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Résistances locales et discours contre-hégémoniques au Guatemala

Les revendications contre les violences intersectionnelles portées par les militantes mayas kaqchikels et leurs implications normatives

p. 129-146


Texte intégral

Introduction

1Au Guatemala, les promesses concédées par les accords de paix de 1996 ont laissé place à une désillusion chronique, notamment en ce qui concerne le respect, la protection et la promotion des droits des peuples autochtones. Les espoirs de reconnaissance et de protection des pratiques et cosmovisions autochtones ont été balayés par un « multiculturalisme néolibéral » et désincarné1.

2Notamment, les niveaux élevés de violences physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques à l’encontre des femmes mayas, garífunas et xincas sont le reflet de formes intersectionnelles de domination, nourries par le colonialisme et ses avatars contemporains2. Ces violences s’inscrivent d’abord dans un processus pérenne de marginalisation et d’« invisibilisation » des peuples autochtones, ayant des conséquences différenciées et exacerbées pour les femmes des diverses communautés3. Ces violences ne peuvent d’ailleurs être comprises séparément des exclusions sociales, économiques, culturelles et politiques fondées sur leur appartenance autochtone, leur genre et leur classe sociale4. Elles s’inscrivent également dans la continuité des niveaux extrêmes de violences génocidaires ayant été perpétrées par les agents de l’État lors du conflit interne (1960-1996) à l’encontre des femmes autochtones5 et, plus largement, des peuples autochtones6. De surcroît, ces violences sont aggravées par un accès limité à la justice et une impunité structurelle7.

3Cependant, les femmes mayas, xincas et garífunas se sont organisées pour défendre leurs droits individuels comme collectifs au travers de diverses mobilisations dans les arènes judiciaires et au-delà. Ces formes de résistance doivent être analysées dans un contexte latino-américain marqué par une double tendance depuis les années 1990 : d’une part, l’émergence de différents mouvements de défense des droits collectifs des peuples autochtones, en particulier le droit à l’autodétermination ; d’autre part, la multiplication des critiques portant sur un féminisme dominant et qualifié d’ethnocentrique, notamment au sein des mouvements féministes autochtones ou communautaires8. À l’échelle régionale, des militantes autochtones ont ainsi construit leurs propres mouvements, à l’image du Réseau continental de femmes autochtones des Amériques (Enlace continental de mujeres indígenas de las Américas, ECMIA), qui articulent des revendications en matière d’autonomie et de droits collectifs portées par leurs peuples avec des demandes plus spécifiques liées aux droits des femmes. Dans les Amériques, Rosalva A. Hernández Castillo note que les militantes autochtones ont ainsi développé « leurs propres discours et pratiques politiques à partir d’une perspective de genre culturellement localisée qui remet en question à la fois le sexisme et l’essentialisme de certaines organisations autochtones comme l’ethnocentrisme du féminisme hégémonique9 ».

4Dès lors, cette contribution s’intéresse aux mobilisations juridiques et extrajuridiques des femmes mayas kaqchikels vivant dans le département de Chimaltenango, à partir d’une étude ethnographique conduite durant plusieurs mois et principalement dans les municipalités de Tecpán et Patzún10. Situé à trois heures de la capitale guatémaltèque, le département de Chimaltenango représente un cas d’étude particulièrement révélateur. Selon le dernier recensement conduit par l’Institut national de statistiques, près de 78 % de la population de ce département s’auto-identifie comme maya et appartient en majorité au peuple maya kaqchikel11. Plusieurs bouleversements historiques ont cependant conduit à la marginalisation de ces peuples dans le département : le colonialisme dès 1524, à l’époque de la conquête espagnole ; les réformes libérales et l’assimilation des formes traditionnelles de gouvernance au xixe siècle ; la modernisation, l’industrialisation et l’urbanisation au milieu du siècle suivant ; le génocide et la destruction des symboles et représentants de la culture maya durant le conflit armé, entre 1960 et 199612 ; et, plus récemment, les projets d’extractivisme et d’exploitation des terres et ressources naturelles, notamment entrepris par des firmes transnationales. Toutefois, diverses formes de résistance politique et de réappropriation culturelle sont à l’œuvre dans les communautés autochtones et rurales de Chimaltenango.

5Dans ce contexte, à partir d’entretiens et d’observations participantes, cette contribution cherche à décrire les stratégies juridiques et extrajuridiques déployées par les militantes mayas kaqchikels dans le département de Chimaltenango afin de dénoncer les formes intersectionnelles de violence. Elle explore ainsi la façon dont s’ouvrent de nouveaux espaces de dialogue au sein desquels les militantes mayas kaqchikels questionnent les normes juridiques et sociales établies. Leurs propositions critiques permettent de (re)penser leurs droits comme femmes et autochtones et, plus largement, l’idée même de Justice à partir de leurs expériences spécifiques.

Résistances juridiques : usages stratégiques du droit face à un accès limité à la justice

6Les usages contre-hégémoniques du droit développés par les militantes mayas kaqchikels à l’échelle nationale et internationale reflètent une volonté de résister face aux dénis de justice, notamment en dénonçant les manquements de l’État guatémaltèque à ses obligations conventionnelles et internationales en matière de protection des droits humains13.

Résistances au sein des instances juridiques nationales

7Depuis la fin des années 1990, les litiges stratégiques qui ont été engagés à l’échelle nationale ont constitué un moyen efficace pour dénoncer publiquement les violences dont ont pu, ou peuvent être, victimes les femmes autochtones. Dans le contexte de justice transitionnelle qui a suivi la fin du conflit armé au Guatemala, cette utilisation stratégique des tribunaux nationaux reflète également la volonté de provoquer des changements sociaux et politiques de grande ampleur, en rendant visibles ces violences et en dénonçant les situations d’impunité structurelle pour les crimes commis à l’encontre des femmes autochtones. Souvent accompagnées par des associations de défense des droits des femmes, d’ONG internationales, et parfois avec le concours d’organisations internationales telles que les Nations unies, des femmes mayas ayant été victimes de violence se retrouvent alors au cœur d’une procédure judiciaire nationale très médiatisée.

8Les litiges stratégiques ont permis de parvenir à des avancées notables et historiques dans le pays, à l’image de la victoire des femmes mayas q’eqchi’ de Sepur Zarco en 2016. En 2009, trois associations (Mujeres transformando el mundo, Unión nacional de mujeres guatemaltecas et Equipo de estudios comunitarios y acción psicosocial) forment l’Alliance pour mettre fin au silence et à l’impunité (Alianza rompiendo el silencio y la impunidad) dans l’objectif d’accompagner quinze femmes de Sepur Zarco ayant été victimes de violences sexuelles, physiques et psychologiques durant le conflit armé. En parallèle d’une action judiciaire auprès des tribunaux nationaux, les associations fournissent aux victimes de Sepur Zarco un accompagnement psychosocial, les forment quant à leurs droits fondamentaux comme femmes et autochtones, travaillent sur des projets de récupération de la mémoire historique, et s’engagent dans des efforts de lobbying politique en faveur de la justice transitionnelle. Après vingt-deux audiences, ce litige stratégique aboutit en mars 2016 à une victoire historique pour les « Abuelas de Sepur Zarco14 » (« grands-mères de Sepur Zarco » en français), puisque le Tribunal suprême du Guatemala a prononcé la condamnation de deux hauts responsables militaires pour crimes contre l’humanité concernant des actes de violence sexuelle, d’esclavage sexuel et domestique commis contre ces dernières durant le conflit armé (plus exactement entre 1982 et 1988)15.

9Ces succès nationaux peuvent être perçus comme des incitations à l’action judiciaire par d’autres victimes de violence. Ils permettent également de rendre dicibles, audibles et visibles les violences perpétrées dans le passé et le présent, dans un contexte où ces dernières tendent à être minorées au sein de la société guatémaltèque16. Cependant, la problématique de l’accès à la justice limite les possibilités de judiciarisation des cas de violence. Dans le département de Chimaltenango, les femmes vivant dans les communautés autochtones les plus éloignées des centres urbains font face à des obstacles linguistiques, économiques et géographiques considérables, rendant souvent impossible leur accès à la justice étatique. Pour les habitantes de la communauté kaqchikel de Pachali située à une quarantaine de kilomètres de Chimaltenango, il faut par exemple compter plus de quatre heures aller-retour en bus pour pouvoir accéder aux institutions judiciaires du département et un coût avoisinant les vingt-cinq quetzales. Dans un contexte national où près de 80 % de la population autochtone vit sous le seuil de pauvreté17, les femmes kaqchikels vivant dans les zones rurales de Chimaltenango sont surreprésentées dans le secteur économique informel et certaines gagnent à peine une douzaine de quetzales par jour. Pour ces dernières, la précarité économique limite donc considérablement l’accès à la justice étatique, en sus de stéréotypes racistes et sexistes persistants au sein du système judiciaire guatémaltèque. Dans son analyse des féminicides comme crimes contre l’humanité au Guatemala, Myra Muralles Bautista note en effet que les victimes et survivantes de violences sont également sujettes à une revictimisation par l’État, tant elles sont traitées, dans leur recherche de la justice, avec indifférence et stigmatisation18.

Résistances au sein des instances juridiques internationales

10Au-delà du système judiciaire national, les militantes mayas ont également cherché à transnationaliser leurs demandes de droits et de justice au sein des institutions régionales (Cour interaméricaine des droits de l’homme, Commission interaméricaine des droits de l’homme [CIDH]) et internationales (Nations unies) de protection des droits humains. Des alliances stratégiques ont ainsi été nouées entre divers groupes de militantes locales afin de plaider pour une meilleure garantie de leurs droits, et pour une évolution de la normativité internationale en matière de protection des droits des femmes et des peuples autochtones. Notamment, la Coordination nationale des veuves du Guatemala (Coordinadora nacional de viudas de Guatemala, CONAVIGUA) s’est trouvée au cœur de cette dynamique dans le département de Chimaltenango. Née dans les années 1990 afin de soutenir les femmes mayas kaqchikels victimes de violences sexuelles durant le conflit armé ou ayant des proches portés disparus, cette association locale a été active dans la mise en place du Réseau continental de femmes autochtones des Amériques. À l’échelle interaméricaine, des alliances stratégiques entre groupes locaux semblent ainsi se créer sous le label « femmes autochtones » visant à la reconnaissance et à la défense leurs droits, tout en dénonçant les manquements des États à leurs obligations conventionnelles en matière de droits humains. Cette stratégie de transnationalisation de revendications locales a aussi pour objectif de dénoncer des formes structurelles de domination communes à l’ensemble du continent – notamment le sexisme, le racisme et le néolibéralisme. Si le droit international a pu être analysé comme « un outil permettant aux acteurs dominants de défendre des positions et de légitimer des actions ayant des effets oppresseurs19 », les militantes mayas cherchent également à l’utiliser comme un instrument de résistance afin d’« articuler juridiquement des positions qu’[elles] jugent émancipatrices20 ».

11Plus particulièrement, l’activisme transnational des femmes autochtones est orienté vers deux usages stratégiques des systèmes interaméricain et international de protection des droits humains. D’une part, les litiges non résolus au niveau national peuvent être portés devant les mécanismes de contrôle juridictionnel à l’instar de la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Cette dernière a condamné à plusieurs reprises les violations par l’État guatémaltèque de ses obligations conventionnelles dans des cas de violences sexuelles à l’encontre de femmes mayas21. D’autre part, à l’échelle des Nations unies, les militantes mayas dénoncent activement ces violences auprès d’organes conventionnels chargés de contrôler l’application des traités internationaux, tels que le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (Comité CEDEF), le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou au sein d’organes onusiens plus politiques, comme l’Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones. À plusieurs reprises, l’organisation Tz’ununija’ a réuni des militantes autochtones et afrodescendantes venues de différents départements du pays, dont Chimaltenango, afin de porter leurs revendications sur la scène internationale. Au travers de rencontres, d’ateliers et de consultations entre femmes mayas, xincas et garífunas, l’association a cherché à attirer l’attention des organes de traité onusiens – dont le Comité CEDEF – quant aux discriminations multiples et aux violences intersectionnelles auxquelles sont confrontées les femmes autochtones et afrodescendantes au Guatemala22.

12Néanmoins, interagir avec les instances nationales, régionales ou internationales compétentes en matière de protection des droits humains suppose une certaine conformité avec les « exigences procédurales et comportementales » propres à ces systèmes23. Par exemple, porter ses revendications au sein des institutions guatémaltèques, interaméricaines ou onusiennes exige de parler une autre langue que le kaqchikel et de répondre aux attentes discursives de ces milieux juridiques et politiques, souvent très techniques et bureaucratiques24. Dès lors, certaines militantes mayas kaqchikels font le choix de résister depuis les « marges ». De façon complémentaire, des militantes kaqchikels s’engagent alors dans des stratégies de résistance extrajuridiques pour lutter contre les violences, tout en ouvrant des espaces de solidarité, de reconstruction et d’empouvoirement (empowerment en anglais, empoderamiento en espagnol) à l’échelle locale.

Résistances extrajuridiques : de pratiques critiques à l’empouvoirement collectif

13Diverses dans leurs formes, les mobilisations extrajuridiques des femmes mayas kaqchikels « remettent en question à la fois la violence patriarcale […] et le racisme et l’ethnocentrisme du féminisme urbain25 » et dominant. Leurs pratiques et discours sont ancrés dans des épistémologies et méthodologies qui émergent de réalités locales.

L’Initiative pour les droits des femmes (IDM) : une stratégie de réappropriation des droits humains

14L’Initiative pour les droits des femmes (Iniciativa de los derechos de la mujer, IDM) est une ONG agissant dans plusieurs municipalités de Chimaltenango, notamment Patzún et Tecpán. Les actions conduites par cette organisation se concentrent sur la transmission et la sensibilisation aux droits humains, ainsi que sur l’autonomisation juridique, sociale et politique de femmes kaqchikels volontaires vivant dans des communautés rurales du département. En collaboration avec les autorités locales des communautés de Tecpán et de Patzún, l’organisation met directement en œuvre trois programmes – le Programme de conseil juridique (Programa de asesoría legal, PAL), le Programme pour les conseillères communautaires (Programa de asesoras comunitarias, PAC), le Programme pour les adolescentes (Programa de niñas adolescentes, PNA) – et soutient indirectement les Programmes de formation sur les droits des femmes (Programas de capacitación en los derechos de la mujer, PCDM) [voir figure 1].

Figure 1. – Stratégie en deux étapes de l’IDM pour diffuser les connaissances et standards relatifs aux droits des femmes autochtones dans les communautés kaqchikels des municipalités de Tecpán et Patzún, par le biais des conseillères communautaires (asesoras comunitarias, AC).

Élaboration propre à partir des données de terrain, Tecpán et Patzún, 2019.

15Dans le cadre d’un programme rémunéré de deux ans (PAC), une trentaine de participantes par municipalité sont formées pour devenir des conseillères communautaires (AC) afin de pouvoir, ensuite, organiser des programmes de formation sur les droits des femmes (PCDM) dans leurs propres communautés. Les participantes du PAC sont des volontaires issues des communautés kaqchikels et qui détiennent généralement une forme d’autorité traditionnelle ou sociale. Ainsi, les comadronas sont fréquemment formées pour devenir des conseillères communautaires (AC), car elles accompagnent traditionnellement et spirituellement les femmes de leur communauté tout au long de leur vie (« B’anoy utzil » en kaqchikel26). De la sorte, l’IDM cherche à promouvoir un modèle indirect de diffusion des normes de droits humains grâce aux conseillères communautaires, tout en respectant les formes d’organisation déjà en place dans les communautés kaqchikels.

16Les motivations des participantes au programme PAC reflètent non seulement une volonté de soutenir les femmes de leurs communautés face aux violences, mais également de faire avancer leur statut, de mieux connaître leurs droits et de pouvoir accroître leur participation politique (voir figure 2).

Réponses des AC à la question ouverte : « Pourquoi avez-vous décidé de participer au PAC ? »

Nombre de réponses

Aider et soutenir les femmes qui sont victimes de violences dans la communauté

10

Mieux connaître nos droits

7

Apprendre et avoir plus d’opportunités en matière éducative

5

Pouvoir participer à la vie publique et politique

4

Travailler pour la communauté et mettre en place des projets collectifs dans la communauté

3

Faciliter la communication dans la communauté

1

Être une « bonne leader »

1

Améliorer l’égalité de genre

1

Les réponses des participantes ont été regroupées et organisées selon des catégories thématiques par l’auteure. Élaboration propre à partir des réponses des participantes à la question ouverte « Pourquoi avez-vous décidé de participer au PAC ? », Tecpán, 29 juillet 2019.

17Lors d’un atelier organisé à Tecpán en juillet 2019, les participantes ont pu décrire, en ces termes, le sens de leur participation au programme PAC :

« Désormais, nous connaissons beaucoup de choses sur nos droits et sur la façon dont nous pouvons en parler avec les personnes qui ont besoin d’aide et de soutien. »

« Nous souffrons beaucoup et pourtant nous venons ici pour en apprendre chaque jour davantage. »

« Maintenant, je sais que je suis libre et que j’ai des droits. En tant que femme, je suis heureuse de voir de plus en plus de femmes qui se lèvent, et qui veulent également en savoir plus sur leurs droits27. »

18Après deux ans de formation, les conseillères communautaires (AC) organisent à leur tour des ateliers avec des femmes kaqchikels de leur propre communauté dans le cadre du PCDM. En juillet 2019, lors d’un atelier dans la communauté de Pueblo Viejo, située sur les hauteurs de Tecpán, l’une des AC s’adresse alors aux 23 participantes en ces termes : « Nous avançons ensemble, car il est important que les femmes prennent leurs propres décisions. Sachez que vous pouvez également aider d’autres femmes à décider pour elles-mêmes28. » Ces ateliers, réservés aux femmes et adolescentes uniquement et sur la base du volontariat, permettent aux AC d’ouvrir des espaces collectifs de solidarité, de soutien mutuel et de discussion autour de multiples thématiques, telles que l’estime de soi, les droits humains, la communication, l’équité entre les femmes et les hommes, les droits des enfants, l’autonomisation, la prise de décision, les droits économiques, la participation publique, ou les droits sexuels et reproductifs.

19Dans ces lieux de discussion et de solidarité internes à la communauté peuvent également émerger des critiques des normes sociales préjudiciables à leurs droits et à leur autonomie. S’opère donc une rupture du silence dans un contexte où les violences demeurent souvent indicibles, au niveau local comme national29. Les AC sont formées pour soutenir et guider les participantes dans de possibles démarches judiciaires, dans le cas où ces dernières seraient elles-mêmes victimes de violence. L’action de l’IDM est donc basée sur une proximité – notamment géographique, linguistique et culturelle – entre les AC et les participantes. Par exemple, les ateliers sont dispensés en espagnol et en kaqchikel ; ils sont organisés au sein même des communautés et à des jours différents de ceux du marché, où beaucoup de femmes kaqchikels se rendent pour travailler ; les enfants sont autorisés à participer ; et des rituels cérémoniels mayas sont pratiqués durant ces séances. Néanmoins, certaines participantes aux programmes PAC et PCDM ont fait état de divers obstacles à leur participation effective, notamment leur manque de disponibilité pour assister aux ateliers ou la possible pression familiale.

20Finalement, ces ateliers constituent une interface entre le global et le local, permettant l’émergence d’un syncrétisme entre les principes internationaux de droits humains et les pratiques et savoirs locaux. Sally Engle Merry note l’existence de « fissures entre le contexte mondial où les idées des droits humains sont codifiées dans des documents et les communautés locales où les sujets de ces droits vivent et travaillent30 ». Subséquemment, les principes de droits humains ne peuvent être efficaces qu’à condition d’être « traduits en termes locaux et situés dans des contextes locaux de pouvoir et de signification31 ». Elle écrit ainsi que « des intermédiaires, tels que des ONG ou des militants issus de mouvements sociaux, jouent un rôle essentiel dans l’interprétation du monde culturel de la modernité transnationale pour les demandeurs locaux32 ». En ce sens, l’IDM participe du phénomène de vernacularisation des droits humains : les participantes s’approprient, traduisent et remanient le discours global sur les droits humains dans le langage vernaculaire, tout en y injectant des éléments de leurs propres expériences, connaissances et conceptions du monde. Si l’histoire de la codification des droits humains au sein des instances internationales ne peut être dissociée d’une forme de domination occidentale33, les militantes mayas kaqchikels semblent, dans une certaine mesure, se réapproprier ces principes issus du droit international des droits humains pour en faire des outils de résistance.

Le Conseil des femmes de Chimaltenango du CPO-K : empouvoirement et guérison par le collectif

21Le Conseil des femmes de Chimaltenango (Consejo de mujeres de Chimaltenango), l’un des organes spécialisés et décentralisés du Conseil du peuple Maya Kaqchikel (Consejo del Pueblo Maya-Kaqchikel, CPO-K), est un espace au sein duquel des militantes mayas kaqchikels se réunissent régulièrement. Lors d’un entretien, la coordinatrice du Conseil des femmes de Chimaltenango explique :

« Nous ne sommes pas une ONG. Nous sommes un mouvement social. […] Nous avons diverses activités pour tout le monde. Nous prévoyons également des échanges d’expériences pour parler des difficultés et des succès des militantes [du CPO-K]. Les questions spécifiques que nous traitons sont la défense du territoire, les droits des femmes, les violences contre les femmes, et la participation politique des femmes. […] Nous avons un travail fondamental de réflexion et de sensibilisation à fournir. Les violences ne doivent pas faire partie de notre culture. J’insiste encore une fois : ce que nous cherchons, c’est rétablir l’harmonie individuelle, familiale et communautaire34. »

22Les discussions autour des violences s’accompagnent également d’un processus de sanación, c’est-à-dire de guérison collective et individuelle. Dans le cadre d’ateliers organisés par le Conseil des femmes de Chimaltenango, des groupes de militantes mayas kaqchikels venant de six municipalités du département de Chimaltenango35 se réunissent afin de s’engager vers l’autonomisation collective, articulant un discours à la croisée entre droits des femmes et droits collectifs des peuples autochtones.

23Ces ateliers de guérison sont basés sur une méthodologie présentée comme intimement liée à la Madre Tierra (« Terre-Mère » en français) et impliquant une compréhension holistique des violences et de leurs conséquences36. Pour les militantes kaqchikels, cette méthodologie suppose alors une reconnexion avec les forces naturelles du cosmos (la Terre, le Vent, le Ciel et le Soleil) afin de rétablir les équilibres individuels et collectifs qui ont été perturbés par les multiples formes de violence. Elle s’accompagne également d’un processus de décolonisation des corps, des esprits et des formes d’organisation sociale. En d’autres termes, pour les militantes du CPO-K, le corps et l’esprit sont perçus comme des lieux de mémoire et d’émotions qui peuvent être traités collectivement par l’entraide et la solidarité. Morna Macleod insiste sur la dimension émancipatrice de la revitalisation de la cosmovision, de la culture et des langues mayas par les femmes elles-mêmes :

« Lorsque les femmes ont une conscience critique et cherchent à affirmer leur dignité et leur estime de soi, cette nouvelle rencontre avec la culture et la vision du monde – qui n’est ni dépourvue de critique ni même une tentative de “retour en arrière” – constitue la base de la transformation et, en même temps, de la libération des oppressions. En d’autres termes, c’est la clé de leur lutte pour la transformation sociale37. »

24L’exercice du tejido (« tissu » en français) illustre ce processus de guérison et d’empouvoirement collectifs face aux formes intersectionnelles de domination. Après avoir formé un cercle au sein duquel elles se placent selon leur âge, les participantes se lancent une pelote de laine tour à tour. Au fur et à mesure de l’exercice, elles sont reliées les unes aux autres par ce fil qui semble alors symboliser les liens de solidarité, de soutien et d’interdépendance. Chaque fois qu’une participante passe la pelote à une autre, elle accompagne ce geste de mots de guérison et l’associe à un élément naturel supposé lui apporter de la force. À la fin de l’atelier, la coordinatrice de l’exercice discute en ces termes le sens de ce tejido formé entre les participantes :

« Le grand travail que nous devons faire est celui de construire un tissu. Peu importe la communauté dans laquelle nous vivons, ou si nous sommes loin ou non les unes des autres… Nous formons un seul tissu, avec des couleurs différentes, des arômes différents, une force différente. Celle qui est à Comalapa est l’Air, celle qui est à Tecpán est la Terre, celle qui est à San Andrés est le Ciel… Nous avons toutes une force, mais nous devons être ensemble. Que se passe-t-il si je coupe [le fil] ? Notre force sera coupée. Le tissu sera détruit. Nous devons donc solidifier ce conseil [des femmes de Chimaltenango]. Il faut que nous ayons le sentiment de faire partie de ce conseil. C’est le sens même du terme “conseil” : avec l’énergie des autres38. »

25Le Conseil des femmes de Chimaltenango dirige également une école de formation politique (Escuela de formación y autoformación), dont l’objectif est de renforcer la participation des femmes kaqchikels dans la vie publique tant au niveau local que national. L’ouverture d’espaces permettant la réflexion et l’engagement collectifs est cruciale pour que puisse émerger un discours déconstruisant les formes intersectionnelles de domination39. Pour les militantes mayas kaqchikels, l’autonomisation est intrinsèquement liée à un processus de libération de la pensée et de conscientisation politique :

« Nous construisons l’école de formation politique, précisément parce que nous pensons que l’école basée sur le modèle espagnol est très éloignée des systèmes de connaissance des peuples [mayas]. Ici, les méthodologies doivent être dynamiques et orales, pour aider à libérer la pensée. Pour l’instant, nous n’avons pas encore fait beaucoup de choses… Mais les quelques progrès accomplis sont significatifs pour les femmes [kaqchikels] qui sont en première ligne. L’éducation politique est très importante, car beaucoup de femmes ne connaissent pas leurs droits. Elles subissent des violences, mais elles ne connaissent pas leurs droits40. »

26Bien que différentes, les stratégies locales d’empouvoirement de l’IDM comme celles du Conseil des femmes de Chimaltenango du CPO-K révèlent une volonté d’ouvrir des espaces alternatifs de reconstruction collective pour faire face aux violences intersectionnelles. Ces stratégies diffèrent évidemment d’une recherche de justice auprès des instances judiciaires, notamment car elles permettent aux militantes kaqchikels de s’organiser hors des contraintes linguistiques, discursives et procédurales propres à ces institutions.

Les effets normatifs des résistances contre-hégémoniques des militantes mayas kaqchikels : vers une Justice alternative ?

27Selon Manuela Lavinas-Picq, les femmes autochtones incarnent désormais un discours politique critique des formes dominantes de gouvernance à diverses échelles41. Qu’elles utilisent des stratégies juridiques ou extrajuridiques, les militantes mayas sont à la tête de mobilisations collectives desquelles a progressivement émergé une critique des normes juridiques, politiques et sociales dominantes42.

Vernacularisation et transnationalisation

28Dans le département de Chimaltenango, les militantes mayas kaqchikels s’inscrivent dans une dynamique d’échanges normatifs entre le global et le local. D’une part, elles participent d’un mouvement de vernacularisation des droits humains à l’échelle locale. Sally Engle Merry et Peggy Levitt définissent la vernacularisation comme :

« Le processus d’appropriation et d’adoption locale des idées et des stratégies générées au niveau mondial. […] Lorsque les idées des femmes en matière de droits humains sont liées à une localité, elles prennent certains des attributs idéologiques et sociaux du lieu, mais conservent également certaines de leurs formulations originales43. »

29Les militantes s’approprient ainsi un discours global sur les droits des femmes – tels que le droit à vivre une vie sans violence, le droit à la participation, le droit à l’éducation, les droits économiques –, tout en défendant les droits collectifs des peuples autochtones à l’autonomie politique, les droits à la terre, ou encore les droits culturels. Les revendications portées par les militantes du CPO-K illustrent ce phénomène, puisqu’elles insistent à la fois sur le besoin de reconnaissance du pluralisme, d’autonomie politique et territoriale, ainsi que de revalorisation des cultures autochtones et de la cosmovision maya, et sur la nécessité de considérer de manière critique certaines traditions et rapports de pouvoir existant au sein des communautés locales, à partir des standards de droits humains44.

30De façon complémentaire à la vernacularisation, se produit également un phénomène de transformation du contenu de la normativité internationale, résultant de la participation critique de femmes autochtones dans des lieux de production de ce droit. La transnationalisation des revendications des femmes autochtones a permis l’émergence de revendications contre-hégémoniques, ayant pu aboutir à une inclusion – certes encore partielle et inachevée – de leurs demandes dans les systèmes interaméricain et onusien de protection des droits humains. À ce titre, la prise en compte des revendications de l’organisation Tz’ununija’ dans les observations finales du Comité CEDEF est tout à fait éclairante45. La transnationalisation des revendications locales vers les sphères juridiques et politiques globales semble donc faire partie des stratégies des militantes mayas visant à « modifier les politiques coloniales et de l’État-nation qui ont contribué à leur dislocation culturelle et à leur marginalisation sociale46 ».

31Dans les deux cas, il existe une volonté de revitaliser et de revaloriser la cosmovision et la spiritualité mayas, tant elles sont perçues comme un moyen pour les femmes kaqchikels de faire face aux exclusions et aux violences, tout en réaffirmant l’importance de l’égalité des droits entre femmes et hommes. Par exemple, les concepts de complémentarité ou de dualité ont été repensés, rethéorisés et réappropriés par les militantes mayas afin de construire leurs demandes de justice à partir de leurs expériences intersectionnelles47. En particulier, Rosalva A. Hernández Castillo explore comment la notion de complémentarité dans l’égalité est apparue comme une critique de la matrice de domination, ancrée dans les pratiques et discours des femmes autochtones48. Le Conseil des femmes de Chimaltenango du CPO-K propose notamment de lier équité, identité, et autonomie :

« L’équité entre les femmes et les hommes est le principe cardinal de notre liberté. L’équité est à la base de la complémentarité et de la dualité. En tant que femmes, nous aurons davantage de facilités et d’opportunités de répondre à nos besoins essentiels si nous vivons dans une société où prime l’équité. L’équité est intimement liée à la liberté, à l’identité, à la connaissance et à la création49. »

32Si cette résistance se retrouve au niveau local, national et global, il est également nécessaire de noter que les militantes autochtones sont fréquemment confrontées à la criminalisation de leurs actions par les États.

Des « contre-publics subalternes » à la « mondialisation contre-hégémonique »

33Malgré les violences intersectionnelles, interpersonnelles et structurelles, les militantes mayas kaqchikels semblent s’être constituées en ce que Nancy Fraser nomme un « contre-public subalterne50 ». En ouvrant des espaces de dialogue et de pratique critiques, elles participent de l’élaboration d’un nouvel outillage conceptuel et épistémique permettant de (re)penser leurs droits comme femmes et autochtones, tout en diffusant un contre-discours sur les normes dominantes.

34Elles font émerger ce que Boaventura de Sousa Santos et César A. Rodríguez Garavito appellent des « subaltern cosmopolitan legalities » (« légalités cosmopolites subalternes » en français), soit des formes ancrées localement de résistance et d’innovation normative, développées par celles et ceux qui subissent de façon exacerbée la marginalisation et l’exclusion du nouvel ordre global et néolibéral51. Boaventura de Sousa Santos théorise deux formes de mondialisation, à savoir la « mondialisation néolibérale » et la « mondialisation contre-hégémonique52 ». Il définit la seconde comme :

« Un vaste ensemble de réseaux, d’initiatives, d’organisations et de mouvements qui luttent contre les résultats économiques, sociaux et politiques de la mondialisation hégémonique et remettent en question les conceptions du développement mondial qui sous-tendent cette dernière et proposent des conceptions alternatives53. »

35La mondialisation contre-hégémonique, ajoute-t-il, est fondée sur les luttes contre les exclusions, la marginalisation et les rapports de force inégaux qui sont inscrits dans les structures juridiques et politiques dominantes. Par conséquent, cette dernière « se déploie sous forme de luttes politiques et juridiques guidées par l’idée que les structures et pratiques juridiques et politiques hégémoniques peuvent être remises en cause par des principes alternatifs de droit et de politique54 ». En ce sens, il qualifie ces « principes alternatifs » et les mobilisations visant à les défendre de « politiques et légalités cosmopolites subalternes ». Les mobilisations menées par les militantes kaqchikels semblent s’inscrire dans ces processus de mondialisation contre-hégémonique. Leurs mobilisations juridiques et extrajuridiques incarnent en effet une critique de la matrice de domination qui crée leur vulnérabilité face à la violence ; et leurs discours et pratiques contre-hégémoniques proposent des alternatives quant à la reconnaissance de leurs subjectivités, la protection de leurs droits en tant que femmes et autochtones, et la redistribution du pouvoir.

36Les contre-discours des femmes mayas kaqchikels obligent notamment à reconsidérer la division, ancrée dans une conception occidentale du droit et devenue hégémonique dans le système international de protection des droits humains, entre plusieurs catégories de droits. En effet, le droit international des droits humains a été historiquement construit sur une double opposition : droits individuels versus droits collectifs, et droits civils et politiques versus droits économiques, sociaux et culturels. Ces dualités sont le reflet de conceptions juridiques particulières et principalement occidentales qui se sont historiquement imposées dans le droit international55. Or, les femmes autochtones suggèrent de connecter leurs demandes de justice avec des conceptions alternatives des droits humains. Par exemple, les membres du Conseil des femmes de Chimaltenango du CPO-K insistent sur la nécessité d’élaborer une compréhension dynamique et holistique de ces différentes catégories de droits, comme étant interdépendantes et interconnectées. Elles ont développé une liste de droits spécifiques des femmes autochtones qui intègre à la fois des droits individuels et collectifs, et ce dans les sphères politiques, civiles, économiques, culturelles et sociales (voir figure 3).

Figure 3. – Liste des droits spécifiques des femmes autochtones établie par le CPO.

37Élaboration propre à partir des données du Consejo del Pueblo Maya (CPO) : Consejo del Pueblo Maya, Guía para el proceso de formación política del consejo departamental y regional de mujeres, Guatemala, 2018, p. 36-37 (retranscription et traduction libre).

38Les militantes mayas kaqchikels articulent ainsi des ontologies contre-hégémoniques du droit et, plus largement, de la Justice. Elles plaident notamment pour une forme holistique de Justice, présentée comme capable de restaurer les déséquilibres individuels et collectifs et de mieux les protéger face aux formes intersectionnelles de domination. À ce titre, il semblerait que leur compréhension de la Justice repose sur la complémentarité entre la « justice judiciaire/juridique », la « justice sociale » et la « justice épistémique ». Lutter contre les violences intersectionnelles supposerait donc le démantèlement de tout le système de domination qui les soutient. Enfin, les revendications des femmes mayas kaqchikels suggèrent que la justice sociale ne peut être séparée de la justice épistémique, soit l’intégration de divers récits et expériences qui remettent en question les épistémologies dominantes56.

Conclusion

39Dans cette contribution, j’ai souhaité explorer les stratégies de résistance que les femmes mayas kaqchikels déploient pour dénoncer les formes intersectionnelles de violence et de domination à différentes échelles. Incarnant des « contre-publics subalternes », elles sont activement engagées dans un effort de reconceptualisation de leurs droits comme femmes et autochtones et, in fine, de l’idée même de Justice. À ce titre, les diverses mobilisations des femmes mayas kaqchikels au Guatemala ont une dimension performative et discursive critiques car elles mettent en évidence les insuffisances des conceptions hégémoniques du droit et de la Justice aux niveaux local, national, régional et international. Finalement, dans un contexte de gouvernance néolibérale marqué par la domination du positivisme juridique, elles proposent des pratiques et discours sur la Justice qui sont ancrés localement et intègrent leur identité intersectionnelle, tout en décentrant et en élargissant la définition même de ce que cette Justice est, ou pourrait être57.

Notes de bas de page

1L’expression « multiculturalisme néolibéral » est empruntée à Charles R. Hale. Voir Hale Charles R., « Does Multiculturalism Menace? Governance, Cultural Rights and the Politics of Identity in Guatemala », Journal of Latin American Studies, vol. 34, no 3, 2002, p. 485-524 ; Hale Charles R., « Neoliberal Multiculturalism: the Remaking of Cultural Rights and Racial Dominance in Central America », Political and Legal Anthropology Review, vol. 28, no 1, 2005, p. 10-28.

2Voir Casaús Arzú Marta Elena, Racismo, genocidio y memoria, Guatemala, F&G Editores, 2019, p. 9-11.

3Crosby Alison et Lykes Brinton, « Mayan Women Survivors Speak: the Gendered Relations of Truth Telling in Postwar Guatemala », International Journal of Transitional Justice, vol. 5, 2011, p. 460-461.

4Sieder Rachel, « Chapter 4. Sexual Violence and Gendered Subjectivities: Indigenous Women’s Search for Justice in Guatemala », in Rachel Sieder et John Andrew McNeish (dir.), Gender Justice and Legal Pluralities: Latin American and African Perspectives, New York, Routledge, 2013, p. 109-110.

5Consorcio Actoras de Cambio, Rompiendo el silencio : justicia para las mujeres víctimas de violencia sexual durante el conflicto armado en Guatemala, Guatemala City, Equipo de Estudios Comunitarios y Acción Psicosocial de Guatemala, Unión Nacional de Mujeres Guatemaltecas/F&G Editores, 2006, p. 32.

6Selon Victoria Sanford, le génocide commis par l’État guatémaltèque contre les peuples mayas – 626 massacres répertoriés, principalement entre 1981 et 1983 – comprend nécessairement une dimension de genre. Les attaques contre le corps des femmes et leur spiritualité reflètent notamment la volonté de l’État de détruire un groupe, en s’attaquant directement à sa capacité de se reproduire ainsi qu’à l’intégrité physique et mentale de ses membres. Sanford Victoria, Guatemala: del genocidio al femicidio, Guatemala, F&G Editores, 2019 (3e édition), p. 19-22.

7Cahier Laura, « L’expérience des tribunaux de conscience contre les violences sexuelles au Guatemala : vers une récupération de la justice par les femmes autochtones », Les Cahiers ALHIM, vol. 41, 2021 ; Sanford Victoria, Guatemala: del genocidio al femicidio, op. cit., p. 73-75 ; Musalo Karen et Bookey Blaine, « Crimes without Punishment: an Update on Violence against Women and Impunity in Guatemala », Hastings Race and Poverty Law Journal, vol. 10, 2013, p. 271.

8Hernández Castillo R. Aída, Multiple Injustices. Indigenous Women, Law and Political Struggle in Latin America, Tucson, University of Arizona Press, 2016, p. 105-107. Voir aussi Falquet Jules, « “Corps-Territoire et Territoire-Terre” : le féminisme communautaire au Guatemala. Entretien avec Lorena Cabnal », Cahiers du Genre, vol. 2, no 59, 2015, p. 73-89.

9Ibid., p. 106 (traduction libre depuis l’anglais réalisée par l’auteure).

10Entre juin et septembre 2019, une soixantaine d’entretiens et une dizaine d’observations ont été conduits selon une méthode de recherche collaborative dans le département de Chimaltenango et à Ciudad de Guatemala.

11Instituto nacional de estadística (INE), XII censo nacional de población y VII de vivienda, Guatemala 2018, [https://www.censopoblacion.gt].

12Equipo de Estudios Comunitarios y Acción Psicosocial (ECAP) et Unión Nacional de Mujeres Guatemaltecas (UNAMG), Tejidos que lleva el alma: memoria de las mujeres mayas sobrevivientes de violación sexual durante el conflicto armado, Ciudad de Guatemala, ECAP, UNAMG/F&G Editores, 2011 (2e édition), p. 43-46.

13À ce jour, le Guatemala a ratifié une grande majorité des traités internationaux (légalement contraignants) relatifs aux droits humains, tels que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ou la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. À l’échelle régionale, le Guatemala a également ratifié nombre de traités relatifs aux droits humains, à l’image de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, ou de la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme (Convention Belém do Para).

14Les survivantes de Sepur Zarco sont surnommées avec beaucoup de respect les « Abuelas de Zepur Sarco », notamment par les militantes et associations engagées dans la lutte contre les violences sexuelles et contre l’impunité au Guatemala.

15Cette décision est également historique à l’échelle internationale, puisque c’est la première fois dans l’histoire qu’un tribunal national poursuit des individus en justice pour le crime d’esclavage sexuel durant un conflit armé, en s’appuyant notamment sur la législation nationale et le droit international pénal.

16Cahier Laura, « L’expérience des tribunaux de conscience contre les violences sexuelles au Guatemala : vers une récupération de la justice par les femmes autochtones », art. cité.

17Rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, « Informe de la Relatora Especial sobre los derechos de los pueblos indígenas sobre su visita a Guatemala », UN doc. A/HRC/39/17/Add.3, 2018, p. 15.

18Muralles Bautista Myra, Feminicidio en Guatemala : crímenes contra la humanidad. Investigación preliminar, Guatemala, Publicación de la Bancada de la Unidad Revolucionaria Nacional Guatemalteca del Congreso de la Republica de Guatemala, 2005, p. 97-99.

19Bachand Rémi, Les subalternes et le droit international, Paris, Pedone, 2018, p. 213. Voir aussi Bachand Rémi, « Les quatre strates du droit international analysées du point de vue des subalternes », Revue québécoise de droit international, vol. 24, no 1, 2011, p. 1-44.

20Ibid. Au sujet de l’usage du droit international par les acteurs dominants ou par les subalternes pour résister face aux « assauts des dominants », Rémi Bachand écrit : « C’est cette caractéristique du droit international qui lui donne tout son sens en tant que marqueur de légitimité dans la société internationale […]. C’est aussi elle qui fait que les différents acteurs de la société civile articulent de plus en plus leurs positions dans ces termes. »

21Voir Cour interaméricaine des droits de l’homme, Tiu Tojín contre Guatemala, série C, no 190, 26 novembre 2008 (condamnant l’État guatémaltèque pour la disparition forcée d’une femme maya et de sa fille perpétrée par les membres de l’armée et de groupes paramilitaires durant le conflit armé) ; Massacre de « Las Dos Erres » contre Guatemala, série C, no 211, 24 novembre 2009 (condamnant l’État guatémaltèque pour manquement à ses obligations conventionnelles pour les violences sexuelles commises contre les femmes autochtones et indiquant qu’elles faisaient partie d’une stratégie visant à détruire la dignité des femmes) ; Massacres de Río Negro contre Guatemala, série C, no 250, 4 septembre 2012 (établissant la responsabilité de l’État guatémaltèque pour les viols, meurtres et avortements forcés de femmes autochtones durant les massacres perpétrés pendant le conflit armé).

22Par exemple, en 2018, les militantes du mouvement Tz’Ununija’ ont participé à l’examen du Guatemala par le Comité CEDEF, en présentant un rapport d’une vingtaine de pages, soulignant les violations spécifiques des droits des femmes autochtones. Voir Tz’Ununija’, Informe sombra especifico de mujeres indígenas de Guatemala. 68ª sesión de la Convención sobre la eliminación de todas las formas de discriminación contra la Mujer – CEDAW, Guatemala, 2017, 38 p.

23Bellier Irène et Hays Jennifer (dir.), Échelles de gouvernance et droits des peuples autochtones, Paris, L’Harmattan, coll. « Horizons autochtones », 2019, p. 17.

24Irène Bellier et Jennifer Hays écrivent que ces exigences comprennent « l’utilisation de l’une des six langues autorisées (anglais, arabe, chinois, espagnol, français, russe) et des formations discursives ayant cours en milieu onusien », ibid.

25Hernández Castillo R. Aída, Multiple Injustices. Indigenous Women, Law and Political Struggle in Latin America, op. cit., p. 13 (traduction libre depuis l’anglais réalisée par l’auteure).

26Terme en kaqchikel qui définit le rôle joué par la comadrona (« sage-femme ») pour mettre au monde les enfants et accompagner les femmes des communautés tout au long de leur vie, notamment avant et après la naissance.

27Notes de terrain, juillet 2019, Tecpán, Guatemala, traduction libre.

28Ibid.

29Voir Macleod Morna, « Voces diversas, opresiones y resistencias múltiples : las luchas de mujeres mayas en Guatemala », in Aída R. Hernández Castillo (dir.), Etnografías e historias de resistencia. Mujeres indígenas, procesos organizativos y nuevas identidades políticas, México, Éditions Centro de Investigaciones y Estudios Superiores en Antropología Social (CIESAS), 2008, p. 127-179.

30Engle Merry Sally, Human Rights and Gender Violence: Translating International Law into Local Justice, Chicago/Londres, University of Chicago Press, 2006, p. 2-3 (traduction libre depuis l’anglais réalisée par l’auteure).

31Ibid.

32Ibid.

33Voir Bachand Rémi, Les subalternes et le droit international, op. cit.

34Retranscription d’entretien, Chimaltenango, 15 juillet 2019, traduction libre.

35Les six municipalités sont Tecpán, Patzún, San Martin Jilotepeque, San Andres Itzapa, San Juan Comalapa, San José Poaquil, Santa Apolonia.

36Voir Cahier Laura, « Environmental Justice in the United Nations Human Rights System: Challenges and Opportunities for the Protection of Indigenous Women’s Rights Against Environmental Violence », The George Washington Journal of Energy and Environmental Law, vol. 13, no 1, 2022, p. 46-50.

37Macleod Morna, « Voces diversas, opresiones y resistencias múltiples : las luchas de mujeres mayas en Guatemala », art. cité, p. 169 (traduction libre depuis l’espagnol réalisée par l’auteure).

38Notes de terrain et retranscription, Chimaltenango, 31 juillet 2019, traduction libre.

39Voir Sieder Rachel (dir.), Demanding Justice and Security: Indigenous Women and Legal Pluralities in Latin America, New Jersey, Rutgers University Press, 2017, 310 p.

40Retranscription d’entretien, Chimaltenango, 15 juillet 2019, traduction libre.

41Voir Lavinas-Picq Manuela, Vernacular Sovereignties. Indigenous Women Challenging World Politics, Tucson, University of Arizona Press, 2018, 240 p.

42Lire par exemple le travail de Rachel Sieder dans le département de Chichicastenango : Sieder Rachel, « Between Participation and Violence: Gender Justice and Neoliberal Government in Chichicastenango, Guatemala », in Rachel Sieder (dir.), Demanding Justice and Security: Indigenous Women and Legal Pluralities in Latin America, op. cit., p. 72-94.

43Engle Merry Sally et Levitt Peggy, « Vernacularization on the Ground: Local Uses of Global Women’s Rights in Peru, China, India and the United States », Global Networks, vol. 9, no 4, 2009, p. 446 (traduction depuis l’anglais réalisée par l’auteure).

44Hernández Castillo Aída R., Multiple Injustices. Indigenous Women, Law and Political Struggle in Latin America, op. cit., p. 134, p. 152-154.

45Voir à ce titre les évolutions des recommandations du Comité CEDEF en 2009 (rapport CEDAW/C/GUA/CO/7) et en 2017 (rapport CEDAW/C/GTM/CO/8-9).

46Suzack Cheryl, « Human Rights and Indigenous Feminisms », in Corinne Lennox et Damien Short (dir.), Handbook of Indigenous Peoples’ Rights, Londres, Routledge, 2016, p. 146 (traduction depuis l’anglais réalisée par l’auteure).

47Cumes Aura, « La cosmovision maya et le patriarcat : une interprétation critique », Recherches féministes, vol. 30, no 1, 2017, p. 47-59.

48Hernández Castillo Aída R., Multiple Injustices. Indigenous Women, Law and Political Struggle in Latin America, op. cit., p. 14-17.

49Consejo del Pueblo Maya (CPO), Guía para el proceso de formación política del consejo departamental y regional de mujeres, Guatemala, 2018, p. 37 (traduction depuis l’espagnol réalisée par l’auteure).

50Nancy Fraser définit les « contre-publics subalternes » comme « des arènes discursives parallèles dans lesquelles les membres des groupes sociaux subordonnés élaborent et diffusent des contre-discours, ce qui leur permet de développer leur propre interprétation de leurs identités, de leurs intérêts et de leurs besoins ». Fraser Nancy, Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, Paris, La Découverte, coll. « Poche/Sciences humaines et sociales », 2011 (2005), p. 126-127.

51Voir Santos Boaventura de Sousa et Rodríguez Garavito César A., Law and Globalization from Below: Towards a Cosmopolitan Legality, Cambridge, Cambridge University Press, coll. « Cambridge Studies in Law and Society », 2005, 395 p.

52Voir par exemple Santos Boaventura de Sousa, Vers un nouveau sens commun juridique : droit, science et politique dans la transition paradigmatique, traduction de Nathalie Gonzales Lajoie, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, coll. « Droit et société », 2004, 703 p.

53Ibid. (traduction depuis l’anglais réalisée par l’auteure).

54Ibid.

55Bachand Rémi, Les subalternes et le droit international, op. cit.

56Voir Santos Boaventura de Sousa, Épistémologies du Sud : mouvements citoyens et polémique sur la science, Paris, Desclée de Brouwer, coll. « Solidarité et société », 2016, 437 p.

57Cahier Laura, « L’expérience des tribunaux de conscience contre les violences sexuelles au Guatemala : vers une récupération de la justice par les femmes autochtones », art. cité.

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