Chapitre III. Portrait de groupe : une jeunesse fragile
p. 69-94
Texte intégral
1« Les maisons de redressement sont les lieux d’aisance dans lesquels défèque la société capitaliste. Ces endroits n’ont jamais été en pleine lumière, ils ont toujours été obscurs, mis à l’écart, occultés, dissimulés… Leurs relents ont été supportés par les classes les plus pauvres du peuple, par les enfants des familles brisées et déshéritées1. » C’est pour obliger la société espagnole à regarder en face la situation des reformatorios que José Ortega Esteban publie, en 1978, un ouvrage provocateur et polémique dans lequel il retrace son expérience éphémère de directeur du « Centre de rééducation de la conduite San José », situé à Tejares (Salamanque). Au milieu des années 1970, les pensionnaires étaient selon lui issus de familles déstructurées, pauvres et marginales. Si ce lien entre pauvreté et délinquance juvénile est loin d’être spécifique à l’Espagne franquiste, il prend un relief particulier dans ce contexte. En effet, en 1939, le pays était profondément divisé entre vainqueurs et vaincus. Des mesures répressives ont spécifiquement été dirigées contre les secteurs sociaux identifiés comme des opposants potentiels : anciens républicains, militants, syndicalistes… Mais la dictature a également cherché à s’assurer la fidélité politique de la population en mettant en place une politique sociale2. Les ouvriers ont été les premiers visés, inquiétant au plus haut point un régime ne cessant de voir en eux des révolutionnaires potentiels. L’Église catholique partageait cette crainte, déplorant « l’apostasie des masses3 ». Dans ce contexte mêlant répression politique, contrôle étroit et mesures sociales, les maisons de redressement peuvent apparaître comme des outils privilégiés, permettant aux autorités franquistes et à l’Église catholique de liquider l’héritage républicain en rééduquant les enfants d’ouvriers. Est-ce réellement ce que montrent les archives ? Dans quel vivier puisent les reformatorios? Comment évolue le profil sociologique des pensionnaires de l’Asilo Durán et de la Colonia San Vicente Ferrer dans le contexte de mutations socio-économiques profondes que connaît l’Espagne dans les années 1960 et 1970 ? Niveau scolaire, travail, conditions de vie, migrations et, souvent, misère et fragilité : les dossiers personnels des mineurs internés en maison de redressement permettent d’observer, « par en bas » et dans une perspective microhistorique, les marges des sociétés urbaines.
« De jeunes vauriens sans école4 » ?
2Il est difficile d’apprécier le niveau scolaire des pensionnaires des deux maisons de redressement étudiées : si les dossiers personnels contiennent une rubrique « instruction », celle-ci n’est pas toujours renseignée ou contient des informations lapidaires (« bon », « moyen » ou « mauvais »), les exigences scolaires n’étant par ailleurs pas les mêmes dans l’Espagne désorganisée et miséreuse de l’immédiat après-guerre et dans celle des années 1970. De toute façon, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, le but de l’internement n’est pas de dispenser une instruction scolaire poussée et de qualité. Reste que les informations dont nous disposons, aussi incomplètes et imparfaites qu’elles soient, font apparaître que près de la moitié des 2 310 mineurs du corpus ont un niveau scolaire qualifié de « mauvais » : on peut penser qu’ils sont analphabètes et n’ont aucune maîtrise du calcul. 610 enfants et adolescents ont un niveau moyen (39 % du total) ; parviennent-ils à lire et à écrire, et maîtrisent-ils les quatre opérations mathématiques de base, même avec difficulté ? Enfin, seuls 14 % des pensionnaires considérés ont un bon niveau scolaire : ils savent probablement lire, écrire et compter, et ont même une culture générale supérieure à la moyenne de leurs camarades.
3Si les informations relatives au niveau scolaire des pensionnaires ne sont pas cruciales aux yeux du personnel des maisons de redressement, il n’en va pas de même de leur instruction religieuse. Le fait de savoir s’ils ont reçu le baptême et la première communion, sacrements de l’initiation chrétienne, constitue ainsi une donnée essentielle. Les mentions « ¿está bautizado? » (« est-il baptisé ? ») et « ¿ha hecho su primera comunión? » (« a-t-il fait sa première communion ? ») figurent par exemple dans tous les dossiers personnels de l’Asilo Durán, des années 1940 au début des années 1970. Sur la longue durée, les archives montrent une intégration des normes catholiques : on sait que plus de la moitié des pensionnaires sont baptisés dans les années 1940 ; c’est ensuite le cas de deux pensionnaires sur trois pendant la première moitié des années 1950 et de 81 % d’entre eux de 1956 à 1960. La tendance est encore plus nette pour la première communion : la proportion de mineurs dont on sait qu’ils ont déjà reçu ce sacrement lorsqu’ils entrent à l’Asilo Durán ou à la Colonia San Vicente Ferrer ne cesse d’augmenter (47 % des pensionnaires en 1941-1945, 48 % en 1946-1950, 56 % en 1951-1955) pour atteindre un pic historique (70 % du total) pendant la deuxième moitié de la décennie 1950, puis se maintenir à un niveau élevé durant les années 1960 (plus de 60 %). Même dans les milieux populaires, on constate donc que les pratiques religieuses se diffusent, ou que croît en tout cas un respect plus grand des préceptes de la religion officielle, sans que l’on puisse savoir s’il s’agit là d’un changement superficiel accepté par peur, prudence ou opportunisme5. Reste que l’idéologie catholique et traditionnaliste du régime franquiste a fait son chemin depuis les débuts de l’anticléricale Seconde république et la fin de la guerre civile, et ce dans toute l’Espagne. Dans les zones rurales de Galice, d’Andalousie et de la province de Murcie, le concubinage recule6. Dans le quartier populaire de Pacífico, à Madrid, le dominicain Jesús María Vázquez note dans les années 1950 que « les familles ont gagné en religiosité » : le nombre d’enfants nés hors mariage baisse, les enfants sont baptisés de plus en plus tôt, la fréquentation de la messe dominicale progresse, à rebours de l’évolution constatée au même moment en France7.
L’origine géographique des mineurs et de leurs familles
Un recrutement essentiellement local
4Les pensionnaires des deux maisons de redressement étudiées sont majoritairement originaires de la région dans laquelle est situé l’établissement : 66 % des jeunes envoyés à la Colonia San Vicente Ferrer sont nés dans la région valencienne ; 64 % des mineurs internés dans l’institution barcelonaise sont catalans de naissance. Néanmoins, sur l’ensemble de la période, les pensionnaires de l’institution valencienne peuvent être issus de douze autres régions espagnoles (Léon, Baléares, Asturies, provinces basques, Nouvelle-Castille…). L’aire de recrutement de l’Asilo Durán est encore plus large puisque l’institution barcelonaise, qui a la réputation d’être très stricte, accueille des jeunes garçons originaires du pays tout entier. Parmi eux, la proportion de « pensionistas », c’est-à-dire de pensionnaires dont la famille paie elle-même le séjour, est plus élevée que chez les Catalans de naissance. Francisco Javier, par exemple, est interné à l’âge de 12 ans l’Asilo Durán car il « ne veut pas aller à l’école » : ses parents vivent à 600 kilomètres de là, à Burgos, en Castille8.
5À une échelle plus précise, il apparaît que plus de neuf pensionnaires de la CSVF sur dix sont nés dans la province de Valence, qui compte en 1940 un petit peu plus d’un million d’habitants. La logique administrative est respectée : les trois provinces levantines (du nord au sud, celles de Castellón de la Plana, Valence et Alicante) disposent d’un tribunal pour mineurs et d’une maison de redressement dans laquelle peuvent être envoyés les mineurs nécessitant une « mesure éducative » sévère, sans nécessité de recourir à la CSVF. Le recrutement devient de moins en moins métropolitain : si trois pensionnaires de cet établissement sur quatre résident dans la commune de Valence de 1941 à 1945, ils ne sont plus qu’un sur deux à partir du milieu des années 1950 à 1975, au profit des autres villes les plus peuplées de la province valencienne (Alcira, Gandía, Sagonte, Paterna, Catarroja, Játiva, Cuart de Poblet, Silla, Manises…). Il arrive aussi (dans une vingtaine de cas) que les enfants résident à Burjasot et à Godella, communes limitrophes à la frontière desquelles est située la Colonia San Vicente Ferrer, institution familière à laquelle recourent plus facilement les habitants pour faire interner des enfants turbulents.
6À Barcelone, deux pensionnaires de l’Asilo Durán sur trois habitent dans la ville comtale pendant la décennie 1940. Cette proportion ne cesse de décroître ensuite : elle n’est que d’un quart au début des années 1970. Ce déclin est à relier à la croissance démographique spectaculaire de villes de la ceinture de Barcelone comme L’Hospitalet de Llobregat, Santa Coloma de Gramanet, Tarrasa, Badalona et Sabadell, dans lesquelles habitent au total 220 pensionnaires de l’Asilo Durán. Ces communes connaissent toutes une très forte croissance démographique et/ou un développement industriel important, essentiellement alimentés par l’immigration intérieure. Par exemple, l’Hospitalet de Llobregat est situé sur la rive gauche du fleuve Llobregat, au sud-est de Barcelone. Entre 1940 et 1970, la ville, qui a connu un développement industriel important au début du xxe siècle, voit sa population multipliée par 4,7, principalement à cause de l’immigration9. Le développement urbain est incontrôlé et les infrastructures sont insuffisantes : les quartiers de « baraques » apparaissent et s’étendent. C’est dans l’un d’eux que vit Miguel, envoyé pas moins de huit fois à l’Asilo Durán durant les années 1940, toujours pour vol10. 30 ans plus tard, Pedro, qui est arrêté pour vol en octobre 1972, vit aussi à L’Hospitalet de Llobregat avec ses parents et ses deux frère et sœur : on ne sait quand il est arrivé avec sa famille en Catalogne mais il est certain qu’il a fait sa première communion à Cordoue, en Andalousie ; son père est chauffeur et sa mère, femme au foyer11. Francisco Castro Villena, qui a séjourné à l’Asilo Durán de 1965 à 1968, affirme que ses camarades venaient essentiellement des villes situées dans la périphérie de Barcelone, plus précisément de la région du Besòs12. C’est, après le Llobregat, la deuxième direction dans laquelle s’est effectuée la croissance de Barcelone, cernée au nord par une chaîne de montagnes. Au début du xxe siècle, les premières vagues d’immigration, issues de la Catalogne intérieure et de l’Aragon, ont alimenté le développement de Santa Coloma de Gramanet, qui s’est opéré de façon anarchique. Les baraques fleurissent au milieu d’anciens terrains agricoles, dans des quartiers qui ne sont pas équipés de l’électricité ou du tout-à-l’égout, et ne sont guère mieux aménagés après la guerre. Entre 1950 et 1975, dopée par l’immigration, la population de Santa Coloma de Gramanet passe de 15 000 à 135 000 habitants. On construit à toute vitesse des immeubles pour remplacer les baraques, sans souci de planification13. En 1940, Alfonso, par exemple, vit avec sa famille dans le « second groupe de maisons bon marché » (« Casas baratas »), adresse pour le moins vague qui montre le faible degré d’aménagement du quartier. Il est né en 1926 à Castrejón de la Peña, dans la province de Palencia (nord de l’Espagne)14.
7De 1939 à 1975, 25 pensionnaires de l’Asilo Durán viennent de Sabadell, 43 autres de Tarrasa. Ces deux villes ont un profil différent : elles sont plus éloignées de Barcelone (une vingtaine de kilomètres environ) et ont une tradition industrielle ancienne, enracinée dans le textile. Sabadell s’industrialise fortement au xixe siècle ; c’est d’ailleurs ici qu’est installée la première machine à vapeur dans une usine textile, en 1804. Au xxe siècle Sabadell est, avec Tarrasa, le symbole de l’industrie textile en Espagne. Les deux villes connaissent une avalanche migratoire pendant les années 1950, 1960 et 1970, qui déclenche là aussi une expansion urbaine incontrôlée15. La famille de José, arrêté trois fois pour vol par la police entre 1948 et 1951, et envoyé à l’Asilo Durán, est d’origine andalouse et vit à Sabadell dans une baraque perdue au milieu des champs, comprenant une seule pièce et dans laquelle on dort à même le sol. Les revenus des parents (lui est journalier, elle est femme de ménage) suffisent d’autant moins à nourrir la famille que le père de José serait un alcoolique notoire, dépensant l’intégralité de sa paie à la taverne16. Juan José, lui, est né et habite à Tarrasa ; il a trois frères et sœurs. Ses parents sont tous les deux nés en Aragon. Le jeune garçon est placé à l’Asilo Durán en mars 1947 car on estime qu’il est exposé à un « danger de corruption » : chez lui, « ce sont les femmes qui portent la culotte et prennent le chef de famille pour un imbécile » ; la mère de Juan José ferait du marché noir et se prostituerait, ainsi que l’une de ses sœurs17.
La surreprésentation des jeunes migrants
8L’étude du lieu de naissance des pensionnaires des deux maisons de redressement fait apparaître les transformations profondes affectant les sociétés barcelonaise et valencienne, nourries par de puissants courants migratoires. Sous le franquisme, on estime que 1,6 million de personnes s’installent en Catalogne : celles-ci arrivent progressivement pendant la guerre mais la vague massive d’immigration se situe pendant les années 1950 et 196018. 12 % des pensionnaires de l’Asilo Durán sont nés en Andalousie, 5 % en Nouvelle-Castille, 5 % dans la région de Murcie (5 %), 2 % dans celle de Valence, 2 % en Vieille-Castille. De 1939 à 1975, la part relative des pensionnaires de l’Asilo Durán nés en Catalogne baisse ; de 1966 à 1970, on compte même plus d’Andalous que de Catalans de naissance. Les archives montrent que les mouvements migratoires sont souvent récents : si 64 % des pensionnaires de l’Asilo Durán sont nés en Catalogne, ce n’est le cas de que de 40 % des membres de leur famille. On compte ainsi deux fois plus d’immigrants dans les familles des pensionnaires de l’Asilo Durán que dans la population catalane dans son ensemble. Ces « Murciens », comme on les désigne de façon générique, sont en réalité partis d’autres régions espagnoles que de celle de Murcie : 21 % des personnes constituant l’environnement familial des pensionnaires de l’Asilo Durán viennent d’Andalousie (provinces d’Almería, de Jaén, de Grenade), 6 à 7 % d’Aragon, de Murcie, de Valence et de Nouvelle-Castille. Le père de Luis, par exemple, est originaire de Sorbas (province d’Almería). Il s’était réfugié en France après la prise de Barcelone par les troupes franquistes et avait été emprisonné dans un camp de concentration à son retour en Espagne. En 1940, il vit à Rubí avec sa seconde femme et les cinq enfants issus de ses deux mariages ; il est ouvrier à l’usine et gagne 112 pesetas19. Dans la province d’Almería, qui perd 170 000 habitants entre 1940 et 1970, la saignée démographique concerne d’abord les zones dans lesquelles n’existe pas une agriculture d’exportation (culture du raisin, d’agrumes) ; l’émigration est ensuite généralisée à toute la province dans les années 196020. Le père de Claudio, lui, est né à Úbeda (province de Jaén) en 1928. Il s’est marié à une catalane, Tomasa, qui exerce la profession de domestique. Leur fils, Claudio, effectue neuf séjours à l’Asilo Durán entre 1950 et 1956, dont il s’échappe à cinq reprises. Sa première fugue s’est produite le 4 décembre 1952, mais sa famille l’a elle-même ramené à la maison de redressement : comprenant quel est son lieu de destination, Claudio a jeté espadrilles et pantalons par la fenêtre du taxi21. Jusqu’en 1962, l’Andalousie est de loin la région qui exporte le plus d’émigrants : plus de 2 millions, soit 38 % de l’émigration espagnole. Entre 1940 et 1950, 204 695 personnes quittent l’Andalousie ; entre 1950 et 1960, elles sont 583 48722.
9L’Espagne connaît une urbanisation rapide : en 1930, 37 % de la population vivait dans des villes de plus de 5 000 habitants ; en 1960, cette part atteint 50,6 %23. Les migrations intérieures atteignent alors le niveau le plus haut depuis le début du siècle, avec pour destinations les capitales de province et notamment Madrid, Barcelone et l’axe industriel du nord du pays, autour du Pays basque. L’historiographie a remis en cause l’idée selon laquelle les migrations n’auraient véritablement commencé que dans les années 1950 et auraient eu des causes essentiellement économiques. En Catalogne, par exemple, les migrations ont commencé juste après la guerre civile24. La répression franquiste a pu en partie au moins en être la cause : le souhait d’aller s’établir dans un endroit où l’on n’était pas stigmatisé comme « rojo » (« rouge », républicain) et où il était possible de trouver du travail pouvait constituer une motivation puissante. Dans les années 1950, les migrations de jeunes Andalous vers la Catalogne constituent une réponse à la faim qui sévit encore et la principale stratégie de réponse à la misère25. Globalement, entre 1960 et 1975, 15 % de la population espagnole change de domicile et s’installe dans un autre lieu de la péninsule. L’émigration est d’autant plus forte que les différences sont grandes entre les régions de départ et d’arrivée, tant en termes de salaire que d’emploi26. Les flux vont de la campagne vers la ville : 70 % des migrations ont lieu à partir de communes comptant moins de 20 000 habitants. Le régime franquiste tente au maximum de les limiter jusqu’au début des années 1950 car ils ne cadrent pas avec son idéologie ruraliste et peuvent être un facteur de troubles. Dans ces conditions, il est nécessaire de demander au gouverneur civil de la province dans laquelle on vit l’autorisation de changer de lieu de résidence, en motivant sa demande. Dans la commune d’arrivée, il est impossible de recevoir des cartes de rationnement (qui sont en vigueur jusqu’en 1952) si l’on ne se signale pas auprès des autorités municipales. Les migrations illégales sont donc légion, soit parce que les personnes concernées ont un passé politique qui obère toute possibilité d’obtenir un sauf-conduit, soit pour éviter les contrôles dans la ville d’arrivée27. La surreprésentation des enfants de migrants parmi les pensionnaires des deux maisons de redressement est donc probablement sous-évaluée : les immigrants de fraîche date ne s’inscrivent pas auprès de la mairie pour éviter tout contrôle administratif.
10Le choix de quitter son foyer pour partir chercher une vie meilleure ne doit pas être interprété comme une décision brutale et irrationnelle. Ainsi, les immigrants des années 1940 viennent à Sabadell parce qu’ils savent que l’industrie locale a besoin de main-d’œuvre suite aux décès intervenus pendant la guerre, aux emprisonnements et à l’exil. Ils savent également qu’il est possible d’y trouver un travail « sûr » garantissant un salaire régulier. Ces informations sont transmises par des parents ou des « pays » qui sont déjà sur place. Ainsi, les grands-parents d’Agustín Rincón Rubio décident de quitter les environs de Jérez de la Frontera (Cadix) parce que l’un de leurs fils s’est installé à Barcelone, où il a fait son service militaire, et incite ses parents à le rejoindre « pour travailler28 ». Agustín Rincón Rubio, alors âgé de six ans, part donc avec ses grands-parents. À son arrivée à Barcelone, la famille s’établit à Montjuïc, comme de nombreux autres immigrants, et achète une ferme (masía) située dans la zone de Casa Valero qui n’a ni eau courante, ni électricité. D’autres quartiers de Barcelone sont les réceptacles de cette immigration massive, comme ceux du district d’Horta-Guinardó. Bande-à-Part, le héros ténébreux de Teresa l’après-midi, le magnifique roman de Juan Marsé, est successivement appelé « le Murcien », « le garçon du Sud » ou le « charnego » (terme péjoratif qui désigne tous les immigrants qui viennent d’une région dans laquelle on ne parle pas le catalan)29.
11Les migrants voyagent souvent en train. Pendant les années de l’après-guerre, ceux qui viennent d’Estrémadure mettent trois jours et deux nuits pour arriver à Barcelone. À partir de la fin des années 1950, le voyage est moins pénible : les contraintes qui pèsent sur les déplacements de population sont moins grandes ; le système des chemins de fer a été modernisé. Il n’est pas rare que le trajet se fasse par la route : des autobus sont affrétés dans les villages de départ. Reste que le choc de l’arrivée dans une grande ville comme Valence ou Barcelone est grand, comme en témoigne Francisco Castro Villena30. Âgé de dix ans, le petit Andalou a quitté son village de la province de Cordoue car « là-bas, il n’y avait rien ». Il a rejoint Huelva, puis Séville. C’est là qu’il a pris le train dit « des Sévillans », en partance pour Barcelone. Une fois arrivé dans la capitale catalane, l’enfant a passé deux jours dans l’enceinte de la gare de France : « tout était très grand pour moi, le monde le plus grand du monde : les voitures, les taxis, les gens avec leurs valises… » Il a ensuite fallu manger, survivre, se confronter à une nouvelle structure urbaine, apprivoiser les transports en commun, faire face au déracinement, résoudre l’épineuse et lancinante question du logement, les difficultés quotidiennes et d’adaptation… La précarité et la fragilité qui sont la résultante de ces différents facteurs expliquent ainsi le fait que la déviance juvénile soit plus fréquente parmi les migrants que dans la population installée depuis plus longtemps à Barcelone ou à Valence.
Lieu de résidence et conditions de vie
Des quartiers centraux vers la périphérie
Le centre délabré des grandes villes, principal vivier de jeunes déviants
12À Valence comme à Barcelone, le vieux centre-ville dégradé constitue le principal vivier dans lequel puisent les institutions correctives : de 1939 à 1975, 25 % des mineurs envoyés à la Colonia San Vicente Ferrer habitent dans le district valencien de Ciutat Vella (« vieille-ville » en valencien) ; 29 % des pensionnaires de l’Asilo Durán sont originaires du district barcelonais du même nom, ce qui en fait le quartier le plus représenté31. Dans les années 1940, la majorité des jeunes déviants sont issus de ces centres-villes d’origine médiévale voire romaine, aux rues tortueuses et sombres, dans lesquels se sont implantés des ateliers et des usines durant la révolution industrielle, qui sont paupérisés par le conflit, la répression politique et la misère de la posguerra. De plus, à Valence, les dégâts causés par la crue catastrophique du fleuve Turia, en 1957, n’ont été que partiellement réparés. En 1941, Soledad habite par exemple dans la rue Jardines, dans le Carme valencien, dans un « environnement de travail, de misère et de maladie » qui préoccupe beaucoup la déléguée à la liberté surveillée32. Dans 880 cas, il a été possible de déterminer précisément le lieu de résidence. Au total, 154 pensionnaires de l’Asilo Durán sont issus du Raval, le Barrio Chino (« Quartier chinois »), archétype des bas quartiers (barrios bajos) barcelonais. Cette zone interlope située dans la partie sud du quartier est caractérisée par l’entassement des habitants, des ruelles étroites et tortueuses, la proximité du port, un nombre important de maisons closes et de salles de spectacles33. C’est là que vit Alberto, au numéro 82 de la rue Talleres ; sa mère est concierge, son père est jardinier et sa sœur aînée, modiste. Le jeune homme, âgé de 16 ans, est interné à l’Asilo Durán en janvier 1949 : sa mère estime qu’il est indiscipliné, vagabond et ne veut pas travailler alors qu’il est en âge d’avoir un travail déclaré et qu’il devrait contribuer aux dépenses du foyer, comme le fait sa sœur34. Dans les années 1960, le quartier constitue toujours un repaire de trafiquants en tout genre. Francisco Castro Villena raconte qu’à son arrivée à Barcelone, il a été recueilli par Marisol, une prostituée du Barrio Chino qui l’hébergeait rue Arco del Teatro. Pendant les descentes de police, des revendeurs du quartier lui confiaient montres et portefeuilles pour qu’il les cache. Quand Marisol a été tuée d’un coup de couteau, c’est un homme surnommé El Grabado à cause de la cicatrice qu’il portait sur la joue qui l’a pris sous son aile35.
La place limitée et décroissante des bastions ouvriers
13À partir de la deuxième moitié des années 1940 à Valence (un peu plus tard à Barcelone), les pensionnaires de maison de redressement sont de moins en moins originaires du vieux centre-ville, au profit par exemple des Poblats Marítims. Ce district, aujourd’hui constitué par les quartiers du Grao, du Cabanyal-Canyamelar, de la Malva-rosa, de Beteró et de Natzaret, est situé dans la partie orientale de l’aire valencienne, au bord de la mer Méditerranée. Au total, 40 mineurs sont originaires de cette zone qui, dans les années 1940, reste relativement éloignée du centre-ville : ses habitants disent qu’ils « vont à Valence36 ». La conscience de cette différence est accentuée par la pratique habituelle du valencien, interdit par le franquisme, et par l’existence d’une forte tradition républicaine et anticléricale : la zone a été un bastion du blasquisme et de la CNT sous la Seconde République37. Ces quartiers populaires traditionnellement tournés vers la pêche, l’artisanat et la petite industrie voient se développer, après la guerre civile, un ensemble industriel allant de la conserverie à la métallurgie, du papier à la construction navale. Juan vit dans la rue Progreso (quartier du Grao) avec sa famille. Il a trois frères et sœurs ; son père est peintre et sa mère, femme au foyer38. Il a 16 ans lorsqu’il est envoyé en maison de redressement parce qu’il a volé des couteaux et des outils dans l’atelier dans lequel il travaillait. À sa sortie de la Colonia San Vicente Ferrer en janvier 1943, il s’embauche comme maçon sur le site de construction des logements à bon marché du Grao39. C’est justement dans le « troisième bloc de logements protégés » (HLM) du Grao que vit Pilar, avec ses six frères et sœurs. Son père, originaire de Palma de Mallorca, est docker ; sa mère, née à Jávea, dans la province d’Alicante, est femme au foyer. Pilar est envoyée à la CSVF pour « vie licencieuse » à l’âge de 15 ans : elle a été déflorée par l’un de ses frères et a eu des relations sexuelles avec plusieurs hommes40. C’est entre 1941 et 1955 que la part de pensionnaires originaires des Poblats Marítims est la plus élevée. Ce district est ensuite concurrencé par celui de l’Eixample où un quartier, Russafa, reçoit d’importants contingents de migrants. Un quartier populaire et ouvrier de Barcelone connaît un phénomène similaire : en 1939-1940, 15 % de pensionnaires de l’Asilo Durán habitent à Sants et à Sants-Badal. Cette proportion est de 9 % de 1941 à 1950, puis de 3 % en 1951-1955. Un autre quartier barcelonais, Poble Sec, présente des caractéristiques similaires : situé entre le Raval et la montagne de Montjuïc, il est délimité, au nord, par l’avenue Paralelo, une zone qui concentre cinémas, salles de spectacles et cabarets de la fin du xixe siècle jusqu’aux années 1970. Sous le franquisme, Poble Sec, dont sont originaires 46 pensionnaires de l’Asilo Durán, garde son caractère populaire et ouvrier. 47 pensionnaires de l’Asilo Durán y résident. On est loin de chiffres massifs : si les quartiers à forte tradition ouvrière constituent un vivier de pensionnaires de maison de redressement, c’est dans des proportions limitées et qui diminuent pendant les années 1950, au profit de zones recevant des contingents importants de migrants intérieurs.
Quartiers de migrants, quartiers de jeunes déviants
14La part relative des pensionnaires de l’Asilo Durán résidant dans le district barcelonais d’Horta-Guinardó augmente jusqu’à constituer, pendant la deuxième moitié des années 1960, la principale zone de résidence de pensionnaires, à égalité avec Ciutat Vella. Le développement économique et industriel de la ville a entraîné la croissance anarchique de ces quartiers périphériques, alimentée par une forte immigration. Alors qu’il était une zone rurale jusqu’à la toute fin du xixe siècle, habité dans les années 1930 par des familles issues des classes moyennes, le Guinardó croît par exemple de façon très rapide dans les années 1950, se couvrant de maisons construites illégalement. Dans les années 1960, celles-ci laissent progressivement place à des immeubles construits à la hâte, sans planification. Mais Antonio vit alors toujours avec sa mère et son frère, originaires de la province de Grenade, dans une baraque située quelque part dans le Carmel41. Emilio habite dans le quartier de Can Baró avec ses quatre frères et sœurs. Ses parents sont originaires de Cadix. Son père est manœuvre ; lorsqu’il parvient à trouver du travail, il gagne 25 pesetas par semaine. En 1946, lorsque le policier du tribunal mène l’enquête, la mère d’Emilio est alitée, affaiblie par la tuberculose ; la famille vit dans la misère42. Nous sommes là au cœur du monde miséreux, gris et interlope décrit par Juan Marsé dans ses romans, qui est le royaume de grappes de gamins faméliques et pouilleux : « Dans les années grises qui suivirent la guerre, quand l’estomac vide et le pou vert43 exigeaient chaque jour un rêve pour rendre la réalité plus supportable, le Mont Carmel était le fabuleux terrain d’aventures, le terrain de prédilection des gamins déguenillés de Casa Baró, du Guinardó et de La Salud44 ».
15Paradoxalement, le cas du quartier barcelonais du Poblenou ne contredit pas le constat établi plus haut, selon lequel les zones dont la tradition ouvrière est forte et ancienne tendent à ne plus être des viviers de pensionnaires de maison de redressement. Au cours du xixe siècle, de nombreuses industries s’implantent dans cette ancienne zone marécageuse : huile, vin, textile, métal, gaz, mosaïque, arts graphiques, peinture, plastique, alimentation… jusqu’à faire du Poblenou la plus densément industrialisée d’Espagne, qualifiée de « Manchester catalan ». Au cours du xxe siècle, le caractère industriel et ouvrier du quartier se confirme. Mais le quartier du Poblenou présente la particularité d’accueillir, dans les interstices du tissu urbain, des cohortes d’immigrants pauvres. Il connaît une importante croissance démographique, se traduisant par la prolifération de baraques dans le bidonville du Somorrostro. Quatorze jeunes garçons internés à l’Asilo Durán habitent au Poblenou. Ramón vit par exemple au numéro 36 de la rue Lope de Vega. L’enquêteur du tribunal indique que sa famille vit dans une misère effroyable. Son père, originaire de la ville minière de La Unión, près de Murcie, est ouvrier à l’usine. Sa mère est analphabète et vit de la charité publique, emmenant avec elle deux ou trois enfants en bas âge pour susciter la pitié des passants. L’un d’eux, âgé de deux ans, est rachitique : il pèserait « seulement deux kilos45 ».
Grands ensembles, nouveaux horizons délinquants
16La part de pensionnaires de l’Asilo Durán résidant dans le district de Nou Barris (« Quartier nouveau »), dans la périphérie plus lointaine de Barcelone, augmente fortement à partir du début des années 1960. De 1961 à 1965, par exemple, une dizaine de mineurs y habitent. De grands ensembles sont construits dans les quartiers de La Guineueta et de Verdún dans les années 1950 et 1960. Le quartier de Trinitat Nova, de la même façon, apparaît dans les années 1950 avec la construction de logements sociaux pour répondre à la pénurie de logements induite par l’immigration. Matias, interné cinq fois à l’Asilo Durán en 1963-1964, vit à Verdún avec ses parents et ses huit frères et sœurs46. Luis, qui est né à Barcelone en 1937, habite dans le même quartier. Son père est mécanicien et gagne 160 pesetas ; sa mère est femme au foyer. L’adolescent est envoyé quatre fois à l’Asilo Durán, entre 1948 et 1954. En juin 1952, le médecin qui l’examine estime que le quartier de banlieue (suburbio) dans lequel il vit a « incontestablement stimulé » sa conduite délictuelle47.
« Un autre monde48 » : habiter les marges de la ville
« Ruines », « grottes », « porches »… : quand la pénurie de logements fait naître des habitations improvisées
17Durant l’après-guerre civile, les migrations dues à la répression, à la guerre civile et à la misère entraînent un afflux important de population dans des villes qui sont d’autant moins prêtes à les recevoir que les destructions liées au conflit ont été importantes. L’état des logements est désastreux. Les familles les plus défavorisées s’improvisent un foyer là où elles le peuvent et, si leurs revenus sont insuffisants, s’établissent là où elles ne paieront pas de loyer49. En 1944, María vit dans une maison en ruines située dans le quartier valencien du Grao avec sa mère et ses cinq frères et sœurs. Son père, qui s’était engagé dans le camp républicain, est mort en novembre 1938 dans un hôpital militaire. L’hygiène du logement est déplorable. Deux familles, qui comprennent chacune trois enfants, sous-louent une partie de cette maison en ruines. L’enquêteur signale que « leur formation morale et religieuse est très mauvaise50 ». Des dossiers personnels émerge un éventail de logements précaires, provisoires ou non, toujours minuscules et mal isolés, souvent insalubres, dans lesquels on manque de l’essentiel et qui laissent deviner la fragilité de l’existence de ceux qui les habitent : baraques (barracas, chabolas), cabanes (chozas), grottes (cuevas), ruines (derribo, ruinas), porches (porches), bicoques construites sur la plage (casas en la playa), refuges construits pendant la guerre pour protéger la population civile (refugios)… À la fin des années 1940, Evelio et sa famille logent dans une grotte située en face du cimetière de Sants, à Barcelone. Ils mènent une vie de misère, qualifiée par l’enquêteur du tribunal de « gitanisée ». La mère d’Evelio, qui rempaille des chaises, se rend dans les villages situés autour de Barcelone avec une carriole tirée par un âne51. Durant les années 1940, plusieurs pensionnaires habitent dans des cabanes. C’est le cas d’Ana, qui vit en 1947 avec sa mère et ses six frères et sœurs dans la vía Pedrera, derrière les logements sociaux (viviendas protegidas) construits dans le district valencien des Poblats Marítims. Les autorités ont tenté de compter les baraques, de réguler et de contrôler ce mode d’urbanisation anarchique : selon la numérotation mise en place par la municipalité, la « cabane » dans laquelle habite Ana est désormais désignée par le numéro 1 83452. Le quartier est très mal vu des autorités : à la fin des années 1940, on considère que c’est un repaire de gens de mauvaise moralité, « d’évacués » et de « délinquants » (evacuados y maleantes)53. Au début des années 1950 à Valence, ce type d’habitat précaire qu’est la « cabane » n’a pas disparu. Ce n’est qu’en 1955 qu’un « Plan national pour le logement » (Plan Nacional de Vivienda) est adopté. À Madrid par exemple, 200 000 personnes ne disposent alors pas d’un logement adéquat, soit 20 % de la population. Les foyers disposent rarement de l’eau courante et d’une salle de bains, et l’électricité est présente surtout en ville54.
« Barracópolis55 » : grandir et vivre dans un bidonville
18Le développement des « baraques » (barracas, chabolas) atteint une ampleur importante, à tel point que l’on a pu parler de « baraquisme » (barraquismo)56. C’est dans les années 1940 que le phénomène est le plus aigu mais il persiste pendant les décennies 1950 et 1960. En 1975, Rafael vit avec sa famille dans une « espèce de baraque » toute petite, très humide, comprenant deux pièces. Son père est alcoolique et violent ; sa mère est en mauvaise santé57. À Barcelone, le phénomène du « baraquisme » concerne surtout la montagne de Montjuïc et le front de mer58. Le phénomène remonte au premier tiers du xxe siècle, lorsque l’arrivée massive de travailleurs immigrés a aggravé le problème récurrent du logement ouvrier. Après la guerre civile, les quartiers de baraques s’étendent, la misère et la répression accentuant en effet l’arrivée en Catalogne d’immigrés intérieurs. D’autres quartiers sont touchés, comme le Carmel et la Perona, et voient fleurir des baraques faites de bois, de briques et de divers matériaux de récupération. Celle de José, interné à l’Asilo Durán en 1945, est une construction de bois qui sera emportée au moindre coup de vent, selon l’enquêteur du tribunal59. En 1949 est créé le « Service d’éradication du baraquisme » (Servicio de Eradicación del Barraquismo). La mairie met en place le recensement des baraques, contrôle et empêche la construction de nouveaux logements60. La baraque (chabola) dans laquelle vivent Roque et sa famille, à Valence en 1948, porte ainsi la plaque no 1 958. Toute la famille est née à Valsequillo, un village de la province de Cordoue. Roque n’ayant pas de certificat de naissance, c’est un médecin qui doit évaluer son âge lorsqu’elle est internée à la Colonia San Vicente Ferrer61. En 1957, l’Église catholique estime à 10 532 le nombre de baraques ; au début des années 1960, on en compte 20 000. C’est seulement durant cette décennie que le problème commence à être résolu, grâce notamment à la création de logements sociaux et de grands ensembles. Ainsi, en 1972, José María habite dans une banlieue (suburbio) de Gérone. Il vivait auparavant avec sa famille dans une baraque de Montjuïc62.
19C’est précisément Montjuïc qui est le cœur de la Barcelone des baraques. Cette ville informelle est édifiée à la va-vite, sans concertation ni planification, sur des terrains privés et publics, qui étaient le plus souvent des jardins. Se remémorant son enfance passée à Montjuïc, Agustín Rincón Rubio raconte que la colline était couverte de baraques allant du Parc d’attractions au cimetière, en passant par le stade, le funiculaire, et jusqu’au pied de la colline. À son arrivée de Jérez de la Frontera, en Andalousie, il dit avoir grandi dans la rue, comme tout enfant de Montjuïc, passant son temps à jouer et à faire des bêtises. « À l’époque, j’étais un voyou63 ». Des pensionnaires de l’Asilo Durán vivent dans un autre quartier informel, celui de Casa Antúnez (Can Tunis en catalan), dont la localisation et la croissance sont liées à la proximité immédiate du port de Barcelone. La zone s’est couverte d’un bidonville dans lequel l’agent mandaté par le tribunal pour mineurs a pour tâche d’enquêter sur un adolescent, Sebastián. Mais en février 1949, il ne trouve personne à l’adresse qu’on lui a fournie (« baraque no 60, Casa Antúnez »). En effet, « il y a plusieurs groupes de baraques dans le quartier, en plus de toutes celles qui sont éparpillées dans les prés ». Le « désordre » qui règne dans le quartier est trop important64. Deux mois et demi plus tard, l’enquêteur revient à la charge. Il parvient à localiser Sebastián et sa famille, qui vivent dans une construction dans laquelle « il manque presque tout ce qui est essentiel à la vie d’animaux rationnels ». La mère de Sebastián, née à Socuéllamos (Ciudad Real), est analphabète. La fille qu’elle a eue avec son concubin n’est, à l’âge de 4 ans, toujours pas baptisée ni déclarée à l’état-civil65. Dans les dossiers personnels apparaît le Somorrostro, un autre quartier de baraques construites cette fois sur la plage, entre l’Hôpital pour infectieux et l’usine de gaz Lebon. L’adresse de José est « seconde batterie, passage no 4, baraque no 6 ». L’enquêteur signale en 1948 que dans le secteur, les enfants sont sales, abandonnés et qu’ils passent leurs journées sur la plage66. En 1950, on estime que 18 000 personnes vivent dans le quartier de Somorrostro, réparties entre environ 1 400 constructions de fortune. José, 14 ans, vit alors avec sa famille dans une baraque construite au milieu des champs, près de « l’usine du Gaz » Lebon, comprenant une seule pièce et dans laquelle on dort par terre67. La famille de José a quitté Motril, un gros bourg de la province de Grenade, est passée par Canet de Mar avant de s’établir à Barcelone, où elle a construit une baraque en bois dans le quartier de la Barceloneta, qui a ensuite été confiée à une « payse » sans avoir été « numérotée », c’est-à-dire recensée par les autorités68.
« L’histoire de ma vie est très triste, et très longue69 »
Les structures familiales dominantes
20Au milieu des années 1970, José Ortega Esteban estimait que « mesure éducative de longue durée » rimait souvent avec « irrégularité familiale70 ». Ce constat semble valoir pour toute la période franquiste. Ainsi, plus de la moitié des pensionnaires dont on connaît la structure familiale sont orphelins de père et/ou de mère71. Luis, par exemple, est élevé par son oncle et sa tante car ses deux parents sont morts de maladie. Il effectue deux séjours à l’Asilo Durán car il a commis des vols ; en mai 1943 et alors qu’il est âgé de 16 ans, il quitte l’institution pour aller en prison72. Dans 11 % des cas connus, les parents des pensionnaires sont séparés. Luis, qui effectue sept séjours à la Colonia San Vicente Ferrer entre 1937 et 1945, est issu d’un milieu familial jugé « pernicieux » par la direction de l’établissement « à cause de la séparation des parents et de tout ce que cela suppose pour la formation du garçon73 ». Mais même lorsque la structure maritale peut être considérée comme stable (305 internements concernent des mineurs dont les parents sont mariés ou remariés, soit 28 % du total), le mariage n’implique pas forcément l’harmonie. Joaquín, qui est né à Valence en 1931, vit avec ses sept frères et sœurs dans une maison en ruines située dans le quartier du Cabanyal. Son père est marin. Le délégué à la liberté surveillée rapporte que ce dernier « passe ses journées à la taverne » mais qu’à sa décharge, sa femme ne le traite pas bien puisqu’elle ne lui prépare pas le repas tous les jours. La mère de Joaquín affirme que son mari ne lui remet pas l’argent de son salaire, mais l’enquêteur trouve que c’est elle qui n’administre pas bien l’argent du ménage. Bref, les disputes sont fréquentes74. Enfin, 7 % des pensionnaires n’ont pas été reconnus par leur père. Agustín Rincón Rubio, né le 14 juillet 1942 en Andalousie, est de ceux-là. Il raconte qu’il « [a] eu un père, mais sans en avoir un ». Son grand-père maternel travaillait en effet comme vacher dans une ferme située aux abords de Jerez de la Frontera. Sa mère est tombée amoureuse et enceinte du fils du propriétaire terrien, qui ne reconnaît pas le nourrisson et exige même qu’il soit « jeté à la rivière ». Agustín n’est pas allaité par sa mère, qui souffre « de la fièvre », mais par sa grand-mère, dont le dernier enfant vient justement d’être emporté par la même maladie ; c’est aussi elle qui va l’élever. Devenu vieil homme, Agustín met cette histoire familiale douloureuse au cœur des difficultés qu’il a rencontrées pendant son adolescence : « j’étais toute la journée dans la rue, tu sais, c’est ce qui arrive lorsque tu es gamin et que tu grandis sans père, sans mère. L’histoire de ma vie est très triste, et très longue75 ».
Le niveau socio-économique des familles
21Le niveau économique des mineurs et de leur famille est apprécié de façon non systématique (dans un cas sur six seulement) et de manière assez vague par les acteurs qui renseignent les dossiers personnels, que ces derniers soient issus des congrégations religieuses ou de la sphère judiciaire : on distingue seulement entre « niveau économique élevé », « qui a été élevé », « moyen », « bas », « misère » et « indigence ». On peut ainsi dire grossièrement que les pensionnaires issus d’une famille dont le niveau économique est jugé « élevé » ou « moyen » sont minoritaires (respectivement 23 et 35 cas sur 383, soit 6 % et 9 % du total). Lorsque José María est envoyé à la Colonia San Vicente Ferrer parce qu’il a volé un moteur électrique, en mars 1955, on juge par exemple que le niveau économique de sa famille est « moyen ». L’adolescent vit avec son père, son frère et sa sœur à Játiva ; la famille paie 150 pesetas de loyer76. En revanche, 57 % des pensionnaires viennent d’une famille dont le niveau économique est jugé « bas » par les autorités (218 cas) et 27 % vivent dans la misère ou l’indigence (103 cas). En d’autres termes, plus de huit mineurs sur dix appartiendraient aux classes sociales les plus défavorisées. C’est le cas d’Antonio, qui vit avec sa mère dans une baraque de Montjuïc au début des années 1950. Puisque le père de l’adolescent a disparu pendant la guerre, c’est sa mère qui tente de faire vivre la famille. En juillet 1950, elle demande au tribunal pour mineurs de Barcelone qu’Antonio soit interné à l’Asilo Durán au titre de la correction paternelle ; dans les faits, c’est « par nécessité économique77 ». D’un point de vue procédural, les jeunes issus des couches inférieures de la société ont plus souvent été signalés par la justice ordinaire (une douzaine de cas) ou arrêtés par les forces de l’ordre (64 cas recensés). Vino, par exemple, est interné à l’Asilo Durán en août 1950 car il a volé des amandes dans un verger. Le garçon, âgé de 11 ans, habite dans une baraque avec sa famille78. La correction paternelle est une procédure beaucoup plus utilisée par les familles disposant d’un niveau économique jugé « élevé ». Par exemple, Ramón est envoyé à la CSVF en février 1954. Son père affirme qu’âgé de 12 ans seulement, il est « complètement perverti » : fan de romans et de films d’aventures, c’est un fumeur impénitent qui fréquente les salles de billard et joue au baby-foot79. Il est recommandé auprès du président du tribunal de Valence par une connaissance commune qui tutoie le président de la juridiction et écrit du palais ducal de Gandía80. Entrepreneur, il jouit de revenus confortables qui lui permettent d’acquitter la pension mensuelle de 300 pesetas requise pour l’internement de son turbulent rejeton.
22La profession exercée par les parents du pensionnaire constitue un second indicateur permettant de cerner la catégorie socio-économique à laquelle appartient la famille. Trois groupes professionnels sont particulièrement représentés81. Tout d’abord, un pensionnaire sur quatre est issu d’une famille dans laquelle au moins l’un des membres est artisan ou journalier. C’est le cas du père de Sebastián, né à Sax (province d’Alicante) en 1884 et journalier de son état, dont l’épouse est femme au foyer. Sebastián a effectué une partie de sa scolarité à la Casa de beneficiencia (Maison de bienfaisance) et à la Casa de los pobres (Maison des pauvres). En 1939, il vit à Villena (Alicante) avec ses parents et ses six frères et sœurs dans une maison sans fenêtre82. Par ailleurs, un mineur sur quatre vient d’une famille dans laquelle au moins un des membres ne travaille pas, soit que ce dernier n’ait pas/plus de travail ou qu’il ne soit plus capable de travailler. Le père d’Antonio est de ceux-là : né à Carthagène en 1894, il est invalide ; sa femme, originaire d’Almería, est femme au foyer. Le couple vit avec ses quatre enfants dans une baraque du quartier de Casa Antúnez, à Barcelone. En janvier 1941, le tribunal pour mineurs de Barcelone admoneste Antonio, 15 ans, parce que ce dernier a dérobé 28 brocolis dans un champ situé près de chez lui. En juin 1942, l’adolescent doit se présenter toutes les semaines dans les bureaux de la juridiction car il a volé des tronçons de câble téléphonique, qu’il revendait ensuite à des chiffonniers83. Remarquons que jusqu’en 1945, la population inactive constitue le groupe professionnel le plus représenté ; l’écart se creuse ensuite avec le groupe des artisans et des journaliers. En 1946-1950, ces derniers sont deux fois plus nombreux que les inactifs, signe que la situation économique de l’Espagne se normalise. Enfin, les personnes exerçant dans le secteur des services constituent le troisième groupe professionnel le plus représenté de 1926 à 1955. Les domestiques et les femmes de ménage sont particulièrement nombreuses chez les femmes84. La mère d’Enrique, qui est originaire de Jaén, déclare en 1945 faire des ménages. Elle vit avec son mari, un manœuvre natif de Grenade, et leurs huit enfants dans une petite maison située dans la montagne de Pedralbes, à Barcelone85.
23Le contexte de pénurie et de misère de l’après-guerre provoque l’apparition d’une économie parallèle extrêmement étendue. Le rationnement mis en place par les autorités ne couvrant qu’une partie des besoins alimentaires des familles, le marché noir ou estraperlo devient un phénomène généralisé : on estime que la moitié des produits circulent par ce biais. Dans les années 1940, il atteint des proportions considérables, dépassant par exemple le marché officiel pour ce qui concerne le blé et l’huile d’olive. Les couches les plus défavorisées de la population recourent à cette « arme des faibles » (James C. Scott) pour trouver de quoi vivre86. Il s’agit de « commettre un délit ou mourir87 ». Le phénomène touche particulièrement les femmes seules, qui trouvent là un expédient nécessaire à leur survie et à celle de leur famille. Le père d’Eduardo a fui en France « avec les marxistes » : après avoir fait de la prison pour « son action douteuse pendant la période rouge », sa femme a vendu des aliments hors des circuits officiels88. Le marché noir peut devenir un négoce contribuant à faire vivre une famille entière. Luis est né à Gandía, dans les environs de Valence, en 1926 ; il est orphelin de père. Au début des années 1940, il vend du tabac dans des lieux stratégiques de Valence comme les ponts de Madera et de San José. Sa mère et ses frères et sœurs trafiquent de la viande, de la farine, du tabac… En janvier 1943, il est interné à la Colonia San Vicente Ferrer car il a frappé à la tête une rivale, qui vendait comme lui du tabac sur les rives du fleuve Turiá89. Pilar Escalera Pelejero raconte qu’à l’âge de 13 ans, elle prenait le premier tram avec sa mère pour aller acheter du riz à Catarroja, près du lac de l’Albufera, qui était ensuite revendu sur le marché central de Valence90.
24« Elvirita ne sait que répondre. La pauvre, c’est une sentimentale qui s’est mise à faire la vie pour ne pas mourir de faim, tout au moins pas trop vite91 » : dans l’Espagne de l’après-guerre, la prostitution constitue un moyen d’obtenir des aliments et de l’argent, en marge des canaux habituels. La prostitution ne constitue pas un délit en soi : cette profession est légale si l’on respecte les règles fixées par l’État. Le décret du 27 mars 1941 a en effet autorisé la prostitution, qui avait été interdite en 193592. En revanche, la loi punit la prostitution clandestine, c’est-à-dire celle qui se déroule en dehors du cadre réglementaire ou concerne des mineures. Dans l’entourage des pensionnaires de maison de redressement gravite un nombre conséquent de prostituées, déclarées ou clandestines, adultes ou mineures. José et sa famille vivent dans un logement ne comprenant que deux pièces. L’une de ses sœurs s’y prostitue clandestinement, mais elle a été arrêtée par la police93. La mère de José, elle, pratique « la prostitution officielle et exerce ses fonctions au numéro 10 de la rue de Viana », à Valence94. En 1942, la mère d’Alonso indique qu’elle s’est longtemps prostituée dans la rue. Elle gagnait en effet plus en une nuit en couchant avec un homme qu’en exerçant pendant une semaine un « travail honorable95 ». En effet, une femme travaillant 10 à 14 heures par jour comme domestique gagne, au début des années 1940, entre 2 et 5 pesetas, ce qui ne suffit pas à faire vivre une famille. Une prostituée gagne entre 5 et 25 pesetas par jour ; si elle travaille dans un bordel de luxe, ses revenus journaliers peuvent même s’élever jusqu’à 75 pesetas96. Souvent, la prostitution est ponctuelle, temporaire et constitue un expédient permettant de faire face à l’absence du chef de famille, que ce dernier soit mort, emprisonné ou disparu. C’est lorsque le père de María a été emprisonné, après la guerre, que sa mère a commencé à exercer la prostitution97. La mère de Josefina est veuve ; elle a eu des relations sexuelles payantes avec des hommes lorsqu’elle s’est trouvée confrontée à des problèmes financiers98.
25La topographie des relations sexuelles tarifées est variée. Dans les grandes villes, les « bas quartiers » abritent traditionnellement les bordels ; c’est par exemple le cas du Barrio Chino de Barcelone, où se prostitue une amie de Rosa. La jeune fille de 15 ans a fui Valence pour la retrouver99. Si elles sont déclarées, les prostituées vendent généralement leurs faveurs dans des bordels100. La mère de Manuela travaille dans une « maison de rendez-vous », la Casita de la Rosita, située dans la vieille-ville de Barcelone, au numéro 3 de la rue Arcos de los Judíos, mais elle reçoit aussi des clients à son domicile101. Les prostituées peuvent également exercer dans la rue : on les qualifie alors de piqueras. C’est par exemple le cas de la mère d’Asunción qui, après avoir été arrêtée plusieurs fois par la police, travaille en 1945 « au vol » (« al descuido ») dans la gare centrale de Valence102. D’autres lieux sont fréquentés par les prostituées, comme les terrains vagues. Antonia, 14 ans, se rend dans l’un d’eux avec des hommes pour les masturber et « commettre avec eux des actes immoraux », selon les autorités, gagnant ainsi trois pesetas par jour. Certains jours, au lieu de travailler « à l’air libre », elle va au cinéma Ideal103. Les cinémas sont en effet des lieux centraux d’exercice de la prostitution clandestine. Ils sont le royaume des pajilleras, ces prostituées qui masturbent les hommes (« hacer una paja » en espagnol) pour quelques pièces. Ces « branleuses de cinéma de quartier104 » exercent aux derniers rangs des salles de cinéma, bénéficiant de la relative obscurité des lieux et de la complicité – achetée – des ouvreuses. En 1942, Teresa, 14 ans, gagne 2 pesetas par masturbation105.
Quelques anomalies sociologiques
26Si les pensionnaires de maison de redressement sont le plus souvent issus de familles déstructurées et des couches inférieures de la société, les dossiers personnels contiennent quelques « anomalies sociologiques » faisant apparaître des professions peu habituelles : entrepreneur, ingénieur, professeur d’université, avocat, architecte… Le père de Justo a même été vice-consul du Vénézuela. Le jeune garçon a été baptisé à Rome et a fait sa première communion dans l’oratoire particulier de la famille106. La grand-mère de Claudio possède quant à elle pas moins de quatre immeubles dans le quartier de l’Eixample, à Barcelone. Ce patrimoine immobilier lui assurait un revenu considérable sous la République mais en 1940, il est désormais rare que les locataires paient le loyer107. Les membres de la famille de ces pensionnaires d’un type particulier se caractérisent par leur maîtrise de la langue espagnole et des codes sociaux. Ainsi, la missive que la mère de Robert adresse au directeur de l’Asilo Durán le 22 décembre 1965 ne contient aucune faute d’orthographe alors que la quasi-totalité des lettres retrouvées dans les dossiers témoignent d’un maniement très faible de l’écrit. Lorsqu’il écrit au directeur de l’Asilo Durán le 4 avril 1969, le père de Manuel recourt à de nombreuses formules de politesse et exprime à l’envi sa foi catholique : « nous nous réjouissons, en tant que parents, de vous avoir connu et vous offrons notre foyer comme un autre foyer de Dieu […] Dans nos communions et nos prières, nous demanderons au Seigneur de récompenser vos qualités éducatives et Chrétiennes, si grandes et si humbles108 ». De la même manière, alors qu’une bonne partie des pensionnaires de l’Asilo Durán et de la Colonia San Vicente Ferrer ont du mal à lire, à écrire et à compter, leurs camarades issus de milieux sociaux aisés suivent des études secondaires et se destinent à des études de droit, de médecine… C’est d’ailleurs justement parce qu’ils ne travaillent pas correctement à l’école que leurs parents souhaitent les « corriger ». En 1940, Violeta a volé de l’argent dans la pharmacie dans laquelle elle travaillait ; elle n’avait pas suscité la méfiance de sa supérieure puisqu’elle suivait des études secondaires109. Coexistent ainsi, à l’intérieur de l’Asilo Durán, deux mondes sociaux que tout oppose et qui, à l’extérieur, ne se croisent que rarement : les bas-fonds et les quartiers huppés des hauteurs de Barcelone se rejoignent, pour un temps, entre les murs de l’institution de la rue Vilana.
27L’internement des mineurs issus de milieux aisés résulte presque toujours d’une demande familiale. Gabriel dérobe les trois chèques d’un montant total de 25 000 pesetas que ses employeurs l’avaient chargé de déposer à la banque. Il est arrêté par la police le 27 mai 1950 mais l’employeur et le père de Gabriel ont des amis communs : le premier propose au second de lui rembourser l’argent qui a été volé110. Chez ces adolescents, la déviance ne prend pas une forme délictuelle au sens strict : on leur reproche de ne pas étudier de façon assez assidue, de ne pas aimer travailler ou d’avoir de mauvaises fréquentations, mettant en péril le maintien de leur rang social. Eugenio, né le 22 juillet 1934, « ne veut pas étudier111 ». Au milieu des années 1960, Manuel vit dans le Barrio Gótico, à Barcelone, avec sa famille. Son père travaille au Banco de Bilbao et sa mère est femme au foyer. L’adolescent aurait volé de l’argent. Ses parents souhaiteraient le faire interner à l’Asilo Durán « pour corriger cette tendance, avant qu’il ne soit trop tard » ; catholiques pratiquants, ils feraient selon eux partie de « ces familles qui se soucient de l’éducation de leurs enfants112 ». L’internement en maison de redressement est un élément parmi d’autres, certes radical, d’une stratégie éducative visant à mettre au pas une progéniture indisciplinée. On y recourt souvent lorsque la mise en pension dans une école catholique (Maristes, Ecoles pies, Dominicains, Jésuites, École du Sauveur, Collège de l’Infante Marie, Collège épiscopal Virgen de la Academia…) s’est avérée inefficace. Ramón est par exemple envoyé à la CSVF à la demande de son père car ni les Salésiens, ni les Escolapios n’en sont venus à bout113. Lino a même fréquenté un pensionnat en Suisse114. On est prêt à payer pour faire enfermer son fils dans l’une des maisons de redressement les plus dures du pays, l’Asilo Durán, comme l’on paie de toute façon déjà pour les études de ses enfants115. Le père de Gabriel, directeur d’usine, a même réglé six mois d’avance116. Pascual est né et habite à Sequeros, dans la province de Salamanque, en 1946. Son dossier indique qu’il est passé « par les meilleures écoles », dont il a chaque fois été expulsé117. Si l’enfant rebelle ne se soumet pas, le départ pour l’armée, volontaire ou non, peut constituer une solution ultime. C’est le remède qui devrait être administré à Claudio, selon l’enquêteur mandaté par le tribunal pour mineurs de Barcelone : l’adolescent a besoin « d’un long séjour dans un établissement adapté, puis d’une longue période dans l’armée, de façon volontaire ou non, pour qu’il finisse par accepter la discipline, respecter les adultes et perdre ses mauvaises habitudes » ; bref, « pour devenir un citoyen utile à la société118 ».
Conclusion
28En définitive, le vivier dans lequel puisent les maisons de redressement est une population qui, socialement, économiquement et culturellement, n’a pas été normée par le franquisme. Les pensionnaires ne viennent pas majoritairement de quartiers populaires dans lesquels une population ouvrière est installée depuis longtemps et dont les structures sociales sont stables. À Barcelone comme à Valence, nombre d’entre eux sont issus des centres-villes dégradés où vit un Lumpenproletariat fragilisé par la guerre civile, la répression politique et la misère, et qu’alimentent les vagues d’immigration successives. Dans les années 1940, la population ouvrière souffre de la répression et de la misère mais elle récupère assez vite puisque, dans les années 1950, la part des pensionnaires issus des quartiers ouvriers historiques (par exemple Sants à Barcelone, Poblats Marítims à Valence) diminue. L’étude de la déviance juvénile montre donc que population ouvrière ne veut pas forcément dire population dangereuse et/ou en danger. C’est plutôt le déracinement qui provoque la fragilité : la Colonia San Vicente Ferrer et l’Asilo Durán se peuplent progressivement d’enfants de migrants, de charnegos, de Murcianos vivant dans la périphérie de Valence et de Barcelone, ainsi que dans la ceinture industrielle et les banlieues-dortoirs. Les marges urbaines se déplacent des « bas quartiers » centraux vers la périphérie ou les interstices du tissu urbain, qui se remplissent de baraques. L’enquêteur mandaté par le tribunal pour mineurs de Barcelone affirme que les habitants du quartier dans lequel vit Evelio, le Guinardó, « sont tous à moitié gitans et vivent dans un environnement d’une saleté telle qu’ils ne sont guère différents des gens du Barrio Chino119 ». Les pensionnaires de maison de redressement sont les gamins perdus d’un ébranlement qui n’est pas seulement celui de la guerre civile, qui plonge dans la marginalité de larges couches de la population. Ils sont aussi le produit d’une société confrontée à la perte de ses repères traditionnels et qui, de rurale et traditionnelle, devient urbaine et moderne. Alors que la guerre civile avait légitimé une lecture de longue durée et passéiste, l’étude de la déviance juvénile montre que l’enfance dangereuse et en danger est avant tout le produit d’un moment social.
Notes de bas de page
1Ortega Esteban J., Delincuencia, reformatorio y educación liberadora, Madrid, Zero, 1978, p. 47.
2Voir Molinero C., La captación de las masas: política social y propaganda en el régimen franquista, Madrid, Cátedra, 2005.
3Cazorla Sánchez A., Fear and Progress: Ordinary Lives in Franco’s Spain, 1939-1975, Malden, Wiley-Blackwell, 2010, p. 43.
4« Moi, j’ai été élevé en haut de la rue Verdi, lui expliquai-je, avec les jeunes vauriens sans école qui rôdaient du côté du Parc Güell et du Guinardó, pendant les dures années de l’après-guerre. » Marsé J., L’amant bilingue, Paris, C. Bourgois, 1996 (1990), p. 17.
5Hermet G., Les Catholiques dans l’Espagne franquiste, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1981, p. 71.
6Cazorla Sánchez A., op. cit., p. 143.
7María Vázquez J., Así viven y mueren… Problemas religiosos de un sector de Madrid, Madrid, Ope, 1958, p. 199-202 et 241.
8AAD.
9Données tirées du Censo español, volúmenes provinciales, INE.
10ATTMBcn, dossier no 15500/1939.
11AAD.
12Entretien avec F. Castro Villena (07-11-2009).
13Arrey F., Badalona, un segle de ciutat: la immigració, Badalona, Museu de Badalona, 2004.
14ATTMBcn, dossier no 3061/1933.
15Marín i Corbera M., « Franquismo e inmigración interior: el caso de Sabadell (1939-1960) », Historia social, 2006, no 56, p. 131-152.
16Rapport datant de 1950. ATTMVal, dossier no 7712b/1948.
17Rapport datant du 2 septembre 1946. ATTMBcn, dossier no 5256b/1946.
18Marín i Corbera M., « Las migraciones interiores hacia la Cataluña urbana vistas desde Sabadell (1939-1960) », De La Torre J. et Sanz Lafuente G. (dir.), Migraciones y coyuntura económica del franquismo a la democracia, Saragosse, Prensas Universitarias de Zaragoza, 2008, p. 184.
19ATTMBcn, dossier no 13760/1938.
20Cazorla Sánchez A., Desarrollo sin reformistas: dictadura y campesinado en el nacimiento de una nueva sociedad en Almería, 1939-1975, Almería, Instituto de Estudios Almerienses, 1999.
21ATTMBcn, dossier no 7830b/1948.
22García Barbancho J. L., Población, empleo y paro, Pirámide, Madrid, 1982.
23Reher Sullivan D., « Perfiles demográficos de España, 1940-1960 », Barciela C. (dir.), Autarquía y mercado negro: el fracaso económico del primer franquismo, 1939-1959, Barcelone, Crítica, 2003, p. 22-24.
24Ysàs P. et Molinero C., « La població catalana a la postguerra: creixement i concentració (1939-1950) », L’Avenç, 1987, no 102, p. 38-56.
25Tudela Vázquez E., « Vidas en movimiento: migraciones a Barcelona durante el primer franquismo », del Arco Blanco M. À. et Hernández Burgos C., Esta es la España de Franco, op. cit., p. 139-160.
26Ródenas C., « Migraciones interiores 1960-1985: balance de la investigación y análisis de les fuentes estadísticas », De La Torre J. et Sanz Lafuente G. (dir.), op. cit., p. 65-66.
27Bordetas Jiménez I., « El viatge: canals d’informació, rutes, condicions i arribada », Marín i Corbera M. (dir.), Memòries del viatge, 1940-1975, Sant Adriá de Besòs, MHIC et Ajuntament de Sant Adrià de Besòs, 2009, p. 43.
28Entretien avec A. Rincón Rubio (05-11-2009).
29Marsé J., Teresa l’après-midi, Paris, C. Bourgois, 1993 (1966), p. 30.
30Entretien avec F. Castro Villena (07-11-2009).
31Deux plans de Barcelone et de Valence figurent en annexe dans lesquels, pour des raisons de commodité et au risque de l’anachronisme, il a été tenu compte de la toponymie actuelle, exprimée par conséquent en catalan et en valencien.
32Rapports datant de février 1943 et de mai 1948, ATTMVal, dossier no 280/1941.
33Villar P., Historia y leyenda del barrio chino, (1900-1992): crónica y documentos de los bajos fondos de Barcelona, Barcelone, La Campana, 1996. À la fin des années 1950, le photographe Joan Colom a magnifiquement immortalisé cet univers peuplé de vagabonds, de prostitués et d’enfants des rues. 85 de ces clichés ont été exposés par la Fondation Henri Cartier-Bresson en 2006 ; voir le catalogue : Colom J., Les gens du Raval, Göttingen, Steidl, 2006.
34ATTMBcn, dossier no 7463b/1948.
35Entretien avec F. Castro Villena (07-11-2011).
36Saz I., « Trabajadores corrientes: obreros de fábrica en la Valencia de la posguerra », Gómez Roda J. A. et Saz I., El franquismo en Valencia: formas de vida y actitudes sociales en la posguerra, Valence, Episteme, 1999, p. 187-234.
37Le blasquisme est un mouvement républicain apparu dans la région valencienne sous l’influence de l’écrivain et journaliste Vicente Blasco Ibáñez. Il se caractérise par un anticléricalisme radical et violent, et prône l’insurrection plutôt que la participation électorale. Il rencontre un important succès populaire dans les années 1900 et 1910.
38ATTMVal, dossier no 613/1941.
39Rapport daté du 07-05-1943, ibid.
40Ibid., dossier no 1057/1946.
41AAD.
42ATTMBcn, dossier no 5304b/1946.
43Nom couramment donné au typhus exanthématique ou épidémique.
44Marsé J., op. cit., 1993, p. 28.
45ATTMBcn, dossier no 3203b/1944.
46AAD.
47Fiche réalisée le 22-06-1952 par le Dr Piquer. ATTMBcn, dossier no 3585b/1944.
48« Pour Madame Serrat, le Mont Carmel était quelque chose comme le Congo, un pays lointain et infrahumain, avec ses propres lois, des lois différentes. Un autre monde. » Marsé J., op. cit., p. 191.
49Del Arco Blanco M. A. et Roman Ruiz G., « La casa se cae sola. Infravivienda, hambre y enfermedad durante el franquismo », Lanero Táboas D. (dir.) De la chabola al barrio social. Arquitecturas, políticas de vivienda y actitudes de la población en la Europa del Sur (1920-1980), Grenade, Comares, 2020, p. 75-94.
50ATTMVal, dossier no 215/1944.
51ATTMBcn, dossier no 8333b/1949.
52Rapport daté du 22-04-1947, ATTMVal, dossier no 14/1947.
53ATTMBcn, dossier no 8333b/1949.
54Del Arco Blanco M. Á., Román Ruiz G., « La casa se cae sola… », op. cit.
55C’est ainsi que Barcelone a été surnommée, à cause du nombre de baraques qui proliféraient dans certains quartiers.
56Lanero Táboas D., De la chabola al barrio social…, op. cit.
57Rapport d’examen pyschologique, 15-05-1972, AAD.
58On renvoie ici à Tatjer M. (dir.), Barracas, la Barcelona informal del siglo xx, Barcelone, MUHBA, 2010.
59Rapport datant de novembre 1944, ATTMBcn, dossier no 2560b/1943.
60Barros F. de et Vorms C., « Favelas, bidonvilles, baracche, etc. : recensements et fichiers », Histoire & mesure, 2019, XXXIV, no 1, p. 3-14.
61ATTMVal, dossier no 96/1948.
62AAD.
63Entretien avec A. Rincón Rubio (07-11-2005).
64Rapport datant du 09-02-1949, ATTMVal, dossier no 1/1949.
65Rapport datant du 23-04-1949, ibid.
66Rapport datant du 24-08-1948, ATTMBcn, dossier no 4775b/1945.
67Rapport datant de 1950, ibid., dossier no 7712b/1948.
68Rapport datant du 20-01-1949, ibid.
69Entretien avec A. Rincón Rubio (07-11-2005).
7037 % des pensionnaires de la maison de redressement de Tejares soumis à ce type de mesure étaient issus de familles déstructurées : séparation, remariage, parents inconnus ou décédés… Ortega Esteban J., op. cit., p. 37.
71602 séjours en maison de redressement concernent des enfants ayant perdu l’un de ses parents, ou les deux.
72ATTMBcn, dossier no 17971/1941.
73Rapport datant du 14-02-1942, ibid.
74Rapport datant du 03-11-1945, ATTMVal, dossier no 661/1943.
75Entretien avec A. Rincón Rubio (07-11-2005).
76ACSVF.
77ATTMBcn, dossier no 9465b/1950.
78AAD.
79Formulaire datant de l’année 1954, ATTMVal, dossier no 49/1954.
80Ce bâtiment imposant, racheté par les Jésuites en 1890, appartenait à la famille Borgia et constituait l’une des résidences seigneuriales les plus importantes de la couronne d’Aragon. Lettre écrite le 04-02-1952 du Palacio del Santo Duque, à Gandía. Ibid.
81Les données contenues dans les dossiers personnels ont été ventilées entre dix catégories différentes, proposées par l’Institut espagnol de statistiques (INE) : techniciens et assimilés, employés administratifs, de bureau ou de direction, personnes exerçant dans le domaine de la vente, agriculteurs, pêcheurs et chasseurs, personnes travaillant dans des mines et des carrières, conducteurs de véhicules, de locomotives, de bateaux et d’avions, artisans et journaliers, actifs travaillant dans le domaine des services, population inactive (femmes au foyer, retraités, handicapés, étudiants, rentiers, personnes incarcérées…), professions non identifiées ou non déclarées.
82ATTMVal, dossier no 67/1939.
83ATTMBcn, dossier no 17149/1941.
84Sáenz del Castillo Velasco A., « En el limbo. El servicio doméstico durante el franquismo en España », Historia social, 2016, no 84, p. 77-92.
85ATTMBcn, dossier no 4248b/1945.
86Gómez Oliver M. et Del Arco Blanco M. Á., « El estraperlo: forma de resistencia y arma de represión en el primer franquismo », Studia historica. Historia contemporánea, 2005, no 23, p. 179-199 ; Rodríguez Barreira Ó. J., Migas con miedo…, op. cit. ; Cabana Iglesia A., « Minar la paz social: retrato de la conflictivad rural en Galicia durante el primer franquismo », Ayer, 2006, no 61, p. 267-288 ; Hernández C., Franquismo a ras del suelo: zonas grises, apoyos sociales y actitudes durante la dictadura (1936-1976), Grenade, Universidad de Granada, 2013.
87Román Ruiz G., Delinquir o morir: el pequeño estraperlo en la Granada de posguerra, Albolote, Comares, 2015.
88Rapport datant de 1945, ibid., dossier no 4640b/1945.
89Formulaire d’antécédents datant du 27-08-1941, ATTMVal, dossier no 429/1941.
90Entretien avec P. Escalera Pelejero (02-06-2009).
91Cela C. J., La Ruche, Paris Gallimard, 1958 [1951], p. 42.
92La prostitution est à nouveau prohibée en 1956. Guereña J.-L., La prostitución en la España contemporánea, Madrid, Marcial Pons, 2003 ; Núñez-Balart M., Mujeres caídas. Prostitutas legales y clandestinas en el franquismo, Madrid, Oberon, 2003.
93Formulaire d’antécédents datant du 12-02-1946, ATTMVal, dossier no 81/1946.
94Rapport de comparution datant du 23-05-1947, ibid., dossier no 357/1947.
95Rapport datant du 21-07-1942, ATTMBcn, dossier no 524b/1942.
96Cazorla Sánchez A., op. cit., p. 21.
97Rapport de comparution datant du 05-01-1949, ATTMVal, dossier no 6/1949.
98Fiche datant de 1940, ibid., dossier no 156/1940.
99Rapport datant du 19-02-1943, ibid., dossier no 715/1939.
100Les dénominations sont nombreuses et souvent péjoratives: cases de vici, casas de citas, casas de prostitución, casas de prostitución de la más ínfima categoría, casa de lenocinio, casas públicas, casas de golfas…
101Rapport datant de juillet 1943, ATTMBcn, dossier no 10130/34.
102Rapport datant du 17-01-1945, ATTMVal, dossier no 78/1945.
103Formulaire d’antécédents datant du 07-09-1939, ibid., dossier no 141/1931.
104Marsé J., Enfermés avec un seul jouet : roman, Paris, Gallimard, 1992 (1967), p. 79.
105Rapport datant du 12-09-1942, ATTMVal, dossier no 106/1942.
106AAD.
107Rapport datant de 1940, ATTMBcn, dossier no 16778/1940.
108Lettre adressée par M. Carrelé au directeur de l’Asilo Durán le 04-04-1969. AAD.
109Formulaire datant du 13-12-1940, ATTMVal, dossier no 540/1940.
110ATTMBcn, dossier no 9490b/1950.
111AAD.
112Lettre écrite par Juan Farre Puig le 28-03-1969, ibid.
113Lettre datée du 04-04-1954, ATTMVal, dossier no 49/1954.
114AAD.
115Pour la France du tournant du xxe siècle, Pascale Quincy-Lefebvre a montré que les classes supérieures envoyaient leurs enfants à Mettray quand les milieux populaires confiaient leur progéniture à « l’école de préservation Théophile Roussel pour les enfants indisciplinés du département de la Seine ». Quincy-Lefebvre P., Une histoire de l’enfance difficile, op. cit., p. 3-4.
116AAD.
117Ibid.
118Rapport rédigé par Jacinto López, ATTMBcn, dossier no 16778/1940.
119Rapport rédigé par Fernando Sierra le 30-10-1945. Ibid., dossier no 3919b/1945.

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