Chapitre II. Enfreindre la norme
p. 47-68
Texte intégral
1La déviance juvénile n’est pas une simple construction ; elle existe. Mais elle est infiniment dépendante de ce qu’une société entend par là, de ses seuils de tolérance et d’acceptation, des institutions dont elle se dote pour y remédier ou, tout du moins, la canaliser1. La sociologie interactionniste a en effet montré que la déviance était toujours le résultat des initiatives d’autrui. Pour qu’un acte soit considéré comme déviant et qu’une catégorie d’individus soit étiquetée et traitée comme étrangère à la collectivité, quelqu’un doit avoir instauré la norme définissant l’acte comme déviant en donnant l’impulsion indispensable pour mettre les choses en train et en dirigeant les énergies ainsi mobilisées dans la direction adéquate2. Mais une fois qu’une norme existe, elle doit être appliquée à des individus déterminés pour que la catégorie abstraite puisse se peupler : il faut découvrir les déviants, les identifier, les appréhender et prouver leur culpabilité, tâche incombant à des professionnels spécialisés dans l’imposition du respect des normes, qualifiés par Howard S. Becker d’« entrepreneurs de morale ». C’est dans cette perspective que nous analyserons les motifs d’envoi à l’Asilo Durán de Barcelone et à la Colonia San Vicente Ferrer de 1939 à 1975 : quelles sont les principales catégories mobilisées par les autorités et les familles pour faire interner des mineurs dangereux ou en danger ? La détermination d’une norme et la stigmatisation d’individus considérés comme « outsiders » est en effet une question de nature politique, dans laquelle la « mise en mots » est essentielle3. La répartition des principaux motifs d’envoi évolue-t-elle au cours de la période et si oui, comment ? Les filles sont-elles traitées différemment des garçons ?
2Il conviendra de tracer les contours de la déviance réelle, au-delà des discours officiels tendant à présenter la hausse de la délinquance juvénile comme une conséquence de la période républicaine et de la guerre civile. En 1942 par exemple, le tribunal de Valence est débordé : le président de la juridiction affirme que l’augmentation de la délinquance est « un triste héritage de l’époque rouge4 ». De fait, on assiste à une intensification de l’activité judiciaire après la guerre civile sur la base du nouveau Code pénal de 1944 pour contrôler la société et criminaliser la misère à travers l’action punitive de l’État5. La répression de la déviance vise à défendre l’un des piliers du régime franquiste, l’ordre. La caractérisation ample et, dans de nombreux cas, arbitraire de ce qui est criminel constitue l’un des biais d’exercice du pouvoir6. Des travaux d’histoire sociale menés dans une perspective d’histoire locale, comme ceux d’Ana Cabana pour la Galice, ont ainsi montré que les années 1940 sont tout sauf une incarnation de la « paix sociale » célébrée par la propagande franquiste7. Dans le sillage des travaux fondateurs de Conxita Mir8, on dispose de plusieurs études fondées sur des sources judiciaires et qui éclairent la délinquance commune sous le franquisme dans les provinces de Murcie, de Grenade et d’Almería dans le contexte de pauvreté et de misère des classes populaires de l’après-guerre durant l’après-guerre9. Mais le cas des mineurs est beaucoup moins connu, même si Carme Agustí i Roca a travaillé sur le tribunal pour mineurs de Lérida, en Catalogne, durant le « premier franquisme10 ». Nous proposons ici une analyse portant sur une période plus ample (l’ensemble de la dictature franquiste), un espace géographique un peu plus large (la province de Barcelone et celle de Valence, plus au sud) et un public un peu différent de celui étudié par Carme Agustí i Roca : sont ici concernés les seuls enfants et les adolescents internés en maison de redressement par un tribunal pour mineurs, qui appliquait là la « mesure éducative » la plus sévère, ou à la demande de leur famille. Dans d’autres contextes que l’Espagne franquiste, le recours à des tribunaux pour régler un conflit familial ou d’ordre privé a en effet été mis en évidence11. Nous verrons comment évolue la prise en charge du vol et de l’indiscipline dans le contexte de l’immédiat après-guerre civile, des années 195012 puis du développement économique intense des années 1960, avant d’examiner les spécificités de la prise en charge de la déviance juvénile chez les filles.
Le dossier personnel du pensionnaire de maison de redressement, chronique d’une carrière déviante
3Le corpus que nous avons analysé contient 2 310 dossiers personnels de mineurs envoyés à l’Asilo Durán et à la Colonia San Vicente Ferrer entre 1939 et 1975 : globalement, 10 % du fonds de chaque maison de redressement a été dépouillé, les dossiers ayant été croisés avec ceux du tribunal pour mineurs, lorsque cela était possible. L’échantillon ainsi constitué porte sur 154 filles et 2 156 garçons, et concerne 3 161 internements différents, un même mineur pouvant effectuer plusieurs séjours dans une ou plusieurs maisons de redressement. Les trois quarts des dossiers personnels consultés se concentrent sur les décennies 1940 et 1950, celles dites du « premier franquisme », pour des raisons d’accessibilité plus grande. Les données contenues dans les dossiers personnels ont été saisies dans une base de données relationnelle réalisée sous Access et ont fait l’objet d’une étude qualitative et quantitative. Les dossiers ont été anonymisés et les prénoms des mineurs, modifiés.
4Il n’est malheureusement pas possible de mettre en regard les 2 310 cas sur lesquels nous avons travaillé avec le volume total de mineurs envoyés en maison de redressement de 1939 à 1975, aucune étude globale et synthétique n’étant disponible dans les archives du Conseil supérieur de protection des mineurs. Ce n’est qu’en 1956 que l’Institut national de statistique (Instituto nacional de estadística, INE) commence à collecter et à traiter les données que font remonter les différentes juridictions provinciales. Par ce biais, on sait qu’à la fin de l’année 1956, 24 905 mineurs se trouvent sous la tutelle des tribunaux pour mineurs espagnols ; en 1957, ils sont 25 191 et en 1958, 25 02713. Par rapport à la population totale d’individus qui ont alors entre 0 et 16 ans, la tutelle des tribunaux pour mineurs s’exerce sur 287 personnes sur 100 ‰ en 1956, sur 281 sur 100 ‰ en 1957 et sur 275 sur 100 ‰ en 1958. L’INE indiquant plus spécifiquement quelles mesures ont adopté les tribunaux pour mineurs, il est possible de préciser les contours de la population internée au cours de ces trois années, comme l’indique le tableau ci-après : au titre de la compétence de redressement des tribunaux, 3 431 mineurs ont été internés dans des établissements « d’éducation ou de redressement » en 1956, 3 229 en 1957 et 3 397 en 1958.
Tableau 1. – Nombre de mineurs auxquels s’appliquent les différentes « mesures éducatives » adoptées par les tribunaux espagnols (1956-1958).
Mesure adoptée | Nombre de mineurs concernés | ||
1 956 | 1 957 | 1 958 | |
Au titre de la compétence de redressement | |||
Liberté surveillée | 7 791 | 7 516 | 6 608 |
Placement en famille | 106 | 107 | 159 |
Placement en maison de famille | 113 | 115 | 94 |
Internement en établissement d’observation | 562 | 616 | 656 |
Internement en établissement d’éducation ou de redressement | 3 431 | 3 229 | 3 397 |
Internement en établissement destiné aux mineurs « anormaux » | 55 | 51 | 43 |
Au titre de la compétence de protection | |||
Placement sous surveillance | 5 516 | 5 690 | 5 786 |
Confiés à des membres de leur famille | 1 330 | 1 486 | 1 898 |
Confiés à des tiers | 763 | 778 | 847 |
Internement | 5 238 | 5 603 | 5 539 |
5Si les dossiers personnels de l’Asilo Durán sont nombreux, ils sont aussi peu diserts. Pour les années 1940 et 1950, ils consistent en une seule fiche cartonnée, de petite taille, sur laquelle figurent un nombre restreint d’informations consignées à l’arrivée du mineur dans l’institution. De rares indications sont ensuite apportées au cours du séjour, mentionnant par exemple une fugue ou une maladie (voir en annexe). Les dossiers de la Colonia San Vicente Ferrer sont beaucoup plus développés et s’articulent autour de quelques documents standards permettant de reconstituer les étapes marquantes de la prise en charge. Pour les filles, le séjour dans l’institution valencienne débute théoriquement par une période d’observation servant à déterminer de quel traitement éducatif l’adolescente a besoin et dans quelle section elle va être placée. La directrice et le médecin de l’établissement remplissent ensuite une « fiche d’observation psycho-médico-pédagogique » (ficha de observación psico-médico pedagógica) détaillant les caractéristiques médicales, psychologiques, morales et scolaires de la jeune fille, qui se clôt sur une proposition éducative présentée au tribunal pour mineurs. Pendant la période d’observation, la juridiction transmet en général à la direction de la Colonia San Vicente Ferrer un « formulaire d’antécédents » (hoja de antecedentes), qui contient des informations précises et précieuses relatives aux faits reprochés à la mineure, à sa situation personnelle et à celle de sa famille : niveau scolaire, état de santé, « moralité », profession…
6Les tribunaux pour mineurs ouvrent quant à eux un dossier personnel pour chaque enfant ou adolescent, et non pour chaque fait commis (article 159 des règlements de 1942 et 1948). Ce dossier n’est clos que lorsque la juridiction décide de mettre fin à la tutelle ou quand le mineur atteint l’âge de 21 ans. C’est le cas au bout de quelques jours pour Jorge, arrêté pour vol par la police en juillet 194214, mais au terme de 14 années de « protection » pour Melchor, un enfant maltraité par sa famille15. Les dossiers judiciaires sont irremplaçables car ils sont beaucoup plus complets et développés que ceux des maisons de redressement : ils replacent le séjour en institution dans la carrière déviante du mineur, éclairent la nature des faits commis et décrivent le milieu familial et social dont sont issus les pensionnaires16. Ils permettent de saisir tant la force des institutions que les formes de résistance ou d’évitement développées par les individus17. Grâce à ce type de source, on pénètre également à l’intérieur de la maison de redressement par le biais de la correspondance échangée entre le président du tribunal et le personnel éducatif. Ce type d’archives contient plusieurs documents standards : « l’accord » adopté par le tribunal (en lieu et place des peines prononcées dans les juridictions pour majeurs), qui se structure en trois grandes parties, à savoir la description des faits reprochés au mineur, la qualification juridique et la décision prise par le tribunal, ainsi que le rapport de comparution du mineur ou de tierces personnes, qui permet de préciser les faits et les circonstances pouvant les expliquer ; les rapports d’enquête rédigés par les policiers affectés aux juridictions, qui rendent visite aux mineurs à leur domicile, rencontrent famille et voisins ; les rapports rédigés par le délégué si le mineur est placé en liberté surveillée.
7Parmi les 3 161 envois en maison de redressement étudiés, 163 motifs d’internements différents ont été recensés, qui ont été répartis entre huit grandes catégories destinées à faciliter l’analyse. Si la catégorisation retenue reprend en partie celle qu’ont établie les codes pénaux de 1932 et de 1944, tous les motifs d’envoi sont cependant loin d’être fondés sur une définition juridique précise. Les formulations utilisées pour expliquer un internement intervenant pour des raisons liées au contexte économique ou familial sont par exemple très hétérogènes (« par nécessité physiologique », « pour qu’il soit recueilli », « par manque de moyens », « parce qu’ils n’ont pas de toit », « parce que sa mère ne peut pas le garder, devant faire des ménages », « à cause des circonstances »…).
Tableau 2. – Répartition par catégories des motifs d’internement dans les maisons de redressement étudiées (1939-1975).
Type de motif | Nombre d’envois | Proportion par rapport au total |
Atteintes à la propriété | 942 | 39 % |
Indiscipline | 863 | 35,7 % |
Autres | 275 | 11,4 % |
Motifs d’ordre sexuel | 89 | 3,7 % |
Motif non déterminé | 87 | 3,6 % |
Circonstances économiques ou familiales | 80 | 3,3 % |
Atteintes à la personne | 77 | 3,2 % |
Motifs d’ordre politique ou religieux | 5 | 0,2 % |
L’omniprésence du vol
8Derrière la multiplicité des motifs d’internement, les pensionnaires de l’Asilo Durán et de la Colonia San Vicente Ferrer ont été internés pour deux raisons principales : le vol et l’indiscipline. De 1939 à 1950, le vol constitue le principal motif d’envoi en maison de redressement. Pendant la décennie 1940 puis à nouveau au début des années 1970, il est à l’origine de plus de 40 % des internements ; 70 % des pensionnaires de l’Asilo Durán ont même été internés pour vol à la toute fin de la période. Il s’agit souvent de vols de faible gravité : 80 des 212 mineurs envoyés pour vol à la CSVF de 1939 à 1975 avaient commis un vol sans gravité (sustracción), 73 un vol simple (hurto), 45 un vol aggravé (robo) et 13 une tentative de vol aggravé (intento de robo). 30 mineurs envoyés à l’Asilo Durán entre 1939 et 1975 sont considérés comme des rateros (« petits voleurs »), une expression qui, dans le langage courant, tend plutôt à décrire des personnes certes habiles, mais qui dérobent des objets de faible valeur. Les forces de l’ordre interviennent beaucoup plus fréquemment que pour tous les autres motifs d’envoi : plus de la moitié des mineurs internés pour vol ont été arrêtés par la police ou la garde civile (186 envois sur 342 cas connus, soit 54.4 % du total). Au début de l’année 1948, Antonio est par exemple arrêté par la police de Barcelone, qui l’a surpris alors qu’il volait des objets à l’intérieur de voitures garées sur le paseo de Gracia18.
Misère et infra-délinquance juvénile : trafiquer pour subsister (années 1940-1950)
9Après la guerre civile, l’activité délictuelle augmente fortement, en lien direct avec la situation dans laquelle la population se trouve. Les délits contre la propriété, notamment, croissent de façon exponentielle – caractéristique partagée avec d’autres sociétés d’après-guerre19. Le phénomène est désormais documenté pour plusieurs provinces espagnoles20. À Lérida, en 1941, 65 % des dossiers ouverts par le tribunal pour mineurs le sont à cause d’un vol21. Le même constat vaut pour les majeurs : plus de la moitié des dossiers traités par les tribunaux civils de la province de Lérida correspondent, dans les années 1940, à des délits contre la propriété22 ; 70 % des délits commis en 1941 et en 1946 dans le quartier populaire d’Albaícin, à Grenade, étaient des délits contre la propriété ; la proportion est de 66 % dans la région de Murcie23. À la fin des années 1960, les services statistiques du tribunal de Barcelone, qui détectent eux aussi une augmentation brusque du nombre de vols simples (hurtos) en 1936-1937 atteignant un pic historique en 1941, l’expliquent par « la calamité publique que [constituait alors] le manque de vivres24 ». Dans les années 1940-1955, période de long après-guerre pendant laquelle les circuits économiques sont désorganisés, la misère s’étend jusqu’aux recoins de chaque quartier et dans tout le pays, condamnant des milliers de personnes à chercher des moyens de survivre. C’est le résultat de trois ans de combats acharnés mais aussi du choix du régime franquiste de se tourner vers le modèle d’une économie autarcique, typique des régimes autoritaires. À cause des carences de l’économie espagnole, cette politique s’avère catastrophique : elle entraîne une baisse très importante du PIB et du niveau de vie, et favorise une situation de pénurie durable.
10En creux, les dossiers personnels donnent à voir cette époque extrêmement difficile de l’après-guerre. Des enfants miséreux volent ce qui est à leur portée dans les usines et les ateliers, autour des gares et des ports, et qui, dans un contexte de pénurie généralisée, a acquis une certaine valeur : des câbles électriques, des fils de cuivre, des canalisations en plomb, des résidus de charbon, une courroie de transmission, les parties métalliques des sièges d’un train de voyageurs, des briques, des pneus, des sacs de jute vides, des boutons de porte, un robinet, quelques outils et un bout de tuyau d’arrosage entreposés dans la remise d’une résidence secondaire, une couverture ou deux chemises séchant sur une terrasse… Il n’est pas rare que ces voleurs adolescents agissent en groupe et que des nuées d’enfants s’agrippent aux trains ou aux camions pour dérober une partie de la cargaison. Claudio, interné à la Colonia San Vicente Ferrer en 1940, faisait partie d’une bande de mineurs qui agissait près d’un passage à niveau, profitant du fait que les camions devaient ralentir pour dérober une partie de leur chargement25. Le charbon fait partie des matériaux les plus visés : il peut soit être revendu, soit permettre aux familles des mineurs de se chauffer. La bande dite de « la Chapa negra » qui sévit sur la plage valencienne de Nazaret, est même spécialisée dans le vol du précieux combustible26. Le vol de matériaux constitue un moyen de survie pour une population paupérisée : les archives montrent qu’il peut être toléré, voire encouragé par les parents, qui trouvent là un expédient permettant à la famille de (sur)vivre. En février 1944, Concepción est arrêtée par la police car elle a ramassé des résidus de charbon dans la gare du Grao, le port de Valence car, selon sa mère, la famille se trouve dans une situation économique très précaire, risquant chaque jour de n’avoir rien à manger27. Les chiffres fournis (80 envois en maison de redressement de 1939 à 1975 pour vol de matériaux) ne constituent que la partie émergée de l’iceberg, c’est-à-dire les chapardeurs qui ont été arrêtés par la police, traduits devant le tribunal pour mineurs et envoyés en maison de redressement. Le cas de Violeta, « multirécidiviste » arrêtée en décembre 1952 parce qu’elle a encore volé du charbon sur le port de Valence, n’est pas isolé28. Les autorités ne semblent pas parvenir à lutter efficacement contre le phénomène de l’infra-délinquance juvénile, endémique dans les années 1940 et jusqu’au milieu des années 1950.
11Signe de la précarité des temps, lorsque Melchor cambriole des maisons secondaires que leurs propriétaires valenciens ont quittées, une fois la saison estivale terminée, il emporte à la fois des métaux et des pommes de terre29. On recense 68 vols de nourriture de 1939 à 1975, soit 8,6 % du total des atteintes à la propriété. Comme les vols de matériaux, ce phénomène est limité aux années 1940 et à la première moitié des années 1950 : avec le début de la croissance économique et l’amélioration des conditions de vie, les vols de nourriture disparaissent ensuite progressivement. Là encore, on jette son dévolu sur ce que l’on a sous la main : à la campagne, des pommes de terre, des figues, des amandes, des patates douces, des tomates, des haricots, une poule, un canard ; en ville, des sacs de pommes de terre, d’oignons, du pain, de la viande, des sardines, des œufs, du maïs, du blé, de la farine, des pois chiches, des bananes, des oranges ou des produits préparés (cacao, fromage, boîtes de lait concentré, briques de soupe de poisson, boîte de chocolats, pâte de coing), ou même de la liqueur, du vermouth et du champagne. Les moyens et les lieux de transports constituent des endroits stratégiques : onze vols sont commis dans des camions, des trains, des gares ou des ports. En juillet 1947, Ana, 14 ans, a profité du déchargement de la cargaison d’un bateau pour dérober des pommes de terre30. Mais les vols de nourriture se produisent logiquement sur les lieux de production ou de vente des aliments : en ville, les marchés et les commerces ; à la campagne, les champs ou les vergers. En janvier 1950, le tribunal pour mineurs de Valence décide par exemple d’interner José María en maison de redressement puisque le syndicat des cultivateurs et des éleveurs de Carlet reproche au mineur d’avoir volé des patates douces dans un champ31. Dans un contexte d’urgence sociale et démographique, les enfants et les jeunes contribuent à l’apport de ressources et d’aliments de base dans leur famille.
12Les vols de nourriture sont motivés par la faim ou par le désir de gagner de l’argent en organisant la revente des produits dérobés. En août 1946, Fermín a volé 60 kilos de figues pour les revendre et pouvoir ainsi s’amuser le dimanche suivant32. De fait, de véritables circuits commerciaux parallèles existent dans l’Espagne de l’après-guerre, destinés à pallier les dysfonctionnements économiques. Certains mineurs y participent, aux côtés des traperos et autres estraperlistas (chiffonniers et vendeurs au marché noir). Ainsi, Evelio a l’habitude de revendre les œufs et les aliments volés au marché de San Andrés aux estraperlistas agissant dans l’enceinte même du marché33. Melchor est interné à l’Asilo Durán en janvier 1941 car il a « vendu de l’huile à des prix abusifs », c’est-à-dire hors du marché réglementé. Juan, Roberto et Domingo vendaient quant à eux du tabac au marché noir (février 1941, août 1942 et décembre 1945)34. Mais ces circuits de troc et de commerce parallèle font aussi intervenir des femmes au foyer et des commerçants, adeptes du système D et peu regardants sur l’origine de la nourriture qu’ils acquièrent. Les sept poules et le lapin que José a volés dans la rue de Cuenca en janvier 1941, à Valence, sont rachetés 15 pesetas par un marchand de volailles du quartier populaire de Patraix35. Le vol à petite échelle est, comme le marché noir (estraperlo), est tellement lié au contexte économique et social que l’on a pu parler de « délinquance sociale36 » ou de « délits de la misère37 ». Il est une stratégie de survie. Dans les années 1950 encore, les sources officielles assurent que presque tous les particuliers qui vendent clandestinement du pain sont des personnes sans ressource ou sans travail, qui se procurent ainsi de quoi vivre ; il s’agit presque toujours de femmes veuves38. Cette réalité a peu à voir avec les proclamations du « Caudillo », qui avait promis qu’il n’y aurait « aucun foyer sans lumière et aucun Espagnol sans pain39 ». En effet, devant la menace de la faim, mères ou épouses luttent quotidiennement pour préserver leur dignité, leur vie et celle de leur famille40. Elles sont contraintes d’adopter des stratégies de survie en commettant de petites actions délictuelles qui ne sont pas condamnées par la communauté car elles font appel à des valeurs morales partagées41. Le recours à l’illégalité est ainsi loin de constituer une pratique qui concerne les seules femmes stigmatisées comme « rouges42 ». De fait, les délits contre la propriété ou la mendicité pratiqués par des mineurs peuvent être interprétés comme une manière de collaborer économiquement à la vie de leur famille, à l’image du travail infantile au xixe siècle et au début du xxe siècle, qui était une cause d’absentéisme scolaire43. Enfin, on constate qu’à la campagne, des pratiques multiséculaires comme le glanage permettent aux plus pauvres de survivre. Claudio ne pensait pas que le fait de glaner (espigolar) quelques haricots alors que la cueillette était terminée constituait un délit : « c’est comme ça que font tous ceux qui vont glaner » dans le village de Benifayó (environs de Valence)44. Les autorités ne parviennent pas à lutter efficacement contre les vols de nourriture : lorsque Luis est arrêté, en février 1943, parce qu’il a volé 42 kilos de pommes de terre dans un entrepôt situé à l’Hospitalet de Llobregat, c’est déjà la sixième fois qu’il a affaire au tribunal pour mineurs de Barcelone45. Les dossiers personnels des pensionnaires de maison de redressement corroborent donc le tableau peint ailleurs, dans le sillage des travaux pionniers de Conxita Mir : celui d’une société luttant de toutes ses forces pour survivre dans un désordre économique généralisé, dans lequel la transgression de la légalité est quotidienne46. L’historiographie a interprété diversement l’éventuel caractère politique de ces pratiques : Michael Richards a considéré qu’il s’agit là de formes de résistance révélant un conflit ouvert avec la dictature, l’autarcie constituant pour lui une forme de répression exercée par les vainqueurs ; Ana Cabana Iglesia estime pour sa part qu’on a là affaire à des formes de résistances infrapolitiques, ne relevant ni de l’opposition, ni de l’antifranquisme mais s’enracinent dans la culture politique des paysans (galiciens, en l’occurrence)47.
Les vols de véhicules à moteur : quand l’Espagne entre dans l’ère du développement économique (années 1960 et 1970)
13L’infra-délinquance de la misère est un phénomène circonscrit dans le temps. Dans les années 1950, dans les quartiers populaires de l’Albaicín et du Sacromonte, à Grenade, le nombre de vols d’aliments tend à baisser48. Le « Plan de stabilisation » de 1959, mis en place par les « technocrates » du régime franquiste, vise à moderniser l’économie espagnole. La dictature aspire ainsi à se doter d’une légitimité d’exercice en montrant qu’elle est certes un régime autoritaire, mais efficace et modernisateur, garant de la prospérité des citoyens. De fait, après un premier moment de récession, la croissance démarre, en raison notamment de l’insertion de l’Espagne dans les mécanismes de l’économie globale et d’un effet de rattrapage. Elle atteint près de 7 % annuels, taux égalé seulement par le Japon : c’est le « miracle économique espagnol », célébré par la propagande du régime. Dans la mémoire collective, la décennie 1950 apparaît d’ailleurs comme une période de consensus, dans lequel la crainte d’un nouveau conflit et le contexte de Guerre froide sont déterminants. En partie grâce à l’importance du tourisme, le secteur tertiaire se développe et conduit à une augmentation et à une diversification des classes moyennes. Progressivement, de larges couches de la population parviennent à ce statut, caractérisé par l’amélioration des conditions matérielles. Les années 1950 voient la naissance d’une société de consommation dans laquelle la publicité génère de nouveaux besoins et promeut de nouveaux modes de vie49 : accès à la propriété du logement (el pisito), aux biens de consommation, comme l’électroménager ou la télévision, aux loisirs, à l’automobile (Seat 600 notamment).
14Mais ce « miracle économique » n’est pas partagé par tous : les jeunes immigrants intérieurs ou enfants d’immigrants, vivant dans les banlieues des grandes villes, en sont exclus et convoitent ces symboles de la société de consommation. En juin 1974, Juan Miguel est interné à l’Asilo Durán car il a dérobé 5 000 pesetas50. En 1962 Luis, lui, a volé pas moins de 32 000 pesetas, une somme considérable pour l’époque puisqu’elle représente plus de 500 fois le salaire d’un journalier agricole51. José Julio, enfin, est envoyé à l’Asilo Durán par le tribunal pour mineurs de Gérone parce qu’il a volé 55 000 pesetas dans une pension, le 7 janvier 197452. Le phénomène n’est pas spécifique à l’Espagne, même s’il s’y produit plus tard que dans les autres pays industrialisés. En France par exemple, Émile Copfermann estime en 1961 que, si autrefois il arrivait de voler pour manger, les blousons noirs « volent pour le rêve, l’évasion, le cinéma, pour la puissance que confère l’argent ; bref, pour tout ce qui est supposé receler une part de bonheur53 ». 34 pensionnaires de maison de correction ont volé une moto ou une automobile, ou bien fracturé une voiture. De tels délits sont numériquement marginaux (un peu plus de 4 % des vols), mais ils sont représentatifs d’une nouvelle époque. La rupture chronologique est claire et se situe dans la première moitié des années 1960 : avant cette date, aucun vol de voiture n’a été commis par les pensionnaires de l’Asilo Durán et de la Colonia San Vicente Ferrer. En 1968, Marcos, né à Jaén en 1959, a fracturé un véhicule et emporté trois sacs appartenant à une dame, ainsi que 1 500 pesetas54. En septembre 1975, Emiliano est envoyé à l’Asilo Durán par le tribunal pour mineurs de Gérone parce qu’il a volé 6 000 pesetas dans une voiture55.
15Francisco Castro Villena incarne ce nouveau type de délinquance qui constitue le revers de la médaille du miracle du desarrollismo, du fort développement économique56. Né en 1958 à Jaén, il a quitté seul son Andalousie natale pour aller tenter sa chance en ville. Il a débarqué à la gare de France, à Barcelone, sans un sou en poche. De juillet 1965 au mois d’août 1968, il est interné à l’Asilo Durán, où il dit avoir appris comment voler une moto. Une fois sorti de l’établissement, il multiplie les vols de voitures et les escapades en dehors de Barcelone, sur de grosses cylindrées dérobées à des touristes. De fait, l’image des pensionnaires de l’Asilo Durán change : dans les années 1960 et 1970, la presse officielle stigmatise les voleurs de voitures échappés de la maison de redressement, les voyous violents et récidivistes issus des banlieues (suburbios) barcelonaises57. Le cinéma se fait l’écho de ce phénomène social : à la fin des années 1970 émerge le cine quinqui, un genre populaire mettant en scène les aventures et les faits d’armes de jeunes loubards vivant dans les banlieues des grandes villes58. Dans des films comme Perros callejeros (1977) ou Los últimos golpes de El Torete (1980), réalisés par José Antonio de la Loma, le récit des vols de voiture et des courses-poursuite épiques avec la police sont des passages obligés. Il n’est pas rare que les délinquants eux-mêmes jouent leur propre rôle : c’est le cas par exemple d’El Vaquilla dans Yo, « El Vaquilla » (1985), dont le frère a fréquenté l’Asilo Durán en même temps que Francisco Castro Villena. De son vrai nom Juan José Moreno Cuenca (1961-2003), El Vaquilla est issu d’une famille gitane du quartier périphérique de Nou Barris, rendu célèbre par sa précocité, les multiples vols de voiture qu’il a commis, son addiction à l’héroïne et sa lutte pour de meilleures conditions de vie en prison, jusqu’à devenir une icône du cinéma quinqui.
Recourir à la puissance publique pour résoudre un conflit privé : la prise en charge de l’indiscipline juvénile
Corriger les jeunes dits « difficiles » : une affaire de famille
16La prise en charge de l’indiscipline juvénile sous le franquisme s’inscrit dans le temps long puisque les dispositions juridiques régissant la correction paternelle datent, comme en France, du xixe siècle. Depuis l’adoption du Code civil en 1888-1889, le père de famille a un droit de correction sur ses enfants. Le père de famille – ou éventuellement la mère en cas de décès du père – exerce un ensemble de droits sur ses enfants légitimes, tant que ces derniers ne sont pas émancipés : c’est la « puissance paternelle » (patria potestad). Les enfants sont tenus d’obéir à leur père et de lui témoigner « révérence et respect » (article 154 du Code civil). La puissance paternelle implique devoirs et droits : le père doit alimenter, éduquer et instruire ses enfants ; il peut les corriger et les punir « modérément » (article 155). Par la procédure de la correction paternelle, le père de famille peut faire appuyer son autorité par les pouvoirs publics pour faire interner son fils ou sa fille dans des institutions éducatives habilitées (« établissements d’instruction » ou « instituts ») ou une maison de correction (« établissement correctionnel »). Par ailleurs, le devoir que les enfants ont de respecter et d’obéir à leurs parents est consigné dans le Code pénal mais en l’espèce, la guerre civile ne constitue pas une rupture : le Code pénal de 1944, qui fait de l’obéissance filiale une obligation juridique, reprend mot pour mot le texte républicain de 1932.
17Les contours juridiques de l’indiscipline juvénile sont flous : dans 4 % des cas seulement, on se réfère à une catégorie reconnue par le Code pénal (infraction aux articles 578 et 583 du Code pénal). Le reste du temps, les formulations apparaissant dans les archives sont vagues (« mauvais comportement », « très mauvais comportement », « se comporte mal » ou « indiscipline aggravée »…). Lorsque cela a été possible (pour 525 internements de garçons et 113 de filles), le motif d’envoi « indiscipline » a été croisé avec les faits qui ont été réellement commis, qui apparaissent également dans le dossier. Il apparaît que l’indiscipline recouvre plusieurs types de déviances : la désobéissance vis-à-vis des parents, la fugue, le vol, le vagabondage… De fait, ce sont majoritairement des particuliers qui sont à l’origine des demandes d’internement ; les forces de l’ordre n’apparaissent quasiment pas (2 % des cas), au contraire des internements pour vol. La stigmatisation et la prise en charge de l’indiscipline sont une affaire de famille59 et même, de mères, qui sont à l’origine de 41 % des internements. Le recours à la justice peut en effet permettre aux femmes de contrebalancer une situation juridique et sociale qui leur est défavorable, le Code civil leur accordant moins de pouvoir qu’à leurs maris60. Juan, 15 ans, est envoyé à l’Asilo Durán à deux reprises, en novembre 1944 et en juin 1945, chaque fois à la demande de sa mère, qui affirme qu’il fugue et qu’il vole61. Les pères interviennent dans un cas sur quatre, comme celui de Rafael, chauffeur de profession, qui se plaint en février 1952 de la conduite de son fils : ce dernier, âgé de 15 ans, vagabonde dans les rues de Valence, vole ses parents et ne veut pas travailler. Il passe un an et demi à la Colonia San Vicente Ferrer62. Les parents avouent parfois leur impuissance, comme dans le cas José, interné pour la troisième fois à l’Asilo Durán en septembre 1956 (« son père n’est pas maître de lui63 »).
18Dans 114 cas, les adolescents indisciplinés ont commis un vol : il s’agit le plus souvent d’un larcin commis au domicile parental (61 cas) ou du vol de petites sommes d’argent (23 cas), comportement que certains parents n’hésitent pas à qualifier de « cleptomanie » filiale. En décembre 1949, Ana a volé de l’argent à sa mère, qui est aveugle64. Tomasa ment à son père, à qui elle a dérobé de l’argent liquide à plusieurs reprises65. On souligne qu’avec le produit de leur larcin, les mineures s’achètent des bonbons, vont au cinéma, s’offrent une permanente ou une paire de chaussures. Par ailleurs, un pensionnaire indiscipliné sur cinq fugue régulièrement de chez lui. Il arrive que l’adolescent passe plusieurs jours, plusieurs semaines ou plusieurs mois hors de chez lui. Luis, par exemple, est interné à l’Asilo Durán en janvier 1945 ; il n’est pas revenu à son domicile pendant six mois66. Il n’est pas rare que les jeunes fugueurs chapardent pour survivre pendant leur fugue. La désobéissance pose problème aux familles parce qu’elle perturbe l’organisation économique du foyer. La question du travail est en effet centrale dans les relations familiales. La famille doit engendrer des solidarités : les parents nourrissent les enfants et les préparent à prendre progressivement leur place dans le labeur qui fait vivre67. Cinq adolescents « indisciplinés » sont coupables de ne pas remettre leur salaire à leurs parents. 24 mineurs internés pour indiscipline « ne veulent pas travailler », selon leurs parents, ou ne veulent pas conserver les places que leurs parents leur ont trouvées. Antonio est interné à la Colonia San Vicente Ferrer en janvier 1953, à la demande de sa mère, qui affirme que le jeune garçon est très paresseux et qu’il se prélasse depuis trois mois. Sa sœur avait tenté de lui trouver une place, mais il lui a rétorqué qu’il n’avait pas envie de se lever à 7 heures du matin68. José María, lui, âgé de 19 ans, traîne beaucoup dans la rue (« callejero ») et n’a pas de stabilité professionnelle69. L’internement en maison de redressement constitue enfin un recours pour les familles dont la progéniture ne se comporte pas correctement à l’école. Le fait de ne pas vouloir étudier est ainsi une composante de l’indiscipline juvénile (24 cas), ainsi que l’absentéisme scolaire (14 cas). En mars 1954, Juan est interné à l’Asilo Durán par sa famille, qui paie sa pension : il traîne dans la rue au lieu d’aller à l’école70. Il arrive même que les parents conçoivent la maison de redressement comme une sanction punissant un choix d’orientation erroné. José María est sorti de l’Asilo Durán en septembre 1947. L’année suivante, sa mère affirme qu’il est « rebelle » et qu’il doit à nouveau être interné. D’après le délégué à la liberté surveillée, ce souhait maternel répond seulement au fait que l’adolescent veut devenir éboueur, comme beaucoup d’habitants de son quartier, alors que sa mère voudrait qu’il soit mécanicien71.
Adolescents rebelles et voyous (golfos)
19L’association de la désobéissance, de la fugue, du vagabondage et du vol est caractéristique du golfo, du « voyou ». Le terme est apparu au début du xxe siècle ; il désigne alors un individu menant une « mauvaise vie » et dont les activités, si elles ne sont pas forcément des délits, sont à la marge du système productif72. On retrouve le néologisme golfo sous la plume de nombreux sociologues, médecins et romanciers, le terme s’appliquant aussi bien à un aristocrate libertin qu’à un étudiant dilettante, à un tricheur qu’à un voleur, à une bourgeoise nymphomane et adultère qu’à une prostituée. Le golfillo (« petit voyou ») devient une figure autonome : c’est un enfant des rues, pauvre et abandonné, qui incarne le premier degré de la délinquance juvénile. Dans les dossiers personnels des pensionnaires de maison de redressement, le terme golfo apparaît mais il est circonscrit aux années 1940. Il désigne presque exclusivement des garçons qui, selon leurs parents, « mènent une vie de voyou » ou sont devenus « de véritables voyous ». Luis, par exemple, passe toutes ses nuits dehors et ne rentre chez lui que vers 5 ou 6 heures du matin. Il ramasse des mégots et fume comme un pompier alors qu’il est atteint de la tuberculose. Il vole sans arrêt ses parents73. Juan, lui, traîne avec des « voyous de la rue, des bandes de petits voleurs ». Cependant, cet argument, avancé par la mère de l’adolescent, ne suffit pas à convaincre le tribunal pour mineurs de Barcelone. Il faut qu’un inspecteur de la Compagnie des trams vienne porter plainte pour que Juan, qui a sauté du tram sans payer son billet et a cassé une vitre avec une pierre, soit envoyé à l’Asilo Durán74. Un golfo ne va pas à l’école et traîne dans la rue, souvent en groupe ; il mendie et il vole. Produit de la misère, il appartient à la galerie des personnages emblématiques de l’après-guerre civile, avec les prostituées, les pickpockets et les vendeurs au marché noir. Ainsi, Pascual fugue régulièrement de chez lui et retrouve d’autres petits voyous (golfillos), en compagnie desquels il vagabonde dans Barcelone et mendie75. Les bandes de voyous barcelonais des années 1940 s’approprient la ville et sévissent dans des lieux privilégiés : les marchés, de préférence ceux du quartier mal famé du Barrio Chino, les places de Catalogne et d’Espagne, le port et les quartiers adjacents (Atarazanas par exemple). Le frère de Marín a essayé d’arrêter le jeune garçon, âgé de 14 ans, dans l’avenue de la Luz. Mais Marín, se sentant pris par le bras, a appelé sa bande à la rescousse, qui est tombée sur son frère aîné et l’a violemment frappé76. Il arrive même que les golfos se déplacent à l’échelle nationale : le 11 octobre 1951, Ricardo est interné pour la deuxième fois à l’Asilo Durán ; il s’évade dix jours plus tard. En août 1952, sa famille ne sait toujours pas où il se trouve. On suppose qu’il a quitté Barcelone par crainte d’être arrêté par la police, soucieuse de « nettoyer » la ville avant le 35e Congrès eucharistique international qui s’est tenu du 25 mai au 1er juin 1952. Il se trouverait à Bilbao77.
« Combattre les perversions morales qui les ont poussées au mal78 » : les spécificités de la prise en charge des filles
« L’interner pour qu’elle ne fasse de mal ni aux autres, ni à elle-même79 »
20De nombreux travaux, portant sur d’autres pays occidentaux que l’Espagne (France, Belgique, Canada, États-Unis), ont mis en évidence le fait que la justice des mineurs ne traitait pas de la même façon les garçons et les filles80. Les historiens ont montré que si, dans la loi, l’infraction était définie de façon neutre, l’application de la loi variait selon le sexe de l’accusé81. Dans quelle mesure les autorités franquistes, secondées par les familles, traitent-elles différemment la déviance chez les jeunes garçons et chez les jeunes filles ? La question du genre n’a guère été examinée par les quelques historiens espagnols travaillant sur la justice des mineurs, qui étudient plutôt l’articulation des pratiques judiciaires avec les objectifs de répression politique et sociale du régime, alors que l’instauration du franquisme implique une dégradation brutale du statut juridique de la femme et la promotion d’une vision conservatrice de sa place dans la société.
21Les textes normatifs régissant le fonctionnement des tribunaux pour mineurs espagnols n’établissent pas de distinction entre les mineurs des deux sexes (le terme générique de menores est utilisé). Les archives montrent néanmoins que les procédures judiciaires conduisant à l’envoi en maison de redressement des filles et des garçons ne sont pas similaires. De façon générale, les juridictions pour mineurs ont beaucoup plus souvent affaire à des garçons qu’à des filles. Entre 68 et 88 % des mineurs pris en charge par le tribunal de Barcelone de 1925 à 1965 sont de sexe masculin. Mais pour les autorités espagnoles, cette présence féminine plus rare serait le reflet d’une constitution biologique spécifique : les femmes étant « moins fortes, moins indépendantes et plus timides que les hommes », elles exprimeraient leur agressivité de manière plus insidieuse et raffinée, en commettant moins de délits82. Par ailleurs, d’un point de vue procédural, les tribunaux pour mineurs espagnols ne traitent pas de la même manière les cas des filles et ceux des garçons. Entre 1956 et 1958, ils prennent en charge 2 144 garçons et 425 filles au titre de leur « compétence de redressement », et 870 garçons et 1 123 filles au titre de leur « compétence de protection83 ». Les filles représentent donc 17 % des mineurs « redressés », mais 57 % de ceux qui sont « protégés », un déséquilibre que l’on constate également en France à la même période84. Des deux côtés des Pyrénées, on estime ainsi que les filles sont plus vulnérables, faibles et influençables que les garçons, et que leur propre conduite constitue moins une menace pour la société que pour elles-mêmes. Or les appels à la protection de la jeunesse sont inséparablement des appels à un meilleur contrôle des jeunes, et éventuellement de leurs familles. Les jeunes filles doivent être protégées contre un environnement familial et social que l’on juge souvent pernicieux et immoral, « en tous points contraire à l’Église Sainte de Dieu », selon la directrice de la Colonia San Vicente Ferrer85. Elles ne peuvent lutter efficacement et durablement contre ces influences négatives parce qu’elles sont trop faibles et influençables. Enfin, la prise en charge de la déviance juvénile est, chez les filles beaucoup plus que chez les garçons, une affaire de famille : dans deux cas sur trois, les mineures sont internées à la demande d’un parent (c’est le cas d’un garçon sur deux seulement) ; elles sont arrêtées par les forces de l’ordre deux fois moins souvent que leurs camarades masculins. Elles sont, moins que les garçons, internées pour des faits menaçant l’ordre public ou présentant un danger pour la société. Ludivine Bantigny a souligné que l’adage « garçon libre, fille surveillée » était une certitude partagée pendant l’après-guerre en France86. Il n’en va pas autrement en Espagne : la supervision parentale, l’évaluation des risques, la discipline et les normes varient selon le sexe des adolescents. Les filles sont soumises à un contrôle familial plus étroit. Mais si la prise en charge de la déviance féminine est une affaire de famille, elle est aussi une affaire de femmes. Près de deux tiers des pensionnaires de la section pour filles de la Colonia San Vicente Ferrer ont été internées à la demande de leur mère, leur père n’apparaissant que dans un peu plus d’un cas sur dix. En février 1949, la mère de Consuelo se plaint ainsi du fait que sa fille est insoumise, rebelle et n’aime guère travailler ; elle note chez elle « une tendance qui la pousse vers les hommes et le vagabondage87 ».
L’inconduite féminine, forcément morale et sexuelle
22Chez les garçons, le vol et l’indiscipline sont des motifs d’internement presque aussi fréquents l’un que l’autre (respectivement 40 % et 35 % des envois) ; en revanche, 22 % des filles ont été internées pour vol quand 48 % l’ont été pour indiscipline. L’indiscipline a une dimension genrée : si, comme les garçons, les filles « indisciplinées » ont souvent commis des larcins, elles ont plus rarement fugué du domicile parental. On ne leur reproche généralement pas leur fainéantise au travail ou à l’école : elles sont avant tout destinées à être des femmes au foyer, menant dignement et honnêtement leur maisonnée. Dans plus d’un cas sur cinq, c’est leur conduite sentimentale et sexuelle qui est en cause (la fréquence est d’un cas sur cinquante chez les garçons internés en maison de redressement). L’éventail des faits réprouvés va de l’attirance pour le sexe opposé à la vie en concubinage en passant par le fait de parler avec des garçons, de côtoyer des hommes, des prostituées, d’avoir un petit ami ou d’avoir eu des relations sexuelles. María Teresa, 15 ans, est internée pour « insoumission » en septembre 1951 : sa famille lui reproche d’écrire des lettres d’amour, de se promener avec des garçons et de rentrer chez elle à 22 h 30. Étant donné qu’elle est « faible avec les hommes », on craignait qu’il ne « lui arrivât un mal irréparable88 ». L’internement sert le plus souvent à « empêcher le désastre » ou ce que l’on perçoit comme tel, à savoir des relations sexuelles avant le mariage. En août 1947, la mère de Violeta craint qu’il « n’arrive quelque chose d’irréparable » à sa fille, âgée de 15 ans : « l’enfant ressent une attirance démesurée pour les hommes89 ». Comme dans le cas des femmes adultes, la déviance des jeunes filles est ainsi caractérisée par une « double transgression » : transgression légale, mais surtout transgression morale90. Comme l’Église catholique, la Section féminine de la Phalange participe également du contrôle social exercé sur les jeunes filles : c’est une phalangiste qui, en février 1942, signale le cas de Teresa, affirmant que cette orpheline âgée de 14 ans mène « une vie moralement irrégulière ». Un examen médical révèle que Teresa est déflorée : celle-ci est envoyée à la Colonia San Vicente Ferrer le 3 mars 194291.
23Il existe des motifs d’internement qui ne concernent que des mineures de sexe féminin, comme la « vie licencieuse ». La mère de Francisca, par exemple, affirme que sa fille est attirée par les hommes et que des voisins l’ont vue, à plusieurs reprises, « se faire tripoter par des garçons sous les porches, en même temps qu’elle les masturbait ». L’adolescente est internée à la Colonia San Vicente Ferrer en mai 1946 alors que l’enquêteur du tribunal reconnaît que si Francisca a effectivement joué avec des garçons dans la rue, il n’a pas pu prouver qu’elle ait commis avec eux des « actes malhonnêtes92 ». Néanmoins, si l’on confronte les motifs d’envoi avec les faits réellement commis par les mineures internées pour « vie licencieuse », il apparaît que la conduite sexuelle et sentimentale des jeunes filles n’est en fait pas la seule en cause. Cet aspect de la déviance, auquel les autorités franquistes sont particulièrement sensibles, est mis en avant, accentué voire inventé par les requérants pour avoir plus de chance d’obtenir l’internement en maison de redressement. Ainsi, Pilar, 17 ans, aurait un penchant certain pour l’autre sexe impliquant qu’il est dangereux pour elle « d’être dans la rue » ; mais sa mère lui reproche surtout de ne pas vouloir travailler et de quitter toutes les places qu’elle lui a trouvées93. En creux, les dossiers personnels révèlent ainsi la marge de manœuvre dont disposent les familles, qui choisissent d’appliquer de façon sélective la norme imposée par les « entrepreneurs de morale » que sont le tribunal pour mineurs et les organisations religieuses.
24La stigmatisation de l’inconduite sentimentale et sexuelle des mineures va de pair avec un contrôle strict de leur temps et de leurs loisirs. Chez les filles couve une menace d’ordre sexuel lorsqu’elles se trouvent dans la rue, la nuit venue. Emilia est envoyée à la Colonia San Vicente Ferrer pour « insoumission » car elle vole ses parents et a été arrêtée par la police sur une plage valencienne, à deux heures du matin94. On stigmatise les jeunes filles frivoles qui préfèrent s’amuser que travailler ; mais le bal et le cinéma constituent des lieux de promiscuité que les autorités semblent craindre plus que tout. La déléguée à la liberté surveillée a ainsi appris qu’Amalia s’habillait « de façon exagérée », allait au bal et ne rentrait pas passer la nuit chez elle. Elle suggère au tribunal d’interner à nouveau l’adolescente « pour éviter que [celle-ci] ne tombe dans l’abîme vers lequel la mène la vie qu’elle a choisie95 ». La promiscuité des corps, aggravée par la lascivité de la danse, fait craindre aux familles et aux autorités que le pire n’advienne : des relations sexuelles hors mariage ou la prostitution. L’Église catholique attend donc des jeunes filles « décentes » qu’elles quittent le bal avant que la nuit ne tombe, allant jusqu’à affirmer que les bals « modernes » sont des chevaux de Troie du communisme étranger et portent atteinte à l’identité nationale96. Dans ce contexte, la profession de danseuse est jugée très suspecte. Roque, 19 ans, est internée pour la deuxième fois à la Colonia San Vicente Ferrer en août 1952 pour « vie licencieuse » même si, selon elle, elle a conservé « toute l’honnêteté nécessaire » lorsqu’elle était meneuse de revue, en n’ayant aucune relation sexuelle97. Par ailleurs, le fait de côtoyer une prostituée étant considéré comme un premier pas vers le caniveau, Ana est réinternée en mai 1942 car la déléguée à la liberté surveillée affirme qu’elle a dormi chez sa sœur qui exerce la prostitution98. Enfin, l’internement en maison de redressement est une sanction utilisée contre des jeunes filles qui refusent de se plier aux normes sociales de genre. Dans quatre cas, la famille se plaint expressément du fait que les adolescentes ne veuillent pas accomplir les tâches ménagères. En août 1949, le père de Josefa déplore que sa fille, âgée de 16 ans, ne veuille pas s’occuper de la maison alors que sa mère souffre d’un ulcère à l’estomac. L’insoumission de sa fille entraîne un renversement des rôles intolérable : en rentrant du travail, c’est lui qui doit préparer son dîner et s’occuper de la maison99. On reproche également à María et à Josefa, respectivement internées en avril 1948 et en août 1949, de refuser de faire les tâches ménagères100.
Conclusion
25Les travaux portant sur la délinquance commune dans l’Espagne de l’après-guerre civile ont eu pour but d’évaluer la rigueur avec laquelle des tribunaux ordinaires punissaient le délinquant de bas étage et le voleur de pacotille, dans un contexte de misère généralisée et de contrôle social fort. L’étude des motifs d’envoi en maison de redressement confirme qu’à Barcelone et à Valence, misère et criminalité sont étroitement liées dans les années de l’après-guerre : le vol est le premier motif d’internement en institution corrective pendant toute la décennie 1940. Chez les mineurs comme chez les adultes, l’infra délinquance est une stratégie de survie : les enfants et les adolescents volent tout ce qui est à leur portée (métaux, matériaux de construction, textile…), ainsi que des produits de première nécessité destinés à être consommés ou revendus. Carme Agustí i Roca et Conxita Mir considèrent que les tribunaux ordinaires de la province de Lérida sont des compléments efficaces des juridictions militaires, dans la mesure où ils protègent le régime franquiste des éléments marginaux remettant en cause l’ordre économique et social. La propriété étant un pilier de la société du « Nouvel État », les vols de faible gravité sont pourchassés par la police et punis avec vigueur par les tribunaux pour mineurs, alors même que le dispositif normatif n’a pas été modifié en profondeur. Le vol devient à nouveau le premier motif d’envoi à l’Asilo Durán de 1966 à 1975 : la criminalité de la misère a reculé mais a été remplacée par une nouvelle forme de délinquance qui, cette fois, est un corollaire du « miracle économique espagnol ». Les « voyous » (golfos) vivant à la périphérie des grandes villes, issus pour la plupart de familles venues des régions pauvres du sud de l’Espagne, convoitent les nouveaux symboles de la société de consommation que sont l’argent, les motos et les voitures. Ils sont le produit des transformations profondes et rapides que connaît la société espagnole dans les années 1960 et 1970. Les choix politiques et économiques opérés par les « technocrates » à partir de 1959 ont donc paradoxalement donné naissance à une forme de délinquance inédite et à une autre expression de protestation juvénile, à côté de la contestation politique estudiantine. Les exclus de la croissance économique menacent non plus tant la propriété privée que les symboles d’une prospérité et d’un bien-être matériel auxquels accèdent désormais les classes moyennes, et sur lesquels se fonde la nouvelle légitimité du régime. C’est la raison pour laquelle ces jeunes loubards inquiètent une société désireuse d’oublier les « années de la faim » et de profiter d’un miracle économique tant attendu. Dans ce contexte, les maisons de redressement constituent un formidable outil de contrôle social, permettant d’encadrer et d’inculquer des normes de comportement à la jeunesse en marge en fonction des priorités du temps : lutte contre la délinquance de la misère, imposition de normes familiales et sociales, contrôle de la vie sentimentale et sexuelle des filles, marginalisation des comportements portant atteinte aux symboles du desarrollismo.
Notes de bas de page
1Bantigny L., « De l’usage du blouson noir. Invention médiatique et utilisation politique du phénomène “blousons noirs” (1959-1962) », Mohammed M. et Mucchielli L. (dir.), Les bandes de jeunes: des « blousons noirs » à nos jours, Paris, La Découverte, 2007, p. 20.
2Becker H. S., Outsiders, Paris, Métailié, 1985.
3Bantigny L., op. cit., p. 21.
4Lettre du président du TTM de Valence au vice-président du CSPM, 23-03-1942, ASCPM, carton no 908.
5Sevillano Calero F., « Política y criminalidad en el “nuevo Estado” franquista. La criminalización del “enemigo” en el derecho penal de posguerra », Historia y política: Ideas, procesos y movimientos sociales, 2016, no 35, p. 289-311.
6Pérez-Olivares A., « Criminología. Definir el delito, perseguir la desviación, mantener el orden. La criminología y el estudio del franquismo », Box Z. et Rina Simón C. (dir.), El franquismo en caleidoscopio: perspectivas y estudios transdisciplinares sobre la dictadura, Grenade, Editorial Comares, 2020, p. 11-30.
7Cabana Iglesia A., Entre a resistencia e a adaptación: a sociedade rural galega no franquismo (1936-1960), thèse soutenue à l’Universidade de Santiago de Compostela, 2006.
8Mir Curcó C., Vivir es sobrevivir: justicia, orden y marginación en la Cataluña rural de posguerra, Lleida, Milenio, 2000.
9Gómez Westermeyer J. F., Historia de la delincuencia en la sociedad española: Murcia, 1939-1949. Similitudes y diferencias en otros espacios europeos, thèse soutenue à l’Universidad de Murcia, 2006 ; Miralles Alted L., « Supervivencia y comunidad bajo el hambre. La delincuencia en los barrios populares durante el franquismo: el caso del Albaícin y el Sacromonte en Granada (1939-1963) », del Arco Blanco M. Á. (dir.), Los « años del hambre »: historia y memoria de la posguerra franquista, Madrid, Marcial Pons Historia, 2020, p. 221-248. ; Rodríguez Barreira Ó. J., Migas con miedo: prácticas de resistencia al primer franquismo, Almería, 1939-1953, Almería, Editorial Universidad de Almería, 2008 ; idem, « Lazarillos del Caudillo. El hurto como arma de los débiles frente a la autarquía franquista », Historia Social, 2012, no 72, p. 65-87.
10Agustí i Roca C. et Mir Curcó C., « Delincuencia patrimonial y justicia penal durante el Franquismo (1939-1951): una incursión en la marginación social de posguerra », Agustí i Roca C., Gelonch Solé J. et Mir Curcó C. (dir.), Pobreza, marginación, delincuencia y políticas sociales…, op. cit., p. 69-92 ; Agustí i Roca A., « La delincuencia de baja intensidad durante el primer franquismo: una aproximación desde el mundo rural », Ortiz Heras M. (dir.), Memoria e historia del franquismo: V Encuentro de investigadores del franquismo, Albacete, Universidad de Castilla-La Mancha, 2005.
11Trost J., Gateway To Justice: The Juvenile Court And Progressive Child Welfare in a Southern City, Athens, University of Georgia Press, 2005, p. 94-111.
12Del Arco Blanco M. Á. et Hernández Burgos C., Esta es la España de Franco, op. cit.
13INE, Estadística de los Tribunales tutelares de menores, Madrid, INE, 1957, p. 13.
14ATTMBcn, dossier no 815b/1942.
15Ibid., dossier no 7848-2/1941.
16Bantigny L. et Vimont J. C. (dir.), Sous l’œil de l’expert : Les dossiers judiciaires de personnalité, Paris, Publications de l’université de Rouen et du Havre, 2011.
17Béliard A. et Biland É., « Enquêter à partir de dossiers personnels. Une ethnographie des relations entre institutions et individus », Genèses, 2008, vol. 70, no 1, p. 106-119.
18Archives du tribunal pour mineurs de Barcelone (ci-après ATTMBcn), dossier no 7212b/1948.
19Gómez Westermeyer JF., op. cit., p. 51. Pour la France de Vichy, cf. Fishman S., The Battle for Children: World War II, Youth Crime, and Juvenile Justice in Twentieth-Century France, Cambridge, Harvard University Press, 2002.
20En-dehors des travaux de C. Agustí i Roca, J. F. Gómez Westermeyer, C. Mir Curcó et O. Rodríguez Barreira, cités dans ce chapitre, on pourra voir, à propos des provinces d’Albacete et de Saragosse : González Madrid D. A. et Ortiz Heras M., « La dictadura de la miseria: políticas sociales y actitudes de los españoles en el primer franquismo », Historia social, 2017, no 88, p. 25-46 ; Martínez Carretero I., Delitos, justicia ordinaria y control social en Zaragoza (1931-1945): de la II República a la Dictadura de Franco, thèse soutenue à l’Universidad de Zaragoza, 2015.
21Agustí i Roca C., « “Golfillos de la calle”… », op. cit.
22Mir Curcó C., « El sino de los vencidos: la represión franquista en la Cataluña rural de posguerra », Casanova J. (dir.) Morir, matar, sobrevivir: la violencia en la dictadura de Franco, Barcelone, Crítica, 2002, p. 129.
23Miralles Alted L. « Supervivencia y comunidad bajo el hambre… », op. cit., p. 225 ; J. F. Gómez Westermeyer, op. cit., p. 50.
24Le deuxième facteur explicatif serait le cinéma. Tribunal Tutelar de Menores (Barcelona), Memoria del cincuentenario, Barcelone, s. n., 1969, p. 46.
25Archives du tribunal pour mineurs de Valence, (ci-après ATTMVal), dossier no 795/1939.
26Ibid., dossier no 772/1942.
27Document datant du 15-01-1944, ibid., dossier no 169/1943.
28Ibid., dossier no 906/1945.
29ATTMVal, dossier no 199/1945.
30Ibid., dossier no 14/1947.
31Ibid., dossier no 919/1949.
32ATTMBcn, dossier no 5689b/1946.
33Ibid., dossier no 7063b/1948.
34AAD.
35ATTMVal, dossier no 147/1939.
36Sánchez Marroyo F., « La delincuencia social: un intento de caracterizar la actuación penal en la España rural durante la Posguerra », Norba. Revista de historia, 1996, no 16, p. 625-637.
37López Acón Ó., « Resistencias campesinas en tiempos de silencio: la conflictividad rural en Zaragoza durante el primer franquismo (1939-1956) », Historia Social, 2022, no 103, p. 137-152.
38Gil Andrés C., « “Tengo grabado todo aquello”. La memoria de los años cuarenta tiene nombre de mujer », del Arco Blanco M. Á. et Hernández Burgos C. (dir.), Esta es la España de Franco, op. cit., p. 33.
39Molinero Ruiz C. et Ysàs P., « El malestar popular por las condiciones de vida. ¿Un problema político para el régimen franquista? », Ayer, 2003, no 52, p. 280.
40Murillo Aced I., En defensa de mi hogar y mi pan, op. cit.
41Mir Curcó C., Vivir es sobrevivir…, op. cit., p. 129-130 ; Alía Miranda F., « Mujeres solas en la posguerra española (1939-1949): estrategias frente al hambre y la represión », Revista de historiografía (RevHisto), 2017, no 26, p. 213-236.
42Nash M., « Vencidas, represaliadas y resistentes: las mujeres bajo el orden patriarcal franquista », Casanova J. (dir.), Cuarenta años con Franco, Barcelone, Crítica, 2015, p. 198-202.
43Borrás Llop J. M., El trabajo infantil en España (1700-1950), op. cit.
44ATTMVal, dossier no 453/1949.
45ATTMBcn, dossier no 17572/1941.
46Mir Curcó C., Vivir es sobrevivir…, op. cit. Nous renvoyons ici aux études, mentionnées ailleurs dans l’ouvrage, d’Ana Cabana Iglesia, de Juan F. Gómez Westermeyer, d’Óscar J. Rodríguez Barreira et de Miguel Ángel del Arco Blanco.
47Richards M., Un tiempo de silencio: la guerra civil y la cultura de la represión en la España de Franco, 1936-1945, Barcelone, Crítica, 1999 ; Cabana Iglesia A., Entre a resistencia e a adaptación… op. cit.
48Miralles Alted L. « Supervivencia y comunidad bajo el hambre… », op. cit., p. 236-239.
49Jiménez Aguilar F., « A Spanish way of life. Consumo y publicidad en la España de los cincuenta », del Arco Blanco M. À. et Hernández Burgos C., Esta es la España de Franco, op. cit., p. 93-188.
50AAD.
51Ibid.
52Ibid.
53Copfermann Émile, La génération des blousons noirs. Problèmes de la jeunesse française, Paris, La Découverte, 1961, p. x-xi.
54AAD.
55Ibid.
56Entretien avec F. Castro Villena (07-11-2009).
57Le 7 octobre 1969, un article de La Vanguardia relate ainsi l’arrestation d’un groupe de jeunes voleurs de voitures. Trois d’entre eux – « el Gordo », « el Juanito » et « el Rubio » – sont encore mineurs et ont effectué plusieurs séjours à l’Asilo Durán. « Espectaculares persecuciones y detenciones de ladrones de coches », La Vanguardia, 07-10-1969, p. 30.
58González del Pozo J. (dir.), Mitos del cine quinqui: márgenes del cine y periferias de la sociedad, Lex Artis, 2016.
59Le même constat a été dressé pour l’Allemagne de Weimar : Crew D. F., Germans on welfare: from Weimar to Hitler, New York, Oxford University Press, 1998, p. 139.
60Anderson P., The Age of Mass Child Removal in Spain…, op. cit., p. 111.
61ATTMBcn, dossier no 17422/1941.
62ATTMVal, dossier no 998/1951.
63ATTMBcn, dossier no 8239b/1955.
64ATTMVal, dossier no 370/1949.
65Ibid., dossiers no 439/1942.
66AAD.
67Quincy-Lefebvre P., Une histoire de l’enfance difficile : familles, institutions et déviances, 1880-fin des années trente, Paris, Economica, 1997, p. 17-18.
68ATTMVal, dossier no 13/1953.
69AAD.
70Ibid.
71Rapport datant de l’année 1948, ATTMBcn, dossier no 2087b/1943.
72Huertas García-Alejo R., Los laboratorios de la norma: medicina y regulación social en el estado liberal, Barcelone, Ed. Octaedro, 2008, p. 86-88.
73ATTMBcn, dossier no 2314b/1943.
74Ibid., dossier no 17422/1941.
75Ibid., dossier no 17831/1941.
76Rapport du 14-12-1942, ibid., dossier no 1299b/1942.
77Rapport du 05-08-1952, ibid., dossier no 8661b/1949.
78Descripción, situación, organización, personal y resultados de la Escuela de Reforma de Burjassot. Sección Niñas, Burjassot, abril 1956. ACSPM, carton no 577.
79ATTMVal, dossier no 350/1943.
80Blanchard V., Vagabondes, voleuses, vicieuses: adolescentes sous contrôle, de la Libération à la libération sexuelle, Paris, EFB, 2019 ; Blanchard V. et Niget D., Mauvaises filles : incorrigibles et rebelles, Paris, Textuel, 2016 ; Meis Knupfer A., Reform and Resistance: Gender, Delinquency, and America’s First Juvenile Court, New York, Routledge, 2013 ; Myers T., Caught: Montreal’s Modern Girls and the Law, 1869-1945, Toronto, University of Toronto Press, 2006 ; Odem M. E., Delinquent Daughters: Protecting and Policing Adolescent Female Sexuality in the United States, 1885-1920, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1995 ; Thomazeau A., Rééduquer les mauvaises filles : définition et traitement de la déviance juvénile féminine dans la France des Trente Glorieuses, thèse soutenue à l’École normale supérieure de Lyon, 2010.
81Voir par exemple Trépanier J. et Quevillon J. L., « Garçons et filles : définition des problèmes posés par les mineurs traduits à la cour des jeunes délinquants de Montréal (1912-1950) », Bard C. (dir.), Femmes et justice pénale : xixe-xxe siècles, Rennes, PUR, 2015, p. 339-351.
82Tribunal Tutelar de Menores (Barcelona), op. cit., p. 50.
83INE, Estadística de los Tribunales tutelares de menores, Madrid, Presidencia del Gobierno, 1960, p. 49-50 et 96-97.
84Cf. Blanchard V., « Sexualité et déviance dans la France des trente glorieuses. Le regard genré du psychiatre de Chevilly-Larue », Les Cahiers Dynamiques, 2011, vol. 50, no 1, p. 122-130 ; idem, « “Sous toutes les coutures”. Déviance juvénile féminine et observations de spécialistes (tribunal pour enfants de la Seine, années 1950) », Bantigny L. et Vimont J. C. (dir.), op. cit., p. 71 ; Thomazeau A., « La rééducation des filles en internat (1945-1965) », Histoire de l’éducation, 2007, vol. 115-116, no 3-4, p. 225-246.
85Discours tenu lors de l’inauguration de la maison de famille, sans date. ATTMVal, carton no 577.
86Bantigny L., Le plus bel âge ? Jeunes et jeunesse en France de l’aube des « Trente Glorieuses » à la guerre d’Algérie, Paris, Fayard, 2007, p. 142.
87Document daté de l’année 1949, ATTMVal, dossier no 101/1949.
88Document daté du mois de septembre 1951, ibid., dossier no 802/1951.
89Comparution de la mère devant le TTM de Valence, 27-08-1947, ibid., dossier no 562/1946.
90Lesselier C., « Les femmes et la prison, 1820-1939 », Petit J. G. (dir.), La Prison, le bagne et l’histoire, Paris, Les Méridiens, 1984, p. 116.
91Lettre datée du 12-02-1942, ATTMVal, dossier no 106/1942.
92Ibid., dossier no 525/1944.
93Ibid., dossier no 502/1953.
94Ibid., dossier no 156/1945.
95Rapport du 23-09-1952, ibid., dossier no 270/1949.
96Altuna Etxeberria M., « Represión cultural, género y control social en el primer franquismo: los bailes juveniles », Esteban Galarza M. L. (dir.), Etnografías feministas: una mirada al siglo xxi desde la antropología vasca, Barcelone, Bellaterra, 2018, p. 41-60.
97ATTMVal, dossier no 96/1948.
98Ibid., dossier no 245/1941.
99Ibid., dossier no 485/1941.
100Ibid., dossiers no 279/1848 et 647/1949.
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