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L’alternance critique au Mexique

Entre annonces de transformations radicales et redéploiement des structures de dominations

p. 39-58


Texte intégral

Introduction

1Le 1er juillet 2018, près de 90 millions de Mexicains étaient invités à se rendre aux urnes dans le cadre d’élections à la fois fédérales (présidence de la République, Sénat et Chambre des députés) et locales (gouvernorats des États fédérés, congrès locaux et présidences municipales). Au niveau fédéral, les résultats sont sans appel : avec plus de 53 % des suffrages exprimés, l’alliance partisane Juntos Haremos Historia menée par Andrés Manuel López Obrador, remporte la présidence de la République, en même temps que la majorité du Sénat et de la Chambre des députés. La séquence électorale semble alors entériner la déroute du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), dont le candidat n’obtient que 16,40 % des voix. Ceci alors même que le président sortant était membre de ce parti, qui avait conservé le pouvoir fédéral de manière hégémonique entre 1929 et la fin du xxe siècle1. Certes, le PRI avait déjà perdu par deux fois la présidence de la République (en 2000 et 2006) au profit des candidats conservateurs du Parti action nationale (PAN)2. Toutefois, la prise de pouvoir de López Obrador et son Mouvement de régénération nationale (Morena) a pour particularité d’être présentée comme annonçant une période de rupture radicale avec les politiques mises en œuvre jusqu’alors. Tant pendant la campagne présidentielle que depuis son élection, celui-ci n’a eu de cesse de fustiger « la mafia du pouvoir » incarnée par « le PRIAN3 ». Affirmant que sa présidence marquera « la fin du néolibéralisme au Mexique », López Obrador a ainsi baptisé son mandat comme celui de la « Quatrième transformation » (Cuarta Transformación) de l’histoire récente du pays4. Mobilisant à plein le registre discursif de la « transformation », le nouveau président a également multiplié les mesures symboliques visant à témoigner d’une rupture avec ses prédécesseurs. Si nous verrons que ces éléments doivent être largement nuancés, la période politique inaugurée par la victoire de Morena aux élections fédérales de 2018 prend sans nul doute la forme d’une alternance critique.

2La présente contribution, rédigée un peu plus d’un an après l’entrée en fonction du nouveau gouvernement (laquelle a eu lieu au 1er décembre 2018), vise donc à en présenter un bilan d’étape. Alors que le soutien d’une partie de l’espace des mouvements sociaux a été un facteur déterminant de la conquête des institutions fédérales par Morena, observe-t-on une modification des modalités d’intermédiations entre acteurs étatiques et organisations contestataires ? De manière plus générale, il s’agira ici de se demander dans quelle mesure l’alternance critique mexicaine tend à donner lieu aux transformations annoncées, ou bien si celle-ci se caractérise davantage par un redéploiement, sous d’autres formes, de structures de domination préexistantes. La première partie de cette contribution sera donc consacrée à un rapide état des lieux de cette première année de mandat, notamment au regard de la relative ambivalence des politiques publiques mises en place, ainsi que du caractère hétéroclite de la composition de la nouvelle équipe gouvernementale.

3Ayant débuté sa carrière politique au sein de l’Institut national indigéniste (INI)5, López Obrador fait régulièrement référence aux populations indigènes6 du Mexique comme étant les principales bénéficiaires de la politique menée par son gouvernement. Pour autant, la poursuite d’un modèle de développement en grande partie basé sur l’exploitation intensive des ressources naturelles, conduit de nombreuses organisations contestataires revendiquant elles-mêmes une forte identité indigène à s’opposer au nouveau gouvernement (dans le cadre des mouvements de « luttes en défense du territoire »). Il conviendra donc de s’interroger sur les ressorts de ces formes de réinvention stratégique de la tradition7, apparaissant à la fois (en fonction des acteurs y ayant recours) comme registre de mobilisation et dispositifs de gouvernementalité.

4Enfin, à l’aide de données recueillies au cours d’enquêtes de terrain8, je développerai l’hypothèse selon laquelle l’alternance critique mexicaine donne lieu à une recomposition limitée des rapports entre État central, partis politiques et organisations militantes locales. Si la prise du pouvoir fédéral par Morena ne semble pas se traduire par une transformation des mécanismes de dominations ordinaires, celle-ci provoque pour autant une modification de la structure locale des opportunités politiques. Dès lors, des organisations contestataires peuvent être amenées à s’en saisir dans le cadre de configurations politiques locales, au regard de leur agenda propre.

Transformation radicale ou adaptation du Mexique aux normes de bonne gouvernance ?

5Depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement en décembre 2018, le salaire minimum a été rehaussé de plus de 16 % sur l’ensemble du territoire mexicain, et a même doublé dans la nouvelle zone libre de la frontière nord (ZLFN)9. D’importants programmes ciblés de lutte contre la pauvreté ont également été annoncés. À titre d’exemple, peut être évoqué le programme Jóvenes Construyendo el Futuro, consistant en une année de formation professionnelle assortie d’une bourse de 3 600 pesos mensuels, à destination des 2,3 millions de « ni-ni » (expression faisant référence à « ceux qui ni n’étudient ni ne travaillent ») âgés de 18 à 29 ans. Par ailleurs, les huit millions de Mexicains âgés de plus de 68 ans (65 ans pour les personnes vivant en « zone indigène ») bénéficient désormais d’une pension mensuelle de 1275 pesos. Si cette pension existait déjà auparavant, le nouveau gouvernement en a fortement augmenté le montant et en a levé les critères d’attribution. La même somme étant allouée jusqu’à l’âge de 29 ans à plus d’un million de personnes souffrant d’un handicap permanent et vivant dans une « zone de haute marginalité » (64 ans pour les personnes appartenant à un groupe indigène). Bien que non dénués d’ambiguïtés, ces programmes, comme de nombreux autres, s’appuient sur d’importants financements fédéraux et se voient mis en avant afin de témoigner de l’effective détermination du nouveau président à mettre en œuvre la Quatrième transformation. Censés caractériser la rupture entre l’actuel gouvernement et ses prédécesseurs, ils visent en effet à se substituer aux programmes de « transferts conditionnels » mis en place à la fin du siècle dernier par les artisans du tournant néolibéral. Si, à l’instar de Progresa, ces programmes de lutte contre la pauvreté avaient pu apparaître comme un modèle à l’international, leur caractère conditionnel a également été dénoncé en tant que modalité privilégiée de l’intermédiation clientélaire entre l’État et les classes populaires10. Cependant, il convient de souligner que parmi les onze principaux programmes sociaux de la Quatrième transformation, quatre d’entre eux impliquent une forme de workfare (obligation de travailler en échange de l’accès au programme) et seulement trois sont attribués sans conditionnalités11.

6Le gouvernement a également fait voter la loi fédérale d’austérité républicaine, impliquant différentes mesures devenues depuis emblématiques : mise en vente du luxueux avion présidentiel, conversion de l’ancienne résidence présidentielle en centre culturel ouvert au public, réduction de l’indemnité présidentielle et des salaires des hauts fonctionnaires, ou encore suppression des pensions allouées aux anciens présidents. Si ces mesures largement médiatisées renforcent l’image d’une « rupture » incarnée par un López Obrador aux antipodes du népotisme longtemps associé à la fonction présidentielle mexicaine, elles ne s’inscrivent pas pour autant à contre-courant des politiques appliquées par ses prédécesseurs. Au-delà de ces mesures symboliques, la politique d’austérité républicaine consiste en effet avant tout en un « rééquilibrage » des dépenses publiques au détriment de diverses institutions à vocation sociale ou redistributive, dont le budget a nettement diminué sous la nouvelle mandature. Dès le mois de janvier 2019, divers responsables de la nouvelle majorité ont ainsi publiquement dénoncé ces coupes budgétaires. Arguant du décalage entre les promesses de campagne et les politiques effectivement mises en œuvre, plusieurs d’entre eux ont depuis présenté leur démission.

7Si López Obrador a été élu avec comme principal slogan : « Pour le bien de tous, les pauvres en premiers ! », en fonction de leurs destinataires, ses discours s’étoffent parfois d’une terminologie d’une tout autre inspiration. Dans une vidéo diffusée quatre jours avant sa prise de fonction, il s’engage ainsi à « respecter les équilibres macroéconomiques [et à] maintenir l’autonomie de la banque centrale ». Il ajoute :

« Nous allons donner une grande confiance aux investisseurs, ceux qui investissent dans les entreprises, dans les actions et le marché financier. Leurs investissements vont être assurés, et ils vont obtenir de bons rendements. Pourquoi est-ce que je dis ça ? Parce qu’il va y avoir un véritable état de droit. Vous ne verrez pas d’expropriations, d’actes arbitraires, nous allons en finir avec la corruption, avec l’impunité12 ! »

8Prononcée alors que la Bourse mexicaine de valeurs (BMV) enregistrait sa pire dégradation en trois ans, cette allocution visait sans nul doute à mettre un terme à la chute des cours du peso sur les marchés internationaux. Survenue peu après qu’un député de la nouvelle majorité ait annoncé deux projets de réformes (le premier relatif à la législation minière, le second à l’encadrement des commissions bancaires), cette sanction monétaire prit la forme d’une piqûre de rappel. Au cours des trois dernières décennies, la libéralisation et l’internationalisation à marche forcée de l’économie mexicaine ont en effet fortement accentué l’influence des milieux d’affaires sur la prise de décision politique. Bien que largement élu et disposant de la majorité dans les deux chambres législatives, le nouveau président s’est ainsi vu contraint de désavouer son député et de renoncer à ces réformes. En s’engageant à n’effectuer aucune nationalisation, ainsi qu’à « financer le développement sans augmenter ni créer de nouvel impôt », il a également considérablement réduit ses marges de manœuvre en matière de politique économique et sociale.

9À la fin de son allocution, n’oubliant pas sa base électorale, López Obrador a toutefois pris la peine de justifier ses annonces via un recours au registre discursif de la justice morale (« état de droit » opposé à « la corruption » et à « l’impunité »), mais aussi de la transformation (« il va y avoir », « nous allons en finir avec »). Il faut ici rappeler que l’alternance critique mexicaine prend place dans un contexte latino-américain marqué par les scandales Odebrecht de 2017-2018. Phénomène n’épargnant pas le Mexique où la corruption systémique s’est depuis longtemps généralisée aux trois niveaux de gouvernement (fédéral, régional et municipal). Dans ce cadre, les politiques de lutte contre les pratiques corruptrices permettent de renforcer l’image d’un López Obrador en « rupture » avec ses prédécesseurs, sans pour autant impliquer de transformation majeure du système économique. Ainsi, à travers une articulation de la thématique de la lutte contre la corruption à celle du « respect des équilibres macroéconomiques », la politique mise en place semble s’ancrer pleinement dans le cadre de la bonne gouvernance économique telle que préconisée par diverses organisations internationales.

Un gouvernement sans opposition ?

10Au lendemain des élections, divers commentateurs s’inquiètent de « l’absence d’opposition » au nouvel exécutif et à sa majorité13. Affirmant que les principaux partis adverses (le PRI, le PAN et le PRD) traverseraient « la plus profonde crise de leur histoire », ils en déduisent que seuls le secteur privé (à travers la Confederación patronal de la República mexicana [COPARMEX]14) et « les marchés internationaux » seraient désormais en mesure d’opposer un contre-pouvoir à la nouvelle administration. Pourtant, divers éléments conduisent à nuancer de telles affirmations.

11Formé à la pratique politique au sein du PRI dont il est membre de 1976 à 1988, López Obrador est également l’un des fondateurs du Parti de la Révolution démocratique (PRD)15 dont il a été le candidat malheureux aux élections présidentielles de 2006 et 201216. L’actuel parti présidentiel (Morena) peut lui-même être considéré comme une émanation du PRD, dans la mesure où il est né en 2011 en tant que mouvement de soutien à la candidature (PRD) de López Obrador lors de ces mêmes élections. Les relations unissant Morena aux trois autres principaux partis structurant la compétition électorale mexicaine ne se réduisent pas aux affiliations partisanes passées de l’actuel chef d’État. Ainsi, durant la campagne de 2018 et plus encore à la suite de la victoire de Morena, de nombreux membres du PRI, du PRD, mais aussi du PAN, ont intégré le nouveau parti présidentiel. Plusieurs d’entre eux occupent aujourd’hui un poste gouvernemental, un siège parlementaire, ou la direction d’une institution publique majeure. Certes, le fait qu’un nombre important de membres de Morena aient débuté leur carrière politique au sein du PRI s’explique en grande partie par la structuration du système politique mexicain postrévolutionnaire autour d’un parti hégémonique17. En outre, l’existence de transfuges passants d’un parti d’origine vers le parti vainqueur d’une alternance électorale (quand bien même les deux partis s’avéreraient porteurs de lignes idéologiques en apparence antagonique) est loin d’être une particularité mexicaine. Pour autant, ces éléments mènent à réfuter l’idée selon laquelle les résultats de ces élections entraîneraient une transformation complète du personnel politique, impliquant l’éviction généralisée de l’ancienne direction administrative de l’État mexicain.

12Le nouveau gouvernement ne se compose toutefois pas exclusivement de ces transfuges. Diverses personnalités issues du monde académique ont ainsi été nommées. Faisant valoir des capitaux universitaires et des compétences techniques davantage que politiques, ils contribuent à atténuer le degré de politisation dans les débats publics entourant l’action de leurs ministères. La composition de la nouvelle équipe gouvernementale a également donné lieu à la nomination de personnalités issues d’organisations militantes jusqu’alors tenues à distance de l’exercice du pouvoir politique institutionnel. Leurs liens avec l’espace contestataire indigène participent de la mobilisation d’un appareillage symbolique plus large, visant à incarner la rupture que représenterait le gouvernement de la Quatrième transformation.

13Ainsi, l’ancien ministère du Développement social est rebaptisé ministère du Bienestar (adaptation mexicaine du Buenvivir18 équatorien, le terme serait à rapprocher du concept Nahuatl de Yeknemilis). Pratique relativement courante lors de la constitution d’un nouveau gouvernement, l’opération sémantique permet ici de conjuguer l’idée d’un dépassement du « développement » tout en faisant indirectement référence à « la cosmovision indigène ». Le poste de ministre du Bienestar est confié à María Luisa Albores González, universitaire cumulant une appartenance de longue date à Morena (elle préside le mouvement dans l’État de Puebla entre 2012 et 2015), et un engagement militant au sein d’organisations locales mettant en avant une forte identité paysanne et indigène19.

14Avant de revenir sur les ressorts symboliques de la première partie de mandat de López Obrador, force est de constater que le duel annoncé, opposant la nouvelle équipe gouvernante au grand patronat mexicain et aux marchés internationaux, n’a pour l’heure pas eu lieu. Entre décembre 2018 et février 2020, la monnaie nationale gagne plus de 8 % de sa valeur par rapport au dollar20. Le président affiche alors une parfaite entente avec les acteurs dominants du champ économique mexicain et l’ensemble des enquêtes d’opinion lui attribuent un soutien de la majorité de la population.

Indigénisme, néo-extractivisme et recomposition de l’espace contestataire

15Présente lors de la cérémonie d’investiture du nouveau président, la correspondante au Mexique pour BBC Mundo écrit :

« Un groupe de représentant de 68 peuples indigènes et afro-mexicains lui a administré un rituel de purification. Ils lui ont remis le bâton de commandement, signalant par là que les peuples indigènes le reconnaissent comme leader. C’est la première fois qu’un président mexicain le reçoit21. »

16Illustrant les efforts de communication déployés afin de présenter López Obrador comme gouvernant au nom et en faveur des franges les plus marginalisées de la population mexicaine, cet épisode fut suivi de nombreux autres. Ces actions symboliques visent à réaffirmer l’attachement du gouvernement aux « droits des peuples indigènes », alors que les critiques autour de cette thématique se multiplient à son encontre, notamment dans le cadre de mobilisations liées aux activités extractives et à divers « mégaprojets » d’infrastructures commerciales ou touristiques. Le recours à une mise en scène rituelle, puisant dans le registre indigéniste dans une forme de réinvention stratégique de la tradition, se voit également mobilisé afin de légitimer l’application de politiques publiques spécifiques. Ainsi, quelques jours après sa prise de fonction, le nouveau président se rend en personne dans l’État du Chiapas afin de « demander la permission à la Terre Mère » de réaliser un projet de ligne de chemin de fer touristique particulièrement controversé (projet portant lui-même le nom de Train Maya). Largement médiatisée, cette « cérémonie religieuse traditionnelle » rassemblait au côté de López Obrador et des gouverneurs des États concernés, une douzaine de « prêtres représentants des peuples originels mayas de la région22 ». Le recours au registre indigéniste par le nouveau parti présidentiel (dont le nom « Morena » pourrait d’ailleurs être littéralement traduit par « femme bronzée ») témoigne de l’attention particulière que lui prête l’actuel gouvernement dans l’usage de son pouvoir symbolique23. Il serait toutefois inexact d’affirmer ici qu’il s’agit d’une innovation politique. Fruits de processus hétéroclites de construction politique de l’ethnicité, au cours des cinq derniers siècles, les représentations adossées aux populations indigènes du Mexique ont connu autant de mutations qu’elles ont été l’objet d’un usage instrumental par les divers tenants du pouvoir politique24.

17La nomination de María Luisa Albores González au poste de ministre du Bienestar pourrait ainsi spontanément être interprétée comme le prolongement de ces mécanismes. Pour autant, et bien que sur le blog officiel d’AMLO, la page présentant la ministre stipule dès la première ligne que « sa grande mère paternelle est indigène Tzeltal », le motif de sa nomination ne saurait être réduit à une mesure symbolique visant à témoigner de la transformation du personnel politique par la présence d’une personne d’ascendance indigène parmi les membres du gouvernement. En effet, une analyse en termes de rétribution (individuelle, mais aussi collective) du militantisme semble ici plus pertinente. D’une part, à l’instar d’autres nominations, celle-ci correspond à une rétribution personnelle de son engagement de longue date au parti Morena. D’autre part, du fait du parcours de la nouvelle ministre et de son ancrage au sein de réseaux militants revendiquant une forte identité paysanne et indigène, sa nomination constitue une rétribution symbolique du soutien actif apporté durant la campagne par de nombreuses organisations ou individus s’y identifiant. Enfin, en leur ouvrant un accès facilité aux ressources publiques, l’arrivée de la nouvelle ministre du Bienestar permet également leur rétribution matérielle.

(Anti)extractivisme et luttes en défense du territoire

18Au cours des dernières décennies, le registre indigéniste est apparu comme une composante essentielle des dispositifs de gouvernementalité déployés par divers gouvernements latino-américains se revendiquant du « socialisme du xxie siècle ». Si le nouveau président mexicain n’a jamais revendiqué cette appellation et que les politiques mises en œuvre par ces gouvernements varient fortement, certains aspects de la Quatrième transformation peuvent amener à dresser un parallèle avec ces derniers. López Obrador s’adresse ainsi quotidiennement à la population mexicaine à l’occasion de conférences matinales pouvant être rapprochées des émissions Aló Presidente et Enlace Ciudadano, respectivement mises en place par Hugo Chávez et Rafael Correa. Surtout, la poursuite d’un mode de développement qualifié de « néo-extractiviste » a occasionné d’importants conflits locaux dans leurs pays. À l’instar de l’actuelle situation mexicaine, la question de l’exploitation des matières premières a pu conduire à un relâchement des liens entre ces dirigeants et les organisations militantes écologistes et indigènes, fragilisant ainsi les coalitions qui les avaient portés au pouvoir.

19Dans sa section III (économie), le Plan national de développement (PND) 2019-2024, fait état de différents programmes de grands travaux visant à atteindre l’objectif annoncé d’une moyenne de 4 % de croissance du produit intérieur brut (PIB) mexicain tout au long du mandat. Y sont ainsi soulignés les gains économiques attendus du projet touristique de Train Maya, mais également ceux relatifs au programme pour le développement de l’isthme de Tehuantepec25. Outre ces projets touristiques et commerciaux, le nouveau gouvernement compte atteindre ses objectifs de croissance économique via la poursuite de l’exploitation massive des ressources naturelles. L’industrie minière et celle des hydrocarbures sont ainsi particulièrement concernées. Selon l’Institut national de statistique et de géographie (INEGI), l’industrie des hydrocarbures représentait 9,14 % du PIB mexicain en 2015, l’année suivante le secteur minier en représentait 4 %. aussi, López Obrador ne semble pas souhaiter laisser se tarir ces sources considérables de revenus et a par exemple déclaré que les concessions minières accordées par ses prédécesseurs (s’étalant sur 10,6 % du territoire mexicain) ne seront pas remises en cause sous son mandat.

20Or, le nouveau gouvernement prête ainsi le flanc aux critiques dénonçant la mise en œuvre d’une politique qualifiée de « néo-extractiviste26 » comme étant la démonstration du fait que la Quatrième transformation ne serait que pieux mensonges. Surtout, les projets liés aux secteurs énergétique et minier donnent lieu à d’importantes mobilisations dans les zones dans lesquelles ils s’implantent. Ainsi, dans leur base de données particulièrement riche, l’équipe de la FLACSO-Mexico prenant part au programme de recherche Conversando con Goliat comptabilise plus de 300 « conflits socioenvironnementaux » liés aux industries extractives à travers le pays27. Dénommés « luttes en défense du territoire », les mouvements d’opposition à ces multiples projets donnent lieu au rassemblement de diverses organisations contestataires à l’occasion d’évènements de plus en plus réguliers.

21À la suite de l’assassinat de Samir Flores28 en février 2020, plusieurs milliers de personnes ont marché dans les rues de la capitale lors d’une des plus grandes manifestations organisées depuis l’arrivée au pouvoir de Morena une année auparavant. Durant celle-ci, divers slogans visaient directement le nouveau gouvernement29. À la fin de la marche, sur la place centrale de Mexico, les représentants d’une quarantaine d’organisations se sont relayés au micro de la scène installée devant le Palacio Nacional (siège de la présidence). Issus de divers syndicats nationaux, d’organisations liées au Congreso Nacional Indigena (CNI, proche de l’Armée zapatiste de libération nationale-EZLN) ou d’organisations locales engagées dans des luttes en défense du territoire, tous ont témoigné d’une même hostilité à l’égard du nouveau gouvernement.

22Le 10 avril 2019, lors de la commémoration officielle des 100 ans de l’assassinat du révolutionnaire Emiliano Zapata, le président de la République a prononcé un discours depuis Cuernavaca (Morelos). Non loin de là, un évènement organisé par le CNI a rassemblé une grande partie des organisations présentes lors de la marche en hommage à Samir Flores. Boycottant ouvertement la cérémonie officielle, l’évènement a pris fin dans le village de Huexca, à quelques mètres de la centrale thermoélectrique controversée. Sur place, lors de discussions informelles, plusieurs participants déclaraient avoir soutenu la candidature de López Obrador. Pour autant, une fois encore, discours et slogans témoignaient d’une forte animosité vis-à-vis du nouveau président.

23Il peut être intéressant de s’arrêter un instant sur le projet intégral Morelos (PIM), dont la centrale thermoélectrique de Huexca n’est que l’une des composantes30. À l’instar des projets de Train Maya et du programme pour le développement de l’isthme de Tehuantepec, le PIM est emblématique des « mégaprojets » auxquels s’opposent les mouvements de lutte en défense du territoire. Débutés durant la présidence Calderón (PAN), les travaux de construction des infrastructures du PIM se sont poursuivis sous la présidence de Peña Nieto (PRI). Le fait que leur mise en activité ait lieu durant le mandat de López Obrador apparaît dès lors comme une illustration des continuités entre le gouvernement de la Quatrième transformation et ses prédécesseurs. Pourtant, en 2014, alors que l’opposition au PIM faisait déjà l’objet d’importantes mobilisations, López Obrador s’était rendu en personne à Huexca lors d’un rassemblement d’opposants au projet. Ce jour-là, il déclarait aux militants :

« Nous ne voulons pas de ce gazoduc, nous ne voulons pas de cette thermoélectrique, et nous ne voulons pas non plus des mines qui vont détruire le territoire et contaminer les eaux ! Nous allons tout faire pour vous aider, vous pouvez compter sur nous ! »

24Cette prise de position témoigne des efforts déployés par celui qui n’était alors que candidat, afin d’acquérir le soutien d’organisations engagées dans les mouvements de luttes en défense du territoire. La solidarité avec ces dernières a ainsi été l’un des éléments clés de la construction d’un positionnement de rupture avec les gouvernements PRI et PAN, mais également de l’établissement de relations privilégiées entre Morena et diverses organisations contestataires locales. Parmi ces dernières, nombreuses sont celles ayant directement soutenu la campagne de López Obrador lors des élections de 2018. Toutefois, ces relations se voient aujourd’hui fortement fragilisées. Alors qu’il ne fait plus de doute que la Quatrième transformation n’impliquera ni la remise en cause des « mégaprojets » ni celle des millions d’hectares de concessions minières, les luttes en défense du territoire sembleraient constituer les principaux mouvements d’opposition au nouveau gouvernement.

25Au regard de ces éléments, les mises en scène rituelles évoquées, la nomination de María Luisa Albores González, ou encore la réalisation de « consultations [afin de] demander l’approbation des communautés et peuples originaires31 » (lors de la mise en place de projets extractifs ou de grande ampleur sur leur territoire) paraissent sans effet. Pour autant, davantage qu’un simple recours au registre indigéniste en tant qu’instrument de légitimation, les efforts déployés en ce sens peuvent être lus comme l’expression des rapports de forces structurant actuellement la configuration politique mexicaine. Une telle approche permettant par exemple d’expliquer pourquoi, alors même que le principal leader de l’EZLN l’a copieusement insulté à diverses reprises, López Obrador a toujours essayé d’éviter l’affichage d’une relation ouvertement conflictuelle avec l’organisation néo-zapatiste32.

26L’alternance critique initiée en 2018 semblerait en effet avoir conduit à une restructuration de l’espace contestataire, entre mouvements proches du nouveau parti gouvernemental et tenants d’une ligne d’opposition radicale à ce dernier. Si l’on pouvait s’attendre à ce que les organisations ayant soutenu la campagne de Morena en deviennent des relais locaux une fois le parti au pouvoir, la poursuite d’un modèle de développement en grande partie basé sur l’exploitation intensive des ressources naturelles conduit à une remise en cause de ces alliances. Alors même que le soutien de nombreuses organisations contestataires constituait l’une de ses principales ressources politiques, López Obrador semble en passe de se l’annihiler. Dans ce cadre, il convient de s’interroger sur l’évolution des modalités d’intermédiations entre la nouvelle direction administrative de l’État central mexicain et les organisations contestataires locales.

L’alternance critique depuis le local : le cas de la Sierra Norte de Puebla

27Cette dernière partie s’appuie sur des données recueillies entre les mois de janvier et juin 2019, au cours d’enquêtes de terrain dans la Sierra Norte de l’État de Puebla. Celle-ci fait partie de « la Sierra Madre orientale, laquelle sépare le plateau mexicain (meseta central), froid et sec, de la vallée tropicale de Veracruz. […] La région est peuplée de 600 000 habitants, en grande majorité indigènes : 400 000 Nahuas et 100 000 Totonaques33 ». Les entretiens cités (anonymisés) ont été réalisés auprès de membres dirigeants d’organisations locales, notamment l’union de coopérative Tosepan Titataniske (Tosepan)34 et l’Organisation indépendante totonaque (OIT)35. Toutes deux revendiquent une identité indigène Nahua (Tosepan) et Totonaque (OIT). Au cours des dernières années, ces deux organisations ont été fortement engagées dans les mouvements de lutte en défense du territoire qui secouent la région. Près de 20 % de la superficie de la Sierra Norte de Puebla est en effet concernée par des projets extractifs. Il s’agit, pour l’immense majorité d’entre eux, de projets de mines à ciel ouvert (aurifères et argentifères). La zone est également concernée par des projets dans le domaine des hydrocarbures (146 puits ont déjà été forés) et de l’énergie hydroélectrique (6 projets de barrages sur 122 hectares, impactant 12 fleuves et rivières différents)36. La mise en œuvre de ces projets fait l’objet d’une importante contestation locale, à l’avant-garde de laquelle se trouvent bien souvent les membres dirigeants des organisations évoquées.

Des « vieilles pratiques » toujours d’actualité

28L’hégémonie quasi séculaire du PRI sur la scène politique nationale se manifeste également à l’échelle locale, où le parti a conservé sans partage le gouvernorat de l’État de Puebla entre 1933 et 2011. À partir de cette date, les candidats du PAN y sont élus à trois reprises, y compris lors des élections de 2018. Mais le 24 décembre, soit quinze jours après sa prise de fonction, Martha Érika Alonso, gouverneure (PAN) de l’État de Puebla, décède dans un accident d’hélicoptère en même temps que son époux Rafael Moreno Valle, lui-même ex-gouverneur (PAN) de Puebla. À la suite de l’accident, il est décidé que des élections extraordinaires auront lieu le 2 juin 2019. La campagne qui s’ouvre alors constitue la première séquence électorale depuis la prise du pouvoir fédéral par Morena. Fondé peu de temps auparavant, le parti ne dirige alors que cinq des trente-deux États qui composent la République mexicaine. Or, dans un système fédéral tel que celui du Mexique, gouverner la majeure partie des États est une condition essentielle de la pérennisation d’une force politique à la tête du pays. Ajouté au fait que l’État de Puebla est l’un des plus riches de la fédération, en remporter le gouvernorat apparaît comme un enjeu politique de taille pour Morena. Cette campagne permet ainsi d’analyser la Quatrième transformation au regard des dispositifs déployés par le nouveau parti présidentiel afin de conquérir au PAN le gouvernorat de Puebla. De la même manière, elle est l’occasion de revenir sur les relations s’établissant entre Morena et les organisations locales en contexte électoral, ainsi que d’interroger la façon dont l’alternance critique engagée, implique (ou non) une modification des modalités de dominations ordinaires dans la Sierra Norte de Puebla.

29Le candidat choisi par Morena pour ces élections est Miguel Barbosa. Professionnel de la politique, membre du PRI de 1977 à 1994, puis dirigeant du PRD dans l’État de Puebla, avant d’occuper successivement les postes de député, de sénateur, et de président du Sénat. Il rejoint Morena un an avant les élections de 2018. Miguel Barbosa fut également un ami intime du sulfureux ex-gouverneur (PAN) Rafael Moreno Valle, accusé à diverses reprises de faits de corruption et détournements de fonds publics. Élu malgré un taux d’abstention record (de près de 70 %), il est depuis le mois de juin 2019 le gouverneur de l’État de Puebla. Durant la campagne, tant depuis l’intérieur du parti présidentiel37 que de la part de mes interlocuteurs locaux, des critiques se sont élevées quant à l’existence d’irrégularités entourant la désignation de Barbosa comme candidat de Morena, mais également concernant le déroulement de la campagne. Avant de revenir plus concrètement sur ces critiques, il est intéressant de relever que lors des entretiens auprès de membres d’organisations locales, ces derniers ont évoqué les efforts déployés par les différents partis politiques pour obtenir leur soutien. Ainsi, l’un des dirigeants de la Tosepan déclarait :

Lui. — Les partis politiques ont toujours cherché à se rapprocher de nos organisations à des fins électorales…
Moi. — Et depuis la victoire de Morena, ils cherchent à se rapprocher de la même manière ?
Lui. — Quelques-uns sont venus oui. Mais ce qui est amusant c’est qu’ils viennent toujours quand… Il y a un processus électoral [rires]. C’est : « Quand j’ai besoin de toi alors oui je me tourne vers toi… mais quand je n’ai plus besoin, pour moi tu n’existes plus38 ! »

30L’opportunisme politique dont peuvent faire preuve les organisations partisanes a été évoqué par plusieurs de mes interlocuteurs, et ce d’une manière parfois bien plus directe. L’un des principaux leaders du mouvement d’opposition à l’instauration d’une mine à ciel ouvert dans le municipe de Tetela de Ocampo, m’indiquait par exemple avoir été démarché à plusieurs reprises par différents partis politiques, pour être leur candidat à une élection. Alors que des membres dirigeants du PRD lui auraient proposé de se présenter comme candidat au poste de député, d’autres de Morena l’auraient invité à se présenter sous leur bannière pour la présidence municipale. Qu’il s’agisse de l’un ou de l’autre des partis, chaque fois, le modus operandi est le même : les représentants du parti le contactent par voie téléphonique, puis sollicitent une rencontre au cours de laquelle ils lui proposent d’organiser sa candidature. Des faits identiques m’ont ainsi été relatés par diverses personnes ayant pour point commun de bénéficier d’une importante notoriété à l’échelle locale du fait de leur engagement dans les mouvements de luttes en défense du territoire. Désignée par le terme de « cooptation », cette stratégie de recrutement vise à drainer davantage de voies lors des échéances électorales. Elle permet aux partis politiques de renforcer leur ancrage local, à travers l’établissement de liens d’interdépendances avec des individus membres d’organisations bien implantées localement. Pour le gouvernement, elle constitue également une modalité de contention de l’opposition locale. Au cours du xxe siècle, de nombreux leaders de mouvements sociaux ou d’organisations influentes à l’échelle locale ont ainsi été recrutés par le PRI. Si ces stratégies ne sont pas propres au cas mexicain, elles témoignent en revanche de la reproduction par le nouveau parti présidentiel, des méthodes préexistantes de conquête et préservation du pouvoir. Il semblerait par ailleurs que celles-ci ne se limitent pas à la cooptation. Ainsi, lors de notre entretien, un membre dirigeant de l’OIT évoquait les « vieilles pratiques » mobilisées durant la campagne. Toutefois, davantage que le fait qu’elles se situent à la limite de la légalité, il dénonçait alors leur contradiction avec la rhétorique de la « transformation » mise en avant par Morena :

« Ce qui est sûr aussi, c’est que continuent à se reproduire les mêmes pratiques ! Et le plus moche c’est que ce soit de la part de Morena. Ils continuent à avoir ces logiques… Bien que le président dise : “Il ne va plus y avoir de caciques qui veulent manipuler les gens…”, et bah en tout cas je sais qu’en ce moment ça continue… Avec les élections, il y a des gens qui sont en train de promettre aux gens qu’ils vont leur donner des feuilles [de taule], qu’ils vont leur donner du maïs, des pelles, des broyeurs […]. Et quand tu leur dis “mais Andrés Manuel a dit que ça n’allait plus être comme ça ?”, ils te répondent : “Non… Ça va être comme ça !” […] Et puis l’autre aspect c’est que les vieux caciques des partis veulent garder le pouvoir, maintenant depuis Morena. Que ce soient des ex-candidats du PRI, du PAN, ou qui que ce soit… maintenant, ils veulent être candidats avec Morena. »

31En dehors de notre entretien, une fois assuré que l’enregistreur était coupé, un autre de mes interlocuteurs m’affirmera que plusieurs membres de son organisation ont reçu une proposition de don de 50 000 pesos de la part d’un député fédéral, en échange de leur soutien politique. Les pratiques clientélaires, entendues en tant qu’échange de biens matériels ou immatériels contre un soutien politique, sous des formes plus ou moins officieuses (selon qu’il s’agit d’échanges interindividuels non déclarés, ou de promesses d’attribution de fonds publics à l’organisation), sont là encore loin d’être une particularité mexicaine39. Pour autant, outre la démonstration de la reproduction des mécanismes de conquêtes du pouvoir, interroger les motifs du recours à ces « vieilles pratiques » par des responsables politiques locaux affiliés au nouveau parti présidentiel peut s’avérer heuristique. Aussi, loin d’être étonné par le déroulement de la campagne, un autre membre de l’OIT déclarait lors de notre entretien :

« Ce qui se passe c’est que ceux de Morena, du moins ici à Puebla, ils voient qu’il leur manque le fait de pouvoir démontrer qu’il y a une sympathie des peuples, des villages, des organisations… Parce que c’est une chose de dire que tu es avec les communautés, être vraiment là c’en est une autre ! Du coup, ils reproduisent les vieilles pratiques… En ce moment, les gens nous disent “à tel endroit, ils sont venus nous offrir des cochons, de la peinture…”. »

32Lucide quant aux motifs conduisant les organisations partisanes à mettre en œuvre de tels mécanismes, mon interlocuteur souligne ici un élément saillant de la configuration politique mexicaine actuelle : au niveau fédéral, les élections de 2018 se sont traduites par une très large majorité des votes exprimés en faveur de Morena, López Obrador étant arrivé en tête dans la totalité des 32 États fédérés (à l’exception de celui de Guanajuato). En revanche, à l’échelle des entités administratives locales, il en va tout autrement, y compris dans l’État de Puebla où seules 49 des 217 municipalités sont présidées par un membre de Morena. Autrement dit, le nouveau parti présidentiel accuse un ancrage local relativement faible en comparaison de celui dont bénéficient des partis enracinés de plus longue date dans la compétition politique locale. Dès lors, les candidatures de personnalités politiques disposant d’une importante clientèle électorale se voient les bienvenues, tout autant que les « vieilles pratiques » qu’elles contribuent à importer.

Alliances stratégiques

33Les alliances avec des organisations contestataires ont été un facteur essentiel du succès électoral de Morena lors des élections fédérales de 2019. Associées à un discours de rupture avec le « modèle néolibéral » et à une mobilisation du registre indigéniste, elles constituent ainsi l’une des principales sources de légitimation du parti présidentiel. Or, ces alliances se voient fragilisées par la montée des tensions entre l’actuel gouvernement et les organisations locales engagées dans les luttes en défense du territoire. L’ensemble de ces éléments expliquent que les sections locales de Morena tentent de les réactiver en démarchant avec insistance divers membres d’organisations contestataires revendiquant une identité indigène. Le fait que ces derniers soient en mesure d’incarner le discours de « rupture » mobilisé par le gouvernement les rend d’autant plus attrayants pour le parti présidentiel, a fortiori lorsque leur organisation dispose d’un important ancrage local. Ces mécanismes ne sont toutefois pas à sens unique. Un de mes interlocuteurs cités précédemment évoquait ainsi les situations où des membres d’organisations militantes locales saisissent l’opportunité conjoncturelle afin d’intégrer la sphère politique institutionnelle :

« Il y a aussi eu des compañeros qui ont utilisé leur position dans l’organisation pour se placer en dehors… Se rapprocher des députés, se rapprocher de la Quatrième transformation… »

34La situation décrite ci-dessus – qui correspond par ailleurs à une opération relativement courante de conversion de capital militant ou communautaire en capital politique – semble être ici dénoncée comme moralement condamnable du fait du caractère individuel des profits visés. Il en va tout autrement lorsque l’établissement de relations entre le nouveau parti présidentiel et des membres de l’organisation militante aboutit à des bénéfices collectifs. Ainsi, le fait que l’une des quatre nouvelles universités pour le Bienestar40 soit établie à Cuetzalan où se trouve le siège de la Tosepan, n’est probablement pas sans lien avec le fait que la ministre María Luisa Albores Gonzales ait travaillé pendant plusieurs années pour cette organisation. Le premier recteur nommé à la tête de la nouvelle université est également l’un des membres dirigeants de la Tosepan. Aussi, lorsque je demandais à un autre dirigeant de cette organisation si la nomination d’une ancienne membre de la Tosepan au poste de ministre du Bienestar avait « facilité la communication avec le gouvernement », celui-ci me répondait :

« Et bien en tout cas ça nous donne de l’espoir de pouvoir dire qu’on y trouve des gens valeureux qui ont été formés dans la lutte organisée. Et de ce point de vue, il peut y avoir des possibilités, de l’espérance et de la confiance dans le fait que… les demandes des organisations vont être plus entendues. »

35Si malgré ces liens établis, la Tosepan a fait le choix de ne se lier officiellement à aucun parti politique, l’organisation a ouvertement appelé à voter en faveur de López Obrador lors des dernières élections présidentielles. Quant à l’OIT, l’épouse de l’un de ses anciens membres dirigeants est désormais la représentante de Morena dans le municipe de Huehuetla (où siège l’organisation). Au regard de la véhémence dont ont témoigné divers membres de ces organisations à l’encontre du nouveau gouvernement, le choix de se lier à Morena peut paraître pour le moins étonnant. Pour autant, les motifs de ces décisions s’éclairent à l’aune d’une analyse au long cours des relations entre organisations militantes locales et partis politiques. Si tout ne peut pas être dit dans cette contribution d’ouvrage, il convient de souligner qu’outre l’hégémonie du PRI à l’échelle nationale, dans la Sierra Norte de Puebla, les mécanismes de domination ordinaire se structurent tout au long du xxe siècle sous la forme du système du caciquisme. Entendu comme un système de domination (politique, économique et social) ici fortement ethnicisé, le caciquisme se caractérise par un antagonisme entre petite paysannerie d’origine indigène et une minorité mestiza concentrant l’essentiel de la propriété agraire et dont sont issus les tenants du pouvoir politique local. Dans ce contexte, afin de renforcer la position de l’organisation face aux caciques locaux, la Tosepan a pu être amenée à soutenir de manière directe ou indirecte le candidat du PRI lors d’élections municipales. Ceci expliquant en partie le fait que l’organisation bénéficiait de financements fédéraux bien avant que l’une de ses membres ne soit nommée au gouvernement.

36En 1990, l’OIT a quant à elle fait le choix d’établir une alliance de circonstance avec le PRD (qui venait d’être créé), afin de ravir au PRI la mairie de Huehuetla. Alors que seule une alliance avec un parti politique officiellement reconnu autorisait à concourir aux élections, la coalition OIT-PRD a permis aux membres de l’organisation de présider ce qui deviendra l’ayuntamiento indígena de Huehuetla pour le temps de trois mandats (1990-1999). L’expérience de l’exercice du pouvoir municipal se solde toutefois par une certaine désillusion. Rapidement, le partage du pouvoir avec le PRD et les intrigues propres à la politique partisane conduisent au dévoiement d’une partie des membres dirigeants de l’OIT. En parallèle, les caciques locaux mobilisent les importantes ressources dont ils disposent afin d’affaiblir l’équipe municipale. Les membres de l’OIT doivent faire face au harcèlement des forces de police et le gouverneur réduit leur dotation budgétaire. Si bien que lors des élections de 1999 les caciques récupèrent la présidence municipale, qu’ils conservent jusqu’à aujourd’hui, sous la bannière du PRI.

37Dès lors, la récente alternance critique représente une modification de la structure locale des opportunités politiques, dont l’OIT va se saisir afin de tenter de récupérer la présidence municipale au PRI. Loin de ne pouvoir être analysée qu’en termes d’instrumentalisation des organisations indigènes par Morena, la possibilité d’établir une alliance avec le nouveau parti présidentiel apparaît ici comme une ressource sur laquelle les organisations contestataires vont décider de s’appuyer au regard de la configuration politique locale et de leur agenda propre. Durant notre entretien (réalisé au lendemain de la décision de l’OIT de s’allier avec Morena), l’un des membres de l’organisation m’expliquait ainsi :

« Notre contradiction c’est que… Oui nous aspirons à renforcer nos processus, mais la réalité c’est nous n’avons pas la condition de pouvoir dire… par exemple : “Autonomie !” Pourquoi ? Parce que notre contexte est très concret ! C’est très compliqué ici en tant que petits […] Notre condition actuelle ne nous permet pas de dire “non, que les partis aillent se faire foutre ! On va aller tout seul d’ici jusqu’à…” jusqu’à je ne sais même pas où ! Et que faire si on n’en a pas les moyens ? […]
Et puis ce gouvernement, dans une certaine mesure, est en train de dire : “Ce que fait l’OIT, ce que font les communautés organisées, est valide.” Et ça c’est une bonne chose. Parce qu’ils ne vont pas nous poursuivre… ils ne vont pas nous réprimer ! […] C’est aussi une protection […] Du coup, ça nous permet de dire : “Ok, reprenons des forces et organisons-nous pour la suite” […]
L’OIT a opté pour une voie qui est celle du parti, avoir une alliance avec Morena… pourquoi ? Et bien premièrement pour pouvoir… mettre en place les conditions pour pouvoir être en mesure de reprendre le pouvoir municipal. […] Donc c’est une voie qu’on a choisi de suivre… Il faut être honnête, c’est aussi un outil donc… il faut… il faut l’utiliser. »

Conclusion

38Au regard des éléments avancés au cours de cette contribution, l’alternance critique engagée au Mexique en décembre 2018 semble loin de donner lieu aux transformations radicales annoncées. En termes de composition du personnel politique, on note ainsi la nomination (au gouvernement, à la tête d’institutions publiques majeures ou en tant que candidats lors d’élections locales) de nombreux responsables issus des organisations partisanes ayant dominé le champ politique au cours des dernières décennies. À l’échelle locale, le faible ancrage du nouveau parti présidentiel favorise également la reproduction des élites politiques et des « vieilles pratiques » prévalant jusqu’alors (entre relations clientélaires, transactions collusives et pratiques ouvertement corruptrices). Par ailleurs, qu’on l’impute à la présence de ces transfuges au sein du gouvernement, à l’influence des milieux d’affaires nationaux et internationaux sur la prise de décision politique, ou à la dépendance au sentier emprunté depuis la fin des années 1980, la continuité semble également être de mise en matière économique. Ainsi, la politique d’austérité républicaine apparaît tout au plus comme une adaptation du Mexique aux normes internationales de bonne gouvernance, et le modèle de développement poursuivi par le nouveau gouvernement reste en grande partie basé sur l’exploitation intensive des ressources naturelles. Or, la poursuite des « mégaprojets » (extractifs, touristiques ou commerciaux) trouve son corolaire dans les centaines de conflits socioenvironnementaux persistant à travers le pays. Si le soutien d’une large partie des organisations composant l’espace contestataire a été un facteur essentiel de la victoire de Morena lors des élections fédérales, les luttes en défense du territoire apparaissent aujourd’hui comme les principaux mouvements d’opposition au nouveau gouvernement.

39L’alternance critique mexicaine semblerait ainsi donner lieu à une restructuration de l’espace des mouvements sociaux. Au sein même des organisations contestataires, les différends tendent à s’intensifier entre partisans de la Quatrième transformation et tenants d’une ligne d’opposition radicale au nouveau gouvernement. C’est notamment dans ce cadre que peut être analysé le recours à une symbolique indigéniste en tant que registre de légitimation. Qu’elles fassent ou non l’objet d’un usage instrumental, ces formes de réinvention stratégique de la tradition contribuent à inscrire la dénonciation de la domination systémique des populations auxquelles elles se réfèrent, dans un débat public dont elles furent longtemps exclues. Ces mesures symboliques ne sont toutefois pas les seuls dispositifs déployés afin de pérenniser les liens établis durant la campagne entre Morena et diverses organisations contestataires. Si elle est loin de se traduire par une éviction généralisée de l’ancienne direction administrative de l’État mexicain, la Quatrième transformation a en effet conduit à la nomination de plusieurs membres d’organisations contestataires indigènes (à l’instar de celle de María Luisa Albores Gonzales au poste de ministre du Bienestar, ou de celle d’Adelfo Regino Montes41 à la direction de l’INPI). Outre le fait qu’elle constitue une rétribution individuelle de leur militantisme au sein de Morena, leur intégration au champ politique institutionnel permet la rétribution collective des organisations locales dont ils sont issus. En ouvrant à ces dernières de nouvelles voies d’accès aux ressources publiques, ces acteurs s’inscrivent comme des maillons essentiels des chaînes d’intermédiation entre État central et organisations locales.

40Bien que ne conduisant manifestement pas à une transformation radicale des mécanismes de dominations ordinaires, la Quatrième transformation implique ainsi une modification partielle des marges de manœuvre dont disposent les groupes sur lesquels ces dominations s’exercent. Aussi, si elle ne met pas un terme aux menaces concrètes et multidimensionnelles pesant sur les militants des mouvements de luttes en défense du territoire42, la mise en place d’alliances avec Morena constitue une opportunité de renforcer la position de ces organisations vis-à-vis des acteurs dominants la configuration politique et économique locale. Surtout, il est apparu que ces alliances avec le nouveau parti présidentiel ne se résument pas à une action unilatérale de la part des tenants du pouvoir politique, mais relèvent également de décisions stratégiques prises par les organisations locales au regard d’intérêts bien compris. Bien loin donc de l’image exotisante de peuples indigènes oscillants entre oppression passive et résistance héroïque dans une autonomie totale.

41Si ces relations entre État central et organisations locales (fussent-elles contestataires) ne sont pas univoques, elles ne sont pas davantage nouvelles. Une mise en perspective historique permet ainsi de rappeler que les lignes de continuités entre le nouveau gouvernement et ses prédécesseurs ne concernent pas uniquement le modèle économique ou le personnel politique, mais également les dispositifs de gouvernementalité déployés. Pour le nouveau parti gouvernemental, le bénéfice de ces alliances ne s’arrête effectivement pas au renforcement de son ancrage local. L’OIT et la Tosepan étant au centre des luttes en défense du territoire dans leur région, ils rechargent l’État en légitimité, à travers la restauration de liens avec un espace contestataire, qui s’avère alors davantage gouvernable. In fine, ce type d’intermédiation entre État central et organisations locales ne semble pas si éloigné de celui qui avait permis au PRI d’asseoir durablement son hégémonie. Ainsi, lors d’une discussion informelle avec un prêtre de la Sierra Norte de Puebla (acquis à la théologie de la libération), celui-ci résuma son analyse en une formule concise, que je me permettrai de lui emprunter ici en guise de conclusion. Sous-entendant que l’arrivée au pouvoir de Morena ne constituerait qu’un quatrième changement de nom dans l’histoire du parti hégémonique, il qualifia l’alternance critique mexicaine de : « Quatrième transformation… du PRI ! »

Notes de bas de page

1Initialement nommé Parti national révolutionnaire (1928-1938), puis Parti de la Révolution mexicaine (1938-1946).

2Proche des milieux d’affaires, le PAN se caractérise par son libéralisme en matière économique en même temps que son conservatisme sur le plan sociétal et sécuritaire. Si l’accès à la présidence de deux membres du PAN (Vicente Fox en 2000, Felipe Calderón en 2006) a représenté la première défaite du PRI, les politiques de privatisation et d’internationalisation de l’économie menée par ces derniers s’inscrivent dans la droite ligne de la politique mise en œuvre par le PRI depuis la fin des années 1980.

3Jonction du PRI et du PAN, cette formule est mobilisée par leurs opposants afin de souligner les alliances entre les deux organisations partisanes, ainsi que la continuité des politiques publiques mises en œuvre au cours des trente dernières années. Il convient de souligner que depuis l’arrivée au pouvoir de López Obrador, le PRI, le PAN et le PRD font en partie campagne commune à travers la coalition « Va por México ».

4Après l’Indépendance (1810), la Réforme (1857-1861) et la Révolution mexicaine (décennie 1910). Le terme sert ainsi à qualifier à la fois le moment politique actuel, la nouvelle équipe gouvernementale et la politique mise en œuvre par cette dernière.

5Institution créée en 1948, l’INI représente alors le principal instrument étatique d’intermédiation avec les « communautés indigènes ». Jusqu’à la fin du xxe siècle, il constitue l’organe privilégié pour l’établissement de relations clientélaires entre ces dernières et les responsables du PRI. En 2000, le premier président PAN (Vicente Fox) change l’INI en Commission nationale pour le développement des peuples indigènes (CNDPI). Moins de quatre jours après sa prise de fonction, López Obrador proclame la suppression de la CNDPI qu’il remplace par l’Institut national des peuples indigènes (INPI).

6Régulièrement mobilisés dans le débat public mexicain, les termes de « populations, peuples, organisations ou communautés indígenas » seront à ce titre repris, le mot indígena sera traduit par celui d’indigène (en italique).

7Renvoyant au concept d’« invention de la tradition », le terme fait ici référence aux formes contemporaines d’usages politiques de l’indigénéité. Hobsbawm Eric et Ranger Terence, The Invention of Tradition, Cambridge, Cambridge University Press, 1983 ; Galinier Jacques et Molinié Antoinette, Les néo-Indiens. Une religion du IIIe millénaire, Paris, Odile Jacob, 2006.

8Réalisées dans le cadre de ma thèse de doctorat. Je tiens ici à remercier chaleureusement Nicolas Ellison pour avoir facilité mon insertion sur le terrain, et enrichi mes réflexions par sa fine connaissance de la Sierra Norte de Puebla et du monde Totonaque.

9Mise en place dès le mois de janvier 2019, la ZLFN correspond à une bande de 25 km de large à la frontière avec les États-Unis, le but affiché étant de relancer l’activité économique sur cette partie du territoire afin de freiner l’émigration en stabilisant les populations à la frontière. Il convient de souligner que la hausse du salaire minimum mexicain était l’une des exigences formulées par les États-Unis dans le cadre de la renégociation de l’Accord de libre échange nord-américain.

10D’une part, ils octroient un important pouvoir discrétionnaire aux responsables (administratifs ou communautaires) en charge de les attribuer. D’autre part, divers auteurs ont mis en lumière leurs « usages électoraux […], si ce n’est sous la forme d’un vote contraint, du moins comme une tentative de la part de l’exécutif (ou d’autres forces politiques), d’orienter le vote des pauvres vers une option partisane déterminée ». Pirker Kristina et Lara Gabriel, Monitoreo de programas sociales en contextos electorales, México, Éditions Fundar, 2006, p. 45.

11Jaramillo-Molina Máximo Ernesto, ¿Una nueva política social?: cambios y continuidades en los programas sociales de la 4T, Guadalajara, Éditions ITESO, 2020.

13Par exemple Nájar Alberto, « AMLO versus “la nueva oposición”, quiénes serán los adversarios políticos del presidente más votado de la historia de México », BBC Mundo, 29 novembre 2018.

14COPARMEX, équivalent du MEDEF français.

15Formation politique née en 1989 sur la base d’une scission de l’aile gauche du PRI.

16Les deux élections, entachées de lourds soupçons de fraudes et irrégularités électorales, donneront lieu à d’importantes mobilisations.

17Encadrant l’ensemble du débat politique national durant la majeure partie du xxe siècle, le PRI est en effet longtemps resté la seule voie d’accès à l’administration publique. Ayant toutefois incarné au cours de son histoire des tendances diamétralement opposées, son hégémonie ne se caractérise ni par une continuité des politiques publiques mises en œuvre ni par une homogénéité idéologique de ses membres.

18Traduction politique du concept quechua de Sumak Kawsay, mis en avant en Équateur sous la présidence de Rafael Correa (2007-2017). Sur ce concept, voir par exemple Le Quang Matthieu, « Le Bien vivre, une alternative au développement en Équateur ? », Revue du MAUSS Permanente, 4 octobre 2016, [https://www.journaldumauss.net/spip.php?page=imprimer&id_article=1319].

19Elle fut notamment membre du conseil d’administration de l’association Yeknemilis A. C., proche de l’union de coopératives Tosepan sur laquelle je reviendrai en dernière partie.

20Les données retenues sont celles relatives à la situation monétaire du Mexique avant la crise du Covid-19 et la chute des cours du pétrole, phénomènes ayant par la suite entraîné une forte baisse de la valeur du peso.

21Rojas Ana Gabriela, « Toma de protesta de AMLO : Andrés Manuel López Obrador saca su parte más indigenista en la fiesta del Zócalo », BBC News Mundo, 2 décembre 2018.

22Guzmán Armando et Mandujano Isaín, « AMLO pide permiso a la madre tierra y ayuda a empresarios para el Tren Maya », Proceso, 16 décembre 2018.

23Bourdieu Pierre, « Sur le pouvoir symbolique », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 32e année, no 3, 1977, p. 405-411.

24Escalona Victoria José Luis, « Invocations de l’ethnicité et imaginaire sociopolitique au Mexique », Problèmes d’Amérique latine, no 72, 2009/2, p. 51-71.

25Consistant en l’instauration d’un « corridor multimodal interocéanique » reliant les océans Atlantique et Pacifique via un développement des réseaux portuaires, routiers, ferrés et aéroportuaires, ce programme vise à « concurrencer les marchés internationaux de mobilisation de marchandises » (en premier lieu desquels, le canal de Panama).

26Sur le concept de néo-extractivisme, voir par exemple Acosta Alberto, « Extractivismo y neoextractivismo: dos caras de la misma maldición », in Miriam Lang et Chávez Dunia Mokrani (dir.), Más allá del desarrollo: Grupo Permanente de Trabajo sobre Alternativas al Desarrollo, Quito, Éditions Abya Yala/Fundación Rosa Luxemburg, 2011, p. 83-120 ; Ou encore Maristella Svampa, Las fronteras del neoextractivismo en América Latina, Bielefeld, Bielefeld University Press, 2019.

27Les conflits socioenvironnementaux en question concernent des projets : de mines (43 %), de barrages hydro-électriques (21,5 %), de puits d’hydrocarbures (14,5 %), de champs éoliens (13 %) et de gazoducs (8 %). Zaremberg Gisela, Guarneros-Meza Valeria, Flores-Ivich Georgina et Róo Rubí Mariana, Conversing with Goliath: Database on Conflicts in Mining, Hydrocarbon, Hydroelectric and Wind-Farm Industries in Mexico, México, Éditions FLACSO-México, 2019.

28Militant d’origine nahua fortement impliqué dans les mouvements de lutte en défense du territoire, Samir Flores fut assassiné par des hommes en armes (non identifiés) le 20 février 2019.

29On pouvait ainsi entendre : « Samir n’est pas mort, le gouvernement l’a assassiné ! » ou encore « Obrador disait que tout changerait, mensonge, mensonge, la même porcherie continue ! ».

30Le PIM consiste en l’installation de deux imposantes centrales thermoélectriques, un gazoduc, un aqueduc et une ligne électrique à haute tension.

31Phrase tirée de la présentation du projet de train maya dans le PND 2019-2024, Diario Oficial de la Federación, PND 2019-2024, p. 17. Dénoncées comme des instruments de légitimation des projets en question, ces « consultations » sont aujourd’hui largement rejetées par les mouvements de lutte en défense du territoire. Ainsi, dans un communiqué publié en avril 2019, le Réseau mexicain des affectés par l’activité minière (REMA) affirmait que « les “bonnes consultations” n’existent pas » et invitait les organisations internationales, les entreprises minières et le gouvernement à « arrêter de tromper les peuples ».

32Leur souhaitant même la « bienvenue » lors de l’annonce de la création de onze nouveaux territoires autonomes (caracoles). De la même manière, l’attitude du Subcomandante Insurgente Moises (actuel leader de l’EZLN) doit être lue au regard de l’agenda propre du mouvement néo-zapatiste. Si, comme en témoignent ces nouveaux caracoles, l’arrivée au pouvoir de Morena représente pour eux l’ouverture de nouvelles fenêtres d’opportunités, elle constitue également un risque de voir l’organisation fragilisée par le départ ou le soutien de divers membres au profit du nouveau parti gouvernemental.

33Beaucage Pierre, Duran Olguin Leonardo, Rivadeneyra Pasquel Ignacio et Olvera Ramírez Claudia Marina, « Con la ayuda de Dios. Crónica de luchas indígenas actuales por el territorio en la Sierra Nororiental de Puebla », Journal de la société des américanistes, t. 103-1, 2017, p. 5.

34Pour une analyse de l’organisation Tosepan, ainsi que pour une étude anthropologique des populations nahuas de la Sierra Norte de Puebla, voir Beaucage Pierre, Corps, cosmos et environnement chez les Nahuas de la Sierra Norte de Puebla. Une aventure en anthropologie, Montréal, Éditions Lux-Humanité, 2009.

35Pour une analyse de l’Organisation indépendante totonaque, ainsi que pour une étude anthropologique des populations totonaques de la Sierra Norte de Puebla, voir Ellison Nicolas, Semé sans compter, Paris, Éditions Maison des sciences de l’homme, 2013.

36Poder et Tiyat Tlali, Industria extractiva en la Sierra Norte de Puebla, Puebla, 2014, [https://poderlatam.org/2016/10/145/].

37Voir par exemple Cruz Elvia, « Alejandro Armenta impugna la candidatura de Miguel Barbosa en Puebla », Expansión Política, 24 mars 2019.

38Si cet entretien a été réalisé par voie téléphonique en avril 2019, l’ensemble de ceux cités à la suite ont été réalisés (entre janvier et juin 2019) dans les locaux de l’organisation en question, en présence uniquement de mon interlocuteur et moi-même, et ont pris la forme d’entretiens semi-directifs enregistrés, puis anonymisés.

39Briquet Jean-Louis et Sawicki Frédéric, Le clientélisme politique dans les sociétés contemporaines, Paris Presses universitaires de France, coll. « Politique d’aujourd’hui », 1998.

40Faisant partie du programme de mise en place de quatre nouvelles universités rurales (couramment appelées « universités AMLO »), elle devrait, entre autres, dispenser une licence totalement gratuite en « développement durable régional » pour les étudiants de la région.

41Avant d’être nommé à la tête du nouvel Institut national des peuples indigènes, ce juriste d’origine mixte a milité au sein de diverses organisations contestataires dans l’État d’Oaxaca et a été assesseur de l’EZLN.

42Voir par exemple la liste macabre établie par Thelma Gómez Durán (plusieurs cas d’assassinats concernant d’ailleurs des défenseurs du territoire dans l’État de Puebla) : « México: 83 defensores del ambiente y el territorio asesinados entre 2012 y 2019 », mongabay.com, 18 mars 2020.

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