Chapitre I. Des maisons de redressement franquistes ? Le cadre législatif et le dispositif institutionnel
p. 17-46
Texte intégral
1L’Espagne a longtemps fait figure de précurseur dans le domaine de la prise en charge de l’enfance dangereuse et en danger. La première institution comparable aux tribunaux pour mineurs a en effet été créée en 1337 à Valence, par le roi Pierre IV le Cérémonieux. Doté d’une autorité et d’une juridiction propres, le Pare d’Orfens parcourait les rues pour recueillir les orphelins et les jeunes vagabonds pullulant dans les rues, et jugeait les enfants ayant commis des faits délictueux1. Dès la fin du xviie siècle, des hospices et des maisons de miséricorde remplissant peu ou prou les mêmes fonctions sont ouverts. Fondé en 1724, les Toribios de Séville accueillent par exemple des enfants turbulents, polissons, chapardeurs ou délinquants, abandonnés ou nés de parents inconnus, pour redresser leur caractère et leurs mœurs perverties2. Mais ces institutions pionnières sont oubliées pendant une période relativement longue et, jusqu’au milieu du xixe siècle, les jeunes délinquants sont considérés comme de « petits hommes », dont la culpabilité et la responsabilité ne sont pas différentes de celles des adultes, d’un point de vue pénal notamment. Les enfants abandonnés, vagabonds et orphelins sont quant à eux accueillis dans des maisons de bienfaisance et de miséricorde, dans des orphelinats ou des hospices. À mesure que la question de l’enfance délinquante et prédélinquante acquiert le statut de problème social, économique et politique requérant des solutions spécifiques, les réformateurs espagnols déplorent le fait que l’Espagne soit en retard par rapport aux autres « pays civilisés ». De fait, quelques institutions de correction et de réforme sont créées (« casas de corrección », « correccionales » ou « escuelas de reforma ») dans la deuxième moitié du xixe siècle, comme à Barcelone en 1856, où la « maison de correction » de la ville deviendra l’Asilo Durán. Mais il faut attendre 1883 pour que soit décidée la création de la première institution spécifiquement destinées à l’enfance délinquante, l’École de réforme et l’asile de correction paternelle de Santa Rita, qui n’ouvre ses portes qu’en 1890.
2Dans ce chapitre, nous allons brosser à grands traits la genèse et l’histoire du dispositif des maisons de redressement espagnoles du xixe siècle à la fin du franquisme en allant au-delà du récit hégémonique et hagiographique des origines délivré par les congrégations religieuses, dont l’historiographie est généralement très dépendante, en mobilisant des sources de première main (législation, articles de presse, archives du Conseil supérieur de protection des mineurs et de la Fondation Antonio Maura)3. Les vicissitudes de cette histoire témoignent des aléas de la mise en place, en Espagne, d’une politique spécifiquement destinée à l’enfance en danger et délinquante. Cette dernière est caractérisée par le désengagement de la puissance publique, qui préfère déléguer au secteur privé la création et le fonctionnement tant de Santa Rita que de l’Asilo Durán. L’Église catholique s’engouffre dans la brèche, qui trouve dans la rééducation des jeunes délinquants une manière d’étendre son influence. L’adoption de la loi de 1918, qui institue dans la péninsule des tribunaux pour enfants, constitue une étape fondamentale. Comme le souligne Peter Anderson, l’Espagne est alors synchrone d’un large mouvement international et transnational : la période franquiste doit en la matière être réinsérée dans une histoire longue et riche, dans laquelle sont impliqués des penseurs et des activistes s’inscrivant sur tout le spectre politique espagnol, avec une influence prépondérante des « catholiques sociaux4 ». Après 1918, on assiste à une augmentation lente du nombre de juridictions et de leurs « institutions auxiliaires », parmi lesquelles les maisons de redressement (reformatorios). Ces établissements sont généralement confiés au secteur privé catholique, ce qui ne manque pas de susciter des débats vifs pendant les années 1920 et 1930. Mais dans un contexte faisant de la prise en charge de la déviance juvénile un enjeu idéologique, l’analyse de la législation montrera que l’alternance politique (Dictature de Primo de Rivera, Seconde République) n’entraîne pas un changement aussi radical que l’on aurait pu le penser. Deux modèles s’opposent ensuite clairement durant la guerre civile, qui font rejouer les clivages des années 1920 et 1930 ; l’un d’eux l’emporte le 1er avril 1939, lorsque Franco proclame la victoire sur « l’armée rouge ». Nous proposons de voir si, dans le domaine de la prise en charge de la déviance juvénile, de nouveaux outils répressifs sont mis en place et si on instaure des maisons de redressement qui peuvent être qualifiées de franquistes, dans le sens où elles seraient imprégnées de l’idéologie du « Nouvel État ». L’objectif fondamental sera de distinguer le neuf de l’ancien en mesurant ce que la dictature apporte réellement de nouveau au dispositif existant, avant d’examiner la façon dont le dispositif institutionnel évolue au long des trente-six années que dure la dictature.
La genèse et l’histoire des maisons de redressement espagnoles, du xixe siècle à la guerre civile
Retard espagnol, carences de l’État (xixe siècle – 1918)
3Nombreux sont les ouvrages qui, à la fin du xixe siècle, soulignent la gravité de la situation dans laquelle se trouve l’Espagne et appellent de toute urgence à une réforme pénitentiaire. Philanthropes et pénalistes sont frappés par l’augmentation de la délinquance juvénile, symbolisée par des bandes de jeunes en haillons qui pullulent dans les rues de Madrid ou de Barcelone, « puissante armée de misérables5 ». Le « golfo », le voyou, devient un type social, qui suscite tout à la fois compassion et crainte6. Selon les dispositions du Code pénal, sont déclarés irresponsables les mineurs de 9 ans et les mineurs âgés de 9 à 15 ans qui ont œuvré sans discernement. Mais dans les faits, les mineurs délinquants ne sont pas complètement séparés des majeurs et les prisons deviennent des « écoles du crime7 ». La punition ne peut ainsi continuer à l’emporter sur la correction : les mineurs doivent être isolés de leur milieu familial pour être rééduqués dans des institutions adaptées, les « correctionnels », tenus par certains comme « le principe fondamental de la régénération sociale8 ». Grâce à la religion et au travail, le reformatorio serait ainsi ce que l’hôpital est au malade ; le délinquant n’est-il pas, après tout, un « malade social9 » ?
4Tous les auteurs se rejoignent pour souligner le retard pris par rapport aux autres pays européens, où les premiers établissements spécifiquement destinés aux mineurs délinquants ont vu le jour dans les années 1820-1840 et se sont multipliés après 1848. En Espagne, il faut attendre 1856 pour que soit fondée, à Barcelone, la première maison de correction, qui accueille indifféremment enfants et adultes, orphelins, vagabonds et délinquants. En 1861, le gouverneur civil de Madrid, le marquis de la Vega de Armijo, tente de reproduire l’expérience catalane en créant une « Maison d’éducation correctionnelle10 » ; c’est un échec. En 1875, à Madrid toujours et alors qu’ailleurs en Europe, on assiste à une remise en cause des établissements correctionnels, des démarches sont entreprises par Francisco Lastres, un juriste et pénaliste reconnu, pour créer un lieu qui accueille les jeunes rebelles à l’autorité parentale11. Le 4 janvier 1883 est promulguée la loi qui prévoit la construction d’un établissement de redressement privé, régi par une assemblée de patronage (Junta de patronos) mais inspecté et surveillé par le gouvernement12 : ce sera l’École de réforme et l’asile de correction paternelle de Santa Rita, sise à Carabanchel Bajo, dans les environs de la capitale. Cet appel au privé est vu d’un bon œil par la quasi-totalité des acteurs engagés dans le champ de la réforme pénitentiaire, fascinés par les réalisations étrangères telles que la Rauhe Haus, l’Asile de Don Bosco ou la colonie de Mettray13. Tous pensent que l’État doit laisser particuliers et corporations agir dans la mesure où s’il prenait en charge Santa Rita, l’institution fonctionnerait mal et pour un coût trop élevé14. Ils se placent ainsi sous le patronage de Concepción Arenal (1820-1893) qui, déjà, affirmait que l’éducation des enfants abandonnés ne devait pas être assurée par l’État mais par des associations de particuliers15. Contre l’avis de Pi y Margall et de Estanislao Figueroa, qui prônent le recrutement de laïcs pour faire fonctionner l’institution, l’assemblée de patronage de Santa Rita décide de se tourner vers des religieux car ils seront inspirés par un idéal supérieur et animés par la charité, l’amour du prochain et les saints préceptes du catholicisme16. Mais ce n’est qu’en 1890 que la question du personnel est résolue, quand les Tertiaires capucins acceptent de prendre la direction de l’établissement. L’institution ouvre enfin ses portes trois ans plus tard pour « recueillir et éduquer les jeunes vicieux et vagabonds ainsi que les fils de famille qui méritent une correction17 ». C’est le premier établissement de ce type en Espagne alors qu’à la même date, la France compte 22 institutions privées18. Il est confié aux Tertiaires capucins de Notre Dame des douleurs (Terciarios Capuchinos de Nuestra Señora de los Dolores), un ordre religieux que Luis Amigó y Ferrer vient de fonder à Valence, en 1889, en le destinant spécifiquement à l’éducation correctionnelle, à la moralisation et l’enseignement des sciences et des arts dans les établissements de redressement, publics ou privés19. Le 4 janvier 1895, l’installation des Tertiaires capucins en Espagne est approuvée par Real Orden20. C’est là le début d’une aventure qui va durer plus de 130 ans et voir la congrégation prendre, dans le sillage de Santa Rita, la tête de la quasi-totalité des maisons de redressement espagnoles. L’Église catholique espagnole, ultraconservatrice d’un point de vue politique et doctrinal, a survécu aux réformes libérales du xixe siècle, qui l’avaient déstabilisée. Elle fait alliance avec le régime de la Restauration (1875-1931), qui lui assure protection institutionnelle et soutien financier. L’État, inefficace et manquant de ressources, trouve là du personnel pour faire fonctionner les institutions éducatives, pénales et de bienfaisance, et un moyen de renforcer sa vision de l’ordre social21.
5À Barcelone, l’École de réforme (Escuela de reforma), l’ancienne « maison de correction » fondée en 1856, est confiée à un autre ordre religieux, Saint-Pierre-ès-Liens (San Pedro Ad Víncula en espagnol). La mairie de la cité comtale a elle aussi choisi de faire appel à l’initiative privée, comme l’y autorise la loi du 4 janvier 1883. Elle s’est adressée à un ordre fondé à Marseille par l’abbé Fissiaux, qui souhaite reprendre en Espagne « la mission qui lui a été interdite en France, le redressement moral des jeunes détenus », suite à l’attitude plus laïque et offensive de la République opportuniste22. Cette décision suscite des critiques acerbes, le journal catalan La Vanguardia s’élevant par exemple contre le fait que l’on opte pour une solution étrangère et non laïque alors que l’Espagne fourmille de personnes capables d’administrer l’établissement23. Le bâtiment qui abrite l’École de redressement s’avère exigu et les religieux marseillais, souhaitant être plus indépendants vis-à-vis de l’administration municipale, font l’acquisition d’un terrain situé sur la commune limitrophe de Gracia ; la générosité d’un riche Barcelonais fait le reste. Toribio Durán y Garrigolas fait en effet don de 500 000 pesetas afin que soit construite une institution qui recueille et éduque les enfants livrés à eux-mêmes et vagabonds. Baptisé « Asilo Durán » en l’honneur de l’auguste bienfaiteur, l’établissement est inauguré le 11 décembre 1890 en présence du supérieur de la congrégation Saint-Pierre-ès-Liens, Augustin Peyrard, venu tout exprès de Marseille24. Situé au 42 de la rue de la Granada, l’établissement peut accueillir jusqu’à 300 enfants. Les pensionnaires de l’Asilo Durán sont d’une part des vagabonds qui ont été arrêtés dans la rue par la police ou qui sortent de prison, d’autre part des enfants difficiles envoyés par leur famille au titre de la « correction paternelle ». Les religieux appliquent, en Catalogne comme en Provence, les préceptes éducatifs du fondateur de l’ordre fondés sur l’importance de la religion et du travail. Transformé pendant la guerre civile en hôpital militaire, l’Asilo Durán subit d’importants dégâts. Souhaitant un bâtiment plus spacieux, la congrégation décide d’acquérir un vaste terrain sur les pentes du Tibidabo, dans le quartier résidentiel de la Bonanova. Les bâtiments, grands et nobles, sis au milieu d’un vaste jardin planté de palmiers, suscitent l’admiration des visiteurs qui les comparent à « un petit Versailles25 ». Les témoins gardent un souvenir vif de ce bâtiment intimidant auquel on parvenait en franchissant un porche monumental et en gravissant un grand escalier. « L’accueil était tout en bas […]. J’avais été terrorisé par le portail et par l’impression de retomber en taule », raconte Michel del Castillo26.
Le tournant de la création des tribunaux pour enfants (1918-guerre civile)
La création des tribunaux pour enfants (1918) et la lente dispersion de leurs institutions auxiliaires sur le territoire espagnol
6Au début du xxe siècle, les critiques visant le système pénal et pénitentiaire espagnol se font de plus en plus nombreuses. Manuel Cossío y Gómez-Acebo, docteur en droit et avocat, secrétaire du patronage de Santa Rita, s’insurge par exemple contre le fait que les prisons soient, pour les mineurs, de véritables « écoles du crime27 ». Le retard accumulé par l’Espagne revient comme un leitmotiv dans les ouvrages des réformateurs sociaux, qui citent les exemples emblématiques de Red Hill en Angleterre, d’Alkmaar en Hollande, de Ruiselede en Belgique et de Mettray en France28. Ce n’est qu’en 1901 que l’État fonde la première institution de redressement publique du pays, à Alcalá de Henares29. L’État français a créé quatre établissements de ce type soixante ans plus tôt, dans les années 1840. Les revendications s’inscrivent dans un mouvement international en faveur de la protection de l’enfance, né dans un contexte relativement euphorique de prospérité économique30. Les termes « d’enfant délinquant » et « d’enfant criminel » sont alors progressivement remplacés par ceux « d’enfant à problèmes », de « conduite anormale » ou de « conduite irrégulière ». Les enfants délinquants ne font plus partie d’un groupe social et moral particulier, celui des criminels : ils sont des enfants comme les autres, qui ont besoin « d’éducation et de protection31 ». Ces idées correctionnalistes ont une influence essentielle sur les principes qui inspirent les tribunaux pour enfants, la création d’une justice parallèle constituant l’aboutissement du processus de différenciation du délinquant mineur par rapport au délinquant adulte. En 1909, le Conseil supérieur de protection de l’enfance propose que des tribunaux pour enfants soient mis en place en Espagne sans modifier la législation existante. Trois ministres de la Justice successifs proposent des projets différents (en 1912, 1915 et 1917), dont aucun n’aboutit à cause des changements incessants de majorité gouvernementale. En mai 1918, Avelino Montero Ríos, membre du Tribunal suprême et sous-secrétaire du ministère de la Justice, présente au Sénat un projet visant à l’instauration de tribunaux pour enfants : celui-ci est adopté par les Cortes et validé par le roi Alphonse XIII le 25 novembre 191832. En mettant en place une justice spécifiquement destinée aux mineurs, l’Espagne s’inscrit dans un large mouvement international dans lequel l’initiative privée a joué un rôle moteur : la Norvège a créé des tribunaux pour enfants en 1896, les Pays-Bas en 1901, l’Allemagne et la Grande-Bretagne en 1908, le Portugal en 1911, la France, la Belgique et la Suisse en 1912, la Hongrie en 1913, la Pologne en 1918, les Pays-Bas et le Japon en 1922, l’Allemagne en 1923, la Grèce en 1927 et l’Autriche en 1929.
7C’est la loi belge de 1912 qui influence le plus nettement la loi Montero Ríos : en Espagne comme en Belgique, on institue une juridiction spécialisée et un juge unique33. Les Tribunales para niños sont en effet spécifiquement dédiés aux individus âgés de moins de 15 ans et présidés par un seul juge de première instance, que l’on estime moins solennel et intimidant qu’un banc de plusieurs magistrats. Paternel, bienveillant et protecteur, le président du tribunal est choisi en raison de ses qualités humaines et de son aptitude à comprendre les mineurs. Il doit statuer sur leur sort en s’intéressant plus à eux qu’aux faits ou au délit commis, et en tenant compte des « conditions sociologiques et morales » dans lesquelles ils se trouvaient lorsqu’ils ont agi (article 24 du règlement de 192234). Cette législation a pour objectif la tutelle et la rééducation, plus que la sanction : l’enfant étant considéré comme un être à part entière, doté de caractéristiques propres, et non comme un petit homme, il ne peut être soumis à la loi pénale commune. S’il s’avère qu’il a effectivement commis les actes qu’on lui reproche, le juge ne le condamne pas à une peine mais prononce des mesures à caractère éducatif, visant à corriger moralement. Il peut compter sur le soutien d’un « délégué à la protection de l’enfance », directement inspiré du Probation Officer américain et repris de la loi belge de 1922, qui est chargé de surveiller constamment le mineur et la famille dans laquelle il aura par exemple été placé (article 6 de la loi). Il peut s’agir de professionnels ou de volontaires, comme aux États-Unis. Quelle que soit leur nature, les mesures éducatives s’appliquent pendant une durée indéterminée, jusqu’à ce que le sujet soit effectivement rééduqué mais sans aller au-delà de l’âge de la majorité civile (article 57 du règlement de 1922). En définitive, l’approche protectrice qui préside à la création des tribunaux pour enfants dans les pays occidentaux a pour conséquence la mise en place d’instances qui ne sont pas soumises aux règles de procédure en vigueur dans les autres juridictions35. Par exemple, les sessions ne sont pas publiques et ont lieu dans une salle à part ou à des horaires différents, afin d’assurer l’isolement complet des mineurs par rapport aux délinquants adultes (article 63 de la loi et article 84 du règlement). Le mineur comparaît également seul devant le tribunal et ne peut être assisté d’un avocat (article 43 de la loi).
8La loi du 25 novembre 1918 prescrit qu’un tribunal pour enfants ne peut être mis en place dans une province (l’équivalent du département français) que si cette dernière dispose d’un établissement spécialisé dans l’éducation des enfants abandonnés et délinquants. Avelino Montero Ríos pensait en effet qu’il était absolument nécessaire de disposer d’un réseau d’institutions auxiliaires permettant aux tribunaux de remplir leurs fonctions d’observation, de garde et d’éducation. C’est ainsi dans les provinces dans lesquelles les comités provinciaux et municipaux de protection de l’enfance sont les plus actifs que les premières juridictions sont créées, le public visé par les deux types d’institutions se recoupant partiellement (enfants vagabonds, nécessiteux, chapardeurs…). C’est par exemple le cas à Bilbao en 1920, où Gabriel María de Ybarra y de la Revilla (1877-1951) a été particulièrement entreprenant. En 1916, il avait fondé l’Association de tutelle de l’enfant (Asociación tutelar del niño), par l’entremise de laquelle avaient été créées plusieurs institutions phares dans le domaine éducatif comme la Casa del Savador d’Amurrio. Diplômé en droit de l’université de Deusto, Ybarra gère les affaires minières et métallurgiques de la dynastie familiale, participe à la fondation du Banco de Vizcaya et de l’Hidroélectrica Ibérica36. Secrétaire de la Chambre de commerce de Bilbao et député aux Cortes, il se trouve aussi au centre des actions conduisant à la création des tribunaux pour enfants, qu’il imprègne de sa religiosité et de sa morale catholique37. Il est en effet très proche de la congrégation des Tertiaires capucins. À Valence, le comité provincial de protection de l’enfance crée, en mai 1919, un patronage chargé de fonder un établissement de redressement. Le règlement et les statuts de l’École de réforme San Vicente Ferrer sont acceptés par le Conseil supérieur de protection de l’enfance le 30 juin 1919, par le ministre de l’Intérieur le 28 janvier 1922 et par celui de la Justice le 7 juillet de la même année38. C’est l’activisme de Ramón Gómez Ferrer, un pédiatre investi dans les activités du comité de protection de l’enfance, qui permet l’ouverture du tribunal en 1923 ; c’est d’ailleurs lui qui préside la toute nouvelle juridiction. La loi de 1918 privilégie un système mixte, alliant public et privé car pour ses promoteurs, il est clair que l’État ne peut assumer seul les frais induits par la création des tribunaux. Mais la somme d’argent allouée par l’État aux tribunaux est limitée et vise avant tout à payer la pension des mineurs internés en maison de redressement. Dans ce contexte, l’extension des tribunaux pour enfants sur le territoire national est lente : jusqu’à la proclamation de la Seconde République, en avril 1931, entre un et quatre tribunaux ouvrent en moyenne chaque année, pour atteindre un nombre total de 22. Il faudra ensuite attendre jusqu’en 1952 pour que toutes les provinces disposent effectivement d’un tribunal pour mineurs.
L’évolution de la législation sous la Dictature de Primo de Rivera (1923-1931) et la Seconde République (1931-1936)
9De 1918 à la guerre civile, plusieurs textes législatifs sont adoptés qui touchent au fonctionnement des institutions de redressement et des tribunaux pour mineurs. Mais alors que cette période est riche en bouleversements politiques (Dictature de Primo de Rivera, Seconde République, coup d’État du 18 juillet 1936), l’appareil réglementaire évolue peu : les régimes qui se succèdent impriment inégalement leur marque à la législation, mais sans la bouleverser.
10La période de la dictature de Primo de Rivera se caractérise par une intense activité législative, expression de la révolution « par le haut » conduisant l’État à se renforcer. Pas moins de trois textes sont adoptés en quatre ans : le décret du 15 juillet 1925, l’ordonnance du 14 mai 1926 et le décret du 3 février 1929. Si ceux-ci ne bouleversent pas l’édifice des tribunaux pour mineurs instauré en 1918, ils en renforcent le caractère répressif, réaffirment l’engagement financier limité de l’État et posent la question de la formation du personnel. Le décret du 03-02-1929 étend par exemple la compétence des tribunaux de tutelle pour mineurs (Tribunales tutelares de menores), qui sont désormais dotés d’une « compétence de redressement » (facultad reformadora), d’une « compétence de mise en accusation d’individus majeurs » (enjuiciamiento de mayores) et d’une « compétence de protection » (facultad de protección)39. Les juridictions ne traitent plus seulement des faits catalogués comme des délits ou des fautes par le Code pénal et les lois spéciales : les mineurs âgés de moins de 16 ans se livrant à la prostitution, à la vie licencieuse ou au vagabondage sont désormais concernés (article 9, paragraphe 1C). L’intervention du tribunal vise donc aussi à réprimer des comportements jugés incorrects et dangereux, qui sont désignés par des catégories aux contours indéterminés (« vie licencieuse », « vagabondage »). Les types d’établissements chargés d’observer et de traiter les enfants et les adolescents sont théoriquement plus diversifiés qu’auparavant (article 17) : maisons d’observation (casas de observación), de redressement (reformatorios), établissements pour mineurs difficiles (establecimientos para corrigendos difíciles) ou pour mineurs anormaux (para menores anormales). Le personnel qui exerce dans ces institutions doit normalement avoir reçu une préparation scientifique dispensée dans un Centre d’instruction théorique et pratique approuvé par le Conseil supérieur de protection de l’enfance, ou tout du moins prouver qu’il a déjà exercé dans un établissement éducatif et a reçu « un minimum de connaissances spécifiques » (article 3a de l’ordonnance du 14-05-1926). Mais on s’en remet là encore à l’initiative privée, chargée de « susciter » et d’« encourager » les initiatives destinées à former le personnel. Dans ces conditions, il faut attendre plus de deux ans pour que soit mis en place un cours destiné à préparer le personnel des établissements auxiliaires du tribunal de Madrid40.
11Le monopole catholique acquis sur les établissements de redressement, avec la bénédiction des pouvoirs publics, suscite une opposition grandissante. D’anciens pensionnaires de Santa Rita prennent publiquement position pour, disent-ils, corriger un certain nombre d’énormités propagées par les Tertiaires capucins. Derrière l’histoire d’amour mélodramatique que vivent une orpheline et un fils de bonne famille injustement interné à Santa Rita, le roman de Miguel Mora Los impunes (1926) critique de façon systématique les méthodes violentes des Tertiaires capucins41. Un autre ancien pensionnaire, Abraham Polanco, dénonce vigoureusement « le fanatisme des Tertiaires capucins et leurs méthodes antiscientifiques ». Il affirme que l’adage « maisons de correction, maisons de corruption » ne s’est jamais autant vérifié qu’à Santa Rita, « vivier de dégénérés » où l’homosexualité de certains frères corrompt les pensionnaires42. Les critiques émanent parfois du personnel des juridictions lui-même. Primitivo Requena, qui a travaillé au tribunal pour mineurs de Madrid de 1925 à 1928, affirme que les juridictions espagnoles sont peuplées « d’hommes d’extrême-droite, fanatiques et intransigeants en matière de religion » et que les Tertiaires capucins ne disposent d’aucune connaissance en psychologie, en pédagogie et en droit43. De fait, les archives montrent que lorsque les religieux ont accepté la direction de Santa Rita en 1890, ils étaient conscients de ne pas être suffisamment préparés et formés44. Il est probable qu’une congrégation aussi récente, peu connue et qui a besoin de s’affirmer, ne soit pas très regardante quant au niveau et la qualité des personnes qu’elle accueille. Le recrutement de la congrégation valencienne est plutôt local et constitue un moyen pour des familles modestes et peu éduquées d’échapper aux travaux des champs. Par conséquent, une série de voyages d’études à l’étranger est organisée pour former des « éducateurs spécialisés », capables de « servir Dieu grâce à la technique » : à plusieurs reprises entre 1904 et 1936, plusieurs Tertiaires capucins vont observer le fonctionnement d’institutions rééducatives en France, en Angleterre, en Hollande, en Allemagne et surtout en Belgique45.
12La Seconde République est proclamée deux jours après les élections municipales, le 14 avril 1931 ; le lendemain, un décret abroge le Code pénal de 1928 et ordonne la révision de toute l’œuvre législative du dictateur Primo de Rivera. Dès le 16 juin, une partie de la législation régissant le fonctionnement des tribunaux pour mineurs et des institutions auxiliaires est déclarée nulle et non avenue46. Pourtant, ces modifications n’introduisent pas d’innovation fondamentale : elles sont marginales et n’affectent pas la nature même des tribunaux pour mineurs. En revanche, la République souhaite agir dans un domaine dans lequel se sont cristallisés les débats dans les années 1920 : la question du personnel. On supprime par exemple la disposition indiquant que pour exercer dans une maison de redressement, le personnel auxiliaire devait simplement avoir fait montre « de sa vocation et de son zèle ». Les détracteurs de Santa Rita et du système rééducatif mis en place par les Tertiaires capucins demandent l’épuration des établissements pour jeunes délinquants et le remplacement des religieux par des pédagogues, des médecins, des psychiatres et des éducateurs capables d’agir selon des critères scientifiques. Le Conseil supérieur de protection des mineurs devient le théâtre d’une lutte âpre entre deux tendances irréconciliables : l’idéologie traditionaliste et catholique de Gabriel María de Ybarra s’oppose aux conceptions pédagogiques progressistes de personnes qui sont souvent membres du Parti socialiste (PSOE), de l’Union générale des travailleurs (UGT) ou de l’Institution libre d’enseignement (Institución libre de enseñanza), une organisation créée en 1876 et attachée aux principes de liberté, de laïcité et d’indépendance de la science. Luis de Zulueta affirme ainsi que « désormais, avec le nouveau régime républicain, les problèmes de délinquance juvénile et de régénération de ces adolescents doivent être traités de manière plus scientifique et plus humaine47 ». Matilde Huici de San Martín, une avocate docteure en pédagogie et féministe, compagne de route méconnue de Victoria Kent et de Clara Campoamor, milite pour que le personnel religieux des maisons de redressement soit remplacé par des instituteurs. Son mari, Luis San Martín, est socialiste et prend la tête du tribunal pour mineurs de Madrid en 193348. Cette lutte au sommet n’est qu’un appendice de la guerre scolaire et de l’affrontement ouvert qui oppose la toute jeune République à l’Église. La loi sur les congrégations religieuses du 2 juin 1933, qui interdit aux religieux comme les Tertiaires capucins d’enseigner, entraîne des perturbations dans le fonctionnement des maisons de redressement. Mais la chronologie politique et, surtout, l’absence de moyens (aucun tribunal pour mineurs n’est par exemple créé sous la Seconde République), empêchent de bâtir une politique progressiste et ambitieuse. La guerre civile qui éclate le 18 juillet 1936 met en effet un coup d’arrêt à la quasi-totalité des réformes prévues par la République et déjà ralenties par le retour de la droite au pouvoir (1933-1935). On ne manque malgré tout pas de régler le cas de Santa Rita, symbole du monopole du secteur privé sur la prise en charge de la déviance juvénile : dès le 11 août, l’institution devient une « École-foyer de protection et de réforme » dépendant du ministère de la Justice, par l’intermédiaire du Conseil supérieur de protection des mineurs, et non plus d’un patronage49. Le patronage et la congrégation des Tertiaires capucins ont une semaine pour remettre leurs biens meubles et immeubles ainsi que les archives de l’établissement au ministère de la Justice, chargé de réorganiser l’institution. L’établissement est ensuite transformé en prison et devient « la tcheka de Santa Rita50 ». Le bâtiment sera reconstruit dans les années 1950 et rouvrira ses portes en 1966 en tant qu’établissement scolaire classique, mais toujours tenu par les Tertiaires capucins ; c’est encore le cas aujourd’hui51.
Deux camps, deux modèles pour l’enfance marginale (1936-1939)
13La guerre civile provoque, dans le domaine de la prise en charge de la déviance juvénile comme dans beaucoup d’autres, une rupture brutale et une polarisation des positions, conférant une dimension beaucoup plus politique et radicale à la façon dont on s’occupe des mineurs52. Durant tout le conflit, deux dispositifs parallèles et rivaux coexistent, dans chacun des deux camps.
14Du côté républicain, les autorités doivent faire face à l’afflux d’enfants arrivant des territoires conquis par les troupes franquistes, qui sont recueillis dans des colonies basées à Valence, à Alicante, à Barcelone, avant parfois d’être évacués à l’étranger53. Les institutions tentent vaille que vaille de continuer à fonctionner. Le 17 août 1936, le personnel du tribunal pour mineurs de Valence est destitué mais l’institution continue à travailler. Les religieuses de la section pour filles de la Colonia San Vicente Ferrer sont chassées et remplacées par des laïcs. La section pour garçons, elle, ne ferme pas ses portes mais le terrain est occupé par le ministère de la Marine et de l’Air54. Au Pays basque, la maison de redressement d’Amurrio est saccagée et utilisée comme caserne ; les religieux sont accueillis par le marquis d’Urquijo55. À Barcelone, selon les archives de la congrégation San Pedro Ad Víncula, « les hordes marxistes » assassinent neuf religieux56. En novembre 1936, le Conseil supérieur de protection des mineurs doit quitter Madrid, menacé par les insurgés ; il s’installe à Valence, puis à Barcelone au printemps 193857. En janvier 1937, il devient le Conseil national de tutelle des mineurs (Consejo nacional de tutela de menores)58. Pour les organisations prolétaires, l’heure de la révolution a sonné : « le mouvement ascendant de la classe des travailleurs, qui culmine dans le processus révolutionnaire actuel, a mis en évidence la nécessité de créer des organes et des institutions adaptés pour corriger efficacement les inégalités sociales59 » ; les tribunaux pour mineurs font par exemple l’objet d’une épuration. Mais un décret adopté à Valence le 6 août 1937, dont tout laisse à penser qu’il n’a pas été appliqué, permet de nuancer l’ambition réformatrice du camp républicain60. Selon ce texte, le Conseil national de tutelle des mineurs inspecte les tribunaux pour mineurs et, « surtout », leurs institutions auxiliaires. Il organise des assemblées et des congrès internationaux, commente les lois et les règlements adoptés dans d’autres pays pour proposer ensuite des réformes au gouvernement : inédite, cette attention portée à ce qui est fait au niveau international révèle tout autant la volonté d’améliorer le niveau scientifique de la prise en charge de la déviance juvénile que le retard considérable accumulé par l’Espagne par rapport aux autres pays européens. Par ailleurs, pour briser l’emprise du secteur privé catholique, les maisons de redressement doivent être supprimées pour être remplacées par des institutions auxiliaires dépendant directement du Conseil national de tutelle des mineurs, qui forme par ailleurs le personnel. Néanmoins, les modifications apportées ne portent pas sur la nature même des juridictions pour mineurs, qui continuent peu ou prou à fonctionner de la même manière, et les modalités de la formation du personnel restent vagues, alors que Matilde Huici et ses pairs se focalisaient sur cette question. Cela tient autant au coût considérable que suppose l’ambition d’étatisation et de laïcisation de la prise en charge de l’enfance marginale qu’à l’urgence militaire du moment, qui reporte sine die la réalisation de ce projet. Le décret du 6 août 1937 traduit donc une utopie mesurée : pour les enfants marginaux, la révolution n’est pas en marche.
15Aux dires de Tomás Roca Chust, Gabriel María de Ybarra y de la Revilla se trouve à la station thermale auvergnate du Mont-Dore lorsqu’éclate le putsch du 18 juillet 1936. Quelques jours plus tard, il passe la frontière espagnole et rallie le camp des « nationaux61 ». Le Barcelonais Ramón Albó y Martí et « de nombreux autres présidents de tribunaux » rejoindraient alors, comme lui, le camp franquiste62. Le 15 mai 1937, à Burgos, une Délégation extraordinaire assume les fonctions du Conseil supérieur de protection des mineurs (CSPM), en attendant que ce dernier soit rétabli. Elle doit contribuer à « résoudre les problèmes que le marxisme destructeur a créés dans le domaine de la correction et de la protection des mineurs », et s’inscrit dans le projet phalangiste de construction d’une société hiérarchisée, « correctement vertébrée et organisée63 ». En juillet 1938, dans le camp des insurgés, la Délégation extraordinaire est dissoute et le CSPM est rétabli64. Mariano Puigdollers Oliver en est le vice-président et Gregorio Santiago Castiella, le secrétaire : deux des hommes-clés du dispositif franquiste de prise en charge de la déviance juvénile sont en place65. Le 6 août « de l’année triomphale » (l’année 1939, dans la terminologie franquiste), quand le CSPM tient sa première réunion, Mariano Puigdollers Oliver remercie l’ancien ministre de la Justice, Rafael Aizpún, d’avoir « défendu l’Institution dans des moments de très grande difficulté, en y faisant entrer des éléments catholiques et patriotes66 ». Pendant la guerre civile, le camp « national » n’apporte pas de modification fondamentale au système existant. Il se contente de commencer à restaurer l’ancien, signe que le dispositif franquiste de prise en charge de la déviance juvénile sera placé sous le signe de la tradition et de la longue durée de « l’État espagnol », ou ne sera pas.
Panorama du dispositif normatif et institutionnel sous le franquisme (1939-1975)
Quand la dictature franquiste légifère : tout changer pour que rien ne change
Détruire, pièce par pièce, l’héritage républicain
16En février 1939, Franco entre à Barcelone, où s’était réfugié le gouvernement républicain ; Madrid se rend le 28 mars. Le 1er avril, Franco signe son dernier rapport militaire : « L’Armée rouge vaincue et désarmée… ». La guerre est terminée. Plus qu’un projet politique commun, le ciment qui unit les différentes factions du camp des insurgés est un antirépublicanisme viscéral et un rejet de toutes les valeurs du régime républicain. Dans le domaine de la prise en charge de la déviance juvénile, Gabriel María de Ybarra y de la Revilla est l’homme fort de l’après-guerre. Le ministre de la Justice, le comte de Rodezno, aurait dit en 1938 : « Dans ce domaine, je me contenterai de faire ce qu’Ybarra me conseillera67 ». Le travail réalisé dans les instances dirigeantes de la Protection des mineurs est reconnu en août 1942, lorsqu’on lui attribue le « prix Avelino Montero Villegas » ; le supérieur général de la congrégation des Tertiaires capucins est lui aussi décoré68. Ces deux récompenses montrent l’étroitesse des liens unissant Ybarra, l’ordre religieux d’origine valencienne et les instances de prise en charge de la déviance juvénile de la « Nouvelle Espagne ». Triomphe ainsi la ligne traditionaliste et catholique à laquelle s’était farouchement opposée Matilde Huici : le secrétaire général du CSPM affirme au supérieur des Tertiaires capucins qu’il priera pour que Dieu leur accorde une grâce particulière, pour le bien des enfants abandonnés et de ceux qui ont besoin d’être redressés69. La parenthèse républicaine doit être refermée, son œuvre détricotée et son héritage liquidé afin de poser les bases d’un système qui, à défaut d’être novateur, plonge ses racines dans le seul passé récent de l’Espagne qui puisse servir de référent au régime franquiste, la Dictature de Primo de Rivera. Pour « rectifier les erreurs introduites par la révision de 1931 », qui avait abrogé certaines dispositions du décret de 1929, une série de réformes est ainsi adoptée durant les années 1940. Elles sont reprises et synthétisées dans deux textes fondamentaux visant à harmoniser la législation existante avec le Code pénal de 1944 : le décret du 11 juin 1948 et celui du 2 juillet 194870. Est ainsi mis en place un dispositif normatif qui ne va quasiment pas évoluer pendant toute la durée de la dictature, et même au-delà71.
17Dépendant du ministère de la Justice, l’Œuvre de protection des mineurs (Obra de protección de menores) est une institution dont le champ d’action recouvre autant la protection des enfants en danger que la correction des enfants dangereux. Ses ressources proviennent de l’État et des « corporations », c’est-à-dire du secteur privé. Elles sont complétées par un impôt de 5 % prélevé depuis 1910 sur le prix d’entrée des spectacles publics. Trois types d’organismes interviennent : le Conseil supérieur de protection des mineurs (Consejo superior de protección de menores), les comités de protection des mineurs (Juntas de protección de menores) et les tribunaux de tutelle des mineurs (Tribunales tutelares de menores). Chaque tribunal pour mineurs est constitué d’un président, d’un vice-président, de deux membres titulaires et de deux suppléants. Tous les membres, désignés par le CSPM, doivent avoir plus de 25 ans, ainsi qu’une moralité et une vie de famille irréprochables. Leurs connaissances techniques sont censées leur permettre de remplir leurs fonctions (article 1, LTTM). Le président et le vice-président doivent pour leur part être licenciés en droit ; leur charge ne donne pas droit à un salaire et n’est donc pas considérée comme une profession en soi, comme cela était déjà le cas sous Primo de Rivera. Les tribunaux pour mineurs disposent normalement de plusieurs types d’institutions auxiliaires : établissements d’observation, d’éducation, de redressement, de type éducatif, correctif ou de semi-liberté. Mais il y a loin de la théorie à la pratique, comme le laissent entendre les formulations employées dans le texte de loi : « il y aura » des maisons d’observation, permettant aux tribunaux de prendre des mesures les plus adaptées possibles au comportement de chaque mineur ; des laboratoires psychologiques ou psychiatriques dans lesquels exerceront des techniciens compétents seront établis « si cela est possible » ; « quand les circonstances le permettront », on ouvrira des centres destinés aux mineurs anormaux ; « on tâchera » de mettre en place des maisons de famille (casas de familia) pour ménager un sas entre le séjour en maison de redressement et la liberté définitive. La province de Valence fait donc figure de précurseur quand trois foyers de semi-liberté y ouvrent, entre 1942 et 1954, pour accueillir chacun une quinzaine de jeunes filles après leur séjour en maison de redressement et avant leur libération définitive72. C’est aussi seulement sur le mode de l’hypothèse qu’est envisagée, de façon vague, la création d’un Centre d’études (Centro de estudios) pour former le personnel, dont on n’attend pas de compétence particulière mais seulement d’avoir fait montre « de sa vocation et de son zèle » (article 136). On est là bien loin des exigences que Matilde Huici voulait imposer au recrutement des éducateurs en mettant en place un concours national.
Des tribunaux d’exception, mais quelle exceptionnalité du franquisme ?
18Le Code pénal adopté en 1944 fixe l’âge de la majorité pénale à 16 ans. Les enfants et les adolescents traduits devant les tribunaux pour mineurs sont donc des garçons ou des filles qui n’ont pas atteint cette limite d’âge. Néanmoins, si un adolescent est placé sous la tutelle d’un tribunal pour mineurs avant l’âge de 16 ans, cette tutelle pourra s’exercer jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de la majorité civile, c’est-à-dire 21 ans. Les attributions des tribunaux pour mineurs relèvent à la fois de l’action répressive et de l’attention apportée aux mineurs défavorisés. D’une part, leur « compétence de redressement » (facultad reformadora) les amène à connaître des délits ou des fautes commis par des mineurs de moins de 16 ans, consignés dans le Code pénal ou les lois spéciales (article 9, § 1A du décret du 11 juin 1948) ; les délits prescrits par le Code de justice militaire sont quant à eux traités par des cours martiales. Sont aussi concernés les mineurs ayant enfreint les lois municipales et provinciales (§ 1B), ainsi que « [les] prostitués, [les] licencieux, [les] oisifs et [les] vagabonds » (§ 1C). La loi retient donc une acception large de la délinquance, qui recouvre aussi bien les infractions à la loi qui seraient des délits si elles étaient commises par des adultes (vol, assassinat…) que des conduites qui ne seraient pas illégales si elles étaient le fait d’individus majeurs (fugue, insoumission…)73. Les juridictions interviennent par conséquent dans les cas définis comme des infractions au Code pénal mais aussi lorsque l’on estime que la conduite irrégulière du mineur pourrait amener ce dernier à commettre un délit, sachant que les catégories juridiques utilisées sont alors souvent vagues (« vie licencieuse », « vagabondage », « oisiveté »). D’autre part, la « compétence de protection » (facultad protectora) de la juridiction s’exerce lorsqu’un mineur est en danger, c’est-à-dire lorsque le président considère que ses parents exercent leur droit de garde et d’éducation de façon indigne (article 9, § 3). L’éventail de cas est large : il va des mauvais traitements aux « exemples corrupteurs » (§ 3B), catégorie morale et floue qui laisse aux autorités judiciaires une marge de manœuvre importante. Les compétences octroyées aux tribunaux pour mineurs se situent donc entre la répression de la délinquance juvénile et la protection des mineurs défavorisés ; les mineurs placés sous leur tutelle sont autant des enfants « dangereux » qu’« en danger », la distinction entre les deux tendant à s’estomper dans la mesure où les seconds sont considérés comme des délinquants en puissance.
19Cette ambiguïté entre répression et protection n’est spécifique ni à l’Espagne, ni à la période franquiste : elle est à la base même du « modèle protecteur » mis en place au début du xxe siècle dans nombre de pays occidentaux. Marie Sylvie Dupont-Bouchat a montré comment la dépénalisation de la délinquance juvénile en Europe entre 1880 et 1914 a, dans le même temps, permis d’étendre la « protection » à des couches de plus en plus larges d’enfants n’ayant d’autre tort que d’être nés dans un milieu à risques74. La perspective préventive et thérapeutique introduit la possibilité d’agir autrement que par la répression mais au détriment des libertés individuelles, octroyant aux organismes de contrôle social un pouvoir discrétionnaire croissant75. Dans le cas espagnol, ce double niveau de compétences présente cependant la particularité d’être placé au cœur de l’édifice institutionnel : le Conseil supérieur de protection des mineurs est chargé de contrôler l’activité des tribunaux, ainsi que celle des comités de protection des mineurs ; il coordonne donc à la fois la répression de la déviance juvénile et l’assistance aux nécessiteux, aux orphelins, etc. Cette ambiguïté entre correction et protection est maintenue et exploitée par le régime franquiste, qui voit là une manière d’opérer un contrôle sur d’amples secteurs de la société.
20Les Tribunales tutelares de menores, malgré leur dénomination, ne sont pas véritablement des tribunaux. Ils ne font pas directement partie de l’administration judiciaire mais dépendent d’un organisme autonome et à caractère administratif, le CSPM, placé lui-même sous l’autorité du ministère de la Justice. L’enfant n’est donc pas présenté devant une véritable instance judiciaire. En ce sens, l’Espagne se distingue des autres pays européens : en Italie, en France et en Allemagne, la justice des mineurs est une section spécialisée de la justice ordinaire. En Espagne, le président du tribunal n’est pas un juge : l’article 3 du décret du 11 juin 1948 prescrit simplement qu’il doit être diplômé en droit et ne pas exercer dans une autre juridiction, une dérogation pouvant être octroyée si ces deux conditions n’étaient pas remplies. L’action du juge « paternel » et « pédagogue » est menée sans formalisme, conformément à l’esprit des tribunaux pour enfants créés au début du siècle : c’est un juge unique, supposé être moins intimidant qu’un collège de magistrats76. Il tâche d’interroger le mineur « avec affection », en bannissant toute forme de solennité (article 74 du RLTTM). Il tient autant compte des faits objectifs reprochés au mineur que de l’attitude, de la personnalité et de l’environnement familial et social de ce dernier (article 16, LTTM). Il s’érige ainsi en père, en psychologue et en médecin. Le président du tribunal est doté de pouvoirs importants : il est à la fois accusateur, juge et défenseur ; la loi l’habilite à décider des cas individuels de manière discrétionnaire. L’article 15 du décret du 11 juin 1948 indique explicitement que les Tribunales tutelares de menores ne sont pas « soumis aux règles de procédure en vigueur dans les autres juridictions ». Les mineurs étant sortis du droit pénal, ils sont traités différemment des majeurs et ne possèdent donc pas les mêmes garanties juridiques. Ils ne peuvent être assistés d’un avocat (article 29, RLTTM) et les séances ne sont pas publiques (article 15, LTTM). La justice intervenant pour répondre à des besoins plus que pour punir l’infraction commise, on estime que l’important n’est pas de garantir le droit et son application mais de parvenir à rééduquer le mineur. L’individu n’est pas perçu comme une personne rationnelle, exprimant son libre arbitre, comme un sujet ayant des droits, mais comme un être dépendant, à soigner et à guider77. La fin justifie en l’occurrence les moyens, la protection et la rééducation des jeunes délinquants valant aux yeux du législateur le non-respect de leurs droits individuels. Dans la lignée de la législation mise en place en 1918, les tribunaux de tutelle pour mineurs ne prononcent pas de sentence, mais des « accords » ; ils ne condamnent pas à des peines mais adoptent des « mesures éducatives » (article 15, LTTM). Celles-ci peuvent être « isolées » (admonestation, internement bref) ou de longue durée (liberté surveillée, surveillance de la famille, placement, internement dans une institution auxiliaire du tribunal). À la différence de la justice ordinaire, le principe de typicité de la peine n’existe pas. Il n’y a pas de sanction associée à chaque faute ou à chaque délit dans la mesure où ce n’est pas l’infraction qui compte, mais le traitement qui est administré au mineur pour que celui-ci ne récidive pas. Une « mesure éducative » décidée par le président du tribunal est révisable : elle s’applique aussi longtemps que le besoin s’en fait sentir et n’est pas limitée dans le temps, constituant en quelque sorte une sentence indéterminée. Il en va ainsi de la mesure éducative la plus sévère, l’internement dans une institution auxiliaire, qui ne se termine que lorsque le personnel et le président du tribunal estiment le mineur effectivement « redressé » ou suffisamment « protégé ».
Quand le temps long l’emporte
21Dans le domaine de la prise en charge de la déviance juvénile, le franquisme n’invente donc rien, ou presque. Il se contente d’abroger les réformes – limitées – mises en place par la République, pour en revenir au dispositif institué par Primo de Rivera. Dans la forme même, le décret du 3 février 1929, la loi du 13 décembre 1940 et le décret 11 juin 1948 présentent des similitudes frappantes. Les trois documents sont composés de 26 articles, eux-mêmes répartis de façon semblable à l’intérieur de divisions thématiques analogues78. L’article 15, qui indique que le tribunal pour mineurs n’est pas soumis aux mêmes normes de procédure que les juridictions ordinaires, est identique dans les trois textes, au mot près. Il en va sensiblement de même pour l’article 17, qui fait l’inventaire des mesures que les tribunaux peuvent adopter. Le franquisme conserve l’édifice des tribunaux pour mineurs créé en 1918, utilise les ambiguïtés et les potentialités du système en en accentuant le caractère répressif dans le but de mener à bien ses objectifs politiques, idéologiques et sociaux. Sur ce terrain comme sur d’autres, la dictature franquiste conserve la structure légale existante et se contente de l’adapter à ses principes et à ses exigences politiques. Cette permanence s’explique par le fait que la répression menée à l’encontre des vaincus s’exerce essentiellement par le biais de la justice militaire et de lois spéciales adoptées en 1939-1940 (dites de « responsabilités politiques », de « répression de la maçonnerie et du communisme », de la « sécurité de l’État »).
22Josep Maria Tamarit Sumalla a montré combien le Code pénal adopté en 1944, qui réformait celui de 1932, constituait en fait « une édition rénovée ou actualisée [du] vieux Corps de lois pénales » datant du xixe siècle79. C’était là tant un moyen pour le régime militaire et nationaliste de légitimer son action qu’une preuve de sa faiblesse idéologique. Dans ces conditions, le Code pénal de 1944 ne peut être considéré comme un code franquiste à proprement parler même s’il est, sans nul doute, le Code pénal du franquisme. De la même manière, le dispositif de prise en charge de la déviance juvénile institué dans les années 1940 ne peut être décrit comme un système franquiste (au sens où la dictature lui aurait véritablement imprimé sa marque) mais plutôt comme le système du franquisme, c’est-à-dire celui qui est en vigueur de la fin de la guerre civile à la transition démocratique. En effet, et c’est là le dernier point qu’il convient de souligner, la législation qui régit le fonctionnement des maisons de redressement des années 1940 au milieu des années 1970 (liens avec le tribunal de tutelle, conditions d’envoi des mineurs, recrutement du personnel de direction, du personnel éducatif) est identique à celle de la fin des années 1920. Pour les vainqueurs, il s’agit de faire en sorte que tout change, pour que rien ne change : toute velléité réformatrice, progressiste ou scientifique est à proscrire. La formule « Nouvel État, vieux ingrédients » peut ainsi tout à fait s’appliquer au dispositif de prise en charge de la déviance juvénile, tel qu’il est mis en place après la guerre civile80.
L’archipel des institutions de redressement
Une impossible cartographie
23En l’état actuel des connaissances et de l’accessibilité des archives, il n’est pas possible de dresser un inventaire complet des institutions auxiliaires des tribunaux pour mineurs. En effet, certaines congrégations religieuses mettent des données à disposition dans la littérature à usage interne qu’elles produisent et éditent elles-mêmes, mais la documentation de première main est inaccessible. Surtout, les archives du Conseil supérieur de protection des mineurs ne contiennent pas de documents synthétiques, de nature administrative ou comptable, qui rendent régulièrement compte du nombre total de juridictions et d’établissements auxiliaires, et permettent de connaître l’ensemble de « l’archipel » des institutions dans lesquelles sont pris en charge les jeunes déviants. Il est d’ailleurs probable que l’instance directrice ne sache pas elle-même de combien d’institutions auxiliaires elle dispose et par qui elles sont gérées. En 1948, elle demande en effet à chaque comité de protection des mineurs d’indiquer avec combien d’établissements il travaille : elle ne possède donc pas cette information pourtant essentielle81. Si les tribunaux doivent théoriquement rendre compte des frais engagés pour payer le séjour des mineurs dans les différentes institutions auxiliaires, l’absence de document de synthèse laisse penser que ces données ne sont pas rassemblées et analysées par l’autorité de tutelle : il faut attendre 1955 pour que les services statistiques des différents tribunaux soient unifiés et centralisés82. Dans ces conditions, les informations disponibles sont ponctuelles. À la veille du coup d’État du 18 juillet 1936, on sait par exemple que le tribunal de Valence envoie des mineures dans douze établissements différents, qui sont tous tenus par des congrégations religieuses : Oblates (Oblatas), Esclaves de Marie (Esclavas de María), Trinitaires déchaussées (Trinitarias descalzadas)… Pour les cas les plus graves, c’est-à-dire les jeunes filles prises en charge pour des faits d’ordre sexuel, un seul remède : le couvent83. Les carences du secteur public en matière de prise en charge de la déviance féminine sont claires et constituent une constante au cours de la période. En 1952, l’Espagne compte 28 maisons de redressement et 28 maisons d’observation84. Les filles sont alors confiées dans leur grande majorité à des institutions privées, tenues par des religieuses, quand les garçons sont en général rééduqués dans des centres appartenant en propre au CSPM (mais dont la gestion est déléguée au secteur privé).
24Il faut attendre la toute fin de la période pour disposer d’un document global et synthétique, en l’occurrence un mémoire que le CSPM publie en 1971 pour rendre compte des activités qu’il a menées et coordonnées au cours de l’année précédente. On apprend qu’à cette date, 548 institutions d’observation et de correction sont disséminées sur le territoire espagnol :
438 d’entre elles « collaborent » avec les tribunaux pour mineurs (instituciones colaboradoras) et relèvent du secteur privé, ce qui représente trois quarts de l’ensemble. Elles n’ont pas été recensées de façon détaillée par la section du CSPM chargée de la statistique car cela aurait représenté une tâche « interminable85 ». Cinq provinces abritent, à elles seules, le tiers des établissements : Madrid (36 institutions collaboratrices), Barcelone (27), Malaga (27), la Biscaye (24) et Valence (19).
110 établissements sont des institutions appartenant en propre aux tribunaux pour mineurs (instituciones propias). Ils relèvent du secteur public mais sont confiés, dans un cas sur deux, à des congrégations religieuses. Ils sont théoriquement distribués entre quatre grands ensembles (maisons de tutelle – casas tutelares, maisons d’observation ou de famille et centres pour mineurs anormaux) mais leur dénomination même ne correspond pas forcément à leur fonction réelle. Une maison de tutelle peut par exemple tout autant s’appeler « foyer-école Santa Faz » (Alicante), « école-foyer Santiago Apóstol » (Almería), « écoles professionnelles Notre-Dame de l’Espérance » (Barcelone) ou « maison de redressement et d’observation Santo Rostro » (Jaén), ce qui renforce l’impression d’un archipel difficile à appréhender de façon précise et à cartographier.
La domination sans partage du secteur privé catholique
25Tous les tribunaux pour mineurs et leurs institutions auxiliaires sont placés sous l’autorité du CSPM, présidé par Juan de Hinojosa Ferrer de 1943 à 1952. Dans cette instance siègent toujours, à la fin des années 1940, Ramón Albó y Martí, qui avait milité activement pour la mise en place de tribunaux pour enfants en Espagne au début du siècle, et Gabriel María de Ybarra y de la Revilla. Leur présence illustre la permanence des choix accomplis depuis la fin des années 1910, par-delà la parenthèse républicaine. Au sein du CSPM, le second côtoie l’un de ses six enfants, Javier de Ybarra y Bergé (1913-1977), qui avait pris le parti des généraux insurgés dès le coup d’État du 18 juillet 1936. Plusieurs postes clés sont ainsi détenus par les tenants d’une ligne traditionaliste et favorable à l’Église catholique. Celui de vice-président est par exemple occupé par Mariano Puigdollers Oliver, un professeur de droit membre de l’Asociación Católica Nacional de Propagandistas (ACNdP) et des instances dirigeantes de l’Action catholique86, qui est également chargé de la gestion des affaires ecclésiastiques au ministère de la Justice de 1938 à 1962, où il œuvre à la promotion de l’Église et des congrégations religieuses. La répartition des tâches entre les secteurs public et privé dans le champ de l’enfance en difficulté est, en Espagne, au cœur des choix idéologiques et politiques que font les régimes successifs. C’est sur ce point que la Seconde République avait prioritairement décidé d’agir ; l’option choisie par le franquisme est également très claire, mais inverse : appel au secteur privé et retour au statu quo ante. Après la guerre civile, les maisons de redressement sont ainsi généralement confiées aux congrégations religieuses qui en assuraient auparavant la direction. C’est une preuve de plus du poids, au sein du régime franquiste, de la culture politique du national-catholicisme, c’est-à-dire de l’union entre l’État, la nation et le catholicisme, qui remonte au moins à la pensée de Menéndez y Pelayo, convaincu de l’essence catholique de la nation espagnole87. En 1942, les Tertiaires capucins retrouvent par exemple la direction de la Colonia San Vincente Ferrer de Valence et de la principale maison de redressement pour mineurs de Madrid, rebaptisée « du Sacré Cœur de Jésus » (Reformatorio de menores del Sagrado Corazón de Jesús)88. Cela augure, selon le secrétaire du CSPM, d’« un progrès incomparable dans le travail de redressement puisque cette congrégation a montré, au cours des longues années qu’elle a passées à travailler dans nos maisons de redressement, qu’elle constituait tant un vivier d’éducateurs faisant preuve de sagesse et d’abnégation, que de martyrs de la Religion et de la Patrie89 ». Ailleurs, les Carmélites sont rappelées à Cordoue et à Viérnoles (Cantabrie), les Franciscains à Tarragone (Catalogne), les Hermanos Servitas de la Misión à Grenade (Andalousie), les Religiosos de las Escuelas Pías à Barcelone (Catalogne)… Très peu d’établissements sont attribués à des laïcs : Cadix (Andalousie), Alicante (Levant) et Rábade (Galice) sont des cas isolés. Notons que le secteur privé catholique ne constitue néanmoins pas un ensemble unifié. Il comprend de nombreuses congrégations indépendantes les unes des autres, qui gèrent une multitude d’institutions où sont souvent accueillis d’autres pensionnaires que ceux qu’envoient les tribunaux pour mineurs.
26Les Tertiaires capucins sont les grands bénéficiaires de ce retour à l’ancien. Les religieux ont accueilli avec joie et soulagement la nouvelle de la victoire franquiste, qui permet « le triomphe de l’Espagne traditionnelle et catholique » après la marginalisation de l’Église par la Seconde République et le traumatisme de la guerre civile90. Le contexte politique leur est extrêmement favorable, qui voit la symbiose entre le caudillo, l’Église et l’Armée. L’Église et la religion catholique font l’objet « d’une exaltation et d’une adulation sans limite91 ». Elles inondent tout : enseignement, mœurs, éducation, administration et centre du pouvoir. Selon Julián Casanova, l’Église est « l’âme du Nouvel État92 », ce qui s’incarne dans la signature d’un nouveau concordat entre l’Espagne et le Saint-Siège entre 1953. Refusant le concept de « national-catholicisme », Tomás Roca Chust préfère parler d’« État catholique » pour décrire l’étroitesse des liens qu’entretiennent l’Église et le franquisme dans cette période bénie : « les possibilités que l’Église a d’agir sur la Société et sur l’État sont augmentées à leur maximum93 ». Traduction concrète : l’Église retrouve ses privilèges historiques, comme le financement de l’État ou le monopole sur le secteur éducatif. L’État accorde aux Tertiaires capucins « une totale liberté en matière d’éducation94 ». En mai 1950, le discours prononcé par le président de la juridiction de Valence lors de l’ouverture de la treizième assemblée générale de l’Union nationale des tribunaux pour mineurs montre combien le dispositif institutionnel est imprégné de national-catholicisme :
« Que la Sainte Famille bénisse notre Assemblée et l’action que nous menons dans les tribunaux, afin que nous sachions profiter de l’outil que Dieu a placé entre nos mains pour mieux le servir ; redressons les torts familiaux et sociaux et renforçons la famille, noyau vital à partir duquel peut se construire une Grande Espagne, une Espagne qui serve Dieu et aime Dieu à travers son Église, sous la direction providentielle de notre Caudillo qui, comme nous le savons tous, éprouve une véritable prédilection pour l’Œuvre de protection des mineurs95. »
27En 1960, les Tertiaires capucins sont à la tête des principales maisons de redressement du pays : le Colegio-hogar Sagrado Corazón de Jesús et Santa Rita (Madrid, 230 pensionnaires), la Colonia San Vicente Ferrer (Burjasot, Levant, 140 pensionnaires), la Casa tutelar San Francisco de Paula (Alcalá de Guadaira, Andalousie, 113 pensionnaires), la Casa Tutelar del Buen Pastor (Saragosse, Aragon, 108 pensionnaires) et la Casa del Salvador (Amurrio, Pays basque, 100 pensionnaires).
Un système sclérosé, archaïque et replié sur lui-même
28La politique de prise en charge de la déviance juvénile qui est menée en Espagne de 1939 à 1965 peut être qualifiée d’« autarcique96 ». Le pays se caractérise par son isolement vis-à-vis des autres pays européens et son imperméabilité aux évolutions qui, ailleurs, se font jour : réduction de la capacité des institutions éducatives, amélioration des infrastructures, ouverture progressive des établissements vers l’extérieur, développement des relations entre les pensionnaires et leurs familles, structuration du statut d’éducateur, renforcement de la formation professionnelle, diversification des activités ayant lieu pendant le temps libre… Ces changements s’expliquent par l’individualisation croissante de la prise en charge, par la hausse du niveau de formation du personnel éducatif et par la place plus importante qui est faite aux travailleurs sociaux et aux psychologues, l’après-Seconde Guerre mondiale marquant en quelque sorte la fin de l’époque des maisons de correction et des établissements de redressement97. Le système espagnol des maisons de redressement, lui, n’évolue quasiment pas au cours des décennies 1940 et 1950. Plusieurs de ses carences sont mises au jour par un scandale qui éclate à la fin des années 1950, lorsque paraît un roman à teneur autobiographique écrit par Michel del Castillo et intitulé Tanguy, un enfant d’aujourd’hui. L’écrivain franco-espagnol y raconte notamment les trois années d’horreur qu’il a passées à l’Asilo Durán au début des années 1940 (le personnage principal, Tanguy, séjourne pour sa part à « l’Asile Dumont »), peignant la faim, les coups, le travail, les punitions98. Une campagne de presse aiguë et circonscrite dans le temps (hiver 1958-1959) fait frémir les autorités jusqu’au plus haut niveau et noircit l’image déjà sombre des maisons de redressement espagnoles et de la plus sinistre d’entre elles, l’Asilo Durán. Carmen Polo, très touchée par le livre, en aurait conseillé la lecture à son époux, Franco. Michel del Castillo raconte qu’il a été reçu en audience au palais du Pardo, la résidence du chef de l’État99. Néanmoins, l’« affaire del Castillo » ne se traduit par une prise de conscience débouchant sur des réformes d’envergure. Elle révèle en tout cas l’état de sclérose et les tensions qui commencent à parcourir un édifice institutionnel centralisé, figé et archaïque.
29Il faut attendre les années 1960 pour détecter, dans les archives du CSPM, des signes timides d’une prise de conscience progressive. L’arrivée de Mariano Puigdollers Oliver à la tête du CSPM, en 1965, marque le début d’une phase de réformes qui va partiellement moderniser le dispositif de prise en charge de la déviance juvénile100. Son but n’est pas de faire table rase « du passé glorieux, ni des lignes directrices posées par les maîtres fondateurs » mais de réactualiser des méthodes qui ont depuis été « dépassées par l’élan des évolutions sociales101 ». La réforme de l’organisation du Conseil supérieur, approuvée par décret le 11 juillet 1968, est censée aller dans ce sens en rendant l’institution plus efficace, plus hiérarchisée et mieux coordonnée, mais sans modifier le fonctionnement des tribunaux et des institutions auxiliaires102. Cette mesure s’inscrit dans une entreprise plus vaste de modernisation et de rationalisation de l’administration publique, jugée archaïque et largement inefficace. Ce chantier a été ouvert par le gouvernement formé en 1957, qui a signé l’arrivée au pouvoir des « technocrates » de l’Opus Dei et ouvert une nouvelle période de la dictature franquiste. Le mandat de Mariano Puigdollers à la tête du CSPM est cependant loin d’impulser une révolution de la pensée et des pratiques. La position de Tomás Roca Chust, historien officiel des Tertiaires capucins de la congrégation, montre par exemple combien le sommet du dispositif fonctionne en circuit fermé. En 1968, c’est lui qui est chargé d’assurer des cours de psychologie sociale destinés aux directeurs des « laboratoires psychotechniques » situés dans des institutions auxiliaires103. Un an plus tard, il entre au Conseil supérieur (il y siège toujours en 1975104). Le monopole des Tertiaires capucins sur les institutions éducatives n’est alors toujours pas remis en cause : on leur confie de nouveaux centres à Oviedo en 1970, à l’Escorial et au Pays basque en 1971, à Barcelone et à Salamanque en 1972105.
30Mariano Puigdollers Oliver est remplacé par Javier de Ybarra y Bergé en 1968. Le deuxième fils de Gabriel María de Ybarra de la Revilla, un entrepreneur qui vient de terminer son mandat de maire de Bilbao (1963-1967) et qui avait présidé durant de nombreuses années le tribunal pour mineurs local, reste quatre ans à ce poste. Il tente de mettre en place un plan de réformes en s’efforçant d’obtenir du ministère de la Justice un effort budgétaire significatif pour pouvoir espérer pallier les carences du système. Les « plans d’investissements » adoptés jusque-là finançaient les travaux de construction ou de réhabilitation d’une ou de quelques maisons de redressement particulières, leur budget limité (50 894 783 pesetas pour les années 1964-1967) ne permettant pas de faire face à l’ensemble des besoins106. Le CSPM lui-même considère qu’il ne peut remplir sa mission par manque de moyens. Il n’est par exemple pas en mesure de former, embaucher et salarier du personnel spécialisé107. Une commission chargée d’inspecter les institutions a été par exemple créée en 1970 mais cette tâche est assumée par une seule personne108. Pour surmonter cette « situation d’indigence », un Plan quadriennal d’investissements est adopté dans le cadre du troisième Plan de développement économique et social promu par le régime franquiste. Il prévoit que soient menés des travaux de réhabilitation ou de construction dans 25 maisons d’observation, dans 19 maisons de tutelle (l’effort doit notamment porter sur la création de centres destinés aux filles) et dans une dizaine de maisons de famille. Des centres destinés aux mineurs anormaux doivent également être mis en place. Le budget s’élève à 620 millions de pesetas (soit une augmentation de 43 % par rapport aux années 1968-1971). En 1973, Javier de Ybarra y Bergé quitte le poste de président effectif du CSPM pour en redevenir simple membre109. Quatre ans plus tard, le 20 mai 1977 à huit heures du matin, il est enlevé à son domicile du Pays basque par un commando de l’ETA110. L’Espagne est à 25 jours de la tenue de ses premières élections démocratiques depuis 1936. Les Etarras exigent la libération de prisonniers, puis une rançon d’un million de pesetas. La famille Ybarra tente de négocier et de repousser la date de l’ultimatum ; le groupe répond le 22 juin 1977 en affirmant qu’il a tué Javier de Ybarra y Bergé. En effet, le corps de ce dernier est retrouvé dans une ferme en Navarre. La condamnation de cet assassinat est unanime. Se termine ainsi de façon tragique le règne presque continu de la famille Ybarra sur le système espagnol des tribunaux pour mineurs et des maisons de redressement, de sa création en 1918 à la fin de la dictature en 1975. Le clan a en quelque sorte conjuré, sur le terrain de la prise en charge de la déviance juvénile comme sur le terrain économique et commercial, le « syndrome des Buddenbrook111 ».
Conclusion
31L’une des spécificités profondes du dispositif franquiste de prise en charge de la déviance juvénile est qu’il n’évolue pas tandis que celui des autres pays européens est modernisé. Le retard accumulé depuis le xixe siècle, temporairement masqué par l’adoption de la loi Montero Ríos en 1918, se convertit en un décrochage complet après la guerre civile. Alors que dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, les pays occidentaux tâchent d’en finir avec le système obsolète des « maisons de redressement », il faut attendre la deuxième moitié des années 1960 pour que des réformes timides et limitées soient mises en place en Espagne. Le système n’est profondément réformé qu’une fois le régime franquiste disparu, à la fin des années 1970. La déjudiciarisation de l’aide sociale à l’enfance n’intervient par exemple qu’à la fin des années 1980. Par ailleurs, l’Espagne se caractérise longtemps par son isolement vis-à-vis des mécanismes internationaux de circulation des politiques éducatives, sociales et sanitaires, qui se sont pourtant intensifiés et institutionnalisés après la Seconde Guerre mondiale (congrès de l’Association internationale des juges pour enfants, de l’Association internationale de protection de l’enfance…). L’isolement autarcique de l’Espagne est tout à la fois un symptôme et une cause de l’immobilisme du dispositif de prise en charge des jeunes déviants. Il est d’ailleurs significatif qu’après la guerre civile, les Tertiaires capucins n’organisent plus de voyage d’études à l’étranger pour améliorer la formation des membres de la congrégation. De fait, le niveau de la prise en charge baisse notablement et les préceptes éducatifs n’évoluent guère jusqu’à la transition démocratique.
32L’immobilisme et l’isolement du système des maisons de redressement espagnoles, en un mot son archaïsme, sont une conséquence de la logique de désengagement de la puissance publique prévalant depuis le xixe siècle. L’omniprésence du secteur privé catholique est confirmée, théorisée et portée à un niveau inégalé dans la deuxième moitié des années 1940, lorsque l’État franquiste affiche sa nature national-catholique. Le secteur des maisons de redressement est ainsi à la fois un révélateur et un miroir grossissant des carences de l’État espagnol. Il n’est jamais en pointe dans les évolutions, certes limitées, qu’impulsent les gouvernements « technocratiques » à partir de la fin des années 1950. Les échos du « Plan de stabilisation » de 1959, qui clôt la parenthèse de l’autarcie économique, parviennent de façon assourdie et tardive au sein de l’Œuvre de protection des mineurs. Alors que l’Espagne du desarrollismo est travaillée par de profondes mutations économiques et sociales, les membres du CSPM s’arc-boutent sur les mêmes préceptes idéologiques. Alors que l’éducation dite « classique » sort progressivement du monopole de l’Église pour être gérée par des fonctionnaires, le monopole du secteur privé catholique sur la gestion des maisons de redressement n’est absolument pas remis en question. En 1971, les trois quarts des institutions correctives sont privées et la moitié des établissements publics sont tenus par des congrégations religieuses. Le domaine de l’enfance marginale et délinquante apparaît ainsi comme un conservatoire de « l’utopie réactionnaire » caractérisant la construction de l’État espagnol depuis le début du xixe siècle112. Le manque structurel de moyens, le poids des élites traditionnelles et la place importante de l’Église catholique y sont particulièrement marqués, comme en témoigne l’étroitesse des liens entre la famille Ybarra et la congrégation des Tertiaires capucins, du début du xxe siècle jusqu’à la transition démocratique.
Notes de bas de page
1Sánchez Vázquez V. et Guijarro Granados T., op. cit., p. 123.
2Montero-Pedrera A. M., « Un antecedente de bienestar social en el siglo xviii sevillano: el colegio de los niños toribios », Cuestiones pedagógicas: Revista de ciencias de la educación, 1996, no 12, p. 123-130.
3Un exemple récent de l’histoire à usage interne développée par l’institution de Santa Rita elle-même, contenant « L’hymne à l’École Santa Rita » dédié au père fondateur de l’ordre, [https://colegiosantarita.es/wp-content/uploads/2020-05-breve_historia.pdf] (erreur en 2024), p. 21.
4Anderson P., op. cit., p. 11.
5Juderías J., Problemas de la infancia delincuente: la criminalidad, el Tribunal, el reformatorio, s. l., s. n., 1917, p. 5-6.
6Cossío Gómez y Acebo M., Proyecto de organización de las Instituciones tutelares de la Infancia abandonada: memoria premiada por la Academia de Derecho y Ciencias Sociales de Bilbao en el concurso de 1906, s. l., s. n., 1907, p. 76 ; Huertas García-Alejo R., « Los niños de la “Mala Vida”: la patología del “Golfo” en la España de entresiglos », Journal of Spanish Cultural Studies, 2009, vol. 10, no 4, p. 423-440.
7Soler y Labernia J., Los hijos de la casa: juventud viciosa y delincuente, Madrid, s. n., 1907, p. 8-9.
8Cossío Gómez y Acebo M., op. cit., p. 9.
9Juderías J., op. cit., p. 4.
10Aguilar y Correa, Marqués de la Vega de Armijo A., Apuntes sobre el establecimiento de una Casa de Educación Correccional de Jóvenes en Madrid en 1861, Madrid, s. n., 1884.
11El Día, 21-02-1892.
12Gaceta de Madrid, 06-01-1883.
13Juderías J., op. cit., p. 12-13.
14Cossío Gómez y Acebo M., op. cit., p. 93.
15Propos cité par Pestana A., Tendencias actuales en la tutela correccional de los menores, s. l., s. n., 1916, p. 17.
16Cossío Gómez y Acebo M., op. cit., p. 102-103.
17La Correspondencia de España, 22-05-1892 et El Siglo futuro, 03-01-1893.
18Dupont-Bouchat M. S. et Pierre É. (dir.), Enfance et justice au xixe siècle : essais d’histoire comparée de la protection de l’enfance, 1820-1914, Paris, PUF, 2001, p. 298.
19C’est ce qu’indique le premier chapitre des Constitutions de l’ordre.
20Gaceta de Madrid, 11-01-1895.
21Thomas M., « Twentieth-Century Catholicisms: Religion as Prison, as Haven, as “Clamp” », Graham H. (dir.), Interrogating Francoism: History and Dictatorship in Twentieth-Century Spain, Londres, Bloomsbury Academic, 2016, p. 19.
22Archives de la direction de l’Asilo Durán (ci-après AAD). Pour connaître les détails de cette aventure méditerranéenne, voir Regnard C. et Nuq A., « De Marseille à Barcelone. Le redressement de la jeunesse selon l’abbé Fiscaux (xixe-xxe siècles) », Américi L., Daumalin X. et Raveux O. (dir.), La mosaïque des racines. Pouvoirs, cultures et sociétés en France et en Méditerranée xvie-xxie siècle, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2014, p. 193-204.
23La Vanguardia, 28-05-1884.
24« Importancia benéfico-social del Asilo Durán », 1951 ; Archives du Conseil supérieur de protection des mineurs (ci-après ACSPM), carton no 852.
25AAD.
26Entretien avec M. del Castillo (03-06-2010).
27Cossío Gómez y Acebo M., op. cit., p. 6-7.
28Soler y Labernia J., Nuestras cárceles, presidios y casas de corrección, Madrid, Gabriel L. del Horno, 1906, p. 8 et 115.
29Real decreto du 17-06-1901, Gaceta de Madrid, 22-06-1901.
30Dupont-Bouchat M. S., « Le mouvement international en faveur de la protection de l’enfance (1880-1914) », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », 2003, no 5, p. 207-235.
31González Fernández M., « Los tribunales para niños: creación y desarrollo », Historia de la educación. Revista interuniversitaria, 1999, no 18, p. 113.
32Real decreto disponiendo se publiquen en este periódico oficial los artículos que forman la ley sobre Organización y atribuciones de los Tribunales para niños, y que se dé cuenta de la misma a las Cortes, Gaceta de Madrid, no 331, 27-11-1918.
33Agustí i Roca C., « Control social y reeducación de la juventud delincuente. Legislación y tribunales de menores en la Europa occidental durante la primera mitad del siglo xx », VI Jornadas nacionales de historia moderna y contemporánea, Luján, Univ. de Luján (Argentina), 2008.
34Reglamento para la aplicación de la ley sobre organización y atribución de los Tribunales para niños, 06-04-1922, Gaceta de Madrid, no 99, 09-04-1922.
35Niget D., La naissance du tribunal pour enfants : une comparaison France-Québec, 1912-1945, Rennes, PUR, 2009.
36Sur les activités de la nébuleuse familiale des Ybarra, voir Díaz Morlán P., Los Ybarra: una dinastía de empresarios (1801-2001), Madrid, Marcial Pons Historia, 2002.
37Dávila Balsera P., Zabaleta Imaz I. et Uribe-Echevarria Flores A., « La protección infantil y los tribunales tutelares de menores en el País Vasco », Historia de la educación: Revista interuniversitaria, 1991, no 10, p. 173-1764.
38Correspondance du TTM de Valence, ACSPM, carton no 908.
39Real decreto aprobando el Reglamento, que se inserta, para la ejecución de la ley de Tribunales Tutelares de Menores, 03-02-1929, Gaceta de Madrid, no 38, 07-02-1929.
40Real orden disponiendo se celebre en el Tribunal tutelar para niños, de Madrid, un curso preparatorio del personal para Reformatorios, Casas de observación y otros establecimientos complementarios de los Tribunales, Gaceta de Madrid, no 155, 03-06-1928.
41Mora Requejo M., Los impunes. Historia del correccional de Santa Rita, Madrid, La Cartelera Artística, 1926.
42Polanco A., El correccional de Santa Rita: dos años entre sus muros: conferencias, notas, documentos y comentarios, Valladolid, Vda de Montero, 1914.
43Requena Abadía P., ¡Fracaso! El tribunal tutelar y el reformatorio de menores de Madrid, Madrid, Argis, 1932, p. 151-152.
44Mémoire de D. de Alboraya, 1906 (archives de la Fondation Antonio Maura, 463/1).
45Cf. Nuq A., « La congrégation des Tertiaires capucins et la réception des modèles internationaux de prise en charge des jeunes délinquants (Espagne, 1904-1936) », Histoire de l’éducation, 2014, no 140-141, p. 157.
46Decreto derogando, anulando, estimando reducidos al rango de preceptos meramente reglamentarios, y declarando subsistentes, los Reales decretos y Reales órdenes que se mencionan, 16-06-1931, Gaceta de Madrid, no 168, 17-06-1931.
47Palacios Sánchez J., op. cit., p. 213.
48San Martín Montilla M. N., Matilde Huici Navaz: La tercera mujer, Madrid, Narcea Ediciones, 2009.
49Decreto disponiendo que el establecimiento denominado Asilo de Corrección paternal y Escuela de Reforma para jóvenes de Santa Rita, se denomine en lo sucesivo Escuela-Hogar de Protección y Reforma, Gaceta de Madrid, 13-08-1936.
50Voir par exemple Checa de Santa Rita (Reformatorio de Menores de Carabanchel Bajo), Archivo Histórico Nacional, FC causa general, 1535, exp. 101.
51Boletín Oficial del Estado du 27-05-1953 et Gaceta de Madrid du 23 janvier 1965.
52Anderson P., op. cit., chap. vii.
53Keren C., L’évacuation et l’accueil des enfants espagnols en France : cartographie d’une mobilisation transnationale (1936-1940), thèse soutenue à l’École des hautes études en sciences sociales, Paris, 2014.
54Tribunal tuterlar de menores de Valencia y de su provincia, Diez meses de actuación (1er agosto 1936-1931 mayo 1937), Valence, Imp. de la Escuela de reforma, 1937.
55Roca Chust T., Historia de la Congregación de Religiosos Terciarios Capuchinos de Nuestra Señora de los Dolores, op. cit., vol. III, p. 69-188.
56ACSPM, carton no 852.
57Roca Chust T., Historia de la Congregación de Religiosos Terciarios Capuchinos de Nuestra Señora de los Dolores, op. cit., p. 182.
58Decreto disponiendo que el Consejo Superior de Protección de Menores se denominará en lo sucesivo Consejo Nacional de Tutela de Menores, conservando su actual estructura, con las modificaciones que se introducen por el presente Decreto, 04-01-1937, Gaceta de la República: Diario Oficial, no 7, 07-01-1937.
59Préambule du décret du 04-01-1937, ibid.
60Decreto disponiendo queden sometidos a la protección tutelar que esta disposición determina todos los menores de edad y que se requiera para salvaguardia de sus intereses o personas la acción tutelar del Estado, en las condiciones que se insertan, 06-08-1937, Gaceta de la República: Diario Oficial, no 220, 08-08-1937.
61Roca Chust T., Historia de la Congregación de Religiosos Terciarios Capuchinos de Nuestra Señora de los Dolores, op. cit., p. 183.
62Palacios Sánchez J., op. cit., p. 231.
63Orden creando una Delegación extraordinaria, dependiente de la Comisión de Justicia, que asumirá las funciones del Consejo Superior de Protección de Menores, 11-05-1937, Burgos, Boletín Oficial del Estado no 207, 15-05-1937.
64Orden restableciendo el Consejo Superior de Protección de Menores, Boletín Oficial del Estado, no 24, de 24-07-1938.
65Orden nombrando Vicepresidente primero del Consejo Superior de Protección de Menores a D. Mariano Puigdollers Oliver, y nombrando Secretario del Consejo Superior de Protección de Menores a don Gregorio Santiago Castiella, Boletín Oficial del Estado, no 24, 24-07-1938.
66Lettre de la vice-présidence du CSPM, 06-08-1939 ; ACSPM, carton no 780.
67Palacios Sánchez J., op. cit., p. 232.
68Orden por la que se conceden los premios « Avelino Montero Villegas » e « Inocencio Jiménez », instituidos por el Consejo Superior de Protección de Menores, al excelentísimo señor don Gabriel María de Ibarra y de la Revilla y al M. Reverendo P. General de la Congregación de Religiosos Terciarios Capuchinos de Nuestra Señora de los Dolores, respectivamente, Boletín Oficial del Estado, no 225,13-08-1942.
69Lettre de Gregorio Santiago Castiella à Tomás Serer, 02-01-1946, ACSPM, carton no 909.
70Decreto de 11 de junio de 1948 por el que se aprueba el texto refundido de la Legislación sobre Tribunales Tutelares de Menores, Boletín Oficial del Estado, no 201, 19-06-1948 et Decreto de 2 de julio de 1948 por el que se aprueba el texto refundido de la legislación sobre Protección de Menores, Boletín Oficial del Estado, no 206, 24-07-1948. Le décret du 11 juin 1948 sera ci-après désigné comme « LTTM » et le règlement correspondant, par « RLTTM » ; la loi proclamée le 2 juillet, relative à la protection des mineurs est, elle, appelée « LPM ».
71La première réforme d’importance intervient au milieu des années 1980, avec la Ley Orgánica 6/1985 de 1 de julio.
72Lettre du président du tribunal du TTM de Valence au CSPM, ASCPM, cartons no 909 et 967.
73D’Ancona M. A., La justicia de menores en España: funcionamiento y resultados, Madrid, Universidad Complutense, 1991, p. 24.
74Dupont-Bouchat M.-S. et Pierre É., op. cit., p. 84.
75Niget D., op. cit., p. 31.
76Ruiz Rodrigo C., Protección a la infancia en España: reforma social y educación, Valence, Universitat de València, 2004, p. 108.
77Niget D., op. cit., p. 32.
78La première porte sur l’organisation des tribunaux, la deuxième sur leurs compétences, la troisième sur les normes régissant leur fonctionnement et la quatrième sur leurs institutions auxiliaires.
79Tamarit Sumalla J. M., « Derecho penal y delincuencia en la legislación de posguerra », Mir Curcó C. (dir.), Pobreza, marginación, delincuencia y políticas sociales bajo el franquismo, Lleida, Edicions de la Universitat de Lleida, 2005, p. 55-56.
80L’adage « old ingredients for a new State » est emprunté à Ángela Cenarro, qui l’utilise pour décrire la politique menée par le franquisme en matière de politique de la famille, de religion et de moralité publique. Cenarro Lagunas Á, « Violence, Surveillance, and Denunciation: Social Cleavage in the Spanish Civil War and Francoism, 1936-1950 », Emsley C., Johnson E. et Spierenburg P. (dir.), Social Control in Europe, Columbus, The Ohio State University Press, 2004, p. 296.
81ACSPM, carton no 620.
82Orden de 1 de diciembre de 1955 por la que se reorganiza la Estadística de los Tribunales Tutelares de Menores, Boletín Oficial del Estado, no 350, 16-12-1955.
83Tribunal tutelar de Valencia y de su provincia, op. cit., p. 59-60.
84Palacios Sánchez J., op. cit., p. 250.
85Ibid., p. 116.
86L’ACNdP a été fondée en 1909 par le jésuite Ángel Ayala pour regrouper une élite de laïcs éclairés qui soit à même de favoriser la propagation de la foi catholique dans la société espagnole. La présence des « propagandistes » dans les hautes sphères de la société espagnole de l’après-guerre est très nette, notamment dans l’enseignement, la politique et l’administration.
87Botti A., Cielo y dinero: el nacionalcatolicismo en España (1881-1975), Madrid, Alianza, 1992 ; Ortiz Heras M. et González Madrid D. A. (dir.), De la cruzada al desenganche: la Iglesia española entre el franquismo y la transición, Madrid, Silex, 2011 ; Saz I., « Entre el nacionalcatolicismo y el fascismo. Las religiones del franquismo », Storicamente, 2019, vol. 15-16, p. 1-22.
88Decreto por el que se reorganiza el Patronato del Reformatorio de Menores de Madrid, Boletín Oficial del Estado, no 36, 05-02-1942.
89Lettre du secrétaire général du CSPM au président du TTM de Valence, datée du 4 novembre 1942 ; ASCPM, carton no 908.
90Roca Chust T., Historia de la Congregación de Religiosos Terciarios Capuchinos de Nuestra Señora de los Dolores, op. cit., vol. V, p. 17.
91De la Cueva Merino J., « Religión », Álvarez Junco J. et Shubert A. (dir.), Nueva historia de la España contemporánea (1808-2018), Barcelone, Galaxia Gutenberg, 2018, p. 477.
92Casanova J. (dir.), Cuarenta años con Franco, Barcelone, Crítica, 2015, p. 74.
93Il définit « l’État catholique » comme un État de confession catholique, « dans la lignée la plus pure de l’Espagne traditionnelle ». Roca Chust T., Historia de la Congregación de Religiosos Terciarios Capuchinos de Nuestra Señora de los Dolores, op. cit., vol. III, 1986, p. 192.
94Ibid., vol. V, 1989, p. 18.
95Lluch Arnal E., Crónica de la XIII Asamblea General de la Unión Nacional de Tribunales Tutelares de Menores de España: celebrada en Valencia en mayo de 1950, Valencia, s. n., 1950.
96Palacios Sánchez J., op. cit., p. 239-241.
97La Greca J., « Tendencias evolutivas en el tratamiento de los menores delincuentes », Menores, no 5, 1984, p. 34-45.
98Voir Nuq A., « “L’affaire Michel del Castillo”, une campagne de protestation contre les maisons de redressement espagnoles (1957-1959) », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », 2011, no 13, p. 43-59.
99Entretien avec M. del Castillo (03-06-2010).
100Palacios Sánchez J., op. cit., p. 273-277.
101Editorial signé par Puidgollers M., Revista de la Obra de Protección de Menores, no 113, 1967.
102Decreto 1480/1968, de 11 de julio, por el que se modifican determinados artículos del texto refundido de la legislación sobre Protección Menores, aprobado por Decreto de 2 de julio de 1948, Ministerio de Justicia, BOE, 11-07-1968, Sección I.
103Journal Norte Express, Vitoria, 31-08-1968.
104Las Provincias, Valence, 16-12-1969 ; Levante, Valence, 17-12-1969 ; Jornada, Valence, 17-12-1969.
105Región, Oviedo, 01-12-1970 ; ABC, Madrid, 07-07-1971 ; Hierro, Bilbao, 12-07-1971 ; La Vanguardia, Barcelone, 08-02-1972 ; El Adelanto, Salamanque, 16-04-1972.
106Palacios Sánchez J., op. cit., p 276.
107Consejo Superior de Protección de Menores, Memoria 1972, Madrid, Imp. Domenech, 1973, p. 39.
108de Ybarra y Bergé J., « Introduction », Consejo Superior de Protección de Menores, Memoria, Madrid, Ministerio de Justicia, 1971, p. 5.
109Orden por la que cesa como Vicepresidente segundo del Consejo Superior de Protección de Menores el excelentísimo señor don Javier de Ybarra y Bergé, BOE, no 272, 13-11-1973 ; Orden por la que se nombra Vocal de libre designación del Consejo Superior de Protección de Menores al excelentísimo señor don Javier de Ybarra y Bergé, BOE, no 272, 13-11-1973.
110L’épisode est raconté par l’un de ses fils dans un chapitre intitulé « L’ETA entre chez nous » : de Ybarra e Ybarra J., Nosotros, los Ybarra: vida, economía y sociedad (1744-1902), Barcelone, Tusquets, 2002, p. 15-38.
111Díaz Morlán P., « Los Ybarra contra el “Síndrome de Buddenbrooks”: el éxito de seis generaciones de empresarios (1801-2001) », Robledo Hernández R. et Casado Alonso H. (dir.), Fortuna y negocios: formación y gestión de los grandes patrimonios (siglos xvi-xx), Valladolid, Universidad de Valladolid, 2002, p. 275-300.
112Luis J. P., L’utopie réactionnaire. Épuration et modernisation de l’État dans l’Espagne de la fin de l’Ancien Régime (1823-1831), Madrid, Casa de Velázquez, 2002.
Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008