Chapitre II. « Democracy » : de la périphérie au centre, 1775-1801
p. 55-100
Texte intégral
« La démocratie, (un imbécile patriote bruyant, l’idiot de la populace, et l’outil de l’homme d’État)1. »
1En 1801, democracy est encore loin d’être un mot fondamental du vocabulaire politique. Cependant, l’essor du vocable en cette fin du xviiie siècle est considérable. Il connaît une évolution importante : le terme devient d’actualité, il est de plus en plus appliqué à des événements et à des forces politiques contemporaines de l’époque. Au fil du temps, democracy passe ainsi d’un champ lexical savant, réservé aux spécialistes, à un vocable politique et à une catégorie philosophique. Ce processus de normalisation se déroule en deux temps. Premièrement, entre 1775 et 1789, ce sont les conflits autour de la représentation politique (indépendance étatsunienne, mouvement réformiste en métropole) qui vont influencer l’emploi du vocabulaire démocratique. Bien que le mot democracy joue un rôle périphérique durant cet intervalle, on y retrouve des usages à la fois conservateurs et novateurs qui méritent notre attention. Deuxièmement, entre 1789 et 1801, dans le contexte des guerres révolutionnaires, c’est le renforcement de l’État britannique, et surtout de sa composante monarchique, qui se révèle décisif. Democracy sera alors utilisé pour qualifier le régime républicain français, mais aussi comme un label apposé au mouvement réformiste britannique, accusé de vouloir oblitérer toute hiérarchie sociale. Ce faisant, democracy se structure surtout en opposition à monarchy.
2Au cours de cette période, il est généralement possible de rattacher democracy à trois usages distincts : un régime politique (ou une partie d’un), une société égalitaire (et plus largement un principe) et finalement un acteur politique (la foule). Tel que mentionné au chapitre précédent, il est possible d’identifier ces significations du terme dans des textes qui précèdent 1775, ainsi que d’autres usages de democracy à la fin du xviiie siècle. En revanche, c’est à partir de cette époque, et particulièrement de l’année 1790, que ces trois artères (régime politique, dynamique égalitariste et groupe social) se dessinent clairement et deviennent dominantes. C’est aussi durant cette période qu’émerge la spécificité britannique du rapport au terme democracy dans son sens de régime politique, notamment vis-à-vis des trajectoires françaises et étatsuniennes. On peut distinguer alors deux topiques politiques du mot en Grande-Bretagne. Premièrement, democracy désigne un élément du régime mixte : il est ainsi synonyme des Communes, est souvent qualifié de manière restrictive (limited, mixed), tout en étant vu comme une forme de gouvernement stable. Deuxièmement, à l’inverse, l’expression pure democracy renvoie quant à elle à une assemblée représentative sans contre-pouvoir monarchique ou aristocratique. Dans ce cas, le terme équivaut souvent à celui de republic, régime instable. Il sera parfois appliqué aux États-Unis ou à la France révolutionnaire, alors que dans ces deux pays une distinction forte est faite entre démocratie et république ou gouvernement représentatif. Tandis qu’en Grande-Bretagne, la tendance est à l’amalgame des régimes sans élément monarchique sous la catégorie républicaine ou démocratique.
3Contrairement aux cas français et étatsuniens, où l’association entre un régime politique caractérisé par le pouvoir du peuple assemblé et le mot démocratie est dominant, l’usage du terme dans le cas britannique a alors un sens plus vague. Si une utilisation de democracy comme régime sans médiation politique est possible, elle est loin d’être hégémonique. La « mixed government theory » propose un autre emploi : elle considère les Commons comme un élément démocratique de la constitution britannique. Cette tension conceptuelle empêche l’identification de la démocratie à une forme institutionnelle unique et ouvre plutôt la porte à une vision de democracy comme l’idée d’une dilution et d’une déconcentration du pouvoir politique.
4Il n’en reste pas moins qu’au niveau connotatif, les utilisations péjoratives du vocabulaire démocratique dominent l’espace intellectuel britannique, et ce de manière particulièrement accrue à partir de 1790. Cela est en partie dû à l’héritage philosophique classique et moderne, ainsi qu’à certains locuteurs de l’époque. Ainsi, sur la question de la democracy, un petit nombre d’auteurs seront mobilisés, critiqués et parfois réinterprétés : Alcibiade, Xénophon, Aristote, Polybe et Cicéron pour les antiques, Locke, Montesquieu et Blackstone pour les modernes. Parmi les théoriciens de l’époque, l’utilisation la plus influente est celle de Burke, même si des usages novateurs émergent chez quelques réformistes. Chez les parlementaires, on remarque la récurrence de l’emploi du terme chez certains, notamment Burke, le Premier ministre conservateur William Pitt the Younger2 et le whig Charles J. Fox3.
5Cette connotation négative attachée à democracy viendra donc limiter les stratégies argumentatives des mouvements réformistes, qui orienterons leur rhétorique principalement dans une perspective de rétablissement de l’équilibre constitutionnel britannique. Pour ces acteurs politiques, l’important est de restreindre l’expansion du pouvoir royal, souvent identifié au gouvernement et à l’exécutif. Ils s’inscrivent alors plutôt dans la perspective d’un parlementarisme en construction4, que d’une démocratisation de la Grande-Bretagne. C’est notamment dans cette perspective que doivent être compris les débats sur l’Empire : l’Amérique du Nord, l’Inde, l’Irlande sont autant de champs de bataille dans une lutte politique entre Crown et Commons, entre exécutif et législatif, torys et whigs. À travers ces conflits, tant idéologiques que pratiques, la democracy en viendra à être interprétée principalement en opposition à la limited monarchy britannique – et toute position réformiste sera associée à une volonté de déstabilisation de ce régime.
Agitations coloniales et métropolitaines : une démocratie anecdotique
6Entre 1775 et 1789, deux enjeux relevant d’une crise de la représentation politique vont occuper le devant de la scène politique britannique. Le premier, de nature exogène si l’on peut dire, concerne la gestion de l’Empire britannique et s’incarne de manière particulièrement dramatique dans la séparation d’une partie des colonies américaines. Le second, plus endogène, est porté par le mouvement réformiste britannique et vise à améliorer l’état de la représentation populaire au Parlement. Dans les deux cas, le vocabulaire démocratique jouera un rôle mineur dans les débats entourant ces enjeux – mineur, mais important, car il préfigure la trajectoire de democracy durant les années plus turbulentes de la Révolution française.
Empire et democracy
7Entre 1775 et 1783 se déroule la guerre d’Indépendance américaine, épisode crucial des multiples crises atlantiques qui vont secouer les Britanniques5. En fait, pour eux – et pour une bonne partie des colons étatsuniens – ce conflit n’est pas une lutte d’indépendance nationale, mais plutôt un débat constitutionnel sur les rapports entre Parlement et assemblées coloniales sur fond de conceptions impériales divergentes6. De manière schématique, il est possible de dire que l’origine même de cette crise dans la relation entre colonies nord-américaines et la métropole découle de l’entreprise impériale britannique.
8Suite à la guerre de Sept Ans (1756-1763), l’Empire britannique devient polyglotte et multiethnique. Ceci amène Westminster à développer une stratégie de plus grande tolérance culturelle et de sujétion politique et économique afin de faire face aux désordres politiques et aux coûts importants occasionnés par la guerre. En un mot, selon Aziz Rana, il s’opère donc une transition d’un Empire de colons à un Empire de sujets. Ceci se révèle problématique puisque « pour les colons, une plus grande tolérance et l’inclusion ethnique signifient priver tous les sujets britanniques – indépendamment de leur ascendance britannique ou de leur foi protestante – de leur autonomie économique et politique7 ». En parallèle, pour faire face aux dépenses accumulées durant la guerre, le Gouvernement met en place une série de réformes fiscales visant à augmenter ses revenus. Ce double mouvement, de perte d’autonomie politique et d’imposition de nouvelles taxes va provoquer des tensions en Amérique. La suite est connue : les relations entre une majorité des colons et la métropole s’enveniment, l’ampleur de la crise éclatant au grand jour en 1776. C’est au cours de ce conflit que les « patriotes » étatsuniens vont devenir réellement indépendantistes. Après des débuts militaires prometteurs, les troupes britanniques s’enlisent à partir de 1780, pour finalement s’avouer vaincues en 1783.
9Notre objectif n’est pas ici de tracer les contours des rapports entre democracy et la révolution étatsunienne ou les débats qui en découlent, d’autres s’y étant déjà employés8. Cependant, il est important de rappeler que l’antagonisme ne s’est pas conceptualisé en termes de lutte entre démocratie et monarchie, mais essentiellement sûr l’enjeu de la représentation : « No taxation without representation », clament les colons9. L’idée que la levée d’impôts et de taxes repose sur le consentement du peuple – et surtout des classes supérieures – est un thème récurrent de la pensée politique britannique, tant chez les constitutionnalistes que les républicains. Après tout, les conflits du xviie siècle portaient en grande partie sur le droit du monarque de lever des impôts. C’est donc dans ce contexte que les revendications indépendantistes seront comprises. Contrairement à la future Révolution française, la controverse entre les colonies et la métropole comporte peu d’usages du terme democracy et porte bien plus sur la nature et les limites des pouvoirs du Parlement.
10Cela est notamment visible dans le caractère « royaliste » de la révolte étatsunienne. Pour plusieurs colons, le Parlement britannique – et particulièrement les Communes – en imposant de nouvelles taxes, outrepasse les pouvoirs qui lui sont attribués dans le cadre d’une constitution mixte. Ils vont donc en appeler à la Couronne en implorant le roi, George III, d’intervenir pour rétablir l’équilibre. Le refus de celui-ci en 1776 d’exercer ses prérogatives et sa condamnation des colons consomme la rupture entre colonies et métropole, initiant un tournant républicain chez les futurs Étatsuniens. Pour l’historien Eric Nelson, « la révolution américaine […] était – pour un grand nombre de ses protagonistes – une révolution contre une législature, et non contre un roi10 ». Pour plusieurs auteurs britanniques, les rebelles sont plus monarchistes que républicains ou démocrates. Sans aller aussi loin que Nelson dans sa qualification de la révolution étatsunienne comme « royaliste », l’existence de cette tradition politique dans les années qui précèdent l’indépendance démontre encore une fois l’importance du cadre de la « theory of mixed government », ainsi que l’influence des constitutionnalistes. Loin de se revendiquer de la democracy, les partisans de l’indépendance utiliseront même le terme de manière péjorative pour discréditer les mouvements populaires.
11Tout cela explique le fait qu’on retrouve peu d’usages de democracy et de ses dérivés pour qualifier les colonies américaines ou leurs revendications. Quand le mot est présent, il est plutôt attribué aux Étatsuniens que revendiqué par ceux-ci – une stratégie rhétorique qui, nous le verrons, deviendra classique durant les années 1790. Ainsi, en 1775, Lord Camden11 relève dans la Chambre des Lords que les constitutions des colonies américaines sont de natures variées puisque lors de leur fondation, « certaines [colonies] ont été façonnées sous la forme d’une monarchie ; d’autres ont reçu la forme d’une pure démocratie12 ». Bien sûr, peu de colons considèrent que leurs constitutions sont démocratiques, mais cela n’empêche pas l’élite britannique de les étiqueter ainsi.
12Dans la même lignée, si l’ouvrage de Paine, Common Sense (1776), mentionné au chapitre précédent n’utilise pas democracy ou ses dérivés, les loyalistes qui vont le critiquer ne se privent pas de le qualifier de democrat. En effet, Paine défend surtout l’indépendance en attaquant le caractère héréditaire de la Couronne et des Lords. Une analyse qui préfigure ses prochains travaux, mais qui, fidèle aux principes républicains, se positionne en faveur d’une république représentative et non pas démocratique. Toutefois, un essai anonyme critiquant Paine affirme que si les colons souhaitent former un nouveau régime représentatif, ils feront face à de nombreux problèmes : « S’il s’agit d’un [gouvernement] Démocratique, nous pourrions rencontrer des Troubles dans les Élections13. » Ainsi, les partisans du maintien d’une union entre les colonies et la métropole vont insister sur l’instabilité inhérente à la démocratie et considèrent que toute tentative de séparation mènera au désordre.
13De fait, cet argument – qu’opter pour un gouvernement démocratique conduit à l’instabilité politique – offre un exemple typique de rhétorique réactionnaire telle qu’analysée par Albert O. Hirschmann dans The Rhetoric of Reaction (1991). Pour ce dernier, les forces conservatrices modernes manient essentiellement trois arguments différents : celui de l’effet pervers (l’adoption d’une réforme a des effets opposés à ceux escomptés), celui de la futilité (la réforme ne sera que cosmétique et ne changera rien à l’ensemble) et celui de la mise en danger (la réforme, louable en principe, met en danger des conquêtes précédentes)14. Comme nous le verrons au cours de notre investigation, les acteurs politiques britanniques – et particulièrement ceux s’identifiant comme torys ou conservateurs – utiliseront souvent ces stratégies rhétoriques lorsqu’ils emploient le mot democracy et ses dérivés.
14L’idée que la démocratie mène au désordre – et en fin de compte au despotisme ou à la tyrannie – n’est pas nouvelle puisqu’elle fait partie de la théorie de l’anacyclose. Elle représente toutefois à merveille l’argument de l’effet pervers : en voulant établir un régime plus libre et égal, c’est le contraire qui arrive. C’est cette idée que défend Josiah Tucker15, dans un ouvrage publié en 1783. Dans ce texte, il écrit que les Britanniques sympathiques aux revendications étatsuniennes sont des partisans de la trahison et de la rébellion, et qu’ils devraient « allez rejoindre vos associés en Amérique, et soyez heureux dans vos gouvernements démocratiques libres et égaux16 ». L’utilisation de « free and equal » est ici à comprendre sarcastiquement : pour Tucker, les Étatsuniens seront en fait opprimés en raison de leurs gouvernements démocratiques.
15Ce recours aux moqueries se retrouve aussi dans différents articles de journaux. Par exemple, un article de la Gazette of Saint Jage de la Vega parodie la Déclaration d’indépendance pour critiquer les révolutionnaires. L’auteur y affirme que quand « une longue suite d’abus les plus licencieux et despotiques, […] témoigne d’un dessein de les réduire à l’anarchie et aux distractions de la démocratie17 », les loyalistes ont le droit de résister à leurs tyrans républicains. On retrouve cette accusation de democrat apposée aux rebelles des colonies dans une pétition loyaliste de la ville de Charleston en Caroline du Sud qui reproche aux indépendantistes d’avoir :
« Subverti une constitution pour laquelle j’ai toujours eu, et je garde toujours, la plus profonde vénération, et subsisté à la place une démocratie de rang, qui […] a exhibé un système de domination tyrannique, que l’on ne trouve que chez la partie non civilisée de l’humanité, ou dans l’histoire des âges sombres et barbares de l’antiquité18. »
16Conformément aux utilisations précédentes, ce texte associe democracy à la fois l’antiquité et à la barbarie. On peut noter qu’il lie aussi explicitement démocratie et tyrannie, suivant de nouveau la thèse de l’effet pervers. Deux ans plus tard, le Manchester Mercury reprend une lettre d’un Dr Walter, de New York, au discours similaire. Celui-ci déclare que certains de ses compatriotes veulent retourner dans le giron britannique « et s’émanciper, ainsi que leur postérité, des chaînes d’une démocratie impropre, sous laquelle ils n’ont connu depuis des années que la tyrannie et l’oppression19 ». On voit donc la tyranny, jusqu’alors associée à une monarchie corrompue, être liée à la democracy, dans son sens de groupe social.
17Somme toute, ces qualifications des colons étatsuniens comme démocrates restent mineures et ne semblent pas avoir un impact important. En fait, c’est plutôt dans ses conséquences que la révolution étatsunienne va avoir un effet sur les usages du mot democracy. Celles-ci sont de deux ordres : d’un côté, dans la métropole, l’émergence d’un mouvement pour une réforme parlementaire se fait en synchronie avec les événements nord-américains. De l’autre, après la défaite britannique entérinée en 1783, la question impériale va nourrir plusieurs interrogations auprès de l’élite britannique. Avant d’analyser plus en profondeur le mouvement réformiste en Grande-Bretagne, nous allons brièvement nous pencher sur celles-ci.
18Pour plusieurs historiens et historiennes, le fiasco britannique en Amérique du Nord inaugure un « Second Empire », plus tourné vers le sous-continent indien que l’Atlantique20. Considérant le maintien et l’importance des colonies canadiennes et caribéennes, d’autres préfèrent parler simplement d’un « Oceanic Empire », investi autant en Occident qu’en Orient21. Si l’État britannique avait déjà tenté d’accroître son contrôle sur la East India Company (EIC) durant les années 1760, il va redoubler d’ardeur et d’attention à son égard après 1783. Véritable compagnie-État, la EIC est, à partir de 1763, en charge d’une grande portion du Bengale et possède le droit de lever des impôts, en échange d’assurer l’ordre et la sécurité. Voyant d’un mauvais œil cette souveraineté concurrente émerger, différents gouvernements britanniques tentent d’en capter les revenus et le pouvoir. Ainsi, en 1767, Westminster oblige la Compagnie à reverser 400 000 £ annuellement à l’État. En 1773, un gouverneur général, ainsi qu’un Conseil des gouverneurs et une Cour suprême lui sont imposés par Londres.
19En fait, la question de la gestion de l’Inde préoccupe surtout les Parlementaires. Les discussions à Westminster sur la compagnie indienne révèlent notamment à quel point ces enjeux sont considérés comme cruciaux d’un point de vue constitutionnel. Loin d’une simple affaire administrative, la gestion de l’Empire est au cœur du débat entre différentes forces politiques britanniques. Par exemple, la critique de l’EIC comme corrompue, inefficace et dépensière, doit être comprise en miroir de celle articulée par les courants réformistes en Grande-Bretagne. Selon ces derniers, la même logique de corruption est à l’œuvre à la fois dans l’appareil étatique et dans la structure entrepreneuriale de la Compagnie des Indes orientales.
20De nouveau, cette critique se construit en référence à une conception d’un partage tripartite de la souveraineté. Cela est particulièrement visible dans l’argumentation de Charles J. Fox, figure politique essentielle de cette fin du xviiie siècle. En 1783, Fox fait partie du gouvernement (avec Lord North22), malgré l’animosité de George III à son égard. Il dépose en décembre un India Bill, largement écrit par Burke, visant à séparer la question commerciale (déléguée à la EIC) et politique (relevant de Westminster). Durant le débat, il affirme que l’Inde exige, pour prospérer, d’un « mixed government », adapté à ses besoins23. Dans les années suivantes, Fox défendra souvent cette position en matière de politique coloniale, notamment pour le Canada et l’Irlande : un bon gouvernement demande un équilibre entre les trois régimes24. On peut noter qu’ici, Fox ne différencie pas les principes politiques qui doivent gouverner la Grande-Bretagne et ceux devant s’appliquer au Canada ou à l’Inde : le gouvernement mixte est considéré comme un bien universel – une position aux antipodes de bien des parlementaires du xixe siècle.
21L’argumentation de l’opposition s’inscrit dans la même lignée de défense du gouvernement mixte. Si Fox appelle à la tradition pour justifier un rôle accru des Communes face à la Couronne, ses adversaires usent du principe de la « mise en danger ». À leurs yeux, une telle réforme risque en fait de déséquilibrer la constitution, mettant en péril la précieuse liberté britannique. C’est explicitement ce que déclarera Thomas Orde25, pour qui la proposition de Fox, en faisant des Commons le dépositaire de la souveraineté indienne, pourrait « déséquilibrer la partie démocratique de la Constitution », et nuire à l’équilibre entre les trois éléments26. Chez les Lords, le duc de Richmond27, pourtant en faveur d’une réforme parlementaire, ne manque pas de rappeler à ses pairs, « l’inaptitude d’une assemblée démocratique à gérer l’exécution des affaires publiques28 », et s’oppose la proposition de Fox.
22Ces débats sur la question de l’Inde se poursuivent durant les années 1780, mais la figure de la démocratie n’y joue pas un rôle important. Quand l’enjeu apparaît, c’est généralement d’une manière instrumentale. Pour les torys, partisans gouvernementaux, l’Empire doit rester une prérogative royale et surtout ministérielle, loin des Commons. Pour les whigs, au contraire, ces développements, particulièrement à la suite du fiasco américain, démontrent une influence néfaste de la Couronne. L’élément démocratique de la constitution, les Communes, doit donc être renforcées pour éviter tout débordement et perturbation du compromis de 1688. C’est aussi le discours tenu par le mouvement réformiste qui secoue alors la métropole.
Métropole et reform
23Les différentes utilisations de democracy dans le cadre de débats impériaux, bien qu’influencés par les événements coloniaux, doivent aussi être lues en rapport avec des développements politiques ayant lieu en Grande-Bretagne. Entre 1775 et 1789 émerge un mouvement pour une parliamentary reform aux revendications claires et aux organisations dynamiques. Jusqu’aux années 1780, reform avait principalement une signification morale – dérivée de son usage religieux dans le contexte de la réforme protestante. Reform était ainsi appliqué à l’individu, comme synonyme de correction comme dans l’expression « to reform oneself » (se réformer). Or, tel que le souligne Joanna Innes, à partir de 1782 « le slogan de la “réforme parlementaire” était devenu monnaie courante. Par la suite, jusque dans les années 1830 et même au-delà, la “réforme” de la vie publique anglaise a d’abord et avant tout été synonyme de “réforme parlementaire”29 ». Cette naissance de l’étiquette reformist, nous amène à un autre terme récurrent chez les historiens et historiennes contemporainnes : celui de radical.
24Dans le débat historiographique sur le radicalisme britannique, trois positions peuvent être retenues : une approche substantive (de tendance marxiste, où le radicalisme est une tradition révolutionnaire continue), une autre fonctionnelle (le radicalisme est une idéologie s’appliquant à différents groupes et périodes selon certains critères) et une troisième nominaliste (l’étiquette radical ne devrait être apposée qu’à des individus s’identifiant comme tels30)31. Par souci de cohérence avec notre approche théorique, nous considérons que le qualificatif radical devrait être réservé aux acteurs s’en revendiquant – c’est-à-dire surtout aux parlementaires et intellectuels se réclamant de Jeremy Bentham à partir des années 1820. Parler de radicalisme avant cette date n’est pas seulement anachronique, mais crée aussi une confusion conceptuelle. Suivant Conal Condren, nous soulignons que la plupart des forces politiques du xviiie siècle ne proposent pas une rupture avec l’ordre établi, mais une restauration de celui-ci (selon une constitution ancestrale, une vérité révélée ou encore des droits naturels). Considérer ces discours comme radicaux est donc contradictoire : « Dans un monde où la plupart des gens tentent de coopter la rhétorique de la tradition, le “radicalisme” a fini par être en grande partie notre description de l’exploitation sous-tendue de ces idiomes de conservation32. »
25Cette position nous amène à préférer le terme reformist ou, quand applicable, de republican, pour qualifier des groupes et individus qui sont souvent identifiés comme radicaux par les historiens et historiennes contemporaines. À nos yeux, l’étiquette réformiste désigne donc les différents acteurs promouvant l’idée d’une transformation des pratiques politiques britanniques – qu’ils soient constitutionnalistes, républicains ou communalistes. Que les idées utilisées pour justifier ces changements varient selon les acteurs et les périodes, cela ne fait aucun doute. Cependant, les langages utilisés (constitutionnalistes, républicains, communalistes) auront peu d’impact sur les usages de democracy. C’est plutôt la volonté même de restauration d’un équilibre constitutionnel perdu de ces réformistes et surtout leurs pratiques politiques qui vont faire en sorte qu’ils seront qualifiés – souvent contre leur gré – de democrats. Ainsi, dans leurs demandes, les réformistes britanniques n’utilisent pas beaucoup le terme democracy. Quand certains auteurs le font, c’est dans le cadre d’une conception d’un équilibre constitutionnel à préserver : les Communes, élément démocratique, doivent être renforcées, notamment face à l’influence de la Couronne. On retrouve donc la différence entre limited et pure democracy : le mouvement réformiste cherche à préserver la première et surtout pas à instaurer la seconde.
26En témoigne, Take Your Choice (1776), du Major John Cartwright, texte majeur dans l’émergence du réformisme. Cartwright argumente explicitement en faveur de Parlements annuels, vus comme une défense face à la tyrannie33. Il soutient aussi le suffrage adulte masculin secret. Il ne formule pas son argumentation en termes de démocratie, mais plutôt en suivant une logique constitutionnaliste. Selon lui, tout homme payant des impôts doit pouvoir y consentir directement ou par son représentant, sinon il est soumis à un régime tyrannique (on retrouve ici l’idée des colons étatsuniens). Le terme democracy est peu présent dans cette argumentation et reste associé aux entités politiques de petite taille, marquées par une égalité forte :
« Ce n’est que dans les petites communautés, adaptées au gouvernement démocratique dans sa pureté, que toutes les distinctions ont été faites en faveur du mérite ; et c’est dans ces communautés seulement que l’élévation de certaines personnes au-dessus d’autres a pu s’opérer dans son plein effet pour le bien commun. […] Mais, dans les communautés plus nombreuses, où cette forme pure de gouvernement démocratique ou républicain ne peut être mise en pratique, on a trouvé bon d’établir entre les hommes des distinctions artificielles aussi bien que naturelles, et même de convenir d’élévations héréditaires34. »
27Cartwright revendique donc une meilleure représentation populaire aux Communes, mais sans utiliser un vocabulaire démocratique.
28Dans ces années, on retrouve un raisonnement semblable dans nombre de pamphlets et d’ouvrages35. De cette littérature émerge une critique commune contre l’État britannique : déséquilibre de la constitution, manque de représentativité des Communes, absence de consentement des gouvernés et corruption du processus parlementaire par l’octroi de sinécures. Outre différentes questions administratives, trois réformes politiques sont généralement demandées : un redécoupage de la carte électorale, des élections parlementaires annuelles et une extension du suffrage (allant parfois jusqu’à englober tous les hommes adultes). Ces revendications, et particulièrement la première, doivent être comprises dans un contexte du développement démographique et économique du Nord-Ouest anglais. En effet, suite à la croissance de villes telles que Manchester ou Birmingham et le dépeuplement de certains villages, il existe une inégalité frappante entre les rotten boroughs de quelques habitants qui envoient un, voire deux, députés au Parlement, et ces villes manufacturières de plusieurs milliers d’habitants dépourvus de représentation politique. Pour plusieurs réformistes, le rééquilibrage de la Constitution passe par un transfert de ces sièges contrôlés par l’aristocratie ou la Couronne, à l’électorat du Nord.
29Avec le temps, ces demandes du mouvement réformiste seront synthétisées sous la forme des « six points » : suffrage universel masculin (adulte), vote secret, éligibilité universelle masculine et rémunération des députés, élections annuelles et surtout circonscriptions de tailles égales36. Ces demandes seront portées de manière récurrente par différents acteurs politiques à travers notre période. Ces propositions restent en grande partie compatibles avec le régime mixte britannique, puisqu’elles n’impliquent pas une supériorité des Communes sur les autres éléments : elles visent à réformer leur représentativité, pas à bousculer l’équilibre des pouvoirs.
30Au niveau organisationnel, les doléances réformistes vont s’incarner dans différentes sociétés au cours des années37. Même si ces associations se rapprochent plus d’un club de gentlemen que d’une organisation de masse, leur création démontre la mutation des pratiques politiques britanniques, particulièrement en milieu urbain38. Cette culture de clubs, qui émerge au xviiie siècle, touche au début principalement les classes supérieures, mais assez rapidement les travailleurs établissent aussi leurs propres organisations d’entraide, ensuite leurs revendications politiques. Bien que ces sociétés soient souvent séparées selon la classe et le sexe, elles fournissent à ceux – et celles – qui sont formellement exclus de la sphère politique, une occasion de développer leurs propres capacités politiques. En d’autres termes, à l’époque, « pour ceux qui n’avaient pas de pouvoir personnel […], la vie associative offrait une chance d’interagir avec la politique dominante selon leurs propres termes39 ».
31À partir de la fin des années 1770, le mouvement réformiste utilise meetings et pétitions, pour tenter de convaincre le public et surtout le Parlement d’adopter certaines mesures : redistribution des sièges, lutte contre la corruption, élections plus fréquentes, extension du suffrage. Ces pressions externes ont un impact important sur la dynamique politique à Westminster. Bien sûr, dans le contexte de la crise américaine, l’opposition whig s’est déjà fait entendre. Cependant, l’agitation réformiste et les difficultés militaires en Amérique vont se combiner et discréditer le gouvernement de Lord North. Les whigs cherchent à limiter l’influence royale par une réduction des sinécures et du népotisme. Si ces parlementaires justifient leurs réformes par une référence à une demande populaire qui se manifeste alors, ils se gardent bien d’utiliser une argumentation en termes démocratiques. Encore une fois, c’est plutôt une rhétorique du rétablissement de l’équilibre constitutionnel britannique qu’ils utilisent.
32L’association entre whigs et democracy résulte en fait d’une stratégie de leurs adversaires. Ainsi, pour William Adam40, supporteur de Lord North, céder à la pression populaire, c’est s’engager sur une pente glissante, qui mène à l’abolition de la constitution :
« Supposons que le peuple nous dise : ce gouvernement mixte […] ne suffit pas pour notre liberté, nous voulons une démocratie, afin que la liberté puisse être étendue. Cette Chambre accéderait-elle à leur demande, et modifierait-elle le gouvernement de ce pays, parce que les prières de leurs pétitions contiennent une telle demande41 ? »
33Adam utilise ici une variante de l’argumentation conservatrice de la mise en danger : celui du précédent dangereux. En acceptant une réforme parlementaire parce que le peuple le demande, on ouvre la porte à d’autres requêtes, qui mèneraient à l’établissement d’une democracy. Peu importe que les réformistes ne parlent pas de démocratie : pour les torys, c’est en fait vers là qu’ils vont.
34Dans un contexte politique de plus en plus instable, marqué par les défaites militaires en Amérique, les pressions réformistes vont grandissant. Le 6 avril 1780, le whig John Dunning42 dépose la motion suivante : « Que l’influence de la Couronne a augmenté, augmente et devrait être réduite43. » Adoptée à 233 voix contre 215, malgré l’opposition virulente de North, il s’agit d’une lourde défaite pour le Gouvernement. Cependant le débat concernant cette motion ne porte pas sur la democracy, mais bien sur le régime mixte britannique et sur l’influence respective de ses éléments. D’ailleurs, la motion propose une restauration de l’équilibre constitutionnel et non une transformation de celui-ci. Seul Adam va utiliser le terme democracy pour s’opposer à toute critique de la Couronne, maniant cette fois la thèse de l’effet pervers. Selon lui, toute tentative de limiter celle-ci au profit des Communes se solderait en fait par une augmentation du pouvoir aristocratique, menant à terme à la tyrannie. Au vu de l’agitation populaire extérieure, Adam considère qu’il serait peu surprenant de voir « l’esprit de cette constitution détruit, la liberté du Parlement anéantie et une démocratie sauvage contrôlant dans tous les cas la sagesse du législateur44 ». Ici, democracy est d’ailleurs utilisé dans son sens de groupe social, pour désigner les couches populaires.
35Dans les années suivantes, les motions réformistes s’enchaînent dans l’enceinte parlementaire, avec peu de succès. En mai 1781, la Westminster Association dépose une pétition pour la réforme du Parlement, revendiquant une meilleure représentation de la population et des mandats plus courts. Les Commons refusèrent d’en discuter à 212 voix contre 135. Le 7 mai 1782, William Pitt, figure politique montante de l’époque, propose de créer un comité pour étudier la désirabilité d’une réforme de la Chambre des communes. Là encore, c’est une argumentation en termes de régime mixte qui est mobilisée par Pitt et certains whigs, comme en témoigne la seule mention de democracy faite par ce premier :
« C’est parce que notre gouvernement n’était plus ce qu’il avait l’habitude d’être – un gouvernement logé à la fois dans le Roi et dans son peuple : il était maintenant, par le biais de la corruption, dévolu uniquement aux serviteurs de la Couronne ; par conséquent, la nature de notre gouvernement, qui autrefois tirait tant de lustre de sa démocratie, étant changée, les puissances de l’Europe […] nous ont maintenant méprisés et injuriés45. »
36Fox, pour sa part, fait écho à ce sentiment en considérant que le gouvernement North « a détruit la démocratie de la constitution, et tout est maintenant englouti dans les conseils monarchiques46 » et qu’il faut donc rétablir l’équilibre constitutionnel. Après un débat houleux, la motion est battue par 161 voix contre 141. Un an plus tard jour pour jour, Pitt revient à la charge en proposant une motion visant à supprimer certains rotten boroughs et à limiter la corruption. Encore une fois, le débat mobilise peu le terme democracy : il tourne autour d’une meilleure distribution géographique des sièges et de l’importance de rétablir un équilibre constitutionnel. Seul Sir Archibald MacDonald47, opposé à tout projet réformiste, affirme que Pitt se trompe de cible et ajoute que personnellement, « je crains davantage la démocratie que le pouvoir royal48 ». De son côté, James Lutrell49, dans une utilisation typique de l’effet pervers, pose que toute réforme détruirait la constitution et conduirait le pays vers une « dangereuse aristocratie50 ». La proposition de Pitt est de nouveau rejetée, par 293 voix contre 174.
37À la fin de l’année 1783, les débats sur la East India Company évoqués plus tôt mènent à la chute du gouvernement dirigé par Fox et Lord North et à l’arrivée au pouvoir de Pitt, qui restera Premier ministre jusqu’en 1801. En mars 1784, il déclenche des élections afin de s’assurer une majorité parlementaire51. Durant celles-ci, on constate encore une fois que se sont plutôt les forces conservatrices qui mobilisent le terme democracy, généralement au sens de forme de gouvernement ou de groupe social, et ce de manière péjorative. Ainsi, un article de la Kentish Gazette du 27 mars rappelle à ses lecteurs leur devoir patriotique, soit la défense d’un régime mixte : « C’est l’affaire de chaque Anglais de protéger la Constitution contre les insultes […] d’une Démocratie orgueilleuse, contre l’usurpation de Rois tyrans et contre les tentatives d’une Aristocratie présomptueuse52. » Un mois après la fin des élections, le Caledonian Mercury rejette tout changement de la constitution en invoquant les troubles du xviie siècle : « Voici ce qu’a fait une Chambre des communes indépendante au siècle dernier : elle a assassiné le Roi, anéanti les Pairs et établi la pire forme de démocratie qui n’ait jamais existé53. » Au même moment, Lord North, maintenant dans l’opposition, critique à son tour le mouvement réformiste. Selon lui les réformistes veulent « contrôler l’influence de la Couronne et l’influence de l’Aristocratie, et pour donner plus d’influence à la Démocratie ». En fait leurs efforts mèneront à « diminuer le pouvoir et l’influence de la démocratie et augmenter le pouvoir de la Couronne et de l’aristocratie54 ». Les réformistes, désirant une chose, obtiendront son contraire.
38Un an plus tard, en avril 1785, Pitt, désormais Premier ministre bien établi, fidèle à ses tentatives précédentes, propose une dernière fois une motion de réforme parlementaire. De nouveau, celle-ci se concentre sur la redistribution géographique des sièges : il demande aux Commons un budget d’un million de livres sterling afin de racheter les sièges de 36 rotten boroughs et corporations pour les déplacer vers Londres et des villes sans représentants55. À l’instar des débats antérieurs, la notion de democracy est peu mobilisée par les parlementaires. Fox, en bon mixed reformist, déclare que mise à part une monarchie absolue, le pire type de régime, « la démocratie et l’aristocratie étaient toujours dans un état d’amélioration progressive56 ». De l’autre côté de la Chambre, William Young57, s’inquiète, en faisant référence à l’historien romain Tacite, du fait que « l’élan de la démocratie, qu’elle agisse par le corps du peuple, ou par une représentation non qualifiée et adaptée purement aux idées populaires, doit rapidement abattre l’une ou les deux autres branches du gouvernement58 ». Pour ce dernier, le terme democracy est toujours compris comme un régime politique désordonné pouvant être direct ou médié et qui doit être équilibré par un contre-pouvoir. La motion de Pitt est battue 248 voix contre 174. Cette défaite marque la fin du Yorkshire Association et de manière générale un certain recul du mouvement réformiste, du moins jusqu’en 1790.
39En novembre 1789, lors d’un dîner de la Revolution Society59 à Londres, Richard Price60, réformiste notoire, porte un toast en faveur de la liberté, de la tolérance et de la jeune Révolution française. Publié sous le titre Discourse on the Love of Our Country (1789), ce texte pousse Burke à rédiger ses Reflections on the Revolution in France (1790). Democracy, sous l’impulsion des débats révolutionnaires et réformistes, devient alors un terme plus courant, et son sens péjoratif se voit renforcé par son utilisation, par les forces conservatrices, comme étiquette partisane pour désigner leurs adversaires.
40Avant de passer à cette seconde partie, il nous faut mentionner qu’évidemment, ces utilisations du vocabulaire démocratique dans le contexte parlementaire et réformiste n’épuisent pas tous les usages du mot. Ainsi, la définition proposée par différents ouvrages de référence reste similaire à celle évoquée au chapitre précédent : la démocratie est l’un des trois régimes purs, caractérisée par un « pouvoir populaire », aux limites et institutions rarement définies61. Plusieurs essais utilisent aussi le terme en référence à l’antiquité. Par exemple, dans son influent History of the Decline and Fall of the Roman Empire (1776-1789), Edward Gibbons62 emploie le vocable pour désigner certaines tendances populaires de la république. Sa connotation négative est évidente à ses yeux : « Dans un gouvernement démocratique, les citoyens exercent les pouvoirs de la souveraineté ; et ces pouvoirs seront d’abord abusés, et ensuite perdus, s’ils sont confiés à une multitude difficile à manier63. » Pour Gibbon, la démocratie mène au désordre, car la multitude ne peut être raisonnable.
41L’association entre democracy et désordre se retrouve aussi encore dans les essais politiques de l’époque. Tucker, cité lors de la crise américaine, propose dans A Treatise Concerning Civil Government in Three Parts (1781) une attaque en règle contre les principes politiques de John Locke. Dans cet ouvrage, il livre une définition classique de democracy, entendu comme régime politique de prise de décisions directement par les hommes adultes :
« Une Démocratie littéralement telle, non-mixé avec une autre forme : où tous les Hommes adultes (et pourquoi les Femmes adultes devraient être exclues, c’est impossible à dire) sont censés s’assembler, quand ils le veulent, afin de délibérer et de voter sur toutes les Affaires publiques, de changer et de modifier, de démolir et de construire, sans Contrôle et aussi souvent qu’ils le veulent64. »
42Un tel régime est assurément prompt à générer du chaos. Évoquant Athènes et Rome, Tucker considère qu’elles ont pu marquer l’histoire seulement grâce à leurs éléments aristocratiques, et ce malgré leurs « institutions reptiles et démocratiques65 ».
43Dans cet essai, Tucker développe d’ailleurs une proposition originale à l’époque sur la question de l’élection et de la représentation, qui allie constitutionnalisme et républicanisme. Il reconnaît qu’en Grande-Bretagne, puisque seule une minorité d’hommes adultes vote, tous ne sont pas représentés par les Commons. Toutefois, il affirme que le peuple, dans son rapport au gouvernement, se divise en deux catégories : les « contractors » (électeurs) et les « quasi-contractors » (le reste). Selon lui, « le votant ou l’électeur, en donnant son vote, devient un véritable contracteur ; et tout non-votant, homme ou femme, jeune ou vieux, en vivant en paix et en sécurité parmi nous, et en bénéficiant de la protection de l’État, est un quasi-contracteur66 ». Cette distinction permet à Tucker de poser le régime britannique dans une optique contractualiste, mais qui intègre des éléments de représentation-incarnation : le Parlement résulte d’un contrat avec les électeurs, mais incarne l’ensemble du peuple. Ce régime évite les « maux de l’anarchie démocratique » dus à l’action d’une « populace folle » :
« Au moyen de ce Quasi-Contrat, qui subsiste toujours entre les pouvoirs Gouvernants d’un État, et le Corps entier du Peuple, et chaque Individu de celui-ci, les maux de l’anarchie démocratique et de la confusion sont évités, et le Gouvernement lui-même est rendu une chose utile et praticable, au lieu d’être soit un projet visionnaire, soit un moteur de la fureur aveugle d’une populace folle67. »
44On constate donc que le discours contractualiste peut être utilisé pour réaffirmer le caractère mixte – et notamment monarchique – de la constitution britannique.
45En conclusion, l’étendue des changements mais aussi la stabilité des usages de democracy entre 1775 et 1789 peut être mesurée à travers l’étude de l’ouvrage de William Paley68, The Principles of Moral and Political Philosophy. Publié en 1785 et inscrit au curriculum de l’université de Cambridge, il est considéré comme l’un des livres les plus influents des Lumières britanniques69. Paley y discute notamment de manière didactique des différents types de régimes politiques. La définition qu’il donne de democracy est conventionnelle, il s’agit : « d’une république, ou d’une démocratie, où le peuple dans son ensemble, soit collectivement, soit par représentation, constitue le législateur70 ». Encore une fois, le régime démocratique peut être direct ou représentatif, tant que le peuple contrôle le pouvoir législatif. Cependant, l’adéquation entre démocratie et république n’est pas anodine. En effet, Paley énumère par la suite les avantages et désavantages de ce type de constitution : la liberté dont bénéficient les républiques implique désordre et autres tumultes. Il considère donc que ce régime n’est pas adapté à la gestion de grands territoires : « Dans une constitution démocratique, le mécanisme est trop compliqué, et les mouvements trop lents, pour les opérations d’un grand empire71 » – une perspective remontant au moins à Montesquieu. Cependant, il nuance cette position en affirmant qu’une partie de ces désavantages peut être évitée par l’adoption d’un modèle fédéral et avance que l’expérience est sur le point d’être tentée en Amérique à grande échelle. Il voit les États-Unis comme un régime politique novateur, qui pourrait réconcilier democracy et modernité.
46Cette position, où il est possible de corriger la démocratie par une innovation institutionnelle comme le fédéralisme, obtiendra un certain succès dans les années suivant la Révolution française. Certains réformistes britanniques considéreront aussi qu’il est réaliste d’établir une république démocratique moderne, à condition que celle-ci soit représentative et élective. Democracy sera alors principalement compris en opposition au régime héréditaire monarchique. On assiste donc bien entre 1775 et 1789 à une préfiguration des débats des années 1790 : le terme democracy entre progressivement dans l’arène politique en étant généralement attribué aux révolutionnaires étrangers et aux réformistes britanniques. Ces derniers ne le revendiquent pas et tentent plutôt d’articuler une critique du régime monarchique, dans l’optique de le rendre plus représentatif. Dans le cas de la Grande-Bretagne, c’est bien Monarchy et non Democracy qui ressortira gagnante de ce duel.
La Révolution française et son instrumentalisation conservatrice
47Soyons clairs : la Révolution française et les crises qui vont secouer l’Europe dans les années suivant 1789 constituent les événements les plus influents sur le sens du terme democracy en Grande-Bretagne. Toutefois, tous les débats soulevés par l’agitation révolutionnaire viennent confirmer une tendance que nous avons déjà remarquée entre 1775 et 1789. Democracy et ses dérivés sont principalement utilisés de manière négative, comme une étiquette accolée par des acteurs politiques conservateurs à leurs adversaires. La période révolutionnaire amplifie cette tendance, mais il s’agit là plus d’un changement d’échelle que de nature. Si certains réformistes vont employer le mot positivement, l’immense majorité préférera l’éviter, car celui-ci est jugé trop péjoratif.
48C’est à partir de 1790 que democracy fait progressivement son entrée dans le vocabulaire commun. Outre l’augmentation du nombre de ses occurrences, le terme est appliqué pour désigner des événements contemporains – au premier chef la Révolution française – même s’il ne perd pas automatiquement son aspect historique. La troisième édition de l’Encyclopædia Britannica, publiée entre 1788 et 1797, révèle ces oscillations entre antiquité et modernité. Dans l’article consacré au mot democracy, on peut lire qu’il s’agit d’un « gouvernement populaire, dans lequel le pouvoir suprême est remis entre les mains du peuple : tels étaient Rome et Athènes autrefois72 ». On est ici assez près des définitions mentionnées précédemment : democracy est associée au « pouvoir populaire », à l’antiquité et on a peu de détails sur la forme de ce régime.
49Toutefois, dans l’article portant sur la Grande-Bretagne, la question se complexifie. Ainsi, il est écrit que « lorsque le pouvoir souverain est logé dans une assemblée agrégée composée de tous les membres de la communauté qui s’appelle une démocratie ». Ou, dans le cas britannique, on considère que les Communes sont « librement choisies par le peuple parmi ses membres, ce qui en fait une sorte de démocratie73 », reprenant la formulation de William Blackstone examinée au chapitre antérieur. Bien que qualifiée, cette catégorisation démontre l’actualité de l’étiquette de democracy, conçue ici comme élément du régime mixte. Cette pertinence est derechef exemplifiée par l’article portant sur la Révolution française, où le terme est abondamment utilisé pour désigner les forces républicaines74.
50L’association entre democracy et les différents gouvernements révolutionnaires français est probablement l’élément qui se dégage le plus clairement des écrits britanniques entre 1789 et 1801. Tant dans les débats parlementaires que dans les traités ou la presse périodique, le mot prend une actualité certaine, qui sert principalement à qualifier les régimes politiques s’inscrivant dans une perspective républicaine. À ce stade, il est important de rappeler que la plupart des révolutionnaires français ne se voient pas comme des démocrates : ils articulent plutôt leur objectif politique en termes de républicanisme75. Ce sont leurs adversaires politiques – internes et externes – qui vont leur attribuer cette étiquette. Ce qu’une analyse des débats britanniques sur la Révolution française révèle, c’est la place mineure, du point de vue conceptuel, de la democracy. Si certains auteurs réformistes et républicains proposent certes des usages novateurs, ils restent définitivement marginaux.
Révolution et représentation
51Paru en novembre 1790, Reflections on the Revolution in France, l’ouvrage de Burke est souvent crédité comme étant la première articulation d’une position philosophique conservatrice sur le sujet, même si ce portrait résulte plutôt d’une construction postérieure76. L’impact immédiat de cet ouvrage est difficile à évaluer. Après tout, si son impression déclenche une véritable guerre pamphlétaire, où partisans et adversaires de Burke s’interpelleront à loisir, ce dernier n’en sort pas nécessairement vainqueur. Ainsi, il est estimé que près de 65 textes seront publiés en réponse à Burke, avec une petite dizaine l’appuyant77. En termes de diffusion, l’influence des Reflections semble aussi avoir été limitée, avec 30 000 copies vendues dans les années suivantes, tandis que Paine écoulera des centaines de milliers d’exemplaires de The Rights of Man (1791-1792)78. Pour l’historien Stuart Andrews « quels que soient les honneurs que la postérité a accordés à Burke, il n’a pas dominé le terrain lorsqu’il a été mis au défi par ses contemporains79 ».
52Considérant le nombre impressionnant d’études du texte de Burke et des réponses qui y sont faites, nous ne nous attarderons pas sur les subtilités des arguments présentés, mais concentrerons notre analyse sur l’utilisation du terme democracy. Burke est le premier auteur philosophique rencontré jusqu’à présent à employer autant le mot et ses dérivés (une trentaine de fois). Si certains de ses usages restent conventionnels, il innove notamment en appliquant l’étiquette au régime révolutionnaire français80. Toutefois, cette étiquette ne va pas de soi : la France est qualifiée de démocratie, mais celle-ci est aussi vue comme une façade. Selon Burke, la France « affecte d’être une démocratie pure, bien que je pense qu’elle soit en train de devenir sous peu une oligarchie malicieuse et ignoble81 ». On retrouve ici l’idée relativement classique qu’une démocratie est un régime impraticable, qui cache souvent le pouvoir de quelques hommes et mène à la tyrannie, l’anarchie ou, dans ce cas-ci, l’oligarchie. Au niveau rhétorique, c’est aussi une illustration de la thèse réactionnaire de l’effet pervers : malgré les changements apparents louables de l’État français, le résultat est désastreux.
53Ainsi, peu importe en fait les artifices français, l’essentiel est qu’une democracy est un régime horrible, violent, corrompu et passéiste. Comme Aristote, Burke associe democracy à la tyrannie et au despotisme82. Pour lui, la constitution mixte doit être défendue face à la démocratie. Il condamne autant la monarchie absolue que la démocratie absolue. Dans le cas britannique, il est déterminé à « maintenir une église établie, une monarchie établie, une aristocratie établie et une démocratie établie, chacune dans la mesure où elle existe, et pas plus83 ». Cette défense du régime mixte est à situer dans le débat sur 1688 initié par Price. Pour Burke, l’important est de démontrer que la constitution britannique ne résulte pas de spéculations philosophiques, mais d’une lente évolution et que toute tentative de réforme brusque risquerait de faire s’écrouler ce fragile édifice – tel que le veut l’idée de la mise en danger. Cette position est cohérente avec la tradition constitutionnaliste : si Burke rejette l’incarnation d’une souveraineté populaire pure, il ne refuse pas le concept même, il est plutôt en faveur d’une médiation parlementaire de celle-ci84.
54Explorer ici l’ensemble des réponses suscitées par les déclarations incendiaires de Burke dépasserait nos objectifs. D’autant que plusieurs ne mobilisent pas le terme democracy ou alors très peu. Ainsi, Mary Wollstonecraft85, l’une des premières à lui répliquer, n’utilise ce vocabulaire ni dans son A Vindication of the Rights of Man (1790), ni dans A Vindication of the Rights of Woman (1792), l’un des premiers textes modernes défendant l’égalité entre les sexes86. Des auteurs républicains reconnus comme Catherine Macaulay, avec Observations on the Reflections of the Right Hon. Edmund Burke (1790), ou réformistes comme Joseph Priestley dans ses Letters to the Right Honourable Edmund Burke (1791) et John Thelwall87 dans The Rights of Nature against the Usurpations of Establishments (1796), ou encore Vicesimus Knox88 dans The Spirit of Despotism (1795), emploient à peine le mot democracy89. Pour ces raisons, nous concentrerons notre analyse sur les deux réponses utilisant le terme ayant eu le plus d’impact, celles de Thomas Paine et de William Godwin90.
55À la suite de son rôle important dans la Révolution étatsunienne, Paine devient l’un des acteurs clefs du mouvement réformiste britannique, particulièrement dans sa tendance républicaine. Il arrive en France en 1787 et s’enthousiasme à la vue des événements révolutionnaires de 1789. Retourné en Grande-Bretagne, il écrit The Rights of Man, publié en deux parties en 1791 et 1792. L’ouvrage devient un véritable succès d’édition, avec des dizaines de rééditions et une circulation avoisinant les 200 000 exemplaires entre 1791 et 1793. Cet impact doit être majoré à la hausse, car dans les cercles réformistes une seule copie était susceptible de toucher un grand nombre de personnes, notamment à travers l’emprunt, mais aussi la lecture publique dans les coffeehouses et tavernes91. Son influence se prolongera jusqu’au xixe siècle, puisqu’autant les radicaux que les chartistes continueront de s’y référer92.
56Concernant le terme democracy, la contribution de Paine est toutefois plus difficile à saisir. Ce dernier se situe à la frontière des traditions républicaines et communalistes examinées précédemment. Parti d’une position républicaine dans le contexte américain, il sera amené en Europe à adopter certains éléments communalistes, notamment en ce qui concerne la question agraire durant les années 1790. Cette ambiguïté rend ses utilisations de democracy floues. Pour commencer, il n’utilise pas beaucoup le terme : cinq fois dans la première partie, une vingtaine dans la seconde. Dans le premier livre, qui répond directement à Burke, Paine se contente d’attaquer l’idée d’un régime mixte – et surtout du principe héréditaire – et défend plutôt une perspective républicaine. Selon lui, seul un régime combinant élection et représentation peut prétendre au titre de meilleur modèle93. Le mot democracy ne joue pas vraiment de rôle dans cette argumentation, qui avance une critique républicaine comme on peut en trouver en France et aux États-Unis. C’est surtout dans la seconde partie de Rights of Man que Paine tente de lier democracy et représentation dans une optique républicaine.
57Publié au début 1792, l’ouvrage vise à répondre aux objections adressées à la première partie, et particulièrement à celles d’Emmanuel Joseph Sieyès94. À travers celui-ci, Paine contribue notamment à une revalorisation de l’Athènes antique95, qui le place en porte-à-faux par rapport à la longue tradition philosophique antidémocratique en Occident. C’est principalement son analyse des rapports entre démocratie et représentation qui est originale dans le contexte britannique. Selon Paine, il existe quatre formes de gouvernements : monarchique, aristocratique, démocratique et représentatif. Les deux premiers attribuent le pouvoir de manière héréditaire, ce qui est particulièrement négatif à ses yeux. Seuls les deux derniers sont vus positivement : eux seuls peuvent être républicains, pas au sens de forme spécifique de régime, mais de principe du gouvernement dans l’intérêt général96. Pour l’historien Marl Philp, une telle position souligne en fait une certaine dissolution du langage républicain dans les années 1790 : « si Paine a embrassé [le républicanisme] dès le début des années 1780, le contenu qu’il lui a donné n’était […] rien d’autre qu’un gouvernement représentatif conduit dans l’intérêt général97 ».
58L’originalité de Paine se retrouve plutôt dans son articulation entre démocratie et représentation. Accusant Burke de confondre les deux termes, Paine affirme que « la représentation était une chose inconnue dans les anciennes démocraties. Dans celles-ci, la masse du peuple se réunissait et édictait les lois […] à la première personne. La démocratie simple n’était autre que la salle commune des anciens98 ». Cependant, suivant ici Montesquieu – mais aussi comme nous l’avons vu Pailey – Paine considère que la « simple democracy » n’est pas un régime approprié au monde moderne, car les entités politiques sont maintenant trop diverses pour être gérées collectivement. Quelle est la solution à ce problème de taille ? La représentation politique :
« La démocratie simple était une société qui se gouvernait elle-même sans l’aide de moyens secondaires. En greffant la représentation sur la démocratie, nous arrivons à un système de gouvernement capable d’embrasser et de confédérer tous les intérêts divers et toute étendue de territoire et de population, et cela avec des avantages aussi supérieurs au gouvernement héréditaire99. »
59Adoptant les États-Unis comme modèle, Paine préfère explicitement le gouvernement représentatif à la « simple democracy », le premier étant conçu comme une amélioration, une sublimation de la seconde. Cette préférence l’amène à considérer que la représentation est en fait à privilégier partout, même dans les petites entités politiques : « elle [la représentation] est préférable à la démocratie simple, même dans les petits territoires100 ».
60Une telle position est novatrice, puisque contrairement à certains de ses adversaires (Sieyès au premier chef), ou aux analyses plus contemporaines de Bernard Manin et Francis Dupuis-Déri, Paine n’oppose pas représentation et democracy : la première vient compléter la seconde. Mieux encore, elle n’est pas considérée comme un palliatif, mais bien comme une amélioration cruciale. Tout comme pour Paley chez qui le fédéralisme offrait la possibilité à une république démocratique d’exister sur un grand territoire, la représentation permet à Paine de moderniser la forme démocratique. On peut donc dire que, à l’inverse à la plupart des républicains français et étatsuniens, qui étaient à la fois antimonarchiques et antidémocratiques, Paine reconnaît une certaine valeur au terme democracy, comme base du régime représentatif. Il s’écarte aussi de certains de ses compatriotes, comme Thomas Northmore101, qui critiquent le gouvernement mixte, mais prennent soin d’avancer comme idéal une république représentative fondée sur les droits de l’homme, qui dépasse les problèmes de la monarchie, l’aristocratie et la « pure democracy102 ».
61Certes, l’impact de cette innovation conceptuelle sur les usages du terme democracy reste limité. Tout d’abord parce que le régime idéal de Paine n’est pas une democracy ou encore une democratic republic, mais bien le representative system. Dans aucun de ses écrits, ni Rights of Man, ni ceux à venir, il ne prend position en faveur d’une representative democracy. Sa préférence pour le gouvernement représentatif au-delà d’une démocratie comprise comme directe est constante103. En ce sens, introniser Paine comme porte-étendard de la démocratie représentative comme le fait Christopher Hobson nous semble quelque peu exagéré104. D’autant que d’autres auteurs iront plus loin que Paine dans leur appropriation du terme democracy.
62C’est notamment le cas de Godwin qui propose avec An Enquiry Concerning Political Justice (1793), l’une des réponses les plus systématiques aux idées de Burke et de manière plus générale, une théorie politique aux forts accents libertaires. Si on la compare avec Rights of Man, cette publication eut un impact éditorial moindre, mais un effet peut être plus marqué dans les cercles philosophiques et intellectuels105. Dans le second tome, Godwin définit la démocratie comme « un système de gouvernement selon lequel chaque membre de la société est considéré comme un homme et rien de plus. […] Tous les hommes sont considérés comme égaux106 ». Cette interprétation qui associe démocratie et égalité avec une connotation neutre, voire positive, illustre l’originalité de Godwin quant à son usage du terme democracy. Examinant par la suite les objections qui sont souvent soulevées contre un tel système de gouvernement, il écrit que la démocratie est présentée comme instable, autodestructrice et susceptible d’être dirigée par les ignorants ou les fourbes. Face à ces accusations, et prenant Athènes en exemple, Godwin rétorque que même une démocratie sans remèdes à ses défauts reste admirable. Mieux encore, il existe des solutions aux maux qui affligent habituellement les régimes démocratiques.
63Pour Godwin, les réponses aux problèmes de la démocratie sont de dire la vérité et d’agir de manière vraie107. Dans une optique rationaliste, Godwin considère qu’à travers l’éducation et l’émergence de citoyens raisonnables, « la démocratie cesserait dans cette société les turbulences, l’instabilité, l’inconstance et la violence qui l’ont trop souvent caractérisée108 ». En plus de cette proposition, il rappelle, dans la lignée de Paine, que les anciennes démocraties n’étaient pas familières avec l’idée de représentation politique. Or, dans un passage qui allie représentation-mandat et représentation-incarnation, Godwin souligne comment la représentation vient compléter la democracy grâce à des éléments aristocratiques :
« Par cet heureux expédient [la représentation], nous obtenons beaucoup des avantages prétendus de l’aristocratie, ainsi que les avantages réels de la démocratie. La discussion des affaires nationales est portée devant des personnes d’une éducation et d’une sagesse supérieures : nous pouvons les concevoir, non seulement comme le médium désigné des sentiments de leurs électeurs, mais comme autorisées, en certaines occasions, à agir de leur côté […]109. »
64À première vue, Godwin semble donc naviguer sur les mêmes eaux que Paine : Athènes était un bon système, mais instable et limité. La représentation politique – et dans une certaine mesure l’éducation – permettra d’atteindre un gouvernement digne des temps modernes, qui allie éléments démocratiques et aristocratiques. Son but est de s’assurer que ce soit les personnes « supérieures » qui débattent des affaires publiques. Cette vision de la représentation politique comme permettant la mise en place d’une aristocratique élective fait écho aux travaux de B. Manin sur la question.
65Toutefois, un examen plus attentif de Political Justice révèle une différence majeure : pour Godwin, la représentation politique ne vient pas sublimer la démocratie, elle est plutôt un pis-aller. En effet, dans le chapitre xxi, « Of National Assemblies », Godwin se montre très sceptique des assemblées représentatives à l’échelon national, qui enthousiasment autant Paine que les révolutionnaires étatsuniens et français. Considérant qu’elles poussent à la digression et la dispute, Godwin affirme que les assemblées nationales devraient « soit ne jamais être élues qu’en cas d’urgence extraordinaire […] soit siéger périodiquement, un jour par an par exemple, avec le pouvoir de poursuivre leurs sessions dans une certaine limite110 ». Préférant un système d’assemblées locales autonomes, Godwin observe qu’ainsi « toutes les objections qui ont été réitérées avec le plus de force contre la démocratie deviennent caduques111 ». En d’autres mots, la représentation est un palliatif, nécessaire tant que les humains seront encore prisonniers de leurs habitudes et institutions passées, mais la democracy implique une participation directe.
66Selon Godwin, la democracy inclut donc la représentation, mais ne s’y réduit pas. Il est ici plus prêt de la tradition communaliste, qu’il va contribuer à renouveler, que des courants républicains de son époque112. Il est l’un des premiers penseurs à poser la démocratie à la fois comme régime politique, mais aussi comme condition de la réalisation du potentiel humain113. Ainsi, pour Godwin,
« La démocratie redonne à l’homme la conscience de sa valeur, lui apprend, par la suppression de l’autorité et de l’oppression, à n’écouter que ce que lui dicte la raison, lui donne la confiance nécessaire pour traiter tous les autres hommes comme ses semblables, et l’incite à les considérer non plus comme des ennemis contre lesquels il faut se tenir sur ses gardes, mais comme des frères qu’il lui appartient d’assister114. »
67Bien que rare pour l’époque, cette double perspective se fera de plus en plus prégnante durant le xixe siècle. Godwin en ce sens n’est pas seulement l’un des premiers penseurs anarchistes occidentaux : il va aussi orienter le rapport des mouvements libertaires au mot democracy, considéré à la fois comme régime et condition existentielle.
68Somme toute, loin d’une opposition manichéenne entre réactionnaires et réformistes, monarchistes et démocrates, ce débat britannique initié par la Révolution française démontre plutôt à quel point les différents côtés peuvent se réclamer de la souveraineté populaire, tout en se distançant plus ou moins du terme democracy. Comme vu au dernier chapitre, pour Burke, la souveraineté du peuple, bien qu’essentielle à tout régime politique, n’existe que dans ses représentants parlementaires, qui doivent disposer d’un espace délibératif distinct du monarque et de la populace115. Paine fonde lui aussi tout gouvernement sur la souveraineté populaire, mais celle-ci doit s’exprimer à travers l’élection de représentants – ce gouvernement représentatif étant conçu comme la forme politique moderne par excellence. Godwin oscille quant à lui entre républicanisme et communalisme, en considérant d’un côté que la représentation permettra d’éviter certains problèmes de la democracy, mais en affirmant de l’autre que ce palliatif doit être temporaire et limité.
69En ce sens, il faut souligner que la question des rapports entre démocratie et représentation, qui taraude la pensée politique moderne, n’est pas réellement un point d’achoppement dans ce débat. Contrairement aux polémiques françaises de la même époque, où il y a souvent une opposition tranchée entre démocratie et gouvernement représentatif116 ou une critique radicale de la représentation117, le cas britannique est loin d’être aussi marqué. Il y a plutôt une évolution plus ou moins organique à partir des concepts et des termes disponibles. Alors que Burke est souvent invoqué comme tenant de la représentation-incarnation à travers son modèle de mandataire (trustee)118, il ne voit aucune connexion entre représentation et democracy. D’ailleurs, il avance parfois que les Lords et le monarque sont eux aussi des trustees. Si Westminster est un organe représentatif du peuple britannique119, cela ne fait pas pour autant du Parlement une enceinte démocratique – tout au plus exerce-t-il un contrôle en tant que « popular representative120 ». Paine reconnaît une affinité entre democracy et representative system, en tant que formes républicaines, mais cette reconceptualisation ne se traduit pas par une redéfinition de la democracy comme objectif politique légitime. Seul Godwin semble considérer que la démocratie a sa place dans la modernité, une fois que l’humanité aura progressé au stade adéquat – et à ce point les enjeux ayant trait à la représentation apparaissent secondaires. Le gouvernement démocratique pourra être représentatif ou direct, cela dépendra de la volonté du peuple.
70Ainsi, la question de la democracy joue donc un rôle mineur au niveau conceptuel dans ce débat britannique, alors qu’il est parfois présenté rétrospectivement comme tournant autour de la notion. La confusion peut se comprendre : après tout, les différentes parties en présence fondent toutes le pouvoir politique sur la souveraineté populaire et insistent sur l’importance de la représentation politique – deux caractéristiques qui sont de nos jours synonymes avec la démocratie. Cependant, si le moment révolutionnaire français est aussi fortement associé au terme democracy dans l’imaginaire britannique, ce n’est pas parce qu’il y a là une reconceptualisation moderne de la démocratie par les partisans d’un gouvernement républicain ou populaire. À l’inverse, ce sont plutôt les forces politiques conservatrices qui mettent la démocratie au cœur de leurs discours. Un examen de l’étiquette de democrat permet d’illustrer cette dynamique.
Democrat : très attribué, peu revendiqué
71Les ambiguïtés des penseurs réformistes tels que Paine et Godwin face au terme democracy doivent être comprises dans leur contexte sociopolitique. Les revendications de réforme parlementaire au cours des années 1790 s’effectuent principalement dans le cadre d’une théorie mixte du gouvernement. Même quand certains poussent l’audace jusqu’à parler d’abolition de la monarchie et de l’aristocratie, leurs références à la démocratie restent maigres. Dans la sphère publique britannique, democracy est avant tout un épouvantail politique et democrat une injure qu’on aligne à côté de mad, mob et Jacobin121. Certains réformistes en sont d’ailleurs tout à fait conscients : Northmore, qui décrit une utopie républicaine, affirme que pour cela, « je serai marqué au fer rouge par les titres de visionnaire, de théoricien, de perturbateur de la paix publique, de jacobin, de démocrate et je ne sais quoi encore122 ». Cette question du terme democrat permettant d’éclairer quelque peu la position des forces politiques réformistes sur le vocabulaire démocratique, c’est vers elle que nous allons nous tourner.
72À la suite de la Révolution française, la plupart des commentateurs politiques britanniques analyseront les luttes politiques et militaires comme un conflit entre aristocrates et démocrates. Ceci est particulièrement visible dans les articles qui relatent des nouvelles du front : dans différents journaux on relate les conflits entre « democrats » et « aristocrats » ou royalistes123. Cependant, le democrat préféré des journaux et des Britanniques en général reste le « French Democrat ». On nous raconte ainsi dans l’Oxford Journal qu’à Dole « Sur la base de la statue de Louis XVI, les Démocrates ont inscrit ces mots : – “Premier et dernier roi des Français”124. » Généralement présentés comme belliqueux, les démocrates français sont accusés d’être responsables du chaos européen actuel : « Il est très regrettable que beaucoup de gouvernements réguliers aient employé moins d’énergie, moins d’activité et moins de ressources pour maintenir les droits des nations que les Démocrates Français pour désorganiser le monde125. » Voir de prolonger la guerre : « une guerre qui, comme elle a été provoquée, doit être poursuivie par l’insolence, l’ambition et la soif de conquête dont ont fait preuve les démocrates français qui ont commencé leur carrière sanglante en criant aux crimes des Monarques126 ». L’existence de l’expression French Democrat démontre la spécificité des usages britanniques du vocabulaire démocratique. Alors qu’en France, la majorité des révolutionnaires rejette l’étiquette, elle leur est apposée sans restriction par les journaux britanniques. L’opposition commune en France entre republic et democracy est ici à peu près impossible à établir.
73Cependant, le démocrate peut aussi être l’ennemi intérieur. Considérant la connotation du mot, on comprendra aisément que les réformistes britanniques ne se proclament que très rarement democrats en public. Les journaux ne se priveront cependant pas de l’amalgame. Ainsi, le Leeds Intelligencer déclare que « les Démocrates de ce pays ont récemment baissé le ton. […] Ils s’aperçoivent que l’esprit du pays est contre eux. Les plus modérés se limitent, ou prétendent le faire, à une réforme du Parlement127 ». La répression féroce du mouvement réformiste, qui débute à partir de 1793, et les peurs d’une invasion française, alimenteront l’équation entre democrat, jacobin et reformist.
74Du côté des essais politiques, on retrouve de manière explicite cette attribution de l’étiquette democrat dans un ouvrage que l’on peut considérer comme typique de l’époque : A Bone to Gnaw for the Democrats (1795) de Peter Porcupine, alias William Cobbett128. Ancien soldat britannique réfugié aux États-Unis à partir de 1791 jusqu’en 1800, Cobbett est d’abord un vif critique de la Révolution française. De retour en Grande-Bretagne, il devient progressivement réformiste et publie un hebdomadaire, The Political Register, de 1802 à sa mort. Dans son magnum opus, l’historien marxiste E. P. Thompson accorde une attention particulière à Cobbett et son journal, comme garants de la tradition réformiste populaire, mais aussi comme créateurs d’une conscience de classe moderne129. Cependant, en 1795, il est surtout prêt à défendre corps et âme la constitution britannique et l’ordre républicain étatsunien.
75Son A Bone to Gnaw for the Democrats est intéressant puisqu’il illustre à merveille cette entreprise d’étiquetage comme democrat d’individus et de groupes ne se réclamant pas explicitement du terme. La première volonté de Porcupine est de répliquer à un pamphlet de James T. Callender130 intitulé The Political Progress of Britain (1792). Or, les mots democracy et democrat n’apparaissent pas dans cet ouvrage, qui attaque le régime britannique pour ses expéditions militaires à travers le monde131. À l’inverse dans ses écrits, Porcupine ne se gêne pas pour utiliser à foison democrat et ses dérivés. Il ne prend pas la peine de définir qui sont ces fameux démocrates. Faisant à tour de rôle référence à la France, aux États-Unis, à la Grande-Bretagne ou encore au Marquis de La Fayette, à Paine ou Priestley, Porcupine emploie surtout le terme pour attaquer quiconque menace la loi et l’ordre. Ainsi, les réformistes en Grande-Bretagne, les différentes factions révolutionnaires en France ou les antifédéralistes aux États-Unis sont tous taxés de democrats. Si cette diversité peut paraître surprenante, Porcupine nous rassure : « Si l’on considère l’horrible révolution qui agite actuellement le monde, on s’aperçoit que, bien que le grand objectif des démocrates ait été partout le même, leurs prétendus motifs ont varié avec leur situation132. » Même si ce « grand objectif » n’est pas réellement défini, on comprend que c’est leur volonté de réforme, voire d’égalité qui les unit. Ainsi, dans un paragraphe grinçant qui tente d’expliquer pourquoi les femmes n’aiment pas les democrats, Porcupine accuse ces derniers d’égalitarisme : « Les démocrates, dans leur rage d’égalité, pourraient un jour tenter de les réduire [les femmes] au niveau de leur vision de la “propriété”133. » Encore une fois, democracy et equality sont associés, cette fois-ci négativement.
76Dans un autre registre, l’œuvre d’Hannah More134 illustre la volonté de la gentry britannique de populariser un certain langage constitutionnaliste. Débutant son parcours littéraire dans les années 1780 en tant qu’abolitionniste, More est surtout connue comme auteure des Cheap Repository Tracts. Publiés entre 1795 et 1817, et diffusés à plus de 2 millions d’exemplaires, on retrouve leur trace des États-Unis à la Sierra Leone, alors possession britannique135 – une preuve de l’impact global qu’ont les débats britanniques. Quand elle parle de démocratie, More utilise principalement le terme democrat dans un sens négatif. Par exemple, dans Village Politics (1793), l’un des personnages demande : « Et qu’est-ce que tu prends pour un démocrate ? », ce à quoi un autre répond : « Celui qui aime être gouverné par un millier de tyrans, et ne peut pourtant pas supporter un roi136. » Encore une fois, democracy et tyranny sont associés en opposition à la monarchie.
77Face à cette avalanche de significations péjoratives, il n’est pas surprenant que les réformistes qui s’approprient le terme democrat soient rares. Très peu d’individus et d’organisations conçoivent leurs revendications réformistes de manière démocratique. C’est principalement en tant qu’opposés aux aristocrates que certaines personnes vont progressivement se penser democrats. Dans le contexte britannique, la critique d’une aristocratie corrompue137 pousse cependant certains réformistes à se voir comme des démocrates, car l’étiquette est moins teintée que celle de Jacobin. Ainsi, Charles Pigot138 propose dans son Political Dictionary (1795), une définition relativement élogieuse d’un democrat comme : « Celui qui maintient : les droits du peuple ; ennemi des ordres privilégiés, et de tous les empiétements monarchiques, l’avocat de la paix, de l’économie, et de la réforme139. » Bien que positive, cette définition reste compatible avec la théorie du gouvernement mixte puisqu’elle met l’emphase sur l’opposition aux abus de pouvoir de la Couronne. Ailleurs, une lettre d’un « vrai démocrate », s’inquiète du fait que le terme prend une connotation si négative : « Qui, un siècle auparavant, aurait cru qu’un roturier de Grande-Bretagne aurait été injurié et maltraité pour s’être reconnu démocrate ? Si la démocratie est détruite, où est alors la constitution dont se vantent les Britanniques140 ? » Cette valorisation de l’étiquette de democrat n’est donc pas nécessairement révolutionnaire. Les revendications réformistes continuent de s’inscrire dans une théorie du gouvernement mixte : il n’est jamais question d’établir a democracy, mais de réformer the democratic element, c’est-à-dire les Communes. L’argumentation réformiste oscille donc encore une fois entre traditions constitutionnaliste (whig), et dans certains cas limités républicaine ou communaliste. De plus, cette étiquette reste majoritairement privée : elle est surtout présente dans la correspondance de certaines figures du mouvement réformiste ou dans des discussions personnelles141.
78Pour l’historien M. Philp, le seul leader réformiste, outre Godwin, à utiliser explicitement d’un vocabulaire démocratique est John Thelwall, orateur attitré de la London Corresponding Society142 (LCS), l’une des organisations réformistes les plus importantes de la période143. En 1795, Thelwall analyse le terme democracy, dont il distingue deux sortes. La première, antique, directe, sans corps intermédiaires, est réservée aux États restreints et est prompte au désordre. La seconde, qu’il nomme « representative democracy », se présente comme la solution moderne aux problèmes de la démocratie antique. Thelwall affirme toutefois aussitôt que ce type de régime n’est pas vraiment démocratique, mais plutôt aristocratique, au sens de « gouvernement des meilleurs » : « Cette démocratie représentative est la véritable essence de ce que l’on appelait autrefois, en théorie, l’aristocratie144. » Ce raisonnement est original sur deux points. Premièrement parce que Thelwall utilise l’expression « representative democracy », jusqu’alors inusitée. Deuxièmement, parce qu’il admet que le gouvernement représentatif est avant tout une aristocratie élective, et non une démocratie dans le sens antique du terme.
79Ces prémisses amènent Thelwall à la question de la nature du régime britannique. Selon lui, les Communes sont – ou en tout cas devraient être – les représentants de la democracy (au sens de peuple). En ce sens, « la constitution de la Grande-Bretagne peut être correctement définie comme une démocratie, admettant un certain mélange d’aristocratie dans son corps législatif, et adoptant un Premier Magistrat héréditaire, responsable de l’exécution des lois, et qui est appelé le Roi145 ». Ce type de régime est une non pas une « monarchie mixte » comme l’avancent les auteurs constitutionnalistes, mais une « démocratie limitée », car le pouvoir dérive du peuple et c’est dans son intérêt que les lois devraient être faites. Plus précisément, remontant à l’époque saxonne, Thelwall affirme que la monarchie britannique n’était pas originellement héréditaire et défend le droit à des élections annuelles et un suffrage universel :
« J’ai le droit de conclure que la démocratie est, à juste titre, la base de notre gouvernement ; et que nous devrions considérer le gouvernement de ce pays comme une démocratie représentative ; admettant en même temps le contrôle et l’autorité d’une aristocratie héréditaire, appelée Chambre des Lords, et confiant le gouvernement exécutif à une personne que nous appelons, non pas Monarque, mais Roi146. »
80Cette position est donc à la fois novatrice et conservatrice. Thelwall innove, car il lie clairement les Communes et la démocratie représentative, et il se sert de cette adéquation pour critiquer le manque de représentativité du Parlement. Il est aussi conservateur, car il continue de s’inscrire dans le cadre d’une théorie mixte du gouvernement : l’aristocratie et la Couronne maintiennent leurs pouvoirs de contrôle sur l’élément démocratique.
81À côté de Godwin et Thelwall, il existe selon nous un troisième membre de ce triumvirat démocratique : Thomas Spence147. Celui-ci est représentatif d’une tendance du mouvement réformiste qui considérera toujours la question de la propriété, et particulièrement de la propriété foncière, comme prépondérante. Promoteur d’un Land Plan dès 1775, il propose d’exproprier les propriétaires terriens au profit d’une corporation municipale, qui louerait alors les terres au plus offrant et utilisera les revenus pour financer des services sociaux. Au niveau politique, il emploie un argumentaire réformiste classique. Ainsi, dans ses ouvrages portant sur son Land Plan, il défend le suffrage universel adulte (hommes et femmes) tant au niveau municipal que national, de même qu’une séparation stricte des pouvoirs148. Il reste donc dans la logique des six points réformistes, tout en considérant, ce qui est plus qu’une nuance, les femmes comme citoyennes à part entière.
82Toutefois, c’est surtout avec son utilisation du vocabulaire démocratique que Spence se démarque des autres réformistes. En effet, alors que les autres auteurs articulent leur critique du régime britannique dans une perspective de rétablissement de l’élément démocratique de la constitution, il se positionne clairement en faveur d’un gouvernement « démocratique ». Dans The Rights of Infants (1797), Spence critique Paine, affirmant que pour ce dernier « le gouvernement peut être soit la monarchie absolue, l’aristocratie, la démocratie, ou mixte », alors que Spence se voit comme le seul à avancer que « le gouvernement doit nécessairement être démocratique149 ». Considérant que Paine est plutôt un partisan du gouvernement représentatif, la critique de Spence semble plutôt injuste. C’est le fait qu’il prenne parti sans équivoque pour un gouvernement démocratique qui nous intéresse tout particulièrement ici.
83La question du régime politique est toutefois secondaire aux yeux de Spence. Dans plusieurs de ces textes, il décrit une île utopique, Spensonia, fondée par des marins naufragés150. Sur celle-ci, l’élément crucial est la possession commune de la terre, qui permet aux citoyens d’être réellement libres. La manière dont sont gérées les affaires publiques reste plus opaque : les autorités locales (parishes) semblent être l’unité centrale d’administration et que les organes législatifs et exécutifs y jouent un rôle mineur. Dans la conclusion de The End of Oppression, il avance que le modèle proposé réduirait à néant l’oppression gouvernementale et que la gestion des affaires publiques reviendrait à des « paroisses démocratiques151 ». Tout comme Godwin, Spence semble donc se situer à la frontière des traditions républicaines et communalistes. Au niveau national, il privilégie la représentation politique, mais se méfie toutefois de ce type d’assemblées. Il met plutôt l’accent sur la propriété commune de la terre, qui doit appartenir aux autorités locales et non aux individus. En ce sens, il est plus près des Diggers et du communalisme que du citoyen indépendant républicain. Si à ses yeux le gouvernement doit être démocratique, c’est surtout comme conséquence d’une propriété foncière commune, et non parce que c’est le meilleur régime.
84Même les quelques appropriations positives de democrat par certains réformistes ne sauraient renverser la tendance : globalement les réformistes britanniques ne se revendiquent pas de la democracy – sauf aux yeux de leurs adversaires152. Ceux-ci ne se limitent pas à un usage civil du terme : dans leurs bouches democrat est une insulte, un appel à la violence. En août 1793, lorsque Knox se rend à Brighton pour prêcher, une foule l’attaque en criant : « Un démocrate, un démocrate, un maudit démocrate. Dehors le Démocrate – pas de Démocrates153 ! » Loin d’être un mot clamé par le mouvement réformiste, democrat est donc bien une injure que les forces conservatrices utilisent pour discréditer leurs ennemis politiques voire pour en appeler à leur emprisonnement ou pire encore.
85Ceci est notamment visible dans la série de procès politiques qui s’ouvrent à partir de 1792. Dès le début de cette année, Paine et son éditeur sont accusés de sédition. S’enfuyant en France, Paine sera jugé et condamné par contumace pour la seconde partie de Rights of Man. Son procès voit le procureur s’attaquer au « pire de tous les gouvernements : la démocratie déséquilibrée, qui est nécessairement liée à la tyrannie démocratique154 ». Ou encore affirmer que Paine s’oppose souvent au pouvoir de l’aristocratie, « mais pas un mot n’a été dit sur la partie Démocratique de notre Constitution. Il était bien connu que l’Angleterre avait une puissante Démocratie, mais pas un mot à ce sujet, parce que cela ne rendrait pas les classes inférieures du peuple mécontentes155 ». On accuse ainsi Paine de démagogie, et surtout de ne pas reconnaître le caractère mixte de la constitution britannique.
86Plus d’un an après, la répression étatique s’étend à l’ensemble du mouvement, avec l’arrestation et la déportation en Australie de plusieurs leaders réformistes. En octobre 1794, seuls les trois meneurs les plus célèbres, Thomas Hardy156, John Thelwall et John Horne Tooke157, sont finalement accusés. La rhétorique des audiences révèle un procureur qui tente, entre autres choses, de catégoriser les accusés comme des democrats, et une défense qui évite le terme. Ce faisant, on constate le caractère illégitime, voire criminel, de la democracy dans le contexte britannique. Ainsi, pour le procureur, la question cruciale est de savoir si la London Corresponding Society abrite des réformistes constitutionnalistes ou au contraire des démocrates antimonarchistes :
« On veut seulement savoir si la majorité des sociétés entend se contenter du seul plan du duc de Richmond, OU SI LEUR DESSEIN PERSONNEL EST D’ARRACHER LA MONARCHIE PAR LES RACINES ET DE PLACER LA DÉMOCRATIE À SA PLACE158. »
87Cette formulation, soit le déracinement de la monarchie et son remplacement par la démocratie, sera particulièrement influente à l’époque. On la rapporte déformée dans le Oxford Journal : « L’intention de la société actuelle peut être déduite de la lettre de l’un de ses membres, qui déclarait “qu’ils arracheraient la monarchie par les racines et placeraient la démocratie à sa place”. C’était une conspiration contre la monarchie et l’aristocratie159. » Les réformistes sont donc accusés par le Gouvernement de vouloir détruire le régime mixte britannique, et surtout sa composante monarchique.
88De l’autre côté, la défense critique le manque de représentativité des Communes et affirmera « que la prétendue démocratie du pays est devenue une question de propriété et de privilège160 ». Cette argumentation, typique du mouvement réformiste, mise avant tout sur un redécoupage géographique des circonscriptions en prenant en compte les nouvelles villes industrielles du nord, et non une extension du droit de vote. Les accusés prennent bien soin de maintenir leurs distances avec certains auteurs (comme Paine) ou des concepts tels que la « démocratie pure ». Tooke appelle à la barre Cartwright pour assurer le jury de son caractère respectable : « T. — M’avez-vous déjà entendu faire l’éloge d’une démocratie pure ? C. — Bien au contraire. T. — M’as-vous jamais entendu contester ceux qui l’ont fait ? C. — Souvent161. » Limited democracy ou pure democracy, le choix est toujours clair pour l’immense majorité des réformistes : ils veulent des Commons représentatifs, mais balancés par Lords et Crown, et récusent l’idée d’une assemblée représentative unique. Il s’agit inlassablement de restaurer, non pas de renverser.
89En plus des Français et des réformistes, un troisième groupe en viendra à être étiqueté comme democrat : les autonomistes Irlandais. Bien que majoritairement catholique, l’Irlande est, au xviiie siècle, dominée par une élite protestante, elle-même fermement contrôlée par Londres. Au cours des années 1790, une alliance des forces catholiques et protestantes en faveur de plus de tolérance religieuse, d’une réforme parlementaire et d’une autonomie irlandaise commence à se dessiner. La Society of United Irishmen, fondée à Dublin en 1790, en prend le leadership. Elle se positionne en faveur d’un suffrage universel masculin adulte, de districts électoraux de taille égale et de parlements annuels162. Les United Irishmen sont déclarés illégaux, mais se reforment comme une organisation de masse aux visées révolutionnaires. Ils incitent à un soulèvement armé en Irlande, avec un soutien militaire français. Après une tentative avortée en 1796, l’insurrection débute en octobre 1798. Peu préparés, infiltrés par les espions du gouvernement, rejetés par une population terrifiée par l’armée, les United Irishmen sont rapidement écrasés, avec plus de 12 000 personnes tuées au cours du conflit.
90Il est parfois difficile de savoir si les United Irishmen se revendiquent réellement de la democracy ou si l’étiquette leur est seulement apposée. Si on se fie à la littérature secondaire, il semble que le mouvement indépendantiste irlandais se soit plus facilement défini comme democrat irlandais, en opposition aux aristocrats anglais163. Bien que leurs positions soient surtout influentes en Irlande, elles auront aussi des échos en Grande-Bretagne. Par exemple, dans un entretien avec un des membres de l’organisation, le Manchester Mercury en 1798 rapporte l’échange suivant « Quelle était la réforme exigée à l’origine par les United Irishmen ? Une Chambre des Communes démocratique, ils pensaient qu’un seul corps aristocratique dans l’État était suffisant164. » Il est à noter qu’on ne diverge pas du modèle constitutionnaliste : il faut rétablir le caractère démocratique des Communes, qui a été compromis par le temps.
91Cependant, ce qui est clair, c’est que les United Irishmen seront dès leur formation considérés comme démocratiques par les acteurs conservateurs. Peter Porcupine, mentionné précédemment, consacre un chapitre entier à ces democrats. Selon lui, il ne s’agit en fait que d’usurpateurs dont le véritable objectif est limpide : « Par un partage égal des droits, il n’y a pas le moindre doute que les United Irishmen entendaient un partage égal de la propriété165. » Ici democracy est synonyme d’égalitarisme et ne correspond pas seulement à un régime politique. Avec l’insurrection de 1798, l’Irlande devient donc une autre preuve du désordre démocratique, dont il faut se garder autant que de la France.
Peuple et populace : régime mixte et démocratie turbulente
92C’est dans ce contexte politique tendu que le gouvernement britannique adopte un ensemble de mesures répressives (limitation du droit de manifestation et d’association, procès politiques) et qu’ont lieu les délibérations sur l’Acte d’Union de 1800, qui supprime le Parlement de Dublin et incorpore formellement l’Irlande dans le Royaume-Uni. À cette occasion, on retrouve dans les débats parlementaires quelques utilisations classiques de democracy. Par exemple, Lord Dundas166 déclare que la condition de cette alliance est le maintien d’un régime mixte et il ne s’y oppose donc pas « s’il y a une suffisance de l’aristocratie et une suffisance de la démocratie dans les différents pays167 ». Plus dramatique, Lord Minto168 évoque les désordres démocratiques qui résulteraient d’une Irlande indépendante : « Une république démocratique irlandaise, ou plutôt l’anarchie, doit être la conséquence première et immédiate de notre séparation169. » Chez les parlementaires britanniques, democracy et republic sont toujours allègrement confondues, particulièrement depuis 1789.
93Lors du même débat, Lord Grenville170, secrétaire aux Affaires étrangères, avance une proposition intéressante sur la souveraineté populaire, affirmant que Westminster a toute l’autorité nécessaire pour trancher la question de l’union irlandaise. Ceux qui en jugent autrement se basent sur le principe jacobin de la souveraineté populaire et se trompent lourdement. Après tout, selon lui, ce concept « comportait dans son énoncé même une incohérence et une contradiction. Le Souverain du Peuple n’existait pas, même dans la plus pure des Démocraties, car dans la plus pure des Démocraties il a toujours existé un moyen ou un canal par lequel la Souveraineté de l’ensemble était exercée171 ». Bien que Grenville n’explicite pas plus son idée, il fait probablement référence à l’impossibilité de réunir un peuple entier pour qu’il exerce sa souveraineté. Dans la lignée de plusieurs auteurs classiques et modernes, il considère la « démocratie la plus pure » comme étant directe et donc antithétique à la représentation politique.
94Cette déclaration, qui s’inscrit dans un débat plus long sur la question de la souveraineté populaire172, donnera lieu à une interminable réplique du Earl of Moira173 sur le mésusage des termes « Sovereignty of the People ». Ainsi, selon ce whig bien en vue :
« L’interprétation erronée de cette expression avait déjà causé de grands maux dans ce pays, en aidant ceux dont le but était de confondre le maintien des principes constitutionnels avec le soutien des principes jacobins. Cet artifice scandaleux avait été employé avec trop de succès : car le démocrate est maintenant devenu, dans ce pays, un cri de guerre aussi sauvage contre tout adversaire que ne l’avait jamais été l’aristocrate en France ; […]. Il s’étonne que personne n’ait fixé le sens de l’expression, en faisant appel à la distinction […] entre Peuple et Populace. Lorsque la souveraineté du peuple est affirmée, elle est simplement la négation de la doctrine bestiale du droit divin. Elle soutient que le bien-être du peuple ou de la nation dans son ensemble, et non l’intérêt d’un seul individu, est l’objet du gouvernement. […] La suprématie de la populace était une notion qui ne pouvait jamais entrer dans la conception d’aucun homme sensé. Personne n’avait jamais avancé, à quelque époque ou dans quelque pays que ce soit, une proposition aussi absurde que celle selon laquelle les personnes non informées devraient gouverner la partie éclairée de la communauté174. »
95Cette réplique du Earl of Moira résume de manière succincte plusieurs éléments examinés jusqu’ici. Premièrement, democrat est bel et bien devenue une insulte, au désespoir de certains réformistes. Ceux-ci continuent d’ailleurs de souligner leur constitutionnalisme pour se démarquer des tendances républicaines et communalistes.
96Deuxièmement, selon le Earl of Moira, souveraineté populaire et souveraineté parlementaire sont en fait complémentaires et s’expriment dans la monarchie limitée britannique. Les principes jacobins et démocratiques, qui souhaitent que la « populace » ait une voix au chapitre sont vus comme absurdes et dangereux. Cette distinction entre people et populace est cruciale pour comprendre la relation entre democracy et people telle qu’elle était conçue par certains parlementaires whigs à l’époque. La démocratie, en tant que régime politique, est comprise comme le pouvoir de la populace ou de la foule : il s’agit donc d’un système instable. Or, pour la plupart des parlementaires, c’est la stabilité d’un régime qui fait sa force. C’est là que la notion de représentation politique prend toute son importance. Les débats entre torys et whigs portent sur l’étendue de cette représentation, qui peut être acceptée comme une influence populaire légitime. La portée de la controverse est limitée : pour tous, le meilleur gouvernement est celui qui règne pour le peuple, jamais celui du peuple lui-même.
97En outre, comme l’affirme Pasi Ihalainen, s’il y a eu une tentative de redéfinition conceptuelle de la relation entre le peuple et le Parlement au cours des débats sur l’Acte d’Union, ce sont finalement des conceptions conservatrices qui prévalent175. Par conséquent, si, suivant Georgina Green, certains whigs « admettent le droit de pétition du peuple au roi […] et le rôle de la majesté du peuple dans la politique extraordinaire176 », ils resteront minoritaires. Au milieu de la fièvre antijacobine, pour la plupart des parlementaires, la democracy implique le règne des ordres inférieurs, une idée inimaginable. Bien que certains whigs aient essayé de présenter the people comme un acteur politique légitime, leurs tentatives durant les années 1790 échouent, même si, comme nous le verrons, leur projet aboutira en fin de compte dans les décennies suivantes177.
98D’ici là, cette double position est résumée de manière succincte par Robert Fellowes178 qui, dans un brûlot antidémocratique, reconnaît que « tout gouvernement est un pouvoir en fiducie ; et que le seul titre de propriété valable de son droit est la volonté du peuple179 ». En même temps, il attaque virulemment la démocratie comme un régime sanguinaire, et dans lequel « le suffrage universel signifie le suffrage de la foule (mob)180 ». La présence du terme mob dans l’argumentaire de Fellowes est intéressante à deux égards. Premièrement parce que comme mentionné, le mot lui-même est créé par les classes dominantes britanniques au début du xviiie siècle pour désigner les foules émeutières. Deuxièmement, elle rappelle l’opposition entre people et populace : loin d’une définition de la démocratie comme pouvoir du peuple, les usages britanniques soulignent l’association entre democracy, mob et populace. On voit donc, tel qu’évoqué antérieurement, que la défense de la souveraineté populaire n’implique pas une participation formelle du peuple à la sphère politique. Ceci n’exclut pas pour autant qu’il ne puisse s’exprimer par d’autres canaux. L’important est que, dans la tradition du gouvernement mixte que cette participation soit mesurée et surtout tempérée par les institutions monarchiques et aristocratiques du pays.
Conclusion : democracy versus monarchy
99Dans son ouvrage Sketch of Democracy, Robert Bisset181 propose le premier livre britannique exclusivement consacré à la démocratie et plus précisément à son histoire. Fortement intégré à l’élite britannique, Bisset est un collaborateur régulier de l’Anti-Jacobin Review, où il écrit notamment en 1798 : « Quiconque est ennemi du Christianisme, de la religion naturelle, de la monarchie, de l’ordre, de la subordination, de la propriété et de la justice, je l’appelle un Jacobin182. » Comme nous l’avons déjà vu, de Jacobin à democrat, il n’y a qu’un pas, que Bisset et ses collègues franchiront allègrement. Précurseur, le texte de Bisset nous offre en fait un portrait typique des différents usages de democracy en cette fin du xviiie siècle. Après une introduction et un chapitre plus théorique, il consacre les chapitres ii à viii à l’histoire de l’Athènes démocratique, les sections IX à XIV à la Rome républicaine, et un chapitre final à l’Angleterre. Democracy est donc d’abord et avant tout un terme servant à qualifier les régimes politiques antiques, et il est inadapté aux conditions modernes. En fait, Bisset cherche à démontrer que la démocratie est vouée à l’échec : « Je vais […] essayer de montrer que, lorsqu’elle prévaut uniquement ou même principalement [la démocratie] n’est pas apte à rendre l’homme heureux183. » Bien sûr, ce penchant critique de la democracy est doublé d’une valorisation du régime mixte.
100Pour Bisset, les démocrates peuvent être identifiés par leur adhésion commune à l’idée que « que le meilleur gouvernement est celui qui permet le fonctionnement le plus complet de la volonté générale184 ». Or, selon lui, l’objet du gouvernement est le bien commun. Considérant que les hommes ne savent pas ce qui est convenable pour eux, ils ont donc besoin d’un « government of checks » pour contrôler leurs différents intérêts et passions. Il avance que la tâche politique est une tâche spécialisée et, conséquemment, juge préférable d’y limiter la participation populaire185. Dans le cas de l’Angleterre, Bisset associe différents épisodes de désordres politiques au terme democracy, notamment la révolte paysanne de 1381, ainsi que la guerre civile du xviie siècle. Refusant l’argumentation réformiste, il observe que « notre Parlement a une identité d’intérêts avec nous », puisque les non-votants voient leurs droits civils protégés indépendamment de leurs droits politiques186. Le monarque a lui aussi des intérêts semblables à ceux du peuple, ce qui amène Bisset à conclure que « tout vrai patriote est un amoureux de la Constitution et du Roi187 ». La democracy est impossible, car chimérique et instable, et seul le régime mixte britannique peut garantir ordre, stabilité et liberté.
101En conclusion, on constate donc qu’entre 1775 et 1801, democracy passe d’un mot marginal, érudit et antique à une étiquette ayant une valeur heuristique contemporaine. Le terme peut être appliqué à des régimes politiques modernes (France, États-Unis, mais aussi Hollande et Suisse), à des forces politiques de l’époque (réformistes, républicains, jacobins) et à des revendications d’actualité (réforme parlementaire, égalitarisme). Ces utilisations sont majoritairement le fait de forces politiques conservatrices – le mouvement réformiste dans son ensemble reste loin du vocabulaire démocratique. Le vocable commence à entrer dans la culture populaire, puisqu’il est employé dans des poèmes, des pièces de théâtre et des caricatures et qu’il est repris par des foules turbulentes. À l’inverse, il prolifère aussi dans les discours officiels : débats parlementaires et plaidoiries criminelles en usent et abusent. À la suite de 1789 plus particulièrement, le champ lexical négatif et violent associé à la démocratie est (ré)affirmé par des termes comme bloody, rage, wild. Différents qualificatifs monstrueux (hydra, monster, creature) ponctuent la constellation démocratique. En parallèle, un vocabulaire plus institutionnel et politique reste présent, à travers les termes tels que monarchy, aristocracy, pure et balance. Au niveau des influences philosophiques, les auteurs antiques demeurent la référence classique, même si certaines interprétations modernes et contemporaines commencent à prendre une certaine importance.
102On peut conclure ce survol des usages britanniques de democracy durant la fin du xviiie siècle par une citation de Constantin François de Chassebœuf, comte de Volney188, auteur français d’un ouvrage remarqué sur la question des empires en 1791. Traduit en anglais par Thomas Jefferson189, publié à Londres, le livre fait l’objet de multiples rééditions et commentaires. L’historien Alexander J. Cook considère qu’il s’agit, après Rights of Man de Paine, d’un des ouvrages le plus lu et discuté en Grande-Bretagne à l’époque190. Le texte illustre donc l’importance des échanges atlantiques qui caractérisent cette période de l’histoire britannique. Dans un usage typique de democracy qui s’inscrit de plain-pied dans la théorie de l’anacyclose, Volney nous rappelle qu’il s’agit d’un régime primitif et anarchique, voué à être remplacé par une aristocratie, puis une monarchie, le régime le plus stable et pacifique qui soit :
« Il est très remarquable que la marche constante des sociétés a été dans ce sens, que commençant toutes par un état anarchique ou démocratique, […], elles ont ensuite passé à l’aristocratie, et de l’aristocratie à la monarchie : ne résulte-t-il pas de ce fait que ceux qui constituent des États sous la forme démocratique, les destinent à subir tous les troubles qui doivent amener la Monarchie, et que l’administration suprême par un seul chef soumis à des règles est le gouvernement le plus naturel, comme il est le plus propre à la paix191 ? »
Notes de bas de page
1Evans Abel, « The Apparition », in John Nichols (dir.), A Select Collection of Poems, vol. 3/7, Londres, J. Nichols, 1780, p. 136, « Democracy, (a noisy patriot fool, / The rabble’s idiot, and the stateman’s tool). »
21759-1806. Politicien d’envergure de la fin du xviiie, il est nommé ainsi pour le différencier de son père, William Pitt, Earl de Chatham (1708-1778). Il devient Premier ministre en 1783, et sera au pouvoir de manière ininterrompue jusqu’en 1801. Il est considéré comme un tory.
31749-1806. Figure politique importante de la fin xviiie siècle, leader des whigs, ministre des Affaires étrangères à plusieurs reprises, et député de la circonscription de Westminster entre 1780 et 1806.
4Selinger William, Parliamentarism: from Burke to Weber, Cambridge, Cambridge University Press, 2019, chap. ii-iii.
5Armitage David, « The American Revolution in Atlantic Perspective », in Nicholas Canny et Philp Morgan (éd.), The Oxford Handbook of the Atlantic World: 1450-1850, Oxford, Oxford University Press, 2011, [https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1093/oxfordhb/9780199210879.001.0001] ; Linebaugh Peter et Rediker Marcus, The Many-Headed Hydra: Sailors, Slaves, Commoners, and the Hidden History of the Revolutionary Atlantic, Londres, Verso, 2012 (2e éd.).
6Rivage Justin du, Revolution Against Empire: Taxes, Politics, and the Origins of American Independence, New Haven, Yale University Press, 2017.
7Rana Aziz, The Two Faces of American Freedom, Cambridge, Harvard University Press, 2011, p. 24.
8Cotlar Seth, « Languages of Democracy in America from the Revolution to the Election of 1800 », in Joanna Innes et Mark Philp (dir.), Re-imagining Democracy in the Age of Revolutions: America, France, Britain, Ireland 1750-1850, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 13-27 ; Laniel Bertlinde, Le mot « démocracy » aux États-Unis de 1780 à 1856, Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, 1995 ; Dupuis-Déri Francis, Démocratie, histoire politique d’un mot aux États-Unis et en France, Montréal, Lux, 2013.
9L’expression exacte semble avoir été employée pour la première fois en 1769 par le révérend John J. Zubly de Géorgie, pour qui « en Angleterre, il ne peut y avoir de taxation sans représentation, ni de représentation sans élection ; mais il est indéniable que les représentants de la Grande-Bretagne ne sont pas élus par ou pour les Américains, et qu’ils ne peuvent donc pas les représenter ». Voir Zubly John Joachim, An Humble Enquiry into the Nature of the Dependency of the American Colonies Upon the Parliament of Great-Britain, Charleston, 1769, p. 22.
10Nelson Eric, The Royalist Revolution: Monarchy and the American Founding, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 2014, p. 2.
111714-1794. Charles Pratt, 1er Earl Camden, politicien whig, Grand Chancelier (1766-1770).
12Almon John, The Parliamentary Register; Or, History of the Proceedings and Debates of the House of Commons: Proceedings of the First Session of the Fourteenth Parliament, vol. 2/17, Londres, J. Almon, 1775, p. 86, « Some where shaped in the form of monarchy; others received the form of pure democracy. »
13Congress Late Member of the Continental, The True Merits of a Late Treatise, Printed in America, Untitled, Common Sense: Clearly Pointed Out, Londres, W. Nicoll, 1776, p. 43, « If it be a Democratical [government], possibly we may meet with some Troubles in Elections. »
14Hirschman Albert O., The Rhetoric of Reaction, Havard, Harvard University Press, 1991, p. 7.
151713-1799. Ecclésiastique gallois, auteur de nombreux ouvrages politiques et économiques.
16Tucker John, A Series of Answers to Certain Popular Objections Against Separating from the Rebellious Colonies and Discarding Them Entirely, Gloucester, R. Raikes, 1776, p. 55, « Go, and join your associates in America, and there be happy in your free and equal democratic governments. »
17Gazette of Saint Jago de la Vega, Spanish Town, 31 janvier 1782. « A long train of the most licentious and despotic abuses […] evinces a design to reduce them under anarchy and the distractions of democracy. »
18Aberdeen Press and Journal, Aberdeen, 27 juillet 1780. « Subverted a constitution for which always had, ever I retain, the most profound veneration, and subsisting instead a rank democracy, which […] has exhibited system tyrannic domination, only to be found among the uncivilized part mankind, or in the history of the dark and barbarous ages of antiquity. »
19Manchester Mercury, Manchester, 12 juillet 1782. « And to emancipate themselves and their posterity from the Shackles of an unfit Democracy, under which they have experience nothing for Years but Tyranny and Oppression. »
20Marshall Peter James, « Britain Without America – A Second Empire? », in Peter James Marshall et Alaine Low (dir.), The Oxford History of the British Empire: Volume II: The Eighteenth Century, vol. 2, Oxford, Oxford University Press, 1998.
21Bowen Huw, Mancke Elizabeth et Reid John G. (dir.), Britain’s Oceanic Empire: Atlantic and Indian Ocean Worlds, c.1550-1850, Cambridge, Cambridge University Press, 2012.
22Frederick North (1732-1792), Premier ministre de la Grande-Bretagne entre 1770 et 1782. Critiqué pour son rôle dans la crise américaine, il sera démis suite à un vote de censure des Communes.
23Debrett John, The Parliamentary Register: Proceedings of the Fourth Session of the Fifteenth Parliament, vol. 12/44, Londres, J. Debrett, 1783, p. 42.
24Debrett John, The Parliamentary Register: Proceedings of the First Session of the Seventeenth Parliament, vol. 29/44, Londres, J. Debrett, 1791, p. 71 ; Debrett John, The Parliamentary Register: Proceedings of the First Session of the Eighteenth Parliament, vol. 2/12, Londres, J. Debrett, 1797, p. 638.
251740-1807. Thomas Orde-Powlett, 1er baron Bolton, politicien d’allégeance tory. Après quelques postes ministériels mineurs, il deviendra notamment secrétaire en chef pour l’Irlande.
26Debrett, The Parliamentary Register, op. cit., p. 275.
271735-1806. Charles Lennox, 3e duc de Richmond, militaire et homme politique whig.
28Debrett John, The Parliamentary Register: Proceedings of the Fourth Session of the Fifteenth Parliament, vol. 14/44, Londres, J. Debrett, 1783, p. 93, « How improper a democratic assembly is to manage the execution of public affairs. »
29Innes Joanna, « “Reform” in English public life: the fortunes of a word », in Arthur Burns et Joanna Innes (dir.), Rethinking the Age of Reform, Britain 1780-1850, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 85.
30Certes, cette position laisse de côté le fait que l’étiquette radical peut être apposée à un adversaire politique, notamment dans le but de le discréditer. Cette stratégie est parfois présente durant cette période, mais elle reste mineure. Les qualificatifs de republican, democrat ou Jacobin sont dominants.
31Burgess Glenn, « Introduction », in Glenn Burgess et Matthew Festenstein (dir.), English Radicalism, 1550-1850, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 7-9.
32Condren Conal, « Afterword: Radicalism Revisited », in Glenn Burgess et Matthew Festenstein (dir.), English Radicalism, 1550-1850, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 320.
33Un argument récurrent de la tradition républicaine britanno étatsunienne. John Adams écrivait dès 1776 que « là où finissent les élections annuelles, commence l’esclavage ». Voir Adams John, Thoughts on Government: Applicable to the Present State of the American Colonies, Philadelphia, John Dunlap, 1776, p. 5, [https://oll.libertyfund.org/simple.php?id=2102#lf1431-04_head_014].
34Cartwright John, Take Your Choice! Representation and Respect, Imposition and Contempt; Annual Parliaments and Liberty, Long Parliaments and Slavery, Londres, J. Almon, 1776, p. 4-5, « In small communities only, suited to democratical government in its purity, have all distinctions been made in favour of merit; and in such alone hath it, therefore, been ever possible for the elevation of particular persons above the rest, to operate, in its full effect for the common weal. […] But, in larger communities, where this pure democratical or republican form of government cannot be carried into practice, it hath been found expedient to make artificial, as well as natural distinctions amongst men; and even to agree upon hereditary elevations. »
35Burgh James, Political Disquisitions; or, an Enquiry into Public Errors, Defects, and Abuses, 3 vol., Londres, Edward and Charles Dilly, 1775 ; Hulme Obadiah, An Historical Essay on the English Constitution, Londres, Edward and Charles Dilly, 1771 ; Price Richard, Observations on the Nature of Civil Liberty, the Principles of Government, and the Justice and Policy of the War with America, Londres, Edward and Charles Dilly, 1776 ; Priestley Joseph, An Essay on the First Principles of Government, Londres, J. Johnson, 1771 ; Wycliffe Thomas, On Government, Warrington, W. Eyres, 1779.
36Baer Marc, The Rise and Fall of Radical Westminster, 1780-1890, Londres, Palgrave MacMillan, 2012, p. 13.
37Tout d’abord, la Bill of Rights Society (1769-1771), fondée pour soutenir John Wilkes. Ensuite, la Yorkshire Association (1779-1783, fondée par Christopher Wyvill), qui sera imité, notamment par la plus virulente Westminster Association (dirigée par Charles J. Fox). Enfin, la Society for Constitutional Information (1780-1794, fondée par Cartwright).
38Dickinson Harry T., The Politics of the People in Eighteenth-Century Britain, Londres, Macmillan, 1994, p. 93.
39Innes Joanna, « People and Power in British Politics to 1850 », in Joanna Innes et Mark Philp (dir.), Re-imagining Democracy in the Age of Revolutions: America, France, Britain, Ireland 1750-1850, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 142.
401751-1839. Avocat, politicien et juge d’origine écossaise, MP de 1774 à 1794, puis 1806 à 1812.
41Almon John, The Parliamentary Register: Proceedings of the Sixth Session of the Fourteenth Parliament, vol. 16/17, Londres, J. Almon, 1780, p. 426, « Suppose the people were to tell us, this mixed government […] is not sufficient for our liberty, we want a democracy, that liberty may be extended. Would this House agree to their request, and alter the government of this country, because the prayers of their petitions contained such a request? »
421731-1783. Avocat, Sollicitor General de 1768 à 1770, MP de Calne de 1768 à 1782.
43Almon John, The Parliamentary Register: Proceedings of the Sixth Session of the Fourteenth Parliament, vol. 17/17, Londres, J. Almon, 1780, p. 91, « That the influence of the Crown has increased, is increasing, and ought to be diminished. »
44Ibid., p. 182, « The spirit of this constitution destroyed, the liberty of Parliament annihilated and a wild democracy controlling in every instance the wisdom of the legislature. »
45Debrett John, The Parliamentary Register: Proceedings of the Second Session of the Fifteenth Parliament, vol. 5/44, Londres, J. Debrett, 1782, p. 72, « It was because our government, was no longer what it used to be – a government lodged both in the King and his People: it was now, by means of corruption, vested only in the servants of the Crown; therefore the nature of our government, which formerly derived so much lustre from its democracy, being changed, the powers of Europe […] now scorned and reviled us. »
46Ibid., p. 74. North « destroyed the democracy of the constitution, and all was now swallowed up in the monarchy councils ».
471747-1826. Avocat, puis juge écossais, il serait MP de 1777 à 1793, avant de devenir baronet.
48Debrett John, The Parliamentary Register: Proceedings of the Third Session of the Fifteenth Parliament, vol. 9/44, Londres, J. Debrett, 1782, p. 528, « Though democracy more to be feared than regal power. »
491751-1788. Officier de la Navy, il est MP de 1775 à 1788.
50Debrett, The Parliamentary Register, op. cit., p. 528.
51Le parti de Pitt obtiendra 280 sièges (sur 558), soit un gain de 20 par rapport à 1780. Ses opposants, menés par Fox, en gagnent 155 (perte de 99).
52Kentish Gazette, Canterbury, 27 mars 1784. « It the business of every Englishman guard the Constitution against the insults […] of a proud Democracy, against the usurpation of tyrant Kings; and against the attempts an assuming Aristocracy. »
53Caledonian Mercury, Édimbourg, 7 juin 1784. « This an independent House of Commons actually performed in the last century: murdered the King, annihilated the Peers, and established the worst kind of democracy that ever existed. »
54Debrett John, The Parliamentary Register: Proceedings of the First Session of the Sixteenth Parliament, vol. 15/44, Londres, J. Debrett, 1784, p. 196-197, « [to] check the influence of the Crown and the influence of the Aristocracy, and to give more influence to the democracy ». En fait leurs efforts mèneront à « lessen the power and the influence of the democracy and increase the power of the Crown and the aristocracy ».
55Evans Eric J., Parliamentary Reform in Britain, c. 1770-1918, Londres, Routledge, 1999, p. 120.
56Debrett John, The Parliamentary Register: Proceedings of the Second Session of the Sixteenth Parliament, vol. 18/44, Londres, J. Debrett, 1785, p. 74, « Democracy and aristocracy were always in a state of gradual improvement. »
571749-1815. Propriétaire de plantations, MP (1784-1807), puis gouverneur de Tobago (1807-1815).
58Debrett, The Parliamentary Register, op. cit., p. 80, « The momentum of the democracy, whether acting by the body of the people, or by a representation unqualified and adapted purely to popular ideas, must quickly bear down one or both of the other branches of government. »
59Fondée en 1788 et nommée en référence à la Glorious Revolution de 1688, qu’elle commémore.
601723-1791. Pasteur, mathématicien, philosophe et réformiste important d’origine galloise.
61Ash John, The New and Complete Dictionary of the English Language, Londres, Vernon & Hood, 1775, p. 269 ; Sheridan Thomas, A General Dictionary of the English Language, Londres, J. Dodsley, 1780, p. 289 ; Entick John, The New Spelling Dictionary, Londres, C. Dilly, 1783.
621737-1794. Historien britannique notoire, mais aussi MP whig de 1774 à 1784.
63Gibbon Edward, The History of the Decline and Fall of the Roman Empire, Londres, W. Strahan et T. Cadell, 1783, p. 54, « Under a democratical government, the citizens exercise the powers of sovereignty; and those powers will be first abused, and afterwards lost, if they are committed to an unwieldy multitude. »
64Tucker John, A Treatise Concerning Civil Government in Three Parts, Londres, T. Cadell, 1781, p. 214, « A Democracy literally such, unmixt with any other Form: Where therefore all the adult Males (and why the adult Females should be excluded, is impossible to say) are supposed to assemble together, whenever they will, in order to deliberate and vote on all public Affairs, to change and alter, to pull down, and build up, without Controul, and as often as they please. »
65Ibid., p. 216-217.
66Ibid., p. 240. « The voter or elector, by giving his vote, makes himself an actual Contractor; and every non-voter, whether male or female, young or old, by living peaceably and securely amongst us, and enjoying the protection of the State, is a Quasi-Contractor. »
67Ibid., « By means of that Quasi-Contract, which always subsists between the Governing powers of a State, and the whole Body of the People, and every Individual thereof; the evils of democratical anarchy and confusion are prevented, and Government itself is rendered a useful, practicable Thing, instead of being either a visionary scheme, or an engine of the blind fury of a mad populace. »
68Théologien (1743-1805), surtout reconnu pour son ouvrage Natural Theology or Evidences of the Existence and Attributes of the Deity (1802), qui a influencé Charles Darwin.
69O’Flaherty Niall, Utilitarianism in the Age of Enlightenment: The Moral and Political Thought of William Paley, Cambridge, Cambridge University Press, 2018, p. 1.
70Paley William, The Principles of Moral and Political Philosophy, Indianapolis, Liberty Fund, 2002, p. 254, « A republic, or democracy, where the people at large, either collectively or by representation, constitute the legislature. »
71Ibid., p. 258, « In a democratic constitution the mechanism is too complicated, and the motions too slow, for the operations of a great empire. »
72MacFarquhar Colin et Gleig George (dir.), The Encyclopaedia Britannica: or, A Dictionary of Arts, Sciences, and Miscellaneous Literature, vol. 5/18, Édimbourg, 1797 (3e éd.), p. 749, « A popular government, wherein the supreme power is lodged in the hands of the people: such were Rome and Athens of old. »
73MacFarquhar Colin et Gleig George (dir.), The Encyclopaedia Britannica: or, A Dictionary of Arts, Sciences, and Miscellaneous Literature, vol. 9/18, Édimbourg, 1797 (3e éd.), p. 608. Nous soulignons : « when the sovereign power is lodged in an aggregate assembly consisting of all the members of the community which is called a democracy ». Or, dans le cas britannique, on considère que les Commons sont « freely choosen by the people from among themselves, which makes it a kind of democracy ».
74MacFarquhar Colin et Gleig George (dir.), The Encyclopaedia Britannica: or, A Dictionary of Arts, Sciences, and Miscellaneous Literature, vol. 16/18, Édimbourg, 1797 (3e éd.), p. 159, 166 et 199.
75Manin Bernard, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, 2012 (1995) [4e éd.] ; Monnier Raymonde, « Démocratie et Révolution française », Mots, 59(1), 1999, p. 47-68 ; Monnier Raymonde, « “Démocratie représentative” ou “république démocratique” : de la querelle des mots (République) à la querelle des anciens et des modernes », Annales historiques de la Révolution française, no 325, 1er septembre 2001, p. 1-21, [https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ahrf.430].
76Jones Emily, Edmund Burke and the Invention of Modern Conservatism, 1830-1914: A British Intellectual History, Oxford, Oxford University Press, 2017.
77Andrews Stuart, The British Periodical Press and the French Revolution, 1789-99, Basingstoke, Palgrave, 2000, p. 27.
78Claeys Gregory, Thomas Paine: Social and Political Thought, Boston, Unwin Hyman, 1989, p. 3.
79Andrews, The British Periodical Press and the French Revolution, op. cit., p. 27.
80On retrouve une première itération des thèses de Burke sur la Révolution française à l’occasion d’un débat parlementaire en février 1790 sur la question du financement des armées, où il s’attaque aux révolutionnaires français et s’oppose à ceux qui souhaiteraient suivre l’exemple d’une « démocratie irrationnelle, sans principes, profane, confiscatoire, pilleuse, féroce, sanglante et tyrannique ». Voir Burke Edmund, Substance of the Speech of the Right Honourable Edmund Burke, in the Debate on the Army Estimates, Londres, J. Debrett, 1790, p. 12.
81Burke Edmund, Reflections on the Revolution in France, Londres, J. Dodsley, 1790, p. 185. France « affects to be a pure democracy, though I think it in a direct train of becoming shortly a mischievous and ignoble oligarchy ».
82Ibid., p. 187.
83Ibid., p. 136. Il veut « to keep an established church, an established monarchy, an established aristocracy, and an established democracy, each in the degree it exists, and in no greater ».
84Bourke Richard, « Popular sovereignty and political representation », in Richard Bourke et Quentin Skinner (dir.), Popular Sovereignty in Historical Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 2016, p. 212-235.
851759-1797. Autrice et philosophe britannique, elle est l’une des premières à revendiquer une égalité civique et politique entre les genres.
86Wollstonecraft Mary, A Vindication of the Rights of Woman, Cambridge, Cambridge University Press, 1995 ; Wollstonecraft Mary, A Vindication of the Rights of Men, Cambridge, Cambridge University Press, 1995.
871764-1834. Auteur et poète britannique, il est l’une des figures réformistes majeures de la période.
881752-1821. Prêtre anglican, critique de la guerre avec la France, car menant selon lui au despotisme.
89Macaulay Catharine, Observations on the Reflections of the Right Hon. Edmund Burke, on the Revolution in France, Londres, C. Dilly, 1790 ; Knox Vicesimus, The Spirit of Despotism, Londres, 1795 ; Priestley Joseph, Letters to the Right Honourable Edmund Burke: Occasioned by His Reflections on the Revolution in France, Birgmingham, T. Pearson, 1791 ; Thelwall John, The Rights of Nature, Against the Usurpations of Establishments, Londres, H. D. Symonds, 1796.
901756-1836. Auteur et philosophe britannique. Il est surtout connu pour son Enquiry Concerning Political Justice (1793) et l’un des précurseur tant de l’utilitarisme que de l’anarchisme.
91Bannet Eve Tavor, « History of Reading: The long Eighteenth Century », Literature Compass, 10(2), 1er février 2013, p. 122-133, [https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1111/lic3.12026].
92Stedman Jones Gareth, Languages of Class: Studies in English Working Class History 1832-1982, Cambridge, Cambridge University Press, 1983.
93Paine Thomas, Rights of man: being an answer to Mr. Burke’s attack on the French revolution, Londres, J. S. Jordan, 1791 (2e éd.), p. 161.
941748-1836. Homme politique et essayiste français, partisan du gouvernement représentatif.
95Paine Thomas, Rights of man. Part the second. Combining principle and practice, Londres, J. S. Jordan, 1792, p. 28.
96Ibid., p. 31.
97Philp Mark, « English Republicanism in the 1790s », Journal of Political Philosophy, 6(3), 1998, p. 245, [https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1111/1467-9760.00054].
98Paine, Rights of man. Part the second, op. cit., p. 28, « Representation was a thing unknown in the ancient democracies. In those the mass of the people met and enacted laws […] in the first person. Simple democracy was no other than the common-hall of the ancients. »
99Ibid., p. 33, « Simple democracy was society governing itself without the aid of secondary means. By ingrafting representation upon democracy, we arrive at a system of government capable of embracing and confederating all the various interests and every extent of territory and population and that also with advantages as much superior to hereditary government. »
100Ibid., p. 34, « It is preferable to simple democracy even in small territories. »
1011766-1851. Auteur et géologue, il écrit une utopie intitulée Memoirs of Planetes (1795).
102Northmore Thomas, Memoirs of Planetes: Or, a Sketch of the Laws and Manners of Makar, Londres, V. Griffiths, 1795, p. 93.
103Paine Thomas, Dissertation on First Principles of Government, Paris, English Press, 1795, p. 26.
104Hobson Christopher, « Revolution, Representation and the Foundations of Modern Democracy », European Journal of Political Theory, 7(4), octobre 2008, p. 449-471. Cette perspective semble plutôt relever de « la religion de la première occurrence », selon l’expression de Stéphane Dufoix, qui se focalise trop sur la première apparition d’un mot ou d’une expression sans s’intéresser à sa réception et continuation. Dufoix Stéphane, The Dispersion: A History of the Word Diaspora, Leyde, Brill, 2016, p. 15.
105McCann Andrew, « Enquiry Concerning Political Justice and its Influence on Modern Morals and Manners », The Literary Encyclopedia, janvier 2001, [https://0-www-litencyc-com.catalogue.libraries.london.ac.uk/php/sworks.php?rec=true&UID=5358], consulté le 6 février 2018.
106Godwin William, An Enquiry Concerning Political Justice, and Its Influence on General Virtue and Happiness, vol. 2/2, Londres, G. G. J. and J. Robinson, 1793, p. 58, « A system of government according to which every member of society is considered as a man and nothing more. […] Every man is regarded as equal. »
107Ibid., p. 60.
108Ibid., p. 61, « Democracy would in that society cease from the turbulence, instability, fickleness and violence that have too often characterised it. »
109Ibid., « By this happy expedient [representation] we secure many of the pretended benefits of aristocracy, as well as the real benefits of democracy. The discussion of national affairs is brought before persons of superior education and wisdom: we may conceive of them, not only as the appointed medium of the sentiments of their constituents, but as authorised upon certain occasions to act on their part […]. »
110Ibid., p. 99. Les assemblées nationales ne devraient « either never be elected but upon extraordinary emergencies […] or else sit periodically, one day for example in a year, with a power of continuing their sessions within a certain limit ».
111Ibid., p. 100, « All the objections which have been most loudly reiterated against democracy, become null. »
112Claeys Gregory, « William Godwin’s critique of democracy and republicanism and its sources », History of European Ideas, 7(3), 1er janvier 1986, p. 253-269, [https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1016/0191-6599(83)90057-8].
113Hampsher-Monk Iain, « The historical study of “democracy” », in Graeme Duncan (dir.), Democratic Theory and Practice, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 33.
114Godwin, An Enquiry concerning Political Justice, op. cit., p. 60, « Democracy restores to man a consciousness of his value, teaches him by the removal of authority and oppression to listen only to the dictates of reason, gives him confidence to treat all other men as his fellow beings, and induces him to regard them no longer as enemies against whom to be upon his guard, but as brethren whom it becomes him to assist. »
115Bourke, « Popular sovereignty and political representation », art. cité, p. 214.
116Sieyès Emmanuel-Joseph, Dire de l’abbé Sieyès, sur la question du Veto royal, à la séance du 7 septembre 1789, Versailles, Baudouin/Imprimeur de l’Assemblée nationale, 1789 ; Sieyès Emmanuel-Joseph, Quelques idées de constitution applicables à la ville de Paris, Paris, Baudouin/Imprimeur de l’Assemblée nationale, 1789, [https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k416898], consulté le 3 octobre 2018.
117Oswald John, Le gouvernement du peuple, ou Plan de constitution pour la république universelle, Paris, Imprimerie des révolutions de Paris, 1793. John Oswald (1760-1793) est également l’auteur d’une critique de la constitution britannique dans laquelle il affirme que le régime idéal est « ce qui réunit en une seule une démocratie pure, une aristocratie pure et une monarchie pure ». Review of the Constitution of Great Britain, Londres, 1793 (3e éd.), p. 60. Voir Plassart Anna, « A Scottish Jacobin: John Oswald on Commerce and Citizenship », Journal of the History of Ideas, 71(2), 2010, p. 263-286.
118Shapiro Ian, Stokes Susan C., Wood Elisabeth Jean et al. (dir.), Political Representation, Cambridge, Cambridge University Press, 2009 ; Sintomer Yves, « Les sens de la représentation politique : usages et mésusages d’une notion », Raisons politiques, no 50, 27 juin 2013, p. 13-34, [https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/rai.050.0013].
119Si Burke ne considère pas nécessairement l’ensemble du régime mixte britannique comme représentatif, il n’en reste pas moins qu’il considère que les Commons sont un élément représentatif. Dans les Reflections, il avance qu’une des grandes victoires des révolutionnaires de 1688 fut d’obtenir « les fréquentes réunions du Parlement, grâce auxquelles l’ensemble du gouvernement serait sous l’inspection constante et le contrôle actif du représentant populaire et des magnats du royaume » (p. 39). Discutant par la suite du cas français, il affirme que l’arbitraire est une caractéristique de toute « monarchie non soumise à l’inspection constante d’un représentant populaire » (p. 188).
120Burke, Reflections on the Revolution in France, op. cit., p. 39.
121Davis Michael T., « “Reformers No Rioters”: British Radicalism and Mob Identity in the 1790s », in Davis Michael T. (dir.), Crowd Actions in Britain and France from the Middle Ages to the Modern World, Londres, Palgrave Macmillan, 2015, p. 154, [https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1057/9781137316516_9].
122Northmore, Memoirs of Planetes, op. cit., p. 128, « I shall be branded with the titles of visionary, and theorist, a disturber of the public peace, a jacobin, a democrat, and I know not whatnut. »
123Stamford Mercury, Stamford, 20 septembre 1793 ; Oxford Journal, Oxford, 21 septembre 1793 ; Northampton Mercury, Northampton, 21 septembre 1793 ; Oxford Journal, Oxford, 5 octobre 1793.
124Oxford Journal, Oxford, 23 juillet 1791, « About the Base of the Statue of Louis XVI the Democrats have inscribed these Words: – “First and last King of the French”. »
125Northampton Mercury, Northampton, 18 octobre 1794, « It is much to be lamented, that many of the regular governments have employed less energy, less activity, and fewer resources, to maintain the rights of nations, than the French Democrats do to disorganize the world. »
126Chester Courant, Chester, 19 avril 1796, « A war, which, as it was provoked, is to be continued, by the insolence, ambition, and thirst of conquest displayed by the French democrats who began their bloody career by crying out those crimes in Monarchs. »
127Leeds Intelligencer, Leeds, 30 juillet 1792, « The Democrats of this country have lately lowered their tone. […] They perceive that the spirit of the country is against them. The more moderate part confine themselves, or pretend to do so, to a reform in Parliament. »
1281763-1835. Pamphlétaire, réformiste notoire à partir du xixe siècle, il attaque les sinécures royales et toute la « Old Corruption ». Suite au Reform Act de 1832, il sera brièvement MP.
129Thompson Edward Palmer, The Making of the English Working Class, New York, Vintage Books, 1967.
1301758-1803. Auteur et journaliste britannique, il fuit aux États-Unis suite à ses prises de positions politiques.
131Callender James Thomson, The Political Progress of Britain, Philadelphia, J. T. Callender, 1795 (3e éd.).
132Porcupine Peter, A Bone to Gnaw, for the Democrats, Londres, J. Wright, 1797 (2e éd.), p. 149, « Upon a view of the horrible revolution that at present agitates the world, we perceive that, though the grand object of the democrats has been everywhere the same, yet their pretended motives have varied with their situation. »
133Ibid., p. 74-75, « The Democrats, in their rage for equality, may one day attempt to reduce them [the ladies] to a level with their fable “property”. »
1341745-1833. Philanthrope et auteure britannique, elle s’oppose notamment à la traite esclavagiste.
135Stott Anne, Hannah More: The First Victorian, Oxford, Oxford University Press, 2003.
136More Hannah, Village Politics: Addressed to All the Mechanics, Journeymen, and Day Labourers, in Great Britain, Manchester, J. Harrop, 1793, p. 13, « And what dost thou take a Democrat to be? », ce à quoi un autre répond : « One who likes to be governed by a thousand tyrants, and yet can’t bear a king. »
137Goodrich Amanda, Debating England’s Aristocracy in the 1790s: Pamphlets, Polemics, and Political Ideas, Woodbridge, Boydell & Brewer Ltd, 2005.
138Mort en 1795, éditeur, auteur et libertin.
139Pigott Charles, A Political Dictionary, Londres, D.I. Eaton, 1795, p. 14, « One who maintain: the rights of the people; an enemy to privileged orders, and all monarchical encroachments, the advocate of peace, economy, and reform. »
140Eaton Daniel Isaac, Politics for the People; or, a Salmagundy for Swine, vol. 2/2, Londres, Printed for D. I. Eaton, 1794, p. 381, « Who, a century past, would, have believed that a commoner of Great Britain would have been reviled and abused for acknowledging himself a democrat? »
141Philp Mark, « Talking about Democracy: Britain in the 1790s », in Re-imagining Democracy in the Age of Revolutions: America, France, Britain, Ireland 1750-1850, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 109-110.
142Ibid., p. 11.
143Sur la LCS, voir le classique de Thompson, The Making of the English Working Class, op. cit.
144Thelwall John, The Tribune: A Periodical Publication, Consisting Chiefly of the Political Lectures of J. Thelwall, vol. 2/3, Londres, Printed for the author, 1795, p. 210, « This representative democracy is the real essence of what was formerly, theoretically, called aristocracy. »
145Ibid., p. 213, « The constitution of Great Britain may be properly defined a democracy, admitting some mixture of aristocracy in its legislature, and adopting an hereditary Chief Magistrate, to be responsible for the execution of the laws, and who is called the King. »
146Thelwall John, The Tribune: A Periodical Publication, Consisting Chiefly of the Political Lectures of J. Thelwall, vol. 1/3, Londres, Printed for the author, 1795, p. 217-218, « I have a right to conclude, that democracy is of right, the basis of our government; and that we ought to consider the government of this country, as a representative democracy; admitting at the same time, the check and controul of an hereditary aristocracy, called a House of Lords, and vesting the executive government in a person whom we call, not a Monarch, but a King. »
1471750-1814. Figure importante du réformiste britannique, auteur et membre de la LCS.
148Spence Thomas, The Real Rights of Man, Londres, 1795 (2e éd.).
149Spence Thomas, The Rights of Infants, Londres, Printed for the author, 1797, p. 12-15. Pour Paine « the government may be either absolute monarchy, aristocracy, democracy, or mixed », alors que Spence se voit comme le seul à avancer que « the government must of necessity be democratic ».
150Spence Thomas, The Political Works of Thomas Spence, Newcastle Upon Tyme, Avero Publications, 1982 ; Linebaugh et Rediker, The Many-Headed Hydra, op. cit., p. 294.
151Spence Thomas, The End of Oppression, Londres, Printed for the author, 1795.
152Dans un ouvrage qui fait une recension des écrits britanniques de 1798, David Rivers liste les auteurs suivants comme democrats : James Edward Hamilton, Peter Labillière, James Maitland, Arthur O’Connor, Thomas Paine, John Thelwall, George Walker, David Williams et Helen Maria Williams. Comme mentionné, seuls Paine et Thelwall peuvent être considérés comme utilisant le terme plus que d’une manière anecdotique. Voir Rivers David, Literary Memoirs of Living Authors of Great Britain, vol. 1/2, Londres, R. Faulder, 1798.
153Cité par Philp, « Talking about Democracy », art. cité, p. 109, « A Democrat, a Democrat, a damned Democrat. Out with the Democrat – no Democrats. »
154Hodgson E., The Genuine Trial of Thomas Paine: For a Libel Contained in the Second Part of Rights of Man, Londres, J. S. Jordan, 1792, p. 6 ; Gurney Joseph, The Whole Proceedings on the Trial of an Information Exhibited Ex Officio by the King’s Attorney-General Against Thomas Paine, Londres, M. Gurney, 1793, p. 50, « That worst of all governments: unbalanced democracy, which is necessarily connected with democratical tyranny. »
155Anon., The Trial of Thomas Paine: For a Libel, Contained in the Second Part of Rights of Man, Londres, C. & G. Kearsley, 1792, p. 4-5, « But not a word was said about the Democratic part of our Constitution. It was well known that England had a powerful Democracy; but not a word of that, because it would not make the lower classes of the people discontented. »
1561752-1832. Figure réformiste notoire, il est fondateur, secrétaire et trésorier de la LCS.
1571736-1812. Réformiste britannique, emprisonné pour son soutien à l’indépendance étatsunienne.
158Gurney Joseph, The Trial of John Horne Tooke for High Treason, vol. 1/2, Londres, M. Gurney, 1795, p. 402. Souligné dans l’original. « It is only desired to know whether the generality of the Societies mean to rest satisfied with the Duke of Richmond’s plan only1; OR WHETHER IT IS THEIR PRIVATE DESIGN TO RIP UP MONARCHY BY THE ROOTS, AND PLACE DEMOCRACY IN ITS STEAD. » Le texte est extrait d’une lettre de la Society for Political Information de Norwich adressée à la LCS, mais soumis comme preuve par l’accusation. Voir Mee Jon, Print, Publicity, and Popular Radicalism in the 1790s: The Laurel of Liberty, Cambridge, Cambridge University Press, 2016, p. 90.
159Oxford Journal, Oxford, 8 novembre 1794, « The intent of the present Society might be gathered from the language of one of the Members, by letter, stating “that they would rip up Monarchy by the roots, and place Democracy in its stead.” This was conspiring against Monarchy and Aristocracy. »
160Gurney Joseph, The Trial of Thomas Hardy for High Treason, vol. 1/4, Londres, M. Gurney, 1794, p. 142, « That the supposed democracy of the country has become a matter of property and privilege. »
161Gurney, The Trial of John Horne Tooke, op. cit., p. 464, « T: Did you ever hear me praise a pure democracy? C: Quite the contrary. T: Have you ever heard me contest those who did? C: Frequently. »
162Connolly Sean J., Divided Kingdom: Ireland 1630-1800, Oxford, Oxford University Press, 2008, p. 440.
163Gillen Ultán, « Constructing Democratic Thought in Ireland in the Age of Revolution, 1775-1800 », in Joanna Innes et Mark Philp (dir.), Re-imagining Democracy in the Age of Revolutions: America, France, Britain, Ireland 1750-1850, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 149-161.
164Manchester Mercury, Manchester, 18 septembre 1798, « Q. What was the reform originally required by United Irishmen? A. A democratic House of Common, they thought one aristocratic body in the state sufficient. »
165Porcupine, A Bone to Gnaw, op. cit., p. 108, « By an equal partition of rights, there is not the least doubt that the United Irishmen meant an equal partition of property. »
1661741-1820. Thomas Dundas, MP dans les Communes de 1763 à 1794, il se rallie alors à Pitt et obtient un titre.
167Debrett John, The Parliamentary Register: Proceedings of the Third Session of the Eighteenth Parliament, vol. 7/12, Londres, J. Debrett, 1798, p. 709, « If there be a sufficiency of the aristocracy and a sufficiency of the democracy of the different countries. »
1681751-1814. Gilbert Elliott, MP de 1776 à 1795, il sera notamment gouverneur général de l’Inde (1807-1813).
169Debrett John, The Parliamentary Register: Proceedings of the Third Session of the Eighteenth Parliament, vol. 8/12, Londres, J. Debrett, 1799, p. 391, « An Irish democratic republic, or rather anarchy, must be the first and instant consequence of our separation. »
1701759-1834. William Wyndham Grenville, élu MP en 1782, il obtient plusieurs postes ministériels sous Pitt.
171Debrett, The Parliamentary Register, op. cit., p. 272, « Implied in its very statement an inconsistency and contradiction. The Sovereign of the People did not exist, even in the purest Democracy, for in the purest Democracy there has always existed a medium or a channel by which the Sovereignty of the whole was exercised. »
172Ihalainen Pasi, Agents of the People: Democracy and Popular Sovereignty in British and Swedish Parliamentary and Public Debates 1734-1800, Leyde, Brill, 2010, p. 457-470.
1731754-1826. Militaire et politicien anglo-irlandais, il sera gouverneur général de 1813 à 1826.
174Debrett, The Parliamentary Register, op. cit., p. 303-304. Nous soulignons. « The misconstruction of that phrase had already done great mischiefs in this country, by aiding those whose object it was to confound the maintenance of constitutional principles with the support of Jacobinical tenets. That scandalous artifice had been too successfully employed: for Democrat was now become, in this country, as savage a war-whoop against any opponent as ever Aristocrat had been in France […]. He was astonished that nobody had fixed the meaning of the phrase, by appealing to the distinction […] between People and Populace. When the Sovereignty of the People is asserted, it stands simply in denial of the bestial doctrine of divine right. It maintains, that the welfare of the people or nation at large, and not the interest of a single individual, is the object of Government. […] The supremacy of the populace was a notion that never could enter into the conception of any man in his senses. No one had ever advanced in any time or any country a proposition so self-evidently absurd as that the uninformed ought to rule the enlightened part of the community. »
175Ihalainen, Agents of the People, op. cit., p. 469.
176Green Georgina, Majesty of the People : Popular Sovereignty and the Role of the Writer in the 1790s, Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 71-72.
177Hay William Anthony, The Whig Revival, 1808-1830, New York, Springer, 2004.
1781771-1847. Homme d’église, philanthrope, il est directeur de la Critical Review de 1804 à 1811.
179Fellowes Robert, An Address to the People, on the Present Relative Situations of England and France: With Reflections on the Genius of Democracy, Londres, F. & C. Rivington, 1799, p. 24, « All government is a power in trust; and that the only valid title deed of its right is the will of the people. »
180Ibid., p. 43, « Universal suffrage means mob-suffrage. »
1811759-1805. Écrivain, auteur d’une biographie d’Edmund Burke en 1798.
182Bisset Robert, « The Rise, Progress, and Effects of Jacobinism [II] », The Anti-Jacobin Review and Magazine, août 1798, p. 223, « Whoever is the enemy of Christianity, and natural religion, of monarchy, of order, subordination, property, and justice, I call a Jacobin. »
183Bisset Robert, Sketch of Democracy, Londres, J. Smeeton, 1796, p. xxiv, « I shall […] attempt to show, that when solely or even principally prevalent, [democracy] is not fitted to render man happy. »
184Ibid., p. 2, « That government is the best, which permits the most complete operation of the general will. »
185Ibid., p. 20.
186Ibid., p. 350. Souligné dans l’original. « Our Parliament has an identity of interests with us. »
187Ibid., p. 352, « Every true Patriot is a lover of the Constitution and of the King. »
1881757-1820. Philosophe français aussi connu comme historien, abolitionniste et orientaliste.
1891743-1826. Homme politique étatsunien, « Père fondateur » et président de 1801 à 1809.
190Cook Alexander James, « Reading revolution: towards a history of the Volney vogue in England », in Christophe Charle, Julien Vincent et Jay Winter (dir.), Anglo-French Attitudes: Comparison and transfers between English and French intellectuals since the eighteenth century, Manchester, Manchester University Press, 2007, p. 130.
191Volney Constantin-François, Les ruines, ou Méditation sur les révolutions des empires, Paris, Desenne, Volland, Plassan, 1791, p. 342-343 (texte original). Version anglaise dans The Ruins, or, a Survey of the Revolutions of Empires, Londres, J. Johnson, 1796 (3e éd.), p. 337 : « It is remarkable, that this has in all instances been the constant progress of societies: beginning with a state of anarchy or democracy […] they have passed to aristocracy, and from aristocracy to monarchy. Does it not hence follow, that those who constitute states under the democratic form, define them to undergo all the intervening troubles between that and monarchy; and that the supreme administration by a single chief is the most natural government, as well as that best calculated for peace. »
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