Le contexte religieux de la grève du Joint français
p. 145-170
Texte intégral
1Dans son excellente analyse du mythe du Joint français1, Vincent Porhel a mis en évidence une triple réduction mémorielle : la distorsion précoce entre la réalité du conflit et son interprétation ; dans celle-ci, la survalorisation du soutien aux grévistes par rapport à la grève proprement dite ; enfin, la caractérisation de ce soutien comme expression d’une revendication régionale et déclencheur, dira-t-on a posteriori, d’un « Mai breton » à retardement. C’est au fond ce qu’affirmait de façon lapidaire une affiche placardée à l’époque par des militants de l’Union démocratique bretonne (UDB) : « Joint français, combat de tous les travailleurs bretons2 ». Porhel observe fort justement que cette polarisation a conduit à sous-estimer d’autres caractéristiques de l’événement, et notamment le rôle qu’y ont joué les acteurs religieux3. Certes, nul ne songe à interpréter la grève du Joint français comme une grève catholique, à l’inverse de ce qui s’est produit très tôt pour celle des Lip, à Besançon, l’année suivante4, et pourtant il vaut la peine de réexaminer cet aspect de la question5. Je rappellerai d’abord l’importante implication des catholiques dans ce conflit social. Je tâcherai ensuite d’expliquer certaines prudences, absences ou réticences. J’examinerai enfin les incidences proprement religieuses de cette grève dans un diocèse touché, plus profondément que d’autres, par la crise post-conciliaire et les remous de Mai 686.
Implications
2« L’Église, c’est un monde », selon le mot fameux d’Émile Poulat, mais c’est aussi, selon le concept de Pierre Bourdieu, un « champ » où se distinguent, et s’affrontent parfois, des agents différemment situés7. Il n’est donc pas inutile de préciser d’entrée que sur les 506 000 habitants des Côtes-du-Nord recensés en 1968 (dont 55 000 à Saint-Brieuc), environ 500 000 sont canoniquement catholiques, puisque baptisés. « Il y a très peu de chrétiens non-catholiques et très peu de non-baptisés », précise l’évêque de Saint-Brieuc dans son rapport aux autorités romaines pour la visite ad limina de 19728. « 700 prêtres, 2 000 religieuses et près de 500 000 laïcs », résumait deux ans plus tôt un bon connaisseur du diocèse, mais sur ces derniers, ajoutait-il, « combien se contentent d’un contact au baptême, au mariage, à Pâques, Toussaint ou Noël, à moins que ce soit au pardon annuel9 » ? L’évêché estime que la pratique dominicale « varie selon les lieux entre 10 et 70 % » et que « la moyenne que l’on retrouve le plus fréquemment est aux alentours de 30 %10 ». Les laïcs actifs, ceux qui s’investissent dans les œuvres ou les mouvements, sont évidemment beaucoup moins nombreux, sans doute quelques milliers, mais c’est surtout à partir d’eux, et bien entendu des prêtres et des religieuses, que l’on perçoit l’engagement catholique dans l’affaire du Joint français.
3Si la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) est peu implantée dans l’usine, malgré la forte proportion de jeunes parmi les salariés de l’entreprise, il n’en va pas de même de l’Action catholique ouvrière (ACO), qui y compte un certain nombre de militants. Le 20 mars, un bref communiqué, signé conjointement par ces deux mouvements d’Action catholique, est rendu public. Trois jours après l’évacuation, par les gendarmes mobiles, de l’usine occupée, il prend nettement parti, dénonçant la « répression patronale et policière », se félicitant que ce conflit soit l’occasion d’une « prise de conscience de la classe ouvrière », et saluant le mouvement de solidarité qui commence à s’exprimer. Lestée d’une interprétation religieuse qui a aussi valeur de légitimation, la conclusion est sans ambiguïté : « L’Action catholique ouvrière et la Jeunesse ouvrière chrétienne de Saint-Brieuc reconnaissent dans ce combat et cette solidarité, la fraternité et la dignité de l’homme annoncées par Jésus-Christ. Elles se déclarent solidaires des travailleurs en lutte pour leur avenir et celui de toute la région11. »
4La plupart des militants ACO de Saint-Brieuc sont à la CFDT, dont on sait les origines chrétiennes, mais quelques-uns ont fait le choix de la CGT : ils sont les héritiers du courant chrétien progressiste favorable au compagnonnage avec le Parti communiste, courant non négligeable en Côtes-du-Nord dans les années 1950. Cette diversité d’engagements se révèle précieuse dans un conflit où les tensions vont croissant entre les deux syndicats à mesure que la CFDT prend la main dans la conduite de l’action. « Parfois on a cru que c’était la rupture, et puis c’est reparti », dira après coup un militant bien conscient que le dialogue au sein des équipes d’ACO a pu contribuer, au moins indirectement, au maintien de l’unité syndicale12. Au Joint français, il y a aussi un prêtre-ouvrier, Lucien Beurel, embauché en 1971. S’il n’a rien de l’activiste gauchiste que sera un an plus tard, chez Lip, le dominicain Jean Raguénès, Beurel n’en est pas moins très impliqué dans la grève en tant que syndiqué CFDT.
5Pour continuer la comparaison avec Lip, il est clair qu’on ne voit pas parmi les ouvriers du Joint français l’équivalent d’un Charles Piaget. Le leader charismatique, ici, vient de l’extérieur, en la personne du secrétaire départemental de la CFDT, dont le rôle est décisif dans la conduite de l’action syndicale pendant le conflit. Jean Le Faucheur, ancien jociste passé par le Mouvement de libération du peuple (MLP) et adhérent du PSU, est typique de ces chrétiens de gauche qui ont associé, dans des proportions variables, le militantisme d’Action catholique, l’engagement syndical et la participation à la construction d’une nouvelle offre politique entre le PCF et la SFIO, le tout en articulant les plans sans jamais les confondre. Dans le vibrant hommage qu’il lui a rendu lors de ses obsèques en 2011, Elie Geffray a parfaitement caractérisé « ce militant indissociablement mais distinctement chrétien et militant13 ». S’il ne porte donc pas sa religion en bandoulière, Le Faucheur est assurément un catholique notoire. Il en va de même d’une autre personnalité emblématique, Jacques Galaup, ancien de la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC), professeur d’anglais, pilier du SGEN et membre du PSU lui aussi, adjoint à la culture dans la municipalité qui soutient les grévistes, cette municipalité d’union de la gauche, dirigée par Yves Le Foll, qui avait conquis la mairie en 1962 en dépassant précisément le vieux clivage entre laïques et catholiques14.
6L’aide en nature apportée très tôt par les paysans porte également, à certains égards, sinon la marque du moins la trace de la sociabilité d’Action catholique. De nombreux responsables de la FDSEA et du CDJA sont des anciens de la Jeunesse agricole catholique (JAC) ou du Mouvement rural de la jeunesse chrétienne (MRJC) qui lui a succédé au début des années 1960, et quand bien même plusieurs ont abandonné tout engagement proprement religieux15, il leur reste des réflexes qu’ils partagent avec les syndicalistes ouvriers issus de la JOC16. Cet héritage commun joue sans doute le 13 mars, lorsque Jean Le Faucheur convainc André Etesse de mettre en œuvre une fourniture gratuite de produits agricoles aux ouvriers du Joint français. « Distribution symbolique », explique Etesse lors de la première opération, une semaine plus tard, et Ouest-France, filant une métaphore biblique, note que « les grévistes ont évidemment accueilli avec plaisir cette manne qui leur tombait en forme de beurre, de lait, de choux-fleurs, de pommes de terre et autres légumes. Mais par-dessus tout, ce qui a été apprécié, c’est précisément le symbole, c’est-à-dire la solidarité17 ».
7La solidarité avec les travailleurs du Joint français est particulièrement sensible dans deux paroisses populaires, celle du Sacré-Cœur des Villages, à laquelle est rattaché Lucien Beurel et dont Yves Bonniec est le curé, et celle de Cesson-Ginglin, sous la houlette de Job Martin18. Elle se ramifie en ville sous l’influence des prêtres, religieuses et laïcs investis dans le dispositif de « mission permanente dans les milieux sociologiques ». Lancé en décembre 1965, à l’issue de la grande mission urbaine de Saint-Brieuc et en pleine euphorie conciliaire, ce dispositif visait, sur fond d’observations sociologiques présentées comme normatives19, à dépasser un modèle jugé obsolète, celui de la paroisse et des œuvres20, par un autre estimé plus efficace, celui de la pastorale de zone à base d’Action catholique spécialisée, qui distinguait en l’occurrence le monde ouvrier, les milieux indépendants, le monde des jeunes et celui des enfants21. Mais en 1972 seule la Commission d’évangélisation du monde ouvrier (CMO), animée par Bonniec, fonctionne encore vraiment22. Elle a la faveur d’un certain nombre de jeunes prêtres qui exercent en ville et surtout celle de la majorité des aumôniers diocésains qui logent à la Maison des Œuvres – les « chefs-d’œuvre » comme on les désigne joliment.
8C’est précisément de ce staff de clercs influents qu’émane, le 12 avril, sous la forme d’un tract ronéoté, la prise de position de « 50 prêtres de Saint-Brieuc ». Rédigé par André Loisel, curé de la cathédrale et responsable de zone, discuté et amendé à la Maison des Œuvres23 avant d’être proposé à la signature24, ce texte vaut d’être cité intégralement :
« Après trois semaines de grève partielle, le conflit du Joint Français en est à sa cinquième semaine de grève illimitée.
Pour tout un ensemble de salariés, les droits essentiels à un salaire décent et à la sécurité de l’emploi ne sont plus sauvegardés. Le monde des travailleurs est humilié et souffre. La colère monte dans les esprits et dans les cœurs. La violence a pris le pas sur la négociation. L’avenir économique de notre ville de Saint-Brieuc est menacé. La décentralisation ne saurait se faire à n’importe quel prix.
Prêtres, partageant l’angoisse des habitants de Saint-Brieuc, nous ne pouvons accepter cette situation.
Notre mission nous a déjà conduits à nous interroger avec d’autres chrétiens de divers milieux. Aujourd’hui, nous prenons mieux conscience de l’enjeu du conflit en cours.
Sans prétendre avoir fait le tour d’un problème aussi complexe, nous avons conscience de nous trouver là en face des méfaits d’un système économique matérialiste que nous dénonçons avec force.
Les impératifs économiques, si souvent mis en avant, ne peuvent justifier :
– ni le mépris de la dignité des personnes et des familles,
– ni le refus du dialogue,
– ni la méconnaissance des organisations syndicales et professionnelles,
– ni l’intervention des forces de police,
– ni l’exploitation économique d’une région défavorisée.
Nous sommes solidaires de tous ceux qui souffrent, et nous participons, à notre place, à l’effort de solidarité qui se développe de jour en jour.
Nous sommes solidaires de ceux qui luttent pour l’avenir de notre région au sein de leurs organisations.
Nous sommes solidaires de tous ceux qui cherchent à établir le dialogue dans la vérité.
Nous appelons les chrétiens à un effort réel de compréhension et de solidarité.
“Des hommes – croyants ou non – luttent pour la justice et pour la paix. Aucun chrétien ne peut rester à l’écart. Il y va du sérieux de l’Évangile” (Épiscopat français – Lourdes 1971).
Fêter le Christ de Pâques, le “Vivant”, “l’Homme Nouveau”, exige que nous œuvrions pour le développement de tout l’homme et de tous les hommes25. »
9Par rapport au communiqué de l’ACO et de la JOC un mois plus tôt, on voit que le ton s’est durci, parce que le conflit s’enlise et que la tension est montée d’un cran depuis la séquestration par des grévistes et la libération par la police, les 5 et 6 avril, des délégués patronaux qui, sur la pression du directeur de cabinet du ministre du Travail, étaient venus négocier mais sans propositions sérieuses. On remarquera que, dans ce texte très politique, les considérants religieux sont réduits à une exhortation finale, au terme d’un exposé qui ne les aurait pas imposés26, n’eût été la profession des signataires et leur volonté de peser ès-qualité sur le cours des choses. Sans doute s’agit-il aussi pour les rédacteurs de rallier les plus modérés parmi leurs confrères, tout comme le fait que le système dénoncé soit désigné non comme capitaliste, l’adjectif que l’on aurait attendu dans la logique du raisonnement, mais comme « matérialiste », terme qui ouvre la voie à la même disqualification religieuse que celle dont est frappé depuis longtemps le communisme27.
10« 50 » signataires, comme le dira l’ACO a posteriori ? « Une cinquantaine », selon ce qu’indique Le Télégramme le 13 avril28 ? Un témoin particulièrement bien placé estime à 35 ou 40 ceux qui ont donné leur accord formel29. En toute hypothèse, c’est beaucoup, bien plus de la moitié des prêtres qui exercent ou résident dans la zone pastorale de Saint-Brieuc. Dans son énumération des dernières prises de position en faveur des grévistes, après « le CDJA », « le PCF » et « l’UDR », Le Télégramme écrit carrément « Les prêtres », laissant croire abusivement que le clergé briochin est unanime, mais le fait est qu’il s’y trouve, à ce moment en tout cas, une forte majorité pour partager cette condamnation de l’intransigeance de la direction du Joint français30.
11Il faut ajouter que, par ailleurs, les grands collèges catholiques contribuent à la lecture bretonne de l’événement. On sait que s’y étaient développés, depuis 1959, des Groupes d’études économiques et sociales (GEES) ouverts aux élèves volontaires des classes de second cycle. En gros, les GEES avaient modernisé la formule des cercles d’études en s’inspirant des méthodes d’enquête de l’Action catholique et en se focalisant, à l’instar du Bleun-Brug, sur les spécificités de la Bretagne, dont ils mettaient en évidence le sous-développement. Après un trou d’air dans la deuxième moitié des années 1960, du fait notamment du déclin des internats, les GEES s’étaient relancés au début des années 1970, mais en se positionnant nettement à gauche31. Au congrès de Morlaix, le 12 mars 1972, ils se définissent comme des groupes « de formation à la politique et d’expérimentation à l’action32 ». Leur président, Jean-Pierre Thomin, souligne, deux mois plus tard, l’importance politique du conflit du Joint français où les travailleurs ont posé « le problème de la décentralisation et du développement économique de la Bretagne ». La grève, assure un autre rédacteur de Yaouank, « a montré une importante prise de conscience du peuple breton dont on ne peut encore mesurer tous les effets, et c’est peut-être à ce niveau que se situe la plus importante victoire des travailleurs du Joint33 ».
12Prise de conscience de classe, assurent l’ACO et la JOC, prise de conscience bretonne, proclame le bulletin des GEES. Ces rêves militants se heurtent sur le terrain à une réalité plus prosaïque. Les travailleurs du Joint français réclament avant tout une augmentation de salaire, et beaucoup, notamment ceux qui habitent à la campagne et tirent encore une partie de leurs ressources de modestes cultures potagères, restent assez passifs dans un mouvement où les syndicats sont à la manœuvre avec les groupuscules gauchistes en mouches du coche34. De même, le « soutien » et la « solidarité » qui leur sont manifestés à l’envi n’ont pas tous, loin s’en faut, une coloration idéologique. On donne pour aider les familles des grévistes sans partager forcément toutes les revendications sociales, et encore moins politiques, générées par le conflit35. Mais on donne36. L’apport des paroisses de la ville, et même du diocèse, n’est pas négligeable. Dès la mi-mars, et plus encore en avril, la messe dominicale est parfois l’occasion d’un geste de soutien. Ici le curé parle du conflit dans son sermon, là il autorise des militants à prendre la parole à la fin de l’office, et on fait la quête à la sortie. Des prêtres figurent même dans des comités de soutien, à Lannion comme à Corlay37. Et les équipes d’ACO contribuent à sensibiliser les salariés des autres entreprises, mais également le tout-venant à travers des collectes à la porte des magasins ou sur la voie publique.
13Les communautés religieuses ne sont pas en reste. Par exemple, le chapitre des Filles du Saint-Esprit, réuni à la maison-mère à Saint-Brieuc, verse l’argent économisé par le jeûne d’un repas après que le célébrant occasionnel de la messe matinale, Henri Cocheril, a, pendant l’offertoire, mentionné qu’il revenait du piquet de grève du Joint38. L’enseignement catholique s’associe à l’élan de sympathie : gratuité de la cantine – comme dans les écoles publiques – pour les enfants de grévistes, mais aussi organisation de fêtes ou de tournois afin de collecter des fonds au profit des travailleurs du Joint français. Le 13 avril, le Secours catholique livre 10 000 boîtes de lait concentré sucré et il en profite pour demander que « tout soit mis en œuvre pour que reprennent les négociations et qu’aboutissent les justes revendications des travailleurs39 ». Plus inattendu, même l’Action catholique des enfants (ACE) joue son rôle, en tant que chambre d’écho de ce qui se dit dans les cours d’école ou dans les familles40. On pourrait continuer : c’est tout le réseau catholique qui se mobilise, en des proportions variables et sous des formes variées, à un moment ou un autre – et de plus en plus à mesure que le conflit s’éternise.
Embarras
14Si les catholiques ont largement participé au mouvement de sympathie qui s’est développé autour des grévistes du Joint français, ce n’est donc pas sans nuances ni sans différences dans l’appréciation des enjeux de l’événement. Quatre cas singuliers méritent examen : la prudence épiscopale, la présence marginale de Boquen, la faible visibilité des mouvements de jeunesse, la discrétion de l’Action catholique des milieux indépendants (ACI).
15L’évêque de Saint-Brieuc prend occasion de la Semaine sainte pour déclarer, le 30 mars, que les chrétiens ne peuvent rester indifférents « devant des événements qui engendrent des remous, des affrontements dans le domaine de la vie sociale, ainsi que des souffrances et des épreuves morales, bien lourdes parfois41 ». On s’est parfois étonné de la circonspection de ce texte qui ne nomme jamais le Joint français et où l’actualité est soigneusement enrobée dans des considérations sur le mystère pascal42. En fait, sachant pertinemment que ses diocésains sont partagés, le prélat s’appuie sur une encaisse religieuse, familière à ceux auxquels il s’adresse, pour répandre une monnaie sociale qui n’est pas négligeable : il appelle au « dialogue », alors que la direction de l’entreprise refuse de véritables négociations, et à la « solidarité », ce qui est encourager les catholiques engagés dans les diverses formes de soutien aux grévistes. Il faut bien voir que Mgr Kervéadou marche sur des œufs. Son prédécesseur, Mgr Coupel, s’était fâcheusement illustré en mars 1959 en faisant lire dans les paroisses briochines, le jour du deuxième tour des élections municipales, une déclaration hostile à la liste d’union de la gauche parce qu’elle intégrait le Parti communiste, ce qui avait entraîné, après la victoire de la droite, un recours devant le Conseil d’État, l’annulation du scrutin en 1962 et de nouvelles élections remportées cette fois par les vaincus de la veille. L’affaire, qui restait bien présente dans la mémoire locale, avait divisé la communauté chrétienne, parce que l’Action travailliste, l’une des composantes de l’union de la gauche, comptait en ses rangs un certain nombre de catholiques derrière le docteur Rahuel, ancien de l’Association catholique de la jeunesse française (ACJF)43. Or ce sont en grande partie les mêmes qui, en 1972, sont en première ligne dans le soutien aux grévistes du Joint français.
16La prudence de l’évêque s’explique encore mieux si l’on considère la crise que traverse alors le diocèse de Saint-Brieuc, qui est un exemple saisissant et particulièrement accusé du retournement de conjoncture qui s’est produit quelques années après la fin de Vatican II. Arrivé en 1961 à la manière d’un prélat à l’ancienne, Mgr Kervéadou s’était converti avec enthousiasme à l’esprit conciliaire, au point d’imaginer dès 1966 un synode diocésain dont la première session, en 1969, parut prometteuse44, mais dont la seconde, en 1970, révéla des clivages si importants45 qu’on préféra renoncer à tenir la troisième. Les tensions dans le clergé s’étaient manifestées dès 1968. Elles s’étaient crispées en 1969 lorsque, à la suite d’une indiscrétion délibérée d’un curé conservateur, les observations critiques sollicitées par l’évêque auprès des jeunes prêtres de la zone pastorale de Saint-Brieuc avaient été communiquées à divers confrères du diocèse46. Elles s’étaient accentuées ensuite dès lors que, avec un temps de retard mais avec une vigueur accrue, les revendications formulées en 1968 par les prêtres contestataires du mouvement Échanges et Dialogue trouvaient un écho dans les Côtes-du-Nord47. En juin 1971, 14 prêtres du diocèse, dont Michel Lefeuvre, professeur de philosophie au grand séminaire, avaient rendu publique une lettre dans laquelle ils demandaient « que le prêtre puisse librement exercer une activité professionnelle, s’engager dans une option politique s’il en ressent la nécessité et se marier si telle est sa vocation profonde48 ».
17À cela s’ajoutait la brutale dégradation du recrutement sacerdotal. Entre 1962 et 1968 Mgr Kervéadou avait ordonné 76 prêtres, soit encore près de dix par an, mais seulement trois en 1969, deux en 1970 et aucun (du jamais vu) en 1971. Situation d’autant plus préoccupante que, entre 1967 et 1971, 21 prêtres avaient quitté le ministère, dont plusieurs jeunes fraîchement entrés dans la carrière49. On comprend qu’à la veille de la grève du Joint français l’évêché avait d’autres soucis que ceux des questions économiques et sociales. Réuni le 7 janvier 1972 pour « prendre le pouls » de ce diocèse bien malade, le conseil épiscopal se félicitait que la fièvre des trois dernières années fût un peu retombée, mais redoutait une paralysie du clergé en raison du découragement des uns, du scepticisme des autres, de la lassitude de beaucoup, des raidissements suscités par la concurrence des anciens et nouveaux modèles pastoraux, des antagonismes entre partisans et adversaires des réformes conciliaires, des incompréhensions entre urbains et ruraux, et tout bonnement du conflit des générations, sans compter les effets déprimants du départ de certains parmi les meilleurs et les plus influents du corps sacerdotal50. Il s’agissait donc, en priorité, de réussir le lancement du conseil presbytéral grâce auquel Mgr Kervéadou entendait bien renouer, à la faveur d’une scène plus étroite et moins inflammable, le dialogue interrompu après la deuxième session du synode. Mais il fallait également surveiller ce qui se passait à l’abbaye de Boquen, car la destitution de son prieur, Bernard Besret, en octobre 1969, par les autorités romaines, avait contribué elle aussi à déstabiliser le diocèse, l’abbaye étant devenue depuis le symbole et le lieu de convergence de la contestation catholique51.
18Mais précisément, dans l’affaire du Joint français on ne voit guère Boquen qu’à la marge. On sait que depuis le 17 mars les gendarmes mobiles, qui avaient évacué les grévistes qui occupaient l’usine, étaient logés à l’école d’horticulture de Saint-Ilan, tenue par les spiritains, ce qui pouvait suggérer l’idée que l’Église se faisait la complice du pouvoir et du patronat. Mais la Ligue communiste avait échoué à rallier la JOC et le MRJC, et même la Communion de Boquen, à un projet de manifestation sur ce thème d’autant plus ambigu que l’école avait été l’objet d’une réquisition contre laquelle la direction, le personnel et les élèves avaient protesté publiquement52. Un comité Saint-Ilan, constitué péniblement le 30 mars autour de quelques individualités ayant finalement obtenu l’appui de Bernard Besret via l’association culturelle de Boquen, n’eut, au dire de bons observateurs, qu’une « existence plus symbolique que réelle », d’autant plus que sa raison d’être tomba d’elle-même quelques jours plus tard53.
19Il faut bien voir que les animateurs de Boquen avaient, au moment de la grève du Joint français, de toutes autres préoccupations, puisque, à la demande des responsables de la Fédération des groupes Témoignage chrétien et de Vie nouvelle, ils avaient accepté d’organiser à Rennes, lors du week-end prolongé du 29 avril au 1er mai 1972, un grand rassemblement national où les chrétiens contestataires essaieraient de se mettre au clair sur leur rapport à l’Église54. Confronté d’abord aux critiques de certains groupes qui se plaignaient de n’avoir pas été associés à l’initiative, puis à l’hostilité de l’épiscopat breton qui s’inquiétait de l’influence croissante de Boquen et faisait tout pour contrarier le projet55, Bernard Besret était donc complètement absorbé par la préparation de cette rencontre. Début avril, au moment où la tension est à son comble autour du Joint français, elle l’est aussi entre l’épiscopat et la nébuleuse de la gauche catholique qui, devant le raidissement hiérarchique, a mis en sourdine ses dissensions internes56.
20Indépendamment de cette situation conjoncturelle qui ne permet pas à Boquen de suivre de près la grève du Joint français57, le fonctionnement habituel de l’abbaye ne l’y dispose pas non plus. Les questions temporelles qui s’y agitent ordinairement sont plutôt de type politique, d’ordre théorique et d’horizon international : seul Paul Houée, prêtre et sociologue de terrain dans la lignée du père Lebret, se préoccupe vraiment de l’insérer dans la réalité économique et sociale de son environnement rural. Mais surtout les préoccupations de Boquen sont religieuses avant tout58. C’est d’ailleurs ce tropisme, d’une part, et sa neutralité politique entre réformistes et révolutionnaires, d’autre part, qui lui ont valu d’être sollicitée pour être l’organisatrice du rassemblement de Rennes. Pour l’ACO, qui décline d’ailleurs l’invitation qui lui a été faite de participer à la rencontre, Boquen est somme toute une affaire de petits bourgeois59. Une affaire d’intellos pour l’ACI, qui boude pareillement. Une affaire « de jeunes », simple litote pour ne pas dire utopique, aux yeux du clergé briochin engagé, lui, dans la pastorale concrète des milieux60.
21Précisément, si les jeunes en général, notamment les lycéens, sont très présents dans l’événement du Joint français, surtout à l’extrême gauche avec le « Comité de soutien à la lutte des travailleurs du Joint », les jeunes catholiques n’y apparaissent pas beaucoup ès-qualité. Le 10 avril, les responsables départementaux du MRJC publient un étonnant communiqué en forme d’aveu d’impuissance : « Le MRJC des 22 n’a pas pris position ouvertement parce qu’aucune équipe et pratiquement aucun jeune du mouvement ne s’est manifesté. Dans ces circonstances, nous ne voyons pas au nom de qui nous aurions pris position… Très peu de jeunes des équipes de Saint-Brieuc ont participé aux meetings de solidarité61… » Ces points de suspension en disent long sur la situation de ce mouvement qui souffre à la fois de ses tensions internes et de l’évaporation de ses meilleurs militants, rapidement aspirés par le CDJA ou la CFDT62. Ce n’est que le 18 avril, jour de la grande manifestation à Saint-Brieuc, que le MRJC Bretagne affiche sa solidarité avec les grévistes63. La JEC, elle, est carrément muette. Il est vrai qu’en quelque sorte elle « n’existe pas64 ». Profondément divisée, tant au niveau de ses militants qu’à celui de ses aumôniers, depuis qu’en 1970 le conseil national d’Amiens a adopté des lunettes marxistes et une ligne gauchiste, la JEC subit partout une hémorragie d’effectifs65, encore accentuée, au diocèse de Saint-Brieuc, par la concurrence des GEES dans les collèges catholiques. Isolée au sein de l’Action catholique par les mouvements en O et en I qui déplorent ses excès et la battent froid, ce qu’elle leur rend bien, elle tend à se dissoudre de facto dans les aumôneries de lycée.
22JEC, aumôneries de lycée, et aussi quelques francs-tireurs de l’enseignement catholique, c’est un monde en soi et un monde à part66, qui penche vers le gauchisme et regarde vers Boquen, mais dont la cohérence est mal assurée, du fait de la forte personnalité de plusieurs aumôniers, de la marginalisation ou du départ de certains d’entre eux et de l’absence de projet commun entre les autres67. Ce chaudron stimulant mais fortement déstabilisant conduit les lycéens qui y sont plongés à deux types de trajectoire : les uns découvrent une nouvelle intelligence ou une nouvelle expérience de la foi et s’y investissent en priorité, délaissant la scène sociale et rejoignant les affidés de Boquen ; les autres, qu’ils aient ou non perdu la foi au passage, opèrent une sorte de transfert messianique de la religion à la politique, ralliant les groupuscules gauchistes, notamment maoïstes, dont ils deviennent parfois les cadres les plus influents68. On n’y songe pas spontanément mais dans l’affaire du Joint français l’empreinte du catholicisme tient également à ces militants d’origine chrétienne qui s’agitent à l’extrême gauche69.
23La discrétion de l’ACI est un autre sujet de réflexion. Alors que la JOC et l’ACO font naturellement écho aux revendications des grévistes, elle-même n’est représentative ni de la direction ni de l’encadrement de l’entreprise. L’ACI briochine en 1972, c’est une dizaine d’équipes féminines, qui s’inquiètent des problèmes nouveaux de l’éducation ou de la vie familiale, et deux équipes d’hommes, artisans et petits commerçants en majorité, que préoccupe la déstabilisation de leurs secteurs professionnels traditionnels. Les classes moyennes sont si majoritaires à l’ACI que les éléments bourgeois préfèrent l’entre soi de structures corporatives comme le Centre catholique des médecins français (CCMF) ou le Centre français du patronat chrétien (CFPC), ou proprement spirituelles comme les Équipes Notre-Dame. Il se trouve même quelques femmes bien nées pour choisir de se réunir à part au sein de deux équipes aristocratiques70. Il est symptomatique que la seule expression publique venue du monde des cadres catholiques soit la déclaration tardive, le 29 avril, du bureau national du Mouvement des cadres, ingénieurs et dirigeants chrétiens (MCC), apportant son soutien aux travailleurs du Joint français et demandant à la direction de la CGE « d’engager de véritables négociations71 ». Symptomatique aussi, le fait que dans le texte lu à la chapelle Sainte-Anne du Roudourou, à Guingamp, les 8 et 9 avril, afin d’inciter les fidèles à donner à la quête pour les grévistes, on se refuse à prendre position sur le fond du conflit faute d’éléments, « notamment d’origine patronale », pour pouvoir porter un jugement72. L’information entre l’évêché et le patronat circule à l’ancienne, par des contacts discrets et interpersonnels, et non par des relations transparentes et institutionnelles73.
24Les aumôniers d’Action catholique n’attendent donc pas de l’ACI qu’elle contribue, comme l’ACO, à la résolution du conflit. C’est même exactement l’inverse : ils espèrent que le conflit permettra de faire évoluer la mentalité des milieux indépendants. Le 4 mars encore, lors d’une réunion des prêtres du secteur centre de Saint-Brieuc (paroisses de la cathédrale et de Saint-Michel) en présence de l’évêque, on se plaignait d’une bourgeoisie catholique consommatrice de messes et de sacrements mais rétive à l’Action catholique et plus portée à rendre service qu’à s’interroger74. À Saint-Brieuc comme ailleurs, l’ACI est aussi une étiquette de convenance apostolique couvrant parfois des activités typiques des œuvres traditionnelles. Comme le dira crûment l’ACO de Besançon, au moment de la grève des Lip, il arrive que l’ACI rassemble moins de militants que de « piliers de kermesse75 ».
25C’est donc pour « aider les milieux indépendants à vivre, à leur manière, ces événements76 », que la CMI et l’équipe fédérale ACI diffusent, le 24 mars, une brève note en forme de tract. Après avoir concédé « la difficulté d’être objectifs et la complexité des analyses économiques », le texte s’inquiète de réactions de classe, même s’il se garde bien de les nommer ainsi : « Tributaires de la mentalité de nos milieux et réagissant en conséquence, nous risquons, à défaut de réflexions approfondies, de nous contenter de slogans faciles. “Ces gens-là… Ils suivent des meneurs… C’est politisé… Il y a trop de mauvais esprit à Saint-Brieuc, aucune entreprise ne viendra s’y installer…” etc. » La suite a tout d’un appel à l’examen de conscience (« Ne sommes-nous pas invités ? […] Concevons-nous et accueillons-nous ? […] Respectons-nous ? ») qui se termine par une citation de Paul VI demandant aux patrons chrétiens de faire de leur entreprise « une communauté de personnes77 ». Malgré le « nous » prophylactique, qui escamote le fait que ce sont évidemment les aumôniers qui tiennent la plume, le ton est à double tranchant : il peut prendre sur ceux qui ont encore des réflexes d’adhésion à l’autorité, mais il risque d’exaspérer ceux qui n’en peuvent plus du cléricalisme, fût-il masqué par un paravent de laïcs choisis. Presque simultanément, les équipes prennent connaissance d’une autre réflexion, plus longue, plus argumentée et à portée plus générale, sur « Les milieux indépendants et la justice dans le monde », émanant des responsables nationaux de l’ACI, de la Jeunesse indépendante chrétienne, masculine et féminine (JIC-JICF) et de l’ACE78. « Certains se sont sentis directement accusés par ce texte. D’autres […] ont éprouvé une vraie libération », dira, trois mois plus tard, l’aumônier diocésain de l’ACI, constatant qu’à la suite du choc créé par ces deux documents « des clivages de plus en plus nets apparaissent » dans les milieux dont il a la charge79. Mais rien ne permet d’assurer que cette littérature ait eu d’autre effet, sur le déroulement et l’issue de la grève, que, tout au plus, un certain élargissement du périmètre de la solidarité.
Incidences
26L’exemple de l’ACI montre que l’impact du conflit du Joint français sur la scène diocésaine mérite attention, et sans doute faut-il en dire au moins quelques mots. Il apparaît d’abord que les catholiques qui interviennent au cours du conflit n’en font pas forcément une lecture religieuse, et en tout cas pas n’importe où. Les militants de la CFDT, par exemple, y sont d’autant moins enclins qu’ils ont choisi la déconfessionnalisation de leur syndicat huit ans plus tôt et que les considérants économiques et sociaux leur suffisent80. Mais au sein de l’ACO, dont c’est en somme la raison d’être, on peut trouver les mêmes militants contribuant à donner une signification complémentaire à l’événement, et bien d’autres acteurs ne manquent pas de mêler Dieu à l’affaire, sous des formes et pour des raisons diverses. Quelques-uns invoquent seulement les exigences de la charité, la longueur du conflit mettant les familles des grévistes dans la gêne. Mais la plupart de ceux qui invitent à la solidarité estiment que si les ouvriers sont en grève parce que leurs salaires sont trop bas, « il est chrétien », comme le disent les prêtres de la région de Lannion, « de chercher loyalement à voir quelles sont les causes d’une telle situation81 ». Dans une lutte où, par-delà la demande d’augmentation de 70 centimes sur le salaire horaire, l’exigence de « dignité » est assez vite mise en avant, certains s’appliquent « à découvrir et à discerner, au sein des événements vécus, et parmi tant de gestes d’amitié et de solidarité, ce qui, déjà, a une résonance évangélique », selon la recommandation de Mgr Kervéadou82. « Défendre la dignité de l’homme », explique-t-on à Guingamp, « en réclamant des conditions de travail qui ne soient pas déshumanisantes, et un salaire qui permette au temps et au lieu où nous vivons des conditions de vie normales, c’est défendre l’homme créé par Dieu à son image, et dont la dignité est si grande qu’il a envoyé son fils parmi les hommes, homme comme eux, afin de les racheter83 ».
27D’autres vont plus loin dans la transposition, et d’autant plus facilement que la grève est, si j’ose dire, une grève à polarisation pascale, puisqu’elle commence le 14 février, deux jours avant le mercredi des Cendres, et qu’elle s’achève le 8 mai, trois jours avant l’Ascension. Au moment des Rameaux, le bulletin paroissial de Cesson-Ginglin met en série la Pâque des Hébreux, la Pâque de Jésus-Christ et la Pâque des « chrétiens 1972 » telle que ressentie par quelques paroissiens de ce quartier populaire, tous voyant naturellement en Jésus le libérateur, tous, et surtout « un ouvrier », appelant à lutter collectivement contre les injustices : « Seules, les luttes des classes opprimées mènent peu à peu leur libération. Pour nous, Jésus-Christ a résolument condamné les oppresseurs. Il s’est engagé à fond : “Ce que vous ferez au plus petit des miens, c’est à moi que vous le ferez.” Cette seule phrase aurait dû nous libérer. Si elle ne l’a pas fait, c’est que trop de chrétiens nantis sont restés englués dans l’égoïsme engendré par l’argent et le confort84. » Dans la « lecture religieuse de l’événement » au sein des équipes ACO, telle que rapportée au lendemain du conflit, le même parallèle apparaît. « Nous découvrons Pharaon dans le système qui tient l’homme subordonné aux impératifs économiques, à la loi du profit », dit-on ici. « Si nous luttons, c’est au nom de l’homme tel que le veut le Christ », ajoute-t-on là. Dans cette logique, on comprend que l’indifférence ou le manque de solidarité de certains Briochins, l’attitude de la direction du Joint français, l’intervention policière, et même l’exploitation de la grève par les gauchistes du comité de soutien (où, remarque-t-on, il y a beaucoup d’enseignants, « très peu d’ouvriers ») soient lus comme des formes de « péché ». Mais cela va plus loin, puisque les militants ACO ont le sentiment de faire l’expérience de la présence de Dieu dans l’histoire. « Je me demande si ce n’est pas parce que Jésus-Christ est là-dedans qu’on croit à notre action », dit l’un. Pour un autre, « on découvre l’Esprit au travail ». Du Christ et de l’Esprit à l’Église il n’y a qu’un pas : « Nous voyons l’Église en train de naître, elle n’est pas circonscrite par l’Église institution. » Et dans la foulée, « les meetings sont une véritable célébration, on se sent frères appartenant à un même peuple, on se parle, on se tutoie, on communique facilement ; il y a toute une liturgie ». Puissant résumé de cette transfiguration religieuse de l’action sociale dans le témoignage de Lucien Beurel : « Je n’ai jamais vécu Pâques comme cette année. J’ai rencontré un peuple qui souffrait du manque de dialogue et du manque d’argent, et qui se libère en découvrant la solidarité. J’ai senti Jésus-Christ qui faisait équipe avec ce peuple ; je voudrais que ce soit une résurrection complète85. »
28On ne saurait sous-estimer les conséquences de cet investissement religieux du conflit du Joint français. En identifiant subrepticement le peuple de Dieu à la classe ouvrière en lutte, l’ACO stigmatise de facto les autres milieux sociaux, renvoyés à leur péché et priés, on l’a vu, de faire leur examen de conscience. Mutatis mutandis, il se produit ici ce que Renaud Dulong observe à propos de militants du MRJC en voie de radicalisation : en « explicitant le rapport entre leur interprétation du message évangélique et leur pratique révolutionnaire, ils forcent leurs opposants dans l’Église à apparaître réactionnaires », rompant ainsi avec la neutralité supposée du champ ecclésial86. Assez logiquement, la superposition de l’histoire ouvrière et de l’histoire du salut aboutit à une remise en cause de l’exercice ordinaire du culte. À considérer que « l’Église doit être l’Église des pauvres pour être vraie » et que « la messe, ça ne peut être vrai que si on essaye de réaliser ça dans la vie87 », on en vient à trouver l’authenticité eucharistique dans l’entre-soi du monde ouvrier. Le 30 mars, Jeudi-Saint, prêtres, religieuses et militants en lutte célèbrent le « peuple [qui] crie sa volonté de vivre et cherche le sens de son cri » ; le 20 mai, veille de la Pentecôte, vainqueurs, ils se réunissent « pour célébrer les merveilles que Dieu a faites dans son peuple88 ».
29La petite brochure composée par l’ACO trois semaines après la fin du conflit en dit long sur la satisfaction des responsables de la pastorale ouvrière de la zone de Saint-Brieuc. Somme toute, les travailleurs ont gagné (65 centimes d’augmentation du salaire horaire, soit presque autant que ce qu’ils réclamaient au départ), la lutte a été menée avec détermination mais « sans haine », ce dont on crédite implicitement l’habitus chrétien des leaders de la CFDT, les grévistes ont bénéficié d’un soutien d’une ampleur inédite, les éléments gauchistes qui ont tenté d’instrumentaliser le conflit ont été tenus en lisière, et surtout, la solidarité de toute une région s’est fortement exprimée, avec de grands moments comme la manifestation du 18 avril. Mais il y a, au-delà de tout cela, un bonus apostolique : la grève du Joint français a permis à l’Église de manifester sa présence dans le monde ouvrier. Dès le communiqué de la JOC et de l’ACO, le 20 mars, « Michel et d’autres [militants] ont pu expliquer que l’Église était autre chose que l’école libre qui héberge les policiers au service du patronat89 ».
30L’idée semble donc s’imposer de poursuivre et d’accentuer les efforts entrepris pour « rejoindre », comme on dit, le monde ouvrier, et en ce sens la grève du Joint français est un accélérateur pour la stratégie pastorale d’évangélisation par milieux, au moins à Saint-Brieuc. Cela correspond d’ailleurs aux attentes d’un certain nombre de jeunes religieuses qui, depuis le concile, remettent en cause la politique de leurs congrégations consistant à entretenir à grands frais des établissements scolaires ou hospitaliers90. Certaines avaient obtenu de pouvoir s’installer à trois ou quatre « dans une maison comme tout le monde » et travailler plus directement à l’apostolat urbain, mais on ne comptait encore que quatre ou cinq petites communautés de ce type en 1972, et leurs emplois restaient intra-ecclésiaux91. La grève du Joint français conforte les sœurs qui ont fait ce choix d’insertion populaire92, pendant que, dans le clergé, le souci d’insertion ouvrière conduit à l’augmentation du nombre de prêtres-ouvriers : ils sont quatre, dont trois à temps partiel, en 1972 ; cinq autres embauchent dans les deux ans qui suivent93.
31La brochure de l’ACO se clôt sur les réflexions de la CMO. On y trouve une curieuse incise sur « la place de l’évêque dans l’événement », où il est dit que « les commissions d’évangélisation du Monde ouvrier – et du Monde indépendant – apparaissent comme étant le lieu, non seulement d’une information mais d’une authentique recherche apostolique94 ». Non seulement la relégation de la CMI entre tirets suffit à rappeler que c’est la CMO qui donne le ton95, mais encore l’affirmation péremptoire de l’authenticité de la recherche apostolique menée par les deux commissions laisse entendre qu’il n’y a pas matière à discussion et qu’en somme l’évêque lui-même n’a plus qu’à en convenir. Le rapport rédigé quelques semaines plus tard pour la visite ad limina de novembre montre que Mgr Kervéadou n’y contredit pas, indiquant qu’il a « des relations assez fréquentes avec les aumôniers et les militants d’Action catholique » et que ses collaborateurs et lui-même sont convaincus de « la nécessité de donner la priorité à une évangélisation plus collective par milieux de vie96 ». Les orientations pastorales prescrites en octobre pour l’année à venir le confirment sans équivoque :
« Nous ne voulons pas être de ceux-là qui passent leur temps à se plaindre des malheurs des temps ou de la crise de l’Église. […]
Nous constatons souvent une déchristianisation assez marquée dans nombre de nos secteurs, plus particulièrement dans certains milieux de vie. Ce qui fait dire à certains prêtres lors des visites pastorales : “Il suffit que nos gens s’en aillent en ville ou bien changent de milieu, par exemple pour entrer au travail en usine : nous constatons alors que beaucoup, sinon la plupart, décrochent et cessent la pratique religieuse.” […]
Ce sont là des faits. L’Église ne peut s’adresser à ces mondes ou à ces milieux qu’en tenant compte de ce qu’ils sont.
C’est pourquoi nous devons prendre conscience de la priorité que nous devons continuer à donner à l’apostolat des milieux de vie.
L’Action catholique y a sa place privilégiée. Tous, nous devons la soutenir97. »
32Les « faits » sont donc là pour conforter, faute de mieux, un prélat qui ne cache pas aux bureaux romains la difficulté de sa situation. « Nommé évêque de ce diocèse en 1961, écrit-il, j’ai connu une mutation quasi-radicale du ministère épiscopal », expliquant que son pouvoir n’est plus que « persuasif » auprès d’un grand nombre de prêtres et de fidèles. Ses décisions « ne sont pas accueillies, ou bien elles deviennent vite lettre morte », et toute la chaîne du commandement est atteinte : « Les curés-doyens ou autres responsables ont trop de mal à faire admettre leur autorité. Autant dire qu’ils n’en ont plus. » Étonnante mélancolie de Mgr Kervéadou qui, passant tout d’un coup à la troisième personne et se mettant ainsi comme à distance d’un personnage dans lequel il ne se reconnaîtrait plus, avoue que « l’évêque se sent souvent mal à l’aise pour parler et enseigner, non pas qu’il hésite sur la doctrine de l’Église, mais il ne sait quel langage prendre98 ».
33On peut imaginer que cet instant d’euphorie apostolique qu’avait été aussi la grève du Joint français l’avait sans doute consolé de bien des misères, et notamment d’avoir dû, au même moment, afficher, avec ses confrères bretons, ses distances avec Boquen99. Mais, tout comme les aumôniers, il ne pouvait s’illusionner sur ce bref enchantement. Dans la bourgeoisie catholique briochine, on se préoccupait moins de l’injustice sociale que des jeunes qui n’en faisaient qu’à leur tête et qui, lorsqu’ils ne décrochaient pas complètement de la pratique religieuse, ne juraient précisément que par Boquen ; pour le reste, on se suffisait de la messe de 11 h 30 à la cathédrale avant le repas de famille du dimanche, pourvu qu’elle restât classique100. Même dans le monde ouvrier, où l’indifférence religieuse gagnait les urbains, l’ACO peinait à recruter, et l’on se désolait que nombre de salariés ruraux du Joint continuassent à se satisfaire des observances ordinaires, se bornant à assister à la messe dans les paroisses périphériques et à s’inquiéter tout au plus de la communion solennelle du petit, « pour qu’il soit comme les autres101 ». En somme, l’offre militante de l’Action catholique continuait de se heurter à la demande purement sacramentelle des usagers de la religion.
34Moment de grâce si l’on veut, moment de communion éphémère si l’on y tient, la grève du Joint français n’a pas pour autant effacé les désaccords dans l’Église diocésaine. Au contraire, selon un bon observateur, « au terme du conflit, des failles voire des ruptures sont évidentes dans la communauté chrétienne de la ville et bien au-delà de celle-ci102… » Il n’y a pas eu d’unanimité pour soutenir les grévistes, certains catholiques sont restés sur la réserve et il y a même eu des réactions d’hostilité qu’on a préféré oublier ou minorer. « Les prêtres » de Saint-Brieuc n’ont pas tous été derrière Yves Bonniec ou Job Martin : à Sainte-Thérèse par exemple, la paroisse où se trouvait implantée l’usine du Joint français, le curé, Jacques Couédic, connu pour son conservatisme, n’a pas fait de zèle103. D’autres ont redoublé de prudence. Manifestant leur solidarité fin avril, les prêtres de la région de Lannion ont tenu à préciser les limites de leur prise de position « afin d’éviter toute confusion » :
« Nous demandons qu’on nous permette à nous, prêtres, de rester à notre place. Nous n’avons pas mission de vérifier les conditions de travail dans les usines (ce qui ne veut pas dire qu’on doit les ignorer) ou de discuter avec le patronat. Il y a des syndicats : le clergé n’a pas à prendre la place des syndicats.
Il n’a pas non plus à prendre la place des chefs ou des meneurs politiques. Nous refusons toute forme de cléricalisme. Le cléricalisme a fait trop de mal dans le passé. Les prêtres n’ont pas à dicter aux gens leur comportement dans le domaine politique ou social. Et ce n’est pas à eux d’arbitrer le conflit ou de mener une grève104. »
35On pourrait continuer ainsi, glaner toutes sortes d’indices de désaccords latents, atténués pour un temps mais vite resurgis. En toute hypothèse, si la grève du Joint français a provisoirement donné avantage à l’une des tendances qui s’étaient affrontées au synode, elle n’a pas désarmé les autres, ni celle qui résistait aux réformes conciliaires, ni celle qui trouvait qu’on ne poussait pas leur esprit assez loin. Elle a encore moins modifié l’inertie du clergé rural qui désespérait l’évêque.
Conclusion
36« L’affaire Lip est, en France, le premier grand conflit social dont les principaux animateurs soient des militants ouvriers chrétiens », assuraient en novembre 1973 les Informations catholiques internationales105. Dans ce bimensuel d’esprit conciliaire, qui était pourtant attentif aux Côtes-du-Nord mais s’intéressait surtout à ce qui se passait à Boquen, la grève du Joint français était passée sous les radars. Peut-être parce qu’elle n’avait été qu’une grève d’OS qui fabriquaient des joints de portières de voitures et demandaient simplement à être mieux payés et mieux considérés : ni aristocratie ouvrière, ni produits à haute valeur marchande, il n’y avait pas là, à la différence de la célèbre horlogerie de Besançon, de quoi nourrir une utopie autogestionnaire à forte charge religieuse. Peut-être aussi parce que ses leaders n’avaient ni le charisme ni les relais parisiens de ceux des Lip l’année suivante. Peut-être encore parce que la revendication bretonne qui avait fini par envelopper cette grève en avait gommé les autres significations. Et pourtant le conflit du Joint français est bien un exemple de ces luttes ouvrières d’un type nouveau menées par des militants de profil ACO, CFDT et PSU, partageant une culture et des valeurs chrétiennes héritées du catholicisme social et de la démocratie chrétienne, dans des entreprises décentralisées à recrutement rural et catholique106. Il témoigne également de l’efficacité de l’encadrement clérical et du réseau ecclésial, dans une région de chrétienté, même amollie, pour l’organisation ou la diffusion de la solidarité : la grève du Joint français n’a pas été suffisamment longue ni trop gauchisée pour exaspérer les fidèles de droite, qui n’ont pas manqué à la charité.
37Cela étant et la charité sauve, l’événement a réactivé les tensions religieuses qui s’étaient manifestées lors du synode. Le climat diocésain s’est dégradé au lendemain d’un conflit qui a modifié, au moins provisoirement, le rapport des forces. Le succès des grévistes est apparu en effet comme une victoire des « cathos de gauche », ce qui a contrarié ceux de droite, dont un représentant caustique avait, deux ans plus tôt, décrit Saint-Brieuc comme une « ville d’Armorique, entre l’Oural et l’Atlantique, mais assez proche de l’Oural107 ». À l’autre extrême, la Communion de Boquen, occupée à Rennes 72 et poussée par la conjoncture ecclésiale à être de plus en plus critique vis-à-vis de l’institution, s’est marginalisée d’elle-même. Du coup, c’est le projet centriste de l’Action catholique, appuyé par l’évêque, qui s’est retrouvé avec le vent en poupe, sans que ses échauffements militants et surtout briochins troublent outre mesure les presbytères ruraux. Quatre ans plus tard, Mgr Kervéadou, âgé seulement de 66 ans mais épuisé et assez amer, démissionnera. « Le nouvel évêque devra être un homme de dialogue, confiera-t-il alors, mais qu’est-ce que cela veut dire aujourd’hui ? Quel va être l’évêque assez courageux pour accepter de venir dans ce diocèse108 ? »
Notes de bas de page
1Porhel Vincent, Ouvriers bretons. Conflits d’usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008 (chapitre iii : « Le conflit du Joint Français, 14 février-8 mai 1972 », p. 113-167).
2Monnier Jean-Jacques, Henry Lionel et Quénéhervé Yannick, Histoire de l’UDB, Union Démocratique Bretonne. 50 ans de luttes, Fouesnant, Yoran embanner, 2014, p. 78-79. Voir aussi Kernalegenn Tudi, « L’inscription spatiale d’une grève ouvrière en Bretagne. Le Joint Français, Saint-Brieuc, 1972 », in Combes Hélène, Garibay David et Goirand Camille (dir.), Les lieux de la colère. Occuper l’espace pour contester, de Madrid à Sanaa, Paris, Karthala, 2016, p. 93-116.
3Vincent Porhel les range parmi les « soutiens minorés », in Ouvriers bretons…, op. cit., p. 147.
4Clavel Maurice, Les paroissiens de Palente, Paris, Grasset, 1974. Divo Jean, L’affaire Lip et les catholiques de Franche-Comté. Besançon, 17 avril 1973-29 janvier 1974, Saint-Gingolph (Haute-Savoie), Éditions Cabédita, 2003. Raguénès Jean, De Mai 68 à Lip. Un dominicain au cœur des luttes, Paris, Karthala, 2008. Reid Donald, L’affaire Lip, 1968-1981, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2020.
5Cette étude doit beaucoup à plusieurs témoins que je remercie vivement de leur apport, tant mémoriel que documentaire, et dont je précise la situation à l’époque : Henri Cocheril, né en 1940, aumônier diocésain JOC, en année d’études à l’Institut catholique de Paris ; Elie Geffray, né en 1939, aumônier de lycée, proche de la Communion de Boquen, en année d’études à l’Institut catholique de Lyon ; Jean Hamon, né en 1933, aumônier diocésain ACI ; Yves Rio, né en 1946, séminariste à Rennes. Deux d’entre eux se sont exprimés sur leur itinéraire : Geffray Elie, « Libre prêtre de gauche », in Tranvouez Yvon (dir.), Bretagne et religion, vol. 4 : Visages du catholicisme, Vannes, Institut culturel de Bretagne, 2020, p. 257-264 ; Hamon Jean, De l’ombre des clochers aux grands champs à moissonner. Un demi-siècle au service de Dieu et des hommes dans le diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier, 1959-2009, Saint-Brieuc, Maison diocésaine, 2021. Je remercie également pour leur précieux apport Pierre Corbel et Jean-Jacques Monnier, alors étudiants à Rennes.
6Voir Pelletier Denis, La crise catholique. Religion, société, politique en France (1965-1978), Paris, Payot, 2002 ; Cuchet Guillaume, Comment notre monde a cessé d’être chrétien. Anatomie d’un effondrement, Paris, Le Seuil, 2018 ; Tranvouez Yvon, L’ivresse et le vertige. Vatican II, le moment 68 et la crise catholique (1960-1980), Paris, Desclée de Brouwer, 2021.
7Poulat Émile, L’Église, c’est un monde. L’Ecclésiosphère, Paris, Cerf, 1986. Pour une approche bourdieusienne du champ religieux, voir Rousseau André, Pour une sociologie de la crise catholique. France, 1960-1980, Brest, UBO/CRBC, 2015.
8Rapport pour la visite ad limina de 1972, p. 2, Archives de l’évêché de Saint-Brieuc (désormais AESB), 2A2. Je suis fortement redevable à Yves-Marie Érard, archiviste diocésain, pour sa disponibilité et ses précieux conseils. Qu’il en soit remercié.
9Legrand André, « Construire ensemble », La Vie diocésaine, 1er mai 1970. On saisit ici l’ambiguïté du marqueur religieux, qui n’est pas a priori discriminant en situation de chrétienté. « Je suis chrétien. “Ils” sont chrétiens », notera Henry Giraud, le négociateur malheureux missionné par le gouvernement pour essayer de résoudre le conflit des Lip à l’été 1973, dans un retour précoce sur cette expérience (Giraud Henry, Mon été chez Lip, Paris, France-Empire, 1974, p. 143). Je remercie Guillaume Gourgues de m’avoir signalé l’intérêt de ce petit livre pour la question que j’aborde ici.
10Rapport pour la visite ad limina de 1972, p. 57 (AESB, 2A2).
11Écho immédiat : « L’ACO et la JOC solidaires », Ouest-France, 21 mars 1972. Texte intégral : « Une déclaration de la JOC – ACO (en date du 20 mars 1972) », publié trois semaines plus tard dans La Vie diocésaine, 14 avril 1972.
12ACO, Réflexions sur le conflit du Joint Français, document polycopié, mai 1972, p. 10 (AESB, 4K4a).
13Geffray Elie, « Homélie pour les obsèques de Jean Le Faucheur, Saint-Yves (Saint-Brieuc), 15 juin 2011 », manuscrit communiqué par son auteur. Voir aussi Prigent Alain et Prigent François, « Le Faucheur, Jean (1925-2011) », Le Maitron. Dictionnaire biographique. Mouvement ouvrier, mouvement social, en ligne.
14Bougeard Christian, « Galaup, Jacques (1927-2011) », Le Maitron. Dictionnaire biographique. Mouvement ouvrier, mouvement social, en ligne.
15Certains militent cependant au sein de la branche adulte, Chrétiens dans le monde rural. Sauf erreur, le CMR ne prend pas position en tant que mouvement, mais plusieurs de ses membres sont impliqués dans ce soutien aux grévistes du Joint français (témoignage de Jean Hamon, 17 mars 2022).
16Sur l’Action catholique, voir Giroux Bernard (dir.), Voir, juger, agir. Action catholique, jeunesse et éducation populaire (1945-1979), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022.
17« Joint Français : on s’installe dans la grève ; les syndicats appellent à la solidarité », Ouest-France, 21 mars 1972.
18Voir le résumé de son itinéraire par un de ses vicaires de 1972 : Le Conniat Alexis, « Du presbytère à l’usine et à la CGT », in Job Martin, 1920-1992, plaquette d’hommage réalisée au moment du décès, Fonds Job Martin, AESB. La paroisse couvrait à la fois un territoire traditionnel (Cesson) et une nouvelle ZUP (Ginglin). Pour répondre au mieux au défi pastoral que cette situation engendrait, elle s’était associée à la Mission de France, qui fournissait une sorte d’expertise-conseil assurée par l’abbé André Laforge, qui venait périodiquement. Job Martin se fera embaucher en 1973 dans une petite entreprise de menuiserie.
19En l’occurrence, le rapport préparatoire à la mission, remis en 1963 par le père Claude Kervella, o.m.i., qui montrait que le tableau consolant brossé par l’enquête Boulard de 1954 était périmé : exode rural, changement économique, évolution des mentalités – ce que Henri Mendras appellera plus tard La seconde Révolution française (Paris, Gallimard, 1988) – avaient profondément modifié le visage religieux de Saint-Brieuc (et sans doute du diocèse, comme le confirmera en 1968 l’étude du père Lapraz, o. p., sur la partie cornouaillaise : voir Chevalier André, Le diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier de 1870 à 1976, tapuscrit, AESB, p. 66-67. Sur le lien ambigu entre l’observation sociologique et la prescription pastorale, voir Tranvouez Yvon, « Clercs et sciences humaines dans les conflits pastoraux du catholicisme français (1945-1978) », Port Acadie (Nouvelle-Écosse), no 24-25-26, automne 2013-printemps 2014-automne 2014, p. 317-334 (repris dans L’ivresse et le vertige…, op. cit., chap. i).
20Étaient remis en cause tout à la fois l’exercice de l’autorité curiale, le poids du parc scolaire et la pertinence des patronages.
21Pour un examen de cette problématique à l’échelle nationale, voir Tranvouez Yvon, « De la messe de onze heures à la messe de onze heures. Paroisse urbaine et action catholique spécialisée », in Bonzon Anne, Guignet Philippe et Venard Marc, La paroisse urbaine du Moyen-Âge à nos jours, Paris, Cerf, 2014, p. 431-453 ; également dans Tranvouez Yvon, Catholicisme et société dans la France du xxe siècle. Apostolat, progressisme et tradition, Paris, Karthala, 2011, chap. iv.
22La Commission d’évangélisation des milieux indépendants (CMI) survit également, mais sans le même dynamisme. Voir Hamon Jean, Pour mieux poursuivre la route. Quelques repères, 1967-1980 (1981) et du même, Évolution des institutions d’Église sur la ville de Saint-Brieuc, 1965-1985 (1985), documents polycopiés, archives Jean Hamon.
23Avec par exemple un débat sur la dénonciation de l’intervention policière : fallait-il la qualifier de « brutale », comme il avait été écrit initialement ? L’adjectif favorisait une condamnation morale consensuelle mais, aux yeux des plus radicaux, il laissait entendre fâcheusement que l’intervention policière dans ce conflit social n’aurait pas été dénoncée si elle n’avait pas été jugée brutale : on le supprima donc (témoignage d’Henri Cocheril, 16 mars 2022).
24L’appel était lancé par André Loisel, André Gerno, secrétaire de zone, par ailleurs délégué diocésain à l’apostolat des laïcs, Yves Bonniec, déjà évoqué, et Jules Auffray, curé de Sainte-Anne de Robien et responsable de la CMI. Malade du cœur, très fatigué, l’abbé Gerno partira se faire opérer à Paris le 14 avril mais ne survivra pas à l’intervention. Il mourra le 8 mai, le jour même de la fin de la grève du Joint français. Voir les extraits de l’homélie de Mgr Kervéadou à ses obsèques : « Monsieur l’abbé André Gerno », La Vie diocésaine, 12 mai 1972.
25« 50 prêtres de Saint-Brieuc prennent position dans le conflit du Joint Français », ACO, Réflexions sur le conflit…, op. cit., p. 18. Écho le 13 avril dans la presse régionale. Rien dans le bulletin diocésain du 14 (sans doute déjà imprimé), mais non plus dans les suivants.
26Il est significatif que, tout comme la presse, les auteurs qui ont écrit sur le conflit et qui citent des extraits de cette prise de position négligent ces dernières lignes proprement religieuses.
27En marge d’un exemplaire, conservé à l’évêché, du tract proposé à la signature, une plume faussement naïve a inscrit en marge de l’incise sur le « système économique matérialiste » : « lequel ? » ; et de celle sur les « impératifs économiques » qui « ne peuvent justifier » : « il n’y a pas forcément un lien aussi étroit… on peut parler d’impératifs économiques sans justifier » (AESB, 5K5).
28« Les prises de position favorables aux grévistes se multiplient », Le Télégramme, 13 avril 1972. ACO, Réflexions sur le conflit…, op. cit., p. 18.
29On ne dispose pas de la liste nominative des signataires, tout simplement parce que le texte a été proposé à la signature le matin du 12 avril, avec retour demandé pour le soir même, et que la plupart ont répondu directement à celui qui leur apportait le tract, ou par téléphone (témoignage de Jean Hamon, 17 mars 2022).
30Ce qui ne veut pas dire que tous ces prêtres militent activement lors du conflit. « Où sont les 49 copains qui ont signé ? » aurait lancé un ouvrier à un aumônier ACO lors d’un meeting (rapporté par Capdevielle Jacques, Dupoirier Élisabeth et Lorant Guy, La grève du Joint Français. Les incidences politiques d’un conflit social, Paris, FNSP/Armand Colin, 1975, p. 73). Mais c’est tout naturellement, et avec l’aval du supérieur, que les séminaristes briochins en formation au séminaire interdiocésain de Rennes sèchent les cours pour venir participer à la grande manifestation du 18 avril (témoignage d’Yves Rio, 17 mars 2022).
31Aux origines des GEES, deux prêtres du diocèse de Saint-Brieuc : Louis Martin, professeur de mathématiques à Notre-Dame de Guingamp, et Pierre Bourdellès, professeur d’histoire-géographie à Saint-Joseph de Lannion. Voir Le Goff Hervé, « Les GEES ou la prise de conscience économique, sociale et politique de la jeunesse catholique bretonne (1959-1973) », Mémoires de la Société d’émulation des Côtes-d’Armor, t. CXLVII, 2019, p. 367-384 ; Cadouellan Herménégilde, Les Groupes d’Études Économiques et Sociales (GEES), Gourin, Impri’Plast, 2020.
32« Rapport d’orientation », Yaouank. Jeune Breton, no 4, avril-mai 1972, p. 23.
33Thomin Jean-Pierre, « Une politique pour les GEES », Yaouank. Jeune Breton, no 4, avril-mai 1972, p. 3. Péron Jean-Noël, « Le Joint. Saint-Brieuc, 13 mars-8 mai », ibid., p. 12. Les GEES disparaissent un an plus tard, victimes à la fois du déclin des internats et de tiraillements internes. Plusieurs anciens rejoignent alors le Bleun-Brug, contribuant à son éphémère renouvellement autour des Cahiers du Bleun-Brug (1971-1974) et de Bretagne aujourd’hui (1975-1977) : voir Simon Marc, Bleun-Brug : expression d’un idéal breton. Pages d’histoire, Landévennec, musée de l’ancienne abbaye de Landévennec, 1998, p. 96-101. Tout laisse à penser que les GEES ont également été un précieux vivier d’origine catholique pour l’UDB.
34Propos désabusés d’Yves Bonniec, « 24 h sur 24 avec les copains du Joint », lorsqu’il revient, en réunion d’ACO, le 24 juin, sur le déroulement du conflit : « Certains du Joint français ne se sentaient pas concernés, ne se dérangeaient pas, attendaient presque qu’on aille leur porter à manger ! ne venaient pas aux distributions… Inertie… 40 au service des autres, 200 étaient “dans le coup” » (AESB, fonds Job Martin). On se souvient que l’usine comptait un millier de salariés.
35On distingue bien ceux qui restent à la droite du Père et ceux qui sont à la gauche du Christ : le même jour, Le Télégramme annonce, d’une part, que « les élèves de l’école Saint-Charles, les professeurs et les membres du personnel de l’établissement ont décidé de venir en aide “financièrement” aux familles des grévistes du Joint français, en organisant, entre autres, des rencontres sportives et des collectes », d’autre part que « les communautaires du groupe Vie Nouvelle des Côtes-du-Nord, se sentant solidaires des travailleurs du Joint français, dans leur lutte pour plus de justice et de dignité, décident de manifester leur soutien en versant quotidiennement une part de leur salaire jusqu’à la fin de la grève ». D’un côté une opération caritative, de l’autre un geste politique (« Les témoignages de solidarité avec les grévistes affluent », Le Télégramme, 14 avril 1972). Pour une mise en perspective, voir Pelletier Denis et Schlegel Jean-Louis (dir.), À la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Paris, Le Seuil, 2012. Michel Florian et Raison du Cleuziou Yann (dir.), À la droite du Père, Paris, Le Seuil, 2022.
36On ne voit pas ici l’équivalent des tensions ressenties fin 1973 à Besançon, où la longueur du conflit, les divergences entre les syndicats et le comité d’action, ou encore les caractéristiques de l’action (comme la vente directe, par les grévistes, du stock de montres soustrait à l’entreprise – un « vol » aux yeux de certains) finissent par braquer une partie des milieux bourgeois et des paroissiens ordinaires (voir Divo Jean, L’affaire Lip et les catholiques…, op. cit.).
37Capdevielle Jacques et alii, La grève…, op. cit., p. 77.
38Témoignage d’Henri Cocheril, 14 mars 2022.
39« Les témoignages de solidarité avec les grévistes affluent », Le Télégramme, 14 avril 1972.
40« Les enfants parlent du conflit à l’école : “Toi tu es contre la grève, mais ton père qui est dans la police gagne combien ?” Dans une autre école des enfants de militants tiennent tête à l’ensemble de la classe qui n’est pas favorable à la grève. Des enfants accompagnent leurs parents aux meetings à la porte de l’usine » (ACO, Réflexions sur le conflit…, op. cit., p. 10). Silence, par contre, dans une classe où se trouve « le fils d’un cadre bien payé du Joint » (notes de Job Martin, retour sur la grève lors d’une réunion d’équipe ACO, 24 juin 1972, Cahier 1971-1973, AESB, fonds Job Martin).
41Texte intégral : Mgr François Kervéadou, « Pâques 1972… au cœur de la vie des hommes », La Vie diocésaine, 31 mars 1972. Écho le même jour dans la presse régionale. Sur l’évêque, voir Talbourdet Gaston, « Kervéadou, François », in Dauzet Dominique-Marie et Le Moigne Frédéric (dir.), Dictionnaire des évêques de France au xxe siècle, Paris, Cerf, 2010, p. 369-370. Également, Le Moigne Frédéric, « Vincent, François, Paul et les autres… Les évêques face à la crise de la chrétienté bretonne », in Tranvouez Yvon (dir.), La décomposition des chrétientés occidentales, 1950-2010, Brest, UBO/CRBC, 2013, p. 143-158.
42Trente ans après, « le soutien de l’évêque est parfois évoqué avec une pointe d’ironie », note Vincent Porhel, qui objecte à juste titre qu’il a pourtant « sensibilisé les catholiques et notamment les cadres du Joint Français » (Ouvriers bretons…, op. cit., p. 149).
43Voir Le Vaillant Yvon, « À propos de l’élection de Saint-Brieuc. Radiographie de l’Action Travailliste », Témoignage chrétien, 7 septembre 1962. Lors des obsèques du docteur Rahuel, décédé accidentellement en octobre 1959, un incident avait opposé le curé de Sainte-Thérèse, hostile à l’orientation politique du défunt, et les militants ACO qui avaient souhaité que celle-ci fût mise en valeur (témoignage de Jean Hamon, qui était alors jeune vicaire stagiaire à Sainte-Thérèse, 17 mars 2022). Voir aussi Prigent Alain et Prigent François, « Rahuel, Eugène (1914-1959) », Le Maitron. Dictionnaire biographique. Mouvement ouvrier, mouvement social, en ligne.
44Voir Marichal René, « Le synode diocésain de Saint-Brieuc », Études, avril 1969, p. 604-607.
45Pour le dire dans les termes d’un observateur attentif, il y avait ceux qui tenaient au « confort du culte » et ceux qui songeaient à la « priorité de la mission » (Legrand André, « Vers l’année de la vérité », La Vie diocésaine, 3 avril 1970). À la deuxième session, les jeunes étaient beaucoup plus nombreux parmi les délégués. Certains avaient protesté bruyamment parce que Bernard Besret n’était pas présent, mais l’ex-prieur de Boquen, destitué quatre mois plus tôt, avait d’autres préoccupations et n’avait d’ailleurs rien demandé. Le mariste qui représentait les religieux s’était borné à répondre : « On m’a élu et me voilà, c’est tout ce que je puis dire. » Ces turbulences avaient fortement contrarié l’évêque. Voir Chevalier André, Le diocèse…, op. cit., p. 70-71.
46Témoignage de Jean Hamon, 17 mars 2022. L’évêque avait voulu connaître, sans filtre, l’avis de la jeune génération sacerdotale sur la vie quotidienne, dans ses aspects les plus concrets (logement, nourriture, répartition des ressources financières).
47Voir Guinle-Lorinet Sylvaine, Libérer le prêtre de l’état clérical. Échanges et Dialogue (1968-1975), Paris, L’Harmattan, 2008.
48Cité dans Talbourdet Gaston, François Kervéadou, évêque de Saint-Brieuc et Tréguier, 1961-1976. Guide historique et chronologique, document ronéoté, AESB, p 34. Commentaire laconique de l’auteur : « Tous sont partis ; les plus jeunes avaient été ordonnés en 1968 et 1969. » Spécialiste de Bergson, Michel Lefeuvre poursuivra une carrière dans l’enseignement supérieur en France, puis au Sénégal (université de Dakar) où il professera la philosophie des sciences.
49Rapport pour la visite ad limina de 1972, p. 41 (AESB, 2A2). Voir aussi Sevegrand Martine, Vers une Église sans prêtres. La crise du clergé séculier en France (1945-1978), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004.
50Compte rendu du conseil épiscopal du 7 janvier 1972 (AESB, 2E3).
51Voir Lebel Béatrice, Boquen. Entre utopie et révolution (1965-1976), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.
52« La direction et le personnel de l’école Saint-Ilan demandent le départ des gendarmes mobiles », Ouest-France, 21 mars 1972. « Dans une lettre au préfet, les élèves de Saint-Ilan protestent contre la présence des gardes mobiles », Ouest-France, 22 mars 1972.
53Capdevielle Jacques et alii, La grève…, op. cit., p. 73. Les vacances scolaires de Pâques avaient commencé le 25 mars, privant objectivement la contestation d’une partie de son terreau. Le 5 avril, leur relais étant pris par les CRS casernés à Saint-Brieuc, les gendarmes mobiles quittaient l’école.
54La lettre d’invitation (11 février 1972) décrivait des perspectives très diverses : « Abandon pur et simple de tout projet ecclésial, transformation réformiste des structures actuellement en place ou encore mort de ces institutions jugées sclérosées pour que naissent de nouveaux modes de vie en Église dans le monde contemporain » (cité par Lebel Béatrice, Boquen…, op. cit., p. 217).
55Il était notamment reproché à Boquen de faire scandale en accueillant des prêtres mariés ou en acceptant à la communion des catholiques en situation canonique irrégulière, mais aussi d’accompagner les réflexions les plus aventureuses des communautés de base. Les évêques bretons savaient les relais influents – notamment parmi les prêtres, religieux et religieuses de leurs diocèses – qu’avait attirés la rencontre régionale des communautés de base à Mûr-de-Bretagne le 1er et 2 mai 1971, avec Bernard Besret en figure de proue.
56Le communiqué rendant publiques les « distances » prises par les évêques de l’Ouest face au « style de recherche de Boquen » et désapprouvant la rencontre de Rennes, est publié dans La Vie diocésaine du 14 avril ; dans ce même numéro du bulletin diocésain, on trouve, à propos du Joint français, la déclaration de la JOC et de l’ACO signalée plus haut et le texte de l’ACI et de la CMI qui sera évoqué plus bas. Sur la configuration du milieu lié à l’organisation de Rennes 72, voir Tranvouez Yvon, « Géographie de la gauche catholique », in Pelletier Denis et Schlegel Jean-Louis (dir.), À la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Paris, Le Seuil, 2012, p. 483-512.
57Mais le rassemblement de Rennes fournit à la Communion de Boquen l’occasion de contribuer fortement à la solidarité avec les grévistes du Joint français : une motion votée par les 1 800 participants et surtout une collecte de quelque 10 000 francs (indications fournies par Ambroise Georget, que je remercie). Par ailleurs, parmi ceux qui fréquentent l’abbaye, il en est qui sont aussi partie, d’une manière ou d’une autre partie prenante, du mouvement tout au long du conflit, même si sans référence explicite à Boquen.
58Figure centrale de la rencontre nationale des communautés de base à Bourges en octobre 1970, Bernard Besret n’avait pas participé en novembre 1971 à celle de Rouen sur « Les chrétiens dans la lutte des classes ».
59Ce que ce que la sociologie des participants de Rennes 72 confirme amplement : « Les cadres, enseignants et professions libérales constituent la majorité de l’assemblée (plus de 60 %) avec les étudiants (16 %) tandis que les ruraux (1,3 %) et les ouvriers (2,7 %) ne figurent plus que pour mémoire » (Lebel Béatrice, « De Bourges 1970 à Rennes 1972 : la Communion de Boquen au cœur de la crise catholique », in Tranvouez Yvon [dir.], Requiem pour le catholicisme breton ?, Brest, UBO/CRBC, 2011, p. 217).
60Témoignages concordants, 50 ans après, de Jean Hamon, qui faisait partie des sceptiques, et d’Elie Geffray, qui comptait parmi les enthousiastes de Boquen. « On n’avait pas, précise ce dernier, de réelle complicité avec la JOC et l’ACO qui nous prenaient pour des spéculatifs, et nous [les aumôniers de lycée], nous les jugions certes engagés dans le monde ouvrier mais trop alignés sur la hiérarchie, laquelle, en effet, se méfiait de nous qui nous retrouvions bien à Boquen avec Bernard Besret » (courriel d’Elie Geffray, 16 mars 2022).
61Cité par Capdevielle Jacques et alii, La grève…, op. cit., p. 74.
62Sur les contradictions du MRJC, voir Conq Jean, Guilloteau Charles-Henri, Leprieur François et Vilboux Bernard, JAC/MRJC. Origines et mutations, Lyon, Chronique sociale, 1996, et surtout Dulong Renaud, « L’Église de l’Ouest et les luttes de classe dans la paysannerie », La Pensée, juin 1974, p. 82-103.
63Capdevielle Jacques et alii, La grève…, op. cit., p. 75.
64Assertion émise lors du conseil épiscopal restreint du 25 février 1972 (AESB, 2E3).
65Voir Giroux Bernard, La Jeunesse Étudiante Chrétienne. Des origines aux années 1970, Paris, Cerf, 2013. En juin 1971, la rencontre des aumôniers JEC à Lyon s’était déroulée dans un climat tendu, marqué par un « psychodrame eucharistique », la célébration étant retardée de deux heures après un débat houleux sur sa possibilité même, compte tenu des profondes divergences au sein de l’assemblée. La profondeur de la crise se voyait alors, plus qu’aux désaccords sur l’orientation politique de la JEC, à l’ampleur des interrogations des aumôniers sur leur propre foi : « Une volonté de faire table rase et de repartir de zéro faisait même dire à un observateur qu’il se sentait par moments en présence d’un groupe de catéchumènes » (Solé Robert, « Le malaise de deux cents aumôniers de la JEC placés aux avant-postes de la contestation », Le Monde, 12 juin 1971).
66« Le souci actuel de l’aumônerie de l’enseignement public tient dans la difficile collaboration avec les paroissiens et les secteurs. La méthode pastorale des aumôniers se trouvant tellement éloignée… » (Rapport pour la visite ad limina de 1972, p. 64 – AESB, 2A2). La JEC ne participe pas à la pastorale de zone de Saint-Brieuc. Son aumônier diocésain, Yvon Le Mince, ne réside pas à la Maison des Œuvres, mais chez les aumôniers de lycée. Sur l’influence des aumôneries de l’enseignement public, voir Tranvouez Yvon, « Aumôniers », in Branchereau Jean-Pierre, Croix Alain, Guyvarc’h Didier et Panfili Didier (dir.), Dictionnaire des lycées publics de Bretagne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 77-79.
67De cette « galaxie » singulière, Elie Geffray retient quelques figures hautes en couleurs. Outre Yvon Le Mince, « petit, fluet et très futé » : Job Guillou, « complètement cinglé mais très inspiré et passionné », grand lecteur de Marcel Légaut ; Jean Gouriou, un « mystique » à la tête du Centre d’études d’action sociale (CEAS) hérité de l’abbé Vallée ; Charles Blanchet, professeur de philosophie aux Cordeliers (Dinan), en instance de départ pour l’Institut catholique de Paris ; Paul Pinczon du Sel, très influent, aumônier national des Équipes enseignantes… (courriel du 18 mars 2022). Geffray signale encore Michel Giblat, plus âgé et alors à la paroisse Saint-Michel, très influent lui aussi : Jean-Jacques Monnier, qui était à Saint-Brieuc chaque week-end et assistait à la messe à Saint-Michel, m’écrit avoir été très marqué par ce prêtre hors normes (courriel du 10 mars 2022). De Jean-Jacques Monnier, on lira avec profit un roman autobiographique qui aide à comprendre la mentalité des jeunes catholiques de gauche en Bretagne à l’époque : La mouette et l’ajonc. Un demi-siècle de combats pour la Bretagne, Rennes, Terre de Brume, 1999.
68Il y aurait une liste à faire – et Pierre Corbel pourrait la faire – de ces ex-cathos, issus des aumôneries de lycées, de la JEC ou des GEES, ou encore des petits séminaires, voire grands séminaires, passés dans les groupuscules gauchistes. Témoignage récent de Jean-Louis Le Tacon : « En quelques semaines, je suis passé d’un engagement chrétien à un engagement marxiste et révolutionnaire. […] C’est dans la revue chrétienne Frères du monde que j’ai découvert l’une des premières analyses de classe en milieu paysan dans l’hexagone. L’idéal chrétien devait passer par le mouvement social, par une libération, par une solidarité. Après mon abandon de la foi spirituelle au profit de la foi révolutionnaire, j’ai opté pour la sociologie, car je souhaitais analyser la situation des gens et la comprendre » (Jean-Louis Le Tacon, dans Piron François et Désanges Guillaume, Contre-vents. Colères, espoirs, écologies et politiques dans l’ouest de la France, Saint-Nazaire, Le Grand Café, 2021, non paginé).
69Voir le dossier sur « Les militants d’origine chrétienne » dans Esprit, octobre 1977.
70ACI, Saint-Brieuc, note du 24 juin 1972, AESB, 4K5a (l’auteur en est Jean Hamon).
71Le texte du MCC est communiqué à Mgr Kervéadou, qui reçoit aussi copie de la lettre adressée le même jour par la Fédération construction électrique du MCC à Ambroise Roux, président de la CGE, dont le Joint français est une filiale (AESB, 1D-12E).
72« Joint Français : la solidarité s’organise », Ouest-France, 10 avril 1972.
73En 1973 encore, le nouveau directeur du Joint français, François Lépine, se plaindra à l’évêque de l’attitude de Lucien Beurel : « Monseigneur, voici déjà un an et demi que M. Lucien Beurel est ouvrier dans l’usine du Joint français. Il a maintenant une connaissance du métier d’OS. Je lui ai proposé : soit de prendre un poste à son niveau de bachelier ; soit d’aider le service social en participant en tant que prêtre au retour à l’équilibre de l’usine. Il m’a refusé, c’est son droit. Par contre, des responsables syndicaux et moi-même comprenons mal qu’il rédige des tracts négatifs […] La présence d’agent faisant de la lutte de classe est incompatible avec une bonne marche de l’usine. Veuillez agréer, Monseigneur, l’expression de mes sentiments respectueusement dévoués » (s. d., AESB, 5K5).
74« L’Église est trop tentée de donner aux milieux indépendants ce qu’ils demandent, et pas forcément ce dont ils ont besoin », concluait Mgr Kervéadou (Cahier d’équipe de secteur, 1970-1975, tenu par l’abbé Francis Blouin, vicaire à la cathédrale, AESB). On appréciera cette superbe illustration des malentendus de l’offre et de la demande sur le marché des biens religieux…
75Cité par Divo Jean, L’affaire Lip et les catholiques…, op. cit., p. 63.
76Jean Hamon à Mgr Kervéadou, 26 mars 1972, AESB, 4K5a.
77Tract sans titre, 24 mars 1972. Publication : « Texte de la Commission des MI et de l’équipe fédérale ACI (en date du 24 mars 1972) », La Vie diocésaine, 14 avril 1972.
78« Les milieux indépendants et la justice dans le monde », La Documentation catholique, 16 avril 1972. Le texte est présenté et commenté dans La Voix de la Cathédrale, le bulletin de la paroisse Saint-Étienne de Saint-Brieuc, par le curé, André Loisel. Il est publié ensuite, présenté par le président national de l’ACI, Gabriel Marc, dans un livre qui reproduit également, introduit par un pasteur, le document « Églises et pouvoirs » de la Fédération protestante de France : Marc Gabriel, et Richard-Molard Georges, Chrétiens face aux pouvoirs et à la justice sociale, Paris, Fayard, 1972.
79ACI, Saint-Brieuc, note du 24 juin 1972, AESB, 4K5a. Elle est publiée six mois plus tard, signée par son auteur, dans le bulletin diocésain : Hamon Jean, « Les milieux indépendants et leur évangélisation. Quelques réflexions », La Vie diocésaine, 15 décembre 1972.
80Voir Georgi Frank, L’invention de la CFDT, 1957-1970. Syndicalisme, catholicisme et politique dans la France de l’expansion, Paris, Éditions de l’Atelier, 1995. L’attitude de Jean Le Faucheur est caractéristique de cette distinction des plans.
81« Solidarité », Le Signe. Bulletin de Saint-Roch, Lannion, 22 avril 1972.
82Mgr François Kervéadou, « Pâques 1972… », loc. cit.
83« Joint Français : la solidarité s’organise », Ouest-France, 10 avril 1972.
84« Pâques, Libération », Bâtisseurs dans la cité. Cesson, Saint-Guénolé/Saint-Brieuc, 25 mars 1972.
85Ces fioretti sont tous dans : ACO, Réflexions sur le conflit…, op. cit., p. 15-17. Même schéma l’année suivante chez les Lip (voir Divo Jean, L’affaire Lip et les catholiques…, op. cit., p. 65, 77-80).
86Dulong Renaud, loc. cit., p. 100. Il semble également à Georges Liénard et André Rousseau que « l’effet premier de l’importation par l’ACO, dans le champ religieux, d’un habitus de combat propre à une fraction de la classe ouvrière soit de détruire ou de déconstruire l’effet idéologique propre au champ religieux : les intérêts religieux, les fonctions de l’institution religieuse se voient en effet rapportés à la position de ce groupe dans le champ politique et ne sont plus définis de façon indivise et universelle » (Liénard Georges et Rousseau André, « Conflit symbolique et conflit social dans le champ religieux. Propositions théoriques et analyse d’un conflit suscité par l’Action Catholique Ouvrière dans le Nord de la France », Social Compass, xix, 1972/2, p. 273).
87Propos de militants rapportés lors d’une réunion d’équipe ACO le 24 juin 1972 (AESB, fonds Job Martin).
88ACO, Réflexions sur le conflit…, op. cit., p. 17. Les célébrations particulières ne sont pas propres à l’ACO. Les offices de Boquen expriment eux aussi un entre-soi, qui est plutôt celui de la jeunesse et de la petite bourgeoisie intellectuelle. 1972 : Pâques choc au Joint, Pâques chic à Boquen ? « J’ai toujours rêvé d’une Semaine Sainte comme d’un festival de la créativité liturgique, comme d’une orgie liturgique, d’un temps privilégié où, pour une semaine, tous nos scrupules à consacrer nos forces à la liturgie alors que tant d’autres tâches nous attendent dans le monde, sont légitimement mis entre parenthèses. […] Pour la première fois, je crois que nous avons un peu réalisé le rêve de toujours. […] La célébration eucharistique du Jeudi, véritable liturgie du pain, fête du boulanger, acclamation d’une terre nouvelle (“voici que surgit une terre nouvelle !”). L’exaltation de la croix le vendredi dont nous n’aurions jamais cru qu’elle fût possible : les centaines de bras tendus vers la croix alors que reverdissait le tronc calciné d’un arbre mort, et que, sans fin, l’abbatiale vibrait au chant constamment repris du Trisagion de la liturgie slave. La lecture, choquante pour les uns, lumineuse pour les autres, du texte d’Ezechiel sur les ossements desséchés qui reprennent vie. Enfin la Vigile pascale où la liturgie de l’eau, la liturgie du feu, la liturgie du cri puis celle du pain et du vin partagés devaient ouvrir la grande fête pascale dont nous vivons encore comme par écho » (Besret Bernard, « La Semaine Sainte à Boquen », Chronique de Boquen, mai 1972).
89ACO, Réflexions sur le conflit, p. 10. Allusion injuste, on l’a vu, au logement des gendarmes mobiles à l’école de Saint-Ilan. Dans le monde de l’enseignement privé, qui a contribué à l’aide aux familles, on n’a guère apprécié que le conflit ait été parfois l’occasion d’une mise en cause des écoles techniques catholiques, accusées un peu vite de former une main-d’œuvre docile pour le patronat.
90Sœur Anne-Marie Tromeur, archiviste de la congrégation des Filles du Saint-Esprit, que je remercie chaleureusement pour son aide, me dit qu’il faut aussi « se rappeler que les effectifs du noviciat avaient déjà chuté de manière vertigineuse et que la question de la gouvernance interne se posait avec acuité » (courriel du 8 avril 2022). Ceci étant, avec quelques poids lourds, comme les Filles du Saint-Esprit (Saint-Brieuc), les Religieuses de la Divine Providence (Créhen) ou les Filles de Sainte-Marie de la Présentation (Broons), les effectifs du personnel religieux féminin s’élèvent encore en 1972 à plus de 2 500, dont plus de 2 000 en activité (Rapport pour la visite ad limina de 1972, p. 5-6, AESB, 2A2).
91Rapport pour la visite ad limina de 1972, p. 54-55, AESB, 2A2.
92Sans pour autant les pousser, comme cela se voit ailleurs, à s’établir en usine. Voir Laot Laurent, « Religieuses “autrement” en Bretagne, au tournant des années 1960-1970 », in Tranvouez Yvon (dir.), Bretagne et religion, vol. 4 : Visages du catholicisme, Vannes, Institut culturel de Bretagne, 2020, p. 71-80 ; Le Berre Jeannette, « Religieuse en monde ouvrier au lendemain de Vatican II », ibid., p. 81-86. Également, Potel Julien, « Portes ouvertes chez les religieuses ». Propos d’un sociologue, échos des médias, Paris, L’Harmattan, 1999. Après avoir interrogé les sœurs âgées concernées, en retraite à la maison-mère, sur leur souvenir de la grève du Joint français, sœur Anne-Marie Tromeur m’écrit : « Ce qui les a marquées – et qui était enthousiasmant – c’est que tous marchaient dans le même sens. […] C’était toute une société locale qui se rendait solidaire. Une sœur de la communauté de Ginglin dit en avoir été marquée pour tout le reste de vie, sans pour autant avoir sauté le pas du travail en usine, mais elle s’est syndiquée à ce moment-là, tout en continuant à travailler à l’hôpital » (courriel du 8 avril 2022).
93De 1968 à 1972 : Pierre Brajeul, Marc Person, Jean-Paul Meheust et Lucien Beurel. En 1973 et 1974 : Job Martin, Yves Rio (trois mois au Joint français, d’où il est renvoyé dès que son identité sacerdotale est connue), Louis Bertrand, Pierre Jouffe, Albert Rouxel (« Prêtres-ouvriers. Diocèse de Saint-Brieuc », AESB, fonds Job Martin). On observera qu’à la même époque ce sont des dizaines de prêtres qui abandonnent progressivement leur emploi salarié dans l’enseignement catholique. Yves Allo, supérieur des Cordeliers (Dinan) s’étonne qu’en temps de disette cléricale on ne concentre pas l’activité du clergé sur les tâches proprement religieuses : « Monseigneur, nous vivons des heures tragiques, pendant que de jeunes prêtres partent en congé, les anciens qui n’ont jamais eu de recyclage et qui ne demandent aucun congé veulent bien assumer la tâche, mais ils ont besoin à leur tour d’être mis par leur évêque devant la nécessité urgente d’un travail pastoral qui ne saurait plus se suffire de l’horaire d’un professeur à temps plein accaparé par la correction des copies et la préparation intensive des cours. Leur cas en ce temps de pénurie risque de devenir aussi étrange que celui de ces jeunes prêtres embauchés dans les supermarchés pendant que les gens manquent de prêtres qui leur parlent de Dieu et nourrissent leur vie spirituelle » (Yves Allo à Mgr Kervéadou, 7 février 1972, AESB, 1D-12E). Deux conceptions du sacerdoce, même pas irréconciliables, incompréhensibles l’une à l’autre.
94ACO, Réflexions sur le conflit, p. 5 des annexes.
95Et ce d’autant plus facilement que l’aumônier diocésain de l’ACI, Jean Hamon, issu d’une famille populaire, est lui-même un ancien aumônier d’ACO, passé à l’ACI à la demande de l’évêque pour prendre la succession d’un confrère parti au travail en région parisienne. Il raconte avoir mal vécu les réactions de certains militants ACO lui reprochant de les avoir lâchés… (Hamon Jean, De l’ombre…, op. cit., p. 40-42).
96Rapport pour la visite ad limina de 1972, p. 26-27, AESB, 2A2.
97Mgr Kervéadou, « Rappel de quelques orientations pastorales pour l’année 1972-1973 », La Vie diocésaine, 20 octobre 1972.
98Rapport pour la visite ad limina de 1972, p. 24-25, AESB, 2A2. On notera cette autre forme, interne à l’Église, du dysfonctionnement du langage dont Michel de Certeau a montré à quel point il était central dans la crise catholique. Voir Tranvouez Yvon, L’ivresse et le vertige…, op. cit., chap. xi : « Clairvoyance de Michel de Certeau ».
99Le 18 avril, jour de la grande manifestation de soutien aux travailleurs du Joint français à Saint-Brieuc, paraissait dans Le Monde une lettre de Bernard Besret dénonçant, en réponse au communiqué des évêques bretons mettant en garde contre la tenue prochaine du rassemblement de Rennes, le déploiement de « l’appareil de la répression » (« Les nouveaux parias ? Une lettre de Bernard Besret », Le Monde, 18 avril 1972). Mgr Kervéadou avait couvert jusque-là la plupart des audaces de Boquen, n’ayant jamais caché sa sympathie pour l’aventure commencée par dom Alexis et continuée par Bernard Besret, même si ce dernier lui avait donné une forme qui le déconcertait. « Soucieux de ne pas condamner d’une façon trop catégorique », l’évêque ne pouvait cependant plus ne pas rappeler à l’ordre la Communion de Boquen pour ses « ambiguïtés sur le plan doctrinal et sacramentel » (Rapport pour la visite ad limina de 1972, p. 25, AESB, 2A2). On sait que Mgr Kervéadou a demandé à être inhumé dans l’abbatiale de Boquen, où il repose au côté de dom Alexis.
100Le cahier de Francis Blouin garde trace d’une réunion de l’équipe du secteur centre au printemps 1972, à propos du casse-tête de « la messe de 11 h 30 » à la cathédrale : un office sans âme suivi par une assistance divisée. Le clergé enviait l’homogénéité sociologique de Ginglin ou des Villages (Cahier d’équipe de secteur, 1970-1975, AESB).
101Je brosse ces portraits à la hache, et donc caricaturaux mais commodes, à partir d’éléments épars, en particulier du compte rendu de l’assemblée fédérale de l’ACI du 22 février 1972 (AESB, 4K5a), de la note de l’aumônier diocésain de l’ACI du 24 juin 1972 (ibid.) et du compte rendu de la réunion des aumôniers d’ACO du 13 mars 1973 (AESB, fonds Job Martin).
102L’abbé Gaston Talbourdet, à l’époque professeur d’histoire-géographie au Centre Jean xxiii de Quintin, plus tard archiviste diocésain, dans François Kervéadou…, op. cit., p. 63.
103Rien sur la grève dans son bulletin paroissial, dépouillé par Yves Rio, que je remercie de cette information.
104« Solidarité », Le Signe. Bulletin de Saint-Roch, Lannion, 22 avril 1972. On notera que ce texte paraît neuf jours après la lettre des 50.
105Savard Aimé, « Lip : les chrétiens partagés entre leur sens de l’absolu et le souci du réalisme », Informations catholiques internationales, 1er novembre 1973, p. 5.
106D’un type nouveau mais transitoire, comme le suggérera deux ans plus tard Henry Giraud : « Un journal a écrit : […] “Tout le monde insiste sur la qualité des jeunes chrétiens bisontins pour faire mieux oublier que la quantité a soigneusement diminué. Si une affaire Lip éclatait à Besançon dans dix ans, il n’est pas sûr que des chrétiens y seraient, dans un camp comme dans l’autre, au premier plan.” Dans cette hypothèse, l’affaire Lip dans dix ans se passerait donc entre des tendances politiques ; ce serait par conséquent que chez les chrétiens qui ont été aujourd’hui à l’origine du mouvement Lip, les options politiques auraient étouffé le christianisme et qu’on aurait donc tort de considérer leur attitude d’aujourd’hui comme le reflet de préoccupations chrétiennes » (Giraud Henry, Mon été…, op. cit., p. 144).
107« Le synode diocésain », fable satirique anonyme composée en 1970 et dénonçant une assemblée réunie « pour promouvoir une Église à la mode, à l’avant-garde du Progrès, quand bien même le diable y serait ». L’auteur en était Paul Pédech, helléniste, professeur de grec à l’université de Rennes, cofondateur de L’Entente catholique de Bretagne (Pédech Paul, Fables ménippées. Recueil des fables parues dans le diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier, dans les années 1960 et 1970, aux belles heures des réformes liturgiques et des répliques soixante-huitardes du tremblement de terre conciliaire, t. I, Saint-Brieuc, L’Entente catholique de Bretagne, 2012, p. 30, renseignement communiqué par Benoît Le Roux que je remercie).
108Note de Mgr Kervéadou sur la situation et les besoins du diocèse, 1976, citée par Talbourdet Gaston, François Kervéadou…, op. cit., p. 93.
Auteur
Université de Bretagne occidentale.
Yvon Tranvouez est professeur émérite d’histoire contemporaine, université de Bretagne occidentale, Centre de recherche bretonne et celtique (EA 4451).

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