Devenir descendant d’Unioniste
La publication des mémoires d’anciens chefs du Comité Union et Progrès de 1919 à nos jours
p. 225-236
Texte intégral
1D’emblée, les « mémoires » des anciens dirigeants unionistes qui ont tenu les rênes de l’État ottoman de 1913 à 1918 peuvent apparaître comme directement issus de la responsabilité de ces hommes dans le génocide arménien de 1915-1916. Tous les auteurs de notre corpus1 ont en effet été jugés et condamnés, individuellement et collectivement, par les cours martiales mises en place par le gouvernement d’après-guerre, pour leur responsabilité dans les massacres de la population arménienne de l’Empire durant la Première Guerre mondiale. Dès lors, notre hypothèse de départ était que l’écriture de leurs mémoires venait en réaction à ces procès, et qu’elle était dictée par la volonté de s’innocenter, individuellement et collectivement, tout en justifiant les crimes commis. Cette hypothèse semblant se confirmer par la suite, il s’agissait de mettre en évidence des stratégies narratives communes de déresponsabilisation et de caractériser ainsi le « discours du génocidaire ». Or, cela nous faisait prendre le risque de nous enfermer dans une dimension synchronique et de négliger un fait important : les mémoires des unionistes ont aussi une histoire.
2La lecture des travaux de Johann Michel sur les régimes mémoriels de l’esclavage en France a permis d’éviter cet écueil, et de prendre conscience de la dimension processuelle, historique et sociologique de la mémoire, et toute la complexité qu’enferme ce mot. Les concepts théorisés par le politologue – « grammaire mémorielle », « régime mémoriel », « entrepreneurs de mémoire », « mémoire officielle », nous ont permis de problématiser et de penser notre travail2. À la critique littéraire des mémoires, nous avons associé une analyse des conditions historiques de leurs publications (changements de majorité politique, rapports de force partisans, contexte international, circulation des idées…) qui ont rendu possibles leur diffusion et leur transformation. Au-delà d’un argumentaire « de génocidaire », nous avons cherché à repérer et dater à travers les mémoires d’Unionistes, mais aussi dans les préfaces des éditeurs, différentes grammaires mémorielles, pour identifier ensuite un ou plusieurs régimes mémoriels – qui se sont succédé mais qui ont pu cohabiter – en Turquie au cours du xxe siècle. Nous considérons les mémoires des Unionistes comme une action littéraire qui relève bien d’un « usage public de l’histoire » au sens où le définit Habermas, et de la construction d’une mémoire publique en Turquie à partir de représentations proposées par d’anciens hommes politiques/chefs d’État (les Unionistes), par l’intermédiaire des éditeurs de leurs mémoires. Ces éditeurs apparaissent dès lors comme des acteurs importants : ils sont des « entrepreneurs de mémoire ».
3Qui sont-ils ? Pourquoi, quand et comment publient-ils ces mémoires ? Il s’agira dans ce chapitre de mettre à jour des trajectoires individuelles, qui peuvent nous éclairer sur un phénomène qui apparaît en Turquie à partir des années 1940 : celui de la revendication d’une filiation avec les Unionistes, ou d’une ancestralité partagée avec les enfants, puis les petits-enfants d’Unionistes. D’où le titre, « devenir descendant d’Unioniste », qui fait écho au titre de l’ouvrage de Johann Michel Devenir descendant d’esclave. Afin de mettre en évidence cette dimension processuelle (devenir), nous distinguerons trois périodes, qui permettront de distinguer trois étapes dans la construction de la catégorie « descendants d’Unionistes ».
Les années 1920-1930 : le muselage des descendants d’Unionistes par l’État kémaliste
4La première fois que des descendants d’Unionistes apparaissent dans l’espace public en Turquie, c’est au printemps 1919, à l’occasion de la première publication de « mémoires d’Unioniste », ceux du Dr Resid. Après l’armistice de Moudros, le Dr Resid est arrêté (5 novembre 1919), accusé d’avoir, durant son gouvernorat à Diyarbekir, fait assassiner les kaymakam de Lice et de Besiri qui s’étaient opposés à ses ordres concernant les massacres d’Arméniens, et pour sa responsabilité au premier degré dans ces massacres mais aussi pour la répression sanglante des insurrections de Yezidis et de Nestoriens qui avaient éclaté dans la région. Le 25 janvier 1919, alors qu’il devait être conduit de la prison aux bains, Resid se fait « kidnapper », et parvient à s’enfuir. Mais le 6 février 1919, retrouvé par la police, il se suicide. Durant son séjour en prison, Resid a écrit un court texte dans lequel il se défend d’avoir fait assassiner les deux kaymakam, et soutient qu’il n’a aucune responsabilité dans les massacres d’Arméniens.
5Les carnets personnels se trouvant sur lui au moment de son suicide, ils avaient été transférés de la Police à la Cour martiale qui devait le juger. Or, avant d’être rendus à sa famille, ces manuscrits passent entre les mains des journalistes d’Alemdar, et à partir du 25 février 1919, quotidiennement, les écrits de Resid sont publiés sous forme de feuilleton dans ce journal, malgré les tentatives de la famille d’interrompre la publication et de récupérer les carnets. La rédaction d’Alemdar publie une déclaration disant que les carnets « appartenaient au mort, et non à sa famille », et qu’en les publiant, « le journal [souhaitait] montrer que le Dr Resid lui-même [n’appartenait] ni à sa famille, ni à personne d’autre, mais à l’histoire du pays ». La veuve et le beau-père de Resid portent alors plainte pour violation du « droit des orphelins » (yetimlerin hukuku).
6Le cas des « orphelins du Dr Resid » est un cas exceptionnel, car c’est la seule et unique fois que des descendants d’Unionistes s’opposent à la publication des mémoires, et que celle-ci se fait à leur insu. C’est aussi la seule fois qu’elle se fait avec une visée de condamnation publique de son auteur et des crimes qu’il a commis. Le caractère éphémère des gouvernements libéraux, anti-unionistes, de l’après-guerre (qui permettent l’expression de cette condamnation) ne permettra pas à ce modèle mémoriel dénonciateur des crimes commis sous les Unionistes d’entrer dans la mémoire publique de la Turquie.
7En effet, bientôt, le rapport de force se bouleverse, à la faveur du mouvement de résistance nationale qui s’est formé en Anatolie sous l’impulsion de chefs militaires unionistes. À partir du printemps 1920, ces derniers tiennent à nouveau les rênes de l’État. S’ils reconnaissent officiellement l’autorité du sultan-calife, de fait, c’est l’Assemblée nationale formée à Ankara (avril 1920) qui légifère. Dès lors, Ankara constitue le centre de la lutte armée engagée par les Unionistes, la « guerre de Libération » (Kurtulus Savası), celle-ci étant menée à l’Est contre les Arméniens et à l’Ouest contre les Grecs ; Mais Ankara constitue aussi le lieu d’une lutte politique latente, en particulier entre Mustafa Kemal et les partisans d’Enver Pacha3.
8Les mémoires de Talât Pacha4 et de Cemal Pacha5, écrits pendant la Guerre de Libération, sont publiés respectivement en 1921 et 1922, donc en plein cœur de cette lutte politique. Et l’on peut affirmer que ce sont les Kémalistes, et peut-être Mustafa Kemal lui-même, qui orchestre ces publications. Il apparaît tout d’abord qu’elles sont le fait d’acteurs qui sont eux-mêmes d’anciens Unionistes, et qui ont rejoint le mouvement kémaliste.
9Les mémoires de Talât Pacha sont publiés huit mois après sa mort (novembre 1921) dans le journal Yeni Şark (« Nouvel Orient »), un organe de presse local (Diyarbakır). Le fondateur de ce journal, Rauf Ahmet (Hotınlı, 1875-1952), était membre du CUP. Rauf Ahmet est élu député d’Istanbul en 1920. Durant la période républicaine, cet homme est nommé à la Direction Générale de la Presse et Publication (Basın-Yayın Umum Müdürlügü6). Les mémoires de Cemal Pacha sont publiés par la maison d’édition Ahmed Ihsan ve Şürekâsı Matbaası, fondée en 1890 par Ahmed Ihsan (Tokgöz, 1867-1942). Membre du CUP, Ahmed Ihsan publiait également la revue pro-unioniste Servet-i Fünûn. On le retrouve à la conférence de Lausanne, dirigeant le bureau de la presse turque. En 1922-1923, il représente la Turquie à la Société des Nations.
10Par ailleurs, le moment où ils sont publiés apparaît en décalage avec les visées de leurs auteurs quand ils écrivaient – mobiliser l’opinion publique en faveur de la lutte armée nationaliste et d’autre part, influer sur les négociations internationales de paix. Finalement, les mémoires de Talât et Cemal semblent s’accorder aux ambitions de leurs éditeurs – consolider la position du chef du mouvement de la résistance nationale, Mustafa Kemal, en particulier face à l’autre homme fort du Comité Union et Progrès, le troisième homme du triumvirat, Enver Pacha. De fait, dans leurs mémoires, Talât et Cemal désignent Enver comme le principal responsable de la défaite de 1918. Or, cette condamnation publique, de la part de deux chefs prestigieux, ne pouvait que servir les intérêts de Mustafa Kemal, au moment précis où celui-ci craignait, à juste titre, qu’Enver Pacha revienne en Anatolie et prenne la tête de la résistance nationale. Enver comptait sur sa réputation et sa popularité au sein de l’armée – surtout après avoir compris qu’il ne pouvait plus compter sur l’aide des Russes (été 1921).
11Il est vrai qu’au moment où les mémoires de Cemal sont publiés en Turquie, Mustafa Kemal n’avait plus à craindre un retour d’Enver puisque celui-ci était mort peu de temps avant, en juin 1922. Néanmoins, il devait faire face à une opposition menée par des hommes qui étaient des partisans réclamés d’Enver7. La publication posthume des mémoires de Talât Pacha et de Cemal Pacha, coïncidant avec ce moment critique pour Mustafa Kemal, a certainement joué un rôle dans la consolidation de son pouvoir, avec la fondation du Parti du Peuple en août 1923, suivie de la constitution d’une nouvelle Assemblée, plus kémaliste que la précédente. Il est difficile de déterminer si l’initiative venait de Mustafa Kemal ou du leadership unioniste. Talât et Cemal étaient probablement plus informés que Kemal des ambitions d’Enver et, dans la perspective de leur propre retour, souhaitaient sûrement eux aussi l’« éloigner », en ternissant son image auprès de l’opinion publique, c’est-à-dire surtout au sein de l’armée, tout en blanchissant les leurs.
12Si l’on peut affirmer que finalement les mémoires de Talât et de Cemal sont utilisés par Mustafa Kemal, néanmoins, la longue durée du régime monopartisan kémaliste va permettre aux grammaires mémorielles élaborées par les deux chefs unionistes dans leurs mémoires de perdurer. Et, alors que les Unionistes vont bientôt être bannis de la mémoire officielle, surtout après les procès-purges de 1926, Talât et Cemal ayant été salués comme des héros de la patrie au moment de la publication de leurs mémoires – d’autant qu’ils sont morts peu de temps avant, assassinés par des Arméniens – vont en quelque sorte, passer entre les mailles du filet mémoriel kémaliste.
13En effet, durant ces années 1920-1930 où le champ mémoriel est verrouillé, où en quelque sorte seul Mustafa Kemal est autorisé à se souvenir, la réédition des mémoires de Cemal, en 1933, apparaît comme exceptionnelle. L’on sait par exemple que Kâzim Karabekir tente de publier ses mémoires sur la guerre d’indépendance la même année, mais fait face à un échec : l’édition est stoppée sur les ordres de deux proches associés de Mustafa Kemal8, et tous les exemplaires du livre sont recherchés et brûlés. Cet échec s’explique par la situation de rivalité entre ce dernier et Mustafa Kemal. Comme Erik-Jan Zürcher l’a montré, le rôle décisif du second dans la victoire de la guerre de Libération, et le prestige qu’il en avait tiré, faisait de lui un personnage trop dangereux pour Mustafa Kemal. Ce prestige l’avait sauvé de la pendaison en 1926 mais il est néanmoins écarté de la vie politique.
14Cependant, le fait que les mémoires de Cemal soient publiés en 1933 contrairement à ceux de Karabekir peut aussi s’expliquer par de plus anciennes relations de clientélisme. Au sein du CUP, dont ils étaient tous les deux membres, Mustafa Kemal faisait partie de la faction de Cemal Pacha, tandis que Kâzim était un des hommes d’Enver Pacha. On a pu dire que c’est cette ancienne relation de proximité/clientélisme qui expliquerait que l’État kémaliste ait pris en charge les besoins de la veuve Cemal Pacha, jusqu’au traitement médical à Davos d’un de ses enfants atteint de la tuberculose9. Mais il faut savoir qu’à partir de 1926 une pension à vie est versée par l’État turc aux familles des Unionistes morts en « martyrs » sous les balles d’Arméniens vengeurs (comme Talât et Cemal, mais aussi d’autres). Ces familles sont installées dans des maisons « abandonnées » par les Arméniens. En vertu d’un décret daté du 30 août 1927, les loyers d’un terrain et de boutiques du quartier de Beyoğlu « abandonnés » par son propriétaire arménien Viçen Hokaçyan furent donnés à la famille de Cemal Pacha10. Ces pensions et ces dons participaient peut-être d’une stratégie de « muselage » des descendants d’Unionistes. Le fait est que ceux-ci sont très discrets, voire invisibles, absents de l’espace public turc jusqu’aux années 1950.
Les années 1940-1950 : la coopération des descendants d’Unionistes avec le CHP11 d’Inönü
15De ce point de vue, la publication, entre 1943 et 1945 des journaux privés et inédits de Cavid Bey, suivie en 1945-1946 de la réédition des mémoires de Talât Pacha, constitue un point de rupture. Ces deux publications sont orchestrées par le même homme : Hüseyin Cahit Yalçın (1875-1957), qui publie les écrits de ces deux anciens chefs du Comité Union et Progrès dans son journal Tanin. Cet ancien chef de la propagande unioniste s’était retrouvé ostracisé par Mustafa Kemal en 1924, pour s’être positionné en faveur du maintien du khalifat au moment de son abolition. Son célèbre journal Tanin, qui fut l’organe de presse officiel du Comité Union et Progrès, avait alors été interdit. Durant cette période, Yalçın a néanmoins poursuivi ses activités de journaliste et publiciste, et a notamment livré à la fin des années 1930 l’une des premières traductions en turc de Mein Kampf. Après la mort d’Atatürk, et sur la demande du nouveau Président Ismet Inönü, Yalçın revient en politique en 1939. Il est élu député à l’Assemblée nationale turque et président du groupe parlementaire CHP (Parti républicain du Peuple) qui est, jusqu’en 1946, l’unique parti autorisé en Turquie.
16À y regarder de plus près, les publications des écrits de Cavid et de Talât provoquent une faille importante dans la forteresse mémorielle construite dans les années 1920-1930 par Mustafa Kemal. Cavid Bey avait été accusé en 1926 d’avoir participé à une conjuration visant à tuer le Président de la République turque, condamné à mort et pendu. Éditer ses écrits revient donc à donner la parole à un homme désigné jusqu’alors comme un traître absolu. Or, Yalçın, lui-même un ancien Unioniste, était très proche de Cavid. Après la mort de celui-ci en 1926, il prend en charge sa veuve et adopte son fils (Siar Yalçın). En tant qu’ancien membre du Comité Union et Progrès et père adoptif d’un descendant d’Unioniste, Yalçın a probablement été motivé par le désir de réhabiliter ses amis et son groupe dans la mémoire publique, d’améliorer leur image, mais aussi de leur rendre hommage. Autrement dit, Hüseyin Cahit Yalçın revendique une descendance avec les Unionistes et devient le premier « descendant d’Unioniste » s’auto-labellisant ainsi dans l’espace public turc depuis 1919.
17La réédition des mémoires de Talât Pacha en 1946 par cet homme, est également révélatrice de la volonté de renouer une filiation avec le chef unioniste – filiation qui avait été rompue par le « Père des Turcs », Atatürk. Dans la préface qu’il écrit à cette édition, Yalçın décrit Talât Pacha comme un père de la patrie, qui était prêt à se sacrifier pour elle. Le coéditeur Enver Bolayır12 quant à lui, le désigne comme un « grand parmi les Turcs » (Türk büyügü).
18Au-delà d’une simple initiative personnelle de la part de Hüseyin Cahit Yalçın, cette publication s’inscrit aussi dans une véritable politique mémorielle menée par le CHP. Le rapatriement accordé par Hitler de la dépouille de Talât Pacha en 1943, et son enterrement au pied du « Monument de la Liberté » (Abide-i Hürriyet), qui donna lieu à des funérailles nationales, célébrées en grande pompe et très médiatisées, sont significatifs d’une volonté affichée de la part de la République d’Inönü de renouer avec la période unioniste, qui apparaît alors comme une source de légitimité pour le pouvoir, un point de ralliement, à un moment où celui-ci est fragilisé et divisé, et surtout, très impopulaire.
19Après l’instauration du multipartisme en 1946, le Parti républicain du Peuple se maintient toutefois jusqu’en 1950, date à laquelle le parti gouvernant contrôle totalement la production d’une mémoire publique : seuls des acteurs politico-administratifs (chef d’État, ministres, historiens « officiels », etc.) peuvent élaborer un discours sur le passé. Après la publication des mémoires de Talât Pacha, les seuls mémoires d’Unionistes recensés pour la période 1946-1950, ceux de Halil Mentese, sont publiés dans le journal Cumhuriyet, l’organe de presse officiel du parti gouvernant13. Si Hüseyin Cahit Yalçın a pu publier les mémoires de Cavid et de Talât, c’est bien parce qu’il avait réintégré le parti gouvernant et parce que son journal Tanin s’était rangé dans la ligne du parti au pouvoir. D’ailleurs, si ce journal est de nouveau fermé en 1947, c’est que Hüseyin Cahit Yalçın devient alors le rédacteur en chef du nouvel organe de presse officiel du Parti républicain du Peuple, le « Journal de la Nation », Ulus Gazetesi, à partir du 11 septembre 1948.
20Si le parti-État a donc jusqu’en 1946, un monopole sur la production mémorielle, bientôt néanmoins, la libéralisation politique et économique14 va s’accompagner d’une libéralisation du champ mémoriel, qui se manifeste, par de nombreuses publications de mémoires d’anciens Unionistes, lesquelles avaient été écartées de la vie politique par Mustafa Kemal après les procès de 1926, et/ou encore par Ismet Inönü quand celui-ci avait accédé à la Présidence. C’est le cas par exemple d’Ali Ihsan Sabis (1882-1957) qui publie ses mémoires de son vivant, en 1951-195215. Ce cas est significatif de la perte par le Parti républicain du Peuple de son monopole sur la production mémorielle. Sabis, désigné dans le Nutuk de Mustafa Kemal comme le responsable de la perte de Mossoul16, et comme un élément perturbateur de l’armée, était un ancien rival d’Ismet Inönü, depuis une mésentente qu’ils avaient au cours de la Guerre de Libération. D’ailleurs, en 1947, Sabis avait été emprisonné pour avoir critiqué la décision d’Inönü d’entrer dans la Seconde Guerre mondiale du côté des Alliés. Mais la roue a tourné, en 1950 il est libéré par une amnistie, et en 1954, il entre à l’Assemblée comme député d’Afyonkarahisar, sous l’étiquette du Parti Démocratique. Dans ses mémoires, intitulés « Mes mémoires de guerre », Sabis exprime longuement sa rancœur vis-à-vis d’Ismet Inönü (toujours président du Parti du Peuple), qu’il considère comme son rival de toujours et celui qui l’a exclu de l’armée et écarté de la vie politique. Il ne s’en prend jamais à Mustafa Kemal, mais il faut savoir qu’un an avant la publication de ses mémoires, en 1951, les Démocrates avaient promulgué une loi interdisant la diffamation de la mémoire d’Atatürk.
21Ali Ihsan Sabis publie une partie de ses mémoires de son vivant, mais les derniers volumes sont publiés après sa mort, par ses descendants. En fait, pour la plupart des mémoires d’anciens Unionistes publiés dans les années 1950, il s’agit de mémoires posthumes, publiés par les enfants qui ont hérité, entre autres, des archives privées de leurs pères. C’est le cas par exemple des filles de Kâzim Karabekir. Après la mort de leur père en 1946, elles entreprennent de publier ses mémoires. Elles doivent néanmoins attendre l’arrivée au pouvoir des Démocrates, pour enfin pouvoir publier en 1951 ; cependant, les mémoires de Karabekir tombent sous le coup de la loi de protection de la mémoire d’Atatürk, promulguée la même année, et sont interdites. Ce n’est finalement qu’en 1959 que les héritières de Karabekir parviennent enfin à en commander l’impression et la publication à la maison d’édition Türkiye.
22L’une des nouveautés qui caractérise la vague de publications des années 1950 c’est que celles-ci se font sous forme de livres, et non plus dans la presse. Quand on regarde de plus près, on remarque que les mémoires d’anciens Unionistes écartés par le CHP sont publiés dans des maisons d’éditions à Ankara, tandis que les autres, émanant de ceux qui ont été sanctifiés ou adoubés par les Kémalistes (comme Talât et Cemal), et plus généralement, de figures consensuelles, d’hommes qui ont été proches de Mustafa Kemal, sont édités à Istanbul. En 1959, par exemple, Behçet Cemal fait rééditer les mémoires de son père Cemal Pacha à la maison d’édition Selek Yayınları, à Istanbul.
23La question qui se pose alors est celle du rôle du Parti d’Inönü, dans ces dernières publications (celles Istanbul). Toute critique du gouvernement démocrate étant systématiquement filtrée et censurée, surtout après 1953, la publication de mémoires d’Unionistes a pu représenter une stratégie de propagande plus subtile. Qui était visé par cette propagande ? C’est la seconde question. Les hommes du Parti républicain du Peuple étaient conscients de la faiblesse du soutien et de leur impopularité auprès des masses. Inönü lui-même était devenu, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, une figure très controversée. Aussi, le seul temps dans lequel son parti pouvait puiser une légitimité et une certaine gloire était celui de Mustafa Kemal, de la guerre d’Indépendance, mais au-delà, celui de la période unioniste. Les mémoires de figures de ce « temps des origines », souvent des chefs militaires, ont pu produire un effet sur les cadres de l’armée. Le fait est que ces publications coïncident avec la préparation du coup d’État du 27 mai 1960, par une junte militaire qui va rétablir Inönü à la tête de l’État.
24Sans entrer dans une théorie du complot, on ne peut ignorer le fait que les enfants d’Unionistes qui publient les mémoires de leurs pères dans les années 1950, servent les intérêts d’un parti dont leurs pères avaient été fondateurs, membres, et auquel eux-mêmes appartiennent pour la plupart. Ce contexte de la décennie démocrate, voit donc l’émergence dans l’espace public de descendants d’Unionistes, qui vont bientôt se constituer en une nouvelle catégorie d’acteurs publics autonomes, à partir des années 1960.
Les années 1960 : autonomisation et dédoublement des « descendants d’Unioniste »
25Cette autonomisation et visibilisation se manifestent notamment par l’apparition de leurs noms sur la couverture du livre, et surtout par les préfaces qu’ils écrivent à ces mémoires. L’analyse de ces préfaces révèle par ailleurs une évolution notable, au tournant du milieu des années 1960. Alors qu’auparavant, la question arménienne n’était pas du tout évoquée, à partir de ce moment-là, les fils annoncent clairement leurs intentions : rendre hommage à leurs pères, et sauver leur honneur en ne restant pas silencieux face aux accusations de génocide qui émergent de toutes parts. C’est en effet à partir de 1965, qu’avec le cinquantenaire du génocide arménien, les revendications de reconnaissance du génocide se multiplient à l’extérieur et se font de plus en plus pressantes en Turquie. Dans les années 1970 et 1980, des attentats sont commis par un groupe armé arménien, l’ASALA, contre plusieurs diplomates turcs, et au cours de ces décennies, les fils commencent à évoquer leurs pères comme des victimes de la « terreur » arménienne.
26En réalité, dès les années 1960, la préface du fils est systématiquement suivie d’une autre préface, celle de l’éditeur, parfois beaucoup plus longue que les quelques lignes écrites par l’enfant. Ces éditeurs se présentent souvent comme des « proches » de l’auteur. Certains revendiquent même un lien de parenté avec celle-ci. Ainsi, Cihad Baban journaliste et écrivain turc connu pour ses positions pro-nazies dans l’entre-deux-guerres et durant la Seconde Guerre mondiale, édite les mémoires Mithat Sükrü Bleda en 1979. Il précise dans la préface qu’il est lui-même fils d’un Unioniste, un certain Babanzâde Süleyman Hikmet. Évoquant avec nostalgie ses souvenirs d’enfance, quand les Unionistes étaient au pouvoir durant la Première Guerre mondiale, il raconte que sa famille et celle de Mithat Sükrü habitaient dans le même quartier, et que les chefs du Comité Union et Progrès se réunissaient parfois chez lui, qu’il baisait leurs mains et, appréciait leur compagnie.
27Or, cette représentation de soi, baisant les mains des chefs Unionistes, va devenir un élément récurrent sous la plume des éditeurs de mémoires, mais aussi d’historiens et biographes des Unionistes, à partir des années 1960. Elle illustre bien la revendication d’une filiation, symbolique et politique, avec le groupe auquel appartenaient les auteurs des mémoires.
28Au cours des années 2000, les petits-enfants prennent le relais de leurs parents, et la publication des mémoires d’Unionistes se poursuit, en s’accélérant. L’époque a changé, et la visibilité de ces nouveaux descendants se manifeste désormais de manière plus édulcorée et plus colorée, à la télévision et dans les tabloïds turcs. Les petits-enfants d’Unionistes, issus d’une endogamie, font partie de la jet set stambouliote. Aussi, les éditeurs des années 2000 qui poursuivent cette tradition de la « double-préface », se caractérisent plus encore que ceux de la génération précédente, par une attitude défensive et une solidarité assumée vis-à-vis des Unionistes, affirmant eux aussi appartenir, de près ou de loin, à ce groupe très fermé des « petits-enfants de ». Ce, parfois spontanément, sans y avoir été invités. Dans les années 2010, un certain Necdet Özgelen surgit dans diverses émissions télévisées turques, se présentant comme le « fils adoptif » (mânevi oglu) d’un ancien chef unioniste, Halil Kut, et déclare que celui-ci lui avait dicté ses mémoires en 1944 alors que lui-même était étudiant à la Tıbbiye (Académie de Guerre). Dans plusieurs interviews données à la presse entre 2014 et 2016, Özgelen évoque Halil Kut en l’appelant « mon papa pacha » (Pasa babam).
29Il convient de préciser que dans les années 2000, d’autres « petits-enfants » sont apparus en Turquie. La publication du Livre de ma grand-mère de Fethiye Çetin, en 2006, a contribué à lever le voile sur la « présence » en Turquie de descendants de rescapés du génocide des Arméniens, qui avaient été islamisés et contraints toute leur vie au silence, principalement des femmes et jeunes filles kidnappées au cours du génocide et mariées à des musulmans, mais aussi des orphelins adoptés par des familles musulmanes. Le tabou que représente, ceux qui sont parfois appelés en Turquie les « restes de l’épée » (kılıç artıgı), se mesure à la réaction violente de l’État turc face à toute évocation de leur existence. Le fait qu’au même moment, des hommes et des femmes surgissent dans les médias turcs, s’auto-proclamant « petits-enfants d’Unionistes » pour défendre la mémoire de leur grand-père, apparaît donc comme une réaction à ce phénomène.
30Nous pouvons donc comparer le choix d’une ancestralité partagée par les « descendants d’Unionistes », avec celle des « descendants d’esclaves » de Johann Michel. Dans les deux cas, on devient « descendants de », en s’autoproclamant ainsi, et cette labellisation s’accompagne toujours d’un choix mémoriel. Ainsi, éditeurs, mais aussi historiens et biographes (surtout à partir des années 1980) en Turquie se font, et deviennent, eux-mêmes des descendants d’Unionistes. Comme le révèlent les doubles-préfaces, la catégorie « descendant d’Unioniste » prend en fait la forme d’un acteur à deux têtes. Il y a bien une coprésence entre les enfants génétiques d’une part (porteurs du nom) et de l’autre, les éditeurs, en situation d’interdépendance. Cet acteur bicéphale, encore aujourd’hui, se fait le chien de garde de la mémoire officielle négationniste, en reprenant le même credo dans les préfaces : refuser la qualification juridique de génocide, glorifier ses auteurs et faire l’apologie de leur œuvre. Ceci peut s’expliquer, d’une part, par l’histoire de la fondation d’un régime mémoriel par un parti-État qui prend ses origines au sein même du groupe « unioniste » et, d’autre part, par la montée des demandes de reconnaissance du génocide arménien : dans ces deux contextes qui couvrent quasiment tout le xxe siècle, la protection ou la valorisation de la mémoire des Unionistes se confondait finalement avec celle des intérêts de l’État.
31Néanmoins, il y a des exceptions, comme Hasan Cemal, qui a publié en 2012 le livre 1915 : Ermeni Soykırımı (Istanbul, Éditions Everest) dans lequel il reconnaît dans l’œuvre de son grand-père et des autres hommes du Comité Union et Progrès un crime de génocide. Depuis la publication de ce livre, Hasan Cemal qui était déjà un journaliste en vue, a subi un lynchage médiatique en Turquie. On pouvait lire dans la presse que son grand-père devait se retourner dans sa tombe, car Hasan Cemal l’avait « trahi ». Et si de rares journalistes ont applaudi son courage, la plupart l’ont désigné comme un « traître à la patrie ». Lors d’une entrevue qu’il m’a accordée en 2015, Hasan Cemal m’a raconté comment sa vie avait changé depuis qu’il avait décidé de faire face au passé : ses voyages aux États-Unis, ses rencontres avec des Arméniens du monde entier. Entre ceux qui lui exprimèrent une profonde gratitude avec des larmes dans les yeux – dont il ne se considère pas digne –, ceux qui méfiants, lui demandèrent s’il n’était pas un agent de l’État turc, et enfin ceux qui refusèrent ses « excuses » et sa compassion, les considérant insuffisantes après cent ans de négation éhontée, Hasan Cemal me fit part de son sentiment d’impuissance et de frustration à l’issue de cette expérience. Il m’expliqua qu’il souhaitait seulement donner l’exemple, encourager au dialogue, au rétablissement d’un contact rompu il y a cent ans entre les Turcs et les Arméniens. Fût-ce au prix d’être désigné comme un « traître ».
Notes de bas de page
1Tasalp Duygu, Cent ans de négation. Les régimes mémoriels en Turquie au vingtième siècle : de l’unionisme à l’islamisme, Paris, Karthala, 2024.
2Michel Johann, Devenir descendant d’esclave. Enquête sur les régimes mémoriels, Rennes, PUR, 2015.
3Zürcher Erik Jan, The Unionist Factor: The Rôle of the Committee of Union and Progress in the Turkish National Movement, 1905-1926, Leiden, Brill, 1984 ; Zürcher Erik Jan, Turkey: A Modern History, Londres, New York, IB Tauris, 2004.
4Mehmet Talât (Pacha) (1874-1921) : membre du premier CUP après 1890. Exilé à Salonique en 1896. Fondateur de Osmanli Hürriyet Cemiyeti en 1906. L’un des membres les plus importants du CUP après la révolution. Il fut député d’Édirne dans tous les parlements CUP, ministre de l’Intérieur (1913-1917) puis grand vizir (1917-1918). S’enfuit en Allemagne en 1918, où il est assassiné par un Arménien rescapé du genocide, en mars 1921.
5Ahmet Cemal (Pacha) (1872-1922). Après la révolution, membre du comité central, gouverneur d’Üsküdar (1909), Adana (1909), Bagdad (1911). Préfet d’Istanbul (1913), ministre des Travaux publics et de la Marine. Commandant de la 4e armée et Gouverneur de Syrie durant la PGM. S’enfuit en Allemagne en 1918 puis assassiné par des Arméniens à Tiflis.
6Oral Fuat Süreyya, Türk Basın Tarihi, 1919-1965, Cumhuriyet Dönemi, 2, Ankara, Yeni Adım Matbaası, 1968, p. 269.
7Zürcher Erik Jan, Turkey: A Modern History, Londres, New York, IB Tauris, 2004, p. 159-160.
8Keliv Ali (1888-1971) et Kıl Ali Çetinkaya (1878-1949), deux proches associés de Mustafa Kemal, qui avaient joué un rôle éminent dans les persécutions de 1925 et 1926, comme membres du Tribunal d’Indépendance d’Ankara.
9Cemal Hasan, Ermeni Soykırımı, Istanbul, Everest, 2012, p. 18.
10Artuç Nevzat, Cemal Paşa, Ankara, Türk Tarih Kurumu, 2008, p. 394.
11Parti républicain du Peuple.
12Enver Bolayır est un éditeur qui a fondé la maison d’édition Bolayır Yayınevi. Il a publié en 1959 un livre sur les rêves et sur leur interprétation : Modern Rüya Tabirleri, Geçit Kitabevi (septième réédition en 2005).
13Les mémoires de Halil Menteşe, par exemple (9 novembre 1946, Hatıra 24), cité in Bayur Yusuf Hikmet, Türk Inkilâbi Tarihi, vol. II, partie 4, Ankara, Türk Tarih Kurumu, p. 654-655.
14Les dernières années du gouvernement du Parti du Peuple sont aussi celles d’une libéralisation économique. Une nouvelle loi sur les syndicats fut passée en 1947, cependant, le droit de grève était toujours interdit. Si le DP promet alors de l’accorder une fois au pouvoir, en réalité les travailleurs devront attendre encore une décennie.
15Sabis Ali Ihsan, Birinci Dünya Harbi, Sabis, Turgay éd., Istanbul, Nehir Yayınları, 1953, 5 vol. Ali Ihsan Sabis avait publié un premier volume de ses « mémoires » en 1943. Cette première publication peut s’expliquer par la tolérance dont le gouvernement turc fit preuve à l’égard des panturquistes pro-nazis, au cours de la Seconde Guerre mondiale, en particulier au moment où l’Allemagne était en position de force face aux Soviétiques. La presse turque jouit alors d’une liberté plus grande. Et un certain nombre d’éditions panturquistes et pro-nazies voient le jour jusqu’à la fin de la guerre. Il est probable qu’Ali Ihsan Pacha ait profité de ce moment pour publier ses « mémoires » dans lesquels il exprime aussi son admiration pour l’Allemagne de Hitler. Il est intéressant d’ailleurs, que la publication de 1943 ait été réalisée par une maison d’édition d’Istanbul (Inkılap Kitabevi), tandis que les volumes de 1951 et 1952 sont édités à Ankara (Günes Matbaasi). Les deux derniers volumes (qui dans l’ordre chronologique sont les volumes 3 et 4), furent publiés après sa mort.
16Suite au traité de Brest-Litovsk (30 juin 1918), Ali Ihsan Pacha avait été envoyé à Mossoul pour remplacer Halil (Kut) au commandement de la VIème armée ottomane. Disposant d’une autonomie extraordinaire, il y coordonne les persécutions et massacres des populations chrétiennes de la région. Au mépris du septième article de l’armistice de Moudros (30 octobre 1918), Ali Ihsan Pacha refuse de rendre la ville aux Britanniques et ne retire pas ses troupes de la région. Finalement, suite à un ultimatum des Anglais, et sur l’ordre du grand-vizir Ahmet Izzet Pacha, Ali Ihsan Pacha retire ses troupes jusqu’à Nusaybin (ville située dans la province de Mardin), mais ne démobilise pas son armée et parvient à reprendre la ville de Jarablus et fait prisonnier le chef des rensegnements britanniques Killing. Convoqué à Istanbul par le ministre de la Guerre Ömer Yaver Pacha, Ali Ihsan Pacha est arrêté à son arrivée à la gare de Haydarpasa, le 2 mars 1919.
Auteur
Université catholique de Louvain.
Duygu Tasalp est docteure en histoire de l’INALCO, chargée de recherche FNRS.

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