Le conflit du Joint français dans la CGE d’Ambroise Roux
p. 115-130
Texte intégral
« Joint français vaincra, et la CGE paiera » (slogan).
1Parmi les grandes grèves de l’après-Seconde Guerre mondiale, celle qui concerne l’usine de l’entreprise le Joint français à Saint-Brieuc est certainement l’une des plus étudiées et des mieux connues. Non seulement des témoignages, récits et analyses ont été publiés en 1972 et dans les années suivantes et ont contribué à en faire un symbole1, mais des travaux de sciences humaines et sociales ont ultérieurement montré les différentes dimensions de ce mouvement2. Comme la grève des ouvrières et ouvriers de Lip, à Besançon, celle qui a été menée au Joint français a permis d’interroger le rôle des syndicats dans l’après-mai 68 ainsi que la diversité des tendances politiques de gauche. Comme les travaux de Vincent Porhel l’ont bien montré, le contexte local et en particulier l’équilibre entre régionalisme et ancrage social, a conféré une complexité inédite à un mouvement qu’on ne saurait réduire ni à la demande d’une augmentation salariale ni à la seule grève de mars à mai 1972. Dans une approche par les luttes sociales, l’opposition au patronat paraît une évidence même si, derrière le terme de « patrons », sont régulièrement regroupés les directeurs d’usine, les responsables industriels et les actionnaires3. L’historiographie des grèves se place généralement dans le sillage des mobilisations voire en épouse parfois la cause, précise les formes de la confrontation, dissèque les nombreuses tensions internes au mouvement social… mais ignore largement les réactions et stratégies du camp patronal habituellement considéré comme monolithique et comme fondamentalement « antisocial ». Que ce soit dans l’analyse historique des grèves des « années 68 » ou plus généralement dans l’étude des mouvements sociaux, la dissymétrie ne saurait être expliquée par la seule sensibilité politique des chercheurs. Certes, en tant qu’objet historique, les discussions, tractations et compromis peuvent apparaître moins glorieux que l’enthousiasme initial de militants. Toutefois, la principale raison expliquant ce décalage est bien l’accès aux archives et témoignages qui est de facto plus difficile pour suivre les attitudes, réactions et stratégies patronales. La production documentaire est nettement plus faible dans le camp patronal que dans le camp des grévistes. Les archives prennent la forme de paragraphes dans les comptes rendus de réunions, lorsque ces sujets ne sont pas purement et simplement ignorés des sources patronales. À la profusion des tracts, affiches, tribunes, articles répond un ensemble de périphrases discrètes. Autant les stratégies industrielles sont – avec les réserves du secret des affaires – exposées au grand jour, autant les stratégies sociales sont énoncées à mots couverts.
2Dans le cas présent, le « camp patronal » est au moins aussi complexe que celui des grévistes. Plusieurs niveaux peuvent être distingués du côté de la direction, partant de la direction de l’usine à Saint-Brieuc, remontant à celle de l’entreprise le Joint français dont le siège opérationnel était installé à Bezons (Seine-et-Oise, puis Val-d’Oise à partir de 1968) et le siège social dans le 8e arrondissement de Paris, et se poursuivant jusqu’à la tête du conglomérat industriel de la Compagnie générale d’électricité (CGE), alors présidé par Ambroise Roux (1921-1999). Malgré des sources patronales lacunaires et peu accessibles, l’objectif du présent texte est d’essayer de saisir la façon dont la grève de Saint-Brieuc s’inscrit dans les nouvelles formes de la gestion des contestations par le capitalisme industriel. Entre les accords de Grenelle de 1968 et les lois Auroux (1982), s’esquisse la réaffirmation libérale de l’entreprise comme espace de gestion des conflits. Deux temps organisent le propos, partant du principe que le conflit du Joint français dépasse la seule revendication salariale du côté patronal également. La première série de questions porte sur les logiques organisationnelles de la gestion du conflit social afin de saisir ce qu’est cette grève depuis la CGE, tandis que la seconde couvre la polarisation autour d’Ambroise Roux dans la lenteur d’une sortie du conflit.
Un conflit dans les marges d’un conglomérat industriel
3Pour les salariés du Joint français de Saint-Brieuc, l’usine était un espace de vie et de travail, un lieu quotidien qui définissait la teneur des revendications et qui fut, brièvement, occupé4. Vue depuis un bureau de la rue La Boétie à Paris, au siège de la CGE, l’usine de Saint-Brieuc n’était que l’une des composantes d’un vaste groupe, représentant moins de 1 % des effectifs, dans une activité loin des priorités stratégiques.
Le Joint français, une filiale périphérique
4Pour comprendre la place occupée par l’usine de Saint-Brieuc dans le groupe industriel de la CGE, il n’est pas possible de faire l’économie d’un rapide retour historique. Fondée en 1898 par la fusion d’entreprises de métallurgie, de lampes et de production-distribution d’électricité, la CGE est d’emblée une société organisée par l’imbrication de logiques industrielles et financières5. En effet, s’il existe une perspective d’intégration verticale, les marchés internes à la CGE n’assurent qu’une part modeste du chiffre d’affaires de chacune de ces activités. Le versement de dividendes et les facturations internes s’avèrent des outils solides pour établir une cohérence avant tout financière. Sous la conduite de Pierre Azaria (1865-1953), la CGE prit rapidement de l’envergure en ajoutant des usines de matériel électrique (disjoncteurs, transformateurs, câbles) à son activité. Dès 1902, une petite activité « Isolants » fut créée à Ivry-sur-Seine et spécialisée dans la fabrication d’isolants électriques, notamment pour les piles et batteries pour automobile. Transférée à Vitry-sur-Seine en 1915, l’usine devint une branche de la CGE sous le nom de Manufacture industrielle d’objets moulés (MIOM) et développa des matières plastiques aux usages variés. Si les bacs d’accumulateurs pour les batteries des sous-marins, trains et automobiles étaient le premier débouché, les années 1920 virent une diversification autour des matières plastiques utilisés dans les produits du quotidien (peignes, porte-cigarettes, manches de couteau, bracelets, manches d’ombrelle…). Un laboratoire de chimie, installé à l’usine de Vitry, contrôlait les fabrications et avait également la charge de rechercher d’autres produits.
5Intéressée par l’ensemble des activités liées à l’électricité, la CGE avait un temps investi dans les automobiles électriques et s’était, à partir des années 1910, recentrée sur la fabrication des batteries de démarrage tout en poursuivant la fabrication de véhicules électriques pour un marché professionnel. La marque Tudor était ainsi installée à Bezons. C’est dans cette dynamique de diversification et afin de couvrir le plus possible les applications industrielles de l’électricité, que la CGE prit le contrôle pour 600 000 francs, en mars 1922, de la société française du Joint et du Caoutchouc, après un an de négociations. Créée en 1907 comme filiale de la société austro-hongroise Ungarische Gummiwaren Fabriks AG, elle-même fondée en 1890 à Budapest, cette entreprise disposait également d’une usine à Bezons. Pendant la Première Guerre mondiale, l’usine avait été mise sous séquestre en raison de la nationalité de ses propriétaires. L’usine de Bezons bénéficiait d’une machine permettant la fabrication des joints à haute pression à base d’amiante et de caoutchouc, commercialisés sous la marque « Tauril ». L’opportunité liée au contexte de sortie de guerre pouvait justifier cette acquisition. Des arguments industriels furent également avancés, en particulier la complémentarité entre les fabrications de la MIOM à Vitry-sur-Seine et celles de l’usine de Bezons6. La fabrication des joints, notamment ceux utilisés pour les tuyauteries basse et haute pression manquait en effet dans l’éventail des productions. Dans le projet initial, l’usine de Bezons devait être fermée et la production – qui représentait un peu plus d’une tonne par jour – transférée à l’usine de Vitry-sur-Seine7. S’il n’en fut rien, le Joint français devint en revanche une société vidée de son autonomie puisque la totalité de la gestion, et notamment la responsabilité industrielle, fut confiée à la MIOM. Dès 1922 donc le Joint français fut intégré à l’ensemble plus vaste de la « branche Matériaux et isolants » de la CGE. La faible autonomie des dirigeants de l’usine de Saint-Brieuc ainsi que le peu de capacités d’initiative des responsables de Bezons s’ancrent dans cette histoire longue de l’entreprise.
6Les relations avec la maison-mère hongroise ne furent pas complètement interrompues puisqu’en 1926 le Joint français bénéficia d’un accord de licence pour une technique d’électrolyse du latex développée par la société hongroise. Les relations établies entre la CGE et les industriels du caoutchouc allèrent bien au-delà de la seule fabrication des joints étanches puisque la production des câbles et d’une partie des matériels de télécommunications supposait également l’accès à un isolant efficace et bon marché. À Bezons, l’usine du Joint français était à quelques centaines de mètres de deux importantes autres usines de la CGE : celle du Caoutchouc SIT, rattachée à la Société industrielle des téléphones, et qui fabriquait les isolants nécessaires aux équipements de télécommunications, et celle des Câbles de Lyon qui produisait des câbles pour les domaines de l’énergie comme des télécommunications. Il paraît peu vraisemblable que la maîtrise industrielle d’une production aussi délicate que les mélanges de caoutchouc n’ait pas justifié la circulation de personnes qualifiées d’un établissement à l’autre. Toutefois, aucune source ne permet d’établir des coopérations industrielles entre ces usines installées à proximité les unes des autres.
7Avant même l’implantation du Joint français en Bretagne, plusieurs caractéristiques sont donc posées : le Joint français est une filiale rattachée à la branche des Matériaux et Isolants et ses relations avec les autres filiales du groupe, y compris lorsqu’une proximité géographique le permet, sont faibles.
L’usine de Saint-Brieuc, usine de la déconcentration
8L’installation de l’usine du Joint français à Saint-Brieuc s’inscrit dans le mouvement de transformation rapide et volontariste de la Bretagne au cours des « Trente Glorieuses ». Les récits historiques reprennent parfois la geste modernisatrice décrivant une région rurale et isolée qui retrouve une place de choix dans l’espace national par l’implantation d’usines et la construction d’infrastructures. Dans le cas de la Bretagne, la rapidité et l’ampleur des transformations ne sont pas seulement le fruit de décisions parisiennes et ministérielles ; elles correspondent aux initiatives d’acteurs locaux d’une grande diversité, regroupés dans le CELIB (comité d’études et de liaison des intérêts bretons)8. À l’échelle locale comme au niveau national, la thématique d’un « retard » breton permit de justifier l’action publique et notamment la volonté industrialiste9.
9Dans les textes publiés en 1972 et 1973, l’implantation de l’usine à Saint-Brieuc est considérée comme une méthode utilisée par la CGE pour récupérer de l’argent public, que ce soit pour l’obtention des terrains ou pour les aides à la création d’emploi. Michel Phlipponneau détaille ainsi les avantages octroyés par l’État et par la mairie de Saint-Brieuc10, conduisant à la mise en place d’un premier atelier en 1962 puis à une extension en 1968. Qualifiée « d’usine pirate11 », l’implantation est ici critiquée dans ses deux dimensions : elle illustre les limites d’un aménagement volontariste du territoire d’une part, et elle associe la conduite des stratégies industrielles à la faiblesse et à la cécité des pouvoirs publics. Cet argument des aides publiques est d’ailleurs utilisé par Jean Le Faucheur lors de la manifestation du 18 avril 1972. De fait, les effectifs de l’usine ne dépassèrent que de peu le millier d’ouvriers alors que la prévision était de 1 500.
10Sur le plan industriel, le fonctionnement de l’usine de Saint-Brieuc était fortement dépendant de l’usine de Bezons dont elle n’était, au départ, qu’une extension. En 1958, cette usine de Bezons avait été modernisée et une extension implantée. Mais dès 1960, l’espace était de nouveau saturé. La croissance du Joint français était rapide du fait des marchés de l’industrie automobile, de l’aéronautique et des nombreux usages des joints isolants dans l’industrie. L’installation à Saint-Brieuc ne relevait donc pas tant de la volonté de capter des aides que de devoir évacuer certaines fabrications de la région parisienne. Jusqu’en 1972, la subordination est totale, que ce soit pour les procédés industriels les plus sensibles comme la tenue des mélanges, pour la gestion du personnel (le chef du personnel est à Bezons alors que l’usine de Saint-Brieuc a compté jusqu’à plus de 1 000 salariés), pour l’équipement installé. François Lépine (1928-2017) relate ainsi qu’étaient installées à Saint-Brieuc les vieilles machines de Bezons12. Prolongement industriel de l’usine de Bezons, l’unité de Saint-Brieuc était caractérisée par des salaires plus faibles qu’à Bezons mais également que dans les autres usines du bassin industriel (Chaffoteaux et Maury, Sambre-et-Meuse)13.
11Pour autant, l’interprétation régionaliste faisant de ce mode de fonctionnement le symbole d’une domination parisienne doit être sérieusement nuancée. Pour la CGE, la Bretagne n’était pas une terra incognita lorsque fut déclenchée la grève en 1972. Certes, le réseau commercial du groupe couvrait la région depuis longtemps, certes également Ambroise Roux avait une résidence à Trégastel dans laquelle il venait passer – disait-il – ses trois mois de vacances par an, mais la CGE était surtout engagée dans le « développement industriel » porté par les pouvoirs publics et les intérêts privés. C’est principalement dans le Trégor que des initiatives industrielles avaient vu le jour, autour de la figure de Pierre Marzin (1905-1994) et de l’implantation d’un centre de recherches en commutation à Lannion. Envisagé en 1957, inauguré en 1963, quelques mois après la première retransmission télévisée transatlantique, le site du CNET (Centre national d’études des télécommunications) n’était pas seulement la décentralisation d’un laboratoire de recherches de l’administration. Aux côtés du CNET, tous les industriels du secteur implantèrent également des laboratoires et la CGE ne fit pas exception avec la création de la Société lannionaise d’électronique, filiale de la Compagnie industrielle des téléphones. Au cours des années 1960, l’implantation de la CIT, devenue CIT-Alcatel en 1968, s’amplifia avec l’arrivée d’usines de fabrication des centraux téléphoniques14.
Le Joint français, une filiale fragilisée
12En 1968, la CGE avait été l’objet d’une profonde réorganisation interne. Alors que l’entreprise comprenait plusieurs dizaines de filiales, elle était encore directement en charge d’usines qui représentaient environ un dixième de son chiffre d’affaires. Sous l’impulsion de Jean-Marie Louvel (1900-1970) et surtout d’Ambroise Roux, la CGE devint officiellement une société holding c’est-à-dire que son existence se réduisit à la propriété de titres, et non plus à la production et la gestion directe des activités. Les quelques branches industrielles subsistantes furent transformées en filiales. Le Joint français, qui avait le statut de SARL depuis 1941, devint une société anonyme et René Dubart (1901-1993) fut porté à la présidence du conseil d’administration. Le siège social était toujours officiellement installé dans le 8e arrondissement de Paris, 20 rue de la Baume, dans un immeuble appelé « l’immeuble des filiales » et qui communiquait directement avec le siège de la CGE, rue La Boétie. La direction générale de l’entreprise, en revanche, était bien établie à l’usine de Bezons.
13Plusieurs raisons justifièrent cette mutation dans l’organisation du groupe. La forte croissance industrielle et la diversification accélérée rendaient difficiles le suivi de chacune de ces activités par le conseil d’administration mais également par la direction générale. L’autre raison était le fait que cette structure facilitait les accords industriels et en particulier les alliances par échange d’actions, ce qui fut le cas pour la fusion CIT-Alcatel en 1968 ainsi que pour le grand accord de 1969 entre la CGE et Thomson qui vit la première prendre le contrôle d’Alsthom. Dans ces recompositions à l’œuvre, le Joint français était de plus en plus marginal, la CGE se structurant autour de deux pôles majeurs : l’équipement électrique avec Alsthom et les télécommunications avec CIT-Alcatel.
14Par ailleurs, cette structure de holding définissait les relations entre la CGE et le Joint français : des relations financières d’actionnaire. Lorsque le Joint français faisait des bénéfices, comme cela fut le cas jusqu’en 1970, des dividendes étaient versés à son actionnaire. Lorsque des pertes étaient enregistrées, l’actionnaire CGE pouvait exprimer son mécontentement et éventuellement renflouer sa filiale. En ce sens, la CGE se comportait vis-à-vis de ses filiales comme un actionnaire exigeant et non comme un responsable industriel. La décentralisation des décisions était un principe affirmé et, en juillet 1968, le climat social était même un argument avancé pour justifier « un niveau plus satisfaisant des échanges de vues entre les Directions d’entreprise et les organismes de représentation du personnel15 ».
15Avec cette transformation organisationnelle de 1968, le Joint français demeurait une société indépendante des autres filiales mais était incluse dans la branche des « Matériaux et isolants ». L’entreprise de Bezons pouvait porter ses propres participations et notamment dans la Simap (Société industrielle de moulage automatique de précision) et la Somifra. Au moment de la grève de 1972, cette branche était composée de huit filiales16 dont la plus dynamique était sans conteste Ceraver. Ensemble, ces huit entreprises ne représentaient pas plus de 3,7 % du chiffre d’affaires de la CGE en 1972 et il s’agissait du secteur industriel qui progressait le moins, à égalité avec le domaine des câbles. La progression du chiffre d’affaires était en effet de 6 %, bien loin des 32 % de croissance du domaine des télécommunications et de l’électronique.
Chiffre d’affaires des secteurs d’activité de la CGE en millions de francs hors taxe, 1972 (montant TTC : 12 606 MF).
Chiffre d’affaires | Part (%) | Croissance à structure constante par rapport à 1971 | |
Électromécanique | 3 263 | 29,90 | + 8 % |
Entreprise et entreprise électrique | 2 799 | 25,65 | + 25 % |
Télécommunications et électronique | 2 072 | 18,99 | + 32 % |
Câbles | 775 | 7,10 | + 6 % |
Accumulateurs et piles | 896 | 8,21 | + 8 % |
Matériaux et isolants | 400 | 3,67 | + 6,5 % |
Grand public | 378 | 3,46 | + 25 % |
Commercial et Divers | 330 | 3,02 | + 16 % |
Total | 10 913 | 100 | + 16,5 % |
Source : rapport annuel de la CGE pour l’exercice 1972.
16Lors de la grève, le slogan « le Joint se porte bien, le Joint peut payer » est parfois apparu. Or, en 1972, la situation était fortement dégradée puisque les pertes s’étaient élevées à plus de sept millions de francs, deux exercices de suite.
17En 1973, pour faire face au manque de trésorerie du Joint français, la CGE lui prêta 5 millions de francs. C’était la seule des filiales industrielles dans ce cas. Néanmoins, certains éléments financiers restent inaccessibles en l’état. Ainsi le Joint français versait un loyer pour les bureaux occupés rue de la Baume et contribuait également financièrement à certaines dépenses du groupe CGE, dont la participation aux frais des Laboratoires de Marcoussis ainsi qu’à des frais des services généraux. Ces sommes, versées directement à la CGE et dont les montants ne sont pas publiés, sont intégrées dans les résultats du Joint français.
Principaux résultats de la CGE et du Joint français, 1969-1973 (en MF courants).
1969 | 1970 | 1971 | 1972 | 1973 | ||
Compagnie générale d’électricité | ||||||
Chiffre d’affaires consolidé | MF | 6 350 | 10 030 | 10 804 | 12 606 | 14 920 |
Effectifs | 80 000 | 113 000 | 118 000 | 124 500 | 127 000 | |
Bénéfices | MF | 117 | 183 | 196 | 222 | 188 |
Le Joint français | ||||||
Chiffre d’affaires | MF | 90,6 | 105,7 | 101,4 | 110,6 | 131,8 |
Résultats | MF | 1,4 | 2,7 | – 7,9 | – 7,3 | – 0,9 |
Effectifs | 2 745 | 2 435 | 2 434 | 2 546 | 2 490 | |
Dividende versé à la CGE | MF | 1 | 2 | 0 | 0 | 0 |
Faire durer la grève, une stratégie personnelle d’Ambroise Roux ?
18Si l’usine de Saint-Brieuc n’est qu’un site périphérique dans le vaste éventail des implantations industrielles de la CGE, la durée du conflit et l’attitude de la direction du Joint français suscitent des interrogations quant à la conception même du rôle du patronat.
Déplacer les négociations le plus loin possible du centre du pouvoir
19Durant la grève de 1972, l’absence de négociations au niveau de la CGE fut souvent soulignée. Cette attitude n’était pas neuve car la méthode avait été appliquée en mai-juin 1968. À cette occasion, les délégués du Comité central d’entreprise de la CGE avaient bien demandé une réunion de celui-ci, souhaitant aborder les questions des salaires et de la retraite au niveau du groupe. Jean-Marie Louvel, alors PDG de la CGE, leur répondit que ces discussions ne pouvaient pas « être envisagées à l’échelon central, mais seulement par entreprise et dans le contexte régional17 ». De fait, à Saint-Brieuc, un accord avait été signé le 18 juin 1968. Dans le droit fil de cette politique, en juillet 1968, la direction générale de la CGE avait refusé la création d’un comité central inter-entreprises, considérant qu’il incombait à chaque entreprise de gérer les relations sociales. Il est bien évidemment possible de voir dans cette conduite une façon de segmenter le groupe et d’éviter des mouvements sociaux de grande ampleur. Il est également possible d’y voir une forme de cohérence autour du primat des relations financières établies : si la CGE n’intervient pas dans les décisions opérationnelles et se contente d’engranger les dividendes, il n’y a pas de raison qu’elle intervienne dans la gestion des relations sociales.
20De fait, les négociations furent menées par les dirigeants du Joint français et non par ceux de la CGE. En première ligne, le directeur de l’usine de Saint-Brieuc, Jean-Louis Donnat18, fut particulièrement mis en cause par les grévistes. N’ayant apparemment aucune marge de manœuvre et accusé de rigidité, il fut rapidement pris pour cible (« Donnat salaud, le Joint aura ta peau »). Les deux directeurs parisiens qui menèrent la plupart des discussions furent Bernard Fourt et Richet. Bernard Fourt, né en 1927 dans le Pas-de-Calais, était un ancien élève de Saint-Cyr (promotion 1945-1947 dite « Nouveau Bahut » car la première installée à Coëtquidan). Il ne fit pas carrière dans l’armée et obtint un diplôme de génie électrique de Supélec (1952), formation qu’il avait complétée par un diplôme à la Business School d’Harvard (1955). Après une première partie de carrière au sein de la Compagnie électromécanique entre 1955 et 1962, il travailla deux années à Épernon (Eure-et-Loir) dans l’usine américaine W. R. Grace qui fabriquait des joints d’étanchéité. Intégré à Alsthom, il rejoignit le Joint français en 1967 et devint directeur général adjoint puis, par décision du conseil d’administration du 22 mars 1971, directeur général19. À ses côtés, Richet était le directeur du personnel du Joint français. Installé à Bezons, il était également responsable, depuis la région parisienne, du personnel de l’usine de Saint-Brieuc. À ces directeurs, il convient d’ajouter René Dubart, président de la société. Ingénieur de l’École centrale de Paris (1922), il avait suivi les filiales de production-distribution d’électricité de la CGE dans les années 1930 et était devenu directeur des distributions d’énergie en 1941. Avec la nationalisation de l’électricité en 1946, il avait poursuivi sa carrière à la tête de diverses filiales industrielles mineures dont La pile Leclanché, la firme italienne Adda, la CGE Maroc, la société Sauter, et participa à de nombreux conseils d’administration. En 1968, lorsque le Joint français redevint une société anonyme, il en prit la présidence sans avoir jamais exercé de responsabilités dans ce domaine industriel.
21Ce sont donc ces hommes du Joint français qui assurèrent la gestion du conflit du point de vue patronal. Les témoignages ne manquent pas qui soulignent la responsabilité de Jean-Louis Donnat dans la dégradation du climat social dans l’usine au cours des mois précédents avec plusieurs grèves successives. Le décalage des salaires entre Bezons et Saint-Brieuc était l’un des arguments avancés. Certes, la revendication d’une augmentation de 70 centimes illustrait la différence de traitement entre les deux usines. Mais l’attitude de la direction fut également incriminée dans la gestion même des relations sociales. L’entrevue du 24 février 1972 avait été une fin de non-recevoir de la part de la direction, en soulignant qu’une hausse des salaires de 3 % était déjà prévue pour le mois d’avril. La lettre envoyée par la direction le 6 mars provoqua même le ralliement de la maîtrise et le vote de la grève illimitée le 10 mars 1972. Bernard Fourt et Richet étaient de nouveau présents à Saint-Brieuc le 13 mars lors de l’installation du piquet de grève devant l’usine. L’intransigeance patronale dans les semaines qui suivirent favorisa la structuration du vaste mouvement de solidarité qui reste l’une des caractéristiques majeures de la grève du Joint français. Cette intransigeance provoqua également les premières interventions des pouvoirs publics et notamment de Yves Sabouret (né en 1936), maire de Saint-Cast-le-Guildo et directeur de cabinet du ministre du Travail Joseph Fontanet. Lors des négociations du 5 avril au siège de l’Inspection du travail à Saint-Brieuc, Bernard Fourt, Richet et Jean-Louis Donnat furent bloqués pour la nuit après avoir proposé une augmentation de 19 centimes. Si les grévistes retinrent les directeurs, dans ce qui est symboliquement présenté comme une inversion du rapport de force, c’est bien René Dubart qui demanda aux forces de l’ordre de libérer les trois directeurs. Une lettre fut alors adressée à chaque salarié par le président.
22Cette attitude contribua à renforcer la solidarité et à cristalliser les revendications. Pour autant, bien peu de mouvements de solidarité apparurent au sein du Joint français : l’usine de Bezons ne se mit pas en grève même si des collectes de solidarité furent organisées20. René Dubart pouvait ainsi déclarer, lors du conseil d’administration du 14 avril, que les rapports sociaux étaient bons dans cette usine de Bezons. De même, au sein de la CGE, et malgré une lettre adressée à Ambroise Roux le 11 avril et un tract « inter-CGE » de la CFDT le 17 avril, aucun mouvement d’ampleur ne fut signalé, y compris dans les autres usines bretonnes. La CFDT tenta bien de déclencher une grève de solidarité à CIT-Alcatel, en vain. Pourtant un autre établissement de la CGE était en grève au même moment : l’usine Delle-Alsthom de Saint-Ouen qui fabriquait des disjoncteurs et dont la fermeture avait été annoncée alors qu’elle employait 525 ouvriers. De même, en mai 1972, une grève à la Société lannionaise d’électronique demanda l’alignement des salaires sur ceux pratiqués à Paris21. L’absence de convergence des grèves au niveau du groupe CGE illustre à quel point la segmentation entre les filiales et les secteurs industriels était une réalité de terrain. À Saint-Brieuc en 1972, comme lors de la « grève du Centenaire » en 1979 au sein de l’usine Alsthom à Belfort, le conflit social fut rude et de longue durée. Mais l’essentiel était que ces conflits soient « bien encadrés par rapport à la CGE22 ».
Ambroise Roux, le CNPF et ses stratégies politiques
23Que se passa-t-il à la tête de la CGE durant la grève ? Le conseil d’administration du 5 avril 1972 fut important puisque Georges Pébereau (1931-2011) y fut nommé directeur général et constitua de fait un tandem avec Ambroise Roux23. Ambroise Roux avait été nommé PDG le 17 juin 1970 suite au décès de Jean-Marie Louvel, mais il avait exercé une grande partie des responsabilités depuis sa nomination comme directeur général en 1966. Lors de ce même conseil d’administration du 5 avril 1972, les dividendes versés aux actionnaires furent portés de 55,9 MF (exercice 1970) à 65 MF (exercice 1971)24. Certes les activités industrielles des câbles et des matériaux – dont le Joint français – étaient considérées comme celles devant affronter un contexte plus difficile mais aucun élément écrit ne fit allusion à la grève de Saint-Brieuc.
24Il est difficile de croire qu’Ambroise Roux et Georges Pébereau ne suivirent pas les principales étapes du conflit, ne serait-ce qu’en raison de sa médiatisation et des interventions des pouvoirs publics. Dans le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, deux des ministres du Centre démocratie et progrès, Joseph Fontanet et René Pleven, furent directement concernés, le premier comme ministre du Travail et le second comme garde des Sceaux mais surtout président du conseil général des Côtes-du-Nord. Il convient aussi de comprendre l’attitude d’Ambroise Roux dans le contexte patronal de l’époque : tenant d’une ligne « économiste » au sein du CNPF en pleins préparatifs à la succession de Paul Huvelin (1902-1995), Ambroise Roux cherchait à construire l’image d’un patron qui ne cédait pas aux pressions syndicales ou politiques25. La modernisation de l’entreprise qu’Ambroise Roux appelait de ses vœux était ainsi fondée sur le primat des considérations économiques, à rebours de la prise en compte des transformations sociales de l’après-1968, ligne que représentaient les progressistes d’Entreprise et Progrès. L’attitude de la CGE était également bien éloignée du patronat chrétien traditionnel dont Ambroise Roux entendait se démarquer. La dénonciation des « démago-chrétiens », d’après l’expression qui lui est attribuée26, correspond bien à la ligne idéologique qu’il représente, défendant la croissance économique et le rôle des entreprises, par exemple en juillet 1972 face à Sicco Mansholt (1908-1995), président de la Commission européenne depuis le 22 mars 1972, dans l’émission « À armes égales ».
25La CGE et Ambroise Roux devinrent la cible de tracts (« l’exemple du Joint français montre combien sont dures les luttes contre les grandes sociétés multinationales comme la CGE », mentionne un tract du PCF des Côtes-du-Nord le 20 avril 1972) mais aussi de certains milieux politiques de droite, notamment de la section locale de l’UDR et d’éditoriaux de Jacques de Montalais dans La Nation, le journal national du mouvement gaulliste :
« Donc, ce grand PDG n’aurait, semble-t-il, qu’à lever le petit doigt. Il ne l’a pas fait. Faut-il croire qu’il spéculerait sur le chômage ? Faut-il croire qu’il serait de ces hommes qui ont si haute opinion d’eux-mêmes et de leur valeur qu’ils trouvent tout naturel de voir certains gagner trop, et même nettement trop, en France, quand on voit ce qu’il en est dans d’autres pays voisins, pendant que d’autres peuvent à peine nouer les deux bouts ? Nous ne voulons pas le croire. […] Dans ce pays où la propagande marxiste – énorme et multiforme – ne parvient pas à donner envie aux Français, même pauvres, de “changer de régime” pour se retrouver sous celui des Tchécoslovaques et des Polonais, ne serait-il pas lamentable de contribuer à leur en donner l’envie malgré tout, à force d’étaler une telle indifférence, pour ne pas dire un tel mépris des hommes27 ? »
26Ambroise Roux incarna ainsi l’aile conservatrice mais modernisatrice du patronat. La médiatisation du conflit du Joint français lui permit de renforcer son image de patron déterminé. L’interprétation de Michel Phlipponneau considérant que « mille ouvriers bretons ont réussi à tenir en échec la puissante CGE, le vice-président du CNPF Ambroise Roux » en brisant la collusion du pouvoir politique et du pouvoir patronal est certainement excessive dans la mesure où le pouvoir personnel d’Ambroise Roux sortit renforcé du conflit28.
Après la grève, une discrète reprise en main
27Sur la forme, le protocole de Saint-Brieuc du 6 mai 1972 est signé par la direction du Joint français et non par celle de la CGE. Sur le fond, les principaux éléments de l’accord sont connus : augmentation des salaires, harmonisation avec ceux de Bezons au plus tard le 1er juillet 1975, diminution du temps de travail de 47 à 46 heures par semaine. La phrase de René Dubart témoigne de la perception de ces accords par la direction : « nous sommes heureux du résultat des négociations, mais nous ne sommes pas satisfaits29 ».
28Au niveau de la direction du Joint français, deux remplacements rapides intervinrent. René Dubart, président depuis 1968, démissionna lors du conseil d’administration du 26 mai 1972, atteint par la limite d’âge des présidences du groupe fixée à 70 ans. Son successeur, Alain Willk (1912-1979), était un homme de confiance d’Ambroise Roux. Polytechnicien (promotion 1931), résistant, délégué militaire régional de la zone M à partir de 194330, Alain Willk avait côtoyé Ambroise Roux au sein de Petrofigaz, une importante société financière pour l’équipement industriel de Lacq, dont il était directeur général adjoint alors qu’Ambroise Roux en était le PDG. Au sein de la CGE, Alain Willk fut plus particulièrement chargé des appareils électroniques grand public ce qui le conduisit à présider le SCART (syndicat des constructeurs d’appareils radiorécepteurs et téléviseurs) dans la seconde moitié de l’année 1960 et à devenir membre du Haut conseil de l’audiovisuel en 1972. Il fut également l’homme des négociations avec General Electric pour l’entrée de la CGE dans le nucléaire.
29Apparemment mis sur la touche lors des dernières négociations, le directeur de l’usine Jean-Louis Donnat fut remplacé par François Lépine dès juin 1972 mais celui-ci ne prit réellement ses fonctions que le 1er octobre 1972. Jean-Louis Donnat poursuivit sa carrière au sein de la CGE. François Lépine avait été chargé de mission au ministère de l’équipement en 1966-196731, date à laquelle le directeur de cabinet n’était autre que Georges Pébereau. Dès la fin de l’année 1972, François Lépine, qui ne manqua pas d’accuser son prédécesseur de tous les maux, obtint une autonomie beaucoup plus grande pour l’usine de Saint-Brieuc, vis-à-vis de celle de Bezons.
30Ces deux remplacements à la direction du Joint français témoignent de la volonté d’Ambroise Roux et Georges Pébereau d’établir des bases industrielles plus saines afin de permettre un retour rapide à la profitabilité. D’autres transformations de long terme sont également sensibles à la même date, dont le fait de vouloir partiellement sortir de la compartimentation des secteurs industriels. Alors que, durant le conflit, tout semble indiquer la volonté de ne pas créer une « culture CGE », d’autres éléments invitent à nuancer les relations purement financières exposées. En 1948, pour le cinquantenaire de la création de la CGE, des primes furent accordées au personnel en fonction de l’ancienneté et les salariés du Joint français purent bien en bénéficier. Pour les 75 ans de la CGE, en 1973, un magazine d’entreprise fut lancé. Sobrement intitulée Revue de la Compagnie générale d’électricité, cette publication éditée par la direction des relations publiques de la CGE présentait des réalisations majeures des différentes filiales. Dans l’ouverture du second numéro, Ambroise Roux pouvait mettre en avant la structure de la CGE : « Son organisation souple, décentralisée en grandes filiales spécialisées par secteurs, – telles qu’Alsthom pour l’électromécanique, CIT-Alcatel pour l’électronique et les télécommunications, la Société Générale d’Entreprises pour le bâtiment et les travaux publics – permet d’allier la puissance des moyens à l’efficacité de la gestion32. » Le Joint français bénéficia d’un article dans le numéro 8, en 1975, sur l’évolution technique de l’étanchéité des joints.
31En septembre 1974 fut lancé le magazine d’entreprise Le Joint français Informations, d’abord avec une périodicité mensuelle puis, dès l’année suivante, trimestrielle. Cette création n’est officiellement pas directement liée à la grève de 1972. Toutefois, entre les lignes et au-delà des discours convenus, quelques allusions aux grèves peuvent être identifiées. Dans l’éditorial du second numéro, Jean Kerrelle, responsable du service de la publicité qui comprenait la communication et les relations publiques, encourageait à la « concertation de tous les instants, avec tous les services, et surtout avec tous les hommes de tous les niveaux33 ».
⁂
32Bien des aspects de la grève de Saint-Brieuc trouvent leurs origines dans les structures de la CGE et dans les stratégies politiques de son PDG. La fabrication des joints étanches en caoutchouc n’était en aucune façon une priorité stratégique pour la CGE, contrairement à la conquête des premiers marchés du nucléaire ou aux accords européens dans le domaine de l’informatique, deux sujets évoqués au conseil d’administration alors qu’y fut ignorée la situation sociale qui faisait pourtant l’actualité au printemps 1972. L’établissement de liens de nature purement financière entre la CGE et le Joint français contribua sans aucun doute à accroître la pression sur les dirigeants de la filiale pour ne rien céder aux grévistes, et surtout pas des augmentations salariales alors que les pertes étaient élevées. La durée du conflit correspond à la fois à l’intransigeance de la direction du Joint français et aux volontés d’Ambroise Roux d’incarner un patronat inflexible à l’heure de la campagne interne au sein du CNPF.
33Paradoxalement, la « victoire » proclamée des grévistes, qui obtinrent satisfaction sur la plupart de leurs revendications, n’est aussi éclatante que parce que le camp patronal n’a pas cédé pendant des semaines. Malgré un ancrage social large du mouvement, malgré les pressions du ministère du Travail pour parvenir à un accord, malgré les critiques politiques de tout bord, la CGE d’Ambroise Roux tint sur une ligne intransigeante, avec des concessions mineures proposées lors des négociations. Dans ces années post-mai 1968 où les « transformations de la société » étaient devenues le maître-mot de toutes les institutions, y compris à Matignon, l’affirmation d’une logique économique d’entreprise put apparaître comme un archaïsme. Elle l’était partiellement, notamment dans le mode de fonctionnement du Joint français. Mais cette attitude était aussi annonciatrice du grand retour de l’entreprise libérale qui, entre désindustrialisation et mondialisation, reformulait les principes d’un capitalisme fondé sur les logiques économiques et financières.
Notes de bas de page
1Phlipponneau Michel, Au Joint français, les ouvriers bretons, Saint-Brieuc, Presses universitaires de Bretagne, 1972, 135 p. ; Capdevielle Jacques, Dupoirier Elisabeth et Lorant Guy, La grève du Joint français. Les incidences politiques d’un conflit social, Paris, Fondation nationale des sciences politiques/Armand Colin, 1975, 166 p. ; Lépine François, Le Mat Jean-Pierre, Le Loup Roland et alii, Vers une gouvernance économique bretonne, Saint-Brieuc, Éditions Ares, 2014.
2Porhel Vincent, Ouvriers bretons. Conflits d’usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, 325 p. ; Vigna Xavier, L’insubordination ouvrière dans les années 68. Essai d’histoire politique des usines, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, 384 p. ; Jalabert Laurent et Patillon Christophe (dir.), Mouvements ouvriers et crise industrielle : dans les régions de l’Ouest atlantique des années 1960 à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, 188 p. ; Salles Jean-Paul, La Ligue communiste révolutionnaire (1968-1981). Instrument du Grand Soir ou lieu d’apprentissage, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, 432 p.
3Daumas Jean-Claude, « Regards sur l’histoire du patronat », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. 114, 2012/2, p. 3-14.
4Sur l’interprétation de ces stratégies, Pénissat Étienne, « Les occupations de locaux dans les années 1960-1970. Processus sociohistoriques de “réinvention” d’un mode d’action », Genèses, vol. 59, 2005/2, p. 71-93.
5Bouvier Yves, Connexions électriques. Technologies, hommes et marchés dans les relations entre la Compagnie générale d’électricité et l’État. 1898-1992, Bruxelles, PIE Peter Lang, 2014, 697 p. On pourra également se référer à l’ouvrage historique de commande : Marseille Jacques, Broder Albert et Torres Félix, Alcatel-Alsthom. Histoire de la Compagnie Générale d’Électricité, Paris, Larousse, 1992, 479 p. Cet ouvrage ne mentionne pas la grève du Joint français, la filiale ayant été cédée par la CGE à Hutchinson en 1986.
6Conseil d’administration de la CGE 20 janvier et 27 février 1922.
7Bulletin de la CGE, no 9, novembre 1922, p. 103.
8Sainclivier Jacqueline, « Du CELIB à la région Bretagne : réussite et limites d’une affirmation identitaire », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, vol. 111, 2004/4, p. 103-116.
9Sur l’investissement politique local dans l’usine du Joint français : Simon Marcelle, « Les fonctions industrielles de Saint-Brieuc », Norois, no 48, 1965, p. 449-458.
10Phlipponeau Michel, Au Joint français…, op. cit., p. 17.
11Capdevielle Jacques et alii, La grève du Joint français…, op. cit., p. 17.
12Lépine François et alii, Vers une gouvernance économique bretonne, op. cit., p. 32-33.
13Capdevielle Jacques et alii, La grève du Joint français…, op. cit., p. 22.
14Nous nous permettons de renvoyer à : Bouvier Yves, « Histoire récente d’un pôle régional innovant dans l’industrie des télécommunications : Lannion et le Trégor depuis les années 1960 », Histoire, Économie, Société, vol. 26, 2007/2, p. 49-59.
15Archives Alcatel, CA CGE 10 juillet 1968.
16Ceralep, Ceraver, CPOAC, COFPA, le Joint français, Fonderies et ateliers de Mousserolles, Simap, Somifra.
17Archives Alcatel, CA CGE 5 juin 1968.
18Ingénieur de l’École nationale supérieure de la métallurgie et de l’industrie des mines de Nancy (promotion 1957), Jean-Louis Donnat a d’abord fait carrière dans les mines.
19Bernard Fourt est décédé au Vésinet en 2015.
20Capdevielle Jacques et alii, La grève du Joint français…, op. cit., p. 85. À Bezons, la situation était notablement différente avec des ouvriers majoritairement d’origine immigrée et une implantation de la CGT bien supérieure à celle de la CFDT. La CGT organisa une grève de soutien de deux heures.
21À Lannion, le contexte était complètement différent puisque sur les 580 salariés de cette filiale de la CGE, 126 étaient ingénieurs et 148 techniciens.
22Entretien avec Roger Schulz, PDG d’Alsthom-Atlantique, 22 janvier 2003.
23Pébereau Georges et Griset Pascal, L’industrie, une passion française, Paris, PUF, 2005, p. 27-31.
24Soit un dividende par action de 14,50 F au lieu de 13,40 F (archives Alcatel, CA CGE du 5 avril 1972).
25Weber Henri, Le parti des patrons. Le CNPF. 1946-1990, Paris, Le Seuil, 1991, p. 243-259.
26Le Monde, « Comment devient-on Ambroise Roux », 30 avril 1988.
27Éditorial de Jacques de Montalais, La Nation, 3 mai 1972.
28Le goût d’Ambroise Roux pour sa propre réputation parcourt sa biographie officielle rédigée par l’épouse d’Yves Sabouret (Caumont Anne de, Un prince des affaires, Paris, Grasset, 1996, 328 p.).
29Le Monde, 9 mai 1972. Une formule équivalente est citée par Michel Phlipponneau, p. 80.
30Alain Willk a été parachuté à deux reprises pour établir la coordination entre l’état-major et la Résistance.
31Lépine François et alii, Vers une gouvernance économique bretonne, op. cit., p. 47.
32Roux Ambroise, Éditorial, La Revue de la Compagnie générale d’électricité, no 2, 1973.
33Le Joint français Informations, no 2, octobre 1974.
Auteur
Université de Rouen Normandie.
Yves Bouvier est professeur d’histoire contemporaine, université de Rouen Normandie, GRHis (UR 3831).

Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008