Chapitre IV. Franc-maçonnerie et histoire interculturelle : les enseignements du laboratoire saxon
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1S’ils étudient avec précision la participation des francs-maçons à l’éclosion et la maturation de « l’espace public », les historiens de la sociabilité en délaissent souvent et paradoxalement les enjeux spatiaux1. La question est pourtant essentielle car le projet maçonnique consiste précisément en la construction d’un espace harmonieux, lieu d’échange et de communication réglés, le sanctuaire de la loge, mais aussi le cosmos maçonnique, la République universelle des francs-maçons, identifiée à l’Europe et à ses prolongements coloniaux2. Nous voudrions l’aborder ici à la lumière du dossier saxon. En raison du succès même de l’ordre et de son extension géographique – les trois cents loges allemandes comptent environ 18 000 membres au milieu des années 1780, les francs-maçons ont dû très tôt réfléchir à l’espace et à ses enjeux : Comment l’appréhender et le représenter alors même qu’il s’épanouit dans l’Allemagne profane mais relève d’une autre sphère, celle du sacré, de l’initiation partagée ? Comment y circuler librement et se faire reconnaître de ses frères ? Quels protocoles de reconnaissance communs adopter ? Comment intégrer à la fois la mosaïque territoriale de l’Allemagne et l’existence d’un espace germanique qui la transcende ? Sur quelle base, dans ces conditions, mettre sur pied les instances de contrôle et les procédures d’apaisement ? Comment articuler le territoire identifié de la microsociété qu’est la loge et l’univers en expansion qu’est le cosmos maçonnique ?
2La mise au point d’une stratégie réticulaire et sociale constitue une première réponse à ces enjeux. Les francs-maçons ont ouvert à partir de la fin des années 1730, sans aucune planification préalable ni stratégie coordonnée, comme on l’a vu avec le frère Sturtz, un immense chantier : la couverture et le maillage de l’espace germanique par des réseaux de correspondance institutionnels et particuliers, d’affinités, de fondations – les mères loges adoptant une stratégie succursaliste ou accordant des patentes à des ateliers qui prennent rapidement distance et autonomie. Par-delà l’horizon utopique d’une koînè maçonnique, les francs-maçons cherchent à fluidifier les échanges, et à dépasser l’obstacle linguistique – les premières loges allemandes travaillent en français, ce qui est un atout dans une perspective européenne, mais pose le problème de l’élargissement et du renouvellement du recrutement local.
3La Saxe électorale constitue un observatoire privilégié, mais totalement méconnu des historiens français de la Franc-maçonnerie à l’exception notable de Gérard Gayot qui étudie les marchands huguenots et lyonnais de Leipzig3, de cette stratégie réticulaire d’appropriation de l’espace et de production d’un territoire. Elle offre également avec Leipzig l’opportunité d’approfondir et de vérifier la thèse soutenue dans L’Europe des francs-maçons du rôle déterminant de la nébuleuse huguenote dans la mise en œuvre de cette stratégie à l’échelle de l’Europe tout entière. La découverte inespérée au musée du Grand Orient de France du livre d’architecture des loges de Dresde pour les années 1741-1745 permet de mieux comprendre le fonctionnement de la Maçonnerie de cour4, et de mettre en évidence la naissance dans le laboratoire saxon d’un modèle maçonnique aristocratique, relayé à travers l’Europe par la réforme templière.
4Au début des années 1760, la Stricte Observance Templière, promise à un succès fulgurant dans tout l’espace germanique et au-delà, prolonge et dépasse cette stratégie sociale et réticulaire. Les princes régnants et leurs familles ne se contentent plus de tenir le maillet de leur loge de cour, ils investissent le nouveau modèle templier et prennent le contrôle de la réforme. Émergent alors des puissances maçonniques régionales – provinces et préfectures templières – revendiquant un territoire, qu’elles soumettent – au moyen de la rectification5 – bornent et hiérarchisent, et dont elles défendent les frontières contre les intrus qui voudraient y constituer des ateliers. Ambitions maçonniques, personnelles et stratégiques convergent ici, justifiant une approche géopolitique de la Franc-maçonnerie6.
5L’autre raison du choix de la Saxe, c’est la lecture du livre passionnant de Michel Espagne, Le creuset allemand. Une histoire interculturelle de la Saxe xviiie-xixe siècles publié en 20007. À quelques rares mentions près, les francs-maçons en sont absents, alors même que leur étude aurait pu étayer la thèse de l’auteur à chacun de ses chapitres, du xviiie siècle qui nous intéressera ici jusqu’à la fin du xixe siècle, puisque ce sont les loges de Leipzig qui prennent en charge l’organisation de la campagne en vue de l’érection du mémorial commémoratif de la bataille des Nations, inauguré par Guillaume II en octobre 1913 en présence de tous les grands maîtres allemands et de plus de six cents francs-maçons venus ès qualités8. De même, la Franc-maçonnerie n’est pas prise en considération par Katharina Middell dans son beau travail sur Huguenotten in Leipzig9, alors même que l’auteur bâtit son enquête sur l’étude des Dufour et Feronce pionniers de l’ordre maçonnique à Leipzig. Elle mobilise un remarquable gisement d’archives familiales, mais n’en extrait pas les ego-documents qui éclairent l’engagement maçonnique individuel, la perception de l’espace maçonnique allemand et européen qu’ont ces négociants aux différents âges de la vie, lors des voyages de formation négociante, ou lors des déplacements effectués à l’âge adulte par le chef de maison. À travers le laboratoire saxon, nous voudrions à nouveau convaincre qu’une histoire sociale et culturelle – et a fortiori « interculturelle » comme le revendique Michel Espagne qui voit dans le creuset saxon le paradigme du transfert culturel10 – de l’espace européen des Lumières ne peut faire l’économie du fait maçonnique.
6Ce chapitre n’aurait pu être écrit sans le soutien enthousiaste d’Otto Werner Forster archiviste de la loge Minerva zu den drei Palmen (Minerve aux trois Palmes) de Leipzig, qui m’a accordé libéralement accès aux archives de sa loge, dont les fondateurs en 1741 se nommaient Pierre Jacques Dufour, Marc Antoine Dufour, Pierre Feronce. La plupart de ces archives, comme les écrits personnels des familles Dufour et Feronce conservés aux Archives de la ville de Leipzig sont en français, preuve que la langue ne doit pas servir d’alibi à un repli frileux sur un cadre national – souvent combiné avec le genre monographique –, qui ne correspond qu’imparfaitement, malgré les prétentions de la Grande Loge puis du Grand Orient de France, aux réalités maçonniques du xviiie siècle. Il est donc temps de changer d’échelle et de jouer des échelles d’observation entre le local et l’européen, voire l’horizon utopique, ce que les sources maçonniques et les outils d’analyse à notre disposition permettent.
Dresde : de la Hofloge à la diffusion européenne d’un modèle maçonnique aristocratique
Une Maçonnerie de cour brillante
7Dresde et Leipzig polarisent sans surprise l’espace maçonnique en Saxe électorale. Dresde bénéficie d’une implantation maçonnique précoce, puisque Friedrich August Graf von Rutowsky (1702-1764) fonde dès 1738 la loge « française » Aux Trois Aigles (Zu den drei Adlern). Rappelons que la première loge maçonnique attestée en Allemagne, Absalom zu den drei Nesseln (Absalom aux trois orties), a été officiellement fondée le 6 décembre 1737. Il s’agit donc des premières formes de vie maçonnique organisée sur des bases institutionnelles, avec statuts et règlement, ce qui suppose l’existence antérieure et parallèle d’une sociabilité maçonnique informelle ou en cours de formalisation (noyaux maçonniques, initiations individuelles). Aux Trois Aigles est une Hofloge, une loge de cour, à l’instar de la Kronprinzenloge que préside Frédéric de Prusse au château de Rheinsberg en novembre 173911. En effet, fils naturel d’Auguste le Fort Électeur de Saxe et roi de Pologne12, le comte Rutowsky a été initié en France. En Allemagne, la diffusion de l’ordre emprunte non seulement le canal du grand négoce avec Hambourg, ou celui des armées en campagne, mais également celui de la « société des princes » en donnant naissance à une Maçonnerie de cour qui rayonne dans tout l’espace germanique13.
8La présence de diplomates, de nombreux intermédiaires culturels et artistiques, ainsi que de nobles étrangers au service civil et militaire de l’Électeur permet à Dresde d’alimenter son vivier maçonnique, et de s’affirmer comme un orient maçonnique cosmopolite, un des centres majeurs de la République universelle des francs-maçons. Dès 1738, les effectifs sont suffisants pour constituer à partir des Trois Aigles, une deuxième loge, Aux Trois Glaives d’or. Le 5 février 1741, une troisième loge est fondée, Aux Trois Cygnes14. Le dispositif maçonnique saxon s’étoffe rapidement avec des fondations de loges à Altenburg (Aux Trois Planches à tracer), Sachsenfeld, Nossen (Aux Trois Equerres) et Naumburg (Aux Trois Marteaux).
9Le registre des procès-verbaux de la loge des Trois Cygnes réunie à la loge des Trois Glaives d’or permet d’éclairer les premières années de la Franc-maçonnerie en Saxe électorale. Les Trois Cygnes fusionnent en effet avec les Trois Glaives d’or15 pour constituer avec la Hofloge Aux Trois Aigles le 2 juillet 1741 la Grande Loge de Haute-Saxe16, Aux Trois Aigles blancs, dont le comte Rutowsky devient Grand Maître17 :
Les deux justes et respectables loges, assemblées en lieu convenable, à l’occasion du grand festin annuel ; inviolablement observé dans tous les lieux du monde où se trouvent des frères ; et de la part desdites respectables loges, tous les frères étrangers se trouvant pour lors ici, ayant été invités fraternellement ; la loge ouverte, ont été tenues les procédures suivantes :
1. la proposition faite d’élire un Grand Maître de l’ordre pour le district de la Haute-Saxe ; les frères ont élu tout d’une voix, le très Haut, Très Illustre, et très Respectable Seigneur et Frère le chevalier de l’aigle -nom d’ordre du comte Rutowsky. Ce choix universel a causé d’autant plus de joie à tous les frères, qu’ils ne peuvent douter qu’un Grand Maître, autant zélé pour le Vénérable Ordre, qu’illustre par sa naissance et respectable par son rang, ne contribue à le rendre de plus en plus florissant dans le district de la Haute-Saxe [...]18.
10L’obédience se place ainsi délibérément non seulement sous le patronage mais aussi sous la direction de la famille régnante, dont elle escompte prospérité et réputation.
Flattés d’avance des sages lois qu’elle nous imposera (sic), les deux loges – Aux Trois Glaives d’or et Aux Trois Aigles – se sont réunies dans la même assemblée, pour ne paraître devant Votre Personne Respectable qu’un seul corps, dont elle voudra bien faire l’arrangement selon ce qui lui paraîtra le plus convenable pour la distinction et le bon ordre d’une société pour ainsi dire naissante dans la Haute Saxe ; et qui ne peut manquer présentement d’y devenir de plus en plus florissante sous la domination de Votre Personne Respectable19.
11Dès le 1er août, le maître en chaire des Trois Glaives d’or propose d’écrire à la loge Minerve aux trois compas de Leipzig pour « l’incorporer au District du Très Respectable Grand Maître20 », que rejoignent les loges fondées à Altenburg, Sachsenfeld et Nossen. On peut se demander si la fondation de cette Grande Loge n’est pas une réponse de la Hofloge à des initiatives individuelles de francs-maçons qui créent des loges « sauvages » ou sollicitent des patentes de Grand Maître provincial anglais pour la Saxe – patentes dont l’octroi par la Grande Loge d’Angleterre ne signifie nullement que leurs bénéficiaires ont effectivement constitué des Grandes Loges provinciales. On trouve en effet dans les registres de la Grande Loge d’Angleterre conservés à FreemasonsHall trace d’une première patente octroyée à Heinrich Wilhelm von Marschall pour la Haute-Saxe dès 1737, complétée en 1740 par une patente accordée à Mathias Albert Luttmann pour Hambourg et la Basse-Saxe21. Une seconde patente sera accordée en 1765 au baron J. de Wethern. On remarque en outre que si les loges de Dresde qui constituent la Grande Loge de Haute-Saxe avaient prévu d’avoir en son sein le même nombre de Grands Officiers et d’être considérées sur un pied d’égalité22, la Grande Loge prend un titre distinctif très proche de celui de la Hofloge Aux Trois Aigles. Dès juin 1742, les Trois Glaives d’or font part de leurs griefs : Leur loge « ne s’est jamais vue honorée d’une seule visite du Grand Maître », qui autorise librement le comte de Solms à créer une loge, sans en référer à la Grande Loge. Le vénérable et les surveillants des Trois Glaives d’or ne sont pas convoqués aux assemblées de la Grande Loge. Le Grand Maître leur répond en insistant sur le devoir de discrétion des frères, dont l’ordre n’est que toléré. Il ne croit pas sage de rendre trop visible la Grande Loge. En réalité, elle ne risque bien évidemment rien, mais c’est une manière de contraindre ses interlocuteurs à la défensive. Maître en chaire d’une loge de cour, il met en garde à la fois contre la publicité de l’ordre et toute dérive administrative, l’Art Royal doit se contenter de cultiver les plaisirs de l’entre-soi.
Surtout chers frères souvenez-vous que nous ne pouvons exercer notre art royal dans cette résidence qu’avec des ménagements infinis, nous les devons à la conversation, et le zèle de quelques frères qui pourrait être placé23 dans un pays plus libre, pour nous, ne me paraît pas ici. Chacun a ses raisons pour ne pas s’assujettir à une régularité qui peut-être lui deviendrait préjudiciable24.
12S’il montre ainsi son attachement au modèle de la Schlojfloge qui voit non sans certaines réticences se développer les « loges de ville », comme on les nomme en Allemagne, Rutowsky considère surtout que la Grande Loge et « sa » loge de cour sont une seule et même entité qu’il dirige comme bon lui semble, et sans avoir à soumettre ses décisions à ses prétendus pairs. Dans le cadre d’une réflexion sur l’autonomisation de l’espace public et sur la perte de vitesse du modèle de la société de cour au profit d’une « sociabilité bourgeoise », l’échange entre les Trois Glaives d’or et le Grand Maître est à méditer.
13Le registre de Dresde nous apprend également que si l’organigramme de la loge est encore flottant en 1741 – elle ne compte encore qu’un surveillant au lieu des deux qui seront bientôt la règle – elle a en revanche déjà pris une solide orientation chevaleresque. Les membres sont désignés par leur nom d’ordre : le comte de Rutowsky est ainsi chevalier de l’aigle, Le Fort25, officier, est ainsi chevalier de l’Éléphant, le comte de Nostitz est chevalier Gaillard, le comte de Solms, ambassadeur de Russie est chevalier des Scythes, l’envoyé de France, le comte des Alleurs – orthographié de Saleurs –, est chevalier Roland26. Certains noms ne manquent pas de saveur, comme le chevalier Va-de-bon-cœur, nom d’ordre du frère Thioli.
14C’est là un point essentiel, qui permet avec d’autres de contester la thèse d’une importation passive de la Franc-maçonnerie anglaise puis française en Allemagne. Les loges allemandes au recrutement huppé et tout particulièrement en Saxe qui sera le berceau de la Maçonnerie templière, se sont livrées à une appropriation culturelle de la sociabilité maçonnique, en lui donnant un tour chevaleresque et chrétien, très éloigné du projet des pères fondateurs de la Grande Loge anglaise de 1717 d’esprit newtonien et latitudinaire et des rédacteurs des Constitutions dites d’Anderson de 172327. La sensibilité chevaleresque – très présente d’ailleurs dans la pratique maçonnique personnelle du Kronprinz Frédéric à Rheinsberg – explique que l’espace maçonnique germanique communique mieux et échange plus avec une Franc-maçonnerie française aristocratique convaincue au même moment par le Discours de Ramsay que les francs-maçons sont davantage les héritiers des croisés que ceux des ouvriers du temple de Salomon. Mais cette « influence française » sur la Franc-maçonnerie allemande doit être nuancée et précisée pour éviter les contre-sens et échapper au mirage d’une Europe (maçonnique) française28. En effet, si l’on ne peut nier la diffusion des hauts grades maçonniques chevaleresques et chrétiens français en Allemagne, mais aussi en Scandinavie, Pologne et Russie, elle concerne surtout la période qui court du milieu des années 1740 jusqu’à la fin des années 1760 lors des déplacements civils et militaires de grande ampleur liés aux guerres de Succession d’Autriche (1740-1748) puis de Sept Ans (1756-1763). Dans tous les cas, les rituels ont été acculturés, digérés, adaptés. Or, le registre des Trois Cygnes atteste d’une sensibilité chevaleresque dans la Maçonnerie de cour en Saxe en 174129, et très probablement antérieure à la rédaction du livre d’architecture. Les conditions d’une rencontre fructueuse – la « conjoncture mentale » chère à Robert Mandrou –, d’une inclination mutuelle, et non d’une importation passive sont donc réunies. La langue de travail des premières loges de Dresde, le français, permet également à la fois de maintenir un seuil social de recrutement élevé et de favoriser les échanges européens.
15La réception ou l’affiliation des envoyés étrangers à la cour de Dresde et des principaux membres de leur suite sanctionne l’essor de la Hofloge et son agrégation à la vie mondaine. Il faut « en être » à la fois pour s’intégrer à la société brillante qui s’y retrouve, mais aussi pour observer, écouter, sonder l’opinion de ceux qui comptent. Or, dès sa création, la Grande Loge de Haute-Saxe accueille sur ses colonnes le comte des Alleurs, envoyé de France, Wolffenstierna, résident de Suède, Schwabe, agent de SM la reine de Hongrie, le comte de Solms ambassadeur de Russie. En revanche, Ammon, résident de Prusse, voit sa candidature rejetée par six boules négatives malgré le soutien de deux « chevaliers répondants », Kremling et Saint-Charles, dont le premier vient d’obtenir la réception du prince de Holstein et le second du représentant de Marie-Thérèse à Dresde. Or le registre reproduit, ce qui est tout à fait inhabituel un échange de lettres entre le résident du roi de Prusse à la cour de Saxe, Ammon et Jacques Pérard, ministre du Saint-Évangile et pasteur de l’Église française réformée de Stettin – que nous avons déjà rencontré au chapitre II, à propos du registre de la loge écossaise l’Union de Berlin.
16Les deux hommes se connaissent bien. Dans une lettre datée du 13 mars 1741, Ammon reproche au pasteur Pérard d’avoir rapporté à la loge et déformé des propos sans conséquence qu’il aurait tenu en société à propos des francs-maçons.
[.] Si vous vous étiez contenté de rapporter naturellement la conversation que nous eûmes à table chez Monsieur le comte de Finckenstein, je n’aurais aucun lieu de me plaindre puisque vous n’auriez pu vous empêcher de rapporter une infinité de bonnes choses que j’ai dites à l’avantage de cette société, et que le reste n’a été qu’un badinage fort innocent qui regardait votre personne et non la confrérie. Mais vous avez fait tous vos efforts pour empoisonner toutes mes paroles, et pour y ajouter des circonstances auxquelles je n’avais pas seulement pensé. Je vous avoue que je trouve ce procédé d’autant plus indigne qu’il est peu conforme aux lois de l’amitié, au caractère d’honnête homme, au métier que vous faîtes, puisque vous n’ignorez pas la chaleur avec laquelle je me suis employé pour vous faire obtenir la succession de votre oncle dont vous n’auriez peut-être pas tâté sans cela30.
17Pérard répond de Stettin le 2 mai 1741 :
[...]
Vous vous rappellerez aussi que je vous dis plusieurs : tu devrais, mon cher, parler avec plus de ménagements d’une société qui a l’honneur d’avoir pour membre le roi ton maître et le mien : j’ajoutai qu’à « vue de pays » je craignais que vous ne fussiez jamais reçu, et je fondais mes craintes sur les impatiences de quelques francs-maçons qui étaient à table, et qui sans les égards qu’ils devaient au seigneur chez lequel nous étions, et le respect dû au roi que vous servez, vous auraient imposé silence. De la manière la plus expressive. Ce qui me divertit alors extrêmement, Monsieur, fut l’air de protection avec lequel vous offriez à l’un de ces Messieurs votre appui pour le faire recevoir dans l’ordre. Jugez après cela quels préjugés une conduite si peu mesurée devait faire naître. Ce gentilhomme est toujours prêt à certifier ce que j’avance31.
18La loge de Dresde fait bloc derrière Pérard et rejette toute possibilité de médiation32. À ses yeux, l’Art Royal ne saurait être pratiqué que par des hommes vertueux et respectueux de l’ordre. Il ne s’agit pas d’un divertissement de société que l’on pratique avec désinvolture, ou dont l’on peut plaisanter sans conséquence. Le point mérite d’ailleurs d’être relevé : la Maçonnerie de société n’est pas une Maçonnerie légère et badine. La loge manifeste à nouveau son sérieux33, lorsqu’elle rejette en décembre de la même année la candidature du conseiller de cour et des accises Siepmann, résident de Saxe à Berlin34. Elle motive ainsi son refus, qu’essuie également le frère Bildstein, secrétaire d’ambassade de SM le roi de Pologne, Électeur de Saxe, qui souhaitait être élevé à la maîtrise35 :
Deux raisons s’opposent à sa demande ; la première parce que le nombre des membres est déjà fixé – pratique du numerus clausus tout à fait originale et significative de l’esprit de l’atelier – ; la seconde, parce que devant partir dans peu de jours pour Berlin, cette place resterait vacante, et que la loge souhaite d’avoir toujours ses membres présents à ses délibérations, autant que la chose sera possible36.
19En revanche Siepmann est chaleureusement recommandé à la loge berlinoise des Trois Globes. On se souvient qu’il sera reçu Écossais à la loge de l’Union, où il parrainera le 13 juillet 1744 le comte Tessin, ministre plénipotentiaire de Suède37. Dresde s’intègre donc très tôt à la toile que les diplomates francs-maçons tissent entre les capitales européennes.
La réforme templière :
un nouvel élan pour la Maçonnerie des princes
20Deux décennies après les premières fondations maçonniques à Dresde, alors que la guerre de Sept Ans, désastreuse pour la Saxe, a ralenti son activité maçonnique, la Grande Loge saisit l’opportunité de la réforme templière pour affirmer son modèle conquérant d’une Maçonnerie aristocratique, chrétienne, protégée par les princes, et le diffuser dans tout l’espace germanique et au-delà38. La loge Aux Trois glaives d’or obtient de Karl Gotthelf Freiherr von Hund und Altengrotkau (1722-1776), le 18 avril 1762 – soit très tôt dans l’histoire de la Stricte Observance – une patente de loge rectifiée, et surtout sa reconnaissance comme centre de la réforme templière pour la Saxe. Aux Trois Glaives d’or bénéficie en fait de l’affiliation du prince Charles (1733-1796), fils de Frédéric-Auguste II, roi de Pologne sous le nom d’Auguste III, qui s’est installé dans la capitale saxonne après avoir été contraint par la Russie de quitter le duché de Courlande39. Son frère cadet, Albert Casimir, duc de Saxe-Teschen, gendre de Marie-Thérèse, l’imite en 1764. On comprend dans ces conditions que Heyking note à propos de la Stricte Observance Templière à son arrivée à Dresde : « Dans toutes les sociétés on ne parlait que de cet ordre40 ». Le chambellan B***, l’un des officiers de la loge, qui convoque Heyking après que ce dernier a implanté son ordre des Amis à l’Epreuve dans la capitale saxonne, ne manque d’ailleurs pas de lui rappeler que les princes et la cour ont fait leur la cause de la réforme templière et qu’il ne serait pas judicieux pour un jeune homme ambitieux, désireux d’entrer au service du prince Charles, d’établir un régime concurrent41.
21La prise de contrôle de la Stricte Observance par les Kurfursten, leurs ministres et conseillers les plus proches – que l’on observe également dans toute l’Allemagne et en Suède – est manifeste. Elle provoque la marginalisation progressive du fondateur de l’ordre, Karl von Hund, dépassé socialement et empêtré dans des scandales financiers. Grâce à son fort pouvoir d’attraction, la loge rectifiée Aux Trois Glaives d’or fusionne en 1772 avec une loge remarquable, les Vrais Amis, plus connue sous son titre distinctif originel : Saint-Jean des Voyageurs. Cet atelier voit le jour au sortir de la guerre de Sept Ans, tandis que s’ouvre la période dite du « Rétablissement », marquée par l’expansion économique et culturelle de Dresde et de Leipzig. Dirigée par Aloysius Friedrich von Bruhl (1738-1793), grand maître de l’artillerie du roi de Pologne, Saint-Jean des Voyageurs est l’une des premières loges ouvertement destinée à accueillir les étrangers de condition et à répondre à la « culture de la mobilité » (Daniel Roche) des élites européennes. Elle sert de modèle aux loges cosmopolites créées par la suite à travers l’Europe pour accueillir les étrangers de condition : les Neuf Muses à Londres, la Réunion des Elus du Nord de Saint-Pétersbourg, ou en 1784 à Paris, fruit d’une initiative franco-danoise, la Réunion des Etrangers. Sa fondation à Dresde témoigne du rayonnement européen de la capitale saxonne. Dès 1766, Saint-Jean des Voyageurs adresse à la Grande Loge des Maîtres Réguliers de Lyon son tableau de membres42 : sur 46 membres, 15 seulement sont Allemands contre 10 Français – parmi eux l’envoyé de France près l’Électeur de Saxe. La loge réunit également des Italiens, des « Savoisiens » comme Jean-François Noyel comte de Bellegarde, des Polonais, des Russes, des Baltes, l’envoyé du roi d’Angleterre, comte de Stanhope. Selon Eugen Lennhoff et Oskar Posner, Saint-Jean des Voyageurs aurait été complétée par la loge Etrangère créée la même année pour les non-germanophones par Heinrich Graf von Bruhl – fils du célèbre ministre et frère d’Aloysius –, à la demande de Hund, fondateur de la Stricte Observance43. Il s’agit sans doute d’une erreur, Saint-Jean des voyageurs étant une loge francophone au recrutement cosmopolite. On ne trouve pas de mention du titre distinctif l’Etrangère. Il s’agit très probablement d’une seule et même loge, dont l’appellation courante a pu changer, Saint-Jean des Voyageurs étant qualifiée d’« étrangère » compte tenu de son recrutement.
22La création de cette loge cosmopolite puis son ralliement à la réforme templière, donne à Dresde les moyens d’une ambition maçonnique européenne, d’autant que protégée par la dynastie régnante, la Maçonnerie templière est animée par deux francs-maçons remarquables44, Aloysius Friedrich von Bruhl, Vénérable de Saint-Jean des Voyageurs, – eques a gladio anticipati dans la Stricte Observance – et son frère Albert Christian Heinrich (1743-1792) – eques a cedro –, deux des fils du ministre Heinrich von Bruhl (1700-176345), qui avait régné en maître sous Frédéric-Auguste II, fils d’Auguste le Fort. La liaison entre la Maçonnerie, la cour et les princes s’en trouve encore renforcée. Le convent de Kohlo qui réorganise la Stricte Observance du 4 au 24 juin 1772 se tient sur les terres d’Aloysius von Bruhl. Le duc Charles de Courlande est reconnu Superior et Protector Ordinis in Saxonia. Leipzig et Dresde deviennent le siège de deux préfectures de la VIIe province templière – la plus importante de l’ordre –, Derla et Gommern. Aloysius von Bruhl poursuit son action en implantant de solides fondations maçonniques en Pologne, où sa famille et à travers elle le parti saxon ont gardé des partisans46. Il crée notamment la loge aristocratique rectifiée du Vertueux Sarmate de Varsovie, sur laquelle est entée une loge d’adoption dont la Grande Maîtresse est Isabelle Branicka, sœur de Stanislas-Auguste II.
23Le Journal de Marie-Daniel Bourrée de Corberon met également en évidence l’intense activité maçonnique et alchimique d’un troisième frère Bruhl, Karl Adolph (1742-1802). Il apparaît dans le Journal peu après l’arrivée de Corberon à Pétersbourg. Une forte amitié se noue entre les deux hommes que l’esprit des « Philalèthes » anime47, au fil des discussions sur la Maçonnerie et les hautes sciences. Inséparable des princes Aleksandr Ivanovitch Adoievski (1738-1797) et Victor d’Anhalt-Bernburg (17441790) général au service de Russie et lointain parent de Catherine II, née Anhalt-Zerbst48, Bruhl accompagne les premiers pas de Corberon dans la société des Chouvalov, Tchernychev, et Golytsin49, tremplin pour une agrégation rapide à une vie mondaine riche.
Mercredi 20 [juin 1775]
Le prince d’Anhalt et le comte de Bruhl m’ont écrit un mot pour nous demander à dîner, ils sont venus. Le prince m’a parlé de ses amours avec un enchantement toujours égal ; il y a passé la journée entière avec le comte Bruhl hier, on y a lu mon épître au comte André, et elle a fourni à la conversation. Ce qui m’a fait plaisir dans tout cela, c’est l’intimité qui règne entre le prince et moi50.
Dimanche 21 [juillet 1776]
Nous avons été dîner Bruhl et moi chez les Tchernychev. [...] Le ton des Tchernychev est plus liant que d’ordinaire. Je me suis accosté du Marquis de la Jamaïque qui a des idées sur la Maçonnerie, est de la loge [de Savalette] de Langes – les Amis Réunis – et paraît curieux. Je lui ai promis un chiffre pour correspondre sur ces matières, et je lui donnerai. [.]
Une partie de ceux qui composaient la société a soupé chez la Marquise Golytsin ; j’y ai été avec Bruhl. On y a joué des proverbes ; Puységur a pincé de la harpe, et si longtemps, que nous ne nous sommes retirés qu’à deux heures, et je n’étais qu’à trois et demie dans mon lit.
24Bruhl est pour le jeune diplomate à la fois un maître et un guide. Il l’invite à une tenue de maître écossais, grade que Corberon n’a obtenu que par communication51. Ensemble, ils étudient les différents systèmes maçonniques52 et confrontent leur opinion sur leurs chefs de file. Connu dans l’Ordre intérieur de la Stricte Observance sous le nom d’Eques a Aquila Alba, Bruhl est comme ses frères un pilier de la Maçonnerie templière en Saxe, préfet et prévôt de la préfecture Gommern (Dresde).
J’ai parlé au comte de Bruhl de la Stricte Observance, et il m’a promis d’en écrire à son frère à Varsovie [Aloysius] pour lui demander si je puis avoir des lettres de T [emplier]. Je lui ai dit les doutes que de Toux a des chevaliers templiers en Saxe, les accusant de n’être que des imitateurs dont il rapporte l’origine à un nommé Schubart53. Bruhl prétend que c’est le baron de Hund qui se trouvant à l’armée en 1740 et tant, fut véritablement reçu et instruit dans l’ordre des chevaliers templiers. Il établit quelques loges d’après cela, ou pour mieux dire, il reçut en Allemagne quelques chevaliers templiers. Cela tomba dans la langueur, et ce fut vers 64 qu’un nommé Johnson vint en Saxe établir une réforme générale, mais il fut reconnu lui même pour un imposteur, on l’a poursuivi comme tel, et étant sur les terres de Saxe Weimar, on obtint du chancelier qui était chevalier Templier de faire enfermer Johnson dans un endroit où il est encore, à ce que l’on croit. Ce Schubart n’a point été en chef.
[.] Ayant entendu cette conversation, je demandai au comte Bruhl combien il comptait de grades dans les loges de la Stricte Observance, il m’a dit six : l’apprenti, le compagnon, le maître, l’écossais, le noviciat des chevaliers templiers, et le chevalier templier, dans le discours duquel dernier grade vous apprenez l’histoire des chevaliers templiers qui se réfugièrent en Écosse, où plusieurs se déguisèrent en manœuvre, d’où est venue la dénomination de Maçons [.] J’ai demandé encore au comte Bruhl les endroits où l’on trouve des loges de Stricte Observance ou de chevaliers templiers. Il m’a nommé Dresde, Varsovie, Mitau, Leipzig, et Prague, où l’on a découvert une chapelle des anciens templiers, c’est à côté que se tient la loge54.
25Bruhl ne semble guère impressionné par le célèbre Lucas de Toux de Salverte, dit « Le vieux de la montagne55 », maître de la loge de Varsovie où Heyking a entraîné Corberon. Pourtant, lui aussi pratique avec passion l’alchimie et la recherche du Grand-Œuvre56. C’est encore Bruhl qui présente le Français au général Melissino :
Nous avons parlé maçonnerie, comme bien tu l’imagines57. Après nous être sondés mutuellement, nous nous sommes entendus, et nous avons parlé plus à cœur ouvert. Il est chevalier templier, mais son opinion diffère de la mienne à quelques égards. Je crois que les chevaliers templiers connaissent le véritable historique de la maçonnerie, et l’existence des secrets hermétiques et cabalistiques possédés anciennement. Je croyais avec la Stricte Observance que les connaissances se bornaient à savoir qu’il y en a eu réellement possédées en corps, en société ; Mélissino qui prétend que la Stricte Observance n’est qu’une réforme modeste ne tenant pas à l’ancien système, et ce qu’il a dit à cet égard me paraît moins fondé que son opinion sur les chevaliers templiers.
[.] J’ignore encore d’où viennent les constitutions de la loge qu’il tient, ce qu’il m’a dit c’est que tous les grades consistent en sept que voici : apprenti, compagnon, maître, écossais, élu, initié, éclairé. Ce dernier grade vous dit quelle est la matière et quels sont les procédés, en sorte qu’en travaillant, on doit trouver l’œuvre. Il prétend qu’il ne faut pas être alchimiste pour parvenir, et il compte incessamment avoir le succès. Ce dernier grade est possédé par douze personnes qu’il m’a fait voir par écrit, et pour communiquer cette connaissance à un initié il faut avoir les douze voix réunies pour soi. Le général m’a promis de me communiquer le 6e grade ; ainsi que le testament de Molay dernier grand maître. Il y a dans ce testament plusieurs choses fort singulières, par exemple il y est dit que les templiers portaient une croix d’or, mais il fallait que ce fût de leur or philosophique58.
26Après une année d’échanges intenses, Bruhl organise sa réception ainsi que celle de Corberon au septième et dernier grade du régime de Melissino59. Elles se déroulent, « sans cérémonie », dans la sphère privée, entre intimes, dans l’appartement de Bruhl, le 16 juin 177760.
27Le recrutement européen de l’ancienne loge Saint-Jean des Voyageurs ouvre également Dresde sur l’Europe maçonnique occidentale. Le premier surveillant de la loge est en effet Jean-François Noyel de Bellegarde. Il est issu d’une famille de l’aristocratie de Savoie – son père, marquis d’Entremont, était premier président à la Chambre des comptes de Savoie et envoyé à la cour de France –, dont plusieurs membres sont entrés au service de l’Électeur de Saxe61. L’État saxon a en effet recruté un nombre important de cadres étrangers, majoritairement français et italiens62. Son frère aîné, Joseph-François, marquis des Marches, est gendre d’un pionnier de la Franc-maçonnerie continentale, sir Theophilus Oglethorpe, brigadier général de Jacques II Stuart. Il devient Grand Maître provincial « anglais » pour les États du roi de Sardaigne en 1739. Un second frère, Claude-Marie, initié à Paris en 1737, est chambellan et ambassadeur de l’Électeur de Saxe. Quant à Jean-François, il est né à Dresde en 1707, et devient lieutenant des gardes du corps de l’Électeur. Il sera même gouverneur de la capitale saxonne. On est ici au cœur d’un réseau familial, maçonnique qui mêle les plus grands noms et les temps héroïques de l’implantation de l’ordre – la cour de Saint-Germain, les sensibilités jacobite et hanovrienne, le Paris maçonnique des années 1730, la Grande Loge d’Angleterre –, et de service princier aux connexions européennes. Autant d’atouts qui permettent à Jean-François de Bellegarde d’orchestrer le rayonnement occidental de la puissance maçonnique saxonne. Lorsque la réforme maçonnique marquée par un resserrement très net du recrutement de l’ordre – une véritable réaction aristocratique –, par l’affirmation de son essence chevaleresque et chrétienne, naît en Saxe pour se diffuser en quelques années à travers toute l’Europe continentale63, Bellegarde en est l’un des éclaireurs. Il la fait connaître au maître lyonnais Jean-Baptiste Willermoz – négociant et bon connaisseur des foires de Leipzig :
Le Frère Comte de Bellegarde, 2e surveillant de la Respectable Loge du Frère Comte de Bruhl à Dresde, me fit l’honneur de me visiter à Lyon allant à Turin. Je demeurais alors rue du Bat d’Argent. Il me fit part de l’union commencée entre les Respectables Loges d’Allemagne, mais il ne me cacha point qu’il en ignorait le but, connu d’un très petit nombre de frères de sa loge ; il m’en croyait sans doute plus instruit. Dans le peu qu’il savait il fut très circonspect ; j’étais moi-même obligé à beaucoup de réserve sur l’objet qui m’était propre et qui me parut étranger au sien. Il était fort pressé de repartir ; nous nous quittâmes en nous promettant de nous revoir à son retour de Turin, et de solliciter en attendant, chacun de notre côté, la permission de nous ouvrir davantage. Peut-être est-il repassé lorsque j’étais à Paris où je retournai quelques mois après, mais je n’ai pas eu le plaisir de le revoir64.
28Le lien est ténu, mais par la suite grâce à Georg August von Weiler, émissaire de la Stricte Observance Templière, il se fortifie et Willermoz devient l’un des principaux relais de la réforme de Dresde en France, en Suisse et en Italie, avant de proposer sa propre « réforme de la réforme » avec le succès que l’on sait auprès de l’aristocratie allemande et italienne. Bruhl prend quant à lui contact avec la loge la Candeur de Strasbourg, qui recrute largement dans l’Université luthérienne et se crée ainsi un réseau de relations et de correspondance européen65. La présence du comte Henri de Bruhl, eques a Cedro, est attestée à Strasbourg le 25 juin 177266 ; par ailleurs, il est clairement mentionné dans les archives de la Candeur comme « notre agent à Dresde » le 4 septembre 177367. Strasbourg et Lyon seront les deux portes d’entrée de la réforme maçonnique en France et en Allemagne rhénane, tandis que Chambéry et Turin la relaieront en Suisse et en Italie.
Leipzig au centre de la toile :
huguenots, négociants et francs-maçons
29La diffusion de la Franc-maçonnerie sur le continent européen et dans les colonies emprunte également, on le sait, les routes du grand négoce. Dans ce domaine, Leipzig avec ses foires et son marché européen du livre, polarise l’espace saxon, donnant naissance à une puissance maçonnique régionale complémentaire et concurrente de Dresde et désireuse d’afficher ses prétentions au rang de centre majeur de la République universelle des francs-maçons.
Travailler la pierre brute en famille,
à Leipzig et sur les routes de la soie
30La création d’une loge maçonnique à Leipzig en 1736 me semble tenir du mythe fondateur – la métropole saxonne aurait ainsi donné naissance à la plus vieille loge d’Allemagne, Absalom à Hambourg étant fondée un an plus tard – plus que de la réalité – ce qui n’interdit nullement la présence à cette époque de francs-maçons, résidents ou de passage, voire de noyaux maçonniques plus ou formalisés, tout à fait possible et même probable. En revanche, les sources maçonniques indiquent clairement que les feux de la loge Aux Trois Compas ont été allumés le 20 mars 1741. La création est donc tout à fait contemporaine de celle des Trois Cygnes de Dresde. Le registre des Trois Cygnes réunie Aux Trois Glaives d’or conserve d’ailleurs un échange de lettres avec Aux Trois Compas, à l’occasion de l’érection de la Grande Loge de Haute Saxe. Dresde met logiquement en avant la protection et la respectabilité que le comte Rutowsky peut apporter à l’ordre :
Très Vénérables Maître en chaire, Surveillants, officiers et membres de la Très juste et Parfaite Loge de Leipzig, aux Trois compas
Nos Très Chers Frères et Compagnons d’œuvre,
Salut
La Haute Prudence des Frères Maîtres et Compagnons, membres des Justes et Parfaites Loges d’ici, leur ayant inspiré le dessein d’élire un Grand Maître ; à l’exemple des Pays voisins : leur choix est tombé sur une personne respectable, non seulement par sa naissance, son mérite et son zèle pour l’Art Royal ; mais aussi par son crédit à la cour, où elle est en état de nous appuyer et de nous protéger. Et comme il nous semble, Très Chers et Vénérables Frères que vous ne pouvez qu’applaudir à un choix aussi judicieux, et en même temps aussi utile à l’ordre respectable, qu’à ce qui regarde le District de la Haute Saxe ; nous avons à cet effet, joint au Respectable Frère Vieth nommé chevalier de Prirow, Grand Surveillant, Cadet de la Grande Loge de l’Aigle Blanc député de la part du Très Haut et très Vénérable Grand Maître comte et chevalier de l’Aigle, pour votre Juste et Parfaite Loge, le frère Maître, Louis Pérard68, nommé chevalier Content, Trésorier de la Juste et Parfaite loge aux Trois Glaives d’Or, pour vous assurer de notre tendresse et amitié fraternelle, et pour vous inviter Très chers et vénérables frères, à reconnaître pour Grand Maître de toutes les loges du District de la Haute-Saxe le Très Haut et très Vénérable Chevalier de l’Aigle, unanimement élu en cette qualité le jour de la Saint-Jean Baptiste, avec toutes les formalités dues et requises [...] Dresde le 28 septembre 1741.
Votre etc. le chevalier de Richemont, maître en chaire69.
31L’« incorporation » à la Grande Loge se ferait sur la base des points suivants :
- Qu’elle – Aux Trois Compas – reconnaîtra le Très Haut et Très Vénérable comte [Rutowsky] chevalier de l’Aigle, comme Grand Maître de toutes les loges de la Haute Saxe.
- Qu’elle reconnaîtra l’activité de la Grande Loge à l’aigle blanc à Dresde ; la respectera comme la Première et la mettra la tête des affaires maçonniques qui se traitent en Saxe.
- Que la loge de Leipzig s’engage de ne point recevoir ceux qui sont tombés à Dresde70 ; à quoi la Grande Loge s’engage pareillement.
- Qu’elle ne permettra pas qu’aucune autre loge s’établisse en Saxe, sans le consentement des loges de Dresde et de celle de Leipzig.
- Qu’elle fasse promettre à chaque nouveau frère, sous l’obligation de ne se pas prêter à l’établissement, sans le consentement des trois loges actuellement existantes et de les dénoncer en cas que quelques frères y manquassent.
- Que la loge de Leipzig se règlera pour le prix des réceptions à celles de Dresde71.
32La réponse officielle des Trois Compas est sans surprise, car elle ne peut pas raisonnablement rester à l’écart de la Grande Loge et refuser l’obédience de la loge de cour.
- Ce point est tout à fait accordé : la loge de Leipzig tenant à l’honneur de dépendre d’un si illustre Grand Maître.
- Dès le moment de la nomination du Grand Maître, l’activité de la Grande Loge commence à notre égard.
- La loge de Leipzig ne manquera jamais au devoir mutuel.
- La loge a tout à fait accordé ce point sous condition pourtant que la Vénérable Grande Loge l’accomplisse pareillement.
- Est purement accordé.
- Quoique la loge ne puisse pas tout à fait accorder ce point, pour des raisons que le Maître a dites de bouche aux Frères Députés, la Loge, pour complaire à la Grande Loge, a haussé le prix jusqu’à 35 écus, sans les collectes.
33Vidit Stegert, maître
Ad mandatum societatis
P. Feronce, secrétaire72.
34Mais ces gages de bonne volonté donnés, elle négocie plus ferme sur le maintien de son autonomie et l’exercice réel de ses droits au sein de la Grande Loge. Au maçonnique comme au profane, Leipzig ne veut pas subir la loi de Dresde.
35Suivent les points que les Vénérables Députés de la Grande Loge de Dresde, ont accordé à celle de Leipzig :
- La loge de Dresde promet que le Maître de la Loge de Leipzig sera toujours eo ipso membre de la Grande Loge. Par conséquent, qu’il participera à l’élection de chaque grand maître à l’avenir.
- La loge de Dresde promet de laisser à la loge de Leipzig, toutes les coutumes qu’elle a eues jusqu’à cette heure ; principalement ce qui regarde les ordres bleus, et le changement annuel des charges.
- Qu’en permettant à d’autres d’ériger de nouvelles loges, elle ne le fasse jamais que du consentement de celle de Leipzig.
- Qu’elle enverra de temps en temps des listes de leurs membres et de ceux qu’elle aura refusés ; la loge de Leipzig s’offre à la pareille.
36Adr. Deod. Stegert, maître
NB : Que les points contenus dans cette page et dans les deux précédentes, nous furent apportés de la loge de Leipzig, par deux de leurs députés, savoir le frère Jean Christophe de Ponickau l’aîné et son frère le cadet. Voyez dans nos archives une lettre de la loge de Leipzig en date du 30 novembre 174173.
37Aux Trois Compas conserve son titre distinctif jusqu’au 25 août 1746, où elle devient Minerve au cercle. Vingt ans plus tard, en 1766, alors qu’elle rallie comme sa sœur de Dresde la réforme templière, elle devient Minerve aux Trois Palmes [Minerva zu den drei Palmen], nom qu’elle conserve jusqu’à aujourd’hui. Par commodité, nous l’appellerons ici Minerve quelle que soit l’époque considérée.
38Les négociants huguenots de la place de Leipzig participent activement à la création de l’atelier qui travaille en français. Figurent notamment parmi les membres fondateurs, des membres de deux familles réfugiées, les Dufour et les Feronce, les premiers originaires du Languedoc, les seconds du Lyonnais. À la tête de solides maisons de commerce en textile, ils réussissent leur intégration en Saxe, au point de fonder de véritables dynasties d’entrepreneurs puis de serviteurs de l’État. Leurs activités et trajectoires profanes sont désormais bien connues grâce à l’ouvrage récent que Katharina Middell leur a consacré. On l’a dit, il en va en revanche tout autrement de leur engagement et de leur parcours maçonnique74, de la place que la sociabilité maçonnique tient dans leur espace relationnel75, dans leur dispositif d’intégration communautaire et dans la société saxonne, mais aussi à plus long rayon dans les réseaux d’échanges et d’information professionnels qu’ils tissent à travers l’Europe, au fil des transactions, des correspondances, des nombreux voyages effectués – qu’éclairent leurs riches archives familiales – des partenaires et religionnaires lyonnais accueillis lors des foires de la Nouvelle Année, de Pâques ou de la Saint-Michel. Loin de nous l’idée de vouloir opposer un modèle de la Maçonnerie négociante à celui de la Maçonnerie de cour. Ce serait faire fausse route et gommer la complexité de la sociabilité maçonnique. Un tiers des membres de Minerve entre 1741 et 1746 sont nobles, la plupart possessionnés à Leipzig et dans les environs. Rappelons d’ailleurs pour mémoire que les protestants français et étrangers qui animent Saint-Jean d’Ecosse de Marseille s’ouvrent également largement aux nobles français et étrangers et que le négociant lyonnais catholique Jean-Baptiste Willermoz rencontrera un vif succès avec sa réforme maçonnique auprès des princes allemands de la Stricte Observance. Mais en étudiant l’investissement maçonnique de ces négociants huguenots à des rayons variables et à des échelles croisées plus qu’emboîtées76 : la famille et les amis d’enfance, la communauté réformée, les partenaires commerciaux77, il est possible de comprendre ce que représente pour eux la Franc-maçonnerie, ce qu’ils y cherchent, l’espace social et relationnel mouvant qu’ils y construisent.
39Lorsque Minerve ouvre ses travaux, le maillet de maître en chaire est tenu par Adrian Steger, docteur en droit. C’est un jeune vénérable, il est âgé de vingt-deux ans, pour un atelier qui naît à la lumière. Mais c’est également un très jeune maçon, initié quelques semaines plus tôt tout au plus, puisque la Matricule de la loge indique qu’il a été reçu en 1741. À peine plus âgé, au maçonnique comme au profane, son premier surveillant, Pierre-Jacques Dufour (1716-178478), est un représentant de la troisième génération du Refuge : son grand père, Pierre Dufour né à Sauve en Languedoc en 1638 est mort à Leipzig en 1732 ; son père, Jacques (1673-1762) et ses deux oncles Pierre (1657-1729) et Marc Antoine (1683-1757) sont également nés à Sauve et meurent en Saxe. Dans son sillage, d’autres huguenots sont reçus maçons, au nombre desquels son frère Marc-Antoine Dufour junior79, né en 1719, reçu le 17 juillet 1741, Pierre Feronce (1710-1772) représentant de l’autre grande famille huguenote, initié le 15 mai 1741 en même temps que son grand ami Pierre Samuel Fizeaux80, Jean André Janssen, reçu le 9 mai, ou encore Johann Eberhardt Sandrart. Dès ces premiers mois, une solide et double liaison est établie avec Berlin, à la fois dans la communauté réformée, avec le pasteur Jacques Pérard déjà rencontré, et dans le domaine des affaires, avec la réception du négociant et banquier Johann Ernst Gotzkowsy reçu dès le 20 mars 1741 – que son rôle dans la guerre de Sept Ans rendra célèbre.
40Si certains initiés sont plus âgés, comme François Louis Couturier, âgé de quarante-six ans, la plupart ont une vingtaine d’années du côté des Dufour ou une trentaine du côté des Feronce. Ils se connaissent depuis l’enfance. Leurs familles habitent des maisons voisines81 et les archives ont conservé par dizaines les mots griffonnés que les enfants – Pierre Feronce et Jacques Ferdinand ont tous deux 11 ans lorsqu’ils débutent ces échanges avec leurs amis Isaac Riquet, David Duvigneau ou David Maudry – s’envoient quotidiennement, pour s’inviter, communiquer leur programme ou pensée du jour, faire part de leurs lectures, plus tard de leurs premiers émois82. Ces ego-documents particulièrement précieux témoignent de relations amicales fortes et durables. Elles s’élargissent aux liens d’amitié qui unissent les familles, les coreligionnaires puis une génération plus tard, aux mariages : neveu de Pierre-Jacques Dufour, Jacques Ferdinand épousera alors une Feronce, Anne Pauline. Les mères éduquent ensemble leurs enfants et préparent leur entrée en société : à leur initiative, les enfants s’invitent pour jouer de la musique, faire des lectures, jouer aux cartes. Plus tard, lorsque les pères créent une société de danse en 1775, puis quelques mois plus tard, la société de l’Harmonie – sans lien avec les créations homonymes de Mesmer83 – qui tient du club, de la société de secours mutuels et de la société de bienfaisance84, les enfants établissent sous l’œil bienveillant de leur mère et du précepteur de Jacques Ferdinand Dufour, Bruckner, co-fondateur de l’Harmonie, une société dite de la Petite Harmonie, où ils apprennent à rédiger des statuts, à tenir un livre de comptes, à faire respecter un règlement, à surmonter rivalités et déceptions.
41On a affaire à un groupe d’amis, de parents et d’alliés qui ont été clairement éduqués à la sociabilité et qui à chaque génération à partir de la troisième entrent en Maçonnerie à l’âge adulte85. Jacques Marc Antoine Dufour (1737-1805) cousin de Pierre et Marc Antoine déjà évoqués est affilié à Minerve le 27 décembre 1771 en compagnie de Daniel Simon Feronce (1742-1793), fils de Pierre II Feronce (1710-1772) – ce dernier a été reçu compagnon à Lyon. À la même période, Auguste Crayen, Jacques Fizeaux et François Dubosc maintiennent également la présence familiale en loge.
42Vingt ans et une génération plus tard, le gendre de Daniel Simon Feronce, Jacques Ferdinand Dufour (1766-1817), fils de Jacques Marc Antoine (1737-1805) et d’Anne Louise Pallard (1747-179886), reçoit à son tour la lumière dans le temple de la loge de Leipzig en 1790. Si l’affiliation maçonnique s’insère dans un dispositif beaucoup plus vaste de socialisation, elle déborde le cadre familial et communautaire pour s’ouvrir sur d’autres horizons sociaux et confessionnels. Minerve n’est pas une loge « huguenote » : à la veille de son changement de titre distinctif en 1746, les réformés d’origine française représentent 10 % des membres. Il serait tout aussi erroné de croire que cette proportion traduit leur marginalisation. Elle prouve au contraire que tout en relevant, mais sans exclusive, de la nébuleuse huguenote, la loge a réussi son ouverture et son intégration dans la société saxonne. Cette mutation pose évidemment le problème de la langue de travail, malgré l’attachement des huguenots au français87. La loge adopte l’allemand le 25 août 1746 et devient Minerva zum Zirkel, même si le français reste très régulièrement employé, notamment pour les correspondances avec les loges étrangères. L’ouverture sociale en direction de la noblesse – à noter que la loge reçoit le comte Hans Moritz von Bruhl88 – favorise à plus long terme le ralliement à la Stricte Observance :
43Heinrich Graf von Bunau, Johann Gottlob von Rex, Carl Heinrich von Einsiedel, ou encore Friedrich Wilhelm Freiherr von Hohenthal poussant à l’adoption de la réforme templière, effective en 1766, lorsque la loge devient Minerva zu den drei Palmen. Mais ici encore et le propos vaut pour l’ancienne loge l’Union de Francfort89, devenue ZurEinigkeit – A l’Unité –, les négociants ne se sont pas opposés à la rectification.
44Si les archives familiales des Dufour et Feronce livrent peu d’informations sur la manière dont nos huguenots francs-maçons vivent leur engagement dans l’Art Royal, une lettre de Jacques Marc Antoine Dufour à son fils Jacques Ferdinand qui effectue un voyage de formation négociante90 en Baltique – Allemagne, Danemark, Norvège, Courlande, Livonie et Lituanie – au cours de l’été 1789 témoigne de la pression qu’exercent leurs aînés sur les jeunes négociants pour qu’ils se fassent recevoir dans l’ordre91. Notons qu’elle s’exerce de manière tout à fait comparable auprès des jeunes nobles qui effectuent leur Kavaliertour, voire auprès de profanes ayant acquis une notoriété que l’on souhaite pouvoir porter sur les matricules et listes de membres : à Strasbourg, Jean-Daniel Schoepflin s’en plaint notamment92.
45Jacques Marc Antoine Dufour commence par confier à son fils, alors à Copenhague, qu’il est « un peu revenu du zèle maçonnique », avant de le prévenir des tentatives que son correspondant local ne manquera sûrement pas de faire : « Il te proposera de t’initier dans les mystères ». S’il lui suggère un subterfuge, il ne cherche pas vraiment à l’en dissuader. Il s’estime tenu au secret, même vis-à-vis de son fils. À ce dernier de prendre seul sa décision quant à l’opportunité d’une réception :
« En tout cas une échappatoire toute prête ce serait de lui dire que tu as promis de te faire recevoir soit à Brunswick soit à Leipzig [...] Si je pouvais te communiquer mes connaissances dans cet art soi-disant Royal, tu en aurais meilleure composition mais ne le pouvant pas tu feras à cet égard ce que tu jugeras à propos93 ».
46Le dossier de la loge Minerva zu den drei Palmen aux Archives secrètes de Prusse à Berlin-Dahlem indique que Ferdinand a été finalement initié à Reval, au sein de la loge Isis, avant d’être affilié en 1790 à Leipzig94. D’autres négociants de Leipzig ont été initiés ou élevés à des grades supérieurs au cours de leurs voyages de formation ou d’affaires. La matricule manuscrite de Minerve pour la période 1741-1766 permet de construire le tableau de la page suivante.
4758 membres de la loge pour la période 1741-1766 ont été reçus hors de Leipzig95. Si la répartition géographique n’est guère surprenante, on notera que les régions textiles qui vendent leur production aux foires de Leipzig sont représentées avec Lyon mais aussi Verviers96, de même qu’un port comme Dantzig ou le lieu d’une foire importante pour nos négociants : Brunswick. Les tableaux des loges lyonnaises complètent la Matricule et montrent que des négociants de Leipzig rendaient régulièrement visite à leurs fournisseurs lyonnais ou séjournaient à Lyon dans le cadre de leur apprentissage du métier : Christophe Henry Kirchoff est ainsi, à la Sincère Union, en 1774, puis de 1785 à 1788 – il sera d’ailleurs exécuté à Lyon le 6 Nivôse an II –, Teutscher, à la Candeur en 1786, ou le Français Nicolas Mioche, qui figure sur les tableaux du Parfait Silence en 1786-1787 et 1791 comme négociant à Leipzig97.
48Le Visiteurenboek de la loge la Bien-Aimée, loge du grand négoce d’Amsterdam98, nous livre également cinq noms de visiteurs en provenance de Leipzig99. Le premier, Christian Wilhelm Fichtel, reçu maçon à Dantzig, député de Minerva zum Zirkel, met à profit sa visite le 2 avril 1756 pour établir une correspondance régulière entre les deux ateliers100. Suivent en 1760, Johann Benjamin Schmidt, le 12 septembre101, et Jobst Henri Hansen le 13 décembre102. Le baron Frédéric Guillaume de Buddenbrock, membre des loges de Berlin, Brunswick, Leipzig et Kônigsberg visite la loge amstellodamoise le 9 décembre 1761103. Neuhaus l’imite le 14 avril 1779. Otto Werner Fôrster, actuel archiviste de Minerva zu den drei Palmen, a également trouvé trace du passage des Dufour sur les tableaux des loges de Zurich et de Bâle104. En revanche, nous n’avons pas à ce jour de registres permettant de repérer quels négociants étrangers présents à Leipzig à l’occasion des foires visitaient les loges de la ville105. Mais les visites, les réceptions et les affiliations à l’étranger assoient l’audience européenne de la loge106, comme on le voit avec Fichtel, et favorisent les échanges de cahiers de grades et de rituels. Ces liens personnels ou collectifs, fragiles ou durables maillent l’espace maçonnique européen et offrent aux négociants une solide toile d’informateurs, de partenaires et d’amis. L’initiation partagée transcende le clivage entre liens faibles et liens forts. Même s’il ne croit plus beaucoup à l’Art Royal, Jacques Marc Antoine Dufour ne s’estime pas autorisé à dévoiler les secrets de l’ordre à son fils, encore profane. Tous deux seront bientôt des maillons de la chaîne d’union à laquelle appartiennent leurs parents et amis les plus chers, mais aussi « toute une famille dispersée de par le monde » – dont ils ne connaissent pas les membres, qui n’en sont pas moins leurs frères.
Les ambitions de François Dubosc ou le tropisme prussien
49D’origine huguenote, fils de Jean Dubosc, négociant solidement installé sur la place de Leipzig, François Dubosc (1722-1796) reçoit la lumière à Lyon en 1741 – quand Aux Trois Compas débute ses travaux. Il semble se rattacher tout à fait au groupe précédent. Il s’affilie d’ailleurs à Minerva zu den drei Palmen en 1772 – l’année du convent de Kohlo –, alors que la loge a rallié la Stricte Observance. En réalité, le réseau relationnel de Dubosc déborde la sphère huguenote et négociante, pour s’étendre jusqu’à la sphère gouvernementale. Il est conseiller de l’Électeur et son beau-frère, Friedrich Wilhelm Ferber (1732-1800), élève de Christian Gotthelf Gutschmid, théoricien du mercantilisme et défenseur des réformés, est à la tête du département de l’Intérieur dans le ministère dirigé par Georg von Einsiedel107. Dubosc s’élève rapidement dans la hiérarchie de la Stricte Observance, est reçu dans l’ordre intérieur108, où il devient Eques a Arbore Frugifera109. Mais affilié à un âge déjà avancé à Minerve, cinquante ans, à la différence du gros de ses coreligionnaires, il souhaite créer « son » atelier. Avec un noyau de frères issu de Minerve, il fonde en 1776 dans sa maison du Neumarkt la loge Balduin110. Il en est le maître en chaire jusqu’en 1780. Dubosc rattache cette loge au système de Zinnendorf, du nom du médecin militaire prussien médecin militaire Johann Wilhelm von Zinnendorf, qui a obtenu du fondateur du rite suédois, Carl Fredrik Eckleff, la possibilité d’implanter en Allemagne, dans les États des Habsbourg et en Russie des loges écossaises et des chapitres illuminés d’inspiration templière. C’est l’origine de la Grojfe Landesloge der Freimaurer von Deutschland, l’une des trois grandes loges prussiennes – toujours active – dont Zinnendorf confie la Grande Maîtrise au prince Louis Georges Charles de Hesse-Darmstadt, et qui est reconnue par la Grande Loge d’Angleterre en 1773.
50Les ambitions de Dubosc débordent le cadre de Leipzig. Il cherche dans un premier temps à renforcer ses positions à Dresde. En 1783, il devient membre de la loge de Dresde Zum goldenen Apfel [À la pomme d’or]111 Mais il a surtout compris que si la Saxe avait constitué le berceau de la Réforme, le centre de gravité de la Stricte Observance avait glissé vers le Nord et sa direction échappé au duc de Courlande. Les deux chefs de l’ordre sont désormais Ferdinand de Brunswick-Lunebourg-Wolffenbuttel, Supérieur Général de l’ordre, qui s’est illustré pendant la guerre de Sept Ans comme général prussien, assisté de Charles de Hesse-Cassel, depuis 1768 gouverneur des duchés de Schleswig et de Holstein à Gottorp et vice-roi de Norvège. Au profane, la Saxe est également confrontée à un rapport de forces de plus en plus favorable à la Prusse. Berlin exerce une forte attraction sur les élites saxonnes que la situation diplomatique et militaire n’entrave plus. En effet, à la différence de la guerre de Sept Ans, la guerre de succession de Bavière de 1778-1779 dite guerre des patates, voit Prusse et Saxe faire face ensemble à l’Autriche. Du coup, Dubosc ne résiste pas et part pour Berlin. D’autres l’ont précédé. Karl Adolph Graf von Bruhl, dont il a été question plus haut à propos de ses relations avec Corberon, a été précepteur du futur Frédéric-Guillaume II. Johann Rudolf von Bischoffwerder (1741-1806), Eques a Grypho, que Dubosc a connu chambellan de Charles de Saxe duc de Courlande, a obtenu pendant la guerre de Succession de Bavière le commandement d’un corps franc saxon levé par Henri de Prusse112. À la fin de la guerre, il s’établit définitivement à Potsdam où il devient avec Johann Christoph Wôllner (1732-1800), le plus proche conseiller du futur Frédéric-Guillaume II (1744-1797), neveu de Frédéric II.
51Bischoffwerder et Wôllner sont alors des membres actifs de l’ordre des Rose-Croix d’or à Berlin et Potsdam113. Ils y reçoivent Frédéric-Guillaume II le 8 août 1781 qui devient Ormesus. Bruhl en fait également partie sous le nom d’Ocarus. La société secrète des Rose-Croix d’Or sur laquelle nous avons tenté de faire le point dans L’Europe des francs-maçons114, est souvent représentée voire caricaturée comme le noyau des anti-Lumières qui triomphe en Prusse avec Wôllner et Bischoffswerder à l’avènement de Frédéric-Guillaume II. En réalité les Rose-Croix d’or, peu nombreux mais très influents en Allemagne, en Europe centrale et en Russie, sont plutôt les représentants du courant irrationnel, ésotérique et conservateur des Lumières, qui vise à « faire émerger les forces cachées de la nature, faire briller sa lumière, qui a été profondément enterrée par la malédiction, et, par cette voie à procurer une lumière intérieure à chaque frère par laquelle il pourra voir le Dieu invisible et devenir plus proche de lui avec la source originelle de la lumière ». Occupant une position diamétralement opposée à celle des Illuminaten dans le champ des Lumières, ils en favorisent à la fois la polarisation et l’équilibre, même instable. Illuminaten et Rose-Croix d’or se livrent à une compétition féroce pour recruter au sein des loges rectifiées ou bleues115 ceux qu’ils estiment par leurs qualités personnelles, leur envergure sociale, leur réseau relationnel, capables de leur donner l’avantage dans la lutte qui les oppose. Signe du désarroi, de la fin des Lumières, ou plutôt d’une recherche de la vérité entreprise tous azimuts, les Rose-Croix d’or ont su attirer à eux Goethe à Weimar, Nikolai Novikov en Russie, ou encore le prince Karl Josef von Salm-Reifferscheidt au château Rajec près de Brno.
52Quant à Dubosc116, devenu Du Bois franc dans l’ordre des Rose-Croix d’or, il prend la direction du cercle de Dresde. Bischoffswerder lui demande de recruter Friedrich Ludwig von Wurmb117, influent ministre d’État saxon, dont on peut restituer le cursus maçonnique. Initié à Halle où il était étudiant en 1744 dans la loge des Trois Clés d’or [Zu den drei goldenen Schlusseln] – loge où Philipp Carl von Knigge, le père d’Adolph Freiherr von Knigge l’homme clé des Illuminaten et l’auteur du célèbre Uber den Umgang mit Menschen, sera initié trois ans plus tard –, maître en chaire d’une loge de Varsovie, puis affilié à la loge Aux Trois Glaives [Zu den drei Schwertern] de Dresde, dont il est secrétaire en 1760, von Wurmb rallie la réforme de la Stricte Observance Templière, où il est reçu dans l’ordre intérieur Eques A Sepulchro. Il devient Colurus dans l’ordre des Rose-croix d’or qu’il intègre en 1781 avant de parvenir rapidement au septième grade, mais le quitte en 1783. Il est connu pour son Cours de Maçonnerie rédigé en 1795. Malgré ce succès de courte durée, on constate que la Saxe bien quadrillée par les Rose-Croix d’or n’a connu qu’une très faible implantation des Illuminaten118. La trajectoire du Huguenot Dubosc montre clairement qu’en quarante ans de vie maçonnique, à compter de son initiation à Lyon, il a profondément modifié son horizon relationnel, intégré une donne maçonnique mouvante et son articulation aux enjeux politiques et diplomatiques, pour accéder au premier cercle de la Maçonnerie allemande et des sociétés secrètes qui en convoitent les loges et leurs membres.
Franc-maçonnerie et transfert culturel
53Dans son introduction au Creuset allemand. Histoire interculturelle de la Saxe, Michel Espagne propose une histoire culturelle attentive à l’espace, à ses échelles et dénivellations, résolue à étudier sur le terrain les jeux de l’échange et de l’appropriation culturelle, les acteurs et leurs négociations – matérielles, financières et symboliques.
Si par hypothèse il existe une histoire universelle, dépassant le niveau national, elle se situerait donc soit en aval du fleuve, une fois traversée l’étape obligée de l’identité nationale, soit dans une comparaison entre les constructions nationales ; certainement pas dans une observation attentive des connexions souterraines ou refoulées entre les réseaux nationaux.
Pour conserver un instant encore la métaphore des ruisseaux et du fleuve, on pourrait dire qu’une tâche urgente de l’histoire culturelle en Europe, et notamment entre la France et l’Allemagne, consisterait à redessiner une carte hydrographique qui mettrait désormais en évidence l’imbrication des réseaux, leurs relations souterraines, l’échange des eaux en amont des fleuves. Car si l’histoire de France produit bien de l’identité à partir d’éléments hétérogènes, de particularismes divers, d’importations multiples qu’il convient de rappeler, en va-t-il autrement de l’histoire culturelle de l’Allemagne ? L’identité allemande n’est-elle pas une métamorphose de matériaux importés, une altérité transformée et sublimée ? Le terme d’identité, particulièrement flou mais incontournable lorsqu’on s’avise d’écrire une histoire culturelle nationale, conserve-t-il encore quelque pertinence quand on observe la riche diversité qui constitue tel ou tel sous-ensemble national et le rattache même à d’autres espaces que celui auquel le voue une histoire téléologique ? La compréhension du monde allemand ne serait-elle pas enrichie si on l’envisageait un moment non pas comme un espace englobant donnant un sens à chacune de ses parties, mais comme un creuset, ou mieux encore comme une juxtaposition de creusets où s’est opérée une alchimie complexe, progressivement oubliée ?119
54À cette ambition d’histoire interculturelle, l’historien de la Franc-maçonnerie européenne et de la sociabilité ne peut que souscrire. L’espace maçonnique européen, les réseaux de loges, de correspondance et de gestion de la mobilité qui en assurent le maillage, les centres qui le polarisent, les stratégies individuelles et régionales qui s’y déploient et le recomposent, servent à la fois de plateformes et de véhicule aux échanges culturels. Mais, ils montrent en même temps les limites heuristiques du concept de transfert culturel qui sous-tend toute l’œuvre de Michel Espagne. Si dans le cadre allemand, l’auteur voit dans l’histoire interculturelle un moyen de résister à une construction téléologique de l’histoire nationale et de parvenir « à une historiographie de la discontinuité120 », le transfert culturel m’apparaît comme trop rigide pour rendre compte de jeux aussi complexes, à géographie, intensité et modalités variables, que seule la variation des échelles d’observation et la multiplicité des marqueurs employés – pour reprendre la métaphore hydrographique de l’auteur – peuvent sinon restituer du moins esquisser. La référence de Michel Espagne dans la même introduction à l’étude des « importations et exportations culturelles » laisse encore plus perplexe121, d’autant que l’auteur ne semble craindre qu’une menace : que l’on ne dépasse pas « le cadre traditionnel des échanges bilatéraux ». Et de souligner :
« Lorsque Dostoïevski s’établit à Dresde, il admire à la galerie principalement les tableaux italiens acquis durant le siècle précédent. Les huguenots francophones se réclament des avantages accordés aux catholiques italiens pour améliorer leur statut, et les importations italiennes de Leipzig sont souvent destinées à la Pologne. Des constellations triangulaires ou plus complexes définissent les phases de l’histoire culturelle122 ».
55L’étude de l’espace maçonnique européen montre l’importance du meccano sociable, du « bricolage » cher à Claude Lévi-Strauss : des matériaux de réemploi (hommes, activités, lieux, statuts et règlements, symboles) sont acquis ou dérobés – c’est tout l’enjeu de la construction de la mémoire opérative de la Franc-maçonnerie des xviie-xviiie siècles123 – mais finalement réappropriés – plutôt que la « métamorphose de matériaux importés » évoquée par Michel Espagne dans la longue citation initiale. La sociabilité des Lumières ne se réduit pas à un inventaire d’institutions patentées ou légitimes – au sens que Pierre Bourdieu donne à la culture légitime – : académies, salons et sociétés, loges, musées etc., Elle est d’abord un espace social, de rencontres, d’échanges, de dons – pour certains gratuits et d’autres qui le sont moins –, d’émulation et d’affrontement entre des intervenants multiples qui ne sont pas réductibles à leur appartenance nationale – dans la mesure où elle a un sens –, ou sociale. C’est pourquoi le transfert culturel peine à restituer la complexité de ces échanges et l’irréductible spécificité de leurs protagonistes. La présence de nombreux étrangers ne suffit pas à faire de Dresde une métropole cosmopolite, pas plus que la présence de loges maçonniques ne vaut certificat d’appartenance aux Lumières et n’est une preuve de leur « bonne » diffusion. Seule une étude attentive aux trajectoires et aux écarts individuels peut restituer l’implication réelle de tel négociant huguenot de Leipzig dans les échanges interculturels. En d’autres termes, négociants étrangers, traducteurs, hommes du livre et de l’art, professeurs, que Michel Espagne inventorie et identifie au fil de ses recherches, ne sont pas des « acteurs-nés » d’échanges culturels qu’une balance des importations et exportations culturelles – qu’on aurait d’ailleurs bien du mal à faire – ne solde pas, quand bien même on déborde le cadre bilatéral.
Notes de bas de page
1 Ce qui rend a contrario d’autant plus stimulante la recherche impulsée par Daniel Roche sur la « culture de la mobilité », et le séminaire d’Henriette Asséo à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales sur le « Principe de circulation » – dossier à paraître dans la Revue de Synthèse : Circulation et cosmopolitisme en Europe, dirigé par Henriette Asséo, juin-décembre 2002, n° 3-4, avec un article introductif de Daniel Roche : « Voyages, mobilités, Lumières ».
2 Considérant l’existence d’un commerce de société avec ses transactions, ses fluctuations conjoncturelles, le jeu de l’offre et de la demande, l’impact de la concurrence et de la mode, comme des clés pertinentes pour la compréhension de la construction et de l’intégration de l’espace maçonnique européen au xviiie siècle, notre réflexion doit également beaucoup à la préparation des journées d’étude organisées par Christine Lebeau à l’Université Marc-Bloch de Strasbourg les 30 et 31 mars 2001 sur La construction de l’espace impérial. Dynamiques spatiales, dynamiques d’Empire, et à la lecture du dossier « Les territoires de l’économie, xve-xixe siècles » coordonné par Philippe Minard, dans Revue d’histoire moderne et contemporaine, 48 – 2/3, avril-septembre 2001.
3 Gérard Gayot, « La main invisible qui guidait les marchands aux foires de Leipzig : enquête sur un haut lieu de la réalisation des bénéfices, 1750-1830 », dans Les territoires de l’économie, xve-xixe siècles, numéro double de la Revue d’histoire moderne et contemporaine présenté par Philippe Minard, 48-2/3, avril-septembre 2001, p. 72-103.
4 Musée du Grand Orient de France, Paris, Nouvelles acquisitions, Non coté : Protocole de la Juste et Parfaite Loge Aux Trois Cygnes [de Dresde], la Réunion de la loge Aux Trois Cygnes avec la Loge Aux Trois Glaives d’or, 5 février 1741-2 septembre 1745, 231 folios (manquent les fos 23 à 30 découpés en 1817).
5 Une loge rectifiée ou réformée est une loge qui a été reconnue digne de la Stricte Observance Templière.
6 Pour une première ébauche voir Pierre-Yves Beaurepaire, L’Europe des francs-maçons…, op. cit., cartes p. 59, p. 88, p. 111.
7 Michel Espagne, Le creuset allemand. Histoire interculturelle de la Saxe xviiie-xixe siècles, Paris, PUF, 2000, Perspectives germaniques, 328 p.
8 Stefan-Ludwig Hoffmann, Die Politik der Geselligkeit. Freimaurerlogen in der deutschen Bürgergesellschaft 1840-1918, op. cit., p. 310-322.
9 Katharina Middell, Hugenotten in Leipzig, Streifzüge durch Alltag und Kultur, op. cit.
10 Michel Espagne qui a publié de nombreux travaux notamment avec Michael Werner sur le transfert culturel, dirige même aux Presses universitaires de Leipzig une collection sur ce thème, Transfert. Elle accueille plusieurs volumes collectifs consacrés à une histoire des transferts culturels en Saxe et à l’histoire interculturelle de la Saxe électorale. Au sein de cette production, on relèvera notamment : Michel Espagne, Werner Greiling (Hrsg.), Frankreichfreunde Mittler des französisch deutschen Kulturtransfers (1750-1850), Leipzig, Leipziger Universitätsverlag, Deutsch-Französische Kulturbibliothek, Band 7, 1996, 364 p. et, dernièrement, Anneliese Klingenberg, Katharina Middell, Matthias Middell, Ludwig Stockinger (Hg.), Sächsische Aufklärung, Leipzig, Leipziger Universitätsverlag, Leipziger Studien zur Erforschung von regionenbezogenen Identifikationsprozessen, Band 7, 2001, 280 p. Est également annoncé pour les prochains mois : Kristin Klank, Matthias Middell, Steffen Sammler (Hg.), Sachsen in französischen Diplomaten-Berichten des 18. und 19. Jahrhunderts.
11 Il remplace alors le baron Oberg, l’un des fondateurs d’Absalom zu den drei Nesseln.
12 Auguste le Fort est couronné roi de Pologne à Cracovie en 1697 sous le nom d’Auguste II après s’être converti au catholicisme. Son règne s’achève en 1733.
13 Pierre-Yves Beaurepaire, L’Europe des francs-maçons, op. cit., chapitre II.
14 Protocole de la Juste et Parfaite Loge Aux Trois Cygnes, f°1.
15 Ibid., f° 15.
16 Création adoptée par 29 voix contre 5.
17 La Grande Loge est un organe dirigeant qui coiffe les deux loges de Dresde mais ne les remplace pas. Outre le Grand maître, elle comprend « un Député Grand Maître, deux Grands Surveillants, un Grand Chancelier, un Grand Secrétaire, un Grand Trésorier, un Grand Portier » : ibid., f° 19.
18 Ibid., f° 13.
19 Ibid., f° 14.
20 Ibid., f° 19.
21 Nous en donnons la liste complète dans L’Europe des francs-maçons, op. cit., p. 108.
22 « La Grande Loge n’est que le consistoire, ou grand tribunal, auquel les autres loges d’un pays doivent prendre recours pour faire juger les cas douteux » : Protocole de la Juste et Parfaite Loge Aux Trois Cygnes [de Dresde], f° 81, 9 juin 1742. Le vote n’est d’ailleurs pas unanime, vingt-neuf voix contre cinq, à la différence du choix du Grand Maître, ce qui témoigne clairement de l’existence d’une opposition.
23 Par opposition à déplacé.
24 Ibid., f° 85.
25 On ignore s’il s’agit de Pierre Le Fort, d’origine genevoise, général de l’armée saxonne et pionnier de l’ordre maçonnique en Pologne. Voir notamment Emmanuel Rostworowski, « La Suisse et la Pologne au xviiie siècle », dans Échanges entre la Pologne et la Suisse du xive au xixe siècle, Genève, librairie Droz, 1964, p. 190.
26 Liste des frères de la juste et parfaite loge aux Trois Cygnes, puis de la loge réunie à celle des Trois Glaives d’or, fos 223-227. La liste n’indique malheureusement les qualités profanes de la plupart des membres – à l’exception des diplomates, pas plus que leur origine ou la date de leur réception dans l’ordre.
27 Alors que l’historiographie maçonnique a du mal à se déprendre de ce que les philosophes nomment essentialisme, comme si la Maçonnerie était invariante dans le temps et dans l’espace.
28 En outre, la Grande Loge de Haute-Saxe décide « de nous conformer exactement, dans toutes nos assemblées, aux lois et constitutions d’Angleterre, nouvellement imprimées, ce qui évitera sans doute parmi nous toutes disputes et contestations ». Il s’agit de l’édition de 1738 des Constitutions, où Anderson cherche significativement à créer une Maçonnerie royale protégée par « les rois saxons » d’Angleterre comme il nomme la dynastie des Hanovre. De toute manière et quoi qu’elle en dise, la Grande Loge de Saxe interprète très librement les textes statutaires et réglementaires anglais, qu’elle adopte par simple esprit pratique et pragmatique. Elle n’imagine pas solliciter pour son Grand Maître une patente de Grand Maître Provincial anglais auprès de la Grande Loge d’Angleterre qui n’est pas mentionnée.
29 Le succès rencontré par l’ordre chevaleresque créé par le jeune Heyking – voir supra chapitre trois – et les convoitises qu’il suscite aussitôt au sein de la Grande Loge de Saxe confirment son maintien trois décennies plus tard.
30 Protocole de la Juste et Parfaite Loge Aux Trois Cygnes [de Dresde], f° 44.
31 Ibid., f° 46.
32 Il ne faut pas voir dans ce refus les conséquences de la méfiance de Dresde à l’égard des ambitions de la rivale prussienne. La loge de Dresde entretient en effet les meilleures relations avec les loges berlinoises auxquelles Pérard est personnellement affilié.
33 Elle a auparavant décidé qu’un compagnon ne pourrait pas passer maître avant au moins six semaines : ibid., 5 décembre 1741, f° 52.
34 Ibid., f° 65.
35 Ibid., f° 63. Il passera maître à Berlin.
36 Ibid., 7 décembre 1741, f° 54.
37 Archives de la Réserve, Bibliothèque du Grand Orient de France, Paris, fonds 113-1, pièce 175, Registre… [de la] loge écossaise de l’Union [de Berlin] depuis sa fondation du 30e novembre 1742 jusqu’à présent, f° 136 r°.
38 Pour faire le point sur l’histoire de la Stricte Observance, voir Pierre-Yves Beaurepaire, L’Europe des francs-maçons…, op. cit., p. 71-90.
39 Dont il fut duc de 1758 à 1763. Heyking aborde longuement ces questions dans ses Mémoires : Mes réminiscences…, tome I, 1re et 2e parties.
40 Ibid., tome I, 1re partie, chapitre VIII, n. p.
41 Ibid., tome I, 1re partie, chapitre IX, n. p.
42 René Le Forestier, La Franc-maçonnerie templière et occultiste aux xviiie et xixe siècles, op. cit., p. 118.
43 Eugen Lennhoff, Oskar Posner, Internationales Freimaurer-Lexikon, op. cit., p. 1366.
44 Saint-Jean des Voyageurs est également la loge de Georg August von Weiler, émissaire de la réforme à Strasbourg, Lyon et Bordeaux, ainsi qu’en Suisse alémanique et en Italie : Pierre-Yves Beaurepaire, L’Autre et le Frère…, op. cit., p. 47-61.
45 Voir son arbre généalogique dans Walter Fellmann, Heinrich Graf Brühl. Ein Lebens- und Zeitbild, Koehler & Amelang, München & Berlin, 2000, p. 412.
46 Le ministre Heinrich von Brühl avait d’ailleurs pris soin d’allier ses enfants avec des représentants des plus grandes familles polonaises : sa fille Maria Amalia avec les Mniszek, et Aloys avec les Potocki – lors de deux mariages successifs : en 1760 avec Maria Anna Potocka puis en 1780 avec Maria Theresia Potocka. Lui-même avait épousé Maria Anna Franziska née Kolowrat-Krakowski (1717-1762), d’une puissante famillle de Bohême au service de la Monarchie des Habsbourg – elle compte dans ses rangs de nombreux francs-maçons, dignitaires de la Stricte Observance, et Illuminaten, parmi lesquels au moment de la Freimaurerpatent de l’empereur Joseph II, le comte Leopold Kollowrat-Krakowski.
47 Ils seront d’ailleurs convoqués ensemble par les Philalèthes parisiens.
48 Les 11, 12 et 16 novembre 1775, Corberon débute son Journal par : « Le comte de Brühl, le prince d’Anhalt et le prince Adoieski m’ont parlé Maçonnerie ».
49 Journal de Corberon, 21 juillet 1775.
50 Ibid., 20 juin 1775.
51 Ibid., 11 novembre 1775.
52 Adoieski lui permet également de copier des cahiers de grades et de dessiner des bijoux maçonniques [Ibid., 12 novembre 1775].
53 Sur l’histoire événementielle de la Stricte Observance et de la réforme templière, voir : René Le Forestier, La Franc-maçonnerie templière et occultiste aux xviiie et xixe siècles, op. cit.
54 Journal de Corberon, 3 et 4 mai 1776.
55 Ibid., 11 novembre 1775.
56 Antoine Faivre, « Un familier des sociétés ésotériques au dix-huitième siècle : Bourrée de Corberon », art. cit., p. 148-149.
57 Le Journal est écrit ici sous forme de lettres fictives à son frère.
58 Journal de Corberon, 23 et 26 juin 1776.
59 Ibid., 16 juin 1777.
60 Ibid., 17 juin 1777.
61 Sur la famille de Bellegarde, voir Jean Nicolas, La Savoie au 18e siècle. Noblesse et bourgeoisie, Paris, Maloine, 1978, tome II p. 1041.
62 À ce propos, intéressons-nous un instant au marquis d’Agdollo. Dans Le creuset allemand, Michel Espagne, qui ne dit rien de ses qualités maçonniques, le qualifie d’« aventurier d’origine orientale, sorte de Cagliostro saxon » [p. 141]. Il négocie à Venise pour la cour de Saxe des tarifs douaniers préférentiels sur les toiles saxonnes et les soieries vénitiennes, et des transferts techniques – comme on s’en doute, la frontière qui sépare ces activités officielles de l’espionnage industriel sont incertaines. Or, il se trouve qu’il obtient en 1767 des patentes de Grand Maître provincial « anglais » pour la Haute-Saxe [voir le tableau récapitulatif d’après les archives de la Grande Loge d’Angleterre, dans L’Europe des francs-maçons…, op. cit., p. 108], d’un autre aventurier, de Vignoles, Français, Grand Maître provincial de la Grande Loge d’Angleterre pour les pays étrangers. Comme l’écrit Daniel Roche et comme nous l’avons vu au chapitre deux, ces aventuriers sont de formidables « gestionnaires de la mobilité », et leur présence même prouve l’existence de réseaux relationnels étoffés où ils aiment à s’infiltrer pour parvenir à leurs fins. Ironie et fin de l’histoire, on lit dans un article du mensuel Freemasons’Magazine d’août 1793 consacré à « The Bastille of Saxony : the following description of Königstein » : « [Au nombre des prisonniers] is one Colonel Acton – corrigé en marquis d’Agdollo. He who is acquainted with the secret history of Dresden, will remember the horrid poison scheme, which was detected, but was thought proper to be kept secret. Acton was the chief in this conspiracy. He was by birth an Italian ; possessed a Calabrian heart ; was a bold and handsome man ; and was the favourite of the Dowager Electress. This is a sufficient key to his history. For those who are desirous of knowing what is become of Acton, who has still many friends in Dresden, and enjoys more liberty than his fellow-prisoners » [Freemasons’Magazine, a general and complete library for August 1793, printed and published by J. W. Bunney, N° 7 Newcastle-street, Strand, and sold by all the Booksellers in Town and the country, p. 240].
63 Péninsule ibérique exclue.
64 Bibliothèque municipale de Lyon, fonds Jean-Baptiste Willermoz, mss 5855, pièce 8.
65 Pierre-Yves Beaurepaire, « Un creuset maçonnique dans l’Europe des Lumières : la loge de la Candeur, orient de Strasbourg », dans Revue d’Alsace, 1998, tome 124, fascicule 602, p. 89-120.
66 Jürgen Voss indique de son côté que les fils du ministre saxon avaient commencé leurs études à Strasbourg en 1756 à l’École diplomatique de Jean-Daniel Schoepflin, qui devait acquérir une réputation européenne : Jürgen Voss, Jean-Daniel Schoepflin (1694-1771). Un Alsacien de l’Europe des Lumières, op. cit., p. 165.
67 « Documents strasbourgeois sur la Stricte Observance I », dans Renaissance traditionnelle, n° 34, avril 1978, p. 89-128.
68 Il s’agit du frère cadet du pasteur, qui a lui pour nom d’ordre : chevalier de Maclef.
69 Musée du Grand Orient de France, Paris, Nouvelles acquisitions, Non coté : Protocole de la Juste et Parfaite Loge Aux Trois Cygnes [de Dresde], f° 37.
70 La liste lui est fournie en annexe : « Personnes exclues : Mrs Ammon, Résident de Prusse, Chasson, chirurgien du roi, Comte d’Oeynhausen, capitaine, Soumain, chirurgien ».
71 Ibid., f° 38.
72 Ibid., f° 39.
73 Ibid., f° 40.
74 Dans un article récent, « Leipziger Sozietäten im 18. Jahrhundert. Die Bedeutung der Soziabilität für die kulturelle Integration von Minderheiten », dans Neues Archiv für Sächsische Geschichte, 69 (1998), p. 125-157, Katharina Middell consacre un développement à la Franc-maçonnerie, mais il repose sur une bibliographie datée – fin xixe ou début du xxe siècle – et orientée – il s’agit de l’histoire officielle des loges de Leipzig et de la Franc-maçonnerie en Saxe. Interrogée par nous à ce sujet, l’auteur dit pourtant avoir consulté les dossiers des loges de Leipzig aux Archives secrètes de Prusse à Berlin, ne pas ignorer l’affiliation des principaux représentants des dynasties Dufour et Feronce, mais n’être « pas spécialiste de la Franc-maçonnerie » (lettre du 15 juillet 2002).
75 Malgré son titre, le travail de Robert Beachy, « Club Culture and Social Authority : Freemasonry in Leipzig, 1741-1830 », art. cit., porte essentiellement sur le xixe siècle. Du même auteur on peut lire également : « Recasting Cosmopolitanism : German Freemasonry and Regional Identity in the Early Nineteenth Century », art. cit.
76 Comme je le croyais à tort au moment d’écrire L’Autre et le Frère. En effet, c’est le recoupement, le recouvrement partiel des échelles et des réseaux qui tissent une toile relationnelle solide, même s’ils provoquent parfois des confusions et des conflits d’intérêts. Pour un avis contraire, d’une sociologue, voir le paragraphe qu’Anne Bidard consacre aux réseaux gigognes » dans Anne Bidard, L’amitié un lien social, chapitre neuf : « Comment se structure un réseau ? », Paris, La Découverte, 1997, p. 219-223.
77 Les trois domaines s’interpénètrent et se déploient à la fois à l’horizon le plus proche : la maison où les enfants se rencontrent tous les jours, les quelques rues où se regroupent les Français, le temple, la maison de commerce, mais aussi le plus lointain : les racines familiales françaises, la nébuleuse huguenote, le grand commerce.
78 Il prend le maillet de Vénérable en 1742.
79 Il s’agit de Marc Antoine junior, à ne pas confondre avec son oncle Marc Antoine né en 1683.
80 Un autre membre de la même famille, Daniel Armand, est également reçu en 1745.
81 « Die Familien wohnten in Leipzig kaum einen Steinwurf auseinander » : Katharina Middell, Hugenotten in Leipzig…, op. cit., p. 91.
82 Ibid., « Briefkultur unter Freunden », p. 89-102.
83 Jacques Marc Antoine Dufour en rédige les statuts avec David Antoine Duvigneau aîné, le banquier Johann Heinrich Küstner et l’Oberpostkommissar Freystein.
84 Elle deviendra une véritable institution à Leipzig et une tradition familiale, puisque Carl Heinrich Albert Dufour-Feronce, diplomate et donc absent de Leipzig la plupart du temps, y adhère en 1923.
85 L’âge moyen à l’affiliation ou à la réception augmente de dix ans, passant de 24 à 34 ans.
86 Un Pallard, André Jacques a été reçu en 1745.
87 On notera cependant au sein même des familles huguenotes, un effacement progressif du français.
Suzanne Feronce, épouse d’un pasteur genevois, débute son testament olographe en 1779 par : « Au nom de Dieu, amaien (sic) » [Archives départementales du Rhône, 3 E 6602 A : notaire Montellier, 9 mars 1779], et poursuit dans un français très approximatif, au point qu’Yves Krumenacker qui cite cette source dans sa belle étude sur les protestants lyonnais pense qu’elle est d’une famille allemande : Yves Krumenacker, Des protestants au siècle des Lumières. Le modèle lyonnais, Paris, Honoré Champion, Vie des huguenots 21, 2002, p. 186.
88 Troisième fils par ordre d’aînesse du célèbre ministre. Voir son portrait dans Walter Fellmann, Heinrich Graf Brühl…, op. cit., illustration 10, n. p.
89 Dont les foires ont été au début du xviiie siècle détrônées par celles de Leipzig.
90 Franco Angiolini et Daniel Roche (dir.), Cultures et formations négociantes dans l’Europe moderne, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1995, 593 p. comporte de nombreuses références à la Franc-maçonnerie.
91 À titre de comparaison, il serait intéressant d’étudier les références à la Franc-maçonnerie dans les ego-documents des négociants irlandais installés en Aquitaine et en Charente, où ils participent activement aux travaux de l’Art Royal. Louis M. Cullen cite notamment la correspondance qu’échange John Saule avec Richard Hennessy : The Irish Brandy Houses of Eighteenth-Century France, Dublin, The Lilliput Press, 2000, p. 65, p. 98, p. 100.
92 « Ces messieurs (francs-maçons) me tourmentent tous les jours pour m’agréger à leur compagnie, mais ils perdent leur temps à cet égard » : lettre du 19 janvier 1744 à Louis VIII, landgrave de Hesse-Darmstadt, citée par Jürgen Voss, Jean-Daniel Schoepflin (1694-1771). Un Alsacien de l’Europe des Lumières, op. cit., p. 93 note 550.
93 Stadtarchiv Leipzig, Nachlaß Dufour 11, fos 25-28, Lettre du 28 juin 1789.
94 Berlin-Dahlem, Geheimes Staatsarchiv Preußischer Kulturbesitz, Freimaurerbestände, 5. 2. L 24, Nr 111, tableaux des membres de Minerva zum Zirkel, orient de Leipzig.
95 L’atelier totalise pour cette période 270 membres mais l’information fait défaut pour 127 d’entre eux.
96 Sur l’importance des relations ente Verviers et Leipzig, voir Gérard Gayot, « La main invisible qui guidait les marchands aux foires de Leipzig…», art. cit.
97 Pierre-Yves Beaurepaire, L’Autre et le Frère…, op. cit., p. 493-535.
98 Pour une carte de l’origine des visiteurs de la Bien-Aimée, orient d’Amsterdam, de 1754 à 1793 :
Pierre-Yves Beaurepaire, L’Europe des francs-maçons…, op. cit., p. 94.
99 La Haye, Orde van Vrijmetselaren onder Het Grootoosten der Nederlanden, Archief, carton 4337, 41 : 6-7-8, Visiteurenboek van de loge la Bien-Aimée, orient d’Amsterdam.
100 Ibid., 41 : 6, f° 110. Il est à nouveau présent parmi les visiteurs le 27 décembre 1756 (f° 112). La matricule de Leipzig indique par ailleurs que le huguenot Daniel Armand Fizeaux ami des Dufour et Feronce affilié en septembre 1741 a été auparavant reçu maçon à Amsterdam. A. Crayen le sera quant à lui à la loge de la Charité [Berlin-Dahlem, Geheimes Staatsarchiv Preußischer Kulturbesitz, Freimaurerbestände, 5. 2. L 24, Nr 111, tableaux des membres de Minerva zum Zirkel, orient de Leipzig].
101 Reçu franc-maçon à Dantzig et affilié à Minerve depuis le 21 février 1759. Il visite à nouveau la Bien-Aimée le 27 décembre : La Haye, Orde van Vrijmetselaren onder Het Grootoosten der Nederlanden, Archief, carton 4337, 41 : 7, f° 164 et f° 151 (pagination éronnée).
102 La Haye, Orde van Vrijmetselaren onder Het Grootoosten der Nederlanden, Archief, carton 4337, 41 : 7, f°151.
103 Ibid., 41 : 7, f° 154.
104 Sans pouvoir me préciser de quels représentants de la famille il s’agissait.
105 Gérard Gayot rappelle que les foires de Leipzig sont avec celles de Nijni-Novgorod « l’occasion de la plus grande migration de marchands d’Europe » : Gérard Gayot, « La main invisible qui guidait les marchands aux foires de Leipzig…», art. cit., p. 72.
106 La source n’indique pas le nom de la loge où la réception a eu lieu, à une exception près : Carl Christian Woog affilié en 1747 a été reçu à la « loge des étrangers » de Charing-Cross à Londres.
107 Michel Espagne, Le creuset allemand. Histoire interculturelle de la Saxe xviiie-xixe siècles, op. cit., p. 95.
108 Noyau dirigeant de la réforme templière.
109 René Le Forestier, La Franc-maçonnerie templière et occultiste aux xviiie et xixe siècles, op. cit., p. 205. Katharina Middell se trompe donc quand elle pense que la création de Balduin par Dubosc représente une tentative de « démocratisation » de l’orient de Leipzig, et une opposition de sa part à la Stricte Observance : Katharina Middel, « Leipziger Sozietäten im 18. Jahrhundert. Die Bedeutung der Soziabilität für die kulturelle Integration von Minderheiten », art. cit., p. 139-141. L’auteur semble en outre ignorer son adhésion à l’ordre conservateur des Rose-Croix d’or.
110 Johann Friedrich Fuchs, Die Freimaurerloge Balduin zur Linde in Leipzig 1776-1926, Leipzig, 1876, p. 9 sqq.
111 Die Freimaurerloge Zum goldenen Apfel im Orient Dresden 1776-1876. Festschrift zur Säcularfeier, Dresden 1876, Matrikel.
112 Le protecteur des Illuminés de Berlin, futurs Illuminés d’Avignon, auxquels appartiendra Corberon et qui n’ont rien à voir avec les Illuminaten.
113 Karlheinz Gerlach, « Die Gold- und Rosenkreuzer in Berlin und Potsdam (1779-1789). Zur Sozialgeschichte des Gold-und Rosenkreuzerordens in Brandenburg-Preußen », dans Quatuor Coronati Jahrbuch Nr. 32/1995, p. 87-147.
114 Pierre-Yves Beaurepaire, L’Europe des francs-maçons…, op. cit., p. 160-165.
115 À Berlin, Karlheinz Gerlach a ainsi établi que 45 % des membres de la loge Aux Trois Globes et 62 % de ses officiers avaient été recrutés par les Rose-Croix d’Or.
116 Comme l’écrit Karlheinz Gerlach, « Die rosenkreuzerische Spur fuhrte von Dubosc über Bischoffwerder zu Wöllner. Beide waren Vertraute des preußischen Thronerben Friedrich Wilhelm » : Karlheinz Gerlach, « Die Gold- und Rosenkreuzer in Berlin und Potsdam (1779-1789)…», art. cit., p. 92.
117 Ibid., p. 91.
118 Ils sont 4 à Dresde et 6 à Leipzig, soit peu de chose comparé aux 30 de Francfort-sur-le-Main, ou aux 70 membres de Mayence – sans parler des fiefs bavarois de l’ordre. Hermann Schüttler, Die Mitglieder des Illuminatenordens 1776-1787/93, op. cit.
119 Michel Espagne, Le creuset allemand…, op. cit., p. 1-2.
120 Ibid., p. 11.
121 « Étudier les importations et exportations culturelles dans un espace régional implique enfin que l’on dépasse le cadre traditionnel des échanges bilatéraux. Il n’est guère possible d’isoler un moment où les relations avec la France l’emporteraient sur toute autre relation. Mais dès que plusieurs cultures ont une incidence sur la structuration d’un espace, s’opèrent entre elles des interactions, des réfractions en chaîne, dont il convient de rendre compte » : ibid., p. 11.
122 Ibid., p. 11.
123 Sur ce sujet, voir Pierre-Yves Beaurepaire, La République universelle des francs-maçons…, op. cit., chapitre premier : « Adam franc-maçon ? Voyage au pays de la mémoire maçonnique », p. 23-52.
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