique ou le placement dans un environnement familial stable aurait été plus adaptée. Ángela, née à Madrid en 1931, est internée à la CSVF en mai 1944 pour « insoumission » ; sa mère tient une maison close. Selon la directrice, « un milieu familial sain et une assistance scolaire régulière suffiraient pour instruire et former [l’adolescente]182 ». Au terme de la période d’observation, en septembre 1947, le personnel conclut que Violeta n’est pas à sa place au sein de la maison de redressement : elle n’a « aucun vice » et une école de type classique lui permettrait d’acquérir l’instruction et la formation religieuse dont elle a besoin183. La cohabitation entre ces mineures et le reste des pensionnaires, délinquantes avérées ou jeunes filles « déchues », pose problème à l’institution, qui considère que ce voisinage est pernicieux. María de la Encarnación passe neuf mois à la CSVF à la demande de sa famille, qui s’est plainte de son insoumission. Mais le personnel ne note chez elle aucune trace de cette indiscipline et décide, pour « préserver son innocence », de la mettre à l’écart des autres pensionnaires et de la faire vivre avec le personnel administratif184.
40Par ailleurs, on trouve parmi les pensionnaires de maison de redressement des enfants ou des adolescents souffrant de troubles mentaux : José, Jorge ou Miguel souffrent d’un « retard mental » ; Ignacio est « un peu anormal » quand Pascual l’est, lui, « complètement » ; Jacobo et Rafael sont des « débiles mentaux185 ». Le personnel est conscient que des jeunes atteints de troubles psychiatriques ou d’une déficience mentale n’ont rien à faire dans une maison de redressement. La directrice de la CSVF a ainsi signifié à plusieurs reprises à la mère de Caridad que sa fille était une « psychopathe » et que l’établissement n’était en aucun cas destiné à accueillir des mineurs anormaux186. Ce type de dysfonctionnement est régulièrement signalé aux autorités de tutelle car il perturbe la bonne marche des établissements. Le médecin juge par exemple que José, qui est atteint d’arriération mentale et a commis des actes de coprophagie, ne peut continuer à vivre avec les autres pensionnaires187. Luis, lui, est tellement perturbé psychologiquement que le médecin n’est pas parvenu à l’examiner à son arrivée à la CSVF, le 4 janvier 1947. Le directeur demande au tribunal pour mineurs qu’il soit transféré dans un autre établissement car il enfreint régulièrement le règlement intérieur, ce qui ne peut qu’inciter ses congénères à faire de même188. Le problème est qu’il n’existe pas d’établissements de redressement spécialisés dans la prise en charge des jeunes handicapés, pourtant prévus par la loi. Le directeur de la CSVF ne peut que constater, en juin 1948, qu’Alfredo devrait être interné dans un « établissement pour anormaux mais puisqu’il n’y en a pas, nous proposons qu’il soit transféré dans la Section des adolescents189 ». La situation est encore plus critique pour les jeunes filles atteintes de troubles mentaux. Francisca a fait deux séjours successifs à la CSVF, en 1952 et en 1955, à la demande de son père : elle fait de fréquentes crises de nerfs, qui rendent difficile la cohabitation avec elle. On l’interne donc chez les Adoratrices en espérant que « le climat de tranquillité et de silence » du couvent pourra la calmer et la soigner. Mais en janvier 1956, les religieuses estiment qu’elles ne peuvent garder l’adolescente à cause de ses troubles mentaux. L’accord adopté par le tribunal pour mineurs de Valence est un aveu d’impuissance : « estimant que l’évidente anormalité de la mineure a été mise en évidence dans deux institutions distinctes et puisqu’il n’existe pas d’institution adaptée à la rééducation des mineurs anormaux, l’action du tribunal est déclarée close190 ». Le problème n’est pourtant pas nouveau : au tout début du mois de juillet 1936, le tribunal de Séville exposait déjà au Conseil supérieur de protection des mineurs le problème grave que posait l’absence de maisons de redressement pour « anormaux ». Le CSPM avait alors évoqué l’idée de créer un seul établissement de ce type pour tout le pays mais le coup d’État du 18 juillet et la guerre civile avaient ensuite enterré cette question, sans qu’elle ne soit ensuite remise sérieusement à l’ordre du jour.
41Autre problème structurel, déjà souligné dans les années 1930 : l’Œuvre de protection des mineurs ne dispose pas d’assez d’établissements destinés à accueillir les jeunes filles jugées « dangereuses » et « en danger ». Pour les filles plus encore que pour les garçons, on fait confiance au secteur privé catholique, qui a depuis longtemps l’habitude de prendre en charge les femmes « déchues » : on se soucie plus des garçons que des filles car les premiers sont plus nombreux ; les moyens manquent et, au milieu des années 1940, la priorité est encore de se concentrer sur la création de tribunaux pour mineurs dans les provinces qui n’en sont pas encore dotées191. Les filles attendront donc des jours meilleurs : au début des années 1940, presqu’aucune juridiction pour mineurs ne dispose d’institution auxiliaire féminine192. Dans ce contexte, la précocité valencienne (ouverture de la section pour filles de la CSVF en 1929) prend encore plus de relief. Ailleurs, en Catalogne par exemple, de nombreuses jeunes filles ne sont pas envoyées en maison de redressement, par manque d’établissement adapté193. À Séville, le tribunal prend tous les jours en charge de nouvelles mineures alors qu’il ne dispose d’aucune maison de redressement194. En mars 1943, il les disperse dans une myriade d’écoles religieuses ou de couvents : couvent de Santa Isabel, Adoratrices, Trinitaires, Oblates de Jérez de la Frontera, Asilo de las Nieves, Beaterio de la Santísima Trinidad, Hijas de María Auxiliadora, Hijas de San Vicente de Paul195… La situation n’évolue ensuite guère, ou en tout cas très lentement. En 1954, le tribunal pour mineurs de Saragosse, en Aragon, doit demander à la juridiction d’une autre région, celle de Valence en l’occurrence, si elle peut interner à la CSVF des jeunes filles ayant besoin d’une discipline plus stricte que celle des écoles classiques196. Il est parvenu à envoyer quelques mineures en Catalogne, chez les Oblates de Barcelone197. Au milieu des années 1950, faute d’établissement adapté, les jeunes filles placées sous la tutelle du tribunal de Las Palmas (Canaries) sont encore envoyées au couvent198.
Un système en déshérence
42Le manque de personnel est une constante tout au long de la période. En 1956, il n’y a pas de cuisinier au reformatorio de Las Palmas, aux Canaries199. En 1974, aucune assistante sociale ne travaille à la Colonia San Vicente Ferrer200. Le nombre de délégués à la liberté surveillée est également insuffisant. En juillet 1950, la directrice de la CSVF a pour tâche d’assurer la direction de l’établissement mais aussi de suivre 56 mineures placées en liberté surveillée. De fait, elle est peu à peu obligée de laisser les « demoiselles » administrer seules les foyers de semi-liberté201. María Díaz López-Cepero, qui travaille pour le tribunal pour mineurs de Séville, est écrasée par sa charge de travail : en 1948, elle suit 359 mineurs placés en liberté surveillée et doit visiter les 17 institutions accueillant des filles202. Le problème perdure durant l’essentiel de la période : en 1965, les participants au colloque portant sur « l’enfance en danger moral » soulignent encore que le nombre de délégués à la liberté surveillé est largement insuffisant203. Au tout début des années 1970, on ne compte que 57 délégués techniques à la liberté surveillée pour toute l’Espagne204. Dans ces conditions, la surveillance de la conduite des mineurs ayant quitté la maison de redressement ne peut être stricte. En juillet 1951, la déléguée à la liberté surveillée travaillant pour la section pour filles de la CSVF est désolée de n’avoir pu éviter le « malheur » que représente la grossesse de la sœur de Magdalena mais elle doit assurer le suivi de 56 mineures différentes, en sus de la direction d’un foyer de semi-liberté205. Cela donne aux jeunes garçons et même aux jeunes filles une marge de manœuvre conséquente, à tel point que de l’aveu même de l’institution, « les mineures attachent très peu d’importance à la liberté surveillée206 ». Ainsi, une fois qu’elle est placée en liberté surveillée, Juana agit comme si elle était déjà majeure et définitivement libérée de la tutelle du tribunal : en novembre 1948, elle a quitté son travail et passé trois jours chez son petit ami, au grand dam de sa grand-mère – et de la déléguée à la liberté surveillée207.
43De façon générale, les maisons de redressement souffrent d’un manque flagrant de moyens et d’investissements. Le matériel est insuffisant et daté. En 1949, le médecin de la CSVF ne peut examiner correctement les nouveaux arrivants, faute d’instruments adéquats208. Francisco, qui séjourne à l’Asilo Durán en 1949-1950, doit demander à sa famille papier, cahier et crayon pour travailler en classe209. En 1954, dans la section pour filles de la CSVF, on ne trouve ni salle de projection, ni projecteur, ni poste de radio, ni tourne-disque210. À cet égard, la situation n’est guère différente de celle qui peut prévaloir dans les écoles primaires sous le « premier franquisme » : absence d’eau courante et d’électricité, locaux mal ventilés et mal isolés, mobilier ancien et en mauvais état211… À la toute fin de la période, la CSVF ne dispose toujours pas de matériel audiovisuel et les machines destinées à la formation professionnelles sont anciennes212. Les locaux sont en mauvais état, sinon délabrés. En 1964, le pavillon du groupe dit « des jeunes » n’est équipé que d’une douche pour 40 pensionnaires. La pièce dans laquelle se déroulent les actes publics est ravagée par l’humidité, qui ronge aussi les parois de l’escalier principal213. En 1975, le bâtiment dans lequel logent les religieux tombe en ruines214. La situation n’est pas meilleure à Séville : à l’été 1952, le président du tribunal constate, « une fois de plus », qu’il manque des lits, des draps et beaucoup de chaises à la Casa tutelar San Francisco de Paula. De nombreux matelas sont pourris par l’urine d’enfants incontinents215. À la fin des années 1960 encore, l’état des infrastructures est désolant : les bâtiments sont anciens ; une invasion de termites a détruit presque totalement les montants des portes et des fenêtres, ainsi que les petits lits de bois dans lesquels dormaient les pensionnaires les plus jeunes. Le président du tribunal de Séville implore le CSPM d’agir « pour que les droits les plus élémentaires des enfants puissent être garantis216 ».
44Il est probable que ces propos alarmistes, destinés à faire réagir les autorités de tutelle, noircissent quelque peu le tableau. Mais les informations qui remontent de tout le pays convergent : dans les années 1940, la situation économique des institutions auxiliaires et des tribunaux pour mineurs est catastrophique. La pénurie règne dans le système de prise en charge de la déviance juvénile, à l’image de la situation que connaît l’Espagne toute entière durant l’après-guerre. Dans ce contexte, il est impensable pour le Conseil supérieur de protection des mineurs de se lancer dans des travaux d’envergure, d’autant que la priorité est de créer des tribunaux pour mineurs dans les provinces qui n’en n’ont pas encore. Depuis la fin de la « Guerre de libération », selon la terminologie officielle, le tribunal de Valence n’a pas reçu une seule peseta du CSPM pour rénover les établissements existants. Pendant dix ans au moins, il puise dans ses fonds propres pour mettre par exemple en place les institutions novatrices que sont les foyers de semi-liberté de la Sainte Famille et de Nazareth. En janvier 1947, il n’a plus d’argent de côté217. Les demandes ponctuelles de financement de travaux ou de création d’institutions ne sont pas satisfaites et aucun plan d’investissement général n’est adopté par le CSPM avant la fin des années 1960, comme nous l’avons vu dans le chapitre i. Ce grave problème budgétaire, si fréquent et généralisé qu’il devient structurel, empêche les tribunaux pour mineurs et les institutions auxiliaires de remplir correctement la mission qui leur est fixée, prendre en charge les jeunes dangereux et en danger. Le vice-président du CSPM en est tout à fait conscient, qui écrit en avril 1942 au ministre de la Justice : « toutes les institutions de tutelle fonctionnent difficilement car elles manquent des moyens économiques dont elles ont besoin pour réaliser leurs objectifs218 ». Le président du tribunal pour mineurs de Valence va plus loin et critique l’absence de volonté politique réelle au plus haut niveau : « en dépit de la mission de service public que l’Institution remplit, l’État ne la dote pas de la totalité des moyens économiques dont elle a besoin pour l’accomplir219 ».
45Pourtant, le séjour d’un enfant ou d’un adolescent en maison de redressement a un coût : il faut nourrir le pensionnaire, le vêtir, chauffer les bâtiments dans lesquels il loge… Les congrégations religieuses ne reçoivent aucune subvention publique globale pour régler ces frais quotidiens mais sont dédommagées sur la base de ce que l’on appelle le « prix de journée », une somme d’argent forfaitaire censée couvrir les frais engagés chaque jour par le séjour d’un mineur dans une maison de redressement. Le montant du prix de journée est fixé par les organismes publics, non par les congrégations religieuses. En 1953, le montant acquitté par le tribunal de Barcelone varie selon les établissements : il est de six pesetas à l’Asile du Bon Pasteur et à l’École des religieuses trinitaires, qui accueillent des filles ; il s’élève à huit pesetas à l’Asilo Durán, où ne sont envoyés que des garçons220. À Valence, en 1961, on sait que le tribunal pour mineurs règle 15 pesetas par jour et par mineurs aux Tertiaires capucins pour couvrir les frais liés à l’achat de la nourriture et à la préparation des repas221. En 1966, cette somme est de 25 pesetas222. Le paiement de ces frais occasionnés est une question lancinante, faisant l’objet de débats et de récriminations permanents. Si le CSPM et, à travers lui, l’État, tardent par exemple à rembourser les sommes avancées, les juridictions se trouvent rapidement dans une situation financière critique. De fait, en février 1941, les séjours effectués pendant les mois d’octobre, de novembre et de décembre 1940 n’ont pas encore été réglés au tribunal de Valence223. Le problème n’est cependant pas récent et son origine n’est pas à chercher du seul côté des conséquences de la guerre civile ou de la politique économique franquiste. Au début de l’année 1936 déjà, le tribunal de Séville se trouvait dans une situation économique difficile car tous les séjours des mineurs pris en charge n’avaient pas été remboursés. Toutes les juridictions du pays étaient dans la même situation pour la simple et bonne raison que le budget qui leur était alloué était insuffisant224. Puisque les tribunaux pour mineurs sont confrontés à des problèmes budgétaires considérables jusqu’au milieu des années 1950 au moins, ce sont parfois d’autres organisations, publiques ou privées, qui suppléent les carences de l’État. En janvier 1944, les tribunaux de Bilbao et de Vitoria, au Pays basque, acquittent un prix de journée d’un montant de 5 pesetas. En réalité, une journée passée dans une maison de redressement est facturée 7,5 pesetas par les Tertiaires capucins ; c’est le patronage qui paie la différence, grâce à des dons privés et à une dotation de la Députation provinciale s’élevant à 10 000 pesetas225.
La question récurrente de l’inspection des maisons de redressement
46Les textes législatifs adoptés en 1948, à la suite des réformes de 1940 et 1942, prévoient que des inspections soient réalisées dans les institutions auxiliaires des tribunaux pour mineurs (articles 63 à 70 du décret du 2 juillet 1948). Ils sont l’aboutissement des débats acharnés qui, dans les années 1920 et 1930, avaient divisé le Conseil supérieur de protection des mineurs en deux camps irréconciliables : un organisme public, centralisé et indépendant, devait-il être chargé d’inspecter les maisons de redressement ? Pouvait-il prendre des mesures comminatoires s’il estimait que le personnel ne remplissait pas correctement sa mission éducative ? En d’autres termes, quel devait être le degré d’intervention de la puissance publique dans des établissements majoritairement confiés au secteur privé ? Les dispositions qui sont alors adoptées après la guerre civile, défendues par Gabriel María de Ybarra y de la Revilla, sont timides et visent à préserver au maximum l’indépendance du secteur privé catholique. De fait, il apparaît que la loi n’est même pas appliquée. Le 16 janvier 1948, à la suite d’événements graves survenus dans une maison de redressement, la section IV du CSPM est contrainte d’éditer une circulaire enjoignant les tribunaux à inspecter les institutions qu’ils chapeautent226. Ces visites hebdomadaires doivent être effectuées à l’improviste et donner lieu, si des dysfonctionnements sont constatés, à un signalement « rapide et énergique ». On entrevoit en creux la façon dont fonctionnent effectivement au moins une partie des maisons de redressement au début des années 1940, et qui n’est que la conséquence logique du manque de moyens patent et généralisé qui a été évoqué plus haut : pensionnaires sous-alimentés, habillés de vêtements vieux et sales, suivi médical insuffisant voire inexistant, châtiments corporels sévères. Notons que le texte ne considère pas le manque de matériel, le mauvais état des infrastructures, le manque de personnel ou l’absence de formation professionnelle comme des problèmes dignes d’être signalés dans un rapport d’inspection : il s’agit ici de mettre au jour les abus les plus graves et les plus criants, susceptibles de noircir encore l’image d’institutions souffrant déjà d’une mauvaise réputation.
47Mais la circulaire du 16 janvier 1948 n’est pas plus appliquée que les textes normatifs précédents : le CSPM rappelle encore aux tribunaux pour mineurs la nécessité d’inspecter leurs institutions auxiliaires en décembre 1948, en janvier et en décembre 1949, en mai et en juin 1950, en avril et en juin 1951, en juillet 1954 et en novembre 1956. Les choses évoluent ensuite lentement : au milieu des années 1960, les tribunaux ont progressivement pris l’habitude d’inspecter les institutions auxiliaires, mais ils le font encore trop rarement et sans toujours transmettre un rapport à leur autorité de tutelle227. En mai 1965, cela fait par exemple plus de quatre ans que le tribunal de Málaga n’a pas envoyé de rapport d’inspection au CSPM alors qu’il est censé le faire tous les mois228. Dans la correspondance de la direction de la section pour garçons de la CSVF, il faut attendre l’année 1966 pour que les premiers rapports d’inspection apparaissent229. Au début de l’année 1970, des abus signalés dans une maison de redressement provoquent l’ire du président du CSPM, Javier Ybarra y Bergé, qui considère que ces faits déplorables ne se seraient jamais produits si les inspections avaient été « réelles, sérieuses et efficaces230 ».
L’évolution tardive de la prise en charge des jeunes dangereux et en danger (deuxième moitié des années 1960)
48En juillet 1965, le colloque sur « l’enfance en danger moral » qui se tient à Madrid, sous le patronage du ministère de la Justice, dresse un bilan sans concession du fonctionnement des maisons de redressement espagnoles. 26 ans après la fin de la guerre civile, 17 ans après les décrets de 1948, l’observation scientifique des mineurs, « seule garante d’une prise en charge adaptée et individualisée », n’est pas menée correctement. Les maisons de redressement sont de vastes établissements accueillant les mineurs de façon massive et indifférenciée, alors qu’il faudrait mettre en place des dortoirs de six à huit personnes. Les installations sportives sont insuffisantes et en mauvais état. La répartition du temps entre travail, classe, prière, repos et loisirs n’est pas assez équilibrée. Enfin, l’ouverture vers l’extérieur des reformatorios est bien trop limitée. Symboliquement, ce colloque marque une césure. La même année, l’arrivée de Mariano Puigdollers Oliver à la tête du Conseil supérieur de protection des mineurs, puis celle de Javier Ybarra y Bergé quelques années plus tard, correspondent à des tentatives de modernisation mesurée. Il faut dire que le contexte économique et politique est désormais plus favorable : adopté sous l’influence des « technocrates » de l’Opus Dei, le plan de 1959 a marqué la fin de l’autarcie économique ; l’ambition existe aussi de renouveler une administration publique archaïque et largement inefficace. À partir de la fin des années 1960, le CSPM réalise un effort budgétaire significatif, qui permet de lancer des travaux de réhabilitation que le personnel religieux et les tribunaux pour mineurs réclamaient en vain depuis plus de deux décennies. En 1972, un projet d’une valeur de 21 millions de pesetas est soumis au CSPM pour rénover le bâtiment destiné à la communauté religieuse, les ateliers et les installations sportives de la section pour garçons de la CSVF. Des travaux étaient également prévus dans la section pour filles trois ans plus tôt231. D’autres changements notables sont à signaler : le statut du personnel auxiliaire de l’établissement valencien est codifié et la part des laïcs dans le personnel éducatif augmente. L’Église perd du terrain et la profession d’éducateur se professionnalise232. La part des loisirs dans l’emploi du temps des garçons de la CSVF est plus importante et ces activités sont plus diversifiées : les pensionnaires peuvent lire ou regarder la télévision ; des sorties au musée et au zoo, la visite d’une usine Coca-Cola sont prévues233. Enfin, depuis le milieu des années 1960, on porte une attention beaucoup plus grande aux liens entre les pensionnaires et leur famille. L’internement n’est désormais plus synonyme d’enfermement total : les mineurs vont passer le dimanche chez eux, en compagnie de leur famille. Luis, né à Burgos en 1955, séjourne à l’Asilo Durán de 1971 à 1974 ; il rentre chez lui toutes les semaines234. La tante de Sandalio, qui a été interné à l’Asilo Durán en septembre 1972 pour un vol commis au Corte Inglés, vient chercher l’enfant tous les samedis235. Les liens entre le personnel des établissements et la famille des pensionnaires se renforcent également. En décembre 1974 par exemple, le directeur de la section pour garçons de la CSVF demande aux parents de « collaborer » avec le personnel pour éduquer leur enfant et les invite à assister à un spectacle de Noël organisé au sein de l’institution236.
Conclusion
49En définitive, l’étude du fonctionnement de l’Asilo Durán et de la Colonia San Vicente Ferrer montre que le « redressement » des jeunes déviants repose sur des piliers traditionnels : le travail et la religion. Le régime disciplinaire de la CSVF est strict, celui de l’Asilo Durán est très sévère mais pas étonnant dans des institutions destinées à corriger des jeunes considérés comme dangereux. La situation de l’Espagne, dans les années 1940 au moins, ne diffère à cet égard guère de celle des autres pays étrangers. Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, les archives ne montrent pas que les maisons de redressement ont été prioritairement utilisées par le régime franquiste pour endoctriner les jeunes dans le but d’en faire les porte-drapeaux de la « nouvelle Espagne », par une intervention marquée et régulière de la Phalange entre les murs des institutions, par exemple. En revanche, la spécificité profonde du système de prise en charge de la déviance juvénile sous le franquisme réside dans le choix fait par les autorités, après la période républicaine et la guerre civile, de se tourner sans ambages vers le secteur privé catholique. Les congrégations religieuses ont la haute main sur la quasi-totalité des maisons de redressement et impriment leur marque au « redressement » dispensé dans les institutions. La religion est au cœur de la vie quotidienne des institutions. Les jeunes dangereux et en danger constituent un public captif et donc, une cible privilégiée pour les religieux, qui voient là l’occasion de convertir les masses qui s’étaient éloignées d’eux pendant la période de la Seconde République et de la guerre civile. Mais les maisons de redressement espagnoles marchent mal et connaissent des problèmes tellement profonds et généralisés qu’ils en deviennent structurels. Il s’agit là de la deuxième caractéristique essentielle du système de prise en charge de la déviance juvénile sous le franquisme : ce dernier souffre d’un manque de moyens flagrant, symptôme de la mauvaise santé économique du pays et d’une absence de volonté politique réelle, obérant toute possibilité sérieuse de rééducation et donc, d’efficacité. Un constat similaire est dressé pour une autre institution prenant en charge l’enfance nécessiteuse, phalangiste pour sa part, l’Auxilio Social : alors que cette institution constitue le principal pilier de la politique sociale du franquisme, les sources primaires révèlent une institution incapable de développer son programme de bienfaisance à destination des plus pauvres en raison des dysfonctionnements qu’elle rencontre (mauvaise gestion des ressources, corruption, vol d’aliments par le personnel…)237. Le nombre de repas servis et de personnes assistées commence à baisser à partir de l’année 1940 alors que c’est à ce moment-là que les effets de la faim commencent à réellement se faire sentir dans tout le pays (maladies, morts par inanition, suicides…)238. Dans ces conditions, contrairement aux assertions de la propagande officielle, la politique sociale du franquisme a été un mythe, tant dans le domaine éducatif, en raison de la faiblesse des moyens investis, du logement ou de la sécurité sociale239. Les deux caractéristiques ajoutées (omnipotence du secteur privé catholique et manque de moyens) montrent que les choix opérés après la guerre civile par les vainqueurs ont conduit à mettre en place un système de prise en charge de la déviance juvénile qui est traditionaliste, archaïque et autarcique, étranger aux évolutions se faisant jour dans les autres pays, et qui ne fonctionne pas. Le Conseil supérieur de protection des mineurs lui-même aboutit à ce constat au milieu des années 1960. Par une profonde ironie de l’histoire, le système commence alors à évoluer lentement dans le sens préconisé par Matilde Huici de San Martín dans les années 1920 et 1930, par exemple en ce qui concerne l’inspection des maisons de redressement et la formation du personnel. Trente ans plus tard, l’action relativement réformatrice de Javier Ybarra y Bergé donne ainsi tort aux choix faits par son père, Gabriel María Ybarra y de la Revilla, juste après la guerre civile.
Notes de bas de page
1Marsé J., Adieu la vie, adieu l’amour, Paris, C. Bourgois, 1992 (1973), p. 241.
2Goffman E., Asiles, études sur la condition sociale des malades mentaux et autre reclus, Paris, Éditions de Minuit, 1968, p. 41.
3Les données sont tirées du fonds de la Junta de beneficiencia de Barcelona, Secció AFA, comptabilitat 79 (Barcelona) Asil Toribi Durán, carton no 250, Arxiu Nacional de Catalunya (ci-après ANC).
4Rapport datant du 17-05-1950, ATTMBcn, dossier no 5942b/1946.
5Lettre du directeur de la CSVF datée du 26-02-1942, archives de la direction de la section pour garçons (ci-après ADIRCSVFgarçons), année 1942.
6Clause no 9 du contrat établi le 26-04-1961 entre le TTM de Valence et la congrégation des Tertiaires capucins. Ibid., année 1961.
7Lettre datant du 31-12-1974, ibid., année 1974.
8« Descripción, situación, organización, personal y resultados de la Escuela de Reforma de Burjassot. Sección Niñas », mai 1956, ATTMVal, carton no 577.
9Accord datant du 03-06-1948 et fiche psycho-médico-pédagogique datée du 13-07-1948, ibid., dossier no 97/1948.
10Lettre datant du 08-03-1974, ADIRCSVFgarçons, année 1974.
11Les archives disponibles ne permettent malheureusement pas de connaître la composition du personnel de l’Asilo Durán.
12Lettre datant du 01-01-1942, ADIRCSVFgarçons, année 1942.
13Lettre datant du 27-10-1962, ibid., année 1962.
14« Normas para el personal de la Escuela de Reforma, Sección Niñas. Obligaciones por cargo », non daté, ATTMVal.
15Acuerdo sobre el personal auxiliar, 08-11-1972. ADIRCSVFgarçons, année 1972.
16Lettre datant du 01-01-1942, ibid., année 1942.
17« Reglamento por el que se ha de regir el personal de la escuela de reforma », 1948 ; « Reglamento por el que se ha de regir la señorita encargada de un Hogar », janvier 1949 ; « Normas para el personal de la Escuela », mai 1962 ; ATTMVal, carton no 577.
18Thomazeau A., « Entre éducation et enfermement : le rôle de l’éducatrice en internat de rééducation pour filles, de la Libération au début des années 1960 », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », 2005, no 7, p. 147-171.
19Entretien avec P. Escalera Pelejero (02-06-2009).
20La Mañana (Diario de FET y de las JONS), Lérida, 15-12-1957, ACSPM, carton no 589.
21Lettre adressée par le directeur de la section pour garçons de la CSVF au président du CSPM le 22-05-1975. ADIRCSVFgarçons, année 1975.
22Brochure jointe à une lettre du directeur datant du 21-03-1952. Fonds de la Junta Provincial de Asistencia Social (Junta de Beneficiencia), carton no 276, ANC.
23Sur d’autres institutions disciplinaires, voir les réflexions du GRID (Groupe de recherche sur les institutions disciplinaires) : « Penser, dépenser et dispenser l’argent en institutions » (journée d’études organisée au Centre d’histoire de Sciences Po le 15-11-19) ; « Travailler entre quatre murs » (table-ronde organisée dans le cadre des Rendez-vous de l’histoire de Blois, 09-10-21).
24Rapport semestriel daté du 05-06-1956, ATTMVal, dossier no 806/1951.
25Rapport de liberté surveillée datant du mois de mars 1948, ibid., dossier no 929/1944.
26Comptes trimestriels du 20-09-1946 et du 31-03-1950, ibid., carton no 575.
27Lettre datée du 29-01-1964, ADIRCSVFgarçons, année 1964.
28Rapport datant du 21-01-1942, ibid., dossier no 27/1942.
29Entretien J. A. Bosch Hernández (le 22-06-2009).
30Contrat signé entre le président du TTM de Valence, Desiderio Criado Cervera, et le père Antonio Llopis Aparisi, supérieur provincial de la congrégation des Tertiaires capucins, 30-09-1966. ADIRCSVFgarçons, année 1966.
31Entretien avec A. Figueras Onofre (03-11-09).
32Entretien avec F. Ferré Ignacio (04-11-2009).
33« Breve información sobre el Reformatorio de Las Palmas de Gran Canaria », 14-04-1942, ACSPM, carton no 361.
34Lettre du président du TTM de Valence au CSPM, 28-05-1940, ibid., carton no 908.
35ATTMVal, dossier no 147/1939.
36Lettre du président du TTM de Valence au CSPM, 28-05-1940, ACSPM, carton no 908.
37Lettre du directeur au président du CSPM, 22-05-1975, ibid., année 1975.
38C’est le constat dressé par les participants au colloque portant sur « l’enfance en danger moral », organisé en juillet 1965 à Madrid (ACSPM).
39Lettre du directeur, datant du 22-01-1942. ADIRCSVFgarçons, année 1942.
40« Descripción, situación, organización, personal y resultados de la Escuela de Reforma de Burjassot. Sección Niñas », abril 1956, ATTMVal, carton no 577. Correspondance du tribunal pour mineurs de Séville (1938-1943), ACSPM, carton no 894.
41Fondo de la Junta Provincial de Asistencia Social (Junta de Beneficiencia), no 276, ANC.
42Entretien avec J. Soria Mor (20-06-2008).
43« Normativa sobre actos y ejercicios de piedad por parte de las menores en la Escuela de reforma de Burjassot y los Hogares de Sagrada Familia, Nazaret y Virgen de los Desamparados », sans date, ATTMVal, carton no 577.
44Lettre de la directrice de la CSVF datée du 09-12-1946 ; ibid., dossier no 741/1946.
45Rapport du 28-08-1944, ibid., dossier no 327/1943.
46Álvarez Peláez R., « Eugenesia y fascismo en la España de los años treinta », Huertas García-Alejo R. et Ortiz C. (dir.), Ciencia y fascismo, Aranjuez, Doce Calles, 1997.
47« Descripción, situación, organización, personal y resultados de la Escuela de Reforma de Burjassot. Sección Niñas. Burjassot », avril 1956, ATTMVal, carton no 577.
48« Examen diario y boletín mensual de regularidad », ibid.
49Ángela Cenarro observe le même phénomène dans les foyers phalangistes de l’Auxilio Social. Cenarro Lagunas Á., La sonrisa de Falange: Auxilio Social en la Guerra Civil y en la posguerra, Barcelona, Crítica, 2006, p. 161.
50Lettre datée du 07-02-1942, ADIRCSVFgarçons, année 1942. Lettre sans date, ibid., année 1952.
51AAD.
52Rapport datant de novembre 1949, ATTMBcn, dossier no 5054b/1946.
53Rapport datant du 01-04-1968, AAD.
54Rapport datant du 14-06-1943, ATTMVal, dossier no 287/1941.
55Rapport semestriel daté du 15-06-1954, ibid., dossier no 13/1953.
56Huertas R., « Una nueva inquisición para un Nuevo Estado: psiquiatría y orden social en la obra de Antonio Vallejo Nágera », Huertas R. et Ortiz C. (dir.), Ciencia y fascismo, op. cit., p. 103.
57Palacios Sánchez J., op. cit., p. 245.
58Orden de 14 de enero de 1948 por la que se resuelve que todas las Escuelas de Enseñanza Primaria que dependan del Consejo Superior de Protección de Menores queden sometidas en su organización, funcionamiento y provisión a un Consejo de Protección Escolar, que quedará integrado en la forma que se cita, BOE, no 176, 24-01-1948.
59Document datant du 29-01-1964, ADIRCSVFgarçons, année 1964.
60Lettre du juge des mineurs datée du 25-04-1974, ibid., année 1974.
61Brochure jointe à une lettre du directeur datant du 21-03-1952. Fondo de la Junta Provincial de Asistencia Social (Junta de Beneficiencia), carton no 276, ANC.
62Brochure jointe à une lettre du directeur datant du 21-03-1952. Fonds de la Junta Provincial de Asistencia Social (Junta de Beneficiencia), carton no 276, ANC.
63Entretien avec A. Rincón Rubio (05-11-2009).
64Entretien avec J. A. Bosch Fernández (22-06-2009).
65Entretien avec V. Marques i Sanmiguel (09-11-2009).
66Entretien avec F. Ferre Ignacio (04-11-2009).
67Entretien avec M. del Castillo (03-06-2010).
68AAD.
69« Reglamento para las alumnas de la Escuela de Reforma San Vicente Ferrer, Sección Niñas », non daté, ATTMVal, carton no 577.
70Entretien avec F. Ferre Ignacio (04-11-2009).
71Entretien avec A. Rincón Rubio (05-11-2009).
72Foucault M., Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975.
73Entretien avec M. del Castillo (03-11-2009).
74Entretien avec A. Figueras Onofre (03-06-2010).
75Entretien avec V. Marques i Sanmiguel (09-11-2009).
76Entretien avec A. Rincón Rubio (05-11-2009).
77ACSPM.
78Entretien avec V. Marques i Sanmiguel (09-11-2009).
79« Reglamento para las alumnas de la Escuela de Reforma San Vicente Ferrer, Sección Niñas », sans date, ATTMVal, carton no 577.
80Entretien avec M. del Castillo (13-06-2010).
81Entretien avec P. Escalera Pelejero (02-06-2009).
82Ibid.
83ADIRCSVFgarçons, année 1969.
84Rapport datant du 13-01-1940, ATTMVal, dossier no 203/1937.
85Rapport datant du 21-08-1940, ibid., dossier no 169/1939.
86Rapport datant du 20-11-1943, ibid., dossier no 485/1941.
87Ibid., dossier no 889/1945.
88Lettre datant du 23-03-1953, ibid., dossier no 843/1952.
89« Reglamento para las alumnas de la Escuela de Reforma San Vicente Ferrer, Sección Niñas », non daté, ibid., carton no 577.
90Reglamento de la Señorita encargada del Hogar/CSVF (niñas), ibid.
91Entretien F. Ferré Ignacio (04-11-2009).
92Entretien avec P. Escalera Pelejero (02-06-2009).
93Rapport datant du 04-03-1953, ATTMVal, dossier no 648/1949.
94Rapport datant du 05-03-1940, ibid., dossier no 1015/1938.
95Ibid., dossier no 439/1942.
96Rapport datant du 23-11-1943, ibid., dossier no 418/1941.
97Rapport datant du 02-11-1945, ibid., dossier no 724/1943.
98Entretien avec P. Escalera Pelejero (02-06-2009).
99Dossier instruit contre Joaquin Aracil Barra, président du TTM de Las Palmas (juillet 1956), ACSPM, carton no 694.
100Enquête réalisée le 08-03-1974, ADIRCSVFgarçons, année 1974.
101La nécessité de mener des inspections est consignée dans les articles 60 al 70 du décret du 2 juillet 1948, dans les articles 138 et 139 du règlement encadrant l’application de la loi relatives aux tribunaux pour mineurs, approuvé par décret le 11 juin 1948.
102Entretien avec P. Escalera Pelejero (02-06-200.
103Entretien avec V. Marques i Sanmiguel (09-11-2009).
104Ibid.
105Entretien avec M. del Castillo (13-06-2010).
106Lettre du supérieur général des Tertiaires capucins à Juan de Hinojosa y Ferrer, président du CSPM, datée du 02-02-1942. ACSPM.
107Pour une analyse détaillée, voir Nuq A., « “L’affaire Michel del Castillo”, une campagne de protestation contre les maisons de redressement espagnoles (1957-1959) », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », 2011/1, no 13, p. 43-59.
108Correspondance entre le CSPM et le TTM de Barcelone, ASPM, carton no 852.
109Ibid.
110Entretien avec F. Ferre Ignacio (04-11-2009).
111Román Ruiz G. et Alba Martínez Martínez A., « “Una pizarra, el crucifijo y Franco”. Memorias de la escuela del primer franquismo », Hernández Burgos C. (dir.). Voces de un pasado gris. Las fuentes orales y la didáctica del franquismo, Grenade, Editorial Comares, 2021, p. 53.
112Entretien avec V. Marques i Sanmiguel (09-11-2009).
113Entretien avec J. Soria Mor (20-06-2008).
114Entretien avec V. Marques i Sanmiguel (09-11-2009).
115« Informations relatives à la maison de redressement Toribio Durán (06-11-1957) », ACSPM, carton no 918.
116Lettre datant du 02-12-1960, AAD.
117« Informations relatives à la maison de redressement Toribio Durán (01-08-1958) », ACSPM, carton no 918.
118AAD.
119Entretien avec V. Marques i Sanmiguel (09-11-2009).
120Ibid.
121Rapport datant du 03-05-1945, ATTMVal, dossier no 667/1942.
122Rapport datant du 06-02-1948, ibid., dossier no 2/1944.
123Entretien avec P. Escalera Pelejero (02-06-2009).
124Rapport médical datant du 23-05-1942, ATTMVal, dossier no 462/1939.
125Rapport datant de juillet 1951, ibid., dossier no 6427b/1947.
126Rapport datant du 24-10-1946, ibid., dossier no 673/1946.
127Rapport de police datant du 15-07-1968, AAD.
128ACSPM.
129Lettre du supérieur provincial des Tertiaires capucins (province occidentale) à Mariano Puigdollers, président du CSPM, 17-04-1965. ACSPM.
130Entretien avec J. A. Bosch Fernández (22-06-2009).
131Entretien avec F. Ferre Ignacio (04-11-2009).
132Entretien avec A. Figueras Onofre (03-11-09).
133En Irlande en mai 2005, après neuf ans d’enquête, le rapport Ryan a notamment dénoncé les abus sexuels dont ont été victimes de nombreux pensionnaires dans des établissements correctifs tenus par des congrégations catholiques, [http://www.childabusecommission.com/rpt/index.php].
135[https://www.ciase.fr/rapport-final/]. El País qualifie « d’abyssale » la différence d’attitude entre les clergés français et espagnol, [https://elpais.com/sociedad/2021-10-05/la-diferencia-abismal-con-francia-de-la-iglesia-espanola-se-niega-a-investigar-los-abusos-del-pasado.html#?rel=mas_sumario].
136Goffman E., op. cit., p. 106-109.
137AAD.
138Rapport datant de juin 1948, ATTMVal, dossier no 474/1945.
139Document datant du 28-08-1945, ibid., dossier no 78/1945.
140AAD.
141Rapport datant d’août 1946, ATTMVal, dossier no 484/1940.
142Rapport datant de juillet 1946, ibid., dossier no 1019/1944.
143AAD.
144Entretien avec A. Figueras Onofre, réalisé le 03-11-09.
145Document datant du 23-03-1950, ATTMVal, dossier no 974/1949.
146Ibid., dossier no 245/1941.
147Entretien téléphonique réalisé avec E. Abello García le 19-06-2009.
148Entretien avec F. Castro Villena (07-11-2009).
149ATTMVal, dossier no 117/1940.
150Document datant du 23-03-1950, ibid., dossier no 974/1949.
151« Mouvements de mineurs intervenus dans l’année 1943 », ADIRCSVFgarçons, divers.
152Entretien avec Escalera Pelejero (02-06-2009).
153Lettre du président du TTM au président du CSPM, 13-07-1961. ACSPM, carton no 852.
154Entretien avec F. Ferré Ignacio (04-11-2009).
155Document datant du 08-01-1943, AAD.
156Lettre adressée par la mère d’Alberto au directeur de l’Asilo Durán, 02-02-1967, ibid.
157Lettre écrite par Antonio, sans date, ibid.
158Document datant du 02-02-1941, ADIRCSVFgarçons.
159Document datant du 05-04-1947, ATTMVal, dossier no 203/1937.
160Document datant du 01-06-1942, ADIRCSVFgarçons, année 1942.
161Document datant du 11-07-1972, ibid., année 1972.
162Liste des mineurs appartenant au contingent de 1942, 18-04-1942, ibid., année 1942.
163Entretien avec F. Ferre Ignacio (04-11-2009).
164Document datant du 21-06-1966, ADIRCSVFgarçons.
165Entretien avec V. Marqués i Sanmiguel (09-11-2009).
166Document datant du 16-11-1942, ATTMVal, dossier no 282/1942.
167Rapport datant du 18-05-1943, ibid., dossier no 25/1940.
168Rapport datant de 1943, ibid., dossier no 282/1942.
169Rapport datant de janvier 1946, ibid., dossier no 350/1943.
170Rapports de janvier et de septembre 1950, ibid., dossier no 279/1948.
171Entretien avec P. Escalera Pelejero (02-06-2009).
172Anderson P., The Age of Mass Child Removal in Spain, op. cit., p. 13.
173Document datant du 20-01-1945, ATTMVal, dossier no 287/1941.
174Lettre datée du 10-07-1946, ATTMBcn, dossier no 14, 890/1939.
175Entretien avec V. Marques i Sanmiguel (09-11-2009).
176AAD.
177ATTMBcn, dossier no 17971/1941.
178AAD.
179Entretien avec F. Castro Villena (07-11-2009).
180Albó y Martí R., Corrección de la infancia delincuente, Madrid, Eduardo Arias, 1905.
181AAD.
182ATTMVal, dossier no 76/1942.
183Rapport datant du 06-09-1947, ibid., dossier no 347/1945.
184Rapport datant du 30-06-1943, ibid., dossier no 466/1942.
185AAD.
186Document datant du 15-06-1949.
187Rapport médical datant du 09-04-1955, ATTMVal, dossier no 596/1953.
188Lettre datant du 12-01-1947, ibid., dossier no 416/1943.
189Fiche réalisée le 02-06-1948, ibid., dossier no 4/1948.
190Accord datant du 20-01-1956, ibid., dossier no 820/1950.
191Lettre adressée à Díaz Molero, 16-11-1943, ACSPM carton no 894.
192Lettre adressée par le secrétaire général du CSPM au président du TTM de Séville, 26-03-1943, ibid.
193Lettre adressée par le président du TTM de Barcelone au vice-président du CSPM, 27-10-1942, ibid.
194Lettre adressée par le président du TTM à Gregorio Santiago Castiella, 29-03-1943, ibid.
195Document datant d’avril 1943, correspondance du TTM de Séville (1938-1943), ibid.
196Lettre adressée au CSPM le 16-02-1954, ibid.
197Lettre datée du 16-02-1954, ibid., carton no 852.
198Dossier instruit contre Joaquín Aracil Barra, président du TTM de Las Palmas, 07/1956, ibid., carton no 694.
199Ibid.
200Enquête datant du 08-03-1964, ADIRCSVFgarçons, année 1974.
201Rapport datant de juillet 1950, ATTMVal, dossier no 973/1949.
202Lettre adressée par le président du TTM de Séville à Gregorio Santiago Castiella, 13-08-1948, ACSPM, carton no 896.
203Ibid.
204Consejo Superior de Protección de Menores, Memoria, op. cit., 1972.
205Rapport datant de juillet 1951, ATTMVal, dossier no 973/1949.
206Rapport datant de mai 1948, ibid., dossier no 494/1940.
207Rapport datant de novembre 1948, ibid., dossier no 199/1942.
208Lettre du directeur de la CSVF au président du TTM de Valence, datée du 01-03-1949. ADIRCSVFgarçons, année 1939.
209Lettre de Rafael à sa famille datant du 27-02-1950, ATTMBcn, dossier no 2054b/1943.
210Enquête réalisée pour le ministère de l’Éducation nationale, 11-02-1954, ACSPM, carton no 967.
211Roman Ruiz G. et Martínez Martínez A., « “Una pizarra, el crucifijo y Franco”… », op cit., p. 46.
212Enquête datant du 08-03-1964, ADIRCSVFgarçons, année 1974.
213Lettre adressée par la direction de la CSVF au président du TTM Valence, 16-06-1964, ibid., année 1964.
214Lettre du directeur de la CSVF au président du CSPM, 22-05-1975, ibid., année 1975.
215Lettre du président du TTM de Séville à Gregorio Santiago Castiella, secrétaire général du CSPM, 02-07-1952. ACSPM, carton no 896.
216Lettre datant du 10-05-1969, ibid.
217Lettre datée du 10-01-1947, ibid., carton no 909.
218Lettre du vice-président du CSPM au ministère de la Justice, 6 avril 1942, ibid., carton no 908.
219Lettre du président du TTM de Valence au vice-président du CSPM, 9 mars 1942, ibid.
220Lettre datée du 10-01-1953, correspondance du TTM de Barcelone, ACSPM, carton no 852.
221Contrat signé le 26-04-1961, ADIRCSVFgarçons, année 1961.
222Contrat signé le 30-09-1966, ibid., année 1966.
223Lettre adressée par le président du TTM de Valence au vice-président du CSPM, 14-02-1941, ACSPM, carton no 908.
224Lettre adressée par Isidro de Cespedes à Domingo de Casso, 02-01-1936, ibid., carton no 893.
225Document datant de janvier 1944, ibid., carton no 894.
226Circulaire du 16-01-1948, dossier relatif à l’inspection des TTM, ACSPM, carton no 2 805.
227Lettre adressée par le secrétaire général du CSPM au président du TTM de Málaga, 10-05-1965, ibid., carton no 2 804.
228Ibid.
229Compte rendu de l’inspection réalisée à la CSVF, 24-08-1966, ibid., carton no 2 805.
230Lettre adressée par le président du CSPM aux présidents de tous les TTM du pays, 04-03-1970, ibid.
231Travaux dans les sections pour garçons et pour filles de la CSVF (1972 et 1969), ibid., cartons no 1 037 et 1 038.
232« Acuerdo sobre el personal auxiliar », 08-11-1972, ADIRCSVFgarçons, année 1972.
233Enquête du 08-03-1974, ibid., 1974.
234AAD.
235Ibid.
236Lettre écrite par José A. Pitarch le 12-12-1974, ADIRCSVFgarçons, année 1974.
237Prada Rodríguez J., « “Que es redención dinámica del dolor, del frío, del hambre y de la miseria”: Auxilio Social en Ourense (1936-1940) », Minius: Revista do Departamento de Historia, Arte e Xeografía, 2002, no 10, p. 191.
238Jiménez Aguilar F., « “No son unos comedores más”. Auxilio Social, biopolítica y hambre en el primer franquismo », del Arco Blanco M. Á. (dir.), Los “años del hambre”: historia y memoria de la posguerra franquista, Madrid, Marcial Pons Historia, 2020, p. 203.
239Ortiz Heras M. et González Madrid D. A., « El mito de la política social franquista: vivienda, educación y seguridad social », Ortiz Heras M. (dir.), ¿Qué sabemos del franquismo? Estudios para comprender la dictadura de Franco, Grenade, Editorial Comares, 2018, p. 43-67.
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