Précédent Suivant

Introduction à la seconde partie

p. 113-114


Texte intégral

1La deuxième partie d’ouvrage sort du cadre des expériences de gouvernement et des évolutions structurelles des régimes politiques. Elle s’intéresse à la participation et aux mobilisations collectives protestataires d’acteurs non institutionnels aux profils très variés : les résistances indigènes et paysannes, les mobilisations des chômeurs et des travailleurs, ainsi que les mobilisations féministes et autres protestations antigouvernementales multiformes. Les rôles de ces mouvements sociaux dans la construction des alternances au concret sont variables, tout comme les conséquences pour leurs membres, les premiers concernés par ces changements. En ce sens, la perspective bottom up est nécessaire pour comprendre le sens que les acteurs subalternes donnent à leurs engagements et leurs logiques de mobilisation. Toutefois cette perspective ne se suffit pas à elle-même pour rendre compte des structures de domination au sein desquels les acteurs mobilisés coopèrent, contestent et résistent. Dans ce sens, on interroge ici les modalités d’organisation et de contestation des dominations en Amérique latine en soulignant le rôle de mouvements sociaux appréhendés comme des regroupements stratégiques pour la défense d’une cause, qui se trouvent soumis à de fortes contraintes.

2Des syndicats aux mouvements indigènes, les mouvements sociaux ont longtemps été présentés comme des alliés naturels des gouvernements de gauche. Or, l’épreuve de pouvoir effrite les coalitions électorales du fait des formes d’instrumentalisation dont les acteurs mobilisés peuvent faire l’objet au détriment de leurs intérêts collectifs. À cet égard, le bilan des deux « virages » politiques qu’a vécu l’Amérique latine en ce début de xxie siècle est très contrasté. Le biais « populiste1 » d’une partie des recherches tend à célébrer des mouvements sociaux en gommant les inégalités de retombées et la diversité d’acteurs impliqués dans les contestations et leurs organisations.

3Par les contributions qu’elle regroupe, cette partie donne à voir une certaine diversité des modalités d’organisation, de contestations et de revendications. Le droit, contesté ou outil de revendications d’un progrès social, parfois instrumentalisé par les institutions étatiques, est l’enjeu central autour duquel s’articulent les différents cas d’études qui composent cette partie. Ici, il n’est pas un instrument neutre sur lequel s’appuient des organisations consensuelles. Comme toute norme sociale, le droit n’est jamais acquis, il est remis en cause, importé et approprié pour servir les objectifs d’un groupe social. Comme dans d’autres régions du monde, on constate une judiciarisation, qui conduit à la naissance d’experts internes et externes, qui portent les revendications de changement à des échelles locales, nationales, régionales ou même internationales. Les expériences des luttes circulent, conduisant parfois à la mise en réseau d’organisations sociales, donnant lieu à une visibilité internationale, où la représentation, et la prise en compte réelle des premiers et premières concernés est très inégale.

4Au Chili néolibéral, Sebastián Pérez Sepúlveda s’intéresse au rôle joué par le droit à l’heure de la fragmentation du travail, dans le cadre du développement de la sous-traitance dans le secteur primo-exportateur, face à la mobilisation corporatiste et les résistances syndicales. Au Guatemala, Laura Cahier analyse les revendications contre les violences patriarcales portées par les militantes mayas de la communauté indigène kaqchikels. La mobilisation locale de ces femmes s’appuie sur une appropriation des normes internationales qui conduit à une hybridation juridique particulièrement intéressante en ce qu’elle conduit à la production de discours contre-hégémoniques. En Colombie, Julie Massal donne à voir comment le « droit à la contestation » a progressivement été porté au cœur du débat public, dans le cadre de la répression des mobilisations sociales en contexte de postaccord de paix. Au travers des cas équatoriens de « l’initiative Yasuni ITT » et du scandale de la contamination de la multinationale Chevron-Texaco, Sunniva Labarthe questionne la construction et les appropriations inégales de cette « cause écologique ». Dans un contexte de regain de l’extractivisme, de nombreux acteurs ont participé à une promotion internationale de cette « cause écologique » équatorienne et de sa judiciarisation, au premier rang desquels les gouvernements de la « Révolution citoyenne » (2007-2017) dans le cadre d’une stratégie de déresponsabilisation étatique.

Notes de bas de page

1Agier Michel, L’anthropologue en danger. L’engagement sur le terrain, Paris, Éditions Jean-Michel Place, coll. « Les Cahiers de Gradhiva », 1997, p. 18-21.

Précédent Suivant

Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.